HERMES
RECHERCHES SUR L'EXPERIENCE SPIRITUELLE
i LE
| MAITRE SPIRITUEL
dans les grandes traditions
D’OCCIDENT
ET
D’ORIENT
218
IOAN
#1094631 19+
BTA 6859/4
I
;
ee SS...Dr HENRY CHAMBRON
DU PSYCHOTHERAPEUTE
AU MAITRE ULTIME
Idées directrices pour la reconnaissance de la fonction des Guides
Nombrews sont ceux gui hanorent et
seroent des mattres resplendissants de
connaissance et de discerement,
Mais, 6 Déesse, comme it est difficile
& frower, ce Matire qui, [uiemime
délioré de tout Ego, peut riduire
néant Ego d’autrui.
(Maharthamanjari, Commentaires, 1,
traduction Lilian Silburn).
us hommes se donnent les Mattres qu’ils méritent. Mériter signifie :
€tre tel, dans ma forme et mes oeuvres, qu’A cela corresponde unc
réponse adéquate, reconnaissant la place spécifique que j'occupe dans
Vensemble oft je suis situé. Reconnaissance adéquate de ce que je suis
‘et non de mes intentions, le mérite ici n'a pas de signification morale.
De ce mérite, je ne suis pas juge.
Pouvons-nous dire alors que la thérapie convient a la névrose occiden-
tale et le Maitre & l'aspiration « spirituelle » de Orient? Mais 4 !’Orient,
le Mattre traditionnel semble s'efflacer, lentement mais inexorablement
tandis qu’A P'Occident se live une thérapie & prétention existentielle,
Yes divisions sont factices. Tout d’abord parce que notre époque voit se
défaire les séparations culturclles entre les groupes humains et qu’un
gigantesque brassage occidentalise l'Orient et orientalise 'Occident,
cela d’ailleurs dans la plus grande confusion, comme le disait déja
R. Abellio en 1950. Aussi bien les deux péles Orient-Occident vont-ils
Sintérioriser de plus cn plus chez les existants les plus conscients, quelle
que soit leur origine géographique. Ce processus qui réfute Ini aussi la
facticité de la division, n’est pas nouveau, mais il est destiné & se développer270 HERMES
ct A ‘intensifier, obligeant toute conscience en évolution & intégrer la
bipolarité par unc intériorisation dont Ja tension et Tampleur donneront
la mesure de tout existant qui en est Je lieu, de I'Occident Iui-méme ct,
en définitive, de ’Humanité.
‘Mais aujourd'hui, il demeure que nous nous trouvons en présence de
deux modéles, de deux types de pratiques dont les ples extrémes peuvent
étre représentés par le psychanalyste freudien ct par le Maitre sivaite
tel que le présente par ailleurs Particle de Lilian Silburn, Entre ces deux
extrémes, des positions intermédiaires réelles ou possibles nous aménent
A une comparaison qui ne se proposait pas d’emblée tant la distance
parait grande de l’un & Fautre.
‘Qu’est-ce donc qui peut faire ’unité de ces pratiques et, en méme temps,
quels sont les crittres qui nous permettront de les situer les unes
par rapport aux autres dans unc hiérarchic explicitement fondée?
Répondre A ces questions est la meilleure fagon d’éclairer tant soit pew
Ja situation actuelle et de jeter un coup de sonde vers l’avenir.
Ce qui cst en cause sur toute la ligne, c’est toujours Ja Relation de
Plndividu avec PAutre. L « Autre » ici signifie : ce qui n’est pas moi.
Mais ceci n’est pas simple. Selon le moment de Ia vie et la nature de
chaque existant, cet Autre est plus ou moins vaste et il circonscrit un
univers qui va du sein maternel & la ronde cosmique des mondes ct
APabsolument Autre au-delA des espaces, en passant par des communautés
humaines et des plans d’existence multiples. En fait, si, comme le dit
Sri Aurobindo, « Toute vie est yoga » chaque existant est relié au Tout
par cet ensemble de médiations humaines et cosmiques. ‘Mais nous prenons
ici le point de vue de la conscience individuelle en évolution. De ce point
de vue chacun parcourt un chemin selon sa mesure, la plupart ne
dépassant guére, quoiqu'ils en pensent, les tout premiers cercles ob la
chaleur du sein les endort. Entre la masse ensommeillée et les exceptionnels
génics mystiques se situent les chercheurs a P’élan plus ou moins puissant.
‘Admettons que chaque existant soit en puissance ce chercheur de la
clarté divine mais que seul un trés petit nombre prenne la route et ne
se contente pas de la lampe (domestique. Il est possible de dégager
un itinéraire typique, possédant une structure universelle le long duquel
tout existant peut étre situé. Les étapes de ce chemin sont justement
les diverses modalités et les divers niveaux de la relation A FAutre. Si la
masse famasique* reste stagnante autour d'un point que nous pouvons
1 De tamas, Pune des trois « qualités » — ici celle de V'inertie — qui d’aprés la tradi
indienne constituent chaque individu.DU PSYCHOTHERAPEUTE AU MAITRE ULTIME 271
prendre comme origine — ou comme base pour notre niveau actuel
dtévolution —, le chercheur « moyen » devra passer par des étapes relat
vement précises, il va suivre un processus génétique qui, de stade en stad
ow de naissance cn naissance aboutira pour lui 4 Pultime union. Tl fi
alors comprendre les étapes de la vie psychologique, depuis la naiss
physique, en unité avec celles de la vie « spirituelle »; ¢ailleurs, si n:
utilisons ces guillemets pour «spirituel », c'est qu’en réalité il n’existe
quiune Vie, qui est la Voie, Dans Ie réve laborieux que nous vivons,
Ja relation avec I’Autre se structure d’abord par et contre les humains
Jes plus proches, c’est-A-dire la Mae et le Pere. A ce moment se constituent
justement des attitudes qui auront tendance & conditionner les niveaux
ultérieurs de la Relation ou méme 4 en entraver l'accés. La névrose
sens strict est précisément une fixation & ce stade qui empéche le svj
daccéder A un niveau relationnel « normal ». C’est pourquoi il demande
Paide du thérapeute, Mais le «normal > est relatif et pour ne pas étre
conscient ni génant ce conditionnement n’en existe pas moins chez tout
homme et limite généralcment sa capacité relationnelle A une zone étroite
que justement le hc EE Tout dépendr:
nivean d’agpingtion de chacun ou, en autres termes, du degré d’i
faction ot il sera. par rapport A son état. Ce point est fondamental.
Quel que soit le niveau ou I’étape, aide d’un guide sit
est insatisfait de sa situation ct ne cherehe is en deca
du lieu ott V’existant se rencontre avec I’'Autre divin, iT'existe bien des
points oi la Relation a dépassé le niveau infantile et ot Pexistant se vit
comme relié aux communautés humaines, & la «nature » ct méme a
YP « étre », I] vit alors cette relation dune facon qui peut étre harmonieuse
et pléniére si elle réalise ses capacités propres.
En tout cas, sur Je chemin sinueux, le passage d’un niveau de relation
au suivant, dune forme de liaison A la suivante, s¢ fait nécessairement
par mutations, voir pat inversion des structures relationnelles et indivi-
duelles qu'il s’agit de dépasser. Bien que ces mutations soient vécues
dans l'unité et la continuité d'une existence, elles répondent & des trans-
formations si profondes, si radicales, que la fin ne resserble au commen-
cement que pour une vision définitivement libérée du Temps.
Ces considérations trés générales étaient néccssaires. En effet, c’est
le long de ce chemin dont la structure est uuniverselle que vont se situer
les multiples étapes auxquelles correspondent les pratiques des différents
guides. Ge qui va fonder la higrarchie de ces guides et de ces pratiques
Test autee que le niveau oi se situe la Relation du candidat, et, plus
encore, le niveau aspiration, le potenticl de réalisation qu’il faut272 HERMES
actualiser. Nous dirons tout & l'heure comment ce niveau lui-méme est
déterminé par la nature et le statut de I"Ego, Mais déja le principe méme
dela hiérarchie nous explique pourquoi, si le thérapeute n’a pas de regard
sur Paspiration (les « croyances ») de son client, et reste sur le p
«scientifique» (mais il régne ici confusion sur laquelle né
tose) i ie raals Hee Bon
d'une autre a l’inconscient de son disciple, 1 peut le faire avancer
vers Ic sommet que si la base est assurée. Car le chemin est UN. Les
nuances et les exceptions que on pourra toujours opposer A ce point
de vue ne sauraient en infirmer la valeur générale.
Si done nous comprenons que, d’un bout A V’autre, il s'agit pour le
Guide de faire évoluer (ou d’aider & Pévolution de) la Relation du
candidat avec I’Autre, un certain nombre d’analogies entre les deux péles
de la pratique peuvent s’ordonner sans pour autant nous faire tomber
dans la platitude des identités superficiclles of s'abolit la transcendance
propre A tout le chemin,
(GG candidat Gemande aide @uNGU® pour dépasser un état dont
il n'est pas ou plus satisfait mais dont il ne peut sortir ropres
forces, Cette demande implique I
pondant de la part du guide; clle constitue le moteur de la relat
entre les deux éléments du couple et le fon jui les lie.
‘Le candidat demande une mn. de uel et une
. Il est done a ee qu'il n'est; il reconnait
par IA qu'il porte on léemime Tes obstacles & cette libération qu'il désire.
Structure confliétuelle et conta. mais még. La force du désir
de libération constitue la si candidat. Elle jouera un réle décisif
dans le déroulement du processus.
(@ Le Guide travaille de telle sorte qu. i¢e & d’anciens objets
devienne disponible pour de nouveaux. Les anciens objets sont vécus
comine asservissants et insatisfaisants, mais conservent d’abord leur
pouvoir. Il est possible d’exprimer la méme idée en parlant de nouveaux
circuits & créer. Les résistances A ce processus viennent de la force des
anciennes liaisons historiquement constituées aussi bien dans la phylo- que
dans Vonto-gentse. La question de Pénergic, de sa mobilisation et de
ses investisscments, cst capitale mais particulitrement difficile. Bien que
fondamentalement une, il est probable que ses formes sont différentes
@un niveau & l'autre. En tout cas, pour en rester sur le plan concret
et véeu, l'énergie résiste & la division conceptuelle esprit-matitre ou
Ame-corps. Le processus agit toujours sur lindividu vivant concret quiDU PevCHOTHERAPEUTE AU MAHTRE ULTIME 273
de ce point de vue est une unité, C'est la vérité de la conception psycho-
somatique ou corticowiscérale vérifiée & tous les niveaux, du freudisme
au sivaisme et qui peut rendre intelligible & la pensée occidentale les
phénoménes de charisme, Quoi qu'il en soit, le «corps» est toujours
intéress¢ par le processus i
TT.
constitue Plges6H0) GEREN processus, ce qui
découle naturellement du probleme a résoudre, puisqu’il s’agit préci-
sément de faire évoluer la Relation du candidat avec ? Autre, a)
en peychothérapi®, ou la , signifient que
la structure relationnelle du candidat doit s‘articuler et se transformer
dans et par sa relation exclusive au Guide qui incarne et
Autre. Notons ici que ce fait & lui seul souligne assez la. différence qui
existe entre Ie processus a tous ses niveaux et un banal « enseignement »
de type scolaire, quel qu’en soit le contenu et l'appareil qui l’entoure.
Ce qui est véeu avec le Guide est déjd du niveau initiatique, quelque
modeste qu’en paraisse Ie contenu et les circonstances.
See. incarnation et cette condensation dans la
personne du Guide, qui servent de moyen au processus, pourraient,
selon une loi trés générale, s'inverser en obstacle, et certes le danger
nest pas illusoire, Aussi, dans le mouvement authentique d’initiation,
le ee la place A l’Autre réel qu’il
a pe . ‘ition peut prendre différentes formes:
et s'effectuer plus ou moins tt, ne représcnter méme qu'une forme de
passage. En tout cas, pour accéder A sa liberté et 4 sa relation perso
avec l’Autre, } idat doit passer par
et se défaire de
peut d’ailleurs lui é
6° Mais avant d’en arriver 1a,
Vinitiation, la
de leur relation. C'est
Guru qui porte son discip!
et le déposer sur Pautre rive... Et il est bien clair que le Guide doit
mériter cette confiance par son détachement et par la réalité de ses
pouvoirs, c'est-A-dire par son amour efficient pour celui qu’il prend en
charge, Mais il est vrai aussi, dans ces conditions, que Fattitude confiante
du candidat n’est pas plus irrationnelle que celle de 'apprenti menuisier
qui fait confiance & son maitre pour lui apprendre le métier. Le Guide
doit savoir faire ses idat user de i
GR Gu
a8274 TERMS
& les surmonter. « Se contenter » signifi qu’il n’a rien A fabriquer chez
Te candidat et que tout ce que celui-ci découvrira se trouve en lui-méme
mais a besoin d’étre éveillé. Cle caractére exclut de la hidrarchie des
guides toute espéce de magicien, Le magicien se définit par ses intentions
plus que par ses techniques, mais une certaine liaison existe entre les
deux. C'est ainsi qu’un thérapeute qui se scrvirait préférenticllement de
V’hypnose entrerait dans cette catégorie. D’autre part, «se contenter »
ne signifie pas que Ia tache soit facile ni qu'il ne faille pas intervenir.
Lrétude de cette question nous entratnerait trop loin; nous verrons dans
un instant un exemple de technique qui se préte & cette discussion, Mais
Ja diffrence de pratique entre le « pOle freudien » ct le « pole sivaite » des
guides évidemment lige aux différences de pouvoirs récls qu’ils possédent
respectivement, II suffit d’énoncer les termes de cette comparaison pour
creuser un abime qui n’appelle plus de commentaires.
Toutes ces analogies qui s'ordonnent autour de Ia question de la
Relation A Autre nous permettent de prendre une vue unificatrice sur
un ensemble de phénoménes dont il ne s’agit pourtant pas, comme nous
Vavons déjA nettement fait pressentir, de confondre les niveaux.
Car le processus dans son ensemble obéit a la loi des mutations et
mouvement en spirale, loi universelle intégrant a la fois la genése
structure telle que I’a exposé R. Abellio*.
Or, ce qui va différencier verticalement les tours de la spire en
engendrant le principe de hiérarchisation des pratiques et des guides
est tout entier défini par le niveau de relation visé entre le Moi et le Non-
Moi, ou encore, du point de vue pratique, par la situation, la demande
et le devenir de I'Ego. Du point de yue de la phénoménologie génétique,
c'est I’étape A laquelle se trouve le Soi dans sa remontée vers la totale
conscience de Lui-Méme, Ces propositions exigeraient certes des déve-
loppements qui n’ont pas leur place ici; elles réclament en tout cas un
minimum d’élucidation terminologique que nousallons donner britvement
L’Ego ici vise le Moi humain ordinaire, normal, ou encore
«naturel», Le Soi est la perception ou la reconnaissance par I’Ego
(ou plus exactement par la conscience humaine égoique) du Moi universel
ct transcendant. Du point de vue gnoséologique ces trois concepts ne
sont pas sur le méme plan. Pour le niveau de conscience ordinaire qui est
Ie noire, seul I’Ego correspond A une réalité vécue et irréfutable, C'est
@aillcurs cet Ego qui nous intéresse au premier chef, car c’est Ini qui est
justement le Héres du processus de transformation & ses débuts et c'est
2 G0 R, Abellio, La Structure absolue, NRF, Bibliothéque des Idées, 1965.U PSYCHOTHERAPEUTE AU MATTRE ULTIME 275
exentiellement lui le «client» du thérapeute. Disons encore quelques
mots & som propos. Il y a toute chance pour que, si mon lecteur prend
a son compte Pénoneé : « L’Ego, c'est moi », il saisisse ce qui est entendu
par Ego}. Gest Pexpérience la plus communément partagée de la
premiére personne, sans références théoriques. Donnée apodictique banale
dont le «Cogito» cartésien n’est qu'un aspect privilégié et qui dé
pointe vers 1m Moi plus central. En deuxitme personne, c’est-A-dire
dang Vinter-subjectivité, j’entre en contact avec les autres egos et je les
pergois directement en tant que tels ainsi que ma relation vécue & eux.
En troisiéme personne enfin, soit du point de vue objectif, le concept
d’ego ici utilisé se rapproche du concept psychanalytique, sans d’ailleurs
Jui correspondre nécessairement dans le détail. Nous l'appelons « naturel »
pour le différencier de Ego « Transcendantal » qui est une voie d’accts
‘au Soi de nature intellectuelle. Il correspond aussi A « personnalité
inféricure » et peut-ire assez précisément & personnalité kdmd-manasique
dans la terminologie hindoue. En effet il est essentiellcment, notre avis,
Désir (kama) ct Mental (manas).
Quoiqu’il en soit, ces quelques précisions étaient nécessaires pour
situer le sens dans lequel nous prenons le mot.
La situation de I'Ego est donc ce qui est en question sur le chemin
de la Vie.
Disons demblée que le processus complet passe par trois phase
indifférentiation, différenciation et de nouveau indifférenciation,
troisitme phase inversant, en T'intensifiant, la premiére inversion
constituait la seconde phase par rapport 4 la premiére.
En effet, & la naissance physique, cet Ego est absent et la consci
indifférenciée n’est pas scindée, mais n’est pas non plus conscience
soi. Au cours des premiéres années de la vie, PEgo s¢ constitue par
processus de différenciation ct didentification en liaison intime avi
présence de «