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Penserhistoire

Pense-bête :
Histoire : a) l’évolution dans le temps des réalités humaines. b) la réflexion
sur le passé des hommes.

Le contenu historique des 3 trois œuvres : a) Corneille n’est pas historien de


Rome, son œuvre est une tragédie et non un ouvrage d’histoire. Son sujet est
moins la capitale romaine que les problèmes moraux et politiques de son temps :
caractère allégorique de l’œuvre. b) Chateaubriand, dans les Mémoires d’Outre-
Tombe, se pose en mémorialiste. Son but n’est pas de décrire ou définir la vérité
historique mais de porter témoignage sur les moments historiques. Autrement
dit, il s’agit de l’historicité existentielle de l’homme : vivre l’histoire. c) Marx est
historien, mais le 18 Brumaire est un essai d’histoire immédiate, engagée et
militante, sur le registre parfois du pamphlet.

Historicité est la conscience du fait que les choses humaines évoluent dans le
temps, que rien n’est pérenne. a) Corneille inscrit le thème de sa pièce dans le
double moment historique de la construction de la grandeur romaine et des
balbutiements de la monarchie absolue. b) Chateaubriand réfléchit sur les
révolutions que prend le cours du fleuve de temps. c) Quant à Marx, sa
philosophie est le matérialisme historique, c’est-à-dire, l’histoire pour lui « est la
science de l’homme par excellence dans la mesure où il n’y a pas de
nature humaine mais un ensemble de rapports sociaux » (6è thèse sur
Feuerbach). Or, l’évolution dialectique, conflictuelle, de ces rapports sociaux est
le moteur de l’histoire : « L’histoire de toutes société jusqu’à nos jours,
c’est l’histoire de la lutte des classes » (Manifeste).

Historicisme est le fait de penser que toute connaissance, toute valeur est
déterminée par le moment historique où elle s’inscrit. Cette perception des
choses, considérée comme pertinente par nombre de philosophes du 19è siècle,
Marx compris, fait aujourd’hui problème. De l’affirmation de la relativité
historique, le risque existe de passer au relativisme des valeurs, au relativisme
morale et idéologique, étape vers le nihilisme et le cynisme.

Leçons de l’histoire. D’un côté, dire que le passé est le recueil des modèles
c’est nier l’historicité des choses humaines. De l’autre côté, les leçons de
l’expérience existe

Histoire et objectivité. La subjectivité de l’historien exige néanmoins le souci


de méthode, de distanciation et d’honnêteté intellectuelle : l’intention
d’objectivité ou volonté d’impartialité.

Histoire et vérité. L’histoire est une recherche selon son étymologie, elle n’a
pas pour l’intention de faire revivre le passé. L’histoire en tant que réflexion sur
le passé est recherche de vérité, au sens où elle refuse la fiction, le mensonge et
la falsification, mais la notion de vérité historique est problématique. A ne pas
confondre la réalité et vérité. Parler de vérité c’est émettre un jugement de
valeur, c’est choisir un angle de vision, c’est toujours interpréter.
Histoire et mémoire. Il faut distinguer le travail de l’historien et la
remémoration individuelle ou collective, fondée sur le sentiment subjectif. Car il
n’y a pas de devoir de mémoire pour l’historien, ce dernier a un devoir
d’impartialité, mais seul peut ressentir un « devoir de mémoire » l’homme ou la
communauté qui se sent moralement comptables d’événements du passé. Deux
cas extrêmes : hypermnésie et amnésie.

Sens de l’histoire. Dire le sens de l’histoire c’est émettre la thèse selon


laquelle l’évolution historique de l’humanité suivrait une direction prédéfinie,
c’est-à-dire nécessaire, qui ne laisse place ni à la contingence ni à un réel
pouvoir d’initiative de l’homme. Ce n’est pas la même chose que de donner un
sens (signification) à l’histoire, ce qui est précisément la tâche de l’historien,
c’est-à-dire la réflexion sur le passé des hommes.

I. La philosophie de l’histoire
La philosophie de l'histoire s'attache à réfléchir sur le sens et sur les finalités du
devenir historique. On peut schématiquement distinguer deux écoles de pensée :
1) l'une qui nie toute idée de finalité en affirmant que l'histoire n’est que fruit du
hasard et de l'imprévu. 2) l'autre qui affirme que l’histoire obéit à un dessein,
dont la réalisation téléologique en caractérise la signification.

Rationalistes > empiristes > Kant > romantiques > Hegel > Marx

Les Anciens voyaient souvent l’histoire comme un éternel retour. Le christianisme


lui donne un sens et des fins, aux deux sens du terme, c’est-à-dire la fin comme
achèvement et la finalité. Les philosophes des Lumières, Kant et Hegel en
particulier, laïcisent cette théologie de l’histoire.

1) Pour les rationalistes (Descartes), la raison de l’homme constitue le


fondement de toute connaissance, alors que les empiristes (Hume) soutiennent
que seuls nos sens nous permettent de connaître le monde.

2) Kant pensait que la perception et la raison jouent toutes les deux un grand
rôle, mais il trouvait que les rationalistes accordaient trop de pouvoir à la raison
et que les empiristes se limitaient trop à leurs expériences sensibles. Il admet,
comme les empiristes, que nos sens soit à l’origine de toute connaissance, mais il
pensait également que notre raison dispose de certaines facultés qui détermine
toutes nos expériences sensibles. Par exemple, quelque soit notre expérience
sensible, elle s’inscrit obligatoirement dans l’espace et le temps. Ce sont les deux
formes « a priori » qui précèdent toute expérience. La conscience de l’homme
n’est pas une feuille blanche où s’inscrivaient de façon passive les impressions
de nos sens, autrement dit, nos perceptions se plient à nos deux « formes a
priori ». Ainsi, la conscience est formée à partir des choses, les choses à leur tour
sont formées à partir de la conscience.

D’autre part, les rationalistes, pour prouver l’existence de Dieu, tentent de


démontrer son existence en disant que nous avons l’idée d’un « être parfait » ;
tandis que d’autres comme Aristote et Thomas d’Aquin voient en Dieu la
première cause de toutes choses. Kant, de son côté, pensait que l’expérience
ne peut nous fournir le moindre fondement pour affirmer que Dieu existe ou non.
C’est dans cet espace laissé vacant par l’expérience que la foi va
s’engouffrer. C’est une sorte de cogito ! Comme Descartes, il commence par
s’exprimer ses doutes sur notre faculté de connaître, puis il réintroduit
subrepticement Dieu ! Mais à la différence de Descartes, pour Kant, ce n’est pas
la raison qui nous amène vers Dieu mais c’est la foi. Pour lui, la foi en l’existence
de Dieu et le libre arbitre de l’homme sont des postulats pratiques. C’est ainsi
que pour Kant, l’expérience ne nous permet pas de sonder le mystère de la
nature. Autrement dit, nous ne connaissons rien de « la chose en soi » (das
Ding an Sich), c’est-à-dire le monde tel qu’il est.

3) Pour les romantiques, la philosophie, les sciences expérimentales et la


littérature faisaient partie d’un grand tout. Que l’on compose des poèmes ou que
l’on étudie la vie des fleurs et la formation des pierres, c’est la même chose, car
la nature n’est pas un mécanisme mort mais un « esprit du monde » vivant.
Car partout dans la nature, nous pouvons deviner un esprit qui ordonne et
structure. Mais les romantiques voyaient aussi cet esprit à l’œuvre dans la
conscience de l’homme. Vu sous cet angle, la nature et la conscience de l’homme
sont simplement deux formes d’expression de la même chose : l’âme du
monde.

4) Tous les systèmes philosophiques avant Hegel avaient tenté de définir les
fondements de la connaissance humaine, mais en se situant chaque fois dans
des conditions intemporelles. Mais pour Hegel, il n’existe pas de raison
intemporelle : on ne pouvait pas faire l’impasse du devenir, car ce qui est à la
base de la connaissance humaine se transforme au fil des générations. La seule
base solide à partir de laquelle le philosophe peut travailler c’est l’Histoire. Mais
l’Histoire est en perpétuel changement, comment pourrait-elle constituer une
base solide ?

La raison est quelque chose de dynamique (l’esclavage n’est plus concevable


actuellement, alors qu’il l’était au Moyen Âge), c’est-à-dire un processus. Et la
vérité est ce processus même ! La connaissance de l’homme est en perpétuel
développement. Ainsi, l’esprit du monde se développe pour atteindre une
conscience de plus en plus grande de lui-même. L’Histoire témoigne que
l’humanité se dirige vers une plus grande connaissance. Malgré tous ses
méandres, le processus historique vers de l’avant : L’Histoire a un seul but,
celui de se dépasser elle-même.

Il suffit d’étudier l’Histoire pour se rendre compte qu’une pensée vient souvent se
greffer sur d’autres pensées plus anciennes. Mais, à peine posée, cette pensée va
être contrée par une nouvelle pensée, créant ainsi une tension entre deux
modes de pensée. Et cette contradiction sera levée grâce à une troisième pensée
qui conservera le meilleur des deux points de vue. C’est ce que Hegel appelle un
processus dialectique. Autrement dit, il y a une tension entre deux manières
de voir diamétralement opposées. Et cette tension fut conservée, niée,
dépassée (subsumée). Ainsi, Hegel a qualifié les trois stades de la
connaissance de thèse, antithèse et synthèse. Par exemple, la thèse
rationaliste de Descartes fut contredite par l’antithèse empirique de Hume. Et
cette tension entre ces deux différentes modes de pensée, fut niée et en même
temps conservée dans la synthèse de Kant.

Un autre exemple. Si je réfléchis au concept « être », je suis contraint d’introduire


le concept contraire, à savoir « ne pas être ». La tension entre « être » et
« ne pas être » sera résolue dans le concept de « devenir ». Car pour
quelque chose devienne, il faut que cette chose à la fois soit et ne soit pas. La
raison de Hegel est donc une raison dynamique. D’autre part, nous savons
que les romantiques étaient des individualistes … Eh bien ! cet individualisme
rencontra son antithèse dans la philosophie de Hegel. Ce dernier souligna
l’importance des forces objectives de la famille et de l’Etat. Bien sûr Hegel ne
perdait pas de vue l’individu pris isolément, mais il l’incluait en tant que partie
organique d’une communauté. La raison ou l’Esprit du monde ne se
révèlent que dans les rapports des hommes entre eux.

Pas plus qu’on ne peut concevoir un Etat sans citoyens, on ne peut concevoir de
citoyens sans Etat. Et selon Hegel, l’Etat est encore plus que l’ensemble des
citoyens à cause de cet Esprit du monde. Tout d’abord, l’Esprit du monde prend
conscience de lui-même dans l’individu. C’est ce que Hegel appelle la raison
subjective. Un degré supérieur est celui de la famille et de l’Etat, ce que Hegel
appelle la raison objective parce que c’est une raison qui se révèle au contact
des hommes entre eux. Le dernier degré est la forme la plus haute de la raison.
L’Esprit du monde l’atteint dans la Conscience absolue.

5) La vision de la dialectique de Marx s'oppose à la dialectique hégélienne, qu'il


"remet sur ses pieds" en prenant en compte le rôle de l'histoire, et en ajoutant
une dimension matérialiste. Marx considérait que les conditions matérielles
d'existence des êtres humains (notamment leur place dans les rapports de
production) sont ce qui détermine leur conscience plutôt que l'inverse.

La dialectique de l'histoire résulte des contradictions entre les classes sociales,


de la lutte entre leurs intérêts divergents, ainsi qu'entre le développement des
forces productives et les rapports sociaux issus de leur état antérieur.

II. Penser l’histoire : pourquoi ?


Prendre conscience > comprendre > commémorer > devoir de mémoire
> pour quoi ? > s’engager > juger

Histoire et événement. L’histoire s’impose à tous : elle change la destinée de


chacun en changeant le destin collectif. Ainsi, on ne pense d’abord comme
historiques que les catastrophes naturelles ou humaines, à l’exemple des
guerres. La règle de l’unité de temps de 24 heures dans la tragédie classique fait
ainsi prendre conscience au spectateur que l’histoire peut tout changer en un
jour « si funeste ». Mais penser l’histoire, ce n’est pas prendre conscience de
n’importe quel événement. Un événement ne se suffit pas à lui-même pour être
historique. Il faut qu’il sorte la communauté entière d’une certaine routine. La
Révolution constitue la quintessence de l’événement historique précisément
parce qu’elle introduit un changement soudain et irrévocable dans la société
française. Toutefois, ce n’est pas forcément l’événement lui-même qu’il faut
penser pour penser l’histoire. Le coup d’Etat du 2 Décembre 1951 n’est que la
conclusion prévisible des élections présidentielles du 10 Décembre 1848. Dès
lors, l’historicité ne s’impose pas de la même façon dans les trois œuvres. La
victoire des Romains sur les Albains marque le début de l’empire de Rome. La
Révolution française fait qu’un « ancien monde finit et que le nouveau
commence ». Mais le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte accomplit une
répétition et non pas un surgissement singulier.

Circularité de l’histoire. Corneille fonde l’histoire de Rome sur une fidélité


intransigeante du Romaine à son honneur. Mais l’honneur n’autorise ainsi qu’une
temporalité circulaire, qui n’est pas véritablement historique, car l’honneur
enferme dans une logique de la vendetta, de l’honneur Sali qu’il faut laver dans
le sang. C’est également par un temps cyclique que Chateaubriand caractérise le
temps de l’Ancien Régime : « Vous ne reviendrez plus, jour de religion et de
tendresse, où le fils mourait dans la même maison, dans le même fauteuil, près
du même foyer où étaient morts son père et son aïeul ». Or, il ne saurait y avoir
de pure répétition. D’une certaine manière Le 18 Brumaire est tout entier
consacré à cette question de la répétition impossible de l’histoire. En effet, si
« tous les grands événements et personnages historiques surviennent pour ainsi
dire deux fois », Marx précise que c’est la première fois comme une tragédie et la
seconde comme une farce. Quant à Corneille, le cinquième acte a rompu
finalement avec cette circularité en introduisant l’intérêt de l’Etat à « conserver à
Rome un si bon défenseur ». L’intérêt est aussi la clé pour comprendre
l’histoire selon Marx, car l’histoire de toute société est l’histoire de « luttes de
classes ».

Commémorer et répéter. Le présent se comprend ainsi par rapport au passé.


Pour faire l’histoire de présent, il convient de ne pas ignorer les déterminations
issues du passé : « Les hommes font leur propre histoire, mais les ne la font pas
de plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent
au contraire toutes faites, données, héritage au passé ». Dès lors, comprendre le
passé implique de rendre hommage à ses acteurs qui se sont dévoués pour que
le présent soit possible. Marx a rendu hommage au prolétariat parisien qui s’est
soulevé durant les journées de Juin 1848 : « Du moins succombe-t-il avec les
honneurs du grand combat historique ». De même pour Corneille : « Sera-ce
entre ces murs que mille et mille voix / Font résonner encor du bruit de ses
exploits ». Mais commémorer le passé n’a de sens que pour mieux agir dans le
présent et non s’assujettir au passé an se contentant de le répéter à l’identique.
Le parti de l’ordre, face à l’insurrection révolutionnaire de Juin 1848 a fait passer
comme « mot d’ordre dans leur armée les mots fétiches de l’ancienne société :
propriété, famille, religion, ordre ». Chateaubriand lui aussi accuse le
donquichotisme des membres de l’armée des princes.

Histoire et l’individu. Avant que de se sentir engagé dans l’histoire pour des
raisons politiques comme Marx, l’individu se pense comme un être historique
parce que l’histoire fait irruption dans sa vie et ne lui en laisse pas le choix. Tel
est le cas de figures féminines dans Horace. Elles ne peuvent que voir leur
identité niée à l’issue du combat à mort. L’amnésie signifierait la négation de
l’identité du sujet comme souligne Chateaubriand : « sans la mémoire, que
serions-nous ? ». Mais exister grâce aux souvenirs n’équivaut pas à exister dans
ses souvenirs. Il s’agit de dépasser les ressentiments incarné par Camille
envers Rome. Chateaubriand évoque un devoir de mémoire : « et pourtant,
France du XIXè siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait ».
Marx est capable de rendre hommage au rôle historique joué par les « héros de
l’Ancienne Révolution française » qu’il qualifie bourgeoise. Mais n’y a-t-il pas de
balancement entre ressentiment de vaincu et gratitude envers les vainqueurs
de l’histoire ?

Penser l’histoire à venir. La question est de savoir si le pourquoi entraîne un


pour quoi, autrement dit, quelle finalité poser au fait de se penser comme un
être historique ? Corneille nous rappelle la règle antique qui consiste à s’en
remettre aux oracles. Marx prétend anticiper l’avenir qu’au moyen de lois
rationnelles de l’histoire. Les prédictions de Chateaubriand ne doivent rien à un
quelconque don de divination mais à une forme de lucidité sur le sens de
l’histoire : « les semences des idées nouvelles ont levé partout ; ce serait en vain
qu’on les voudrait détruire ».

S’engager dans l’histoire. Penser l’histoire implique aussi de démystifier toute


histoire héroïque en y traquant gloire personnelle et égoïsme de classe ? Quels
sont les vrais héros ? N’accorder aucune valeur à la vie, comme le fait Horace,
mettrait en crise l’engagement du héros dans l’histoire, mais accorder une valeur
insurpassable la vie interdirait de faire progresser l’histoire. Comment juger ?
Quelle hiérarchie des valeurs propose l’histoire ?

Juger l’histoire. On pense l’histoire pour la juger et pour agir selon certaines
valeurs. Ainsi l’histoire est en procès dans ces trois œuvres. Dans le cinquième
acte, Corneille a pris la nécessité ultime de juger. Chateaubriand condamne
l’exécution par les révolutionnaires de quatorze jeunes filles de Verdun supposées
avoir accueilli en libérateurs les soldats prussiens : « un des meurtres les plus
atroces de la Terreur ». Avec quel tribunal ? Sabine invoque le jugement divin :
« Et je m’imaginais dans la divinité / Beaucoup moins d’injustice et bien plus de
bonté ». Chateaubriand invoque aussi le tribunal de Dieu pour juger ses affaires
privées. Marx ne peut supporter qu’on fasse de la religion un moyen de
gouvernement et bloque ainsi la lutte des classes.

Mais à l’inverse, n’est-il pas présomptueux de prétendre juger à distance une


situation dont le détail singulier nous échappe forcément ? Comme si penser
l’histoire c’est une acceptation indifférente de tout le passé ?

III. Penser l’histoire : comment ?


Voir > savoir > impartialité > immanente ou transcendantal >

Le témoin oculaire. Pour Chateaubriand, l’histoire est d’abord l’histoire de celui


qui la vit comme acteur et témoin oculaire. Il a fait éloge des paysans vendéens
qui avaient pris part aux plus grandes batailles de l’histoire contre-
révolutionnaire. L’histoire est donc spectaculaire, c'est-à-dire selon l’étymologie,
quelque chose que l’on voit : « mille, de nos remparts, comme moi l’ont pu voir »
affirme Julie à propos du combat des Horaces et des Curiaces. Marx semble
permettre le glissement du voir au savoir : il faut voir pour savoir. Car le point de
vue limitée du témoin oculaire peut induire en erreur, car les acteurs de l’histoire
peuvent être aveuglés par leur idéologie, à l’exemple des révolutionnaires
bourgeois, victimes « des illusions dont ils avaient besoin pour se dissimuler à
eux-mêmes le contenu étroitement bourgeois de leurs luttes ». La théorie
pourrait démystifier une vision immédiate de l’histoire.

Intelligibilité de l’histoire. Si être témoin oculaire ne saurait être une


condition suffisante, est-ce du moins une condition nécessaire ? Par les rois et les
grands, l’histoire se fait histoire officielle en quelque sorte la mémoire officielle
est définie par l’Etat. Mais avec l’essor de l’esprit critique, l’histoire officielle est
plus aisément remise en cause. Bien penser l’histoire, c’est la penser de façon
critique. Comme Marx, Chateaubriand reconnaît que toute pensée de l’histoire
est un point de vue engagée contre une histoire officielle

Mais est-ce le point de vue du contemporain des faits ou celui de la postérité ?


Pour sa part, Marx privilégie moins le témoin pertinent que le contemporain
pertinent. Pour Marx, la pensée de l’histoire doit être immédiatement une action
dans l’histoire qui encourage le prolétariat à prendre son destin en main. Penser
l’histoire, c’est toujours repenser l’histoire après coup, après d’eux, c'est-à-dire
avec eux et contre eux.

Méthodes. Penser l’histoire avec des documents et de monuments. Etablir la


psychologie des acteurs. Corneille et Chateaubriand sont tentés d’avoir recours à
une psychologie des nations : « il y a dans la nature des Français quelque chose
de supérieur et de délicat que les autres nations » (Chateaubriand). Pour sa part,
Corneille explore la logique du « cœur généreux » censé caractériser le soldat
romain.

Le sens de l’histoire. Pour Marx, les nécessités économiques, la lutte des


classes sont la fatalité immanente de la tragédie humaine. L’histoire s’explique
par des causes de long terme, immanentes à l’ordre humain : « jamais
événement n’a projeté devant lui son ombre aussi longtemps à l’avance »

Penser l’histoire : échapper le présent. A l’histoire des vainqueurs,


Chateaubriand répond en tout cas, lui qui veut témoigner pour les victimes de
l’histoire. Dans les Mémoires, penser l’histoire signifie témoigner par son propre
exemple qu’on peut échapper à l’Histoire, en substituant à la légende dorée des
révolutionnaires une légende diabolique, en démystifiant toutes les histoires
officielles et partisanes, en plaidant pour l’humanité de toute personne, et enfin,
en se soustrayant à l’histoire par le biais d’histoires.

IV. Penser l’histoire avec Horace


A. Le texte
Acte I : Rome et Albe au jour décisif
La bataille suprême est imminente entre les deux cités rivales que sont devenues
Albe et Rome. « Faiblesse » et « douleur » caractérisent dès les premiers vers le
sort des deux femmes : Sabine et Camille. Elles sont les spectatrices
impuissantes et désolées du drame à venir, et les pleurs de ces deux femmes
seront tout le long de la tragédie l’expression et l’origine de violentes tensions
entre hommes et femmes.

Scène 1 : Plus que Tite-Live, Corneille crée le personnage de Sabine, sœur de


Curiace et épouse de Horace. En elle s’accomplissent l’alliance puis la rupture
entre deux familles. Sabine vit déchirée entre son admiration pour Horace et
Rome et son attachement à Albe, sa patrie. « Mes larmes aux vaincus et ma
haine aux vainqueurs ». L’Histoire, sans gloire aucune pour Sabine, est avant tout
un jour funeste

Scène 2 : Face à Sabine plaintive c’est le personnage de Camille qui vit dans ses
passions. On apprend à quel point Camille aime Curiace, malgré les avances du
Romain Valère. Inquiète, elle hésite à croire à une interprétation heureuse d’un
oracle qui lui a été rendu et qui lui prédit une paix prochaine entre Albe et Rome,
et son éternelle union avec Curiace.

Scène 3 : La tension initiale s’apaise avec l’arrivée de Curiace, qui fait renaître
l’espoir d’une paix à bon compte : le combat généralisé a été évité au profit d’un
combat entre deux groupes de champions.

Acte II : Horace et Curiace face à leur destin

Scène 1 : Horace et Curiace entre en scène et nous apprenons qu’Horace et ses


frères ont été choisies pour défendre Rome. A partir de cet instant, Horace se
confond avec Rome et l’Etat : il est prêt à mourir inconditionnellement pour sa
patrie.

Scène 2&3 : L’action se noue lorsque Flavian apprend à Curiace que le choix
d’Albe est ses trois frères. Si les deux guerriers acceptent sans discuter de servir
leur pays, l’horreur de ce combat est pleinement reconnue par Curiace qui
affirme par là son humanité : « Je rends grâce aux Dieux de n’être pas Romain.
Pour conserver encor quelque chose d’humain ». Alors que Horace réclame une
intransigeante vertu : « j’accepte aveuglément cette gloire avec joie ». La ligne
de séparation s’accuse entre ceux qui s’oublient dans le service de l’Etat en
étouffant leurs sentiments et ceux qui, tout en assumant leur devoir, se désolent
de l’énormité du sacrifice qu’on exige d’eux.

Scène 4&5 : Camille tente vainement de détourner Curiace d’un combat qui le
verra mourir ou le fera meurtrier de ses frères.

Scène 6 : Sabine s’interpose entre Horace et Curiace et les supplie de trancher,


en la tuant, le seul lien qui les unit pour trouver ainsi un mobile personnel à leur
duel. La contradiction qu’elle voit entre ses devoirs de sœur et de femme est
pour elle indépassable, invivable.

Scène 7&8 : L’arrivée du vieil Horace met un terme à cet attendrissement : les
pleurs des femmes sont dangereux pour ceux qui doivent verser du sang.
Acte III : Le combat des Horaces et des Curiaces

Scène 1 : Long monologue de Sabine qui prévoit toutes les souffrances à venir.

Scène 2&3&4 : Corneille multiplie les effets dramatiques en refusant de raconter


l’histoire d’une façon continue. Il transforme le récit en une suite de nouvelles
discontinues et contradictoires qui assurent le suspense. C’est d’abord Julie qui
annonce que « les deux camps se mutinent », révoltés par ce combat inhumain
entre frères. Cela fait renaître l’espoir dans le cœur de Sabine, pas dans celui de
Camille. Les deux jeunes femmes se disputaient pour savoir laquelle était le plus
à plaindre.

Scène 5 : Le vieil Horace apporte de « fâcheuses nouvelles » aux deux jeunes


femmes

Scène 6 : Julie revient pour annoncer la mort de deux des Horaces et la fuite du
troisième. Le sort de Rome paraît joué. Le vieil Horace maudit son fils et annonce
qu’il lavera par le sang de celui-ci l’honneur des Romains.

Acte IV : Le retour du héros et son dernier combat

Scène 1 : L’action reprend sur cette colère intransigeante du père que ne


parvient pas à calmer Camille.

Scène 2 : Le quiproquo entre Valère, amant de Camille, qui connaît l’issue de la


bataille et le vieil Horace. Ce quiproquo va cesser avec le récit de la fin de
bataille qui consacre la gloire d’Horace. Sa fuite n’était qu’une ruse destinée à
isoler les Curiaces pour mieux les tuer.

Scène 3&4 : Camille s’exhorte à la désobéissance, faisant valoir contre l’ordre


romain et patriotique qui lui est imposé les droits d’amour.

Scène 5 : Le langage de Camille prend des accents héroïques. Avec fureur et


audace, elle multiplie les provocations jusqu’à maudire Rome et souhaiter son
anéantissement. Horace tire son épée contre Camille qui s’enfuit avant d’être
mise à mort.

Scène 6&7 : Pour Horace, cette exécution est à la fois un acte de raison et un
acte de justice. Sabine les rejoint et provoque Horace à son tour. Elle lui demande
la mort comme une grâce car elle abrégerait ses douleurs, ou comme un
supplice, car elle serait le châtiment de sa lâcheté. Horace s’enfuit car il craignait
pour sa vertu : l’attendrissement ne saurait trouver accès dans une âme romaine.

Acte V : le procès d’Horace

Scène 1 : Le vieil Horace n’a aucun regret de la mort de Camille. Il déclare qu’elle
était criminelle et se plaint d’avoir mis au jour un cœur si peu romain.

Scène 2 : La mort de Camille a transformé en un moment le statut d’Horace.


Mais quand le Roi entre en scène et son déplacement dans une maison privée est
destiné à honorer une glorieuse famille. Mais le triomphe tourne au procès. C’est
Valère qui réclame justice contre Horace au nom du peuple romain. La gloire
héroïque ne devient-elle pas dangereuse dès lors qu’elle ne respecte plus les
lois ? « Faisant triompher Rome, il se l’est servie. Il a sur nous un droit et de mort
et de vie ». Horace est prêt à mourir pour effacer la tache en la maison d’Horace
qu’est le meurtre de Camille, et pour conserver une gloire acquise au combat.

Scène 3 : Sabine vient réclamer sa propre mort : son sang apaiserait la colère des
dieux et Horace pourrait ainsi demeurer le défenseur de Rome et elle serait
délivrer de ses crimes de l’amer et de ne pas l’aimer. Le vieil Horace défend son
fils en appelant au roi : Horace doit demeurer l’appui de rome et du roi. Tulle
prend le dernier parole pour appeler à la réconciliation. Horace devra vivre pour
servir l’Etat.

Une cérémonie purificatoire effacera la souillure de fratricide commis par Horace.


Les derniers mots du roi sont pour les deux amants, Camille et Curiace, réunis
certes comme l’avait prédit l’oracle, mais dans la mort.

B. Contexte historique et littéraire :


A) La tragédie faisait écho au conflit qui opposait la France et l’Espagne, conflit
ressenti comme fratricide. Il opposait le roi très catholique au roi très chrétien
pour la plus grande satisfaction des Réformés. Cette situation avait conduit une
partie de l’opinion française à prendre parti pour l’Espagne. Anne d’Autriche,
l’épouse du roi de France Louis XIII, était fille du roi d’Espagne et se trouvait dans
la situation de Sabine.

Les années du ministère de Richelieu sont des années difficiles sur le plan des
relations internationales (guerre de Trente Ans) et l’époque de Louis XIII se
passionne pour la question des équilibres à trouver entre des Etats ambitieux. On
s’interroge sur le rôle de la France dans l’Europe : rêve de paix universelle, utopie
impériale. En même temps l’impérialisme espagnol est dénoncé et l’Espagne est
accusée de mettre en pratique les préceptes de Machiavel et d’instrumentaliser
la religion. La raison d’Etat tend à l’emporter sur toute autre considération :
Richelieu n’hésite pas à faire alliance avec des protestants pour l’intérêt de l’Etat.

En France, Machiavel est stigmatisé officiellement, mais mis en pratique à travers


un réalisme politique où se séparent politique et morale. Dans le « discours sur la
première décade de Tite-Live », certains des arguments de Machiavel se trouvent
dans le réquisitoire de Valère au moment du procès. Le dénouement cornélien va
contre la leçon politique que Machiavel tire de ce mauvais jugement royal.

B) On note qu’il existe deux grandes familles d’interprétation de « Horace ». La


première met l’accent sur l’humanité que professent Curiace et les deux
héroïnes, on l’appelle ainsi l’interprétation « albaine ». La seconde fait du
problème moral une question politique et mobilisera le contexte philosophique ou
l’histoire des idées (quel est l’héroïsme dont l’Etat a besoin), on l’appelle cette
seconde interprétation « romaine ».

C. Penser l’histoire dans Horace de Pierre Corneille


1° Penser l’histoire est de réécrire l’histoire et de représenter l’histoire
sur scène
L’étude d’une tragédie à sujet historique comme Horace nous amène à repenser
notre propre relation avec l’histoire et nos attentes par rapport à sa transmission.
La tradition historiographique ancienne et l’enseignement de l’histoire ont
longtemps fait valoir la chronologie, les noms et actions des princes, les guerres.
Mais l’écriture de l’histoire n’est pas neutre et on a pu voir qu’elle pouvait se
dramatiser et se mettre en scène.

Lorsque le politique pèse sur le travail de mémoire, il opère sa sélection entre ce


qui doit être tu et ce qui doit être conservé. Réinventer l’histoire par la fiction
serait une manière de déjouer la mémoire officielle, sélective et partisane, pour
explorer le passé

2° Penser l’Histoire comme source de drames humains

L’Histoire, avant d’être une succession d’événements, est d’abord une affaire
d’hommes. Corneille, dans Horace, ne nous donne pas le récit de la guerre entre
Albe et Rome, mais le récit d’un duel fratricide. Il éclaire les enjeux familiaux du
conflit entre Rome et Albe. Cette tragédie explore en profondeur les âmes de
héros qui, en se voyant tout proches de leur bonheur, doivent affronter des
épreuves décisives et des situations particulièrement douloureuses.

Le héros qui sauve sa patrie est aussi un criminel, mais le roi a jugé en la faveur
de Horace, et l’intérêt supérieur de la patrie commande que les querelles
supérieures soient oubliées : « Ta vertu met ta gloire au dessus de ton crime ».
Car il s’agit bien de servir l’Etat, comme le dit Hegel à propos de la Rome
antique : « les individus libres doivent renoncer à eux-mêmes pour se mettre au
service de cette universalité abstraite (Etat) ».

L’action historique des héros (ou des grands hommes) se situe au-dessus de la
vie commune. Ainsi, le héros est en dehors du cours ordinaire des choses : son
destin est exceptionnel car il réalise le but universel : « De pareils serviteurs sont
les forces des rois, et de pareils aussi sont au-dessus des lois ». Corneille défend
des valeurs universelles et éternelles : le devoir et la raison d’Etat doivent
l’emporter sur le sentiment. L’Histoire devient l’exemple, mythe. Le présent
doit être conforme à l’idéal éthique du passé.

Les tragédies de Corneille utilisent souvent l’opposition entre « honneur » et


« bonheur ». Ils célèbrent ainsi le triomphe de l’honneur : « Iras-tu, Curiace, et ce
funeste honneur, te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ».

3°) Penser l’Histoire, c’est faire entendre la plainte des victimes à


travers le cri de la conscience tragique : le passage de la vérité
théorique à la vérité éthique.

« Je haïs, pour ma part, ces grands systèmes absolus, qui font dépendre tous les
événements de l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux
autres par une chaîne fatale, et qui suppriment, pour ainsi dire, les hommes de
l’histoire du genre humain » (Alexis de Tocqueville, Souvenirs)

Face à des grandes théories de développement de l’histoire comme Hegel et sa


Raison universelle, par rapport à laquelle « tout le reste est subordonné et lui
sert d’instrument et de moyen » (la raison dans l’histoire), il y a toujours la
souffrance et la mort des hommes. La pensée de l’histoire témoigne trop souvent
d’un penchant morbide à en reproduire sur un plant théorique l’implacable
nécessité, tout en oubliant l’homme. Et c’est Camille qui s’est révolté contre ce
système absolu qui est l’Etat : « Mille songe affreux, mille images sanglantes, ou
plutôt mille amas de carnage et d’horreur »

Le danger d’une pensée trop vite oublieuse des hommes est bien le danger d’une
banalisation de la violence politique. Si la pensée de l’histoire est une pensée
tragique, alors la pièce de Corneille ne peut qu’ouvrir en chacun le pathos de
l’histoire, cette sensibilité au tragique de l’existence qui est tout aussi bien
l’épreuve de la contingence.

4° Penser l’histoire à travers les personnages féminins et la question de


la violence dans Horace de Corneille

a- Les dilemmes féminins dans Horace.

Les personnages féminins dans Horace expriment intériorisent le tragique jusqu'à


l'explosive et ultime fureur de Camille contre Rome, considérée comme
responsable de son terrible destin. En réalité, c'est Sabine qui, confiant ses
tourments à Julie, donne le la de la pièce : « Approuvez ma faiblesse, et souffrez
ma douleur ». Sabine, écartelée entre l’amour de sa famille et l’amour de son
époux, est certaine que l’issue du combat, quelque soit le vainqueur, ne peut que
l’affliger. L’expression de la douleur chez Sabine précède la violence, parce
qu’elle sait que son sort est scellé dès la levée de rideau. Son destin est pris dans
les rets des moments originaires d’une histoire romaine frappée par le sceau de
la violence. Ces pensées tourmentées émanent d’un dilemme attisé par un
amour égale qu’elle éprouve pour Horace d’un côté, et l’amour d’Albe (sa patrie
d’origine) et de ses frères les Curiaces de l’autre.

A noter que Sabine n’a de cesse, face à son dilemme, de vouloir surpasser sa
condition de femme, qu'elle n'ait atteint à une grande résolution : « Si l'on fait
moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme. Commander à ses pleurs en
cette extrémité, C'est montrer pour le sexe assez de fermeté ». Curiace lui-même
est sensible à ce même dilemme : « J'aime encore mon honneur en adorant
Camille ». La similitude entre ces deux personnages annule les bornes et toute
hiérarchie entre monde masculin et féminin dans la pièce de Corneille.

b- le meurtre de Camille

Lorsque l’oracle annonce à Camille qu’elle sera « unie au Curiace », il lui prédit à
mots couverts que l’histoire est fixée par les dieux et que l’homme ne peut rien y
changer. Les dés sont jetés d’emblée, malgré les efforts déployés par l’homme
pour penser l’histoire ou l’infléchir à son gré. L'ironie tragique que subit Camille
émane de n'avoir su, ni interpréter les prédictions de l'oracle ni ses "songes"
prémonitoires qui lui révélaient l'issue sanglante du combat. La fatalité dans ce
sens est un signe qui pour être déchiffré, n'en reste pas moins ambivalent et qui
n'acquiert son sens plein, que par les coups de théâtre qu'elle produit. En tant
qu’individu, Camille est la proie d’une fatalité historique et collective. De ce fait,
elle est sujette à un dilemme dont l'issue est tragique. C’est la liberté individuelle
et la passion amoureuse en elle qui se rebelle désespérément, contre le fait
accompli historique.

L'absolution sera accordée à Horace parce que sa violence est constitutive de


l’Etat. En vertu de son courage et de l'identification de sa cause avec la fondation
de Rome, le coupable sera innocenté. Corneille peut sembler suivre à la lettre
l'histoire romaine, car elle coïncide avec les voeux de Richelieu dont le but est
d'ériger l'intérêt de l'Etat en valeur suprême.

V. Penser l’histoire avec Chateaubriand


A. Contexte biographique
1768 : naissance à Saint Malo de François René de Chateaubriand. A vingt ans, il
embrasse la carrière militaire. Puis il part découvrir le Nouveau Monde à l’âge de
23 ans.

1792 : De retour d’Amérique, il s’engage dans l’armée des émigrés pour se


battre contre la France révolutionnaire aux côtés des Autrichiens et des
Prussiens. Blessé au siège de Thionville, Chateaubriand rejoint difficilement son
oncle maternel réfugié à Jersey.

1793-1800 : Exil en Angleterre. Ses sœurs, sa femme et sa mère sont arrêtées.


Son frère aîné Jean Baptiste, qui a aussi combattu dans l’armée des émigrés, est
guillotiné.

1797 : Il publie « Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes
et modernes considérées dans leurs rapports avec la Révolution française ».
Comme son titre l’indique, penser le passé sert à mieux comprendre le présent
par un jeu de comparaisons. L’auteur y fait preuve de relativisme politique. Il
présente la Révolution comme inévitable du fait que le régime monarchique s’est
corrompu au fil des temps.

1802 : Le retour de Chateaubriand à la religion est marqué par la publication du


Génie du Christianisme. Il s’oppose rapidement à ce qu’il nomme le
« despotisme » de Napoléon.

1803 : Il conçoit le projet des Mémoires. Il aurait commencé à les écrire en 1811
et il date la première rédaction des 4 livres au programme (9-12) en 1822.

Ainsi, il a vécu et observé attentivement la fin du siècle des Lumières et la


Révolution, de même que la naissance du nouvel ordre social qui est issu de
l’Empire. Dans cette époque de brutales et profondes mutations, il a été un
acteur, une victime et un témoin.

B. Le texte
C’est le récit de la confrontation d’un individu à l’Histoire, dans un balancement
entre participation et exclusion. Il s’agit aussi d’une peinture originale de ces
années, fondatrices de la France moderne.

Livre 9 : Chateaubriand héros défait par l’histoire.

Rentrant d’Amérique, Chateaubriand a besoin de l’argent pour rejoindre l’armée


des princes : « ce concours de circonstances décida de l’acte le plus grave de sa
vie », son mariage avec Céleste Buisson de Lavigne.

Le mémorialiste sélectionne en une « vue rétrospective » quelques événements,


décisions et acteurs, afin d’expliquer la radicalisation progressive de la Révolution
entre 1789 et 1972. Il s’attarde sur le théâtre diabolique du club des Cordeliers,
décrit comme un pandémonium (enfers, lieu corrompu)

Chateaubriand se résout à l’exil par l’impulsion propre à la jeunesse et le « point


d’honneur », et parce que, succombant à l’atmosphère déliquescente de la
Révolution, il perd au jeu presque tout son bien.

Alors que l’histoire de l’héroïsme aristocratique s’achève devant Thionville,


Chateaubriand émigre avec son frère aîné. La traversée de Tournay est
l’occasion d’une rêverie qui régresse de l’histoire vers la légende. A
Bruxelles, Chateaubriand croise la « haute émigration » qui ne va pas se battre.

La campagne dans l’armée des princes est d’abord l’occasion de penser la fin de
la noblesse comme ne « remontée à son origine », c’est-à-dire sa fonction
guerrière, mais avec l’anachronisme du donquichotisme. Le mémorialiste décrit
la vie amusante au camp, où l’on peut compenser l’histoire en se « payant de
beaux contes ». Cette description alterne avec le récit du siège infructueux de
Thionville.

Livre 10 : Chateaubriand l’exilé

Blessé, Chateaubriand est sur le point de mourir sur le chemin le mène chez son
oncle, réfugié à Jersey. Cette île est perçue comme un lieu de mémoire de la
monarchie.

Parvenu à Londres, Chateaubriand, désargenté et condamné par les médecins,


fréquente le milieu des exilés londoniens. Ce contexte difficile expliquerait son
« amertume des réflexions répandues dans l’Essai ». L’histoire dépendrait ainsi
des états d’âme de l’historien. Puis Chateaubriand esquisse une réflexion
historiographique comment écrire l’histoire d’individus en exil… Et il raconte son
premier amour pour Charlotte Ives, la fille de ses hôtes.

Livre 11 : exil et littérature

L’épisode amoureux aboutit à un autoportrait paradoxal et à un pacte de lecture


de Mémoires. La publication de l’Essai sur les révolutions met en vogue
Chateaubriand qui croise diverses figures de l’émigration. Il fait le portrait de
quelques hommes de lettres. Il explique ensuite son retour à la religion à
l’occasion de la mort de sa mère. Chateaubriand évoque la bascule d’une
conception généalogique vers une conception individuelle de l’histoire du fait de
la Révolution.

Livre 12 : le lien entre histoire et littérature

Chateaubriand brosse un panorama rapide de la pensée anglaise au moment de


son exil. Shakespeare illustre sa réflexion sur les « génies-mères » qui influent sur
l’histoire de leur nation. Le mémorialiste dénonce ensuite le genre du roman
historique et médite sur l’ancrage du style dans un lieu et dans un temps

Le mémorialiste livre quelques remarques sur la géographie, la politique et


l’économie d’une Angleterre révolue. Il décrit enfin avec nostalgie les mœurs
politiques en Grande Bretagne d’une aristocratie éclairée désormais disparue.

Avec le retour clandestin de Chateaubriand en France en 1800, le chapitre final


entend marquer la fin de la vie d’homme privé pour annoncer la « carrière de
l’écrivain » renommé.

C. Penser l’histoire avec Mémoires


L’histoire, loin d’être pensée, relève d’une songerie

Les livres 9 à 12 est, plus qu’une pensée sur l’histoire, une rêverie sombre où les
événements ont moins d’importance que les sentiments qu’ils suscitent. La
tragédie collective cauchemardesque à laquelle Chateaubriand assiste en
spectateur impuissant, est répercutée dans le drame de sa vie individuelle.

La tragédie collective. La chute de l’Ancien Monde à l’arrivée de la Révolution


qui, pour Chateaubriand ne s’envisage que comme une suite de pertes, est loin
d’être le signe de l’émancipation, elle instaure la servitude. Mais la mort
n’épargne pas les révolutionnaires … Pour le mémorialiste ce n’est qu’un rêve
funèbre de l’histoire qui n’a plus de sens.

La tragédie individuellede Chateaubriand répond en contrepoint à la tragédie


collective. Et puis, comme dans un rêve, la perception de la réalité s’atténue,
l’espace devient plus flottant. La forêt des Ardennes fait surgir des apparitions
« dans un lointain indéterminé et mêlé à des images inconnues ». Et la dérision
qui frappe sur la grande Histoire se répercute sur le destin individuel. Et enfin,
l’Histoire se vit donc comme le triomphe de la mort envahissante

L’Histoire est ce par quoi le moi du songeur se pense et se construit

Le chaos de l’Histoire permet, par contraste, de saisir les invariants constitutifs


d’une personnalité. Il revendique une cohérence : la fidélité à son moi et à son
roi. De même, la rupture avec Charlotte Ives lui a permis de préserver sa
candeur. Et finalement, la fixité d’une morale qui transcende toutes les
contradictions de ses choix politiques. Ainsi, l’indépendance du moi s’est érigée
sur un arrière-plan chaotique de l’histoire. Mais le moi de Chateaubriand acquiert
aussi sa densité à travers l’épaisseur de l’Histoire…
Et enfin, le monde de la littérature est, dans les livres de 9 à 12, à la fois antidote
et remède. Il est sans cesse appelé pour échapper à l’inconsistance du temps
historique. Et l’écriture s’affirme comme la réparation des deuils provoqués par
l’Histoire. Après s’être frayé un chemin à travers les destins obscurs de l’Histoire,
le chevalier a découvert la voie de son propre destin, qui l’amènera à être
François de Chateaubriand, écrivain.

Penser l’histoire c’est faire entendre la plainte des victimes

Le sentiment aigu de l’extrême précarité de l’existence humaine se confond chez


Chateaubriand avec la souffrance mélancolique que suscite le spectacle
permanent de la mort dans l’Histoire. Personne n’y échappe : les bourreaux d’hier
deviennent avec une facilité déconcertante les victimes de demain. L’Histoire,
pour Chateaubriand, n’est plus à penser à travers quelques idées métaphysiques,
mais elle se livre à travers l’individu comme l’épreuve douloureuse d’une
désillusion : « les hommes et les empires passent vite ». Il est ainsi un témoin
mélancolique devant l’immense ruine de l’Histoire.

Penser l’histoire ou la juger ?

Si l’historien écrit l’histoire pour la connaître, le mémorialiste la pense pour juger


ses acteurs et cerner de la sorte une certaine conception de la morale et de
l’engagement politique. Il multiplie ainsi les jugements de valeur. Par ailleurs,
croire qu’on puisse écrire l’histoire de la Révolution sans jugement personnel à
l’époque de Chateaubriand serait un leurre, et cela pour deux raisons :

1) Comme la Révolution n’est pas terminée, toute analyse historien heurte


des mémoires partisanes et constitue une position politique
2) Ecrire l’histoire n’est jamais neutre, surtout quand on s’attache à une
période ensanglantée par des idéologies.

Chateaubriand s’indigne de ceux qui acceptent tout l’héritage révolutionnaire, il


ne s’oppose pas moins à ceux qui rejettent la Révolution en bloc. Et penser la
Révolution, c’est pour Chateaubriand faire la différence entre les violences
inévitables et celles qu’on aurait pu et dû éviter au nom de la morale, comme de
l’efficacité politique.

Comment Chateaubriand pense l’histoire ?

Le mémorialiste cultive de multiples tensions. Il fait montre de scrupules


d’historien lucide, mais il se lance dans l’affabulation. L’histoire l’a vu d’engager
contre le sens de l’histoire mais il pense aussi à cette dynamique historique qui
est la Révolution : « Juillet portera son fruit naturel, ce fruit est la démocratie ».
Le mémorialiste pense son histoire personnelle au cœur de la tourmente
révolutionnaire mais il se détache de toute douleur par son style. Il porte en outre
de fort lucides jugements de moraliste mais il s’abandonne à une résistible
fascination pour la légende.

VI. Penser l’histoire avec Marx


A. Contexte philosophique
De manière générale, on dit que Hegel marque la fin des grands systèmes
philosophiques. Après lui, la philosophie s’oriente dans une toute nouvelle
orientation. Au lieu de grands système spéculatifs, nous trouvons ce que l’on
appelle une « philosophie de l’existence » ou une « philosophie de l’action ». Tel
est le fond de la pensée de Marx lorsqu’il constate : « les philosophes se bornent
à interpréter le monde alors qu’il s’agit de le transformer ». Ainsi, la pensée de
Marx a une visée pratique et politique. Selon lui, les conditions matérielles de la
société déterminent de façon radicale notre mode de pensée. C’est pourquoi on
appelle sa philosophie matérialiste.

Rappelons que Hegel nommait la force motrice de l’Histoire l’Esprit du monde ou


la Raison universelle. Cette façon de voir les choses revenait, selon Marx, à
prendre les choses à l’envers. Lui voulait démontrer que les changements des
conditions matérielles de vie sont le véritable moteur de l’histoire. Pour lui, ce ne
sont pas les conditions spirituelles qui sont à l’origine des changements dans les
conditions matérielles, mais le contraire : les conditions matérielles déterminent
de nouvelles conditions spirituelles. Marx souligne donc tout particulièrement le
poids des forces économiques au sein de la société, qui introduisent toutes sortes
de changements et par là même font progresser l’histoire.

Ces conditions matérielles, économiques et sociales, Marx leur donna le terme


d’infrastructure. Le mode pensée d’une société, ses institutions, ses lois, sans
oublier sa religion, son art, sa philosophie sont pour Marx superstructure. Et pour
lui, il y a une tension, autrement dit la relation dialectique, entre l’infrastructure
et la superstructure. C’est pour cette raison qu’on appelle sa philosophie
matérialisme dialectique. Marx était conscient que la superstructure d’une
société pouvait influencer l’infrastructure, mais il ne reconnaissait pas à la
superstructure d’histoire indépendante. Tout développement de l’histoire, depuis
l’Antiquité, est dû avant tout à des modifications de l’infrastructure et par une
opposition entre deux classes. Car pour Marx, toute l’histoire n’est qu’une histoire
de luttes de classes.

B. Contexte historique
A. Février 1848 : la République de tous les espoirs

En février 1848, la monarchie de Juillet de Louis Philippe s’effondre devant une


nouvelle révolution parisienne. Deux raisons principales expliquent ces
événements révolutionnaires. Une grave crise économique affecte la France
depuis 1846. La misère s’est installée, y compris dans les grandes villes comme
Paris. De plus, elle est devenue l’un des thèmes de l’opposition républicaine au
cours de la « campagne des banquets » (pour contourner l’interdiction politique,
les opposants de la monarchie de Juillet se réunissent en organisant des
banquets) … Le 22 Février, la révolution commence.

Le 24 février 1848, Louis Philippe abdique. La IIè République est proclamée. Dans
les discours, les références à 1789 et 1792 sont nombreuses. Un gouvernement
provisoire est formé, avec Lamartine et Ledru-Rollin. Il décide l’élection d’une
Assemblée constituante au suffrage universel masculin. Le suffrage censitaire,
jugé inégalitaire, est aboli. Les libertés de la presse et de réunion sont
proclamées, la peine de mort pour délits politiques est abolie ainsi que
l’esclavage dans les colonies françaises. Enfin le droit au travail est proclamé :
des ateliers nationaux sont créés pour donner du travail aux ouvriers au
chômage.

Cette République suscite de grands espoirs de fraternité : c’est ce qu’on a appelé


l’esprit de 48. Mais les illusions se dissipent vite : les femmes dénoncent leur
exclusion et les républicains modérés, qui ont remporté les élections d’avril 1848,
s’inquiètent face à l’agitation sociale.

B. Un régime de plus en plus conservateur après juin 1848

Les ateliers nationaux, principal foyer de cette agitation, sont fermés le 22 Juin
1848 et les principaux leaders socialistes arrêtés. La révolte populaire éclate. Du
23 au 26 Juin, les troupes gouvernementales affrontent le peuple de Paris qui a
dressé des barricades dans les quartiers de l’Est. Les événements de Juin 1848
marquent une rupture décisive : la lutte des classes vient déchirer les
républicains. Le divorce est consommé entre les radicaux, qui souhaitent une
République sociale et les modérés, qui veulent un régime d’ordre et se
rapprochent de la droite.

Cette évolution est accélérée par la victoire de Louis Napoléon Bonaparte à


l’élection présidentielle (10 décembre 1848) au suffrage universel masculin.
Exploitant la gloire de son nom et de son oncle, il s’appuie sur le « parti de
l’ordre » qui gagne les élections législatives de Mai 1949. Mais les républicains
radicaux conservent une grande influence. Pour faire face à cette opposition, le
gouvernement de Louis Napoléon restreint les libertés d’association et de la
presse, décrète l’état de siège dans les départements qui connaissent des
émeutes. Le cléricalisme s’affirme, y compris dans l’école. En Mai 1850, par une
nouvelle loi électorale, le gouvernement modifie le droit de vote de telle manière
qu’une grande majorité d’ouvriers en est exclue.

Mais le mandat présidentiel qui est fixé à 4 ans, non renouvelable


immédiatement, doit expirer en 1952. Louis Napoléon Bonaparte qui ne veut pas
quitter le pouvoir fait un coup d’Etat le 2 Décembre 1851, date doublement
symbolique (sacre de Napoléon 1er en 1804 et victoire d’Austerlitz en 1805). La
IIè République s’agonise, jusqu’à la proclamation officielle du Second Empire le 2
Décembre 1852.

C. Le texte
Chapitre I : Février 1848 – Décembre 1851, la IIè République

Cette brève République a duré moins de quatre ans. Marx articule la Révolution
de février 1848 avec un autre événement dont elle est l’écho affaibli et dégradé,
la Révolution française. Ce parallèle est aussi entre les acteurs des deux
révolutions, par exemple Robespierre contre Louis Blanc… Le thème central de ce
chapitre est énoncé dès les premières lignes : « Hegel note quelque part que tous
les grandes événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire
deux fois. Il a oublié d’ajouter : une fois comme tragédie et la fois d’après comme
farce ». C’est sur ce fonds que pensera la comparaison entre le coup d’Etat du 18
Brumaire an VIII de Napoléon Bonaparte et le coup d’Etat du 2 décembre 1851 de
Louis Napoléon Bonaparte. Le chapitre nous fournit donc la loi primordiale de la
pensée de l’histoire avec la loi de répétition.

Une seconde idée importante de ce chapitre est l’affirmation que la IIè


République incarne un nouveau moment de l’histoire, « un acte de portée
mondiale, inaugurant l’ère nouvelle ». La Révolution de 1848 marque le passage
d’une ère historique à une autre. Alors que la Révolution française était une
révolution bourgeoise, faite pour « l’émancipation et la création de la société
bourgeoise moderne », la Révolution de 1848 est une révolution « sociale et
prolétarienne » : c’est le peuple qui a fait ce « coup de main ».

Ces deux principes historiques sur lesquels repose la pensée de l’histoire du coup
d’Etat, à savoir la répétition grotesque du passé et l’inauguration radicale de
l’avenir, sont associés à une pratique empirique. C’est dans le troisième temps
de ce chapitre que Marx veut démontrer le caractère inévitable de son échec :
« tout observateur un peu perspicace, même sans avoir suivi pas à pas
l’évolution des événements en France, devrait se douter que la révolution allait
au-devant d’un échec inouï ». Penser l’histoire exige de savoir observer les
événements présents, c’est-à-dire la matière de l’histoire, pour poser un
diagnostic.

Marx pose donc les trois principes essentiels pour penser l’histoire : un principe
de répétition, un principe de prévision et un principe d’observation matérialiste
des conditions socio-économiques.

Chapitre II : la chute des républicains

L’histoire de la révolution de 1848 et du coup d’Etat de 1851 se pense comme la


conséquence inéluctable de la contradiction entre les structures socio-
économiques et les acteurs politiques motivés par leurs idéologies.

Pour Marx, les « républicains bourgeois » qui ont pris le pouvoir de juin à
décembre 1848 ne représentent pas véritablement une « classe sociale » car ses
membres ne possèdent qu’une seule caractéristique commune, leur idéologie
nationalistes, et qu’ils sont unis par des intérêts socio-économiques.

Pendant la période de sa domination politique, les bourgeois républicains


accouchent de la Constitution de la IIè République dont Marx a critiqué la
faiblesse

Puis Marx montre comment entre décembre 1848 et mai 1849 s’est produite la
« chute des républicains bourgeois » et articule cette « faction » avec les classes
sociales réelles, qu’il pense comme les vrais acteurs de cette histoire.

Chapitre III : Mai 1848 – Octobre 1849

Ce moment est caractérisé comme une « histoire sans événements » plein


d’agitation superficielle et d’indécisions. Pour Marx, ces hésitations sont les
symptômes d’un blocage plus profond. Pour lui, l’histoire bégaie : au lieu d’aller
de l’avant vers l’émancipation des hommes avec la Révolution française, la
République de 1848 a rétrogradé.

C’est dans ce chapitre que Marx précise comment s’est actualisée la « lutte des
classes » entre la bourgeoisie du parti de l’ordre et la coalition des petits-
bourgeois et des ouvriers. La contradiction joue ainsi à tous les niveaux. Ces
acteurs font l’histoire politique, mais elle n’est pas la conséquence nécessaire
des structures économiques … Puis enfin, la contradiction éclate le 13 juin 1849
qui se traduit en insurrection violente dans les rues.

Chapitre IV : apparition de Louis Napoléon Bonaparte

Les contradictions de la bourgeoisie apparaissent au grand jour et Louis Napoléon


Bonaparte les exploite. D’une part, il s’empare de l’appareil de l’Etat et la
bourgeoisie se trouve dans la situation contradictoire de devoir renforcer ce qui
lui ôte progressivement le pouvoir. D’autre part, la bourgeoisie dénonce comme
« socialiste » tout ce qui s’oppose à sa domination politique.

Chapitre V : lutte entre l’Assemblée constituante et Bonaparte

Marx, tout comme Hugo, critique la contradiction entre l’ambition du personnage


qui se prend pour un héros historique et sa dimension politique réelle. La
République de 1848 est ce régime dans le quel la superstructure est détachée de
l’infrastructure

Chapitre VI : victoire de Bonaparte

La bourgeoisie implose sous le coup des manifestations de plus en plus radicales


de la contradiction entre les intérêts des factions qu’elle contient. Hésitations,
blocages, contradictions ont bien été la loi historique de l’action de la coalition
bourgeoise qui culmine an suicide parlementaire : « Fin du régime parlementaire
et du règne bourgeois. Victoire de Bonaparte. Parodie de restauration impériale ».

Chapitre VII : l’histoire se pense au-delà des contradictions internes du


coup d’Etat

Pour Marx, la révolution de 1848 n’était que la première étape d’un mouvement
qu’il faut penser sur le long terme qui aboutit à l’émancipation du prolétariat.

Penser l’histoire, pour Marx, revient ainsi d’une part à diagnostiquer cette
contradiction, d’autre part à la restituer dans la marche en avant nécessaire de
l’histoire.

D. Penser l’histoire avec 18 Brumaire


L’histoire est-elle une science ? Comment allier l’inconciliable : le caractère
objectif de toute science et la dimension naturellement subjective des choses
humaines ? Ces trois œuvres nous rappellent que la pensée historique
n’appartient pas exclusivement aux historiens, elles mettent également en
évidence une triple interrogation sur l’entreprise historique, qu’elle soit d’ordre
méthodologique pour collecter des faits, d’ordre générique pour choisir le genre,
et d’ordre épistémologique pour lui donner un sens.

Penser l’histoire pose un problème méthodologique. Recueillir des


faits tels qu’ils se sont passés demande le recours aux sources historiques et au
témoignage direct. S’agissant des preuves qui arrivent indirectement à
l’historien, on peut s’interroger sur le degré de véracité et sur le critère de fidélité
avec lequel elles sont exploitées. Corneille s’est éloigné de la lecture historique
de Tite-Live pour des raisons dramaturgiques. Alors que Marx a entrepris une
démarche plus critique. Dans la préface, il a révélé deux sources indirectes, celles
de Hugo et de Proudhon, mais il s’en détache et le condamne. On voit donc le
choix ou le rejet des sources indirectes peuvent donner à l’entreprise historique
des points de départ fragiles ou contestables.

Le témoin direct des faits permet à l’historien un accès immédiat à l’information.


Chateaubriand est le témoin de son époque. Comme l’auteur participe lui-même
aux événements, l’objectivité historique est ainsi mise en cause. Marx est aussi
témoin de son époque, mais ce témoin est enclin à abandonner la parfaite
neutralité en se référant inlassablement à une idéologie qui déformera peu ou
prou l’appréhension de l’événement. Ainsi, le fait historique brut est un idéal
illusoire, du fait même qu’il transite obligatoirement par une nécessaire
subjectivité.

Penser l’histoire pose un problème générique. Le genre littéraire qui met


en scène la matière historique n’est pas infaillible. On le voit bien dans la
tragédie de Corneille. Le dramaturge multiplie des transgressions pour les
besoins de la pièce : le personnage de Sabine, le tirage au sort pour désigner les
combattants. Ce débordement littéraire s’observe aussi chez Chateaubriand
lorsque sa sensibilité romantique se manifeste : la bataille de Thionville
devient une véritable apocalypse. Quant à Marx, il abandonne de manière
sporadique le ton didactique de l’essai historique pour prendre le ton
sarcastique du littéraire.

Penser l’Histoire pose un problème épistémologique. Si nous devrions


trouver un sens aux événements et à l’Histoire, nous nous trouvons devant deux
grands courants : religieux et social.

Mémoire et Histoire
Le poids du passé. La période qui va de la révolution de Février à l’élection de
Bonaparte est un moment où l’Histoire réelle a été marquée par la mémoire de la
Révolution française. Ce caractère de répétition a frappé Marx. Les acteurs
« appellent à leurs rescousses les mânes de leurs ancêtres » et « leur
empruntent leurs noms, mots d’ordre, costumes, afin de jouer la nouvelle pièce
historique… ». Ce retour du passé est un véritable revenant qui absorbe la vie
politique et sociale. L’ancienne Révolution française agit comme un revenant qui
plierait le présent à sa volonté. C’est donc la mémoire d’un passé révolu qui a
déterminé réellement le comportement des acteurs. Mais cet emprunt du passé a
pris des allures de comédie et de farce, selon Marx, car il existe un décalage de
stature entre les deux Napoléons.

La mémoire des acteurs est l’illusion. La mémoire masque les intérêts réels
en lutte aux yeux même des agents. Elle les empêche de mesurer la nouveauté
révolutionnaire du moment et d’inventer des solutions nouvelles. Pour Marx, les
hommes qui rompent avec l’ordre existant en tournant vers le passé ne voient
pas ce qu’ils font. Et l’historien qui tente d’expliquer la période ne peut lui
accorder une priorité dans l’explication historique. En ce sens, penser l’Histoire,
ce n’est pas principalement penser la mémoire.

Mémoire et anticipation. Ces hommes cherchaient aussi une forme


d’organisation politique dont ils n’avaient pas encore la formule. Ils ne pouvaient
le faire que par référence à la Première République. Ainsi, la mémoire acquiert un
rôle positif, mais cela ne signifie pas qu’ils s’enferment dans cet héritage.

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