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Pense-bête :
Histoire : a) l’évolution dans le temps des réalités humaines. b) la réflexion
sur le passé des hommes.
Historicité est la conscience du fait que les choses humaines évoluent dans le
temps, que rien n’est pérenne. a) Corneille inscrit le thème de sa pièce dans le
double moment historique de la construction de la grandeur romaine et des
balbutiements de la monarchie absolue. b) Chateaubriand réfléchit sur les
révolutions que prend le cours du fleuve de temps. c) Quant à Marx, sa
philosophie est le matérialisme historique, c’est-à-dire, l’histoire pour lui « est la
science de l’homme par excellence dans la mesure où il n’y a pas de
nature humaine mais un ensemble de rapports sociaux » (6è thèse sur
Feuerbach). Or, l’évolution dialectique, conflictuelle, de ces rapports sociaux est
le moteur de l’histoire : « L’histoire de toutes société jusqu’à nos jours,
c’est l’histoire de la lutte des classes » (Manifeste).
Historicisme est le fait de penser que toute connaissance, toute valeur est
déterminée par le moment historique où elle s’inscrit. Cette perception des
choses, considérée comme pertinente par nombre de philosophes du 19è siècle,
Marx compris, fait aujourd’hui problème. De l’affirmation de la relativité
historique, le risque existe de passer au relativisme des valeurs, au relativisme
morale et idéologique, étape vers le nihilisme et le cynisme.
Leçons de l’histoire. D’un côté, dire que le passé est le recueil des modèles
c’est nier l’historicité des choses humaines. De l’autre côté, les leçons de
l’expérience existe
Histoire et vérité. L’histoire est une recherche selon son étymologie, elle n’a
pas pour l’intention de faire revivre le passé. L’histoire en tant que réflexion sur
le passé est recherche de vérité, au sens où elle refuse la fiction, le mensonge et
la falsification, mais la notion de vérité historique est problématique. A ne pas
confondre la réalité et vérité. Parler de vérité c’est émettre un jugement de
valeur, c’est choisir un angle de vision, c’est toujours interpréter.
Histoire et mémoire. Il faut distinguer le travail de l’historien et la
remémoration individuelle ou collective, fondée sur le sentiment subjectif. Car il
n’y a pas de devoir de mémoire pour l’historien, ce dernier a un devoir
d’impartialité, mais seul peut ressentir un « devoir de mémoire » l’homme ou la
communauté qui se sent moralement comptables d’événements du passé. Deux
cas extrêmes : hypermnésie et amnésie.
I. La philosophie de l’histoire
La philosophie de l'histoire s'attache à réfléchir sur le sens et sur les finalités du
devenir historique. On peut schématiquement distinguer deux écoles de pensée :
1) l'une qui nie toute idée de finalité en affirmant que l'histoire n’est que fruit du
hasard et de l'imprévu. 2) l'autre qui affirme que l’histoire obéit à un dessein,
dont la réalisation téléologique en caractérise la signification.
Rationalistes > empiristes > Kant > romantiques > Hegel > Marx
2) Kant pensait que la perception et la raison jouent toutes les deux un grand
rôle, mais il trouvait que les rationalistes accordaient trop de pouvoir à la raison
et que les empiristes se limitaient trop à leurs expériences sensibles. Il admet,
comme les empiristes, que nos sens soit à l’origine de toute connaissance, mais il
pensait également que notre raison dispose de certaines facultés qui détermine
toutes nos expériences sensibles. Par exemple, quelque soit notre expérience
sensible, elle s’inscrit obligatoirement dans l’espace et le temps. Ce sont les deux
formes « a priori » qui précèdent toute expérience. La conscience de l’homme
n’est pas une feuille blanche où s’inscrivaient de façon passive les impressions
de nos sens, autrement dit, nos perceptions se plient à nos deux « formes a
priori ». Ainsi, la conscience est formée à partir des choses, les choses à leur tour
sont formées à partir de la conscience.
4) Tous les systèmes philosophiques avant Hegel avaient tenté de définir les
fondements de la connaissance humaine, mais en se situant chaque fois dans
des conditions intemporelles. Mais pour Hegel, il n’existe pas de raison
intemporelle : on ne pouvait pas faire l’impasse du devenir, car ce qui est à la
base de la connaissance humaine se transforme au fil des générations. La seule
base solide à partir de laquelle le philosophe peut travailler c’est l’Histoire. Mais
l’Histoire est en perpétuel changement, comment pourrait-elle constituer une
base solide ?
Il suffit d’étudier l’Histoire pour se rendre compte qu’une pensée vient souvent se
greffer sur d’autres pensées plus anciennes. Mais, à peine posée, cette pensée va
être contrée par une nouvelle pensée, créant ainsi une tension entre deux
modes de pensée. Et cette contradiction sera levée grâce à une troisième pensée
qui conservera le meilleur des deux points de vue. C’est ce que Hegel appelle un
processus dialectique. Autrement dit, il y a une tension entre deux manières
de voir diamétralement opposées. Et cette tension fut conservée, niée,
dépassée (subsumée). Ainsi, Hegel a qualifié les trois stades de la
connaissance de thèse, antithèse et synthèse. Par exemple, la thèse
rationaliste de Descartes fut contredite par l’antithèse empirique de Hume. Et
cette tension entre ces deux différentes modes de pensée, fut niée et en même
temps conservée dans la synthèse de Kant.
Pas plus qu’on ne peut concevoir un Etat sans citoyens, on ne peut concevoir de
citoyens sans Etat. Et selon Hegel, l’Etat est encore plus que l’ensemble des
citoyens à cause de cet Esprit du monde. Tout d’abord, l’Esprit du monde prend
conscience de lui-même dans l’individu. C’est ce que Hegel appelle la raison
subjective. Un degré supérieur est celui de la famille et de l’Etat, ce que Hegel
appelle la raison objective parce que c’est une raison qui se révèle au contact
des hommes entre eux. Le dernier degré est la forme la plus haute de la raison.
L’Esprit du monde l’atteint dans la Conscience absolue.
Histoire et l’individu. Avant que de se sentir engagé dans l’histoire pour des
raisons politiques comme Marx, l’individu se pense comme un être historique
parce que l’histoire fait irruption dans sa vie et ne lui en laisse pas le choix. Tel
est le cas de figures féminines dans Horace. Elles ne peuvent que voir leur
identité niée à l’issue du combat à mort. L’amnésie signifierait la négation de
l’identité du sujet comme souligne Chateaubriand : « sans la mémoire, que
serions-nous ? ». Mais exister grâce aux souvenirs n’équivaut pas à exister dans
ses souvenirs. Il s’agit de dépasser les ressentiments incarné par Camille
envers Rome. Chateaubriand évoque un devoir de mémoire : « et pourtant,
France du XIXè siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait ».
Marx est capable de rendre hommage au rôle historique joué par les « héros de
l’Ancienne Révolution française » qu’il qualifie bourgeoise. Mais n’y a-t-il pas de
balancement entre ressentiment de vaincu et gratitude envers les vainqueurs
de l’histoire ?
Juger l’histoire. On pense l’histoire pour la juger et pour agir selon certaines
valeurs. Ainsi l’histoire est en procès dans ces trois œuvres. Dans le cinquième
acte, Corneille a pris la nécessité ultime de juger. Chateaubriand condamne
l’exécution par les révolutionnaires de quatorze jeunes filles de Verdun supposées
avoir accueilli en libérateurs les soldats prussiens : « un des meurtres les plus
atroces de la Terreur ». Avec quel tribunal ? Sabine invoque le jugement divin :
« Et je m’imaginais dans la divinité / Beaucoup moins d’injustice et bien plus de
bonté ». Chateaubriand invoque aussi le tribunal de Dieu pour juger ses affaires
privées. Marx ne peut supporter qu’on fasse de la religion un moyen de
gouvernement et bloque ainsi la lutte des classes.
Scène 2 : Face à Sabine plaintive c’est le personnage de Camille qui vit dans ses
passions. On apprend à quel point Camille aime Curiace, malgré les avances du
Romain Valère. Inquiète, elle hésite à croire à une interprétation heureuse d’un
oracle qui lui a été rendu et qui lui prédit une paix prochaine entre Albe et Rome,
et son éternelle union avec Curiace.
Scène 3 : La tension initiale s’apaise avec l’arrivée de Curiace, qui fait renaître
l’espoir d’une paix à bon compte : le combat généralisé a été évité au profit d’un
combat entre deux groupes de champions.
Scène 2&3 : L’action se noue lorsque Flavian apprend à Curiace que le choix
d’Albe est ses trois frères. Si les deux guerriers acceptent sans discuter de servir
leur pays, l’horreur de ce combat est pleinement reconnue par Curiace qui
affirme par là son humanité : « Je rends grâce aux Dieux de n’être pas Romain.
Pour conserver encor quelque chose d’humain ». Alors que Horace réclame une
intransigeante vertu : « j’accepte aveuglément cette gloire avec joie ». La ligne
de séparation s’accuse entre ceux qui s’oublient dans le service de l’Etat en
étouffant leurs sentiments et ceux qui, tout en assumant leur devoir, se désolent
de l’énormité du sacrifice qu’on exige d’eux.
Scène 4&5 : Camille tente vainement de détourner Curiace d’un combat qui le
verra mourir ou le fera meurtrier de ses frères.
Scène 7&8 : L’arrivée du vieil Horace met un terme à cet attendrissement : les
pleurs des femmes sont dangereux pour ceux qui doivent verser du sang.
Acte III : Le combat des Horaces et des Curiaces
Scène 1 : Long monologue de Sabine qui prévoit toutes les souffrances à venir.
Scène 6 : Julie revient pour annoncer la mort de deux des Horaces et la fuite du
troisième. Le sort de Rome paraît joué. Le vieil Horace maudit son fils et annonce
qu’il lavera par le sang de celui-ci l’honneur des Romains.
Scène 6&7 : Pour Horace, cette exécution est à la fois un acte de raison et un
acte de justice. Sabine les rejoint et provoque Horace à son tour. Elle lui demande
la mort comme une grâce car elle abrégerait ses douleurs, ou comme un
supplice, car elle serait le châtiment de sa lâcheté. Horace s’enfuit car il craignait
pour sa vertu : l’attendrissement ne saurait trouver accès dans une âme romaine.
Scène 1 : Le vieil Horace n’a aucun regret de la mort de Camille. Il déclare qu’elle
était criminelle et se plaint d’avoir mis au jour un cœur si peu romain.
Scène 3 : Sabine vient réclamer sa propre mort : son sang apaiserait la colère des
dieux et Horace pourrait ainsi demeurer le défenseur de Rome et elle serait
délivrer de ses crimes de l’amer et de ne pas l’aimer. Le vieil Horace défend son
fils en appelant au roi : Horace doit demeurer l’appui de rome et du roi. Tulle
prend le dernier parole pour appeler à la réconciliation. Horace devra vivre pour
servir l’Etat.
Les années du ministère de Richelieu sont des années difficiles sur le plan des
relations internationales (guerre de Trente Ans) et l’époque de Louis XIII se
passionne pour la question des équilibres à trouver entre des Etats ambitieux. On
s’interroge sur le rôle de la France dans l’Europe : rêve de paix universelle, utopie
impériale. En même temps l’impérialisme espagnol est dénoncé et l’Espagne est
accusée de mettre en pratique les préceptes de Machiavel et d’instrumentaliser
la religion. La raison d’Etat tend à l’emporter sur toute autre considération :
Richelieu n’hésite pas à faire alliance avec des protestants pour l’intérêt de l’Etat.
L’Histoire, avant d’être une succession d’événements, est d’abord une affaire
d’hommes. Corneille, dans Horace, ne nous donne pas le récit de la guerre entre
Albe et Rome, mais le récit d’un duel fratricide. Il éclaire les enjeux familiaux du
conflit entre Rome et Albe. Cette tragédie explore en profondeur les âmes de
héros qui, en se voyant tout proches de leur bonheur, doivent affronter des
épreuves décisives et des situations particulièrement douloureuses.
Le héros qui sauve sa patrie est aussi un criminel, mais le roi a jugé en la faveur
de Horace, et l’intérêt supérieur de la patrie commande que les querelles
supérieures soient oubliées : « Ta vertu met ta gloire au dessus de ton crime ».
Car il s’agit bien de servir l’Etat, comme le dit Hegel à propos de la Rome
antique : « les individus libres doivent renoncer à eux-mêmes pour se mettre au
service de cette universalité abstraite (Etat) ».
L’action historique des héros (ou des grands hommes) se situe au-dessus de la
vie commune. Ainsi, le héros est en dehors du cours ordinaire des choses : son
destin est exceptionnel car il réalise le but universel : « De pareils serviteurs sont
les forces des rois, et de pareils aussi sont au-dessus des lois ». Corneille défend
des valeurs universelles et éternelles : le devoir et la raison d’Etat doivent
l’emporter sur le sentiment. L’Histoire devient l’exemple, mythe. Le présent
doit être conforme à l’idéal éthique du passé.
« Je haïs, pour ma part, ces grands systèmes absolus, qui font dépendre tous les
événements de l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux
autres par une chaîne fatale, et qui suppriment, pour ainsi dire, les hommes de
l’histoire du genre humain » (Alexis de Tocqueville, Souvenirs)
Le danger d’une pensée trop vite oublieuse des hommes est bien le danger d’une
banalisation de la violence politique. Si la pensée de l’histoire est une pensée
tragique, alors la pièce de Corneille ne peut qu’ouvrir en chacun le pathos de
l’histoire, cette sensibilité au tragique de l’existence qui est tout aussi bien
l’épreuve de la contingence.
A noter que Sabine n’a de cesse, face à son dilemme, de vouloir surpasser sa
condition de femme, qu'elle n'ait atteint à une grande résolution : « Si l'on fait
moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme. Commander à ses pleurs en
cette extrémité, C'est montrer pour le sexe assez de fermeté ». Curiace lui-même
est sensible à ce même dilemme : « J'aime encore mon honneur en adorant
Camille ». La similitude entre ces deux personnages annule les bornes et toute
hiérarchie entre monde masculin et féminin dans la pièce de Corneille.
b- le meurtre de Camille
Lorsque l’oracle annonce à Camille qu’elle sera « unie au Curiace », il lui prédit à
mots couverts que l’histoire est fixée par les dieux et que l’homme ne peut rien y
changer. Les dés sont jetés d’emblée, malgré les efforts déployés par l’homme
pour penser l’histoire ou l’infléchir à son gré. L'ironie tragique que subit Camille
émane de n'avoir su, ni interpréter les prédictions de l'oracle ni ses "songes"
prémonitoires qui lui révélaient l'issue sanglante du combat. La fatalité dans ce
sens est un signe qui pour être déchiffré, n'en reste pas moins ambivalent et qui
n'acquiert son sens plein, que par les coups de théâtre qu'elle produit. En tant
qu’individu, Camille est la proie d’une fatalité historique et collective. De ce fait,
elle est sujette à un dilemme dont l'issue est tragique. C’est la liberté individuelle
et la passion amoureuse en elle qui se rebelle désespérément, contre le fait
accompli historique.
1797 : Il publie « Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes
et modernes considérées dans leurs rapports avec la Révolution française ».
Comme son titre l’indique, penser le passé sert à mieux comprendre le présent
par un jeu de comparaisons. L’auteur y fait preuve de relativisme politique. Il
présente la Révolution comme inévitable du fait que le régime monarchique s’est
corrompu au fil des temps.
1803 : Il conçoit le projet des Mémoires. Il aurait commencé à les écrire en 1811
et il date la première rédaction des 4 livres au programme (9-12) en 1822.
B. Le texte
C’est le récit de la confrontation d’un individu à l’Histoire, dans un balancement
entre participation et exclusion. Il s’agit aussi d’une peinture originale de ces
années, fondatrices de la France moderne.
La campagne dans l’armée des princes est d’abord l’occasion de penser la fin de
la noblesse comme ne « remontée à son origine », c’est-à-dire sa fonction
guerrière, mais avec l’anachronisme du donquichotisme. Le mémorialiste décrit
la vie amusante au camp, où l’on peut compenser l’histoire en se « payant de
beaux contes ». Cette description alterne avec le récit du siège infructueux de
Thionville.
Blessé, Chateaubriand est sur le point de mourir sur le chemin le mène chez son
oncle, réfugié à Jersey. Cette île est perçue comme un lieu de mémoire de la
monarchie.
Les livres 9 à 12 est, plus qu’une pensée sur l’histoire, une rêverie sombre où les
événements ont moins d’importance que les sentiments qu’ils suscitent. La
tragédie collective cauchemardesque à laquelle Chateaubriand assiste en
spectateur impuissant, est répercutée dans le drame de sa vie individuelle.
B. Contexte historique
A. Février 1848 : la République de tous les espoirs
Le 24 février 1848, Louis Philippe abdique. La IIè République est proclamée. Dans
les discours, les références à 1789 et 1792 sont nombreuses. Un gouvernement
provisoire est formé, avec Lamartine et Ledru-Rollin. Il décide l’élection d’une
Assemblée constituante au suffrage universel masculin. Le suffrage censitaire,
jugé inégalitaire, est aboli. Les libertés de la presse et de réunion sont
proclamées, la peine de mort pour délits politiques est abolie ainsi que
l’esclavage dans les colonies françaises. Enfin le droit au travail est proclamé :
des ateliers nationaux sont créés pour donner du travail aux ouvriers au
chômage.
Les ateliers nationaux, principal foyer de cette agitation, sont fermés le 22 Juin
1848 et les principaux leaders socialistes arrêtés. La révolte populaire éclate. Du
23 au 26 Juin, les troupes gouvernementales affrontent le peuple de Paris qui a
dressé des barricades dans les quartiers de l’Est. Les événements de Juin 1848
marquent une rupture décisive : la lutte des classes vient déchirer les
républicains. Le divorce est consommé entre les radicaux, qui souhaitent une
République sociale et les modérés, qui veulent un régime d’ordre et se
rapprochent de la droite.
C. Le texte
Chapitre I : Février 1848 – Décembre 1851, la IIè République
Cette brève République a duré moins de quatre ans. Marx articule la Révolution
de février 1848 avec un autre événement dont elle est l’écho affaibli et dégradé,
la Révolution française. Ce parallèle est aussi entre les acteurs des deux
révolutions, par exemple Robespierre contre Louis Blanc… Le thème central de ce
chapitre est énoncé dès les premières lignes : « Hegel note quelque part que tous
les grandes événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire
deux fois. Il a oublié d’ajouter : une fois comme tragédie et la fois d’après comme
farce ». C’est sur ce fonds que pensera la comparaison entre le coup d’Etat du 18
Brumaire an VIII de Napoléon Bonaparte et le coup d’Etat du 2 décembre 1851 de
Louis Napoléon Bonaparte. Le chapitre nous fournit donc la loi primordiale de la
pensée de l’histoire avec la loi de répétition.
Ces deux principes historiques sur lesquels repose la pensée de l’histoire du coup
d’Etat, à savoir la répétition grotesque du passé et l’inauguration radicale de
l’avenir, sont associés à une pratique empirique. C’est dans le troisième temps
de ce chapitre que Marx veut démontrer le caractère inévitable de son échec :
« tout observateur un peu perspicace, même sans avoir suivi pas à pas
l’évolution des événements en France, devrait se douter que la révolution allait
au-devant d’un échec inouï ». Penser l’histoire exige de savoir observer les
événements présents, c’est-à-dire la matière de l’histoire, pour poser un
diagnostic.
Marx pose donc les trois principes essentiels pour penser l’histoire : un principe
de répétition, un principe de prévision et un principe d’observation matérialiste
des conditions socio-économiques.
Pour Marx, les « républicains bourgeois » qui ont pris le pouvoir de juin à
décembre 1848 ne représentent pas véritablement une « classe sociale » car ses
membres ne possèdent qu’une seule caractéristique commune, leur idéologie
nationalistes, et qu’ils sont unis par des intérêts socio-économiques.
Puis Marx montre comment entre décembre 1848 et mai 1849 s’est produite la
« chute des républicains bourgeois » et articule cette « faction » avec les classes
sociales réelles, qu’il pense comme les vrais acteurs de cette histoire.
C’est dans ce chapitre que Marx précise comment s’est actualisée la « lutte des
classes » entre la bourgeoisie du parti de l’ordre et la coalition des petits-
bourgeois et des ouvriers. La contradiction joue ainsi à tous les niveaux. Ces
acteurs font l’histoire politique, mais elle n’est pas la conséquence nécessaire
des structures économiques … Puis enfin, la contradiction éclate le 13 juin 1849
qui se traduit en insurrection violente dans les rues.
Pour Marx, la révolution de 1848 n’était que la première étape d’un mouvement
qu’il faut penser sur le long terme qui aboutit à l’émancipation du prolétariat.
Penser l’histoire, pour Marx, revient ainsi d’une part à diagnostiquer cette
contradiction, d’autre part à la restituer dans la marche en avant nécessaire de
l’histoire.
Mémoire et Histoire
Le poids du passé. La période qui va de la révolution de Février à l’élection de
Bonaparte est un moment où l’Histoire réelle a été marquée par la mémoire de la
Révolution française. Ce caractère de répétition a frappé Marx. Les acteurs
« appellent à leurs rescousses les mânes de leurs ancêtres » et « leur
empruntent leurs noms, mots d’ordre, costumes, afin de jouer la nouvelle pièce
historique… ». Ce retour du passé est un véritable revenant qui absorbe la vie
politique et sociale. L’ancienne Révolution française agit comme un revenant qui
plierait le présent à sa volonté. C’est donc la mémoire d’un passé révolu qui a
déterminé réellement le comportement des acteurs. Mais cet emprunt du passé a
pris des allures de comédie et de farce, selon Marx, car il existe un décalage de
stature entre les deux Napoléons.
La mémoire des acteurs est l’illusion. La mémoire masque les intérêts réels
en lutte aux yeux même des agents. Elle les empêche de mesurer la nouveauté
révolutionnaire du moment et d’inventer des solutions nouvelles. Pour Marx, les
hommes qui rompent avec l’ordre existant en tournant vers le passé ne voient
pas ce qu’ils font. Et l’historien qui tente d’expliquer la période ne peut lui
accorder une priorité dans l’explication historique. En ce sens, penser l’Histoire,
ce n’est pas principalement penser la mémoire.