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Mirbeau (Octave-Henri-Marie), écrivain français, né à Trévières (Calvados) le 16 février

1850, mort à Paris, le 16 février 1917.

De l'enfance bourgeoise à la célébrité scandaleuse.

Il appartenait à une vieille famille normande, dont les membres, de père en fils,
s'étaient succédé dans le notariat. Souffrit-il, enfant, des inévitables mesquineries d'une
existence provinciale et bourgeoise, on ne saurait l'affirmer ; du moins est-il remarquable que,
dans aucun de ses romans, il n'a montré de sympathie pour les parents de ses héros : pères et
mères sont toujours représentés comme des gens aux idées étroites, imbus de préjugés
ridicules ou de sottes prétentions. Nul n'a plus médit de la bourgeoisie que ce fils de bour-
geois. Il fut envoyé pour faire ses études au collège de Vannes, dirigé alors par les jésuites.
Les pages qu'il a consacrées plus tard à cet établissement dans Sébastien Roch, la description
qu'il a donnée de « cette grande prison de pierre grise, avec ses longs couloirs blafards et ses
petites cours intérieures baignées d'un sépulcral jour », laissent supposer qu'il n'avait gardé de
son séjour au collège qu'un souvenir maussade, peut-être même douloureux. Pourtant, il n'en
sortit point révolté, tout au contraire. Après une courte collaboration à l'« Ordre », comme
critique dramatique, il fut nommé, sous le Seize-Mai, chef de cabinet de préfet, puis sous-
préfet et, durant cette période, il se montra un partisan résolu de 1'« ordre moral ». Bientôt
après, cependant, abandonnant la politique pour le journalisme, Mirbeau entra au Figaro ; il y
publia une série de contes, qu'il devait réunir dans la suite en volume, sous le titre de Lettres
de ma chaumière (1885). Assez peu remarqué à ses débuts, Mirbeau devint brusquement
célèbre en 1882, par un article sur « le comédien », où, avec une âpreté d'invective mêlée de
quelque rhétorique, il flétrissait « ce prostitueur de la beauté, des douleurs et. des respects de
la vie..., hissé par notre enthousiasme au sommet de la hiérarchie comme le drapeau de nos
décompositions ». On entrevoit par ce fragment le ton général de l'article. Les comédiens se
fâchèrent, Coquelin en tête. Mirbeau dut quitter Le Figaro. Il fonda alors, avec Paul Hervieu,
Grosclaude et Capus, un pamphlet hebdomadaire, intitulé Les Grimaces. II y donna libre
carrière à son amour du scandale et à son goût du paradoxe, témoin son « Ode au choléra »,
où il saluait comme un bienfait public l'apparition du fléau, le suppliant de détruire nos
institutions et de supprimer un certain nombre de gens nommément désignés. Cette diatribe
valut à son auteur plusieurs duels retentissants.

Le critique d'art.

Tout, d'ailleurs, était bon à Mirbeau pour manifester les violences de son tempérament
combatif. S'instituant critique d'art, il s'acharna dans une série de Salons, à partir de 1885,
contre tous les talents officiels et prôna l'art encore audacieusement nouveau des
impressionnistes. Ne cédait-il point là encore - et peut-être inconsciemment - à son perpétuel
désir de narguer les opinions reçues? Son récent engouement pour les outrances du futurisme
le laisserait supposer. En art, comme en littérature, Mirbeau se piqua toujours d'être à l'avant--
garde, En tout cas et quoiqu'il en ait fâcheusement médit par la suite, il lui reste l'honneur
d'avoir découvert et révélé au public des artistes tels que Rodin, Pissarro, Monet, Cézanne et
aussi Maeterlinck.

Un esprit impétueux.

Au reste, pouvait-on attendre d'un esprit aussi impétueux qu'il persistât longtemps
dans les mêmes goûts et les mêmes idées ! Aussi le vit-on tour à tour royaliste, catholique,
militariste, anticlérical, internationaliste, anarchiste même, apportant dans chacune de ses
évolutions la même passion et déployant une égale fougue à attaquer la veille les idées qu'il
allait adopter le lendemain et à combattre, le lendemain, les principes qu'il servait la veille. Il
ne fallut pas moins que la grande leçon de la guerre pour révéler à Mirbeau tout le sens
profond de l'idée de patrie, longtemps méconnue par lui : à la veille de sa mort, il a rédigé un
testament politique qui rachète nombre de ses erreurs passées et où, avec une grande élévation
de pensée et de style, il proclame sa foi dans la cause française et nous recommande de
« sauvegarder pieusement la conscience nationale ». Cette belle page d'un mourant fait
honneur à Mirbeau. On le doit honorer également d'avoir mis sa vie en conformité avec ses
idées et d'avoir toujours refusé les distinctions officielles. Il avait seulement accepté de faire
partie de l'académie des Goncourt ; ce n'était, d'ailleurs, que la juste consécration de son
labeur littéraire,

Les romans.

Sans cesser, en effet, de collaborer à divers journaux - car Mirbeau demeura toujours
foncièrement journaliste - il avait, dès 1886, abordé le roman. Ses premières œuvres : Le
Calvaire, La Famille Carmettes, L'Abbé Jules, Sébastien Roch, très hardies d'idées et de style,
se rattachent à la formule naturaliste, telle que l'avaient établie Zola et son groupe : même
pessimisme foncier, même complaisance à étaler les laideurs morales, à peindre des êtres mé-
prisables, abjects ou détraqués. Celte complaisance se marque plus encore peut-être chez
Mirbeau que chez Zola : tandis que celui-ci, se réclamant des méthodes scientifiques, tendait à
une certaine objectivité, Mirbeau, lui, mettait dans ces romans toutes les exubérances de son
tempérament personnel : à chaque laideur qu'il découvre, à chaque touche dont il accentue ses
peintures, on devine chez lui un secret plaisir. Ses romans sont pour lui une manière
d'exutoire, où il déverse ses rancunes, ses exaspérations, ses haines ; ce qui n'empêche point,
d'ailleurs, Le Calvaire d'être une œuvre puissante, d'une poignante sincérité, qui mérite d'être
classée au premier rang de nos romans d'analyse. Cependant, cédant à la pente naturelle de
son esprit, Mirbeau, dans les œuvres qui suivirent (Le Jardin des supplices, Le Journal d'une
femme de chambre, Les Vingt et un jours d'un neurasthénique, La 628-E8, Dingo), s'affranchit
graduellement de toute préoccupation d'intrigue ; de plus en plus l'élément proprement
romanesque disparut de ses romans, qui ne sont plus que matière à descriptions, à exposés
d'impressions personnelles, à peintures de tares sociales, à invectives contre les institutions.
Ce caractère est surtout sensible dans le Jardin des supplices, œuvre hallucinante et halluci-
née, où, sous couleur de peindre - avec quelles hardiesses de palette! - le raffinement des
supplices chinois, Mirbeau développe le paradoxe du meurtre, considéré comme fondement
de l'ordre social.
Ce « jardin des supplices », c'est l'univers lui-même. « Les passions, les appétits, les
intérêts, les haines, le mensonge, et les lois, et les institutions sociales, et la justice, l'amour, la
gloire, l'héroïsme, les religions, en sont les fleurs monstrueuses et les hideux instruments de
l'éternelle souffrance humaine ». On retrouve dans ce roman, vraie débauche d'imagination,
toute l'âpreté et la véhémence qui caractérisent le génie frénétique de Mirbeau.

Les pièces de théâtre.

On les retrouve également dans son théâtre. Venu tard à la scène, Mirbeau n'a donné
que quelques drames de valeur inégale, mais dont un au moins : Les affaires sont les affaires,
assurera sa mémoire. Le premier en date, Les Mauvais Bergers (1897), était un drame social,
plein de violence, mais empreint aussi d'un mysticisme libertaire, qui confère à l'œuvre une
couleur étrange, un peu scandinave par endroits. Si le héros principal, l'ouvrier Jean Roule, est
quelque peu idéalisé, s'il nous est présenté comme une sorte de rédempteur, venu dans « les
enfers du travail » pour affranchir ses compagnons de misère, par contre, Mirbeau a fait
preuve de beaucoup de précision et de loyauté dans l'exposé des deux thèses antagonistes de
l'ouvrier et du patron : aucun des deux adversaires n'est méprisable, et cela donne à leur
conflit une tragique grandeur, Par la suite, Mirbeau devait modifier sa manière et apporter
dans ses drames les procédés d'exagération et d'outrance dont il usait dans ses romans. On le
voit déjà, dans plusieurs petits actes, tels que L'Épidémie (1898), Vieux ménages (1900), Le
Portefeuille, Scrupules (1902), d'une bouffonnerie fougueuse et amère, où le dessin est
accentué jusqu'à la caricature et la raillerie étendue jusqu'au pamphlet. Ce procédé, facilement
acceptable dans des pièces en un acte, devient périlleux, quand on le transporte dans une
œuvre de plus grande envergure : le Foyer (1906), en collaboration avec Natanson, en est une
preuve manifeste. Malgré tout le tapage qui accompagna la pièce, malgré le succès de
curiosité qui s'attachait à une œuvre dont l'avant-première avait eu lieu au Palais de Justice et
dont les répétitions avaient failli provoquer une révolution à la Comédie-Française, Le Foyer
déçut l'attente générale ; on eût accepté cette âpre et parfois juste satire de la fausse
philanthropie, si le parti pris d'outrer la laideur morale des personnages et de ne montrer que
des êtres abjects n'avait été si accusé. Mirbeau avait été antérieurement plus heureux dans Les
affaires sont les affaires (1903) ; ce n'est pas trop de dire qu'il a retrouvé, là, la véritable for-
mule de la comédie de caractères, telle qu'elle avait été réalisée par Molière, dont il a repris,
du reste, les procédés de grossissement et l'extrême simplification : son Isidore Lechat,
brasseur d'affaires sans scrupules, a droit de prendre place parmi les « types » immortels de
notre théâtre, aux côtés d'Harpagon ou de Tartuffe et. bien an-dessus de Turcaret.

Un nihiliste sensible.

Malgré ses multiples évolutions et les formes diverses qu'il a données à son activité
littéraire, Mirbeau peut être facilement défini dans un jugement d'ensemble. Tout d'abord, ses
idées se retrouvent sensiblement les mêmes dans tout le cours de son œuvre ; avant d'être le
protagoniste d'un drame, Lechat. avait été le héros d'une nouvelle des Lettres de ma
chaumière : « Agronomie » ; de même, l'idée du Foyer se découvre déjà dans Sébastien Roch
: « La charité, y lit-on, voilà le secret de l'avilissement des hommes. Par elle le gouvernant et
le prêtre perpétuent la misère, au lieu de la soulager. »
Cela tient à ce que la pensée de Mirbeau se meut dans un cercle assez restreint ;
révolté contre l'organisation sociale, il en combat toutes les formes, mais ces formes ne sont
pas indéfinies : famille, religion, autorité, institutions, tel est son champ de bataille. Il aboutit
ainsi à une sorte de nihilisme, où il reste encore place, cependant, pour la pitié. On aurait tort,
en effet, de ne voir en Mirbeau qu'un pamphlétaire exaspéré et haineux ; sous ses pires
violences, il laisse deviner une âme très sensible et, au fond, tous ses emportements ne sont
que des révoltes de sa sensibilité. Il a pour les humbles, les faibles et l'humanité même en
général, une grande commisération : « Les décors, fait-il dire à l'un de ses personnages,
peuvent varier où l'âme de l'homme habite, mais l'âme est toujours la même... C'est la pauvre
âme humaine, avec ses appétits, ses intérêts, ses passions destructives, ses incohérences, ses
crimes, oui ! mais avec la lourde fatalité de ses misères aussi, et il faut la plaindre plus qu'il ne
convient de la haïr. » Cette compassion, Mirbeau l'étend aux animaux, qui souffrent aussi, Et
surtout, il a un culte profond pour la nature : il y voit la consolatrice maternelle et bienfaisante
de l'homme. C'est dans la nature que le héros du Calvaire l'a chercher la paix et l'oubli de ses
souffrances ; c'est dans la nature que l'abbé Jules trouve l'apaisement de son âme tourmentée :
« Aime la nature, recommande-t-il en mourant à son neveu, et tu seras un brave homme, et tu
seras heureux. » Et, si Mirbeau lui-même réprouve les institutions sociales, c'est parce qu'il y
voit « un renversement de la nature » ; par contre, avec quel attendrissement, avec quel amour
ne parle-t-il point des animaux ou des fleurs !
Cette sensibilité, toujours en éveil, que tente vainement de masquer une ironie féroce
et parfois grimaçante, si on ne la découvre pas tout d'abord, n'en reste pas moins le trait
caractéristique du tempérament de Mirbeau. C'est elle qui nous explique et la mobilité de son
caractère et la fougue de sa pensée, et la passion toujours vibrante de son style.

Les œuvres.

Outre de nombreux articles de journaux et de revues, Mirbeau a publié un recueil de


nouvelles : Lettres de ma chaumière (1885) ; des romans : Le Calvaire (1886), L Famille
Carmettes (1888), L'Abbé Jules (1888), Sébastien Roch (1890), Le Jardin des supplices
(1898), Le Journal d'une femme de chambre (1900), Les Vingt et un jours d'un
neurasthénique (1901), Dingo (1912) ; des impressions de voyage en Belgique : La 628-E8
(1907). Au théâtre, il a donné Les Mauvais Bergers (1897), L'Épidémie (1898), Vieux
ménages (1900), Le Portefeuille (1902), Scrupules (1902), Les affaires sont les affaires
(1903), Le Foyer (1908).
Félix GUIRAND.
Larousse mensuel, n° 123, mai 1917

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