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TRAVAIL SOCIAL INDIVIDUEL

1. Introduction

La pauvreté connait une multitude de causes qu’il n’est pas toujours évident d’élucider
clairement. Afin de me rendre compte de ce qui pourrait concrètement conduire une personne
dans une situation précaire, j’ai décidé de réaliser une rencontre avec une personne SDF de la
région de Charleroi et de débuter mon travail sur base de son récit de vie.

2. Cause

« J’ai suivi mes études en soudure dans une école professionnelle de Farciennes. A la sortie
de l’école, j’ai cherché mais je n’ai pas trouvé de travail. Je suis né en Belgique mais étant
d’origine marocaine, je pense que mon nom a du poser problème. J’ai donc trainé dans les
rues, je suis rapidement tombé sur de mauvaises fréquentations et je me suis laissé influencer.
C’est comme çà que je suis tombé dans la délinquance. Après plusieurs vols, j’ai été
condamné à faire de la prison. Et crois moi bien, quand on sort de prison c’est encore pire !
Aussi je voudrais te montrer l’incohérence du système : en prison, on nous laisse des
permissions de sortie pour trouver un travail et ainsi sortir plus tôt de prison mais comment
veux-tu trouver un travail alors que tu es prison ? On se présente et rien que le fait de dire
que l’on est détenu, on est refusé directement ! De toute façon même une fois sorti de prison,
rien ne change. Notre certificat de bonne vie et mœurs n’est pas vierge et cela dissuade très
vite l’employeur. Donc voilà, moi je n’ai pas droit au chômage ni au CPAS car le quota est
apparemment dépassé… Je n’ai pas de travail et par principe j’ai décidé de ne plus voler, je
fais donc la manche, c’est la seule alternative. Mais tu sais la rue c’est un cercle vicieux car
faire la manche toute sa vie c’est très difficile, on vit avec ce que l’on a récolté la journée,
c’est au jour le jour. C’est pourquoi, beaucoup de personnes qui sortent de prison et qui se
retrouvent dans la rue comme moi préfèrent récidiver juste pour améliorer leur situation. »1

Comme nous le relate ce récit de vie, Jamal, n’a pas trouvé de travail à la sortie de l’école et
fut, par conséquent, très vite confronté à une situation de vulnérabilité. Cette difficulté à
trouver un emploi est engendrée par deux éléments.

Le premier élément se trouve dans la fragilisation progressive que connue la commune de


Farciennes dès la seconde moitié du 20ème siècle. Ainsi, la désertification des usines et la
fermeture des charbonnages augmentèrent considérablement le taux de chômage et plongèrent
la commune dans une précarisation grandissante ; « Farciennes connu son déclin avec la
fermeture du dernier charbonnage wallon, à savoir le puits Sainte-Catherine de la société du
Roton, et la chute des industries sidérurgiques, jadis grosses pourvoyeuses d'emploi »2. Ayant
terminé des études en sidérurgie, il est aisé de comprendre que Jamal fut directement touché
par cette crise économique.
1
Témoignage de Jamal, jeune homme SDF de Charleroi, né le 21 mai 1968 à Farciennes
2
http://fr.wikipedia.org/wiki/Farciennes

1
Le second élément s’appuie sur la problématique de la discrimination à l’embauche. En effet,
on peut dire qu’un « plafond de verre » bloque l’ascension sociale d’un bon nombre de nos
concitoyens. Ceux-ci se voient discriminés en raison de leur patronyme, de leur couleur de
peau ou de leur appartenance supposée à un groupe ethnique. Ils sont, par conséquent, exclus
de la sphère économique et sociale. Jamal, d’origine marocaine, est également directement
concerné par ce deuxième élément.

L’insertion sociale repose sur le pilier fondamental de l’emploi. Sur base du témoignage, on
remarque que Jamal est confronté à une position fermée du marché de l’emploi. Dés lors, il se
trouve rapidement entrainé dans un processus de désinsertion et de désaffiliation social. Et
entre dans une phase de vulnérabilité sociale et économique. C’est ainsi que la « solution » de
la délinquance se présente à lui.
Par la suite, le cercle vicieux poursuit son cheminement. En effet, une fois la délinquance
survenue, généralement le passage en milieu carcéral est inévitable. Mais, celui-ci permet-il
de résoudre, de comprendre les causes de ladite délinquance dans le but d’une ascension
sociale ou poursuit-il la logique du cercle vicieux de la précarisation ?
Cela nous amène à poursuivre une réflexion : ‘’ Quel est la véritable mission de la prison
‘’ ? 3

Officiellement, la mission du système pénitencier est triple : protéger la société, assurer la


punition du condamné et permettre sa réinsertion. Les deux premières missions sont assurées
avec succès. Par contre, en ce qui concerne la mission de réinsertion, les failles se font
amplement ressentir.

Le terme ‘’réinsertion’’ est souvent utilisé mais selon moi, il serait sémantiquement plus
approprié de parler tout simplement d’insertion. Pour comprendre cela, il faut remonter à la
vie du détenu avant son passage en prison.
Si l’on se réfère au témoignage de Jamal, il est évident de remarquer qu’un problème
d’insertion était déjà présent avant l’emprisonnement. En effet, c’est la difficulté à trouver un
travail qui l’a plongé dans la délinquance. Et il est évident que le fait d’être sans emploi
empêche l’insertion sociale. Par conséquent, si dans la plupart des cas, le détenu est au
préalable un individu qui vit en marge de la société, il est donc plus adéquat de parler
d’insertion et non de réinsertion. Car cela supposerait que l’individu ait déjà été parfaitement
inséré à la société. Or, cela n’est souvent pas le cas.

De manière générale, la désinsertion est donc préalablement présente à la détention. Par


conséquent, le système pénitencier n’utilise pas un terme sémantiquement approprié
lorsqu’elle précise qu’une de ses missions est ‘’la réinsertion’’ des prisonniers dans la société.
Son vrai rôle devrait en réalité être l’insertion et la socialisation de marginaux ayant
outrepassés les limites de la vie en collectivité. Cela implique que la prison devrait être une
institution qui, bien entendu, permet aux détenus de conscientiser leurs actes mais aussi et
surtout, qui les aide à réapprendre les règles de la vie sociale, de la vie en communauté.
Autrement dit, une institution qui leur apprend ce qu’est réellement l’insertion sociale.

Cependant, l’encellulement ne fait qu’accentuer la désinsertion. En outre, celle-ci contribue à


une plus grande désocialisation et désaffiliation de l’individu. Cela est perceptible au travers
de la double rupture que connait le condamné à une peine d’emprisonnement.
3
Synthèse effectuée sur base des documents en bibliographie.

2
La première rupture est celle de l’entrée en prison. En effet, le détenu perd tous ses repères
habituels : famille, travail, logement… Il arrive dans un milieu inconnu dans lequel il est
complètement pris en charge et dans lequel il va perdre toute son autonomie.
De plus, le prisonnier connait progressivement une perte de liens sociaux, il est coupé du
monde extérieur. Bien que les visites au parloir peuvent encore le relier avec le monde
extérieur, celles-ci peuvent s’avérer inexistantes (absence de famille, d’amis,…) ou ont
tendance à se raréfier avec le temps.

La seconde rupture, quant à elle, touche directement la problématique de l’insertion sociale


post carcérale et intervient à la sortie du prisonnier de différentes manières.
Premièrement, l’institution carcérale « lâche brutalement les sortants de prison sur un
trottoir, le jour de leur libération, sans souvent les prévenir de leurs droits. Elle les a brisés,
dépersonnalisés, déstructurés durant des années, au point de transformer certains d’entre eux
en larves et en mollusques, et de les rendre incapables de refaire face à la vie extérieure. »4
La transition s’avère trop violente. Les anciens détenus ne sont pas préparés à faire face à la
vie en extérieure, à la vie en société.
Ensuite, dès sa sortie de prison, l’ancien détenu doit régulariser sa situation en matière
d’assurance soin de santé, document d’identité, permis de conduire,…Des tâches souvent
longues, laborieuses et qui de plus, mettent en exergue la désocialisation et la désaffiliation
dont a été victime le détenu.
Par ailleurs, les détenus sortent de prison sans aucune ressource. Mis à part les quelques
privilégiés qui jouissent d’un entourage familial et amical, la plupart d’entre eux sont seuls,
sans argent, sans emploi et sans abri. « L’administration adopte un langage humaniste pour
se donner bonne conscience ; Mais la réalité est là : 60% des sortants déclarent ne pas avoir
d’emploi et 20% des détenus sortent avec moins de 8 euros. »5 Dans ce contexte, il n’est pas
étonnant de remarquer qu’un grand nombre d’anciens détenus deviennent SDF et/ou
chômeurs.
Enfin, Le problème à l’embauche se fait ressentir dans la plupart des cas. En effet, et de
manière générale, les patrons refusent d’engager d’anciens détenus. Dès lors, il est facile de
remarquer que bien que l’ancien détenu ait purgé sa peine, la condamnation post-détention est
une réalité bel et bien présente.

3. Réponse

A Bruxelles, l’asbl APRES (Apprentissage Professionnel, Réinsertion Economique et


Sociale) a pris conscience que l’insertion sociale dépendait directement de l’insertion
professionnelle.

3.1 Objectif

C’est dans cet état d’esprit que l’APRES a défini son objectif principal comme étant l’aide à
la définition et à la réalisation du projet professionnel des personnes incarcérées.

4
http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=4692
5
http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=4692

3
3.2 Activités

« Les actions menées par l'APRES visent prioritairement la réinsertion professionnelle. L'asbl
propose à son public un travail de guidance et d'orientation qui peut débuter intra-muros
(dans les prisons de St-Gilles et St-Hubert) et se poursuivre le temps nécessaire à l'obtention
de résultats concrets. »6
Le travail d’orientation est l’étape préalable à la mise à l’emploi. Il se divise en deux pôles. Le
premier consiste à faire un bilan scolaire et professionnel de l’intéressé ainsi qu’à déterminer
les motivations, les intérêts de celui-ci. Le second pôle consiste à informer le détenu au sujet
des filières de formation, des services actiris, du marché du travail,…
Le travail de guidance quant à lui, se réalise autour d’entretiens réguliers intra et extra-muros.
Le but visé est l’accompagnement tout au long de la réinsertion professionnelle.

Outre ces actions, « l'APRES envisage aussi le parcours des personnes dans sa globalité et
tente de résoudre les problèmes annexes tels que la régularisation de la situation
administrative (ACTIRIS, Onem, mutuelle, syndicat, CPAS...), l'orientation vers une prise en
charge médicale ou psychologique, afin d'amener l'intéressé à retrouver une place dans la
société. »7

En accompagnant les personnes condamnés à une peine d’emprisonnement dès leur


incarcération, l’APRES contribue à la socialisation ainsi qu’à l’insertion sociale des détenus.

4. Remarque/Avis

Selon moi c’est vers cette manière de travailler qu’il faut tenter d’aller. La prison doit
contribuer à la reconstruction sociale de l’individu et doit tout mettre en œuvre pour que celle-
ci aboutisse. Là se trouve sa mission essentielle. Certes l’encellulement permet de
conscientiser les marginaux par rapport à leurs actes mais, se limiter à cela n’est ce pas une
manière de fataliser le destin de ces marginaux ?
‘’Prends conscience que l’acte que tu as commis n’est pas admissible, purge ta peine en guise
de réparation mais après débrouille-toi’’… Voilà le message que l’on fait implicitement
comprendre aux prisonniers !
La personne entrant en prison est déjà en marge socialement ; si la prison ne fait rien pour
pallier cette marginalisation, quelles sont les solutions proposées afin que l’individu puisse
sortir de cette spirale infernale ?

Si l’on veut pousser un peu plus loin la réflexion, on se rend compte que si rien n’est mis en
place, c’est parce qu’en réalité, aucun intérêt n’est porté aux marginaux. Nous vivons dans
une société implicitement sélective qui permet l’unique évolution des personnes ‘’conformes’’
aux normes sociales. (Bien que rien ne définit ce qu’est la normalité, mais c’est ici un autre
sujet de réflexion.)
Dans cet état d’esprit, le marginal n’a pas sa place et il est plus facile de le mettre à l’écart au
sein d’une prison.

6
http://www.apresasbl.be/missions_isp.html
7
Ibid.

4
Ne devrions-nous pas d’une part, humaniser la prison en considérant les prisonniers avant tout
comme des personnes et d’autre part, socialiser celle-ci en y mettant en place une réelle
structure d’aide et de soutien ? Il me semble primordial que la prison doive chercher à
comprendre les prisonniers en tentant de mettre en exergue les raisons de leur marginalité. En
effet, pour résoudre un problème quelconque, il faut dans un premier temps connaitre les
raisons dudit problème. Or, la prison ne fonctionne pas de la sorte, elle se limite à encelluler
des individus qui posent problème à la société sans admettre que si ces personnes sont
problématiques à la société, c’est sans aucun doute parce qu’elles ont elles-mêmes un
problème.

Nous voilà dans un cercle vicieux ! En effet, on enferme des personnes qui posent problème
sans même les comprendre. Elles se retrouvent alors isolées, désaffiliées, désocialisées
davantage. Une fois la peine purgée, on rend ces mêmes personnes à leur milieu de départ, un
milieu poussant à la marginalité! C’est le serpent qui se mord la queue ! Je ne me considère
pas comme voyante en affirmant que dans la plupart des cas, ces ex détenus récidiveront. Tout
est mis en œuvre pour cela. La triste logique est la suivante : ‘’marginal tu es, marginal tu
resteras ! ‘’ Or, je pense qu’aucune personne ne peut tendre vers l’amélioration ou le
changement si elle ne trouve aucun soutien autour d’elle. Et, selon moi, c’est la société elle-
même qui doit veiller à apporter ce soutien en mettant notamment en place des structures qui
poursuivent des objectifs similaires à ceux de l’asbl APRES.

« Les hommes se plaisent à penser qu'ils peuvent se débrouiller seuls, mais


l'homme, le vrai, sait que rien ne vaut le soutien et les encouragements d'une
bonne équipe. »
Citations de Tim Allen

5
Bibliographie
Joël Troussier, « J’aurais préféré que l’on me tue » ; Presses de la Renaissance ; Paris ; 2002.

L’encyclopédie en ligne Wikipédia : www.wikipedia.org

Site de l’association BAN PUBLIC : www.prison.eu.org:

Site de l’Observatoire International des Prisons : www.oip.org

Site de l’asbl APRES : www.apresasbl.be

L'émission "Tout autre chose" du 08/05/2008 animée par Véronique Thyberghien et diffusée
en radio sur La Première RTBF sur le thème "La prison et après?".

Interview avec Jamal, une personne SDF de Charleroi.

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7

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