NARRATIFS NATURE DU MODULE: DISCIPLINAIRE ENSEIGNANTE : MME SAYOURI HOUDA Plan du cours
I-Sources des textes narratifs (suite) les genres narratifs majeurs
A-La nouvelle B-Le roman II-Les genres du récit A-L ’autobiographie B- Le récit de voyage C- Le récit historique D-Le journal Les mémoires E-La correspondance Conclusion I-Sources des textes narratifs (suite) les genres narratifs majeurs A- La nouvelle La nouvelle est un récit court apparu à la fin du Moyen Âge, ce genre littéraire était alors proche du roman et d’inspiration réaliste, se distinguant peu du conte. À partir du xix e siècle, les auteurs ont progressivement développé d’autres possibilités du genre, en s’appuyant sur la concentration de l’histoire pour renforcer l’effet de celle-ci sur le lecteur, par exemple par un dénouement surprenant. Les thèmes se sont également élargis : la nouvelle est devenue une forme privilégiée de la littérature fantastique, policière, et de science-fiction. Bâdi al-Zamâne al-Hamadhani (en), écrivain iranien (de Hamadan ancienne capitale de la Perse) du xème siècle passe pour être l’inventeur de la « nouvelle », ou tout du moins son précurseur à travers le maqâma. Par contre en France, la nouvelle prend naissance au Moyen Âge. Elle vient s’ajouter, et en partie se substituer, à une multitude de récits brefs : fabliaux, lais, dits, devis, exemple, contes, etc… Les nouvelles étaient d’abord de petites histoires anonymes distribuées gratuitement dans la rue, et qui se distinguaient en deux groupes : les exemplums, qui étaient des récits religieux prêchant la morale et les dons à l’église, et les « canards », racontant des faits divers comme des vols, des tromperies, ou des meurtres. Ces derniers ont donné aujourd’hui le mot argotique désignant le journal, qui lui-même rapporte des faits divers. Directement inspiré du Décaméron (1349- 1353) de Boccace, le premier recueil de nouvelles françaises, anonyme. Mais c’est le xvi ème siècle qui voit le véritable essor du genre. En 1558, avec L’Heptaméron, Marguerite de Navarre donne au genre ses premières lettres de noblesse : dans ce recueil inachevé de 72 récits, voisinant avec les récits licencieux hérités des fabliaux, on trouve des histoires plus graves, où l’anecdote laisse en partie la place à l’analyse psychologique. Publiées en 1613 et traduites en français deux ans plus tard, les Nouvelles exemplaires de Miguel de Cervantes, l’auteur de Don Quichotte, connaissent un succès considérable et constituent pour longtemps la référence. Sous leur influence, le genre subit une évolution double, déterminée par ses relations avec le roman. Dans un premier temps, on voit la nouvelle se rapprocher de celui-ci par ses sujets et sa composition : ainsi, La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette est considérée, au moment de sa parution, comme une nouvelle. Les romans contemporains intègrent d’ailleurs souvent en leur sein des nouvelles, sous la forme de digressions à l’intérieur du récit principal, ou d’histoires racontées par des personnages à d’autres. Mais la nouvelle se distingue cependant des romans de l’époque, extrêmement longs et touffus, par son action plus resserrée. C’est cette conception qui, dans les dernières décennies du xviiième siècle, l’emporte finalement sur la nouvelle « petit roman », et qui se développe au cours du siècle suivant. Toutefois, le xixe siècle est considéré comme l’âge de l’essor de la nouvelle. Et d’Honoré de Balzac ( La Maison du chat-qui-pelote, Contes drolatiques) à Gustave Flaubert(Trois contes), de Victor Hugo (Claude Gueux) à Stendhal (Chroniques italiennes), d’Alfred de Musset à Barbey d’Aurevilly (Les Diaboliques), de George Sand (Nouvelles) à Zola(Contes à Ninon), il n’est guère de romancier d’importance qui n’ait écrit de nouvelles, et même de recueil de nouvelles. Certains, comme Prosper Mérimée, Jean de La Varende, Guy de Maupassant qui en a écrit plus de trois cents dans dix-huit recueils publiés de son vivant, Anton Tchekhov qui a écrit six cent vingt nouvelles B- Le roman Le roman est un genre littéraire, caractérisé pour l’essentiel par une narration fictionnelle plus ou moins longue. La place importante faite à l’imagination transparaît dans certaines expressions comme « C’est du roman ! » ou dans certaines acceptions de l’adjectif « romanesque » qui renvoient à l’extraordinaire des personnages, des situations ou de l’intrigue. Le roman, d’abord écrit en vers assonantiques au XIIème siècle avant de l’être en prose au début du xiiie siècle, se définit aussi par sa destination à la lecture individuelle, à la différence du conte ou de l’épopée qui relèvent à l’origine de la transmission orale. Le ressort fondamental du roman est alors la curiosité du lecteur pour les personnages et pour les péripéties, à quoi s’ajoutera plus tard l’intérêt pour un art de peindre. Au fil des derniers siècles, le roman est devenu le genre littéraire dominant avec une multiplicité de sous-genres qui soulignent son caractère polymorphe. En revanche, toute tentative de définition satisfaisante du roman est étroitement liée à l’identification de ses origines. Ainsi, nombreux sont les théoriciens du roman qui ont cherché à appuyer leurs théories génériques sur des théories génétiques. Ce terme sert originellement à désigner une langue utilisée au Moyen Âge, la langue romane, issue de la langue utilisée au nord de la France, la langue d’oïl, qui prévaudra sur la langue d’oc du sud de la France. Cette langue, née de l’évolution progressive du latin, remplace ce dernier dans le nord de De manière synthétique et générale, on peut dire que le texte romanesque est un récit de taille très variable, mais assez long, aujourd’hui en prose, qui a pour objet la relation de situations et de faits présentés comme relevant de l’invention, même si l’auteur recherche souvent un effet de réel, ce qui le distingue du simple récit- transcription (biographie, autobiographie, témoignage…), mais aussi du conte, qui relève du merveilleux. La diversité des tonalités littéraires présentes dans les romans est d’ailleurs totale. Le roman appartenant au genre narratif, on peut rendre compte de l’enchaînement plus ou moins complexe des événements d’un roman en établissant le schéma narratif de l’œuvre et définir le principe général de l’action par le schéma actantiel qui expose les différents rôles présents dans le récit. On peut également définir le statut du narrateur (ou des narrateurs), distinct(s) de l’auteur, ainsi que les points de vue narratifs choisis et la structure chronologique de l’œuvre. Genre polymorphe, le roman exploite aussi bien les différents discours (direct, indirect, indirect libre), la description (cadre spatio-temporel – portraits) que le récit proprement dit (péripéties), le commentaire ou l’expression poétique. La vision, la popularité et la forme du roman a évolué au cours des siècles. II-Les genres du récit A-L ’autobiographie et les genres narratifs avoisinants INTRODUCTION L’autobiographie est genre littéraire narratif qui nait consciencieusement au XVIII e siècle avec Jean Jacques Rousseau. C’est une naissance plus ou moins tardive par rapport aux autres genres narratifs, car avant Rousseau le geste autobiographique est lié le plus souvent à une pratique religieuse ou morale comme les Confessions écrites entre 397-400 par Saint Augustin, ouvrage plutôt théologique qu’une narration de sa propre vie. Le sens contemporain de l’autobiographie n’aurait pu voir le jour sans la présence d’un certain nombre de conditions et de critères. Ce genre narratif est toujours d’actualité ; il le plus dominant et le plus abordé par les critiques et les théoriciens de la littérature, car son souffle est partout présent dans les autres genres par l’effet de contamination. Définition du genre Philippe Lejeune est le spécialiste le plus en vue de l’autobiographie. Il est le premier à avoir soulevé les problèmes de construction de l’existence individuelle et surtout à réfléchir comment la vie d’un individu pouvait, en s’écrivant, obtenir forme et sens. Dans son ouvrage intitulé Le pacte autobiographique (1975), il définit l’autobiographie comme étant « le récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Mais pour parler d’une autobiographie comme genre au sens plein du terme, Philippe Lejeune insiste à ce qu’il y ait identité entre les noms du narrateur, de l’auteur et du personnage. En outre, il met une condition, ce qu’il nomme le pacte autobiographique. Il dit que « pour qu’il y ait une autobiographie, il faut que l’auteur passe avec ses lecteurs un pacte, un contrat, qu’il leur raconte sa vie en détail, et rien que sa vie. » Le pacte autobiographique Selon Lejeune, le pacte autobiographique est un engagement explicite ou non qui doit être noué entre l’auteur de l’autobiographie et son lecteur. C’est un engagement solennel à travers lequel l’auteur s’engage à se montrer tel qu’il est, dans « toute la vérité de la nature de leur récit autobiographique ». Cet engagement implique que l’auteur doit tout dévoiler dans une parfaite vérité, quitte à se ridiculiser en montrant ses défauts. Lejeune prend comme exemple prototypique du pacte autobiographique celui des Confessions de J.J Rousseau : Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon ; et s’il m’est arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. A travers ce « pacte autobiographique », nous constatons que ce geste est lié à une pratique religieuse ou morale. L’auteur n’existe pas véritablement pour lui-même, mais c’est vers Dieu qu’il se tourne. Le mot « confession », qui dénote l’aveu et la déclaration d’un péché, est primordialement d’ordre religieux : « (…) je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. » JJ. Rousseau Apparemment, Rousseau s’inspire du modèle lointain des Confessions de Saint Augustin qui se retourne sur sa propre existence en inscrivant son geste dans le cadre religieux de la confession : Je veux me souvenir de mes hontes passées et des impuretés charnelles de mon âme. Non que je les aime, mais afin de vous aimer, mon Dieu. (II, 2) Il faut dire que cette définition n’a pas eu l’unanimité chez bon nombre de théoriciens. Beaucoup de critiques considère ce pacte autobiographique qui trace une théorie de l’écriture autobiographique fondé des bases solides pour la classification des textes, est inacceptable.
Car il y a des auteurs qui avoue ce pacte mais ils finissent par la suite à rejeter l’aspect référentiel de leurs romans. De plus, dans des autobiographies, on évoque certes le passé et le présent, mais il y en a d’autres qui évoquent même leurs futures réalisations. L’autobiographie n’est pas seulement un récit rétrospectif. Le problème de la mémoire Si l’autobiographie consiste donc en un retour aux expériences du passé, aux traumatismes d’enfant et d’adolescent etc, bref ce qu’on appelle autrement la bio-référentialité, la question qui se pose : Est-ce que l’on peut tout dire sur soi ?Est-ce que l’on est capable de se rappeler de tous les détails de sa vie, des plus anodins au plus importants ?Est-ce que finalement l’auteur ne finit pas par écrire un roman au lieu d’une autobiographie ? Ces questions nous confrontent au problème de la mémoire qui peut corrompre le pacte autobiographique. La mémoire est de nature déficiente et amnésique et, ne pouvant se rappeler de tout, l’autobiographie bascule dans la fiction. Ainsi, l’autobiographie n’existe peut-être pas aux yeux du lecteur, car celui-ci digère plus facilement l’envahissement de la fiction par des éléments biographiques que la contamination de l’autobiographie par la pure invention. Le lecteur accepte sans résistance le mensonge déclaré comme tel, au lieu d’une d’une fausse déclaration de la véracité. Rien n’empêche les auteurs de mentir-vrai, comme aurait dit Aragon, du moment où les règles de jeu sont connues d’avance. Critères du genre Il faut dire que les Confessions, autobiographies anciennes, se distinguent des autobiographies modernes par la dissolution du MOI, ce moi qui s’adresse avant tout à Dieu l’omniscient auquel il s’avoue comme interlocuteur unique et privilégié. Si l’auteur s’adresse à un auditoire humain, il ne le prend que pour témoin. L’ancienne autobiographie comme celle de Saint Augustin (354-430) a une visée édificatrice Augustin retrace son cheminement dans l’espoir que l’exemple de sa conversion soit suivi. Généralement, les critères de l’autobiographie sont les suivants : Le récit en prose à la première personne du singulier (Je) qui est en même temps l’auteur (le producteur du texte), le narrateur (l’instance qui dit Je) et le protagoniste (le Je dont il est question) : ce sont une seule et même personne ;Le pacte autobiographique ;l’écriture autobiographique suppose une réflexion approfondie sur le moi : l’autobiographie retrace la genèse d’une individualité ; son contenu est centré sur la vie individuelle. En somme L’autobiographie est sensée être exemplaire et véridique : elle nourrit l’intention de dire toute la vérité et rien que la vérité. Le récit est rétrospectif, il n’est jamais projeté dans le futur, car l’écriture autobiographique n’intervient qu’après l’événement ; Les temps verbaux utilisés sont le passé (le passé simple et l’imparfait. Lorsque l’auteur recourt au présent, c’est pour porter un regard critique de l’adulte qu’il est sur l’enfant qu’il était. NB : l’autobiographie est généralement en prose, mais il existe des écritures autobiographiques en vers ( Queneau, Chêne et chien, Roubaud, Quelque chose noir, etc.). Genres avoisinants de l’autobiographie Introduction L’autobiographie prête à confusions avec d’autres genres narratifs avoisinants. Bien que ceux-ci s’en inspirent, il reste que chaque genre a ses caractéristiques propres. L’autoportrait, le journal intime, les mémoires, le roman autobiographique, l’autofiction sont autant de genres théorisés qui racontent sa propre vie. Ainsi l’on se trouve devant des dénominations génériques et d’étiquettes critiques suite à l’inventivité des écrivains qui tentent perpétuellement d’innover le genre comme : autobiographie romancée, romanesque autobiographique, fausse autobiographie, autobiographie fictionnelle, fiction romanesque, autobiographie monocorde, autobiographie mensongère, nouvelle autobiographie etc. Ces dénominations traduisent clairement le rapport complexe que le récit autobiographique entretient la réalité. A-1. LES MEMOIRES C’est un genre narratif qui consiste en l’écriture de sa propre vie par une personne qui a joué un rôle important dans des événements historiques. Il relate soit sa vie d’acteur dans les événements, soit son témoignage le plus souvent pour justifier ses actes et saisir les traits généraux de sa personnalité. L’auteur raconte et explique le déroulement des événements en faisant part de sa vision personnelle des faits. Le « je » des mémoires est souvent moins central et moins intime que celui de l’autobiographie. C’est le cas de Mémoires de guerre de Charles De Gaule. Ainsi, on peut parler de roman-mémoires. A-2.L’autoportrait L’autoportrait est une forme voisine de l’autobiographie : le projet de raconter l’histoire d’une personnalité n’est pas avoué. L’auteur veut montrer ce qu’il est, et non pas comment il l’est devenu. Il ne présente pas de récit suivi et chronologique : il est fondamentalement non narratif où l’autoportraitiste peut raconter les souvenirs, les rêves, les fantasmes ainsi que ses propres réflexions. Exemples d’autoportrait : Montaigne, Essais ; Leiris, L’Âge d’homme. A-3.Le journal intime En principe, comme son nom l’indique, le journal intime n’a pas d’autre destinataire que l’auteur lui-même : le diariste (Un diariste est donc une personne qui tient un journal intime). Il est écrit au jour le jour, à la première personne et il est daté. Le diariste ne l’écrit pas pour plaire, ni pour se valoriser soi- même comme dans le cas de l’autobiographie. Il exprime ses émotions et ses sentiments, prend du recul par rapport aux événements qu’il vit, aux personnes qu’il a rencontrées, à ses lectures etc. Le tout est écrit dans une liberté totale, car aucune structure ne lui est imposée. Le journal est parfois rédigé en style télégraphique : « Pluie battante ce matin ; réinvasion des idées grises. » (André Gide, Journal, 1er mars 1912) Bien que confidentiels, les journaux intimes sont souvent publiés soit du vivant de leurs auteurs, soit après leur mort : c’est le cas de Choses vues qui rassemble des carnets, des souvenirs et des fragments que Victor Hugo n’a pas eu le temps de retravailler ou de publier. A-4.Le roman autobiographique Le roman autobiographique est un genre littéraire issu de l’ autobiographie ainsi que du roman-mémoires. Il n’est pas tout à fait aussi important que l’autobiographie, car le plus souvent il ne raconte qu’une tranche de vie d’un personnage qui se confond ou s’inspire de la vie de l’auteur : le roman autobiographique se focalise en général soit sur la vie de l’enfance ou celle de son âge adulte. Dans le roman autobiographique, le plus souvent le narrateur raconte les problèmes familiaux ou de cœur qu’il a endurés, les moments difficiles qu’il a vécus etc. L’écriture est ici souvent un processus cathartique pour se réconcilier avec une page douloureuse de sa vie. A titre d’exemple Le pain nu de Mohammed Choukri qui raconte la vie misérable de son enfance, La confession d’un enfant de siècle d’Alfred de Musset où il raconte l’aventure de son amour avec George Sand. A-5.L’autofiction Depuis le roman écrit par Serge Dobrovsky intitulé Fils en 1977, l’écrivain a forgé un néologisme pour désigner un nouveau genre littéraire proche de l’autobiographie mais qui s’en éloigne par plusieurs caractéristiques : c’est l’autofiction. Dans l’autofiction, il s’agit d’associer deux types de narrations opposés : c’est un récit fondé, comme l’autobiographie, sur le principe des trois identités (l’auteur est aussi le narrateur et le personnage principal), mais qui se réclame cependant de la fiction : c’est un mélange de la vie réelle de l’auteur ainsi que de la fiction dont le but est que le lecteur ne s’identifie pas obligatoirement au narrateur. B-Le récit de voyage INTRODUCTION Il est tantôt récit de quête ou d’exil, de découverte ou de commémoration, tantôt voyage au long cours, narration s’improvisant sur la route ou recomposition du souvenir. Le récit de voyage dont les approches sembles multiples, reste difficile à cerner parce qu’il est souvent fait de bribes, d’impressions, de descriptions et de digressions. Il témoigne cependant d’un bouleversement de la pensée occidentale. En effet, à partir du XIXème siècle, l’Orient s’avère un espace investi d’imaginaire, lieu de mémoire et un espace vide invitant à rêver grâce à la photographie ou l’écriture. Un récit de voyage ou relation de voyage est alors un genre littéraire dans lequel l’auteur rend compte d’un ou des voyages, des peuples rencontrés, des émotions ressenties, des choses vues et entendues. Contrairement au roman, le récit de voyage privilégie le réel à la fiction. Pour mériter le titre de « récit » et avoir rang de littérature, la narration doit être structurée et aller au-delà de la simple énumération des dates et des lieux (comme un journal intime ou un livre de bord d’un navire). Cette littérature doit rendre compte d’impressions, d’aventures, de l’exploration ou de la conquête de pays lointains. Le récit de voyage peut être aussi cinématographique. Avec la Renaissance, deux faits concomitants expliquent l’explosion de la littérature de voyage : l’invention de l’imprimerie et la diffusion du papier font du livre un objet plus abordable ; la découverte par les Européens des côtes d’ Afrique puis du Nouveau Monde attise sinon la soif de l’or du moins celle de la connaissance. Texte d’application Les royaumes de Java Alors que son voyage aller s’était déroulé par voie terrestre, Marco Polo revient de Chine en empruntant la voie maritime, ce qui était nouveau à l’époque. À cette occasion, il découvre ce qu’il appelle les « huit royaumes » de Java. Le royaume de Pasaman est un royaume indépendant, et qui possède une langue spécifique. Eux aussi sont comme des bêtes, car ils n’ont aucune loi. Ils se disent certes sujets du Grand Khan, mais étant fort loin, ils ne lui paient aucun impôt. Toutefois, ils se réclament de lui. Mais si les soldats du Grand Khan pouvaient y venir et circuler, ils les auraient déjà assujettis. Parfois ces gens lui font d’étranges présents. Ils ont de nombreux éléphants, et aussi de nombreuses licornes, qui sont à peine moins grandes que les éléphants. Voici à quoi elles ressemblent : elles ont le poil du buffle, le pied de l’éléphant, et portent une très grosse corne au milieu du front. Elles ne font aucun mal avec cette corne, mais avec leur langue, car elles ont sur la langue des épines très longues. Elles ont la tête semblable à celle du sanglier, et la tiennent toujours inclinée vers le sol. Elles demeurent volontiers entre les étangs et les marais. C’est une bête très laide. […]
Marco polo, Le Livre des
merveilles, extrait (Petits classiques Larousse. C-Le récit historique INTRODUCTION Le récit historique est une forme de narration particulière qui permet d’acquérir une culture historique. La quantité des sources historiques récoltées est telle que l’historien doit sélectionner et classer les informations en fonction des questions qu’il se pose, les met en contexte et en perspective, relie les faits les uns aux autres, tisse une trame de causalité(s), identifie le rôle des acteurs, etc. Ce travail sur le passé crée un objet qui a du sens : c’est la narration (production d’un récit) qui est le propre de l’Histoire. Les faits exposés y sont donc reconnus pour vrais donc différents de la fiction. « L’histoire est un roman mais un roman vrai » (Paul Veyne). C-1. Les caractéristiques du récit historique – il repose sur une « mise en intrigue » qui suppose un bornage chronologique, un fil directeur et une visée démonstrative et interprétative.
– il a pour but d’éclairer et de donner du sens à un événement, une
situation, une période historique.
– il n’est pas une simple chronologie de faits, il doit montrer la
dynamique d’une action ou d’agencement de faits. Il a un sens.
– il met en scène des acteurs : individuels (personnages historiques),
collectifs (groupes sociaux), concrets ou abstrait (entités, concepts).
– il intègre à la différence de la narration littéraire une explication :
toute affirmation est justifiée, les faits sont expliqués et ont des conséquences (principe de causalité). Le récit historique est une forme de narration bien particulière. Quoiqu’il mette en scène des actants-acteurs, il possède des acteurs individuels appelés des personnages historiques. C’est à travers ce genre littéraire, qui comporte des faits historiques, que leur histoire et leurs émotions sont racontées. Et puisqu’il parcourt le temps, le récit historique doit respecter une structure chronologique. Ce genre littéraire évoque le passé à travers une fiction et respecte les faits historiques. Les personnages peuvent être choisis à l’aide de faits vécus. Il faut donc viser une certaine vraisemblance, car on fait revivre des personnages qui ont réellement existé (par exemple, des personnages et des héros du passé). Le récit historique raconte la vie d’un ou de plusieurs personnages en tant que témoins d’une époque. Ainsi, on donne vie à ces personnages dans la réalité historique. Pour l’historien, le récit de voyage est également une source historique qu’il convient de contextualiser et d’analyser. Les récits de voyage apportent des éléments précieux pour éclairer l’histoire des relations internationales, l’histoire sociale et politique de régions traversées par le voyageur, voire l’histoire des cultures matérielles, de l’alimentation, des religions etc. Depuis les années 1980, les relations de voyage en Afrique produites par des Européens dès le xve siècle ont fait l’objet d’essais d’analyse historique, et des publications scientifiques comprenant un appareil critique développé, ont été produites. Soumis à une analyse historique rigoureuse, ces récits de voyage s’avèrent précieux pour reconstituer des fragments de l’histoire de l’Afrique durant les cinq cent dernières années. D- Le journal et les mémoires Le journal est à la fois une pratique ordinaire et un genre littéraire. Il apparaît sous sa forme moderne à la fin du xviiie siècle dans le milieu bourgeois qui voit la promotion de l’individu dans la société post- révolutionnaire. Un journal intime (ou personnel) est donc un texte rédigé de façon régulière ou intermittente, présentant les actions, les réflexions ou les sentiments de l’auteur. Ses entrées sont habituellement datées. Il peut être tenu de façon plus ou moins régulière au long d’une existence ou seulement sur une période particulière : maladie, guerre, deuil, problèmes familiaux… Comme pratique ordinaire, il est en général destiné à être gardé secret, temporairement ou définitivement. Comme pratique littéraire, il est souvent destiné, à plus ou moins court terme, à une publication partielle ou totale. D’après les statistiques du ministère de la culture, environ 8 % des Français tiennent un journal personnel ou notent leurs impressions ou réflexions, ce qui montre que la pratique de l’écriture de soi intermittente est loin d’être marginale. Une enquête de Philippe Lejeune, réalisée entre 1987 et 1988, en a précisé les modalités. Le développement d’une association comme L’Association Pour l’Autobiographie, qui recueille tous les textes autobiographiques depuis le début des années 1990, est un signe de l’importance de cette pratique et de la valeur qui lui est accordée par ceux qui s’y livrent. Toutefois, la forme reconnue du genre reste celle des journaux d’écrivains ou d’intellectuels : Maine de Biran, Benjamin Constant, Stendhal, Jules Michelet, Henri-Frédéric Amiel, Edmond et Jules de Goncourt, Marie Bashirtseff, Léon Bloy pour le xixe siècle, et Paul Léautaud, André Gide, Valéry Larbaud, Julien Green, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir etc. Les Mémoires (uniquement au masculin pluriel et avec une majuscule dans cette acception) sont des œuvres historiques et parfois littéraires, ayant pour objet le récit de sa propre vie, considérée comme révélatrice d’un moment de l’Histoire. Plus précisément, il s’agit d’un recueil de souvenirs qu’une personne rédige à propos d’événements historiques ou anecdotiques, publics ou privés. Des Mémoires ont été écrits depuis l’Antiquité, comme l’illustre l’exemple emblématique des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César. Puis, le genre s’est établi au Moyen Âge avec Geoffroi de Villehardouin, Jean de Joinville ou Philippe de Commynes, avant de se développer à la fin de la Renaissance, essentiellement en France (exemple : Blaise de Monluc) et jusqu’à l’âge classique, avec La Rochefoucauld, Retz, Saint-Simon. Le genre des Mémoires s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui avec de grands textes au xxe siècle (Churchill, De Gaulle), mais aussi avec des témoignages de toute sorte et des récits de vie de célébrités souvent écrits avec l’aide de collaborateurs (Philippe Noiret, Mémoire cavalière). Il en va de même pour les récits de moments hors du commun qui, sans mériter le nom de mémoires parce que la période considérée reste limitée, relèvent de l’« écriture mémorialiste » et ont parfois produit de grands textes littéraires comme ceux d’Ernst Jünger ( Orages d’acier) et de Roland Dorgelès (Les Croix de bois) pour la Première Guerre mondiale, ou de Primo Levi avec Si c’est un homme et Elie Wiesel avec La Nuit sur leur expérience concentrationnaire. Le genre des Mémoires est proche de l’ autobiographie qui associe écriture de soi et récit de vie mais il s’en distingue étant donné qu’il met l’accent sur le contexte historique de la vie de l’auteur et sur ses actes plus que sur l’histoire de sa personnalité et sa vie intérieure. Les Mémoires relèvent donc de l’Histoire et de l’historiographie et la qualité littéraire de certains de ces textes les a fait reconnaître comme appartenant à la littérature et dans ce sens on peut parler du genre littéraire des Mémoires. Certains Mémoires sont d’ailleurs considérés comme des chefs-d’œuvre littéraires : c’est le cas des œuvres citées précédemment ou des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, qui montrent bien la difficulté de la catégorisation entre Mémoires et autobiographie. Le travail sur le style, le questionnement de la mémoire et le souci de parler de l’humanité entière à travers le récit de sa vie sont la marque des Mémoires que la littérature place à l’égal des grandes œuvres des romanciers qui ont d’ailleurs souvent été fascinés par les mémorialistes et qui se sont nourris de leurs lectures comme Stendhal, Balzac, Dumas ou Marguerite Yourcenar. La différence majeure entre l’autobiographie et les Mémoires réside dans la nature des faits racontés : dans le premier cas, le récit est centré sur la vie privée de l’auteur ; dans le second, sur son époque. Dans les Mémoires, l’auteur raconte sa propre vie mais en axant son récit sur des faits historiques auxquels il a assisté en qualité de témoin ou pris part en tant qu’acteur. Les Mémoires permettent donc à celui qui les compose de mêler vie privée et vie publique mais en donnant plus de relief à la seconde. L’auteur emploie ce biais pour apporter son propre témoignage et éclairage sur une période historique déterminée – et bien souvent, profiter de l’occasion pour rappeler son action et privilégier son point de vue. E-La correspondance La correspondance est un échange de courrier généralement prolongé sur une longue période. Le terme désigne des effets personnels plutôt qu’administratifs. La correspondance peut aussi devenir le support d’une œuvre épistolaire, c’est-à-dire un échange régulier de message dont le contenu a une valeur littéraire avérée (si les lettres sont fictives, on parlera de roman épistolaire). Cet aspect de la littérature s’est particulièrement affirmé à partir du XXème siècle, en concomitance avec le développement de la sociologie de l’art. L’échange de lettres, ou correspondance, est un usage social, dont les formes sont plus ou moins codifiées, mais c’est également un genre littéraire. En principe, la communication s’établit entre deux personnes : l’auteur de la lettre et son destinataire, cependant dans bien des cas elle peut s’élargir. C’est donc un genre très souple, que chaque époque adapte à ses besoins. En revanche, il existe différents types de lettres : E-1 Les lettres commerciales et administratives L’objectif des lettres professionnelles, commerciales ou administratives, est l’efficacité : elles doivent être concises et claires et se conforment à des modèles précis (mention de la date, identification du récepteur : Monsieur le Directeur, Cher client, etc. ; objet de la lettre, etc.). Les formulations et le vocabulaire y sont strictement codifiés. E-2.Les lettres rituelles On les envoie traditionnellement pour inviter, remercier, féliciter, faire parvenir des vœux ou des condoléances, etc. Lorsqu’elles ne s’adressent pas à des intimes, elles reproduisent la plupart du temps des formules toutes faites : Bonne et heureuse année, Tous mes meilleurs vœux, etc. E-3.Les lettres intimes Elles peuvent être conventionnelles et respecter des codes, en particulier pour l’adresse (Chère Madame, Mon cher ami, Cher cousin, etc.) et pour la formule de politesse finale (Bien amicalement, Je vous embrasse affectueusement, etc.).Dans ce cas, elles adoptent un registre plutôt soutenu. Elles peuvent aussi être tout à fait libres et inventives, allant du simple billet écrit à la hâte au long récit détaillé ou à une sorte de journal de ses impressions et de ses sentiments. E-4 .La correspondance électronique Ce nouveau mode de communication suscite des échanges rapides de messages. Moins formel, plus immédiat et sans doute plus facile que la correspondance traditionnelle, sur papier, le courrier électronique crée une « conversation permanente » entre des personnes parfois très éloignées. Il favorise un nouveau mode d’écriture, qui comporte des abréviations, des néologismes, des combinaisons d’images et de signes. Il est utilisé aussi bien professionnellement que de façon privée. E-5 .Le roman par lettres Certaines œuvres prennent la forme d’une seule longue lettre, ce qui permet à l’auteur de développer son point de vue. Dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), Jean-Jacques Rousseau exprime son opinion sur le théâtre et sur la société. Dans la Lettre du voyant (1871), Arthur Rimbaud développe sa conception de la poésie. Le roman épistolaire se présente sous forme de lettres fictives, dont les auteurs sont les personnages du récit. Dans les Lettres persanes (1721), Montesquieu imagine la correspondance de deux Persans qui visitent la France, Rica et Usbek. Tout en racontant leur voyage, ils critiquent indirectement les mœurs et le gouvernement français. Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, ne sont constituées que de lettres : on apprend à travers elles les projets des personnages et leurs péripéties.