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Poésie et versification

Notions de versification française

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Poésie, n. f., du lat. poesis, du gr. poiêzis, action de faire,
création, art de composer des œuvres poétiques; au sens
littéraire : art du langage, généralement associé à la
versification, visant à exprimer ou à suggérer quelque
chose au moyen de combinaisons verbales où le rythme,
l’harmonie et l’image ont autant et parfois plus
d’importance que le contenu intelligible lui-même.

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Les substantifs poésie, poème et poète ont en commun la
racine grecque poiein, « faire », c’est-à-dire à la fois
« fabriquer » et « créer ». D’emblée, la poésie apparaît donc
comme la création artisanale d’un objet de mots, et comme le
résultat d’une inspiration artistique. Ainsi, le poète (poiêtês)
peut être conçu comme « auteur, créateur » ou comme «
fabricant, artisan » : cette origine double informe toute
l’histoire de la poésie.

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La lecture de la poésie
La lecture de la poésie demande une démarche
particulière. Il s’agit de prendre en compte :
a) la disposition des mots et des phrases, d’où
l’intérêt d’étudier la métrique et les rythmes ;
b) la musicalité du poème, d’où l’intérêt de
l’étude des rimes et des sonorités,
c) le pouvoir d’évocation, d’où l’intérêt d’étudier
les images.
Bref, le poème est un choix de mots, de sonorités,
de rythmes, d’images. Tous ces choix définissent
l’univers poétique propre à chaque poète. 4
L’analyse des textes poétiques

L’analyse des textes poétiques n’est guère


possible si l’on ignore tout des principes, des
techniques auxquels ils se nourrissent. Par
conséquent, il convient de se familiariser avec les
règles de la versification classique pour
comprendre de quelle façon les poètes entendent
signifier leur présence au monde, leurs idées et
leurs sentiments.

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Définitions des notions

-La versification est l’art et la technique de la


composition des vers réguliers (du lat. versificatio, art
de faire des vers, composition en vers, œuvre en vers).
Un poème est composé de vers [attention: ce ne sont
pas «des lignes»].
Le vers traditionnel avant le vers libre du XIXe siècle
—est lié même dans son étymologie (versus, en latin) à
la notion d'un retour, c'est-a-dire, la disposition en
lignes et le retour d‘éléments identiques, de mesures
régulières et de rimes. La versification est donc l'acte
de «faire des vers» (facere + versus).

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- Le vers et le mètre :
Unité constitutive du poème, marquée par la typographie (le
passage à la ligne, et généralement une majuscule initiale),
le vers est une mesure définie par un retour : en latin versus
signifie « retour » (vers, du lat. versus : sillon, ligne,
rangée, ligne d’écriture, de versum, de vertere : tourner,
faire tourner).
Car, si la prose va tout droit, poursuivant son chemin sans
s’arrêter – c’est le sens de prosa (en ligne droite, discours
qui va en ligne droite, sans inversion), le vers suppose un
retour, initialement celui de la charrue arrivée au bout du
sillon qu’elle vient de tracer.

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L’étude du vers constitue la versification, qui comprend
l’étude des sonorités, en particulier l’étude de la rime,
l’étude du rythme (la répartition des accents), et l’étude
du mètre.
Le vers découpe la substance sonore en segments définis
par certains traits phonétiques en nombre fixé par des
règles. Ce qui est ainsi mesuré et dénombré varie selon le
cas.

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Le mètre est le nombre de syllabes prononcées dans un
vers.
Comprendre la métrique syllabique, c'est donc d'abord
savoir compter les syllabes. On peut rencontrer quatre
types de syllabes: consonne-voyelle (me, si); consonne-
voyelle-consonne (coq, pour); voyelle (a, on); voyelle
consonne (or, art). Chaque syllabe n'a qu'une voyelle
prononcée. Chaque syllabe commence, si possible, par
une consonne.

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A I 'intérieur d'un vers on fait la liaison—sauf à la césure
(une pause au milieu d'un vers); ainsi, une consonne à la
fin d'un mot se lie avec la voyelle du mot suivant pour faire
une syllabe (sauf dans le cas d'une liaison interdite, comme
un h aspire):
Le Chêne, un jour, dit au roseau (Jean de La Fontaine)
On divise ce vers ainsi, chaque syllabe n'ayant qu'une
voyelle prononcée :
Le/ Chêne,/ un/ jour/, di/t au/ ro/ seau
Certaines consonnes doubles restent toujours
ensemble; c'est le cas quand la deuxième consonne est l
/ ou r (a/près, com/plet). Les autres consonnes doubles
se divisent, la deuxième se liant avec la voyelle suivante
(quel/que, lais/se).
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Les principaux types de vers
Le vers français est donc caractérisé par sa longueur (calculée
en nombre de syllabes) ; sous sa forme classique il est
étroitement lié à la syntaxe, la phrase ou le membre de
phrase coïncidant avec le cadre du vers ; il est caractérisé
aussi par son accentuation et la présence finale d’une rime.
le vers syllabique mesuré par le nombre de syllabes (ce qui est
le cas du vers français) ; la versification française se fonde
sur un système syllabique.

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Le Problème de le e muet
Un poème classique est formé d’un ensemble de vers.
Chaque vers contient un nombre de syllabes déterminé.
Le e muet (ou caduc ou atone) est une voyelle qui n'est pas
d'habitude prononcée dans la langue parlée. Mais dans la
poésie traditionnelle cette voyelle se prononce assez
souvent. Elle n'est jamais comptée à la fin d'un vers même
si elle est suivie de -s (frères) ou de -nt (regardent).

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A la fin d'un mot, le e muet est prononcé si le mot suivant
commence par une consonne («France mère des arts») ou
un h aspiré. Il ne se prononce pas devant une voyelle ou
un h muet. Dans le vers suivant, par exemple, le e muet à
la fin de «Chêne» n'est pas prononcé: «Le Chêne, un jour,
dit au roseau».
A 1'intérieur d'un mot, le e muet se prononce dans la
poésie (plaisanterie), sauf entre voyelle et consonne
(remerciement) ou dans les terminaisons des verbes en -
aient.

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Diérèse et synérèse
La poésie française classique essayait d‘éviter l'hiatus, c'est
à dire, la rencontre de deux voyelles prononcées—«il alla à
sa maison».
Parfois, il faut compter deux syllabes pour deux voyelles
habituellement prononcées en une seule syllabe : c’est la diérèse
(« division »).
Ce procédé est basé sur le fait que dans la poésie
certaines voyelles qui sont normalement prononcées en
une syllabe peuvent se prononcer en deux syllabes. La
diérèse est donc la séparation en deux syllabes de
deux voyelles qui se suivent (li/on, pi/ed). La synérèse
est la prononciation de ces mêmes voyelles en une seule
syllabe.
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Dans le vers suivant, il faut prononcer vi-olon :
- Le vi-olon frémit comme un coeur qu’on afflige.
(Baudelaire)
- L’ennui, fruit de la morne incuri-o-sité, (Baudelaire)
Parfois, il faut lier deux voyelles que l’on prononce
habituellement séparément : c’est la synérèse
(« rapprochement ») :
extasié[zje] : une syllabe = synérèse
(extasié[zie] : deux syllabes = diérèse)
ou bien : Et le farouche aspect de ses f-ie-rs ravisseurs
(Racine)
Diérèse et synérèse mettent en valeur le mot sur lequel elles
portent.
-La diérèse s'emploie pour mettre en valeur certains mots et
idées.
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Le vers suivant le poète a choisi d’étendre l'articulation du
mot «expansion » pour lui donner quatre syllabes au lieu de
trois, renforçant ainsi le sens du mot.
 Ayant l'expansion des choses infinies. (Charles Baudelaire)
Certains poètes du XXe siècle ont continue l'utilisation de la
diérèse a des fins stylistiques, comme dans ces vers de Paul
Valery:
 Assise, la fileuse au bleu de la croisée
 Ou le jardin mélodieux se dodeline;
 Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée.
 (Album de vers anciens, 1920)
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Nombre de syllabes
Les vers tirent leur nom du nombre de syllabes qui les composent.
On peut différencier :
- vers de 2 syllabes : un dissyllabe (vers dissyllabique)
ex. Murs, ville
Et port,
Asile
De mort (« Djinns », V. Hugo)
- Vers de 3 syllabes : un trissyllabe (vers trissyllabique)
ex. Par Saint-Gilles,
Viens-nous en,
Mon agile
Alezan (V. Hugo)

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-Vers de 4 syllabes : un tétrasyllabe ou quadrisyllabe (vers
tétrasyllabique ou quadrisyllabique)
-Vers de 5 syllabes : un pentasyllabe (vers pentasyllabique):
ex. Je chante aussi, moi :
Multiples sœurs ! voix
Pas du tout publiques ! (Rimbaud)
- Vers composé de 6 syllabes : un hexasyllabe (vers
hexasyllabique) :
ex. A vous troupe légère,
Qui d’aile passagère
Par le monde volez (…) (Du Bellay, Jeux rustiques)

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- Versde 7 syllabes : un heptasyllabe (vers heptasyllabique)
ex. Sur des ruines virginales (P. Eluard)
- Vers de 8 syllabes : un octosyllabe (vers octosyllabique) ;
Le plus ancien des vers français apparaît dans la Vie de
saint Léger (fin du Xe siècle).
ex. Ce grand corps qui fit tant de choses
Qui dansait, qui rompit Hercule
(Valéry, Charmes)
- Vers de 9 syllabes : un énéasyllabe (vers énéasyllabique) :
Tournez, tournez, // bons chevaux de bois, 4//5
Tournez cent tours, // tournez mille tours 4//5
(Verlaine, Romances sans paroles)

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-Vers de 10 syllabes : un décasyllabe (vers décasyllabique) :
il est du Xe au XIIe siècle le vers par excellence de la poésie
épique (La Chanson de Roland). Il devient ensuite un vers
narratif, didactique et lyrique.
ex. Ce toit tranquille, // où marchent des colombes 4//6
Entre les pins palpite, // entre les tombes 6//4
(Valéry, « Le Cimetière marin »)

-Vers de 11 syllabes : un hendécasyllabe (vers


hendécasyllabique)

- Vers de 12 syllabes : un dodécasyllabe ou alexandrin (vers


dodécasyllabique).

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Le nom « alexandrin » vient d’une œuvre du Moyen Age
intitulée Roman d’Alexandre et qui était écrite en
dodécasyllabes ; grâce aux poètes de la Pléiade il devient le
grand vers français, employé aussi bien dans la poésie
lyrique que dans la tragédie et la comédie (XVIIe siècle).
ex. Mon cœur, lassé de tout, // même de l’espérance,
N’ira plus de ses vœux // importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, // vallons de mon enfance,
Un asile d’un jour // pour attendre la mort.
(Lamartine, Méditations poétiques, « Le Vallon »)
Ces quatre vers sont des alexandrins. La césure y a une
place fixe après la sixième syllabe. On la note au moyen
d’une double barre oblique.

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Césure et autre
une césure (« coupure »), ou une coupe : le repos qui divise un vers de
plus de huit syllabes en deux hémistiches après une syllabe accentuée ; la
voix se repose sur une syllabe accentuée.
- un hémistiche : moitié d’un vers, et, spécialement d’un alexandrin
coupé par la césure ; ou partie de vers long délimitée par la césure.
- quand l’alexandrin n’a pas de césure à la sixième syllabe, on a un
alexandrin romantique (4 / 4 / 4) ou libéré (2 / 6 / 4 ou toute autre
combinaison).
La poésie française pratiquement repose tout entière sur ce seul vers
(l’alexandrin) qui est celui du sonnet de la Renaissance, de la tragédie
classique, de l’élégie romantique et de tous les modernes, de Baudelaire
à Valéry.

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Accentuation
Les règles d’accentuation ne sont pas les mêmes suivant que
l’on analyse un vers simple (qui ne compte pas plus de huit
syllabes) ou un vers complexe (qui compte plus de huit
syllabes).
- Les accents fixes : vers simples et vers complexes comptent
tous un accent fixe obligatoire sur la dernière syllabe
prononcée.
Seuls les vers complexes comptent un second accent fixe, sur
la quatrième syllabe pour le décasyllabe, sur la sixième syllabe
pour l’alexandrin. C’est cet accent fixe interne qui détermine
la place de la césure, puisqu’elle se situe immédiatement après
lui. Cette césure partage le vers en deux hémistiches, qui
peuvent être inégaux (dans le décasyllabe) ou égaux (dans
l’alexandrin). On peut donc résumer en notant que le
décasyllabe se distribue en 4//6 et l’alexandrin en 6//6. 23
- Les accents secondaires, ou flottants : à l’intérieur d’un vers simple, ou
de chaque hémistiche d’un vers complexe, on peut déterminer la place
d’un accent mobile que l’on appelle accent secondaire. Sa place
détermine celle de la coupe, puisqu’elle se situe immédiatement après
lui. La place de cet accent secondaire est très variable, il marque en
général la dernière syllabe prononcée d’un groupe de mots cohérent et
autonome.
- Le cas de l’alexandrin : en fonction de la distribution de ces différents
accents, on a, au cours de l’histoire du vers, mis en avant deux types très
différents d’alexandrins. Il y a d’abord le tétramètre classique qui,
comme son nom l’indique, comprend quatre mesures égales (il est donc
noté 3/3//3/3 : « Un gros meubl(e) / à tiroirs // encombrés / de bilans »,
Baudelaire, Spleen). Puis il y a eu le trimètre romantique, beaucoup plus
difficile à appréhender, parce que remettant en cause l’équilibre de
l’alexandrin régulier.
Comme son nom l’indique, il comprend trois mesures égales (il est noté,
sans mention de la césure, 4/4/4, et ne se confond pas totalement avec un
4/2//2/4 : « Battit de l’ail(e), / ouvrit les mains, / puis tressaillit », Hugo,
24
Les vers « irréguliers »
On désigne ainsi les vers qui ne respectent pas, en partie ou en totalité,
les critères du vers classique.
La matière syllabique, ordonnée par des règles strictes dans le vers
traditionnel, est plus souple dans le vers moderne et plus proche des
réalités de la prononciation.
a) Le vers libéré – Il a été employé par les poètes symbolistes ; il
obéit globalement aux contraintes du vers traditionnel (longueur
fixe), mais remplace la rime par l’assonance. Il s’agit d’une forme
intermédiaire entre le vers classique et le vers libre.
b) Le vers libre – déjà en germe chez Hugo, Verlaine et Rimbaud -
est né dans les années 1880 du désir d’abolir la contrainte métrique
(l’exigence d’une longueur fixe et identifiable) qui pesait sur le vers,
pour donner à l’expression poétique une souplesse qui l’accorde aux
mouvements de la sensibilité. Les théoriciens du vers libre sont Jules
Laforgue et Gustave Kahn (cf. Palais nomades de Kahn, 1887).

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Important : Le vers libre ne s’astreint ni à l’obligation de la
rime, ni à une longueur invariable ; il n’a pas d’accents
prédéterminés ; il ne conserve du vers que le principe de
segmentation qui l’isole typographiquement.
Ainsi dans ce poème de Paul Eluard :
Un visage à la fin du jour
Un berceau dans les feuilles mortes du jour
Un bouquet de pluie nue
Tout soleil caché
[…].
Ici pas de longueur uniforme, pas de système commun
d’accentuation. Des éléments de structuration
apparaissent bien (anaphore en début de vers ; rime créée
par la répétition de « jour »), mais ils ne procèdent
d’aucune règle préalable.
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En outre, dans la poésie moderne on voit réapparaître le verset – le
mot désignant d’abord chacun des paragraphes qui composent le
texte de la Bible. Dans l’histoire récente de la poésie française, il
désigne un segment d’expression qui dépasse la longueur habituelle
du vers mais obéit au même principe de retour. Ainsi dans ces lignes
de Paul Claudel :
Suave est le rossignol nocturne ! Quand le violon puissant et juste
commence,
Le corps soudainement nettoyé de sa surdité, tous nos nerfs sur la table
d’harmonie de notre corps sensible en une parfaite gamme
Se tendent, comme sous les doigts agiles de l’accordeur.
(Claudel, Cinq Grandes Odes)
Selon Claudel, le verset n’a « ni mètre ni rime ». Il est calqué sur le
souffle et sur la respiration, selon un double mouvement d’inspiration et
d’expiration.
En revanche, la syntaxe et le verset ne coïncident pas toujours. Une
seule phrase peut être répartie sur plusieurs versets ou à l’inverse
être contenue dans un seul verset. 27
Le rythme
Le rythme du vers français résulte des pauses (les coupes) et des accents
d’intensité. Chaque type de vers est frappé d’accents obligatoires fixes et
d’accents secondaires mobiles, qui lui confèrent une musique
caractéristique.
Les syllabes accentuées peuvent être réparties selon un rythme binaire :
le vers forme deux groupes rythmiques ou mesures, délimités par des
syllabes accentuées et séparées par une coupe (l’alexandrin) :
C’est le seul entretien / qui plait à mes oreilles (Malherbe)
On a un rythme ternaire quand le vers est divisé en trois mesures :
Ex. Je fais souvent / ce rêve étrang(e) et pénétrant. (Verlaine)
On parle de rythme accumulatif si les accents sont nombreux.
Ex. Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups. (V. Hugo)

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Les enjambements
La phrase correspond à une unité de sens. Le vers correspond à une unité
métrique. La phrase ne correspond donc pas systématiquement au vers. Il
y a enjambement quand une phrase se prolonge sur le vers suivant.
Ex. Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. (Vigny)
L’enjambement élargit le rythme et le cadre du vers.
Deux catégories d’enjambements sont particulièrement expressives :
° le rejet : la phrase s’achève dans le début du vers suivant :
Ex. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu
Dort ;… (Rimbaud)
° le contre-rejet : commencée en fin de vers, la phrase se poursuit sur
le vers suivant :
… Tout le jour
On mêle à sa pensée espoir, travail, amour. (V. Hugo)

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L’aspect musical du poème
Les rimes sont la répétition des mêmes sonorités à la fin de deux ou
plusieurs vers. Elles assurent une unité mélodique.
a) histoire de la rime :
Née pour aider à compter les syllabes des anciens chants liturgiques, la
rime est devenue le constituant le plus évident du vers français. Elle se
fonde sur le retour d’une homophonie (identité sonore) en fin de vers. Au
Moyen Age, la rime est approximative, et prend souvent la forme de
l’assonance (répétition d’un phonème vocalique), simple
ressemblance, sans exactitude, à la fin de vers successifs, comme
dans cet extrait de La Chanson de Roland (assonances en i) :
Roland ferit en une piedre bise :
Plus en abat que jo ne vos sai dire ;
Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle que la rime supplantera
définitivement l’assonance. Elle sera alors l’objet des sophistications
savantes des poètes dits de « Grande Rhétorique » (XVe siècle) – à une
époque où la poésie, art de cour, repose sur l’ingéniosité verbale.
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L'Alternance des rimes: rimes masculines et rimes
féminines

Quand les deux mots rimes se terminent par un e


muet, on est en présence d'une rime féminine:
mère / père. Il faut noter que le e muet est souvent
suivi de consonnes non prononcées (laissent /
portèrent); ce sont toujours des rimes féminines.
Quand les deux mots rimes ne se terminent pas par un
e muet, il s'agit d'une rime masculine: mer / cher.
Selon les normes de la poésie classique, on ne peut pas
rimer un mot se terminant par un e muet et un mot ne
se terminant pas par un e : muet: mer / père.

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Jeux de rime : la rime présente une affinité
naturelle avec le jeu de mots
- la rime équivoquée - qui associe dans une même série phonétique deux
mots ou groupes de mots différents -, fait de la rime un calembour :
Bref, c’est pitié entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs ;
Et quand vous plaît mieux que moi rimassez,
Des biens avez et de la rime assez.
(Clément Marot)
- la rime batelée se place entre la fin d’un vers, et la fin du premier
hémistiche du vers suivant :
Ex. Nymphes des bois, pour son nom sublimer
Et estimer, sur la mer sont allées. (Clément Marot)
- la rime couronnée, répète deux fois le même son à la fin d’un vers :
Ma blanche colombelle, belle,
Souvent je vais priant, criant
Mais dessous la cordelle d’elle
Me jette un cœur friand, riant.
(Clément Marot) 32
La disposition des rimes dans la strophe
Les schémas les plus fréquents sont :
les rimes plates (ou suivies), sur le modèle aabbccdd, etc. :
ex. Et l’ange devint noir, et dit : - Je suis l’amour. a
Mais son front sombre était plus charmant que le jour, a
Et je voyais, dans l’ombre où brillaient ses prunelles, b
Les astres à travers les plumes de ses ailes. b
(V. Hugo, Apparition)
les rimes croisées sur le modèle ababcb…, etc. :
ex. Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, a
Dans la nuit éternelle emportés sans retour, b
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges a
Jeter l’ancre un seul jour ? b
(Lamartine, Le Lac)
ou les rimes embrassées sur le modèle abbacddc, etc :
ex. Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse, a
Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit. b
O Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit, b
Afin que je m’en aille et que je disparaisse ! a
(Hugo, Veni, vidi, vixi)
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La rime étant l’homophonie (identité des sons représentés
par des signes différents), on parle de la richesse des rimes
qui dépend du nombre de phonèmes communs (phonème :
élément sonore du langage) :
1° la rime pauvre ne comporte qu’un phonème commun ou
une seule homophonie. Ainsi entre beau / matelot [o] ;
2° la rime suffisante comporte deux phonèmes communs
(ou deux homophonies). Ainsi vallée / recelée [lé] ; été /
chanté [té] ;
3° la rime riche quand trois phonèmes ou plus se répètent :
laine / Hélène [lèn] ;
captif / rétif [tif] (une voyelle encadrée de 2 consonnes)

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Les sonorités
La poésie est musique et, en ce sens, elle combine avant tout les sons,
et en particulier les sons des syllabes accentuées. Ce jeu sur les sons
peut s’appuyer sur la répétition d’un son-voyelle, c’est l’assonance.
1. On appelle assonance la répétition d’une même voyelle :
ex. Où, teignant tout à coup les bleuités, délires (Rimbaud)
ex. Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant… (Verlaine)
Ici la répétition de la voyelle nasale accentue l’impression de douceur
et de mystère de ce vers.
2. Allitération
On appelle allitération la répétition d’une même consonne à l’intérieur
d’un vers ou d’une strophe :
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ? (Racine)
La répétition de la sifflante [s] introduit dans le vers la présence
menaçante des serpents et accentue l’impression d’effroi.
Ou dans ce vers de Paul Eluard :
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie.
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On parle aussi d’allitération lorsque ce sont des
consonnes voisines qui sont rapprochées, par
exemple dans les vers suivants la même
labiodentale sous ses formes sonore et sourde [v] et
[f]. L’effet est d’autant plus sensible que
l’allitération se produit au début des mots et sur
des syllabes accentuées :
Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,
Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs
(Valéry, Charmes)

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3. Il arrive souvent que les allitérations soient
combinées avec des assonances, créant ainsi un
climat sonore très élaboré, ici avec les phonèmes [v]
et [i] :
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie. (Eluard)
Ou bien dans ce vers de Mallarmé :
Aboli bibelot d’inanité sonore.
Notons cependant que dans la poésie française, ce
sont surtout les répétitions de voyelles qui sont
utilisées.

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La strophe :

Une strophe est un ensemble de vers successifs présentant – le plus


souvent – une unité typographique, syntaxique et thématique, qui se
caractérise par un nombre déterminé de vers (en général de quatre à
quatorze), et par la disposition fixe des mètres et des rimes.
1. Les types de strophes :
Les strophes sont désignées par le nombre de vers qui les composent.
On distingue par nombre croissant de vers, d’un seul vers à quatorze
vers :
strophe d’un vers : le monostiche strophe de deux vers :le distique
strophe de trois vers : le tercet de quatre vers : le quatrain
de cinq vers : le quintil de six vers : le sizain
de sept vers : le septain de huit vers : le huitain
de neuf vers : le neuvain de dix vers : le dizain
de onze vers : le onzain de douze vers: le douzain
de treize vers : le treizain de quatorze vers : le quatorzain

38
Le langage poétique

La langue poétique se distingue par des particularités :


a) les libertés que les poètes prennent avec la syntaxe,
la morphologie, l’orthographe courantes ;
b) le choix de lexiques spécifiques, de contraintes
phonétiques et d’autres.
C’est par l’emploi des figures de style que les poètes
font valoir la « fonction poétique » du langage.

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1. Figures de construction : l’ellipse, le zeugma, l’inversion, les
répétitions et les accumulations (anaphore, épanalepse, pléonasme,
gradation…)
- l’ellipse : la suppression de termes qu’exigerait normalement la
phrase pour être complète. Mais cette suppression ne rend pas
nécessairement son sens obscur.
Ex. « Je t’aimais inconstant ; qu’aurais-je fait fidèle ? »
(Racine, Andromaque)
Ce vers pourrait être développé de manière plus banale :
« Je t’aimais alors que tu étais inconstant ; qu’aurais-je fait si tu
avais été fidèle ? »
Un autre exemple : Henri Michaux joue sur les ellipses propres au style
télégraphique dans « Télégramme de Dakar » :
Baobabs beaucoup baobabs
Baobabs
Près, loin, alentour,
Baobabs.
(Lointain intérieur, 1938) 40
L’ellipse du verbe produit la phrase nominale, qui est
un des recours fréquents de la poésie moderne.
-le zeugme : cette figure est la réunion de deux ou
plusieurs termes, ou membres d’une phrase, au
moyen d’un élément commun non répété et au prix
d’une certaine incohérence grammaticale ou
sémantique :
- La foudre est mon canon, les Destins mes soldats. »
(Corneille, L’Illusion comique)
Ici, l’ellipse du verbe dissimule une incompatibilité
grammaticale entre singulier et pluriel. On devrait dire
: « les Destins sont mes soldats ».

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- l’inversion renverse l’ordre des constituants de la phrase.
L’inversion est d’autant plus efficace en français qu’un
ordre canonique de la phrase s’y est imposé (sujet + verbe
+ complément d’objet direct) et que, pour certains, cet
ordre reflète la logique même de la pensée réflexive. Les
théoriciens classiques considèrent que l’inversion
appartient en propre à la poésie. L’inversion est surtout la
réponse trouvée pour obéir à une double contrainte : celle
de la syntaxe et celle de la métrique. Pour faire entrer une
phrase dans le vers, pour lui faire respecter le jeu des
rimes, il faut parfois l’obliger à rompre l’ordre naturel de
la langue :
ex. Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais
(Lamartine, « Le Vallon »)
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- anaphore, n. f : c’est la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots
en tête de vers successifs afin de produire un effet d’insistance, de
souligner une idée :
ex. J’attire en me vengeant sa haine et sa colère
J’attire ses mépris en ne me vengeant pas.
(Corneille, Le Cid)
2. Figures de sens : ce sont essentiellement les tropes, c’est-à-dire les
figures de transfert sémantique. Au sens littéral d’un terme se
substitue un sens figuré au moyen de la métaphore, de la métonymie,
de la synecdoque, etc.
- métaphore : du gr. metaphora, « transfert » ou « transport », ce trope
ou terme de rhétorique opère un transfert de sens entre mots ou
groupes de mots, fondé sur un rapport d’analogie plus ou moins
explicite :
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie. (Apollinaire)

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Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie.
(Apollinaire)
Ici, le rire (le comparé) est rapproché du feu (le comparant)
par une relation analogique. Les éléments communs sont le
mouvement vif et le bruit saccadé. Le lecteur sait en outre
décoder la relation synesthésique (correspondance des
sensations) entre la lumière dorée et la gaieté. La métaphore
obéit donc aux mêmes procédés de symbolisation que la
comparaison figurative, mais s’en distingue par les liens
syntaxiques qui autorisent un véritable transfert de sens
entre comparant et comparé, ce qui représente une démarche
plus hardie que celle de la comparaison.

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Dans un autre vers d’Apollinaire :
O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
Le mot « pierreries » désigne métaphoriquement
l’éclat scintillant des yeux de la « sorcière blonde ».
C’est l’élément sémantique « éclat », « brillant »,
commun aux deux mots « yeux » et « pierreries » qui
permet d’assimiler le second au premier. La
métaphore réorganise le sens d’un mot et procède par
rapprochements fondés sur des similitudes.
On dit souvent que la métaphore est une comparaison
abrégée :
ex. Cet enfant est lent comme un escargot / Cet enfant
est un escargot.
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-comparaison : rapprochement de termes ou de notions au moyen de
liens explicites. Comparé et comparant peuvent être mis en relation
par des mots ou des locutions issus de toutes les catégories
grammaticales (verbes, propositions, adjectifs, etc.) : ressembler à,
pareil à, comme, tel que, ainsi que:
- Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril. (V. Hugo)
Une comparaison complète comprend quatre éléments :
le comparé ou thème ;
le comparant ou phore ;
l’outil de comparaison ;
le point de comparaison.
Ex. Pierre est vif comme l’éclair.
Comparé : Pierre (A) ; comparant : l’éclair (B), point de comparaison
: vif (C) ; le mot-outil de comparaison : comme.
A est comme B sur un point C.
L’image littéraire est un trope par excellence ; elle est à la base des
métaphores, des comparaisons, des allégories. L’image est le produit
de l’imagination, non de la perception. 46
- métonymie : procédé de langage par lequel on exprime
un concept au moyen d’un terme désignant un autre
concept qui lui est uni par une relation nécessaire. La
métonymie consiste à remplacer le nom d’un objet par le
nom d’un autre : l’un est en relation avec l’autre, relation
d’appartenance ou de voisinage. On dira par exemple : Cet
homme n’a pas de toit, c’est-à-dire de maison, de domicile ;
toit et maison sont en relation d’appartenance, le toit étant
une partie de la maison. De même, on dira : J’ai bu un verre
chez mon ami ; il est bien évident que ce n’est pas le verre
que j’ai bu mais son contenu ; ces deux mots sont en rapport
de voisinage et appartiennent au même champ sémantique,
soit celui de boire.

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- synecdoque, n. f. : c’est une métonymie spécialisée qui
consiste à donner à un mot un sens plus large ou plus
restreint que son sens habituel.
- synecdoque exprimant le tout pour la partie :
« porter un castor » = porter un manteau fait en peau de
castor seulement et non l’animal entier ;
- exprimant la partie pour le tout :
« ne pas mettre le nez dehors » (le tout serait la personne en
question) ; « apercevoir une voile sur la mer » (le tout serait
un bateau à voiles).
c) Figures de mots concernent les jeux sur le lexique
(néologismes, archaïsmes…) et les jeux sur les sonorités
(assonances, allitérations…).

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Tropes et figures de rhetorique
L'allégorie: la représentation d'une notion abstraite sous la
forme d'un être vivant—«Sur les ailes du Temps la tristesse
s'envole / Le Temps ramène les plaisirs» (Jean de La Fontaine).
L' alliance de mots ou oxymore: des rapprochements de
mots antithétiques—«Cette obscure clarté» (Jean Racine).
L'allusion: l'evocation d'une personne, d'une idée, d'une
chose, sans la nommer—«Et les Muses [l'inspiration poétique] de
moi, comme étranges, s'enfuient» (Joachim Du Bellay).
L'anacoluthe: une rupture de construction et faute
grammaticale qui vise un effet stylistique—«Mais, seule sur la
proue, invoquant les étoiles, / Le vent impétueux qui soufflait
dans les voiles / L'enveloppe» (André Chénier).

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L'anadiplose: une figure de répétition; en début de phrase
on reprend un mot qui ferme la phrase précédente—«Poissons
morts protégés par les boites / Boites protégées par les vitres /
Vitres...» (Jacques Prevert).
L'anaphore: la répétition d'un mot en tete de phrase ou en
tète de membre de phrase—«Mon eau n’écoute pas / Mon eau
chante comme un secret / Mon eau ne chante pas» (Césaire).
L'antithèse: une opposition expressive d'idées et de mots
—«Mourant pour nous, naissant pour 1'autre firmament" (Victor
Hugo).
L'apostrophe : une adresse directe aux êtres animés ou
inanimés— O lac, rochers muets...» (Alphonse de Lamartine).
L'assonance: la répétition d'un phonème vocalique (une
voyelle)—«Qu'as tu fait de la tour qu'un jour je te donnai / Et
qu'a fait de l'amour ton cœur désordonné?» (Jules Supervielle)

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