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Histoire des

femmes et du
genre

Jeudi 13 novembre 2008


Muriel Salle ATER à l’IUFM de
Lyon
Introduction
L’histoire d’un long silence
« Le récit [historique] est un formidable
pouvoir du langage, de vie et de mort sur
la mémoire sans laquelle toute existence
sombre à jamais dans le néant. Ce
sceptre du récit est l’expression même de
la domination masculine. Il distribue les
zones d’ombre et de lumière, organise le
théâtre du monde. La frontière du silence
se déplace avec le temps. Et oscille en
fonction des rapports de sexes. Les
femmes prennent, progressivement ou
brutalement, la parole et l’écriture qui,
plus encore, leur permet de passer du
côté des récitants, de participer à la
narration du monde ».
Pourquoi un tel silence ?

• Absence des femmes de l’espace


public, d’abord seul considéré par
le regard de l’historien

• Carence des sources et des


traces
• Indifférence à leur endroit du
regard sélectif
constitue le discours historique
Plan de la conférence

I. La place des femmes dans


l’historiographie traditionnelle

• L’émergence de l’histoire des


femmes

• L’histoire des femmes aujourd’hui


• La place des femmes dans
l’historiographie traditionnelle

1. Les femmes, exceptions


historiques
Jeanne d’Arc, Blandine,
diverses figures de l’histoire religieuse
Catherine de Médicis
(et les régentes en général)
2. Michelet et l’histoire romantique

Les  femmes  de  la  Révolution  française  (1854), 


compilation  de  fragments  de  son  Histoire  de  la  Révolution 
française. 

Anthropologie romantique : répartition a-


historique et incontestable des rôles
« La première apparition des femmes dans la
carrière de l’héroïsme [lors de la prise de la
Bastille], hors de la sphère de la famille, eut lieu,
on devait s’y attendre, par un élan de pitié » :
pour libérer le prisonnier Latude
« La faible main d’une pauvre femme isolée brisa,
en réalité, la hautaine forteresse, en arraché les
fortes pierres, les massives grilles de fer, en rasa
Image toujours ambivalente des actrices
de l’histoire

Les femmes de Paris


marchent sur Versailles

M
y
t
h
3. L’histoire positiviste (Langlois et
Seignobos)

Le politique
Intérêt essentiel pour la sphère publique
Quasi absence des femmes
(Rappel : Les Française obtiennent le droit
de vote en France en 1944 et votent pour la
première fois en 1945)

21 avril 1945 : les


Françaises votent pour
la première fois
4. L’école des Annales (Febvre,
Braudel, Bloch)
L’économique et le social, peu d’intérêt pour
l’aspect sexué des choses.
– Lucien Febvre, Autour de l’Heptaméron :
amour sacré et amour profane, 1944 (sur
Marguerite de Navarre)
Pierre Grimal, Histoire mondiale de la femme,
1965.
Des historiennes invisibles :
Thérèse Sclafert, Lucie Varga (articles dans
les Annales entre 1929 et 1944)
Sans parler des assistantes…
Suzanne Dognon-Febvre ou Simone Vidal-
Bloch

Quelques précurseurs, féministes


militant.e.s :
Jeanne Bouvier
Léon Abensour
Édith Thomas
5. La Nouvelle Histoire (1970’s)

Rejet radical du politique et de


l’événementiel : événements (« L’événement
monstre », par Pierre Nora en 1972), dates, rois,
batailles…
Opposition aux trois idoles dénoncées par
François Simiand : « l’idole politique », « l’idole
individuelle ou l’habitude de concevoir l’histoire
comme une histoire des individus » et « l’idole
chronologique », c’est-à-dire l’habitude de se
perdre dans des études d’origines ».

Pas de réelle nouveauté pour l’histoire des


femmes, mais le changement est devenu
2. L’émergence de l’histoire
des femmes

Phénomène assez récent dans


l’historiographie française : les années
1970
3 grands types de facteurs :
- des facteurs scientifiques
- des facteurs sociologiques
- des facteurs politiques
1. Les facteurs scientifiques

• Crise des paradigmes explicatifs (marxisme,


structuralisme)
• Montée de la subjectivité
• Changement des alliances disciplinaires
(rapprochement histoire + anthropologie)

⇒ Nouvelles méthodes, nouvelles


thématiques pour l’histoire.
• La démographie historique

Sur la famille
André Burguière ou
Christiane Klapisch-Zuber
⇒ travaux sur les pratiques
sexuelles (contrôle des
naissances notamment), sur les
rapports entre les sexes
Sur les âges de la vie
Philippe Ariès, Jean-Claude Schmitt

Histoire de la vie privée (histoire collective de


grande ampleur en 1985-1987, par Georges Duby
et Philippe Ariès)
• L’ethnologie rurale : « façons de dire,
façons de faire »
Travaux d’Yvonne Verdier,
Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la
couturière, la cuisinière (1979)
Travaux de Martine Segalen sur les relations
conjugales dans la société paysanne

⇒ Mise en évidence de l’existence de toute une


culture spécifiquement féminine
La démarche anthropologique permet d’en
venir aux femmes (Georges Duby, Le
chevalier, la femme, le prêtre, 1981)
Nouveaux objets pour l’histoire : la
sexualité (Flandrin), le corps (Le Roy Ladurie),
la maladie (Goubert), l’éducation, l’amour…

De l’histoire des femmes


« indirecte » :
Michel Foucault sur la
sexualité
Georges Duby sur le mariage
féodal

Jusqu’au risque de l’émiettement (François


Dosse) ou au « vertige des
foisonnements » (Alain Corbin)
2. Les facteurs sociologiques
Arrivée massive d’étudiantEs sur les
bancs de l’université dans l’entre-deux-
guerres et à la Libération
1e agrégée d’histoire : 1927
1971 : les filles reçues à l’agrégation
d’histoire sont aussi nombreuses que les
garçons
Féminisation progressive (et beaucoup
⇒ changement de la « demande
plus lente) du corps enseignant dans le
sociale »
supérieur
1965 : 3 femmes sur 120 PU d’histoire
en France
2005 : 17 % de femmes PU
Changements sociaux
multiples
Droit de vote (1944)

Deuxième sexe
de Simone de Beauvoir (1949)

Planning familial en 1960


-Loi Neuwirth autorisant la
contraception (1967)
- Loi Veil légalisant l’IVG
(1975)
3. Les facteurs politiques
Les « effets collatéraux » du MLF
⇒ une histoire militante (force et faiblesse)
⇒ une histoire influencée par la perspective
marxiste (lecture en terme de « dominants »
/ « dominés »
Il s’agit de chercher dans un passé commun
de quoi fonder l’identité du groupe.
Rupture épistémologique avec une science
jugée patriarcale dont le supposé
« universel » est en réalité « masculin »
Juin 1976 : « Femmes et sciences humaines »
entre
sciences sociales et psychanalyse
es mouvements féministes à l’institution

« Nous qui sommes sans passé, sans


histoire… »
Manifestation du 26 août 1970 : « Il y a plus
inconnu que le soldat inconnu, sa femme ».

Été 1970, sous l’Arc de Triomphe

Lectures en creux, chasse aux traces


évanescentes ou furtives, angles morts et
points aveugles.
Une histoire carrefour en quête de légitim
3. L’histoire des femmes
aujourd’hui

Double enjeu :
- Même exclues, les femmes font partie de
l’histoire
- L’histoire des femmes est non seulement
militante, mais aussi scientifique
1. Où sont les femmes ? Et qui sont-
elles?
Enseignantes et chercheuses :
- 1e génération : Yvonne Knibiehler
(Marseille), Rolande Trempé (Toulouse),
Madeleine Rebérioux (Paris VIII), Michèle
Perrot (Paris VII), Annie Kriegel
- 2e génération : Françoise Thébaud
(Avignon), Mathilde Dubesset (Grenoble)
Anne-Marie Sohn (ENS-LSH), Michelle
Zancarini-Fournel (Paris VIII puis IUFM de
evues Lyon),
: Yannick Ripa
Révoltes logiques (Jacques Rancière)
Pénélopes (1979)
Clio. Histoire, Femmes, Sociétés (1995)
2. Le masculin l’emporte

Pierre Bourdieu, La domination


masculine (1998)
Analyse sociologique des rapports
sociaux entre les sexes, qui cherche
à expliquer les causes de la
permanence de la domination des
hommes sur les femmes dans toutes
les sociétés humaines. Étude
anthropologique de la société
L’histoire
berbère de= Kabylie
« Métier d’hommes qui écrivent l’histoire
des hommes, présentée comme universelle, tandis
que les murs de la Sorbonne se couvrent de fresques
féminines »
1848 : suffrage universel (?) masculin
Les femmes produisent peu d’écrits.
Ex : Les archives judiciaires sur le viol à l’époque
moderne (Vigarello), d’où le discours de la victime est
presque toujours absent, car une femme ne peut pas
ester en justice. Elle est toujours représentée par un
homme qui prend sa parole en charge.
Les archives administratives même les
ignorent souvent.
Ex : À Rome, jusqu’au IIIe siècle, on ne les
recense que
Les sources si elles sont héritières.
archéologiques sont également
plus rares les concernant
Ex : À Sparte, seules les femmes mortes en couche
ont une sépulture
Contre exemple : Tombe d’une princesse à Vix (fin
du VIe siècle av. J.-C.)
3. Le surgissement des femmes

Surprise → Tolérance gênée ou


condescendante → Ghetto
Histoire victimisante ? « Histoire du malheur »
selon Françoise Thébaud.
Histoire militante
Sylvie Schweitzer, Les femmes ont toujours
travaillé, 2002.
Le risque de collusion : femme actrice de
l’histoire et femme historienne (juge et partie
?)
⇒ L’histoire des femmes interroge la
pratique de l’histoire en général
Histoire des femmes résistantes, mais rien sur leur
rôle dans la collaboration.
4. La perspective de genre
Genre = sexe social
Une distinction, ancienne dans la recherche
anglo-saxonne, entre le sexe comme
caractéristique physiologique et le genre
comme ensemble de traits comportementaux
et de conventions sociales arbitrairement
construites sur la base de la différence sexuelle
Un concept emprunté à la psychanalyse
Travaux de Robert Stoller sur les
transsexuels.
2001 : séminaire « Genre et Histoire » à Paris I
En dépit des controverses, le « genre » est désormais
reconnu en France comme « une catégorie utile
d’analyse historique » (Joan Scott)
Une légitimité récente
Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 75, juillet-
septembre 2002 sur « histoire des femmes,
histoire des genres »
La Gender History n’est pas une
appellation neuve de l’histoire 2e édition :
des femmes, pas plus qu’elle 2007
n’est une histoire des femmes
et des hommes. Elle est une
histoire des représentations
bipolaires du monde et,
secondairement, de
l’incorporation de ces
représentations par les acteurs
sociaux. Il s’agit donc d’une
posture essentiellement
Nouvelles perspectives: contre l’histoire
« ghetto », rendre les hommes visibles

« Le titre Histoire des femmes en


Occident est commode, et beau.
Mais il faut récuser l’idée que les 2007
femmes seraient en elles-mêmes
un objet d’histoire. Histoire
résolument relationnelle qui
interroge la société tout entière
et qui est, tout autant, histoire
des hommes ».
(Préface à l’Histoire des
Développement desfemmes en
Occident)
recherches sur la masculinité
André Rauch, Le Premier
Sexe (2000)
Travaux récents de Régis
En résumé…
Premier cours en histoire des femmes :
« Les femmes ont-elles une histoire ? » à
Jussieu en 1973
Premier colloque national sur l’histoire des
femmes :
« Une histoire des femmes est-elle possible ? » à
Saint Maximin
Colloque à la en 1983.
Sorbonne en 1992 :
« Une histoire sans les femmes est-elle possible ? »
Colloque à Rouen en 1997 :
« Le Genre face aux mutations »

Rendez-vous de l’histoire à Blois en 2004 :


« Les femmes dans l’histoire »
Conclusion

Une histoire encore marginale…

… mais nécessaire

Power Point en ligne:

http://objectifcapes2009.blogspot.com/

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