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SOUVENIR DU Dr GASTON FERDIERE Par Eric CHAMS Le Docteur FERDIERE est mort il y a quelques jours. C’était un ami ues cher de "Radio Paris, de "Libertés"- augue! il collabora - et de Denis Clair. Eric CHAMS lui consacrera une émission spéciale sur ies 106,7 FM de Radio Pars le ler janvier 2 14 heures. “Tel quien lui-méme enfin Iéterité le change”.. Gaston Ferditre avait beau aimer Mallarmé pessionnément, Ia mort ne Ini va pas bien. Sans doute la ‘ort ne vacelle bien a personne; pourtant elle va mieux & Mondherlatt figé dans sun univers de masques giecs ou ‘mueé dane un cilence de plus en plus sanvahiseant qu'i Henry Miller ou 3 Gaston Ferdibre Podte, médecin, peychiatre et chef de service, fou de littgranure et de peinture, compagnon des premiers jours de la grande aventure surréaliste, faisant le coup de poing ‘dans les meetings davant la guerse, se battant pour faire liberer Leonide Pliouchtch, aidant Arcaud & reprendre 1a plume, rivelisant Thhuwour aver Dali, fidBle et iy Seno sez amitiée comme dant eee rages, le Dr Ferd frappait demblée por an spe intelligence. Lloeil clair et vif derritre ses Tunettes, Je timbre pointy et Je verbe précis, 1a répartie immédiate et cinglamte, il y avait chez Iui quelque chose dun tutin amusé ef réliécn Sur la gnille Ge son jardin, un ecmteau: ‘chien méchant mals persplcace. Le chien ne m'ayparus 3 iméshant ni vraiment porapicsce. Le mafire était & coup) sir perepioase at pouvait pratiguer Ia méchanceté avec tout Ye talent dm. prdcigément - eynique. Provacateur 2 Je lui posais 1a question... “Si je n'étais pas provocsteur, je ne serais pas surréaliste” Il avait gardé pour André Breton comme, je erois, tous les auinenuques surrealistes(1), une amilié et une cconsidéraiion indéfecuibles. Quand 1 uaversa, dau Jes années de Taprés-puerre, le difficile période Artaud, celle cob on Vaseveait de touter parts davoir torturé le polte, un soutien lui fut plus précieux que tout autre: celui d'André Breton. Je lui relus les longues et belles pages de La Towr de Feu (2) ob le fondateur du surréalisme, ancien étudiant cn paychisitie Iui-méme, évoque le 23 septembre 1959 avec un Tyrime mesuré et dans sa prose de ues grand eorivain Velfondrement G'Artaud et le devouement constant de son médecin. Pendant que je lisais, devout pits dela fengue, je voyais le Dr Ferditre, assis dans son favteuil, remuer lee lbvrae su rythme dee ceonnsieeait par earn Pac une geile fois je ai entendn le Dr Ferditre émettre la moindre réserve & T'endroit de Breton. Ily avait quelque chose de touchant dans cette manitre qui avait, lorsqu’il en parlait, de regarder au Join, dans ses souvenirs. Ses rapporis avec Eluard furent fratemels, avec Aragon toujours difficiles avant de venir impossibles, aver Suupault siuancés, avec Dali vyersatiles par Ie favte du peintee, IL semblait qu’ Braton ile foseent, rans que jamais Ferditre ne eonseniit Jes reconnaitre tls, ceux dum pire et dun fil, un pire un Jhrazar quid peu lointain que son fils aimerait en secret et dont il niaurait pas & se débarrasser. Onze ans séparaient Jeurs naissances, vingt-quatre ans devaient sépazer leurs morts. ‘Sa grande maison prés de Fontainebleau, romplie de livres et de tableaux (52 demitre épouse était Ia peintre surréaliste belge Jane Graverol) ob voisinaient ses collections de cannes de verre et de “bois flottes", un moulin & paitves offett, 4 Jui Taide pur et du, pat te Dalat Lama, des photos de René Crevel et de Maurice de Gandillae, “I'un des demiers esprits universels", et des affiches du festival cinématographique ¢’Avoriaz dont il fut Tun des animateurs, sa grande maison, op pleine objets disparates et d'un goit parfois éurange, était tout sauf une maison de souvenirs mors. Il y Mlottait pourtant un sentiment dabsence. A cet univers quill me fit vister si gentiment et si joyeusement, grimpant cun ciage 8 autre, se baissant pour ouvrir des tiroirs dzbordant de eure 'Eluerd, de tableaux en cheveux dont il m'expliqua Ja technique, & cet univers manquait quelque chose dindéfinissable, peut-iue "ces voix chires aui se sont tues" et, parmi ces voix, celle du Testament de Léo Ferré la voix ¢'André Breton... A 82 ans, ls tee emplie de projets, prenant le wain eux fois Ia semaine pour rendre visite 2 ses malades (il mavoua avoir cessé de condusre depuis peu, st vision rocrume ayant faibli), iauguram pat-ci une galerie de peinturc, parla une exposition av Musée des Ants ct Traditions popslairer, préparant un livre sur tel aspect méconnu du surréalisme. le Dr Ferditre. complétement toumé vers Favenir, vivait comme on vit & 20 ans, Mais sa mémoire ravait pas 20 ans... Une phrase me revient quil me dit spontanément comme je m’Sionnais de la précision de ses souvenirs: “Je souftve d'une hypertrophic de 1a memoire”. Je crois effecuvement quil en souffrais, que v4 puissance Je wavail, ses ectivités multformes et idaient d'une fertaine manidce 4 aublier cotte enwffrance’ It ealitade intellectuelle que son immense érudition. sa soif approfondissement - il était le contraire d'un touche-J-tout et, comme Breton, méprisait Cocteau ~ et sa tubs vive intelligence avaient fini par eréer, peutére & son corps défendant. Cette solitude habitait sa demeure, ralgré la voix forte de sa bonne qui croyait le mener par le bout du nex alors quill me langsit de petits cline docil famucée sitdt qu’aile tournsit le doe, malgré le chien jerpant et courant en tous sens, malgré la lumitre qui baignait tout ce beau désordre. permenentes, sa curiosité inlasceble I Tai passé sept heures avec le Dr Feeditre, en t8te 8 ‘Gre. Il insists pour que nous déjeunions ensemble. Il avait Ia veille envoye sa bonne acheter un lapin et seiniblat en €xe fort rout. Cela avait un ped air de fete. Une serait pas seul. Tl prit un peu de vin, veillant bce que je reprene de chaque plat. Nour tions eur ea torracce ans le dour coleil dix moie dioctohre 1989. Te n'si pae prété grande attention au lapin, je avoue. ni au giteau Quill accucilit avee un plaisir enfantin. Nous avons parlé, d'André Breton bien sir dont il voysit encore de temps & autre la douxidme fomme, Facqueline, da Vietor Haga quil n'ximait pas (aver une ertaine injustice, reconnut-il malgr& tout... de Nietzsche dont il avait conn I'un des psychiatres en 1944 A Musingen, de Sartre dont il nlexeusait aucune cereur, de Freud quill avait mangué de peu & son arivée & Pans, de Mallarme, le seul poete, peuteure, qui comptit récllement a ses yeux et sur lequel il prononga Jes ccouféiences dés lee années 30, de Jean Moréas qui, selon lui, avait influencé son premier recueil (3), de Johan-Riemie avee [oquiel sl antrotinn vers 1980 une: correspondance et auguel il devait consacrer une étude (4) ‘qui restera la premitre, de Valentine Hugo, sa grande et noble amie quill veilla jusqu't sa mort en 1968, d Henry Miller et de leur ami commun le peintre noir-américain Beauford-Delaney renconmé en 1963, de Victor Serge qui avait neberge la Bande & Bonnot et pariicipé & ta tévulution de 1917 et quil segue & Paris & 2a liberation, en 1037, da Damia dont lae brae blancs amblaiant encore Némnouetillor 3 plus de $0 ans de distance. de Francis James et @André Malraux dont il appréciait surtout, en féministe convaincu, les épouses, de Benjamin Péret, de Georges Duhamel, de Reverdy, de Lacan ("un poite™.), de Jacques Soustelle avec leque il avait tondé en 1926 les Etugianis socialisies de Lyon et les Amis Anatole France vers 1930, Hen! Miclisux wuyuel il we passait pas en vouloir de tui evoir emprunté 2a premitre femmes, Marie-Louise, de Jean Piaget, de Charles Randowin Frost Toiovier. disciple de Freud avee lequel it tenta vers 1938 une ouverture de la psychiatrie a Is pychanalyse qui devait se heuster au vefus de Pierre Janet, de Georges Bataille et de Roger Caillois, etc, Nous avons parle, palé, de Georges Hugnet, Ramuz, Desnos, Beilmer, James Ensor, Jung, Jean Rostand, ete. Sa Imémvite éiait prudigieuse, ses suuveniis intacts, quils fissent i dix ou soinante ans de distenee... I y avait auesi leg grives de 36 auxgneliee il participa aetiverent avec Raymond Bussitres. 'ami Bubu. Taide aux Républicains espagnols avec Théodore Fraenkel 4 Barcelone et le Guépéou en arritxe-plan, la dénoneiation du systéme psychiatrique soviétique, l'aide 4 Pliouchtch et a Sakharov, son voyage au Chili en 1976 et sa présidence e Torganisation ide medicale Santé-Chill, les années de Rodce et te marché uit pour sauver les iaicinés condamnés par le régime de Vichy, sea conférences ur Kats, Bakounine, Proust. la torcellerie (5), ene expositions dineuvres daliénés en 1942. le fameux ‘Congrés des Ecrivains pour la Défense de la Culture de 1935 o¥ Breton giffle Ehrenbourg et 4 la suite duquel se suicida René Crevel, ses prises de position anarchistes et pacifistes (6) jamais démenties, la polyctinique Auberviliers ol il continuait de consulter, ces mille choses, enfin, qui font ment: Rimbaud: non, fa vraie vie rest pas ailleurs, Le monde « la valeur qu'on lui donne, Certains, loin de Vesbrouffe des fumistes et des charlatans aux titres ronflants, savent la lui donner, Je erois qu'on peut les nommer humanistes. Tavaie tris vite compris quune émission de tois heures serait tout & fait insuffisante pour tant de souvenirs et encore tant de projets. Nous reprimes le magnétophone. A 17h, nous avions enregisué prés de quae heures: 1907-1937... Nous projetions encore deux emissions au moins. Je quittsi Gaston Ferditre i 17830, Nous avivia buvardé sept heuies et 2 peine tshissait il une tebs Iégre fatigue. Ia ous sommes téléphonée depuis ing ow cix fie Frire ses consultations. un colloque 3 Blois. une conférence 3 Ia foculté de Caen, un vernissage, il état tés pris. Nous avons remis de mois en mois ces émissions. Nous pensions évoquer les années 37 i SO au printemps prochain, y évoquer Brauner, Queneau, Leiris, les Jouhandeau, 12 peinture de Cezanne (7), Tasile de (Chreeal-Benott et celui de Rodez. Lundi 10 décembre 1990, Gaston Ferditze eat mort. st 82 ans. Nous Avec tous ses souvenirs. Le Dr Gaston Ferditre n'était pas seulement un psychiatre amoureux de son métier et soucieux de Vhumaniser (en 1976, il présidera Evolution psyehiatrique et, fannée suivante, organisera le Congres Echique et Psychiawie}, pas seulement un esthtie jaloux se possédcr (Ses nombrcuses donations au Musée des Asks tt Tracitions populaires, entre autres, témoignent de £3 générosité), pas seulement grands aventuriers de Tesprit de ce sitcle Eluard. Desnos. Breton et méme Artaud entre deux crises surent Festim autant quid les estima. Et son beau livze, “Les Mauvases Fréquentations' (8), est avant tout un livre damit) ami fiddle et attensif des Gaston Feratere exalt un homme de culure, ce convictions, dintelligence, humour, dimégrité, un d= ee hommes raree auxquele on voudrait dire: merci, morsi Sexister, parce quis savent redonner un sens au nom homme. Dix jours aprés cette belle journée du 24 octobve 1989, je éléphonai & Maurice de Gandillac. Combien fut heureux avoir de ses nouvelles lromme qun Tut le pest camarade de jeux de Sarve au farcin du Luxembourg, Ie Luaductour de Nicolas de Cues, de Dante, de Hegel, cic universitaire Gnérite ot le mafira doouvre pour la France de Tédition des Qenvres philosaphiques enmplies de Nietzsche. Entendre la joie de ce vieux monsieur quest Gandillac & Vvocation de son ami Ferdiére, d'un an son cadet, cela ne se commente pas. Merci d'avowr existé, Gaston Feraiére. En remplissant voue vie, Cest aussi un peu la nue que vous aver ensichies Vous chien méchant mais perspicace doit sure bien twice, Monvect pes Te eel, hdlas Dole, e 13 décembre 1990 Notes page cutuante ores: 1) Cl. "Le Surbaliome’, date de Cellarse de Cerity (1966), avec Ferdinand ALQUIE, Michel EARROUGES, Gatton FERDIERE, Ares SAUY?, Jean WAH ie 1008 48” Mactn (2)"LaTow de Feu’, Amonin Artaud oul sat det ‘rucles notamment éhaaré BRETON et Casion FERDIERE et trois letves ¢Anionin ARTAUD ax Dr PERDIERE, (9)G. FERDIERE:“Lterber”,plagucte de poses pare en 1326, (4) G. PERDIERE: “Jenan Ricus, xa vie of son (9) “homme et te dible, bass du Colloge de (Ceriy eves Maurice de GANDIUAC, Gaston PRADIEKE, Lion POLIAKOV, wtf, Mouton. (6)G., PERDIERE: ‘Paix. tate” 197 (7) Gf G, FERDIERE: “Clranne, cll. Cenes es reals, Hacheie. (2). 6, FERDIERE: Lez MavoiseeFréqursaion 1978, Bd. Jean Claude Sie,

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