Systèmes d’information géographique et gestion environnementale,
de nouveaux outils pour des pratiques nouvelles ?
Longtemps technologie d’avant-garde réservée à quelques initiés, les SIG connaissent
maintenant un fort développement dans les structures en charge de la gestion des territoires. Ce numéro de la Revue de Géographie de Lyon vient à point pour marquer cette maturité, en présentant quelques expériences de développement de S.I.G. dans un contexte de gestion de l’environnement. En novembre 1995, le réseau PNR-SIG Centre Est 1 organisait dans le cadre des rencontres « Cartographie et Environnement » un séminaire international sur le thème « SIG et gestion de l’environnement, nouveaux outils, nouvelles pratiques ». La plupart des articles de ce numéro sont issus des communications présentées à ce séminaire, réécrites et étoffées à l’attention de la revue. La diversité des applications présentées est une bonne illustration du potentiel des SIG dans le domaine de la gestion environnementale, qui n’est pas le domaine d’application le plus simple de ces outils. Le caractère global, patrimonial et partenarial de la plupart des démarches de gestion environnementale et paysagère, la complexité des modèles de représentation ou de fonctionnement qu’elles induisent nécessite l’invention de solutions nouvelles. Chacun des articles propose des solutions ou des pistes de solution dans des contextes et avec des objectifs différents, mais qui constituent un bon panel des problèmes réels. Le premier article présente les principaux concepts des S.I.G., décrit deux de leurs composantes les moins spécifiques (les outils informatiques et l’information) et dresse une typologie des systèmes en fonction de leurs objectifs et du contexte de leur développement. En effet, loin d’être de simples outils informatiques, les SIG sont des systèmes d’information. Ils organisent les données en fonction de modèles prédéfinis, qui déterminent dans une certaine mesure les questions qu’on pourra poser ensuite, et le type de réponses que l’on pourra donner à ces questions. Ce panorama aide à replacer les situations particulières dans un cadre général. Il milite aussi pour une implication plus grande des géographes dans la recherche sur et avec les S.I.G.. L’article d’Etlicher et Bessenay permet, à propos du cas des Hautes-Chaumes du Forez, de bien comprendre la problématique générale de l’utilisation des S.I.G. pour la gestion environnementale. Les concepteurs du S.I.G. sont confrontés à la nécessité d’établir un dialogue pluridisciplinaire de manière à intégrer des données de sources hétérogènes. Le S.I.G. joue donc d’abord, dans sa phase de constitution, un rôle de structuration et de mise en cohérence de l’information sur le territoire; il devient dans une phase de diagnostic un outil de confrontation et de dialogue entre scientifiques de disciplines différentes. Il peut servir enfin de plate-forme pour construire une problématique de gestion commune à plusieurs acteurs. L’article présente des exemples de trois types de modèles qui permettent de produire à partir de données primaires des données dérivées et interprétées : les modèles de combinaison, les modèles statistiques et les modèles analytiques, et discute de la pertinence de la constitution d’un S.I.G. pour une aide à la décision. La démarche proposée par V. Gérardin sur la Municipalité Régionale de Comté de Papineau au Québec est l’illustration d’une démarche classique de planification écologique, telle que Mac Harg l’avait conceptualisée, mais rénovée par l’utilisation d’outils informatiques et de modèles externes dans la combinaison des critères. Elle montre l’intérêt indéniable de l’utilisation des S.I.G. dans une optique d’aménagement, qui permet une démarche de planification plus rapide, plus explicite, plus globale, et intégrant plus de critères qu’une démarche classique. La question de l’interprétation des données scientifiques à des fins opérationnelles reste ouverte, tout comme le caractère non scientifiquement fondé des pondérations accordées aux différents 1 Le Réseau SIG-PNR-centre-est est un réseau informel organisé autour des Parcs naturels Régionaux du Vercors, du Pilat, du Livradois-Forez et des Volcans, du CRENAM/CNRS-UMR 5600 et de l’Atelier Technique des Espaces Naturels. Il s’est donné pour but l’échange d’information et le travail méthodologique commun sur le thème des S.I.G. et de la gestion de l’environnement . critères de description des potentialités du milieu et de la pression des usages. Les S.I.G. peuvent cependant jouer un rôle important dans la formalisation d’une démarche collective et interdisciplinaire d’expertise (et non d’analyse scientifique) comme support d’approches consensuels en utilisant des méthodes d’analyse multicritère. Notons que dans l’opération décrite les concepteurs avaient à leur disposition une description rigoureuse du cadre écologique de référence qui manque dans beaucoup d’études, en France en particulier. L’article de S. Lardon et al. prend du champ par rapport à une problématique S.I.G. stricto sensu en se plaçant dans une perspective de gestion concertée d’un espace qui articule préservation des ressources naturelles et maintien ou développement d’activités socio- économiques. Le S.I.G. doit alors intégrer à la fois une représentation des milieux naturels et de leur dynamique et une description des activités pastorales, de leurs contraintes et de leur évolution. Il doit répondre de manière coordonnée à des objectifs de gestion des milieux d’une part et de gestion des activités productives des exploitations agricoles d’autre part, ce qui génère des problèmes complexes : les processus écologiques et les phénomènes anthropiques se déroulent à des échelles et à des vitesses très différentes, les interactions entre les différents processus sont loin d’être connues et les objectifs des acteurs vis à vis du système sont souvent contradictoires. Mais cette tendance à utiliser un S.I.G. comme outil de gestion collective du territoire correspond à une tendance générale. Le travail de F. Berger et C. Chauvin illustre l’intérêt d’un S.I.G. dans une politique de gestion du risque. Le S.I.G. est utilisé d’abord pour produire un indice dynamique du rôle de protection que joue la forêt de montagne pour les activités humaines à l’échelle du département de la Savoie. La cartographie de synthèse obtenue est à la fois un outil de planification et d’aménagement du territoire, et un guide pour la programmation des travaux sylvicoles. Le S.I.G. est aussi un outil de simulation pour déterminer le degré de protection d’une zone forestière contre les avalanches en localisant les zones de départ potentiel d’une avalanche et les zones d’arrêt probable. La mobilisation des fonctions d’analyse spatiale du S.I.G. permet de simuler l’extension spatiale du phénomène en s’appuyant sur les résultats d’un modèle statistique. A. Ottitsch s’intéresse à l’utilisation d’un S.I.G. dans une démarche de planification d’un territoire, dans un contexte de confrontation d’usages exclusifs les uns des autres et dépassant le potentiel de l’écosystème. Il propose d’évaluer le potentiel du territoire pour chaque usage, sous forme d’une somme d’indicateurs pondérés, et d’analyser spatialement les conflits possibles entre les différents usages du territoire. La démarche trouve son intérêt dans une approche participative, où la détermination des potentiels se fait avec les différents acteurs et où une stratégie de gestion des conflits se met en place dès le début du processus de planification. Le mot de la fin revient à Marius Thériault qui passe en revue les insuffisances des logiciels actuels, encore trop incomplets dans leur fonction d’analyse pour se situer à la hauteur des enjeux d’une gestion environnementale et insiste sur la nécessité d’inventer de nouvelles méthodes de conception et de structuration des S.I.G. qui les rendent adéquats à des approches globales et multidisciplinaires. La diversité des milieux naturels (montagne humide, causses steppiques, forêts en climat tempéré froid, zones alpines) et des approches d’un même contexte de gestion environnementale (gestion d’espaces pastoraux, gestion de zones touristiques d’altitude) des expériences S.I.G. collectées dans ce numéro est à signaler. Elle montre que les SIG peuvent être utilisés concrètement dès maintenant pour répondre à des questions de préservation de l’environnement ou de gestion des paysages dans la pratique de l’aménagement. Elle permet aussi de rassurer les gestionnaires d’espaces naturels qui craignent que l’utilisation de méthodes informatiques n’aient comme conséquence une uniformisation des modes de gestion. De nombreuses approches sont possibles et si les exemples présentés ici sont emblématiques de grands types de démarche, ils n’épuisent pas la gamme des solutions. Au delà du caractère original de chacune de ces expériences, on peut essayer de tirer, de manière encore prématurée, quelques conclusions d’ordre général sur les nouvelles pratiques de gestion environnementale que les S.I.G. sont susceptibles de générer ou d’aider à éclore. Elles peuvent se réduire à trois verbes : intégrer, formaliser, expliciter. La plupart des utilisateurs de S.I.G. découvrent (ou cessent d’oublier) avec les S.I.G. que leur domaine d’action n’est pas isolé. Confronté à la recherche de données externes pour affiner leurs analyses, ils sont amenés à négocier avec d’autres, à s’intégrer dans des réseaux. Il peut s’agir d’une intégration horizontale : divers services d’aménagement ou divers chargés d’étude d’un même service sont amenés à prendre conscience que leur territoire de référence est commun. Des spécialistes de différentes disciplines doivent aboutir à une compréhension réciproque de leurs schémas conceptuels et théoriques, de leur démarches de collecte de données, de leurs méthodes de validation de leurs résultats. Ce peut être une intégration verticale comme la prise de conscience de la nécessité de mieux intégrer les démarches de planification et de gestion quotidienne d’un service, car les données nécessaires sont communes. C’est une richesse des S.I.G., c’est aussi une lourdeur car la discussion des modalités pratiques de coopération ralentissent souvent l’avancée des travaux . L’utilisation d’outils informatiques et la négociation avec les partenaires impose de bien formaliser toutes les actions d’une démarche S.I.G. (saisie et traitement de données, mais aussi objectifs généraux et intermédiaires, procédures pour arriver au résultats,...). Encore une fois la lourdeur de cette formalisation se révèle profitable en terme de productivité. Il est possible de recommencer une analyse en changeant la valeur desà paramètres, de mieux cumuler et transmettre les expériences, etc.. Cette formalisation passe par l’explicitation de l’ensemble des tâches réalisées et des étapes d’un raisonnement et s’accompagne donc d’une capacité de transparence dans la démarche de gestion. Les S.I.G. peuvent donc jouer un rôle, non décisif mais pas négligeable, pour une gestion environnementale plus participative, en conduisant à une explicitation des enjeux des différents acteurs, des raisons du choix de telle ou telle option plutôt que telle autre. Cet atout peut cependant devenir aussi un frein au développement des S.I.G. dans les situations, assez fréquentes, où l’on privilégie une gestion informelle et occulte des conflits. Sous le couvert de systèmes d’aide à la décision politique, bon nombre de techniciens et chargés d’étude, promeuvent ainsi le S.I.G. pour séparer, à l’intérieur du processus de décision, la phase d’analyse objective des enjeux et contraintes de la phase de décision proprement politique. Les S.I.G., comme tous les systèmes d’information, sont vecteurs et enjeux de pouvoir. Cela conditionne leur développement tout autant que les caractéristiques fonctionnelles des logiciels et la disponibilité des données.