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Eliphas Levi Les 9 Oeuvres
Eliphas Levi Les 9 Oeuvres
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HAUTE MAGIE
0•1••111.
TOME PREMIER.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
DES TENDANCES
RELIGIEUSES , PHILOSOPHIQUES ET MORALES
DE NOS LIVRES SUR LA MAGIE.
4
56 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
faut maudit qu'un crime originel fait exposer à la
mort sur le Cythéron ; le père est venu expier à
son tour le supplice de son fils; l'ombre de Laïus a
gémi des tourments d'OEdipe ; le ciel a expliqué
au monde mon énigme sur cette croix. C'est pour-
quoi je me tais en attendant qu'elle–même s'ex-
plique au monde': repose-toi, Aaswérus, car c'est
ici le terme de ton douloureux voyage.
— Je suis la clef de la sagesse à venir, dira la
croix; je suis le signe glorieux du stauros que Dieu
a fixé aux quatre points cardinaux du ciel, pour
servir de double pivot à l'univers.
J'ai expliqué sur la terre l'énigme du sphinx,
en donnant aux hommes la raison de la douleur;
j'ai consommé le symbolisme religieux en réalisant
le sacrifice. Je suis l'échelle sanglante par où l'hu-
manité monte vers Dieu et par où Dieu descend
vers les hommes. Je suis l'arbre du sang, et mes
racines le boivent par toute la terre, afin qu'il ne
soit pas perdu, mais qu'il forme sur mes branches
des fruits de dévouement et d'amour. Je suis le
signe de la gloire, parce que j'ai révélé l'honneur;
et les princes de la terre m'attachent sur la poitrine
des braves. Un d'entre eux m'a donné une cin-
quième branche pour faire de moi une étoile; mais
DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 57
je m'appelle toujours la croix. Peut-être celui qui
fut le martyr de la gloire prévoyait-il son sacrifice,
et voulait-il, en ajoutant une branche à la croix,
préparer un chevet à sa propre tête à côté de celle
du Christ. J'étends mes bras également à droite et
à gauche, et j'ai également répandu les bénédic-
tions de Dieu sur Madeleine et sur Marie; j'offre
le salut aux pécheurs, et aux justes la grâce nou-
velle; j'attends Caïn et Abel pour les réconcilier et
les unir. Je dois servir de point de ralliement aux
peuples, et je dois présider au dernier jugement
des rois; je suis l'abrégé de la loi, car je porte écrit
sur mes branches : Foi, espérance et charité. Je
suis le résumé de la science, parce que j'explique
la vie humaine et la pensée de Dieu. Ne tremble
pas, Aaswérus, et ne redoute plus mon ombre; le
crime de ton peuple est devenu celui de l'univers,
car les chrétiens aussi ont crucifié leur Sauveur;
ils l'ont crucifié en foulant aux pieds sa doctrine de
communion, ils l'ont crucifié en la personne des
pauvres, ils l'ont crucifié en te maudissant toi-
même et en proscrivant ton exil; mais le crime
de tous les hommes les enveloppe tous dans le
même pardon; et toi, le Caïn humanitaire, toi,
rainé de ceux que doit racheter la croix, viens te
58 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
mort », avait
dit Dieu lui-même, comme nous le voyons dans
le livre de la Genèse.
Que se passe-t-il donc dans le monde, et pour-
quoi les prêtres et les rois ont-ils frémi ? Quel pou-
voir secret menace les tiares et les couronnes?
Voilà quelques fous qui courent de pays en pays,
et qui cachent, disent-ils, la pierre philosophale
sous les haillons de leur misère. Ils peuvent chan-
ger la terre en or, et ils manquent d'asile et de
pain ! Leur front est ceint d'une auréole de gloire
et d'un reflet d'ignominie ! L'un a trouvé la science
universelle, et ne sait comment mourir pour échap-
per aux tortures de son triomphe : c'est le Major-
cain Raymond Lulle. L'autre guérit par des remèdes
fantastiques les maladies imaginaires, et donne
d'avance un démenti formel au proverbe qui con-
state l'inefficacité d'un cautère sur une jambe de
bois : c'est le merveilleux Paracelse, toujours ivre
et toujours lucide comme les héros de Rabelais.
Ici, c'est Guillaume Postel, qui écrit naïvement
aux pères du concile de Trente parce qu'il a trouvé
la doctrine absolue, cachée depuis le commence-
ment du monde, et qu'il lui tarde de la leur faire
partager. Le concile ne s'inquiète pas même du fou,.
ne daigne pas le condamner, et passe à l'examen
INTRODUCTION. 77
des graves questions de la grâce efficace et dela grâce
suffisante. Celui que nous voyons mourir pauvre et
abandonné, c'est CornéliusAgiippa, le moins magi-
cien de tous, et celui que le vulgaire s'obstine à pren-
dre pour le plus sorcier, parce qu'il était quelque-
fois satirique et mystificateur. Quel secret tous ces
hommesemportent-ils donc dans leur tombe ? Pour-
quoi les admire-t-on sans les connaître ? Pourquoi
les condamne-t-on sans les entendre ? Vous deman-
dez pourquoi ? Et pourquoi sont-ils initiés à ces terri-
bles sciences occultes dont l'Église et la société ont
peur ? Pourquoi savent-ils ce que les autres hommes
ignorent? Pourquoi dissimulent—ils ce que chacun
brûle de savoir? Pourquoi sont—ils investis d'un
pouvoir terrible et inconnu? Les sciences occultes
la magie ! voilà des mots qui vous disent tout et
qui peuvent encore vous faire penser davantage !
De omni re scibili et quibusdam aliis.
Qu'était-ce donc que la magie? Quelle était donc
la puissance de ces hommes si persécutés et si fiers?
Pourquoi, s'ils étaient si forts, n'ont-ils pas été
vainqueurs de leurs ennemis? Pourquoi, s'ils
étaient insensés et faibles, leur faisait-on l'honneur
de tant les craindre ? Existe-t—il une magie, existet—
il une science occulte qui soit véritablement une
/8 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
• . et de l'avenir.
science universelle.
se livrer.
T. 1. 6
se DOGME DE LA HAUTg MAGIE.
1684
intitulée Cabbala denudata, le traité -de la
pneumatique cabalistique et celui de la révolution
des âmes; puis entrer hardiment et courageuse-
ment dans les lumineuses ténèbres de tout le corps
dogmatique et allégorique du Talmud. Alors on
pourra comprendre Guillaume Postel, et s'avouer
tout bas qu'à part ses rêves bien prématurés et
trop généreux d'émancipation de la femme, ce
célèbre et savant illuminé pouvait n'être pas aussi
fou que le prétendent ceux qui ne l'ont pas lu.
Nous venons d'esquisser rapidement l'histoire
de la philosophie occulte, nous en avons indiqué
les sources et analysé en peu de mots les principaux
livres. Ce travail ne se rapporte qu'à la science;
mais la magie, ou plutôt la puissance magique, se
compose de deux choses : une science et une force.
Sans la force, la science n'est rien, ou plutôt elle
est un danger. Ne donner la science qu'à la force,
telle est la loi suprême des initiations. Aussi le
grand révélateur a-t-il dit : Le royatime de Dieu
souffre violence et ce sont les violents qui le
ravissent. La porte de la véiité est fermée comme
le sanctuaire d'une vierge ; il faut être un homme
pour entrer. Tous les miracles sont promis à la
foi; mais qu'est-ce que la foi, sinon l'audace d'une
I N T R O D U C T I O N . 97
volonté qui n'hésite pas dans les ténèbres, et qui
marche vers la lumière à travers toutes les épreu-
ves et en surmontant tous les obstacles !
Nous n'avons pas à répéter ici l'histoire des an-
ciennes initiations; plus elles étaient dangereuses
et terribles, plus elles avaient d'efficacité : aussi le
monde, alors, avait-il des hommes pour le gou-
verner et pour l'instruire. L'art sacerdotal et l'art
royal consistaient surtout dans les épreuves du
courage, de la discrétion et de la volonté. C'était
un noviciat semblable à celui de ces prêtres si im-
populaires de nos jours sous le nom deksuites, et
qui gouverneraient encore le monde s'ils avaient
une tête vraiment sage et intelligente.
Après avoir passé notre vie à la recherche àe
l'absolu en religion, en science et en justice ; après
avoir tourné dans le cercle de Faust, nous sommes
arrivés au premier dogme et au premier livre de
l'humanité. Là nous nous arrêtons, là nous avons
trouvé le secret de la toute-puissance humaine et
du progrès
_ indéfini, la clef de tous les symbolis-
mes, le premier et le dernier de tous les dogmes.
Et nous avons compris ce que veut dire ce mot si
souvent répété dans l'Évangile : le royaume de
Dieu.
T. I. 7
98 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
ELIPHAS LÉVI.
DOGME
DE
LA HAUTE MAGIE
I et A
LE RÉCIPIENDAIRE.
DISCIPLINA.
ENSOPH.
INTER.
2 2 B.
LES COLONNES DU TEMPLE.
CUOCIAR.
DONUS.
ON 0818.
yang yin.
Bohas et Jakin sont les noms des deux colonnes
• symboliques qui étaient devant la porte principale
du temple cabalistique de Salomon.
Ces deux colonnes expliquent en cabale tous les
mystères de l'antagonisme, soit naturel, soit poli-
tique, soit religieux, et ils expliquent la lutte géné-
ratrice de l'homme et de la femme : car, selon la
LM COLONNES DU TEMPLE. 125
loi de la nature, la femme doit résister à l'homme,
et lui, doit la charmer ou la soumettre.
Le principe actif cherche le principe passif, le
plein est amoureux du vide. La gueule du serpent
attire sa queue, et, en tournant sur lui-même, il
se fuit et il se poursuit.
La femme est la création de l'homme, et la créa-
tion universelle est la femme du premier principe.
Quand l'être principe s'est fait créateur, il a
érigé un jod ou un phallus, et, pour lui faire
place dans le plein de la lumière incréée, il a dû
creuser un cteïs ou une fosse d'ombre égale à la
dimension déterminée par son désir créateur, et
attribuée par lui au jod idéal de la lumière rayon-
nante.
Tel est le langage mystérieux des cabalistes dans
le Talmud, et, à cause des ignorances et des mé-
chancetés du vulgaire, il nous est impossible de
l'expliquer ou de le simplifier davange.
Qu'est-ce donc que la création ? C'est la maison
du Verbe créateur. Qu'est-ce que le cteïs ? C'est
la maison du phallus.
Quelle est la nature du principe actif? C'est de
répandre. Quelle est celle du principe passif ? C'est
de rassembler et de féconder.
4;Z6 DOGME DE LA HAUtE
V
128 DO GME DE LA HAUTE MA GIE.
et règlent la
liberté, qui est nécessairement raisonnable et sage.
Pour rendre la lumière visible, Dieu a seulement
supposé l'ombre.
Pour manifester la vérité, il a rendu le doute
possible.
L'ombre est le repoussoir de la lumière, et la
possibilité de l'erreur est nécessaire pour la mani-
festation temporelle de la vérité.
Si le bouclier de Satan n'arrêtait la lance de
Michaël, la puissance de l'ange se perdrait dans
le vide ou devrait se manifester par une destruction
infinie dirigée de haut en bas.
'Et si le pied de Michaël ne retenait Satan dans
son ascension, Satan irait détrôner Dieu, ou plu-
tôt se perdre lui—même dans les abtmes de la
hauteur.
Satan est donc nécessaire à Michaël comme le
piédestal à la statue, et Michaél est nécessaire à
Satan comme le frein à la locomotive.
En dynamique analogique; et universelle, on ne
s'appuie què sur ce qui résiste.
Aussi l'univers est-il balancé par deux forces
qui le maintiennent en équilibre : la force qui
attire et celle qui repousse. Ces deux forces existent
LESCOLONNESDUTEMPLE. 129
en physique, en philosophie et en religion. Elles
produisent en physique l'équilibre, en philosophie
la critique, en religion la révélation progres-
sive. Les anciens ont représenté ce mystère par
la lutte d'Éros et d'Antéros, par le combat de
Jacob avec l'ange , par l'équilibre de la montagne
d'or que tiennent liée, avec le serpent symbolique
de l'Inde, les dieux d'un côté et de l'autre les
démons.
Il se trouve aussi figuré par le caducée d'Flerma-
nabis, par les deux chérubins, de l'arche, par les
deux sphinx du chariot d'Osiris, par les deux Séra-
phins, le blanc et le noir.
Sa réalité scientifique est démontrée par les
phénomènes de la polarité et par la loi universelle
des sympathies ou des antipathies.
Les disciples inintelligents de Zoroastre ont divi-
nisé le binaire sans le rapporter à l'unité, séparant
ainsi les colonnes du temple, et voulant écarteler
Dieu. Le binaire en Dieu n'existe que par le ter-
naire. Si vous concevez l'absolu comme deux, il
faut immédiatement le concevoir comme trois, pour
retrouver le principe unitaire.
C'est pour cela que les éléments matériels ana-
logues aux éléments divins se conçoivent comme
I. I. 9
130 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
quatre ,
s'expliquent comme deux , et n'existent finalement
que comme trois.
La révélation , c'est le binaire ; tout verbe est
double et suppose deux.
La morale qui résulte de la révélation est fondée
sur l'antagonisme, qui est Ja conséquence du bi-
naire. L'esprit et la forme s'attirent et se repoussent
comme l'idée et le signe, comme la vérité et la
fiction. La raison suprême nécessite le dogme en
se communiquant aux intelligences finies, et le
dogme, en passant du domaine des idées à celui
des formes, se fait participant de deux mondes, et a
nécessairement deux sens qui parlent successive-
ment, ou à la fois, soit à l'esprit, soit à la chair.
Aussi dans le domaine moral y a-t-il deux
forces: une qui attente, et l'autre qui réprime ou
qui expie: Ces deux forces sont figurées dans les
mythes de la Genèse par les personnages typiques
de Caïn et d'Abel.
Abel opprime Caïn par sa supériorité morale ;
Caïn, pour s'affranchir, immortalise son frère en
le tuant, et devient la victime de son propre for-
fait. Caïn n'a pu laisser vivre Abel, et le sang
d'Abel ne laisse plus dormir Caïn.
Dans l'Évangile, le type de Caïn est remplacé
Las COLONNES DU l'EMPILE. 434
3 a C.
LE TRIANGLE DE SALOMON.
PLIMITUDO YOM.
Bani.
IP 18114
4i D.
LE TÉTRAGRAMME.
GEMIIRAR CHEM.
ELEMBNIA.
'FARO
NR
LE TÉTRAGRAMME. 155
dans les lettres des mots AZOTE! et INRI, écrites
cabalistiquement, et dans le monogramme du
Christ, tel qu'il était brodé sur le labarum, et que
le cabaliste Postel interprète par le mot ROTA ,
dont les adeptes ont formé leur taro ou tarot, en
répétant deux fois la première lettre , pour indi-
quer le cercle et faire comprendre que le mot est
retourné.
Toute la science magique consiste dans la con-
naissance de ce secret. Le savoir et oser s'en ser-
vir, c'est la toute-puissance humaine; 'mais le révé-
ler à un profane, c'est le perdre; le révéler même
à un disciple, c'est abdiquer en faveur de ce disci-
ple, qui, à partir de ce moment, a droit de vie
et de mort sur son initiateur (je parle au point de
vue magique), et le tuera certainement, de peur
de mourir lui-même. (Ceci n'a rien de commun
avec les actes qualifiés meurtre en législation cri-
minelle, la philosophie pratique, qui sert de base
et de point de départ à nos lois, n'admettant pas
les faits d'envoutements et d'influences occultes.)
Nous entrons ici dans les révélations étranges, et
nous nous attendons 4 toutes les incrédulités et à
tous les haussements d'épaules du fanatisme incré-
dule,, car la religion voltairienne a aussi ses çana-
156 DOGME DE LA HAUTE MAGIE .
sance.
Disons ici quelques mots des quatre éléments
magiques et des esprits élémentaires.
Les éléments magiques sont : en alchimie, le
LB VITRAGE/MIE 161
Le Soufre. Le Mercure.
Lit Uon. • 9 « " . P .
Le Feu. L'Eau.
Le Sel.
Le Taureau.
La Terre.
5 nE.
LE PENTAGRAMME.
GÉBURAE.
ECCE.
•
170 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
peuplé.
Il n'y a pas de mort réelle dans la nature tout
l
est vivant.
« Voyez-vous cette étoile ? disait Napoléon au
cardinal Fesch. — Non, Sire. — Eh bien moi,
je la vois. » Et certainement il la voyait.
C'est pour cela qu'on accuse lès grands hommes
d'avoir été superstitieux : c'est qu'ils ont vu ce que
le vulgaire ne voit pas.
Les hommes de génie diffèrent des simples
voyants par la faculté qu'ils possèdent de faire
sentir aux autres hommes ce qu'ils voient eux-
LE PENTAGRAMME. 171
6 i F.
L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.
TIPHERET.
IINCUS.
esprits.
Les personnes qui renoncent à l'empire de la
raison et qui aiment à égarer leur volonté à la pour-
suite des reflets de la lumière astrale sont sujettes
à des alternatives de fureur et de tristesse qui ont
fait imaginer toutes les merveilles de la possession
du démon ; il est vrai qu'au moyen de ces reflets,
les esprits impurs peuvent agir sur de pareilles
âmes, s'e,p faire des instruments dociles et s'habi-
tuer même à tourmenter leur organisme, dans
lequel ils viennent résider par obsession ou par
L'ÉQUILIBRE MAGIQUE. i 94
embryonnat. Ces mots cabalistiques sont expliqués
dans le livre hébreu de la Révolution des âmes, dont
notre chapitre treizième contiendra l'analyse
succincte.
Il est donc extrêmement dangereux de se jouer
des mystères de la magie ; il est surtout souveraine-
ment téméraire d'en pratiquer les rites par curio-
sité, par essai et comme pour tenter les puissances
supérieures. Les curieux qui, sans être adeptes, se
mêlent d'évocations ou de magnétisme occulte,
ressemblent à des en fantsqu i joueraient avec du feu
près d'un baril de poudre fulminante : ils seront tôt
ou tard les victimes de quelque terrible explosion.
Pour s'isoler de la lumière astrale, il ne suffit
pas de s'entourer d'étoffe de laine, il faut encore
et surtout avoir imposé une quiétude absolue à sou
esprit et à son coeur, être sorti du domaine des
passions et s'être assuré de la persévérance dans
les actes spontanés d'une volonté inflexible. Il faut
aussi réitérer souvent les actes de cette volonté,
car, comme nous le verrons dans l'introduction
du Rituel, la volonté ne s'assure d'elle—même que
par des actes, comme les religions n'ont d'empire
et de durée que par leurs cérémonies et leurs rites.
Il existe des substances enivrantes qui, en exal-
192 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
7 t G.
L'ÉPÉE FLAMBOYANTE.
GLADIUS.
8 n H.
LA RÉALISATION.
110D.
11 111116.
9 tet I.
L'INITIATION.
IESOD.
BONDY.
• 'IO
LA KABALE.
MALCHUT.
PRINCIPIUM.
PHÀLLOS.
librant.
par la Sagesse.
1=1>11171".t
i=n -P1 171*.t.
rny-nr-ui •11.2.
12'2 CP 14.t.
niKSY + r-r`-t
triangle qu'on peut traduire ainsi en lettres ro-
maines :
J
JA
SDI
JEBV
ELOIM
SABAOT
ARARITA
ELVEDAAT
• BLIM GIBOR
ELIM SABAOT
•
LA KABALE. 231
les quatre as, les quatre deux, etc., et nous aurons
dix paquets de cartes donnant l'explication hiéro-
glyphique du triangle des noms divins sur l'échelle
du dénaire que nous avons donné plus haut. On
pourra donc les lire ainsi, en rapportant chaque
nombre au Sephirot correspondant:
mn ,
4 KETER.
2 Cnocian.
Les quatre deux.
Sa sagesse s'épanche et forme quatre fleuves.
3 Bina.
Les quatre trois.
De son intelligence il donne quatre preuves.
4 CESSER.
Les quatre quatre.
De la miséricorde il est quatre bienfaits.
232 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
5 Elxmnuti.
Tureaarra.
7 Nevaxii.
8 Hou.
Les quatre huit.
Quatre fois il triomphe en son éternité.
9 Issoo.
4 0 MALcuirr.
Les quatre dix.
Son unique royaume est quatre fois le même
Et conforme aux fleurons du divin diadème.
11. 3 L
LA CHAINE MAGIQUE.
LA FORCE.
nécessités,
en posant leurs premières et leurs plus inexorables
conditions.
Pythagore était un homme libre, sobre et chaste;
Apollonius de Thyane, Julien-César, ont été des
hommes d'un effrayante austérité; Paracelse fai-
sait douter de son sexe, tant il était étranger aux
faiblesses amoureuses; Raymond Lulle poussait les
rigueurs dela:vie jusqu'à l'ascétisme le plus exalté;
Jérôme Cardan exagéra la pratique du jeûne au
point de mourir de faim, si l'on en croit la tradi-
tion ; Agrippa, pauvre et courant de ville en ville,
mourut presque de misère, plutôt que de subir les
caprices d'une princesse qui insultait à la liberté de
la science. Quel a donc été le bonheur de ces
hommes? L'intelligence des grands secrets et la
conscience du pouvoir. C'était assez pour ces
grandes âmes. Faut-il étre comme eux pour sa-
voir ce qu'ils ont su? Non certainement, et ce livre
que j'écris en est peut-ètre la preuve; mais, pour
faire ce qu'ils ont fait, il est absolument nécessaire
de prendre les moyens qu'ils ont pris.
Mais qu'ont-ils réellement fait? Ils ont étonné
et subjugué le monde, ils ont régné plus véritable-
ment que des rois. La magie est un instrument
de bonté divine ou de diabolique orgueil, mais
LA CHAINE MAGIQUE. 239
c'est la mort des joies de la terre et des plaisirs de
la vie mortelle. -
Alors à quoi bon l'étudier ? diront les viveurs.
— Tout simplement pour la connattre, et puis
peut-être aussi pour apprendre à se défier de l'incré-
dulité stupide ou de la crédulité puérile. Hommes
de plaisir (et comme moitié de ces hommes-là je
compte pour beaucoup de femmes), n'est-ce pas un
plaisir très grand que celui de la curiosité satis-
faite? Lisez donc sans crainte, vous ne deviendrez
pas magiciens malgré vous.
D'ailleurs ces dispositions de renoncement absolu
ne sont nécessaires que pour établir les courants
universels et changer la face du monde; il est des
opérations magiques relatives et bornées à un cer-
tain cercle, qui ne demandent pas d'aussi héroï-
ques vertus. On peut agir sur les passions par les
passions, déterminer les sympathies ou les antipa-
thies, affliger même etguérir, sans avoir la toute-
puissance du mage; il faut seulement être prévenu
du risque qu'on peut courir d'une réaction pro-
portionnelle à l'action et dont on pourrait facile-
ment être victime. Tout ceci sera expliqué dans le
Rituel.
Faire la chaîne magique, c'est établir un cou-
DOGME DE LA BRUTE MAGII3.
rant magnétique, qui devient plus fort en raison
de l'étendue de la chaîne. Nous verrons dans le
Rituel comment ces courants peuvent se produire
et quelles sont les différentes manières de former
la chaîne. Le baquet de Mesmer était une chaîne
magique assez imparfaite; plusieurs grands cer-
cles d'illuminés, dans différents pays du Nord, ont
des chaînes plus puissantes. La société même de
certains prêtres catholiques célèbres par leur puis-
sance occulte et leur impopularité est établie sur le
plan et suivant les conditions des chaînes magiques
les plus puissantes, et c'est le secret de leur force,
qu'ils attribuent uniquement à la grâce ou à la
volonté de Dieu, solution vulgaire et facile de tous
les problèmes de force en influence pu en entraîne-
ment. Nous aurons à apprécier, dans notre Rituel,
la série de cérémonies et d'évocations véritable-
ment magiques qui composent le grand oeuvre de
la vocation sous le nom d'exercices de saint
Ignace.
Tout enthousiasme propagé dans une société,
par une suite de communications et de pratiques
arrêtées, produit un courant magnétique et se
conserve ou s'augmente par le courant. L'action
du courant est d'entraîner et d'exalter souvent
LA CRAINS MAGIQUE. 2hi
12t7 M
LE GRAND OEUVRE.
DISCITE.
CRUZ.
13 /à N.
LA NÉCROMANCIE.
EX IPSIS.
MORS.
1.4 O.]
LES TRANSMUTATIONS.
PUERA LIME.
SEXPITERNUII.
AVEILIUK.
drons que
les miracles, lorsqu'ils sont réels, sont tout
simplement des phénomènes pour la science.
Les apparitions de personnes qui nous sont
chères coïncidant avec le moment de leur mort
sont des phénomènes du même ordre et attri-
buables à la même cause.
Nous avons parlé du corps sidéral qui est l'inter-
médiaire entre l'âme et le corps matériel. Ce corps
reste éveillé souvent pendant que l'autre som-
meille, et se transporte avec la pensée dans tout
l'espace qu'ouvre devant lui l'aimantation univer-
selle. Il allonge ainsi sans la briser la chaîne sym-
pathique qui le retient attaché à notre coeur et à
notre cerveau, et c'est ce qui rend si dangereux le
réveil en sursaut pour les personnes qui rêvent.
En effet, une commotion trop forte peut rompre
tout à coup la chaîne, et occasionner subitement
la mort.
La forme de notre corps sidéral est conforme à
l'état habituel de nos pensées, et modifie, à la
longue, les traits du corps matériel. C'est pour cela
que Swedenborg, dans ses intuitions somnambu-
liques, voyait souvent des esprits en forme de
divers animaux.
Osons dire maintenant qu'un loup-garou n'est
LES TRANSMUTATIONS. 279
autre chose que le corps sidéral d'un homme, dont
le loup représente les instincts sauvages et san-
guinaires, et qui, pendant que son fantôme se
promène ainsi dans les campagnes, dort péni-
blement dans son lit et rêve qu'il est un véritable
loup.
Ce qui rend le loup-garou visible , c'est la sur-
excitation presque somnambulique causée par la
frayeur chez ceux qui le voient, ou la disposition,
plus particulière aux personnes simples de la cam-
pagne, de se mettre en communication directe
avec la lumière astrale, qui est le milieu commun
des visions et des songes. Les coups portés au loup-
garou blessent réellement la personne endormie
par congestion odique et sympathique de la lumière
astrale, par correspondance du corps immatériel
avec le corps matériel. Bien des personnes croi-
ront rêver en lisant de pareilles choses, et nous
demanderont si nous sommes bien éveillé; mais
nous prierons seulement les hommes de science de
réfléchir aux phénomènes de la grossesse et aux
influences de l'imagination des femmes sur la
forme de leur fruit. Une femme qui avait assisté
au supplice d'un homme qu'on rouait vif accoucha
d'un enfant dont tous les membres étaient rompus.
280 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E .
Qu'on nous explique comment l'impression pro-
duite sur l'âme de la mère par un horrible spec-
tacle pouvait atteindre et briser les membres de
l'enfant, et nous expliquerons comment les coups
portés et reçus en rêve peuvent briser réellement et
blesser même grièvement le corps de celui qui tes
reçoit en imagination, surtout quand son corps est
souffrant et soumis à des influences nerveuses et
magnétiques.
C'est à ces phénomènes et aux lois occultes qui les
produisent qu'il faut rapporter les effets de l'en-
voûtement, dont nous aurons à parler. Les obses-
sions diaboliques, et la plupart des maladies ner-
veuses qui affectent le cerveau, sont des blessures
faites à l'appareil nerveux par la lumière astrale
pervertie, c'est-à-dire absorbée ou projetée dans
des proportions anormales. Toutes les tensions
extraordinaires et extranaturelles de la volonté
disposent aux obsession set aux maladies nerveuses;
le célibat forcé, l'ascétisme, la haine, l'ambition,
l'amour repoussé, sont autant de principes géné-
rateurs de formes et d'influences infernales. Para-
celse dit que le sang régulier des femmes engendre
des fantômes dans l'air ; les couvents, à ce point de
vue, seraient le séminaire des cauchemars, et l'ou
LES TRANSMUTATIONS. 281
pourrait comparer les diables à ces têtes de l'hydre
de Lerne, qui renaissaient sans fin et se multi-
pliaient par le sang même de leurs blessures.
Les phénomènes de la possession des Ursulines
de Loudun, si fatale à Urbain Grandier, ont été
méconnus. Les religieuses étaient réellement pos-
sédées d'hystérie et d'imitation fanatique des pen-
sées secrètes de leurs exorcistes, transmises à leur
système nerveux par la lumière astrale. Elles rece-
vaient l'impression de toutes les haines que ce
malheureux prêtre avait soulevées contre lui, et
cette communication tout intérieure leur parais-
sait à elles-mêmes diabolique et miraculeuse. Ainsi
dans cette malheureuse affaire tout le monde était
de bonne foi, jusqu'à Laubardemont, qui, en exé-
cutant aveuglément les sentences préjugées par le
cardinal de Richelieu , croyait accomplir en même
temps les devoirs d'un véritable juge, et se soup-
çonnait d'autant moins lui-même d'être un valet
de Ponce-Pilate, qu'il lui était moins possible de
voir dans le curé, esprit fort et libertin; de Saint-
Pierre-du-Marché, un disciple du Christ et un
martyr.
La possession des religieuses de Louviers n'est
guère qu'une copie de celles de Loudun : les dia-
282 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
15 a P.
LA MAGIE NOIRE.
SAILIEL.
AUXILIATOH.
16 y Q.
LES ENVOUTEMENTS.
FONS.
OCULUS.
IFULGUR.
17 a R.
L'ASTROLOGIE.
STELLA.
OS,
INFLEXUS.
T. I. 21
322 DOGME i Lit HAUTE MAGIE.
1.8 S.
YSTERIIIII.
CANES.
19 p T.
LA PIERRE DES PHILOSOPHES. —ELAGABALE.
YOUTH).
SOL.
20 U
LA MÉDECINE UNIVERSELLE.
CAPUT.
RESURRECTIO.
clacutus.
La plupart de nos maladies physiques viennent
de nos maladies morales, suivant le dogme magi-
que unique et universel, et en raison de la loi des
analogies.
Une grande passion à laquelle on s'abandonne
correspond toujours à une grande maladie qu'on
se prépare. Les péchés mortels sont ainsi nom-
més parce qu'ils font physiquement et positive-
ment mourir.
Alexandre le Grand est mort d'orgueil. Il était
naturellement tempérant , et s'abandonna par or-
gueil aux excès qui lui donnèrent la mort.
François r est mort d'un adultère.
Louis XV est mort de son Parc-aux-Cerfs.
Quand Marat fut assassiné, il se mourait de
colère et d'envie. C'était un monomane d'orgueil
qui se croyait seul juste, et aurait voulu tuer tout
ce qui n'était pas Marat.
LA MÉ DECINE UNIVERSELLE. 345
Plusieurs de nos contemporains sont morts
d'ambition déçue après la révolution de février.
Dès que votre volonté est irrévocablement con-
firmée dans une tendance à l'absurde, vous êtes
mort, et l'écueil où vous vous briserez n'est pas
loin.
Il est donc vrai de dire que la sagesse conserve
et prolonge la vie.
Le grand Maître a dit : « Ma chair est une nour-
riture et mon sang un breuvage. Mangez ma chair
et buvez mon sang, vous aurez la vie. » Et comme
le vulgaire murmurait, il ajouta : « La chair n'est
pour rien ici; les paroles que je vous dis sont esprit
et vie. » Il voulait donc dire : Abreuvez-vous de
mon esprit et vivez de ma vie.
Et, lorsqu'il allait mourir, il attacha le souve-
nir de sa vie au signe du pain et celui de son esprit
au signe du vin, et institua ainsi la communion
de la foi, de l'espérance et (le la charité.
C'est dans le même sens que les maîtres hermé-
tiques ont dit : Rendez l'or potable, et vous aurez
la médecine universelle; c'est-à-dire : Appropriez
la vérité à vos usages, qu'elle devienne la source
à laquelle vous vous abreuverez tous les jours, et
vous aurez en vous-mêmes l'immortalité des sages.
8/16 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.
21 ve X.
LA DIVINATION. •
DENTES.
FUECA.
MIENS.
22 si Z.
SIGNA.
THOT.
PAN.
ÉLIPHAS LÉVI
NOUVELLE EDITION
Avec94 ligures'
TOME SECOND
Rituel
PARIS
LIHMIRIE GÉNÊRALE DES SCIENCES OCCULTES
ÇHACORNÀC FRÈRES
11, QUAI SAINT-MICHEL, 11
1930
INTRODUCTION.
traînements.
30 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
LA HAUTE MAGIE
CHAPITRE PREMIER.
LES PRÉPARATIONS.
X
XX XX
X -N. I .
X
Là purification du mage doit consister dans
l'abstinence des voluptés brutales, dans un régime.
végétal et doux, dans la privation des liqueurs
fortes, et dans le règlement des heures du som-
meil. Cette préparation a été indiquée et repré-
sentée dans tous les cultes par un temps de
pénitence et d'épreuves• qui précède, les fêtes sym-
boliques du renouvellement de la vie.
Il faut, comme nous l'avons déjà dit, observer
pour l'extérieur la propreté la plus scrupuleuse :
le plus pauvre peut trouver de l'eau aux fontaines.
Il faut aussi nettoyer ou faire nettoyer avec soin
les vêtements, les meubles et les vases dont on fait
usage. Toute malpropreté atteste' une négligence,
et en magie la négligence est mortelle.
Il faut purifier l'air en se levant et en se cou-
-
LES PRÉPARATIONS.
CHAPITRE IL
L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.
CHAPITRE III.
LE TRIANGLE DES PANTACLES.
AA
XX
4
P> V
L'A isolé représente l'unité du premier principe
ou de l'agent intellectuel ou actif. L'A uni au B
représente la fécondation du binaire par l'unité.
L'R est le signe du ternaire, parce qu'il représente
hiéroglyphiquement l'effusion qui résulte de l'union
des deux principes. Lé nombre 1l. des lettres du
mot ajoute l'unité de l'initié au dénaire de Pytha-
gore; et le nombre 66, total de toutes les lettres
additionnées, forme cabalistiquement le nombre 12,
qui est le carré du ternaire et par conséquent la
quadrature mystique du cercle. Remarquons en
passant que l'auteur de l'Apocalypse, cette clavicule
de la cabale chrétienne, a composé le nombre de la
68 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
Ô B I
IMO xs\._ -
CHAPITRE IV.
SUR LE SEL.
SUR LA CENDRE.
EXORCISME DE L EAU.
'
CHAPITRE V.
LE PENTAGRAMME FLAMBOYANT.
CHANTRE VI.
LE MÉDIUM ET LE MÉDIATEUR.
CHAPITRE VII.
La
consécration de l'épée doit se faire le dimanche,
aux heures du soleil, sous l'invocation de
Michael. On mettra la lame de l'épée dans un feu
de laurier et de cyprès ;,puis on en essuiera et or
en polira la lame avec les cendres du feu sacré,
humectées de sang de taupe ou de serpent, et l'on
dira: Sis mihi gladius Michaelis, in virtute Eloïm
Sabaoth fugiant a te spiribus tenebrarum et reptilia
terre; puis on la parfumera avec les parfums du
soleil, et on la renfermera dans de la soie avec des
branches de verveine qu'il faudra briller le septième
jour.
La lampe magique doit être faite de quatre
métaux : l'or, l'argent, l'airain et le fer. Le pied
sera de fer, le noeud d'airain, la coupe d'argent, le
triangle du milieu en or. Elle aura deux bras,
composés de trois métaux tordus ensemble, de
manière toutefois à laisser pour l'huile un triple
conduit. Elle aura neuf mèches, trois au milieu et
trois à chaque bras. ( Voir la figure. ) Sur le pied
on gravera le sceau d'Hermès et au-dessus l'Andro-
gyne à deux têtes de Khunrath. La bordure infé-
rieure du pied représentera un serpent qui se mord
la queue.
Sur la coupe ou récipient de l'huile on gravera
LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS 183
le signe de Salomon. A cette lampe s'adapteront
deux globes l'un orné de peintures transparentes,
• représentant les sept génies, l'autre plus grand et
double, pouvant contenir dans quatre comparti-
ments; entre deux verres, de l'eau teinte en diver-
ses couleurs. Le tout sera renfermé dans une co-
lonne de bois tournant sur elle-même et pouvant
laisser échapper à volonté un des rayons de la lampe
qu'on dirigera sur la fumée de l'autel au moment
des invocations. Cette lampe est d'un grand secours
pour aider les opérations intuitives des imaginations
lentes, et pour créer immédiatement devant les
personnes magnétisées des formes d'une réalité
effrayante, qui, étant multipliées par les miroirs,
agrandiront tout à coup et changeront en une seule -
salle immense remplie d'àmes visibles le cabinet de
l'opérateur; l'ivresse des parfums et l'exaltation
des invocations transformeront bientôt cette fan-
tasmagorie en un rêve réel : on reconnaîtra les
personnes qu'on a connues, les fantômes parleront;
puis, si l'on referme la colonne de la lampe en
redoublant le feu des parfums, il se produira quel-
que chose d'extraordinaire et d'inattendu.
131I RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
CHAPITRE VIII.
AVIS AUX IMPRUDENTS.
CHAPITRE
IX.
CHAPITRE X.
LA CLEF DE L'OCCULTISME.
CHAPITRE XI.
LA TRIPLE CHAINE.
CHAPITRE XII.
LE GR A ND OE UV RE .
•
1 66 RITUEL DE 'LA HAUTE MAGIE.
eloigner les profanes d'un travail dangereux pour
eux que pour se faire bien entendre des adeptes
en leur révélant le monde entier des analogies
que régit le dogme unique et souverain d'Her-
mès.
Ainsi, pour eux, l'or et l'argent sont le roi et la
reine, ou la lune et le soleil; le soufre, c'est l'aigle
volant; le mercure, c'est Pandrogyne'ailé et barbu
monté sur un cube et couronné de flammes ; la ma-
tière ou le sel, c'est le dragon ailé; les métaux en
ébullition sont des lions de diverses couleurs; enfin
l'oeuvre tout entière a pour symbole le pélican et le
phénix.
L'art hermétique est donc en méme temps une
religion, une philosophie et une science naturelle.
Comme religion, c'est celle des anciens mages et
des initiés de tous les temps; comme philoso-
phie, on peut en retrouver les principes dans
l'école d'Alexandrie et dans les théories de Pytha-
gore; comme la science, il faut en demander des
procédés à Paracelse, à Nicolas Flamel et à Ray-
mond Lulle.
La science n'est réelle que pour ceux qui admet-
tent et Comprennent la philosophie et la religion,
et ses procédés ne peuvent réussir qu'à l'adepte
LE 'GRAND OEUVRE. 1.67
parvenu à la volonté souveraine, et devenu ainsi
le roi du monde élémentaire; car le grand agent
de l'opération du soleil, c'est cette force décrite
dans le symbole d'Hermès de là table d'émeraude;
c'est la puissance magique universelle; c'est le
moteur spirituel igné; c'est l'od, selon les Hébreux,
et la lumière astrale, suivant l'expression que nous
avons adoptée dans cet ouvrage.
C'est là le feu secret, vivant et philosophal, dont
tous les philosophes hermétiques ne parlent qu'avec
les plus mystérieuses réserves ; c'est là le sperme
,universel dont ils ont gardé le secret, et .qu'ils
représentent seulement sous la figure du caducée
d'Hermès.
Voici donc le grand arcane hermétique, et nous
le révélons ici pour la première fois clairement et
sans figures mystiques : ce que les adeptes appel-
lent matières mortes ce sont les corps tels qu'ils se
trouvent dans la nature; les matières vives sont des
substançes assimilées et magnétisées par la science
et la volonté de l'opérateur.
En sorte que le grand oeuvre 'est quelque chose
de plus qu'une opération chimique : c'est une véri-
table création du verbe humain initié à la puis-
sance du verbe de Dieu même.
168 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
: 13K1r1
mon Inte nim te LUI 3 rurt
,
CHAPITRE
XIII.-
LA NÉCROMANCIE.
imprécatio
ns et les sacrilèges. C'est la première seulement que
nous ayons pratiquée, et nous ne conseillons à
personne de s'adonner à la seconde.
Il est certain que les images des morts apparais-
sent aux personnes magnétisées qui les évoquent; .
il est certain aussi qu'elles ne leur révèlent jamais
rien des mystères de l'autre vie. On les revoit telles
qu'elles peuvent être encore dans le souvenir de
ceux qui les ont connues, telles que leurs reflets sans
doute les ont laissées empreintes dans la lumière
astrale. Quand les spectres évoqués répondent aux
questions qu'on leur adresse, c'est toujours par les
signes ou par impression intérieure et imaginaire,
jamais avec une voix qui frappe réellement les
oreilles; et cela se comprend assez : comment une
ombre parlerait-elle? avec quel instrument ferait-
elle vibrer l'air en le frappant de manière à faire
distinguer les sons?
On éprouve çependant des contacts électriques
lors des apparitions, et ces contacts semblent quel-
quèfois produits par la main même du fantôme ;
mais ce phénomène est tout intérieur et doit avoir
pour cause unique la puissance de l'imagination et
les affluences locales de la force occulte que nous
appelons lumière astrale. Ce qui le prouve, c'est
LA NÉ CROMANCIE. 183
que les esprits, ou du moins les spectres prétendus
tels, nous touchent bien parfois, mais qu'on ne
saurait les toucher, et c'est une des circonstances
les plus effrayantes des apparitions, car les visions
ont parfois une apparence si réelle, qu'on ne peut
sans être ému sentir que la main passe à travers ce
qui nous semble un corps sans pouvoir rien toucher
ni rencontrer.
On lit dans les historiens ecclésiastiques queSpi-
ridion, évêque de Trémithonte qui fut depuis invo-
qué comme saint, évoqua l'esprit de sa fille Irène
pour savoir d'elle où se trouvait caché un dépôt
d'argent qu'elle avait reçu d'un voyageur. Sweden-
borg communiquait habituellement avec les pré-
tendus morts dont les formes lui apparaissaient dans
la lumière astrale. Nous avons connu plusieurs per-
sonnes dignes de foi qui nous ont assuré avoir revu
pendant des années entières des défunts qui leur
étaient chers. Le célèbre athée Sylvain Maréchal
apparut à sa veuve et à une amie de cette dernière
pour leur donner connaissance d'une somme de
1500 francs en or qu'il avait cachée dans un tiroir
secret d'un meuble. Nous tenons cette anecdote
d'une ancienne amie de la famille.
Les évocations doivent toujours être motivées et
18 h RITUEL DF LA HAUTE MAGIE.
CHAPITRE XIV.
LES TRANSMUTATIONS.
CHAPITRE XV.
LE SABBAT DES SORCIERS.
CHAPITRE XVI.
CHAPITRE XVII.
L 'É C R I T U R E D E S É T O I L E S .
A
260 RITUEL DE L i t HAUTE MAGIE.
T
c
08
1:›1 2 5-\ ce- JZ
fUL
4. Le bateleur ou le mage.
. L'empereur, ou le dominateur.
Le quatrième jour est funeste: ce fut celui de la
naissance de Caïn ; mais il est favorable aux entre-
prises injustes et tyranniques.
5. Le pape, ou r hiérophante.
6. L'amoureux, ou la liberté.
Le sixième est un jour d'orgueil : ce fut celui de la
naissance deLameth, celui qui disait à ses femmes.:
J'ai tué un homme qui m'avait frappé et un jeune
homme qui m'avait blessé. Maudit soit qui préten-
dra m'en punir ! CO jour est propice aux conspira-
tions et aux révoltes.
7. Le chariot.
Au septième jour naissance d'Hébron, celui qui
donna son nom à la première des villes saintes d'Is-
raël. Jour de religion, de prières et de succès.
L'ÉCRITURE DES ÉTOILES. 267
8. La justice.
Meurtre d'Abel. Jour d'expiation.
9. Le vieillard ou l'ermite.
13. La mort.
Jour de la naissance de Chanaan, le fils, maudit
de Cham. Jour funeste et nombre fatal.
268 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
I h. L'ange de
tempérance.
Bénédiction de Noé, le quatorzième jOur de la
lune. A ce jour préside l'ange Cassiel de la hiérar-
chie d'Uriel.
15. Typhon ou le diable.
Naissance d'Ismaël. ,Jour de réprobation et
d'exil.
16. La tour foudroyée.
20. Le jugement.
Naissance de Jonas, l'organe des jugements de
Dieu. Jour propice aux révélations divines.
21. Le monde.
Naissance de Saül, royauté matérielle. Danger
pour l'esprit et la raison.
22. Influence de Saturne.
Naissance de Japhet.
les anciens
cabalistes hébreux, comme le prouvent leurs
observations conservées par Rabbi Chomer, Rabbi
Kapol, Rabbi Abjudan et autres maîtres en cabale.
Les menaces des prophètes aux divers empires
du monde étaient fondées sur les caractères des
étoiles qui se trouvaient verticalement au- dessus
d'eux dans le rapport habituel de la sphère céleste à
la sphère terrestre. C'est ainsi qu'en écrivant dans
le ciel même de la Grèce son nom en hébreu p',
ou et en le traduisant eu nombres, ils avaient
trouvé le mot 11n, qui signifie détruit, désolé.
22 8
CHARAB.
Détruit , Désolé.
Somme 42.
•
1e
56
3AVÀN.
Grèce.
Somme 42.
***
*
**
CHAPITRE XVIII.
PHILTRES ET MAGNÉTISME.
CHAPITRE XIX.
LE MAGISTÈRE DU SOLEIL.
CHAPITRE XX.
-LA THAUMATURGIE.
CHAPITRE XXI.
LA SCIENCE DES PROPHÈTES.
CHAPITRE XXII.
LE LIVRE D HERMÉS.
t
bale.
Etteilla ou Alliette, préoccupé uniquement de
son système de divination et du profit matériel
qu'il pouVait en tirer, Alliette, ancien coiffeur,
n'ayant jamais appris ni le français, ni même l'or-
thographe, prétendit. réformer et s'approprier ainsi
le livre deTHOT. Sur le tarot qu'il &graver, et qui
• est devenu fort rare, on lit à la carte vingt-huitième
(le huit de bâtons) cette réclame naïve : « Etteilla,
» professeur d'algèbre, rénovateur de la cartoman-
» cie et rédacteurs (sic) des modernes incorrec-
» tions de cet ancien livre de Thot, demeure rue de
» l'Oseille, n° 48, à Paris. » Etteilla eût certaine-
LE LIVRE D'HERItIES. 339
ment mieux fait de ne pas rédiger les incorrections
dont il parle : ses travaux ont fait retomber clans
le. domaine de la magie vulgaire et des tireuses de
cartes lelivre antique découvert par Court de Gé-
-
gion
catholique et les souverains, par l'auteur du rode
levé pour les curieux. Paris, Crapard, 1792. Les
véritables initiés, disons-nous, qui tenaient le secret
du tarot parmi leurs plus grands mystères, se
gardèrent bien de protester contre les erreurs
d'Etteilla, et le laissèrent non pas révéler, mais
revoiler l'arcane des vraies clavicules de Salomon.
Aussi n'est-ce pas sans un profond étonnement que
nous avons retrouvé intacte et ignoré encore cette
clef de tous les dogmes et de toutes les philosophies
de l'ancien monde. Je dis une clef, et c'en est vé-
ritablement une, ayant le cercle des quatre décades
pour anneau, et pour tige ou pour corps l'échelle
des 22 caractères, puis pour tournant les trois
degrés du ternaire, comme l'a compris et figuré
Guillaume Postel dans sa Clef des choses cachées
depuis le commencement du monde, clef dont il
indique ainsi le nom occulte et connu des seuls
initiés :
LE LIVRE D'HERMÈS. 341
11
mot qui peut se lire ROTA, et qui signifie la roue
d'Ezéchiel, ou TAROT, et alors il est synonyme de
l'AzoTH des philosophes hermétiques. C'est un mot
qui exprime cabalistiquement l'absolu dogmatique
et naturel ; il est formé des caractères du mono-
gramme de Christ, suivant les Grecs et les Hé-
breux. L'R latine ou le P grec se trouve au milieu,
entre l'alpha et l'oméga de l' Apocalypse ; puis le
Tau sacré, image de la croix, enferme le mot tout
entier, comme nous l'avons représenté à la page
95 de notre Rituel.
Sans te tarot, la magie des anciens est un livre
- 342 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
JUPITER.
642 12 40
5 40 41
7 42
14 6 4
MARS.
14 10 22 22 48
26 Ti 7 `20 2
12 3 9 526
11 23 8 6441
LE LIVRE D'HERMÈS. 3113
LE SOLEIL.
9 32 258 A9
7 14 27 48 3
49 46 45 24
48 20 21 47 3
22 29
40 26 42
36 5 35 6 42 3
VÉNUS.
22 47 48 44 35 8
25 23 47 47 42 14
40 6 44 9 48 36 42
3 34 A6 25 43 T9 37
26 44 20
38 32 34
45
21 39 8 33 22 27
46 15 40 T9 24 03 27
MERCURE.
8 24 T2 12 15
52 395
- .
15 4452 52 61
43 45
14
34 35 20
49 31
441 25
0 3
33
17
6 27 59 47
9
55 28 5 1 53
6 1 1.66 11
12;10 56
'-
19118
38139 95
3 01 31 33
1
51100 16 ti1
.--T-7 47
3!i4 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
LA LUNE.
37 70 29 70 21 62 12 4,1
46'28 70 30 74 53 44 46
47 2044 7 34 72 22 35 45
46 48 68 40 81 32 62 25 56
57 17 49 29 7 66 43
26 65 25
58 40 56 34 42 74 34 66
53 27 59 40 51 44 35
36 68 49 60
44 76
43
65
77 28 20 6961 42 25 60 5
=—
11111111111.111MUNIUMMUIIIIiIIMI _
luntutiiiituiticiellgumffinifiœntifimuniamilmmail
X
- ZN
son cours.
Nous ne sommes pas juges les uns des autres.
La vie est un champ de bataille. Ne cessons pas de
combattre à cause de ceux qui tombent, mais évi-
tons de marcher sur eux. Puis vienne la victoire,
et les blessés de deux partis, devenus frères par la
LE LIVRE D'HERMÈS. 38i
souffrance et devant l'humanité, seront réunis dans
les ambulances dés vainqueurs.
Telles sont les conséquences du dogme philoso-
phique d'Hermès ; telle a été de tout temps la mo-
rale des-vrais adeptes; telle est la philosophie des
roses-croix héritiers de toutes les sagesses antiques ;
telle est la doctrine secrète de ces associations qu'on
traitait de subversives de l'ordre public, et qu'on a
toujours accusées de conspiration coutre les trônes
et les autels !
Le véritable adepte, loin de troubler l'ordre pu-
blic, en est le plus ferme soutien, Il respecte trop
la liberté pour désirer l'anarchie; enfant de la lu-
mière, il aime l'harmonie, et il sait que les ténèbres
produisent la confusion. Il accepte tout ce qui est,
et nie seulement ce qui n'est pas. Il veut la religion
vraie, pratique, universelle, croyante, palpable,
réalisée dans la vie entière; il la veut avec un sage
et puissant sacerdoce, entouré de toutes les vertus
et de tous les prestiges de la foi. fi veut l'orthodoxie
universelle, la catholicité absolue, hiérarchique,
apostolique, sacramentelle, incontestable et incon-
testée. Il veut une philosophie expérimentale, réelle,
mathématique, modeste dans ses conclusions, infa-
tigable dans ses recherches, scientifique dans ses
382 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
FIN DU RITUEL.
SUPPLÉMENT AU RITUEL.
LE NUCTEMERON
D'APOLLONIUS DE TIIVANE.
LE NIJCTÉMÉRON.
PREMIÈRE HURE:
SECONDE HEURE.
TROISIÈME HEURE.
QUATRIÈME HEURE.
CINQUIÈME HEURE.
(V.) Èv ctivouenv Tac &vo) taaTot TÔV Oeàv Tot oirpetvou (aquœ
supraccelestes (tabula marmoris mundi Hebrœorum). '
SIXIÈME HEURE.
SEPTIÈME HEURE.
Un feu qui donne la vie à tous les êtres animés est dirigé
par la volonté des hommes purs. L'initié étend la main et les
souffrances s'apaisent.
HUITIÈME. HEURE.
NEUVIÈME HEURE.
DIXIÈME HEURE.
ONZIÈME HEURE.
(XI.) Fv irir :a rat scrh Irrégill 017V ;7X(1) 9i itriElOt XCC: XEFil7."
,
LE NUCTÉMÉRON. 389
faim nit aéparpta, xai i'atev xic:xx iv o:ipétvw, xai yi; sivataXte
xai ô ego; iy À ,Sau (lege eitp) g
s
DOUZIÈME HEURE.
EXPLICATION.
PAPUS, médecin.
SINBUCK, juge.
HASPHUIA, nécromant.
ZAHUN, génie du scandale.
HEIGLOT, génie des neiges.
MIZKUN, génie des amulettes.
HAVEN, génie de la dignité.
EXPLICATION.
Il faut devenir le médecin et le juge de soi-méme
pour vaincre les maléfices du nécromant. Conjurer
et mépriser le génie du scandale, triompher de
l'opinion qui glace tous les enthousiasmes et
confond toutes choses dans une mémo froide pâleur
comme fait le génie des neiges. Connaître la vertu
des signes et enchaîner ainsi le génie des amulettes
pour arriver à la dignité de mage.
392 SUPPLÉMENT AU RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
EXPLICATION.
EXPLICATION.
EXPLICATION.
La force du mage est dans son jugement qui lui
fait éviter la confusion résultant de l'antinomie
et de l'antagonisme des principes, il pratique la
divination des sages mais; il méprise les prestiges
des enchanteurs esclaves de la fornication, artistes
en poisons, serviteurs de l'amour des bêtes, il
triomphe ainsi de la fatalité qui est le génie du jeii.
EXPLICATION.
EXPLICATION.
EXPLICATION.
Le septénaire exprime le triomphe du mage, il
donne la prospérité aux hommes et aux nations et
les soutient par ses enseignements sublimes; il
plane comme l'aigle, il dirige les courants du feu
astral représentés par les serpents, toutes les portes
du sanctuaire lui sont ouvertes et toutes les âmes
qui aspirent à la vérité lui donnent leur confiance;
il est beau de grandeur morale et it porte partout:
avec lui le génie pu. la puissance duquel OU est
adné.
LE NUCTEMÉRON. 397
EXPLICATION.
Tels sont les génies qui obéissent au vrai mage,
les colombes représentent les idées religieuses; le
schamir, est un diamant allégorique qui dans les
traditions magiques, représente la pierre des
sages, ou cette force basée sur la vérité .et à
laquelle rien.ne résiste. Les Arabes disent encore
que le schamir donné primitivement à. Adam et
perdu par lui après sa chute, a été retrouvé par
Hénoch et possédé par Zoroastre, que Salomon le
reçut ensuite d'un ange lorsqu'il eut demandé à
Dieu la sagesse. Salomon, au moyen de ce diamant
magique, tailla lui—même sans efforts et sans mar-
teau toutes les pierres du temple, rien qu'eu les
touchant avec le schamir.
8g8 SUPPLÉMENT AU RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
EXPLICATION.
Ce nombre, dit Apollonius, doit étre passé sous
silence, parce qu'il renferme les grands, secrets de
l'initié; la force qui rend la terre féconde, les mys-
tères du feu occulte, la clef universelle des langues,
la seconde vue devant laquelle les malfaiteurs ne
sauraient rester cachés. Les grandes lois de l'équi-
libre et du mouvement lumineux représentés par
les quatre animaux symboliques dans la cabale,
et dans la mythologie des Grecs par les quatre
chevaux du soleil. La clef de l'émancipation des
-
EXPLICATION.
Les nombresfinissent à neuf etle signe distinctif
de la dizaine c'est le zéro sans valeur propre ajouté
à l'unité. Les génies de la dixième heure repré-
sententdonctout ce qui m'étant rien par soi—même,
reçoit une grande force de l'opinion et peut subir
par conséquent la toute—puissance du sage. Nous
marchons ici sur un terrain brillant et l'on nous
permettra de n'expliquer aux profanes ni le diable
qui est leur maitre, ni le tueur d'enfants qui est
leur amour, ni la cupidité qui est leur dieu, ni les
chiens auxquels nous ne les comparons pas, ni la
pierre d'onyx qui leur échappe, ni les stryges qui
sont leurs courtisanes, ni les fausses apparences
qu'ils prennent pour la vérité.
400 SUPPLÉMENT AU RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
EXPLICATION.
EXPLICATION.-
T. t!.
402 SUPPLÉMENT AU RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
LE NUCTEMÉRON
SUIVANT LES HÉBREUX (1.).
PREMIERE HEURE.
EXPLICATION.
SECONDE HEURE.
EXPLICATION.
Tout vit pas le mouvement, tout se maintient
par l'équilibre, et l'harmonie résulte de l'analogie
des contraires ; cette loi est la forme des formes,
c'est la première manifestation de l'activité et de la
fécondité de Dieu.
TROISIÈME HEURE.
EXPLICATION.
Le ternaire sort de lui-même du binaire; le mou•
vement qui produit deux produit trois; trois est la
clé des nombres, car c'est la-première synthèse
numérale, c'est en géométrie le triangle, première
figure complète et fermée, génératrice d'une infi-
nité de triangles, soit dissemblables, soit pareils.
QUATRIÈME HEURE.
• EXPLICATION:
CINQUIÈME HEURE.
EXPLICATION.
SIXIÈME HEURE.
EXPLICATION.
SEPTIÈ ME HEURE.
EXPLICATION.
Dieu, après avoir créél' hom me à son image, s'est
reposé le septième jour, car il s'était donné une
épouse féconde qui allait travailler sans cesse pour
lui; la nature est l'épouse de Dieu et Dieu se repose
sur elle. L'homme, devenu créateur à sonr tour par
le verbe se donne une compagne semblable à lui et
sur l'amour de laquelle il pourra désormais se
reposer ; la femme est l'oeuvre de l'homme, c'est
408 SUPPLÉMENT AU RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.
lui qui, en l'aimant, la rend belle, c'est lui qui la
rend mère ; la femme est la véritable nature hu-
maine fille, et mère de l'homme , petite-fille et
petite-mère de Dieu.
HUITIÈME HEURE.
EXPLICATION.
EXPLICATION.
Neuf est le nombre de l'initiation parce que,
étant composé de trois fois trois, il représente l'idée
409
L E N U C T EM É R ON S UI V AN T L ES H É B R EU X .
EXPLICATION.'
ONZIÈME HEURE.
EXPLICATION.
Tel est le complément de la naissance morale,
l'homme est achevé, car il est voué au sacrifice qui le
régénère, l'exil d'Adam est semblable àl'exil
' dipe; comine0Edipe, Adam est père de deux enne-
mis ; 0Edipe a pour fille la pieuse et virginale
-
de
» gobes et dé mauvaises eaux. Je te
commande,
» comme Jésus-Christ mon Sauveur a
commandé
» dans la nacelle à ses disciples, lorsqu'ils
lui
• dirent : Seigneur, réveillez-vous, car la mer nous
D effraye. Aussitôt le Seigneur s'éveilla, com-
• manda à la mer de s'arrêter; aussi la mer devint
Voici les sept oraisons mystérieuses que l'on doit dire pendant
la semaine.
S'il le
faut, son propre intérêt à la justice. Voilà la
vraie magie qui porte bonheur, et ceux qui agissent
ainsi, ne craignent ni la malice des envoûteurs, ni
la sorcellerie des bergers.
RÉPONSE A QUELQUES QUESTIONS. â13
RÉPONSE
PREMIÈRE QUESTION.
TROISIÈMEQUESTION.
QUATRIÈME QUESTION.
ÉLIPHAS LÉVY .
The Project Gutenberg EBook of Histoire de la magie, by Éliphas Lévi
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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Language: French
DOGME ET RITUEL
DE LA HAUTE MAGIE.
Par M. ÉLIPHAS LÉVI.
Cet ouvrage est divisé en deux parties. Dans l'une, l'auteur établit le dogme cabalistique et magique dans
son entier; l'autre est consacrée au culte, c'est-à-dire à la magie cérémoniale. L'une est ce que les anciens
sages appelaient la clavicule; l'autre, ce que les gens de la campagne appellent encore le grimoire. Le
nombre et le sujet des chapitres qui se correspondent dans les deux parties n'ont rien d'arbitraire et se
trouvent tout indiqués dans la grande clavicule universelle, dont l'auteur donne pour la première fois une
explication complète et satisfaisante.
Ce livre est catholique, et si les révélations qu'il contient sont de nature à alarmer la conscience des simples,
il est consolant de penser qu'ils ne le liront pas. Il est écrit pour les hommes sans préjugés, et l'auteur n'a pas
voulu plus flatter l'irréligion que le fanatisme.
HISTOIRE DU SOMNAMBULISME
CONNU
CHEZ TOUS LES PEUPLES,
SOUS LES NOMS DIVERS D'EXTASES, SONGES, ORACLES, VISIONS,
EXAMEN DES DOCTRINES DE L'ANTIQUITÉ
ET DES TEMPS MODERNES
SUR DES CAUSES, SES EFFETS, SES ABUS, SES AVANTAGES
ET L'UTILITÉ DE SON CONCOURS AVEC LA MÉDICINE.
GAUTHIER (Aubin). Traité pratique du magnétisme et du somnambulisme. 1844, 1 vol. in-8 (Épuisé.) 10
fr.
GAUTHIER (Aubin). Revue magnétique, journal des cures et des faits magnétiques et somnambuliques.
Décembre 1844 à octobre 1846. 2 vol. in-8. 6 fr.
Les numéros de mai, juin, juillet, août et septembre 1846 n'ont jamais été publiés, et forment, dans le tome
2e, une lacune des pages 211 à 432.
L'ART DE MAGNÉTISER
OU LE MAGNÉTISME ANIMAL
CONSIDÉRÉ SOUS LES POINTS DE VUE THÉORIQUE, PRATIQUE
ET THÉRAPEUTIQUE,
LAFONTAINE, Éclaircissement sur le magnétisme. Cures magnétiques à Genève. 1855, in-18, br. 1 fr. 50
INSTRUCTION PRATIQUE
SUR LE
MAGNÉTISME ANIMAL,
PRÉCÉDÉE D'UNE NOTICE SUR LA VIE
ET LES OUVRAGES DE L'AUTEUR, ET SUIVIE D'UNE LETTRE
D'UN MÉDECIN ÉTRANGER,
DELEUZE. Histoire critique du magnétisme animal. 2e édition, 1819, 2 vol. in-8. 9 fr.
DELEUZE. Mémoire sur la faculté de Prévision, avec des notes et des pièces justificatives, et avec une
certaine quantité d'exemples de prévisions recueillis chez les anciens et les modernes. 1836, in-8, br. 2 fr.
50
LE MAGNÉTISME ET LE SOMNAMBULISME
DEVANT
LES CORPS SAVANTS, LA COUR DE ROME
ET LES THÉOLOGIENS,
TRAITÉ
DE MAGNÉTISME ANIMAL
SUIVI
DES PAROLES D'UNE SOMNAMBULE
ET D'UN
RECUEIL DE TRAITEMENTS MAGNÉTIQUES,
RICARD. Le magnétisme traduit eu cour d'assises. Acquittement. 1845. 1 vol. in-8. 2 fr. 50
TESTE. Confessions d'un magnétiseur, suivies d'une consultation médico-magnétique fur des cheveux de
Mme Lafarge. 1842, 2 vol. in-8. 6 fr.
PHYSIOLOGIE
MÉDECINE ET MÉTAPHYSIQUE
DU MAGNÉTISME,
CHARPIGNON. Coup d'oeil appréciateur sur les doctrines médicales (systèmes classiques), vitalisme,
spiritualisme, homoeopathie, magnétisme, hydrothérapie, 2e édit. 1858, 1 vol. in 8. 3 fr. 50
CHARPIGNON. Études physiques sur le magnétisme animal, soumises à l'Académie des sciences. 1843,
in-8, br. 1 fr.
Publié en 1854 à l'occasion des tables parlantes, et sous l'impression des espérances de rénovation sociale
qu'elles ont toutes données en Amérique, ce livre est un assemblage curieux de systèmes de cosmologie en
opposition avec les hypothèses newtoniennes, et d'idées réformatrices en fait d'éducation et de signes
d'échange. La Voyance de Prevorst, dont un extrait termine le volume, est à peu près inconnue en France
bien qu'elle ait produit, il y a plusieurs années, un assez grand effet en Allemagne. Justin Kerner son auteur,
a été à la fois poëte agréable et habile médecin. Tout est vrai dans ce récit de ce qu'a éprouvé pendant sept
ans si pauvre malade. Les philosophes peuvent donc en toute sûreté raisonner d'après ces faits. Paris.--
Imprimerie L. MARTINET, rue Mignon, 2.
HISTOIRE
DE LA MAGIE
AVEC UNE
EXPOSITION CLAIRE ET PRÉCISE DE SES PROCÉDÉS,
DE SES RITES ET DE SES MYSTÈRES
PAR ÉLIPHAS LÉVI
Auteur de Dogme et rituel de la haute magie.
PARIS
GERMER BAILLIÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
17, RUE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE.
LONDRES ET NEW-YORK,
H. BAILLIÈRE. MADRID.
CH. BAILLY-BAILLIÈRE.
1860
PRÉFACE
Les travaux d'Éliphas Lévi sur la science des anciens mages formeront un cours complet divisé en trois
parties:
La première partie contient le Dogme et le Rituel de la haute magie; la seconde, l'Histoire de la magie; la
troisième, la Clef des grands mystères, qui sera publiée plus tard.
Chacune de ces parties, étudiée séparément, donne un enseignement complet et semble contenir toute la
science. Mais pour avoir de l'un une intelligence pleine et entière, il sera indispensable d'étudier avec soin
les deux autres.
Cette division ternaire de notre oeuvre nous a été donnée par la science elle-même; car notre découverte des
grands mystères de cette science repose tout entière sur la signification que les anciens hiérophantes
attachaient aux nombres. Trois était pour eux le nombre générateur, et dans l'enseignement de toute
doctrine ils en considéraient d'abord la théorie, puis la réalisation, puis l'adaptation à tous les usages
possibles. Ainsi se sont formés les dogmes, soit philosophiques, soit religieux. Ainsi la synthèse
dogmatique du christianisme héritier des mages impose à notre foi trois personnes en Dieu et trois mystères
dans la religion universelle.
Nous avons suivi, dans la division de nos deux ouvrages déjà publiés, et nous suivrons dans la division du
troisième le plan tracé par la kabbale; c'est-à-dire par la plus pure tradition de l'occultisme.
Notre Dogme et notre Rituel sont divisés chacun en vingt-deux chapitres marqués par les vingt-deux lettres
de l'alphabet hébreu. Nous avons mis en tête de chaque chapitre la lettre qui s'y rapporte avec les mots
latins qui, suivant les meilleurs auteurs, en indiquent la signification hiéroglyphique. Ainsi, en tête du
chapitre premier, par exemple, on lit:
1אA
LE RÉCIPIENDAIRE,
Disciplina,
Ensoph,
Keter.
Ce qui signifie que la lettre aleph, dont l'équivalent en latin et en français est A, la valeur numérale 1
signifie le récipiendaire, l'homme appelé à l'initiation, l'individu habile (le bateleur du tarot), qu'il signifie
aussi la syllepse dogmatique (disciplina), l'être dans sa conception générale et première (Ensoph); enfin
l'idée première et obscure de la divinité exprimée par keter (la couronne) dans la théologie kabbalistique.
Le chapitre est le développement du titre et le titre contient hiéroglyphiquement tout le chapitre. Le livre
entier est composé suivant cette combinaison.
L'Histoire de la magie qui vient ensuite et qui, après la théorie générale de la science donnée par le Dogme
et le Rituel, raconte et explique les réalisations de cette science à travers les âges, est combinée suivant le
nombre septénaire, comme nous l'expliquons dans notre Introduction. Le nombre septénaire est celui de la
semaine créatrice et de la réalisation divine.
La Clef des grands mystères sera établie sur le nombre quatre qui est celui des formes énigmatiques du
sphinx et des manifestations élémentaires. C'est aussi le nombre du carré et de la force, et dans ce livre nous
établirons la certitude sur des bases inébranlables. Nous expliquerons entièrement l'énigme du sphinx et
nous donnerons à nos lecteurs cette clef des choses cachées depuis le commencement du monde, que le
savant Postel n'avait osé figurer dans un de ses livres les plus obscurs que d'une manière tout énigmatique
et sans en donner une explication satisfaisante.
L'Histoire de la magie explique les assertions contenues dans le Dogme et le Rituel; la Clef des grands
mystères complétera et expliquera l'histoire de la magie. En sorte que, pour le lecteur attentif, il ne
manquera rien, nous l'espérons, à notre révélation, des secrets de la kabbale des Hébreux et de la haute
magie, soit de Zoroastre, soit d'Hermès.
L'auteur de ces livres donne volontiers des leçons aux personnes sérieuses et instruites qui en demandent,
mais il doit une bonne fois prévenir ses lecteurs qu'il ne dit pas la bonne aventure, n'enseigne pas la
divination, ne fait pas de prédictions, ne fabrique point de philtres, ne se prête à aucun envoûtement et à
aucune évocation. C'est un homme de science et non un homme de prestiges. Il condamne énergiquement
tout ce que la religion réprouve, et par conséquent il ne doit pas être confondu avec les hommes qu'on peut
importuner sans crainte en leur proposant de faire de leur science un usage dangereux ou illicite.
L'étude sérieuse et le travail consciencieux sont au-dessus de toutes les attaques; et les premiers biens qu'ils
procurent à ceux qui savent les apprécier, sont une paix profonde et une bienveillance universelle.
ÉLIPHAS LÉVI.
1er septembre 1859.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE.
Préface
v
INTRODUCTION
1
Fausse définition de la magie. Elle ne doit pas être définie au hasard. Vraie définition,
1
Erreurs de Dupuis,
4
Puissance de l'adepte,
8
Le diable et la science,
10
Ses effets,
20
Le magnétisme défini,
22
Jakin et Bobas,
24
Principe de la hiérarchie,
25
Religion des kabbalistes,
26
Images de Dieu,
28
Théorie de la lumière,
28
Plan de ce livre,
37
Sens de la légende,
42
Raison de l'occultisme.
48
Erreur de Rousseau.
49
Traditions judaïques.
50
Gloire du christianisme.
51
Commencement du Sohar.
52
Pyrotechnie transcendentale.
57
L'initiation en Assyrie,
61
Les Indiens descendants de Caïn. L'Inde mère de l'idolâtrie. Doctrine des gymnosophistes,
67
La table d'Émeraude,
77
Ministère de Joseph,
80
Alphabet sacré,
81
Médée et Jason,
88
Orphée de la légende,
90
Mystères orphiques,
92
La Goétie,
93
Médée et Circé,
95
Sa divination,
101
Croyance de Pythagore.
104
Origine de la kabbale
105
Principes de la kabbale
106
Mystères de la Genèse
120
Belphégor
121
Son culte
122
Décadence de la hiérarchie
123
Philosophie de hasard
124
Doctrine de Platon
124
La pierre cubique
126
Résumé du néoplatonisme
127
Les Bacchantes
129
Platon kabbaliste
141
Expériences funestes
142
Utilité de la douleur
147
Doctrines du Phédon
148
Traditions orthodoxes
151
Tyrésias et Calchas
153
Hiérophantisme de Numa
161
Opinions de Porphyre
166
Passage d'Euripide
168
Superstitions romaines
169
Enchantements
171
Tourbillons magiques
172
Les Joannites
181
Objections absurdes
184
Simon le Magicien
187
Son histoire
188
Sa doctrine
190
Sa chute
193
Satan et Lucifer
194
Sagesse de l'Église
196
Ce que c'est que le diable suivant les initiés aux sciences occultes
196
Opinions de Torreblanca
198
Perversités astrales
199
Justine et Cyprien
208
La légende dorée
212
L'hérésiarque Marcos
218
Miracles diaboliques
220
Les manichéens
220
Mélusine
240
Sainte Clotilde
241
Frédégonde
241
Lois saliques
245
Charles Martel
249
Charlemagne et Roland
254
Les francs-juges
261
Les illuminés
262
La chevalerie errante
263
CHAPITRE IV.--Magiciens
264
Le pape et l'empereur
264
Excommunications
265
Légendes diaboliques
265
Les templiers
275
Leur procès
279
Hallucinations terribles
293
Légèreté de Platine
300
Le grimoire d'Honorius,
305
CHAPITRE IV.--Alchimistes
342
--Postel le Ressuscité
350
Paracelse
353
Le roman de la Rose
359
Disputes du diable et de Luther
360
--Henri Khunrath
366
--Oswald Crollius
369
Condamnations déplorables
377
Légende d'Hiram
402
--Son explication
407
Découvertes en Chine
409
Swedenborg
412
Mesmer
414
Découverte du magnétisme
416
Le comte de Saint-Germain
419
L'alchimiste Lascaris
426
Le comte de Cagliostro
427
Le souper de Cazotte
436
Lilith et Nabéma
438
Mort de Cazotte
440
Étranges prédictions
445
La magie d'Eckartshansen
455
Évocations de Lavater
456
--Il prédit la venue d'un mage nommé Osphal, Alphos, Maffon ou Éliphisma
458
Stabs et Napoléon
459
Mademoiselle Lenormand
465
Le paysan Martin voit un ange habillé en laquais et se fait présenter au roi Louis XVIII
468
Une dame russe trouvant que son guéridon est hérétique, le porte à Rome et obtient du Saint-Père
l'autorisation de le brûler
496
Le cartomancien Edmond
519
Conséquences fâcheuses
523
Le magicien posthume
525
Conclusion
549
But de l'ouvrage
559
Note du transcripteur:
L'Hébreu s'écrit normalement de droite à gauche. C'est ainsi que les citations hébreuses ont été entrées dans
le fichier source. Cependant, les fureteurs (IE, Firefox et Netscape) inversent l'ordre et écrivent le texte de
gauche à droite.
[1]
HISTOIRE
DE LA MAGIE.
INTRODUCTION.
Depuis trop longtemps on confond la magie avec les prestiges des charlatans, avec les hallucinations des
malades, et avec les crimes de certains malfaiteurs exceptionnels. Bien des gens, d'ailleurs, définiraient
volontiers la magie: l'art de produire des effets sans causes. Et d'après cette définition, la foule dira, avec le
bon sens qui la caractérise, même dans ses plus grandes injustices, que la magie est une absurdité.
La magie ne saurait être ce que la font ceux qui ne la connaissent pas. Il n'appartient d'ailleurs à personne
de la faire ceci ou cela; elle est ce qu'elle est, elle est par elle-même, comme les mathématiques, car c'est la
science exacte et absolue de la nature et de ses lois.
La magie est la science des anciens mages; et la religion chrétienne, qui a imposé silence aux oracles
menteurs, et fait cesser tous les prestiges des faux dieux, révère elle-même ces mages qui vinrent de
l'Orient, guidés par une étoile, pour adorer le Sauveur du monde dans son berceau.
L'étoile qui les conduit est cette même étoile flamboyante dont nous retrouvons l'image dans toutes les
initiations. C'est pour les alchimistes le signe de la quintessence, pour les magistes le grand arcane, pour les
kabbalistes le pentagramme sacré. Or, nous prouverons que l'étude de ce pentagramme devait amener les
mages à la connaissance du nom nouveau qui allait s'élever au-dessus de tous les noms et faire fléchir les
genoux à tous les êtres capables d'adorer.
La magie réunit donc, dans une même science, ce que la philosophie peut avoir de plus certain et ce que la
religion a d'infaillible et d'éternel. Elle concilie parfaitement et incontestablement ces deux termes, qui
semblent d'abord si opposés: foi et raison, science et croyance, autorité et liberté.
Elle donne à l'esprit humain un instrument de certitude philosophique et religieuse exact comme les
mathématiques, et rendant raison de l'infaillibilité des mathématiques elles-mêmes.
Ainsi donc il existe un absolu dans les choses de l'intelligence et de la foi. La raison suprême n'a pas laissé
vaciller au hasard les lueurs de l'entendement humain; Il existe une vérité incontestable, il existe une
méthode infaillible de connaître cette vérité; et par la connaissance de cette vérité, les hommes qui la
prennent pour règle peuvent donner à leur volonté une puissance souveraine qui les rendra maîtres de toutes
les choses
[3]
inférieures et de tous les esprits errants, c'est-à-dire arbitres et rois du monde!
S'il en est ainsi, pourquoi cette haute science est-elle encore inconnue? Comment supposer dans un ciel
qu'on voit ténébreux l'existence d'un soleil aussi splendide? La haute science a toujours été connue, mais
seulement par des intelligences d'élite, qui ont compris la nécessité de se taire et d'attendre. Si un chirurgien
habile parvenait, au milieu de la nuit, à ouvrir les yeux d'un aveugle-né, comment lui ferait-il comprendre
avant le matin l'existence et la nature du soleil?
La science a ses nuits et ses aurores, parce qu'elle donne au monde intellectuel une vie qui a ses
mouvements réglés et ses phases progressives. Il en est des vérités comme des rayons lumineux; rien de ce
qui est caché n'est perdu, mais aussi rien de ce qu'on trouve n'est absolument nouveau. Dieu a voulu donner
à la science, qui est le reflet de sa gloire, le sceau de son éternité.
Oui, la haute science, la science absolue, c'est la magie, et cette assertion doit sembler bien paradoxale à
ceux qui n'ont pas douté encore de l'infaillibilité de Voltaire, ce merveilleux ignorant, qui croyait savoir tant
de choses, parce qu'il trouvait toujours le moyen de rire au lieu d'apprendre.
La magie était la science d'Abraham et d'Orphée, de Confucius et de Zoroastre. Ce sont les dogmes de la
magie qui furent sculptés sur des tables de pierre par Hénoch et par Trismégiste. Moïse les épura et les
revoila, c'est le sens du mot révéler. Il leur donna un nouveau voile lorsqu'il fit de la sainte Kabbala
l'héritage exclusif du peuple d'Israël et le secret inviolable de
[4]
ses prêtres, les mystères d'Éleusis et de Thèbes en conservèrent parmi les nations quelques symboles déjà
altérés, et dont la clef mystérieuse se perdait parmi les instruments d'une superstition toujours croissante.
Jérusalem, meurtrière de ses prophètes, et prostituée tant de fois aux faux dieux des Syriens et des
Babyloniens, avait enfin perdu à son tour la parole sainte, quand un sauveur, annoncé aux mages par l'étoile
sacrée de l'initiation, vint déchirer le voile usé du vieux temple pour donner à l'Église un nouveau tissu de
légendes et de symboles qui cache toujours aux profanes, et conserve aux élus toujours la même vérité.
Voilà ce que notre savant et malheureux Dupuis aurait dû lire dans les planisphères indiens et sur les tables
de Denderah, et devant l'affirmation unanime de toute la nature et des monuments de la science de tous les
âges, il n'aurait pas conclu à la négation du culte vraiment catholique, c'est-à-dire universel et éternel!
C'était le souvenir de cet absolu scientifique et religieux, de cette doctrine qui se résume en une parole, de
cette parole, enfin, alternativement perdue et retrouvée, qui se transmettait aux élus de toutes les initiations
antiques; c'était ce même souvenir, conservé ou profané peut-être dans l'ordre célèbre des templiers, qui
devenait pour toutes les associations secrètes des rose-croix, des illuminés et des francs-maçons, la raison
de leurs rites bizarres, de leurs signes plus ou moins conventionnels, et surtout de leur dévouement mutuel
et de leur puissance. Les doctrines et les mystères de la magie ont été profanés, nous ne voulons pas en
disconvenir, et cette profanation même, renouvelée d'âge en âge, a été pour les
[5]
imprudents révélateurs une grande et terrible leçon. Les gnostiques ont fait proscrire la gnose par les
chrétiens et le sanctuaire officiel s'est fermé à la haute initiation. Ainsi la hiérarchie du savoir a été
compromise par les attentats de l'ignorance usurpatrice, et les désordres du sanctuaire se sont reproduits
dans l'État, car toujours, bon gré mal gré, le roi relève du prêtre, et c'est du sanctuaire éternel de
l'enseignement divin que les pouvoirs de la terre pour se rendre durables attendront toujours leur
consécration et leur force.
La clef de la science a été abandonnée aux enfants, et, comme on devait s'y attendre, cette clef se trouve
actuellement égarée et comme perdue. Cependant un homme d'une haute intuition et d'un grand courage
moral, le comte Joseph de Maistre, le catholique déterminé, confessant que le monde était sans religion et
ne pouvait longtemps durer ainsi, tournait involontairement les yeux vers les derniers sanctuaires de
l'occultisme et appelait de tous ses voeux le jour où l'affinité naturelle qui existe entre la science et la foi les
réunirait enfin dans la tête d'un homme de génie. «Celui-là sera grand! s'écriait-il, et il fera cesser le XVIIIe
siècle, qui dure encore... On parlera alors de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la barbarie du
moyen âge!»
Elle ne deviendra pourtant jamais vulgaire, parce qu'elle est hiérarchique et parce que l'anarchie seule flatte
les préjugés de la foule; il ne faut pas aux masses de vérités absolues, autrement le progrès s'arrêterait et la
vie cesserait dans l'humanité, le va-et-vient des idées contraires, le choc des opinions, les passions de la
mode déterminées toujours par les rêves du moment sont nécessaires à la croissance intellectuelle des
peuples. Les foules le sentent bien, et c'est pour cela qu'elles abandonnent si volontiers la chaire des
docteurs pour courir aux tréteaux du charlatan. Les hommes même qui passent pour s'occuper spécialement
de philosophie, ressemblent presque toujours à ces enfants qui jouent à se proposer entre eux des énigmes,
et qui s'empressent de mettre hors du jeu celui qui sait le mot d'avance, de peur que celui-là ne les empêche
de jouer en ôtant tout son intérêt à l'embarras de leurs questions.
«Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu,» a dit la sagesse éternelle. La pureté du coeur
épure donc l'intelligence et la rectitude de la volonté fait l'exactitude de l'entendement. Celui qui préfère à
tout la vérité et la justice aura la justice et la vérité pour récompense, car la Providence suprême nous a
donné la liberté pour que nous puissions conquérir la vie; et la vérité même, quelque rigoureuse qu'elle soit,
ne s'impose qu'avec douceur et ne fait jamais violence aux lenteurs ou aux égarements de notre volonté
séduite par les attraits du mensonge.
Cependant, dit Bossuet, «avant qu'il y ait quelque chose qui
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plaise ou qui déplaise à nos sens, il y a une vérité; et c'est par elle seule que nos actions doivent être réglées,
ce n'est pas par notre plaisir.» Le royaume de Dieu n'est pas l'empire de l'arbitraire, ni pour les hommes ni
pour Dieu même. «Une chose, dit saint Thomas, n'est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut
parce qu'elle est juste.» La balance divine régit et nécessite les mathématiques éternelles. «Dieu a tout fait
avec le nombre, le poids et la mesure.» C'est ici la Bible qui parle. Mesurez un coin de la création, et faites
une multiplication proportionnellement progressive, et l'infini tout entier multipliera ses cercles remplis
d'univers qui passeront en segments proportionnels entre les branches idéales et croissantes de votre
compas; et maintenant supposez que d'un point quelconque de l'infini au-dessus de vous une main tienne un
autre compas ou une équerre, les lignes du triangle céleste rencontreront nécessairement celles du compas
de la science, pour former l'étoile mystérieuse de Salomon.
«Vous serez mesurés, dit l'Évangile, avec la mesure dont vous vous servez vous-mêmes.» Dieu n'entre pas
en lutte avec l'homme pour l'écraser de sa grandeur, et il ne place jamais des poids inégaux dans sa balance.
Lorsqu'il veut exercer les forces de Jacob, il prend la figure d'un homme, dont le patriarche supporte
l'assaut pendant toute une nuit, et la fin de ce combat, c'est une bénédiction pour le vaincu, et avec la gloire
d'avoir soutenu un pareil antagonisme le titre national d'Israël, c'est-à-dire un nom qui signifie: «fort contre
Dieu.»
En Dieu tout est justice, parce que tout est bonté; il ne pardonne jamais à la manière des hommes, parce
qu'il ne saurait s'irriter comme eux; mais le mal étant de sa nature incompatible avec le bien, comme la nuit
avec le jour, comme la dissonance avec l'harmonie, l'homme d'ailleurs étant inviolable dans sa liberté, toute
erreur s'expie, tout mal est puni par une souffrance proportionnelle: nous avons beau appeler Jupiter à notre
secours quand notre char est embourbé, si nous ne prenons la pelle et la pioche comme le routier de la
fable, le Ciel ne nous tirera pas de l'ornière. «Aide-toi, le Ciel t'aidera!» Ainsi s'explique, d'une manière
toute rationnelle et purement philosophique, l'éternité possible et nécessaire du châtiment avec une voie
étroite ouverte à l'homme pour s'y soustraire, celle du repentir et du travail!
En se conformant aux règles de la force éternelle, l'homme peut s'assimiler à la puissance créatrice et
devenir créateur et conservateur comme elle. Dieu n'a pas limité à un nombre restreint d'échelons la montée
lumineuse de Jacob. Tout ce que la nature a fait inférieur à l'homme, elle le soumet à l'homme, c'est à lui
d'agrandir son domaine en montant toujours! Ainsi la
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longueur et même la perpétuité de la vie, l'atmosphère et ses orages, la terre et ses filons métalliques, la
lumière et ses prodigieux mirages, la nuit et ses rêves, la mort et ses fantômes, tout cela obéit au sceptre
royal du mage, au bâton pastoral de Jacob, à la verge foudroyante de Moïse. L'adepte se fait roi des
éléments, transformateur des métaux, arbitre des visions, directeur des oracles, maître de la vie, enfin, dans
l'ordre mathématique de la nature, et conformément à la volonté de l'intelligence suprême. Voilà la magie
dans toute sa gloire! Mais qui osera dans notre siècle ajouter foi à nos paroles? ceux qui voudront
loyalement étudier et franchement savoir, car nous ne cachons plus la vérité sous le voile des paraboles ou
des signes hiéroglyphiques, le temps est venu où tout doit être dit, et nous nous proposons de tout dire.
Nous allons découvrir non-seulement cette science toujours occulte qui, comme nous l'avons dit, se cachait
sous les ombres des anciens mystères; qui a été mal révélée, ou plutôt indignement défigurée par les
gnostiques; qu'on devine sous les obscurités qui couvrent les crimes prétendus des templiers, et qu'on
retrouve enveloppée d'énigmes maintenant impénétrables dans les rites de la haute maçonnerie. Mais nous
allons amener au grand jour le roi fantastique du sabbat, et montrer au fond de la magie noire elle-même,
abandonnée depuis longtemps à la risée des petits-enfants de Voltaire, d'épouvantables réalités.
Pour un grand nombre de lecteurs, la magie est la science du diable. Sans doute. Comme la science de la
lumière est celle de l'ombre.
Le diable et la science!--Il semble qu'en rapprochant deux noms aussi étrangement disparates, l'auteur de ce
livre ait laissé voir d'abord toute sa pensée. Amener devant la lumière la personnification mystique des
ténèbres, n'est-ce pas anéantir devant la vérité le fantôme du mensonge? n'est-ce pas dissiper au jour les
cauchemars informes de la nuit? C'est ce que penseront, nous n'en doutons pas, les lecteurs superficiels, et
ils nous condamneront sans nous entendre. Les chrétiens mal instruits croiront que nous venons saper le
dogme fondamental de leur morale en niant l'enfer, et les autres demanderont à quoi bon combattre des
erreurs qui ne trompent déjà plus personne; c'est du moins ce qu'ils imaginent. Il importe donc de montrer
clairement notre but et d'établir solidement nos principes. Nous disons d'abord aux chrétiens:
L'auteur de ce livre est chrétien comme vous. Sa foi est celle d'un catholique fortement et profondément
convaincu: il ne vient donc pas nier des dogmes, il vient combattre l'impiété sous ses formes les plus
dangereuses, celles de la fausse croyance et de la superstition; il vient tirer des ténèbres le noir successeur
d'Arimanes, afin d'étaler au grand jour sa gigantesque impuissance et sa redoutable misère; il vient
soumettre aux solutions de la science le problème antique du mal; il veut
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découronner le roi des enfers et lui abaisser le front jusque sous le pied de la croix! La science Vierge et
mère, la science dont Marie est la douce et lumineuse image, n'est-elle pas prédestinée à écraser aussi la
tête de l'ancien serpent?
Aux prétendus philosophes l'auteur dira: Pourquoi niez-vous ce que vous ne pouvez comprendre?
L'incrédulité qui s'affirme en face de l'inconnu n'est-elle pas plus téméraire et moins consolante que la foi?
Quoi, l'épouvantable figure du mal personnifié vous fait sourire? Vous n'entendez donc pas le sanglot
éternel de l'humanité qui se débat et qui pleure broyée par les étreintes du monstre? N'avez-vous donc
jamais vu le rire atroce du méchant opprimant le juste? N'avez-vous donc jamais senti s'ouvrir en vous-
mêmes ces profondeurs infernales que creuse par instant dans toutes les âmes le génie de la perversité? Le
mal moral existe, c'est une lamentable vérité; il règne dans certains esprits, il s'incarne dans certains
hommes; il est donc personnifié, il existe donc des démons, et le plus méchant de ces démons est Satan.
Voilà tout ce que je vous demande d'admettre, et ce qu'il vous sera difficile de ne pas m'accorder.
Qu'il soit bien entendu, d'ailleurs, que la science et la foi ne se prêtent un mutuel concours qu'autant que
leurs domaines sont inviolables et séparés. Que croyons-nous? ce que nous ne pouvons absolument savoir
bien que nous y aspirions de toutes nos forces. L'objet de la foi n'est pour la science qu'une hypothèse
nécessaire, et jamais il ne faut juger des choses de la science avec les procédés de la foi, ni,
réciproquement, des choses de la foi avec les procédés de la science. Le verbe de foi n'est pas
scientifiquement discutable. «Je crois, parce que c'est absurde,»
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disait Tertullien, et cette parole, d'une apparence si paradoxale, est de la plus haute raison. En effet, au delà
de tout ce que nous pouvons raisonnablement supposer, il y a un infini auquel nous aspirons d'une soif
éperdue, et qui échappe même à nos rêves. Mais pour une appréciation finie, l'infini n'est-ce pas l'absurde?
Nous sentons cependant que cela est. L'infini nous envahit; il nous déborde; il nous donne le vertige avec
ses abîmes; il nous écrase de toute sa hauteur. Toutes les hypothèses scientifiquement probables sont les
derniers crépuscules ou les dernières ombres de la science; la foi commence où la raison tombe épuisée...
Au delà de la raison humaine, il y a la raison divine, le grand absurde pour ma faiblesse, l'absurde infini qui
me confond et que je crois!
Mais le bien seul est infini; le mal ne l'est pas, et c'est pourquoi si Dieu est l'éternel objet de la foi, le diable
appartient à la science. Dans quel symbole catholique, en effet, est-il question du diable? Ne serait-ce pas
blasphémer que de dire: Nous croyons en lui? Il est nommé, mais non défini dans l'Écriture sainte; la
Genèse ne parle nulle part d'une prétendue chute des anges; elle attribue le péché du premier homme au
serpent, le plus rusé et le plus dangereux des êtres animés. Nous savons quelle est à ce sujet la tradition
chrétienne; mais si cette tradition s'explique par une des plus grandes et des plus universelles allégories de
la science, qu'importera cette solution à la foi qui aspire à Dieu seul, et méprise les pompes et les oeuvres
de Lucifer?
Lucifer! Le porte-lumière! quel nom étrange donné à l'esprit des ténèbres. Quoi c'est lui qui porte la lumière
et qui aveugle les
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âmes faibles? Oui, n'en doutez pas, car les traditions sont pleines de révélations et d'inspirations divines.
«Le diable porte la lumière, et souvent même, dit saint Paul, il se transfigure en ange de splendeur.»--«J'ai
vu, disait le Sauveur du monde, j'ai vu Satan tomber du ciel comme la foudre.»--«Comment es-tu tombée
du ciel, s'écrie le prophète Isaïe, étoile lumineuse, toi qui te levais le matin?» Lucifer est donc une étoile
tombée; c'est un météore qui brûle toujours et qui incendie lorsqu'il n'éclaire plus.
Mais ce Lucifer, est-ce une personne ou une force? Est-ce un ange ou un tonnerre égaré? La tradition
suppose que c'est un ange; mais le Psalmiste ne dit-il pas au psaume 103: «Vous faites vos anges des
tempêtes et vos ministres des feux rapides?» le mot ange est donné dans la Bible à tous les envoyés de
Dieu: messagers ou créations nouvelles, révélateurs ou fléaux, esprits rayonnants ou choses éclatantes. Les
flèches de feu que le Très Haut darde dans les nuages sont les anges de sa colère, et ce langage figuré est
familier à tous les lecteurs des poésies orientales.
Après avoir été pendant le moyen âge la terreur du monde, le diable en est devenu la risée. Héritier des
formes monstrueuses de tous les faux dieux successivement renversés, le grotesque épouvantail a été rendu
ridicule à force de difformité et de laideur.
Observons pourtant une chose: c'est que ceux-là seuls osent rire du diable qui ne craignent pas Dieu. Le
diable, pour bien des imaginations malades, aurait-il donc été l'ombre de Dieu même, ou plutôt ne serait-il
pas souvent l'idole des âmes basses, qui ne
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comprennent le pouvoir surnaturel que comme l'exercice impuni de la cruauté?
Il est important de savoir enfin si l'idée de cette puissance mauvaise peut se concilier avec celle de Dieu. Si
en un mot le diable existe, et s'il existe, ce que c'est.
Il ne s'agit pas ici d'une superstition ou d'un personnage ridicule: il s'agit de la religion tout entière, et par
conséquent de tout l'avenir et de tous les intérêts de l'humanité.
Nous sommes vraiment des raisonneurs étranges! Nous nous croyons bien forts quand nous sommes
indifférents à tout, excepté aux résultats matériels, à l'argent, par exemple; et nous laissons aller au hasard
les idées mères de l'opinion qui, par ses revirements, bouleverse ou peut bouleverser toutes les fortunes.
Une conquête de la science est bien plus importante que la découverte d'une mine d'or. Avec la science, on
emploie l'or au service de la vie; avec l'ignorance, la richesse ne fournit que des instruments à la mort.
Qu'il soit bien entendu d'ailleurs que nos révélations scientifiques s'arrêtent devant la foi, et que, comme
chrétien et comme catholique, nous soumettons notre oeuvre tout entière au jugement suprême de l'Église.
Le Verbe n'est jamais vide, et s'il est écrit qu'il est en Dieu, et qu'il est Dieu, c'est qu'il est l'expression et la
preuve de l'être et de la vérité.
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Le diable est nommé et personnifié dans l'Évangile, qui est le Verbe de vérité, donc il existe, et il peut être
considéré comme une personne. Mais ici c'est le chrétien qui s'incline; laissons parler la science ou la
raison, c'est la même chose.
Le mal existe, il est impossible d'en douter. Nous pouvons faire bien ou mal.
L'esprit qui anime ces êtres et qui les excite à mal faire est dévoyé, détourné de la bonne route, jeté en
travers du bien comme un obstacle; et voilà précisément ce que signifie le mot grec diabolos, que nous
traduisons par le mot diable.
Il y a donc un diable qui est l'esprit d'erreur, d'ignorance volontaire, de vertige; et il y a des êtres qui lui
obéissent, qui sont ses envoyés, ses émissaires, ses anges, et c'est pour cela qu'il est parlé dans l'Évangile
d'un feu éternel qui est préparé, prédestiné en quelque sorte au diable et à ses anges. Ces paroles sont toute
une révélation et nous aurons à les approfondir.
Définissons d'abord bien nettement le mal; le mal c'est le défaut de rectitude dans l'être.
Le mal moral est le mensonge en actions comme le mensonge est le crime en paroles.
[16]
Quand ce qu'on dit est juste, il n'y a pas mensonge. Quand on agit équitablement et d'une manière vraie, il
n'y a pas péché.
L'injustice est la mort de l'être moral, comme le mensonge est le poison de l'intelligence.
Ceux qui l'écoutent sont empoisonnés par lui et sont ses dupes.
Mais s'il fallait prendre sa personnification absolue au sérieux, il serait lui-même absolument mort et
absolument trompé, c'est-à-dire que l'affirmation de son existence impliquerait une évidente contradiction.
Jésus a dit: «Le diable est menteur ainsi que son père.»
C'est celui qui lui donne une existence personnelle en vivant d'après ses inspirations; l'homme qui se fait
diable est le père du mauvais esprit incarné.
Une création hybride qui a donné une apparente raison contre les magnificences du christianisme à la
mesquine philosophie du XVIIIe siècle.
C'est le faux Lucifer de la légende hétérodoxe; c'est cet ange assez fier pour se croire Dieu, assez courageux
pour acheter l'indépendance au prix d'une éternité de supplices, assez beau pour avoir pu s'adorer en pleine
lumière divine; assez fort pour régner encore dans les ténèbres et la douleur, et pour se faire un trône de son
inextinguible bûcher, c'est le Satan du républicain et de l'hérétique Millon, c'est ce prétendu héros des
[17]
éternités ténébreuses calomnié de laideur, affublé de cornes et de griffes qui conviendraient plutôt à son
tourmenteur implacable.
Ce diable plus intelligent que les hommes de génie qui craignaient ses déceptions.
Cette lumière noire, ces ténèbres qui voient. Ce pouvoir que Dieu n'a pas voulu, et qu'une créature déchue
n'a pu créer.
Ce banni de Dieu qui serait partout comme Dieu est sur la terre, plus visible, plus présent au plus grand
nombre, mieux servi que Dieu même!
Cet artisan des péchés de la chair à qui la chair n'est rien, et qui ne saurait par conséquent rien être à la
chair, si on ne l'en suppose créateur et maître comme Dieu!
Un empoisonneur des âmes que Dieu tolérerait par une contradiction de sa puissance, ou qu'il conserverait
comme les empereurs romains avaient conservé Locusta, parmi les instruments de son règne!
Un supplicié toujours vivant pour maudire son juge et pour avoir raison contre lui puisqu'il ne se repentira
jamais!
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Un monstre accepté comme bourreau par la souveraine puissance et qui, suivant l'énergique expression d'un
ancien écrivain catholique peut appeler Dieu le Dieu du diable en se donnant lui-même comme un diable de
Dieu!
Là est le fantôme irréligieux qui calomnie la religion, ôtez-nous cette idole qui nous cache notre sauveur. A
bas le tyran du mensonge! A bas le Dieu noir des manichéens! A bas l'Arimane des anciens idolâtres! Vive
Dieu seul et son Verbe incarné, Jésus-Christ, le sauveur du monde, qui a vu Satan tomber du ciel! et vive
Marie, la divine mère qui a écrasé la tête de l'infernal serpent!
Voilà ce que disent, avec unanimité, la tradition des saints et les coeurs de tous les vrais fidèles: Attribuer
une grandeur quelconque à l'esprit déchu, c'est calomnier la divinité; prêter une royauté quelconque à
l'esprit rebelle, c'est encourager la révolte, c'est commettre, en pensée du moins, le crime de ceux qu'au
moyen âge on appelait avec horreur des sorciers.
Car tous les crimes punis autrefois de mort sur les anciens sorciers, sont réels et sont les plus grands de tous
les crimes.
Ils ont chevauché, comme Médée, les dragons ailés et le serpent volant.
Ils ont profané les choses saintes et fait servir le corps même du Seigneur à des oeuvres de destruction et de
malheur.
Comment tout cela est-il possible? C'est qu'il existe un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et
spirituel, un
[19]
médiateur plastique universel, un réceptacle commun des vibrations du mouvement et des images de la
forme, un fluide et une force qu'on pourrait appeler en quelque manière l'imagination de la nature. Par cette
force tous les appareils nerveux communiquent secrètement ensemble; de là naissent la sympathie et
l'antipathie; de là viennent les rêves; par là se produisent les phénomènes de seconde vue et de vision
extranaturelle. Cet agent universel des oeuvres de la nature, c'est l'od des hébreux et du chevalier de
Richembach, c'est la lumière astrale des martinistes, et nous préférons, comme plus explicite, cette dernière
appellation.
L'existence et l'usage possible de cette force sont le grand arcane de la magie pratique. C'est la baguette des
thaumaturges et la clavicule de la magie noire.
C'est le serpent édénique qui a transmis à Ève les séductions d'un ange déchu.
La lumière astrale aimante, échauffe, éclaire, magnétise, attire, repousse, vivifie, détruit, coagule, sépare,
brise, rassemble toutes choses sous l'impulsion des volontés puissantes.
C'est une force aveugle en elle-même, mais qui est dirigée par les égrégores, c'est-à-dire par les chefs des
âmes. Les chefs des âmes sont les esprits d'énergie et d'action.
Ceci explique déjà toute la théorie des prodiges et des miracles. Comment, en effet, les bons et les
méchants pourraient-ils forcer la nature à laisser voir les forces exceptionnelles? comment y
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aurait-il miracles divins et miracles diaboliques? comment l'esprit réprouvé, l'esprit égaré, l'esprit dévoyé,
aurait-il plus de force en certain cas et de certaine manière que le juste, si puissant de sa simplicité et de sa
sagesse, si l'on ne suppose pas un instrument dont tous peuvent se servir, suivant certaines conditions, les
uns pour le plus grand bien, les autres pour le plus grand mal?
Les magiciens de Pharaon faisaient d'abord les mêmes prodiges que Moïse. L'instrument dont ils se
servaient était donc le même, l'inspiration seule était différente, et quand ils se déclarèrent vaincus, ils
proclamèrent que suivant eux les forces humaines étaient à bout, et que Moïse devait avoir en lui quelque
chose de surhumain. Or cela se passait dans cette Égypte, mère des initiations magiques, dans cette terre où
tout était science occulte et enseignement hiérarchique et sacré. Était-il plus difficile cependant de faire
apparaître des mouches que des grenouilles? Non, certainement; mais les magiciens savaient que la
projection fluidique par laquelle on fascine les yeux ne saurait s'étendre au delà de certaines limites, et pour
eux déjà ces limites étaient dépassées par Moïse.
Quand le cerveau se congestionne ou se surcharge de lumière astrale, il se produit un phénomène
particulier. Les yeux, au lieu de voir en dehors, voient en dedans; la nuit se fait à l'extérieur dans le monde
réel et la clarté fantastique rayonne seule dans le monde des rêves. L'oeil alors semble retourné et souvent,
en effet, il se convulse légèrement et semble rentrer en tournant sous la paupière. L'âme alors aperçoit par
des images le reflet de ses impressions et de ses pensées, c'est-à-dire que
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l'analogie qui existe entre telle idée et telle forme, attire dans la lumière astrale le reflet représentatif de
cette forme, car l'essence de la lumière vivante c'est d'être configurative, c'est l'imagination universelle dont
chacun de nous s'approprie une part plus ou moins grande, suivant son degré de sensibilité et de mémoire.
Là est la source de toutes les apparitions, de toutes les visions extraordinaires et de tous les phénomènes
intuitifs qui sont propres à la folie ou à l'extase.
Le phénomène d'appropriation et d'assimilation de la lumière par la sensibilité qui voit, est un des plus
grands qu'il soit donné à la science d'étudier. On trouvera peut-être un jour que voir c'est déjà parler, et que
la conscience de la lumière est le crépuscule de la vie éternelle dans l'être, la parole de Dieu, qui crée la
lumière, semble être proférée par toute intelligence, qui peut se rendre compte des formes et qui veut
regarder.--Que la lumière soit! La lumière, en effet, n'existe à l'état de splendeur que pour les yeux qui la
regardent, et l'âme amoureuse du spectacle des beautés universelles, et appliquant son attention à cette
écriture lumineuse du livre infini qu'on appelle les choses visibles, semble crier, comme Dieu à l'aurore du
premier jour, ce verbe sublime et créateur: FIAT LUX!
Tous les yeux ne voient pas de même, et la création n'est pas pour tous ceux qui la regardent de la même
forme et de la même couleur. Notre cerveau est un livre imprimé au dedans et au dehors, et pour peu que
l'attention s'exalte, les écritures se confondent. C'est ce qui se produit constamment dans l'ivresse et dans la
folie. Le rêve alors triomphe de la vie réelle et plonge
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la raison dans un incurable sommeil. Cet état d'hallucination a ses degrés, toutes les passions sont des
ivresses, tous les enthousiasmes sont des folies relatives et graduées. L'amoureux voit seul des perfections
infinies autour d'un objet qui le fascine et qui l'enivre. Pauvre ivrogne de voluptés! demain ce parfum du
vin qui l'attire sera pour lui une réminiscence répugnante et une cause de mille nausées et de mille dégoûts!
Savoir user de cette force, et ne se laisser jamais envahir et surmonter par elle, marcher sur la tête du
serpent, voilà ce que nous apprend la magie de lumière: dans cet arcane sont contenus tous les mystères du
magnétisme, qui peut déjà donner son nom à toute la partie pratique de la haute magie des anciens.
Le magnétisme, c'est la baguette des miracles, mais pour les initiés seulement; car pour les imprudents qui
voudraient s'en faire un jouet ou un instrument au service de leurs passions, elle devient redoutable comme
cette gloire foudroyante qui, suivant les allégories de la fable, consuma la trop ambitieuse Sémélé dans les
embrassements de Jupiter.
Un des grands bienfaits du magnétisme, c'est de rendre évidente, par des faits incontestables, la spiritualité,
l'unité et l'immortalité de l'âme. La spiritualité, l'unité et l'immortalité une fois démontrées, Dieu apparaît à
toutes les intelligences et à tous les coeurs. Puis de la croyance à Dieu et aux harmonies de la création, on
est amené à cette grande harmonie religieuse, qui ne saurait exister en dehors de la hiérarchie miraculeuse
et légitime de l'Église catholique, la seule qui ait conservé toutes les traditions de la science et de la foi.
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La tradition première de la révélation unique a été conservée sous le nom de kabbale par le sacerdoce
d'Israël. La doctrine kabbalistique, qui est le dogme de la haute magie, est contenue dans le Sepher Jézirah,
le Sohar et le Talmud. Suivant cette doctrine, l'absolu c'est l'être dans lequel se trouve le Verbe, qui est
l'expression de la raison d'être et de la vie.
Dans le principe était, c'est-à-dire est, a été, et sera le Verbe, c'est-à-dire la raison qui parle.
Εν αρχη λογος!
Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi est l'expression de la foi qui vivifie la science. Le
Verbe, λογος, est la source de la logique. Jésus est le Verbe incarné. L'accord de la raison avec la foi, de la
science avec la croyance, de l'autorité avec la liberté, est devenu dans les temps modernes l'énigme
véritable du sphinx; et en même temps que ce grand problème on a soulevé celui des droits respectifs de
l'homme et de la femme; cela devait être, car entre tous ces termes d'une grande et suprême question,
l'analogie est constante et les difficultés, comme les rapports, sont invariablement les mêmes.
On lit dans l'Écriture que Salomon fit placer devant la porte du temple deux colonnes de bronze, dont l'une
s'appelait Jakin et l'autre Boaz, ce qui signifie le fort et le faible. Ces deux colonnes représentaient l'homme
et la femme, la raison et la foi, le pouvoir et la liberté, Caïn et Abel, le droit et le devoir; c'étaient les
colonnes du monde intellectuel et moral, c'était l'hiéroglyphe monumental de l'antinomie nécessaire à la
grande loi de création. Il faut, en effet, à toute force une résistance pour appui, à toute lumière une ombre
pour repoussoir, à toute saillie un creux, à tout épanchement un réceptacle, à tout règne un royaume, à tout
souverain un peuple, à tout travailleur une matière première, à tout conquérant un sujet de conquête.
L'affirmation se pose par la négation, le fort ne triomphe qu'en comparaison avec le faible, l'aristocratie ne
se manifeste qu'en s'élevant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir fort, que le peuple puisse
conquérir une position aristocratique, c'est
[25]
une question de transformation et de progrès, mais ce qu'on peut en dire n'arrivera qu'à la confirmation des
vérités premières, le faible sera toujours le faible, peu importe que ce ne soit plus le même personnage. De
même le peuple sera toujours le peuple, c'est-à-dire la masse gouvernable et incapable de gouverner. Dans
la grande armée des inférieurs, toute émancipation personnelle est une désertion forcée, rendue
heureusement insensible par un remplacement éternel; un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait
l'esclavage du monde et l'anarchie dans une seule et indisciplinable cité, comme il en était à Rome du temps
de sa plus grande gloire. Une nation de souverains serait nécessairement aussi anarchique qu'une classe de
savants ou d'écoliers qui se croiraient maîtres; personne n'y voudrait écouter, et tous dogmatiseraient et
commanderaient à la fois.
On peut en dire autant de l'émancipation radicale de la femme. Si la femme passe de la condition passive à
la condition active, intégralement et radicalement, elle abdique son sexe et devient homme, ou plutôt,
comme une telle transformation est physiquement impossible, elle arrive à l'affirmation par une double
négation, et se pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne stérile et monstrueux. Telles sont les
conséquences forcées du grand dogme kabbalistique de la distinction des contraires pour arriver à
l'harmonie par l'analogie de leurs rapports.
Ce dogme une fois reconnu, et l'application de ses conséquences étant faite universellement par la loi des
analogies, on arrive à la découverte des plus grands secrets de la sympathie et de
[26]
l'antipathie naturelle, de la science du gouvernement, soit en politique, soit en mariage, de la médecine
occulte dans toutes ses branches, soit magnétisme, soit homoeopathie, soit influence morale; et d'ailleurs,
comme nous l'expliquerons, la loi d'équilibre en analogie conduit à la découverte d'un agent universel, qui
était le grand arcane des alchimistes et des magiciens du moyen âge. Nous avons dit que cet agent est une
lumière de vie dont les êtres animés sont aimantés, et dont l'électricité n'est qu'un accident et comme une
perturbation passagère. A la connaissance et à l'usage de cet agent se rapporte tout ce qui tient à la pratique
de la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientôt à nous occuper, pour satisfaire la curiosité de ceux qui
cherchent dans les sciences secrètes plutôt des émotions que de sages enseignements.
La religion des kabbalistes est à la fois toute d'hypothèses et toute de certitude, car elle procède par
analogie du connu à l'inconnu. Ils reconnaissent la religion comme un besoin de l'humanité, comme un fait
évident et nécessaire, et là seulement est pour eux la révélation divine, permanente et universelle. Ils ne
contestent rien de ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi leur doctrine, en marquant
nettement la ligne de séparation qui doit éternellement exister entre la science et la foi, donne-t-elle à la foi
la plus haute raison pour base, ce qui lui garantit une éternelle et incontestable durée; viennent ensuite les
formules populaires du dogme qui, seules, peuvent varier et s'entre-détruire; le kabbaliste n'est pas ébranlé
pour si peu et trouve tout d'abord une raison aux plus étonnantes formules des mystères. Aussi sa prière
peut-elle s'unir à celle
[27]
de tous les hommes pour la diriger, en l'illustrant de science et de raison, et l'amener à l'orthodoxie. Qu'on
lui parle de Marie, il s'inclinera devant cette réalisation de tout ce qu'il y a de divin dans les rêves de
l'innocence et de tout ce qu'il y a d'adorable dans la sainte folie du coeur de toutes les mères. Ce n'est pas
lui qui refusera des fleurs aux autels de la mère de Dieu, des rubans blancs à ses chapelles, des larmes
même à ses naïves légendes! Ce n'est pas lui qui rira du Dieu vagissant de la crèche et de la victime
sanglante du Calvaire; il répète cependant au fond de son coeur, avec les sages d'Israël et les vrais croyants
de l'Islam: «Il n'y a qu'un Dieu, et c'est Dieu;» ce qui veut dire pour un initié aux vraies sciences: «Il n'y a
qu'un Être, et c'est l'Être!» Mais tout ce qu'il y a de politique et de touchant dans les croyances, mais la
splendeur des cultes, mais la pompe des créations divines, mais la grâce des prières, mais la magie des
espérances du ciel; tout cela n'est-il pas un rayonnement de l'être moral dans toute sa jeunesse et dans toute
sa beauté? Oui, si quelque chose peut éloigner le véritable initié des prières publiques et des temples, ce qui
peut soulever chez lui le dégoût ou l'indignation contre une forme religieuse quelconque, c'est l'incroyance
visible des ministres ou du peuple, c'est le peu de dignité dans les cérémonies du culte, c'est la profanation,
en un mot, des choses saintes. Dieu est réellement présent lorsque des âmes recueillies et des coeurs
touchés l'adorent; il est sensiblement et terriblement absent lorsqu'on parle de lui sans feu et sans lumière,
c'est-à-dire sans intelligence et sans amour.
[28]
L'idée qu'il faut avoir de Dieu, suivant la sage kabbale, c'est saint Paul lui-même qui va nous la révéler:
«Pour arriver à Dieu, dit cet apôtre, il faut croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent.»
Ainsi, rien en dehors de l'idée d'être, jointe à la notion de bonté et de justice, car cette idée seule est
l'absolu. Dire que Dieu n'est pas, ou définir ce qu'il est, c'est également blasphémer. Toute définition de
Dieu, risquée par l'intelligence humaine, est une recette d'empirisme religieux, au moyen de laquelle la
superstition, plus tard, pourra alambiquer un diable.
Dans les symboles kabbalistiques, Dieu est toujours représenté par une double image, l'une droite, l'autre
renversée, l'une blanche et l'autre noire. Les sages ont voulu exprimer ainsi la conception intelligente et la
conception vulgaire de la même idée, le dieu de lumière et le dieu d'ombre; c'est à ce symbole mal compris
qu'il faut reporter l'origine de l'Arimane des Perses, ce noir et divin ancêtre de tous les démons; le rêve du
roi infernal, en effet, n'est qu'une fausse idée de Dieu.
La lumière seule, sans ombre, serait invisible pour nos yeux, et produirait un éblouissement équivalent aux
plus profondes ténèbres. Dans les analogies de cette vérité physique, bien comprise et bien méditée, on
trouvera la solution du plus terrible des problèmes; l'origine du mal. Mais la connaissance parfaite de cette
solution et de toutes ses conséquences n'est pas faite pour la multitude, qui ne doit pas entrer si facilement
dans les secrets de l'harmonie universelle. Aussi, lorsque l'initié aux mystères d'Éleusis avait parcouru
triomphalement toutes les épreuves, lorsqu'il avait vu et touché les choses saintes, si on le jugeait assez fort
pour supporter le dernier et
[29]
le plus terrible de tous les secrets, un prêtre voilé s'approchait de lui en courant, et lui jetait dans l'oreille
cette parole énigmatique: Osiris est un dieu noir. Ainsi cet Osiris, dont Typhon est l'oracle, ce divin soleil
religieux de l'Egypte, s'éclipsait tout à coup et n'était plus lui-même que l'ombre de cette grande et
indéfinissable Isis, qui est tout ce qui a été et tout ce qui sera, mais dont personne encore n'a soulevé le
voile éternel.
La lumière pour les kabbalistes représente le principe actif, et les ténèbres sont analogues au principe
passif; c'est pour cela qu'ils firent du soleil et de la lune l'emblème des deux sexes divins et des deux forces
créatrices; c'est pour cela qu'ils attribuèrent à la femme la tentation et le péché d'abord, puis le premier
travail, le travail maternel de la rédemption puisque c'est du sein des ténèbres mêmes qu'on voit renaître la
lumière. Le vide attire le plein, et c'est ainsi que l'abîme de pauvreté et de misère, le prétendu mal, le
prétendu néant, la passagère rébellion des créatures attire éternellement un océan d'être, de richesse, de
miséricorde et d'amour. Ainsi s'explique le symbole du Christ descendant aux enfers après avoir épuisé sur
la croix toutes les immensités du plus admirable pardon.
Par cette loi de l'harmonie dans l'analogie des contraires, les kabbalistes expliquaient aussi tous les
mystères de l'amour sexuel; pourquoi cette passion est plus durable entre deux natures inégales et deux
caractères opposés? Pourquoi en amour il y a toujours un sacrificateur et une victime, pourquoi les passions
les plus obstinées sont celles dont la satisfaction paraît impossible. Par cette loi aussi ils eussent réglé à
jamais
[30]
la question de préséance entre les sexes, question que le saint-simonisme seul a pu soulever sérieusement
de nos jours. Ils eussent trouvé que la force naturelle de la femme étant la force d'inertie ou de résistance, le
plus imprescriptible de ses droits, c'est le droit à la pudeur; et qu'ainsi elle ne doit rien faire ni rien
ambitionner de tout ce qui demande une sorte d'effronterie masculine. La nature y a d'ailleurs bien pourvu
en lui donnant une voix douce qui ne pourrait se faire entendre dans les grandes assemblées sans arriver à
des tons ridiculement criards. La femme qui aspirerait aux fonctions de l'autre sexe, perdrait par cela même
les prérogatives du sien. Nous ne savons jusqu'à quel point elle arriverait à gouverner les hommes, mais à
coup sûr les hommes, et ce qui serait plus cruel pour elle, les enfants mêmes ne l'aimeraient plus.
La loi conjugale des kabbalistes donne par analogie la solution du problème le plus intéressant et le plus
difficile de la philosophie moderne. L'accord définitif et durable de la raison et de la foi, de l'autorité et de
la liberté d'examen, de la science et de la croyance. Si la science est le soleil, la croyance est la lune: c'est
un reflet du jour dans la nuit. La foi est le supplément de la raison, dans les ténèbres que laisse la science,
soit devant elle, soit derrière elle; elle émane de la raison, mais elle ne peut jamais ni se confondre avec
elle, ni la confondre. Les empiétements de la raison sur la foi ou de la foi sur la raison, sont des éclipses de
soleil ou de lune; lorsqu'elles arrivent, elles rendent inutiles à la fois le foyer et le réflecteur de la lumière.
La science périt par les systèmes qui ne sont autre chose que des
[31]
croyances, et la foi succombe au raisonnement. Pour que les deux colonnes du temple soutiennent l'édifice,
il faut qu'elles soient séparées et placées en parallèle. Dès qu'on veut violemment les rapprocher comme
Sanson, on les renverse et tout l'édifice s'écroule sur la tête du téméraire aveugle ou du révolutionnaire, que
des ressentiments personnels ou nationaux ont d'avance voué à la mort.
Les luttes du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ont été de tout temps dans l'humanité de grandes
querelles de ménage. La papauté jalouse du pouvoir temporel n'était qu'une mère de famille jalouse de
supplanter son mari: aussi perdit-elle la confiance de ses enfants. Le pouvoir temporel à son tour, lorsqu'il
usurpe sur le sacerdoce, est aussi ridicule que le serait un homme en prétendant s'entendre mieux qu'une
mère aux soins de l'intérieur et du berceau. Ainsi les Anglais, par exemple, au point de vue moral et
religieux, sont des enfants emmaillottés par des hommes; on s'en aperçoit bien à leur tristesse et à leur
ennui.
Si le dogme religieux est un conte de nourrice, pourvu qu'il soit ingénieux et d'une morale bienfaisante, il
est parfaitement vrai pour l'enfant, et le père de famille serait fort sot d'y contredire. Aux mères, donc, le
monopole des récits merveilleux, des petits soins et des chansons. La maternité est le type des sacerdoces,
et c'est parce que l'Église doit être exclusivement mère, que le prêtre catholique renonce à être homme et
abjure devant elle d'avance ses droits à la paternité.
On n'aurait jamais dû l'oublier: la papauté est une mère universelle ou elle n'est rien. La papesse Jeanne,
dont les
[32]
protestants ont fait une scandaleuse histoire, n'est peut-être qu'une ingénieuse allégorie, et quand les
souverains pontifes ont malmené les empereurs et les rois, c'était la papesse Jeanne qui voulait battre son
mari au grand scandale du monde chrétien. Aussi les schismes et les hérésies n'ont-ils été au fond, nous le
répétons, que des disputes conjugales; l'Église et le protestantisme disent du mal l'un de l'autre et se
regrettent, affectent de s'éviter et s'ennuient d'être l'un sans l'autre, comme des époux séparés.
Ainsi par la kabale, et par elle seule, tout s'explique et se concilie. C'est une doctrine qui vivifie et féconde
toutes les autres, elle ne détruit rien et donne au contraire la raison d'être de tout ce qui est. Aussi toutes les
forces du monde sont elles au service de cette science unique et supérieure, et le vrai kabbaliste peut-il
disposer à son gré sans hypocrisie et sans mensonge, de la science des sages et de l'enthousiasme des
croyants. Il est plus catholique que M. de Maistre, plus protestant que Luther, plus israélite que le grand
rabbin, plus prophète que Mahomet; n'est-il pas au-dessus des systèmes et des passions qui obscurcissent la
vérité, et ne peut-il pas à volonté en réunir tous les rayons épars et diversement réfléchis par tous les
fragments de ce miroir brisé qui est la foi universelle, et que les hommes prennent pour tant de croyances
opposées et différentes? Il n'y a qu'un être, il n'y a qu'une vérité, il n'y a qu'une lui et qu'une foi, comme il
n'y a qu'une humanité en ce monde.
Arrivé à de pareilles hauteurs intellectuelles et morales, on comprend que l'esprit et le coeur humain
jouissent d'une paix profonde; aussi ces mots: Paix profonde, mes frères!
[33]
étaient-ils la parole de maître dans la haute maçonnerie, c'est-à-dire dans l'association des initiés à la
kabbale.
La guerre que l'Église a dû déclarer à la magie a été nécessitée par les profanations de faux gnostiques,
mais la vraie science des mages est essentiellement catholique, parce qu'elle base toute sa réalisation sur le
principe de la hiérarchie. Or, dans l'Église catholique seule il y a une hiérarchie sérieuse et absolue. C'est
pour cela que les vrais adeptes ont toujours professé pour cette Église le plus profond respect et l'obéissance
la plus absolue. Henri Khunrath seul a été un protestant déterminé; mais en cela il était allemand de son
époque plutôt que citoyen mystique du royaume éternel.
L'essence de l'antichristianisme est l'exclusion et l'hérésie, c'est le déchirement du corps du Christ, suivant
la belle expression de saint Jean: Omnis spiritus qui solvit Christum hic Antechristus est. C'est que la
religion est la charité. Or, il n'y a pas de charité dans l'anarchie.
La magie aussi a eu ses hérésiarques et ses sectaires, ses hommes de prestiges et ses sorciers. Nous aurons à
venger la légitimité de la science, des usurpations de l'ignorance, de la folie et de la fraude, et c'est en cela
surtout que notre travail pourra être utile et sera entièrement nouveau.
On n'a jusqu'à présent traité l'histoire de la magie que comme les annales d'un préjugé, ou les chroniques
plus ou moins exactes d'une série de phénomènes; personne, en effet, ne croyait plus que la magie fût une
science. Une histoire sérieuse de cette science retrouvée doit en indiquer les développements et les progrès;
nous marchons donc en plein sanctuaire au lieu de longer
[34]
des ruines, et nous allons trouver ce sanctuaire enseveli si longtemps sous les cendres de quatre
civilisations, plus merveilleusement conservé que ces villes-momies sorties dernièrement des cendres du
Vésuve, dans toute leur beauté morte et leur majesté désolée.
Dans son plus magnifique ouvrage, Bossuet a montré la religion liée partout avec l'histoire: qu'aurait-il dit
s'il avait su qu'une science, née pour ainsi dire avec le monde, rend raison à la fois des dogmes primitifs de
la religion unique et universelle en les unissant aux théorèmes les plus incontestables des mathématiques et
de la raison?
La magie dogmatique est la clef de tous les secrets non encore approfondis par la philosophie de l'histoire;
et la magie pratique ouvre seule à la puissance, toujours limitée mais toujours progressive de la volonté
humaine, le temple occulte de la nature.
Nous n'avons pas la prétention impie d'expliquer par la magie les mystères de la religion; mais nous
enseignerons comment la science doit accepter et révérer ces mystères. Nous ne dirons plus que la raison
doit s'humilier devant la foi; elle doit au contraire s'honorer d'être croyant; car c'est la foi qui sauve la raison
des horreurs du néant sur le bord des abîmes pour la rattacher à l'infini.
L'orthodoxie en religion est le respect de la hiérarchie, seule gardienne de l'unité. Or, ne craignons pas de le
répéter, la magie est essentiellement la science de la hiérarchie. Ce qu'elle proscrit avant tout, qu'on se le
rappelle bien, ce sont les doctrines anarchiques; et elle démontre, par les lois mêmes de la
[35]
nature, que l'harmonie est inséparable du pouvoir et de l'autorité.
Ce qui fait, pour le plus grand nombre des curieux, l'attrait principal de la magie, c'est qu'ils y voient un
moyen extraordinaire de satisfaire leurs passions. Non, disent les avares, le secret d'Hermès pour la
transmutation des métaux n'existe pas, autrement nous l'achèterions et nous serions riches!... Pauvres fous,
qui croient qu'un pareil secret puisse se vendre! et quel besoin aurait de votre argent celui qui saurait faire
de l'or?--C'est vrai, répondra un incrédule, mais toi-même, Éliphas Lévi, si tu possédais ce secret ne serais-
tu pas plus riche que nous?--Eh! qui vous dit que je sois pauvre? Vous ai-je demandé quelque chose? Quel
est le souverain du monde qui peut se vanter de m'avoir payé un secret de la science? Quel est le
millionnaire auquel j'aie jamais donné quelque raison de croire que je voudrais troquer ma fortune contre la
sienne? Lorsqu'on voit d'en bas les richesses de la terre on y aspire toujours comme à la souveraine félicité;
mais comme on les méprise lorsqu'on plane au-dessus d'elles, et qu'on a peu d'envie de les reprendre
lorsqu'on les a laissées tomber comme des fers!
Oh! s'écriera un jeune homme, si les secrets de la magie étaient vrais, je voudrais les posséder pour être
aimé de toutes les femmes.--De toutes, rien que cela. Pauvre enfant, un jour viendra où ce sera trop d'en
avoir une. L'amour sensuel est une orgie à deux, où l'ivresse amène vite le dégoût, et alors on se quitte en se
jetant les verres à la tête.
Eh bien! dira un épicurien, donnez-moi donc les recettes de la magie, pour jouir toujours et ne souffrir
jamais....
La religion vous a déjà dit: Heureux ceux qui souffrent; mais c'est pour cela même que la religion a perdu
votre confiance.
Elle a dit: Heureux ceux qui pleurent, et c'est pour cela que vous avez ri de ses enseignements.
Les souffrances rendent fort contre le plaisir, les jouissances rendent faible contre la douleur.
Le plaisir dissipe;
La douleur recueille.
C'est le plaisir qui féconde, mais c'est la douleur qui conçoit et qui enfante.
Malheur à l'homme qui ne sait pas et qui ne veut pas souffrir! car il sera écrasé de douleurs.
[37]
Nous sommes jetés dans la vie comme en pleine mer: il faut nager ou périr.
Telles sont les lois de la nature enseignées par la haute magie. Voyez maintenant si l'on peut devenir
magicien pour jouir toujours et ne souffrir jamais!
Mais alors, diront d'un air désappointé les gens du monde, à quoi peut servir la magie?--Que pensez-vous
que le prophète Balaam eût pu répondre à son ânesse si elle lui avait demandé à quoi peut servir
l'intelligence?
Que répondrait Hercule à un pygmée qui lui demanderait à quoi peut servir la force?
Nous ne comparons certes pas les gens du monde à des pygmées, et encore moins à l'ânesse de Balaam; ce
serait manquer de politesse et de bon goût. Nous répondrons donc le plus gracieusement possible à ces
personnes si brillantes et si aimables, que la magie ne peut leur servir absolument de rien, attendu qu'elles
ne s'en occuperont jamais sérieusement.
Notre ouvrage s'adresse aux âmes qui travaillent et qui pensent. Elles y trouveront l'explication de ce qui est
resté obscur dans le dogme et dans le rituel de la haute magie 1. Nous avons, à l'exemple des grands
maîtres, suivi dans le plan et la division de nos livres l'ordre rationnel des nombres sacrés. Nous divisons
notre histoire de la magie en sept livres, et chaque livre contient sept chapitres.
Note 1: (retour) Éliphas Lévi, Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8, avec 23 fig.--25 fr.
[38]
Le premier livre est consacré aux origines magiques, c'est la Genèse de la science, et nous lui avons donné
pour clef la lettre aleph א, qui exprime kabbalistiquement l'unité principiante et originelle.
Le second livre contiendra les formules historiques et sociales du verbe magique dans l'antiquité. Sa
marque est la lettre beth ב, symbole du binaire, expression du verbe réalisateur, caractère spécial de la
gnose et de l'occultisme.
Le troisième livre sera l'exposé des réalisations de la science antique dans la société chrétienne. Nous y
verrons comment, pour la science même, la parole s'est incarnée. Le nombre trois est celui de la génération,
de la réalisation, et le livre a pour clef la lettre ghimel ג, hiéroglyphe de la naissance.
Dans le quatrième livre, nous verrons la force civilisatrice de la magie chez les barbares, et les productions
naturelles de cette science parmi les peuples encore enfants, les mystères des druides, les miracles des
eubages, les légendes des bardes, et comment tout cela concourt à la formation des sociétés modernes en
préparant au christianisme une victoire éclatante et durable. Le nombre quatre exprime la nature et la force,
et la lettre daleth ד, qui le représente dans l'alphabet hébreux, est figurée dans l'alphabet hiéroglyphique des
kabbalistes par un empereur sur son trône.
Le cinquième livre sera consacré à l'ère sacerdotale du moyen âge. Nous y verrons les dissidences et les
luttes de la science, la formation des sociétés secrètes, leurs oeuvres inconnus, les rites secrets des
grimoires, les mystères de la divine comédie, les divisions du sanctuaire, qui doivent aboutir plus tard à une
glorieuse unité. Le nombre cinq est celui de la quintessence, de
[39]
la religion, du sacerdoce; son caractère est la lettre hé ה, représentée dans l'alphabet magique par la figure
du grand prêtre.
Notre sixième livre montrera la magie mêlée à l'oeuvre de la révolution. Le nombre six est celui de
l'antagonisme et de la lutte qui prépare la synthèse universelle. Sa lettre est le vaf נ, figure du lingam
créateur, du fer recourbé qui moissonne.
Le septième livre sera celui de la synthèse, et contiendra l'exposé des travaux modernes et des découvertes
récentes, les théories nouvelles de la lumière et du magnétisme, la révélation du grand secret des rose-croix,
l'explication des alphabets mystérieux, la science, enfin, du verbe et des oeuvres magiques, la synthèse de
la science et l'appréciation des travaux de tous les mystiques contemporains. Ce livre sera le complément et
la couronne de l'oeuvre comme le septénaire est la couronne des nombres, puisqu'il réunit le triangle de
l'idée au carré de la forme. Sa lettre correspondante est le dzaïn ז, et son hiéroglyphe kabbalistique est un
triomphateur monté sur un char attelé de deux sphinx. Nous avons donné cette figure dans notre précédent
ouvrage.
Loin de nous la vanité ridicule de nous poser en triomphateur kabbalistique, c'est la science seule qui doit
triompher, et celui que nous voulons montrer au monde intelligent, monté sur le char cubique et traîné par
les sphinx, c'est le verbe de lumière, c'est le réalisateur divin de la kabbale de Moïse, c'est le soleil humain
de l'Évangile, c'est l'homme-Dieu qui est déjà venu comme Sauveur, et qui se manifestera bientôt comme
Messie,
[40]
c'est-à-dire comme roi définitif et absolu des institutions temporelles. C'est cette pensée qui anime notre
courage et entretient notre espérance. Et maintenant il nous reste à soumettre toutes nos idées, toutes nos
découvertes et tous nos travaux au jugement infaillible de la hiérarchie. Tout ce qui tient à la science, aux
hommes acceptés par les sciences, tout ce qui tient à la religion, à l'Église seule, et à la seule Église
hiérarchique et conservatrice de l'unité, catholique apostolique et romaine, depuis Jésus-Christ jusqu'à
présent.
Aux savants nos découvertes, aux évêques nos aspirations et nos croyances! Malheur, en effet, à l'enfant
qui se croit plus sage que ses pères, à l'homme qui ne reconnaît pas de maîtres, au rêveur qui pense et qui
prie pour lui seul! La vie est une communion universelle, et c'est dans cette communion qu'on trouve
l'immortalité. Celui qui s'isole se voue à la mort, et l'éternité de l'isolement, ce serait la mort éternelle!
Éliphas LÉVI.
[41]
LIVRE PREMIER
LES ORIGINES MAGIQUES
אAleph.
CHAPITRE PREMIER
ORIGINES FABULEUSES
SOMMAIRE.--Origines fabuleuses.--Le livre de la pénitence d'Adam. --Le livre d'Hénoch.--La légende des
anges déchus.--Apocalypse de Méthodius.--La Genèse suivant les Indiens.--L'héritage magique d'Abraham,
suivant le Talmud.--Le Sépher Jezirah et le Sohar.
«Il y eut, dit le livre apocryphe d'Hénoch, des anges qui se laissèrent tomber du ciel pour aimer les filles de
la terre.
Car en ces jours-là, lorsque les fils des hommes se furent multipliés, il leur naquit des filles d'une grande
beauté.
Et lorsque les anges, les fils du ciel, les virent ils furent pris d'amour pour elles; et ils se disaient entre eux:
«Allons, choisissons-nous des épouses de la race des hommes, et engendrons des enfants.»
Alors leur chef Samyasa leur dit: «Peut-être n'aurez-vous pas le courage d'accomplir cette résolution, et je
resterai seul responsable de votre chute.»
Mais ils lui répondirent: «Nous jurons de ne pas nous repentir et d'accomplir tous notre dessein.»
[42]
Et ils étaient deux cents qui descendirent sur la montagne d'Armon.
Et c'est depuis ce temps-là que cette montagne est nommée Armon, ce qui veut dire la montagne du
Serment.
Voici les noms des chefs de ces anges qui descendirent: Samyasa qui était le premier de tous, Uraka-
baraméel, Azibéel, Tamiel, Ramuel, Danel, Azkéel, Sarakuyal, Asael, Armers, Batraai, Anane, Zavèbe,
Samsavéel, Ertrael, Turel, Jomiael, Arazial.
Ils prirent des épouses avec lesquelles ils se mêlèrent, leur enseignant la magie, les enchantements et la
division des racines et des arbres.
Amazarac enseigna tous les secrets des enchanteurs, Barkaial fut le maître de ceux qui observent les astres,
Akibéel révéla les signes et Azaradel le mouvement de la lune.»
Ce récit du livre kabbalistique d'Hénoch, est le récit de cette même profanation des mystères de la science
que nous voyons représenter sous une autre image dans l'histoire du péché d'Adam.
Les anges, les fils de Dieu, dont parle Hénoch, c'étaient les initiés à la magie, puisque après leur chute ils
l'enseignèrent aux hommes vulgaires par l'entremise des femmes indiscrètes. La volupté fut leur écueil, ils
aimèrent les femmes et se laissèrent surprendre les secrets de la royauté et du sacerdoce.
Alors la civilisation primitive s'écroula, les géants, c'est-à-dire les représentants de la force brutale et des
convoitises effrénées, se disputèrent le monde qui ne put leur
[43]
échapper qu'en s'abîmant sous les eaux du déluge où s'effacèrent toutes les traces du passé.
Ce déluge figurait la confusion universelle où tombe nécessairement l'humanité lorsqu'elle a violé et
méconnu les harmonies de la nature.
Le péché de Samyasa et celui d'Adam se ressemblent, tous deux sont entraînés par la faiblesse du coeur,
tous deux profanent l'arbre de la science et sont repoussés loin de l'arbre de vie.
Ne discutons pas les opinions ou plutôt les naïvetés de ceux qui veulent prendre tout à la lettre, et qui
pensent que la science et la vie ont pu pousser autrefois sous forme d'arbres, mais admettons le sens
profond des symboles sacrés.
L'arbre de la science, en effet, donne la mort lorsqu'on en absorbe les fruits, ces fruits sont la parure du
monde, ces pommes d'or sont les étoiles de la terre.
Il existe à la bibliothèque de l'Arsenal un manuscrit fort curieux qui a pour titre: Le livre de la pénitence
d'Adam. La tradition kabbalistique y est présentée sous forme de légende, et voici ce qu'on y raconte:
«Adam eut deux fils, Caïn qui représente la force brutale, Abel qui représente la douceur intelligente. Ils ne
purent s'accorder, et ils périrent l'un par l'autre, aussi leur héritage fut-il donné à un troisième fils nommé
Seth.»
Voilà bien le conflit des deux forces contraires tournant au profit d'une puissance synthétique et combinée.
«Or Seth, qui était juste, put parvenir jusqu'à l'entrée du paradis terrestre sans que le chérubin l'écartât avec
son épée flamboyante.» C'est-à-dire que Seth représente l'initiation primitive.
[44]
«Seth vit alors que l'arbre de la science et l'arbre de la vie s'étaient réunis et n'en faisaient qu'un.»
Accord de la science et de la religion dans la haute kabbale.
«Et l'ange lui donna trois grains qui contenaient toute la force vitale de cet arbre.»
«Lorsque Adam mourut, Seth, suivant les instructions de l'ange, plaça les trois grains dans la bouche de son
père expiré comme un gage de vie éternelle.
»Les branches qui sortirent de ces trois grains formèrent le buisson ardent au milieu duquel Dieu révéla à
Moïse son nom éternel:
[Hébreu, illisible.]
»Moïse cueillit une triple branche du buisson sacré, ce fut pour lui la verge des miracles.
»Cette verge bien que séparée de sa racine ne cessa pas de vivre et de fleurir, et elle fut ainsi conservée
dans l'arche.
»Le roi David replanta cette branche vivante sur la montagne de Sion, et Salomon plus tard prit le bois de
cet arbre au triple tronc pour en faire les deux colonnes Jakin et Bohas, qui étaient à l'entrée du temple, il
les revêtit de bronze, et plaça le troisième morceau du bois mystique au fronton de la porte principale.
»C'était un talisman qui empêchait tout ce qui était impur de pénétrer dans le temple.
[45]
»Mais les lévites corrompus arrachèrent pendant la nuit cette barrière de leurs iniquités et la jetèrent au
fond de la piscine probatique en la chargeant de pierres.
»Depuis ce moment l'ange de Dieu agita tous les ans les eaux de la piscine et leur communiqua une vertu
miraculeuse pour inviter les hommes à y chercher l'arbre de Salomon.
»Au temps de Jésus-Christ, la piscine fut nettoyée, et les juifs trouvant cette poutre, inutile suivant eux, la
portèrent hors de la ville et la jetèrent en travers du torrent de Cédron.
»C'est sur ce pont que Jésus passa après son arrestation nocturne au jardin des Oliviers, c'est du haut de
cette planche que ses bourreaux le précipitèrent pour le traîner dans le torrent et dans leur précipitation à
préparer d'avance l'instrument du supplice, ils emportèrent avec eux le pont qui était une poutre de trois
pièces, composée de trois bois différents et ils en firent une croix.»
Cette allégorie renferme toutes les hautes traditions de la kabbale et les secrets si complètement ignorés de
nos jours du christianisme de saint Jean.
Ainsi Seth, Moïse, David, Salomon et le Christ auraient emprunté au même arbre kabbalistique leurs
sceptres de rois et leurs bâtons de grands pontifes.
Nous devons comprendre maintenant pourquoi le Sauveur au berceau était adoré par les mages.
Revenons au livre d'Hénoch, car celui-ci doit avoir une autorité dogmatique plus grande qu'un manuscrit
ignoré. Le livre d'Hénoch est, en effet, cité dans le Nouveau Testament par l'apôtre saint Jude.
Hénoch parait donc être le même personnage que l'Hermès trismégiste des Égyptiens, et le fameux livre de
Thot, écrit tout en hiéroglyphes et en nombres, serait cette bible occulte et pleine de mystères, antérieure
aux livres de Moïse, à laquelle l'initié Guillaume Postel fait souvent allusion dans ses ouvrages en la
désignant sous le nom de Genèse d'Hénoch.
La Bible dit qu'Hénoch ne mourut point, mais que Dieu le transporta d'une vie à l'autre. Il doit revenir
s'opposer à l'Antéchrist, à la fin des temps, et il sera un des derniers martyrs ou témoins de la vérité, dont il
est fait mention dans l'apocalypse de saint Jean.
Ce qu'on dit d'Hénoch, on l'a dit de tous les grands initiateurs de la kabbale.
Saint Jean lui-même ne devait pas mourir, disaient les premiers chrétiens, et l'on a cru longtemps le voir
respirer dans son tombeau, car la science absolue de la vie est un préservatif contre la mort et l'instinct des
peuples le leur fait toujours deviner.
Quoi qu'il en soit, il nous resterait d'Hénoch deux livres, l'un hiéroglyphique, l'autre allégorique. L'un
contenant les clefs hiératiques de l'initiation, l'autre l'histoire d'une grande profanation qui avait amené la
destruction du monde et le chaos après le règne des géants.
Saint Méthodius, un évêque des premiers siècles du christianisme, dont les oeuvres se trouvent dans la
bibliothèque des Pères de
[47]
l'Église, nous a laissé une apocalypse prophétique où l'histoire du monde se déroule dans une série de
visions. Ce livre ne se trouve pas dans la collection des oeuvres de saint Méthodius, mais il a été conservé
par les gnostiques, et nous le retrouvons imprimé dans le liber mirabilis, sous le nom altéré de
Bermechobus, que des imprimeurs ignorants ont fait à la place de l'abréviation Bea-Méthodius pour beatus
Méthodius.
Ce livre s'accorde en plusieurs points avec le traité allégorique de la pénitence d'Adam. On y trouve que
Seth se retira avec sa famille en Orient vers une montagne voisine du paradis terrestre. Ce fut la patrie des
initiés, tandis que la postérité de Caïn inventait la fausse magie dans l'Inde, pays du fratricide, et mettait les
maléfices au service de l'impunité.
Saint Méthodius prédit ensuite les conflits et le règne successif des Ismaélites, vainqueurs des Romains; des
Français, vainqueurs des Ismaélites, puis d'un grand peuple du Nord, dont l'invasion précédera le règne
personnel de l'Antéchrist. Alors se formera un royaume universel, qui sera reconquis par un prince français,
et la justice régnera pendant une longue suite d'années.
Nous n'avons pas à nous occuper ici de la prophétie. Ce qu'il nous importe de remarquer, c'est la distinction
de la bonne et de la mauvaise magie, du sanctuaire des fils de Seth et de la profanation des sciences par les
descendants de Caïn.
La haute science, en effet, est réservée aux hommes qui sont maîtres de leurs passions, et la chaste nature
ne donne pas les clefs de sa chambre nuptiale à des adultères. Il y a deux classes
[48]
d'hommes, les hommes libres et les esclaves; l'homme naît esclave de ses besoins, mais il peut s'affranchir
par l'intelligence. Entre ceux qui sont déjà affranchis et ceux qui ne le sont pas encore l'égalité n'est pas
possible. C'est à la raison de régner et aux instincts d'obéir. Autrement si vous donnez à un aveugle les
aveugles à conduire, ils tomberont tous dans les abîmes. La liberté, ne l'oublions pas, ce n'est pas la licence
des passions affranchies de la loi. Cette licence serait la plus monstrueuse des tyrannies. La liberté, c'est
l'obéissance volontaire à la loi; c'est le droit de faire son devoir et seuls les hommes raisonnables et justes
sont libres. Or, les hommes libres doivent gouverner les esclaves, et les esclaves sont appelés à s'affranchir;
non pas du gouvernement des hommes libres, mais de cette servitude des passions brutales, qui les
condamne à ne pas exister sans maîtres.
Admettez maintenant avec nous la vérité des hautes sciences, supposez un instant qu'il existe, en effet, une
force dont on peut s'emparer et qui soumet à la volonté de l'homme les miracles de la nature? Dites-nous
maintenant si l'on peut confier aux brutalités cupides les secrets de la sympathie et des richesses; aux
intrigants l'art de la fascination, à ceux qui ne savent pas se conduire eux-mêmes l'empire sur les
volontés?... On est effrayé lorsqu'on songe aux désordres que peut entraîner une telle profanation. Il faudra
un cataclysme pour laver les crimes de la terre quand tout se sera abîmé dans la boue et dans le sang. Eh
bien! voilà ce que nous révèle l'histoire allégorique de la chute des anges dans le livre d'Hénoch, voilà le
péché d'Adam et ses suites fatales. Voilà le déluge et ses tempêtes; puis,
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plus tard, la haute malédiction de Chanaan. La révélation de l'occultisme est figurée par l'impudence de ce
fils qui montre la nudité paternelle. L'ivresse de Noé est une leçon pour le sacerdoce de tous les temps.
Malheur à ceux qui exposent les secrets de la génération divine aux regards impurs de la foule! tenez le
sanctuaire fermé, vous qui ne voulez pas livrer votre père endormi à la risée des imitateurs de Cham!
Telle est, sur les lois de la hiérarchie humaine, la tradition des enfants de Seth; mais telles ne furent pas les
doctrines de la famille de Caïn. Les caïnistes de l'Inde inventèrent une Genèse pour consacrer l'oppression
des plus forts et perpétuer l'ignorance des faibles; l'initiation devint le privilège exclusif des castes
suprêmes et des races d'hommes furent condamnées à une servitude éternelle sous prétexte d'une naissance
inférieure; ils étaient sortis, disait-on, des pieds ou des genoux de Brahma!
La nature n'enfante ni des esclaves ni des rois, tous les hommes naissent pour le travail.
Celui qui prétend que l'homme est parfait en naissant, et que la société le dégrade et le pervertit, serait le
plus sauvage des anarchistes, s'il n'était pas le plus poétique des insensés. Mais Jean-Jacques avait beau être
sentimental et rêveur, son fond de misanthropie, développé par la logique de ses séides, porta des fruits de
haine et de destruction. Les réalisateurs consciencieux des utopies du tendre philosophe de Genève, furent
Robespierre et Marat.
Ainsi, au mensonge des castes privilégiées par la nature, répondit le blasphème de l'égalité antisociale et du
droit ennemi de tout devoir; le christianisme seul avait résolu la question en donnant la suprématie au
dévouement, et en proclamant le plus grand celui qui sacrifierait son orgueil à la société et ses appétits à la
loi.
Les juifs, dépositaires de la tradition de Seth, ne la conservèrent pas dans toute sa pureté, et se laissèrent
gagner par les injustes ambitions de la postérité de Caïn. Ils se crurent une race d'élite, et pensèrent que
Dieu leur avait plutôt donné la vérité comme un patrimoine que confiée comme un dépôt appartenant à
l'humanité toute entière. On trouve, en effet, dans les talmudistes, à côté des sublimes traditions du Sépher
Jézirah et du Sonar, des révélations assez étranges. C'est ainsi qu'ils ne craignent pas d'attribuer au
patriarche Abraham lui-même l'idolâtrie des nations, lorsqu'ils disent qu'Abraham a donné aux Israélites
son héritage, c'est-à-dire la science des vrais noms divins; la kabbale, en un mot, aurait été la propriété
légitime et héréditaire d'Isaac; mais le patriarche donna, disent-ils, des présents aux enfants de ses
concubines; et par ces présents ils entendent des dogmes voilés et des noms obscurs, qui se matérialisèrent
bientôt et se transformèrent en idoles. Les fausses religions et leurs absurdes mystères, les superstitions
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orientales et leurs sacrifices horribles, quel présent d'un père à sa famille méconnue! N'était-ce pas assez de
chasser Agar avec son fils dans le désert, fallait-il, avec leur pain unique et leur cruche d'eau, leur donner
un fardeau de mensonge pour désespérer et empoisonner leur exil?
La gloire du christianisme c'est d'avoir appelé tous les hommes à la vérité, sans distinction de peuples et de
castes, mais non toutefois sans distinction d'intelligences et de vertus.
«Ne jetez pas vos paroles devant les pourceaux, a dit le divin fondateur du christianisme, de peur qu'ils ne
les foulent aux pieds et que, se tournant contre vous, ils ne vous dévorent.»
L'Apocalypse, ou révélation de saint Jean, qui contient tous les secrets kabbalistiques du dogme de Jésus-
Christ, n'est pas un livre moins obscur que le Sohar.
Il est écrit hiéroglyphiquement avec des nombres et des images; et l'apôtre fait souvent appel à l'intelligence
des initiés. «Que celui qui a la science comprenne, que celui qui comprend calcule,» dit-il plusieurs fois
après une allégorie ou l'énoncé d'un nombre. Saint Jean, l'apôtre de prédilection et le dépositaire de tous les
secrets du Sauveur, n'écrivait donc pas pour être compris de la multitude.
Le Sépher Jézirah, le Sohar et l'Apocalypse sont les chefs-d'oeuvre de l'occultisme; ils contiennent plus de
sens que de mots, l'expression en est figurée comme la poésie et exacte comme les nombres. L'Apocalypse
résume, complète et surpasse
[52]
toute la science d'Abraham et de Salomon, comme nous le prouverons en expliquant les clefs de la haute
kabbale.
Le commencement du Sohar étonne par la profondeur de ses aperçus et la grandiose simplicité de ses
images. Voici ce que nous y lisons:
»Ainsi ont péri les rois de l'ancien monde, les princes des géants. Ils sont tombés comme des arbres sans
racines, et l'on n'a plus trouvé leur place.
»C'est par le conflit des forces non équilibrées que la terre dévastée était nue et informe lorsque le souffle
de Dieu se fit place dans le ciel et abaissa la masse des eaux.
»Toutes les aspirations de la nature furent alors vers l'unité de la forme, vers la synthèse vivante des
puissances équilibrées, et le front de Dieu, couronné de lumière, se leva sur la vaste mer et se refléta dans
les eaux inférieures.
»Ses deux yeux parurent rayonnants de clarté, lançant deux traits de flamme qui se croisèrent avec les
rayons du reflet.
»Le front de Dieu et ses deux yeux formaient un triangle dans le ciel, et le reflet formait un triangle dans les
eaux.
Nous traduisons ici, en l'expliquant, le texte qu'on ne saurait rendre intelligible en le traduisant
littéralement.
[53]
L'auteur du livre a soin, d'ailleurs, de nous déclarer que cette forme humaine qu'il donne à Dieu n'est qu'une
image de son verbe, et que Dieu ne saurait être exprimé par aucune pensée ni par aucune forme. Pascal a dit
que Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Mais comment concevoir un
cercle sans circonférence? Le Sohar prend l'inverse de cette figure paradoxale, et dirait volontiers du cercle
de Pascal que la circonférence en est partout et le centre nulle part; mais ce n'est point à un cercle, c'est à
une balance qu'il compare l'équilibre universel des choses. «L'équilibre est partout, dit-il, on trouve donc
partout aussi le point central où la balance est suspendue.» Nous trouvons ici le Sohar plus fort et plus
profond que Pascal.
L'auteur du Sohar continue son rêve sublime. La synthèse du verbe formulé par la figure humaine monte
lentement et sort des eaux comme le soleil qui se lève. Quand les yeux ont paru, la lumière a été faite;
quand la bouche se montre, les esprits sont créés et la parole se fait entendre. La tête entière est sortie, et
voilà le premier jour de la création. Viennent les épaules, les bras et la poitrine, et le travail commence.
L'image divine repousse d'une main la mer et soulève de l'autre les continents et les montagnes. Elle
grandit, elle grandit toujours. Sa puissance génératrice apparaît, et tous les êtres vont se multiplier; il est
debout, enfin, il met un pied sur la terre et l'autre sur la mer, et se mirant tout entier dans l'Océan de la
création, il souffle sur son reflet, il appelle son image à la vie. Créons l'homme, a-t-il dit, et l'homme est
créé! Nous ne connaissons rien d'aussi beau dans aucun poëte que cette vision de la création accomplie par
le type idéal de l'humanité. L'homme ainsi
[54]
est l'ombre d'une ombre! mais il est la représentation de la puissance divine. Lui aussi peut étendre les
mains de l'Orient à l'Occident; la terre lui est donnée pour domaine. Voilà l'Adam Kadmon, l'Adam primitif
des kabbalistes; voilà dans quelle pensée ils en font un géant; voilà pourquoi Swedenborg, poursuivi dans
ses rêves par les souvenirs de la kabbale, dit que la création entière n'est qu'un homme gigantesque, et que
nous sommes faits à l'image de l'univers.
Le Sohar est une genèse de lumière, le Sépher Jézirah est une échelle de vérités. Là s'expliquent les trente-
deux signes absolus de la parole, les nombres et les lettres; chaque lettre reproduit un nombre, une idée et
une forme, en sorte que les mathématiques s'appliquent aux idées et aux formes, non moins rigoureusement
qu'aux nombres par une proportion exacte et une correspondance parfaite. Par la science du Sépher Jézirah,
l'esprit humain est fixé dans la vérité et dans la raison, et peut se rendre compte des progrès possibles de
l'intelligence par les évolutions des nombres. Le Sohar représente donc la vérité absolue, et le Sépher
Jézirah donne les moyens de la saisir, de se l'approprier et d'en faire usage.
[55]
CHAPITRE II.
MAGIE DES MAGES.
Zoroastre est très probablement un nom symbolique, comme celui de Thot ou d'Hermès. Eudoxe et Aristote
le font vivre six mille ans avant la naissance de Platon; d'autres, au contraire, le font naître cinq cents ans
avant la guerre de Troie. Les uns en font un roi de la Bactriane, les autres affirment l'existence de deux ou
de trois Zoroastres différents. Eudoxe et Aristote seuls nous semblent avoir compris le personnage magique
de Zoroastre en mettant l'âge kabbalistique d'un monde entre l'éclosion de son dogme et le règne théurgique
de la philosophie de Platon. Il y a, en effet, deux Zoroastres, c'est-à-dire, deux révélateurs, l'un fils
d'Oromase et père d'un renseignement lumineux, l'autre fils d'Arimane et auteur d'une divulgation profane;
Zoroastre est le Verbe incarné des Chaldéens, des Mèdes et des Perses. Sa légende semble une prédiction
de celle du Christ, et il a dû avoir aussi son antéchrist, suivant la loi magique de l'équilibre universel.
C'est au faux Zoroastre qu'il faut attribuer le culte du feu matériel et le dogme impie du dualisme divin qui
a produit plus tard la gnose monstrueuse de Manès, et les principes erronés de
[56]
la fausse maçonnerie. Le faux Zoroastre est le père de cette magie matérialiste qui a causé le massacre des
mages, et fait tomber le vrai magisme sous la proscription et dans l'oubli. L'Église, toujours inspirée par
l'esprit de vérité, a dû proscrire sous les noms de magie, de manichéisme, d'illuminisme et de maçonnerie,
tout ce qui se rattachait de près ou de loin à cette profanation primitive des mystères. L'histoire jusqu'à
présent incomprise des templiers, en est un exemple éclatant.
Les dogmes du vrai Zoroastre sont les mêmes que ceux de la pure kabbale, et ses idées sur la divinité sont
les mêmes que celles des Pères de l'Église. Les noms seuls diffèrent: ainsi il nomme triade ce que nous
appelons trinité, et dans chaque nombre de la triade, il retrouve le ternaire tout entier. C'est ce que nos
théologiens appellent la circum-insession des personnes divines. Zoroastre renferme dans cette
multiplication de la triade par elle-même la raison absolue du nombre neuf et la clef universelle de tous les
nombres et de toutes les formes. Ce que nous appelons les trois personnes divines, Zoroastre le nomme les
trois profondeurs. La profondeur première ou paternelle est la source de la foi; la seconde ou celle du Verbe
est la source de la vérité; la troisième ou l'action créatrice est la source d'amour. On peut consulter, pour se
convaincre de ce que nous avançons ici, l'exposition de Psellus sur les dogmes des anciens Assyriens, dans
la Magie philosophique de François Patricius, page 2, édition de Hambourg, 1593.
Sur cette échelle de neuf degrés, Zoroastre établit la hiérarchie céleste et toutes les harmonies de la nature.
Il compte par trois
[57]
toutes les choses qui émanent de l'idée, par quatre tout ce qui se rattache à la forme, ce qui lui donne le
nombre sept pour type de la création. Ici finit l'initiation première, et commencent les hypothèses de l'école;
les nombres se personnifient, les idées prennent des emblèmes qui plus tard deviendront des idoles. Voici
venir les Synochées, les Télétarques et les Pères, serviteurs de la triple Hécate, puis les trois Amilictes, et
les trois visages d'Hypézocos; puis les anges, puis les démons, puis les âmes humaines. Les astres sont les
images et les reflets des splendeurs intellectuelles, et notre soleil est l'emblème d'un soleil de vérité, ombre
lui-même de cette source première d'où jaillissent toutes les splendeurs. C'est pour cela que les disciples de
Zoroastre saluaient le lever du jour, et passaient parmi les barbares pour des adorateurs du soleil.
Tels étaient les dogmes des mages, mais ils possédaient, en outre, des secrets qui les rendaient maîtres des
puissances occultes de la nature. Ces secrets, dont l'ensemble pourrait s'appeler une pyrotechnie
transcendentale, se rattachaient tous à la science profonde et au gouvernement du feu. Il est certain que les
mages connaissaient l'électricité, et avaient des moyens de la produire et de la diriger qui nous sont encore
inconnus.
Numa, qui étudia leurs rites et fut initié à leurs mystères, possédait, au dire de Lucius Pison, l'art de former
et de diriger la foudre. Ce secret sacerdotal dont l'initiateur romain voulait faire l'apanage des souverains de
Rome, fut perdu par Tullus Hostilius qui dirigea mal la décharge électrique et fut foudroyé. Pline rapporte
ces faits comme une ancienne tradition
[58]
étrusque 2, et raconte que Numa se servit avec succès de sa batterie foudroyante contre un monstre nommé
Volta, qui désolait les campagnes de Rome. Ne croirait-on pas, en lisant cette révélation, que notre
physicien Volta est un mythe, et que le nom des piles voltaïques remonte au siècle de Numa?
Note 2: (retour) Plin., liv. II, ch. 53.
Tous les symboles assyriens se rapportent à cette science du feu qui était le grand arcane des mages; partout
nous retrouvons l'enchanteur qui perce le lion et qui manie les serpents. Le lion c'est le feu céleste, les
serpents sont les courants électriques et magnétiques de la terre. C'est à ce grand secret des mages qu'il faut
rapporter toutes les merveilles de la magie hermétique, dont les traditions disent encore que le secret du
grand oeuvre consiste dans le gouvernement du feu.
Le savant François Patricius a publié, dans sa Magie philosophique, les oracles de Zoroastre recueillis dans
les livres des platoniciens, dans la théurgie de Proclus, dans les commentaires sur Parménide, dans les
commentaires d'Hermias sur Phèdre, dans les notes d'Olympiodore sur le Philèbe et le Phédon. Ces oracles
sont d'abord la formule nette et précise du dogme que nous venons d'exposer, puis viennent les
prescriptions du rituel magique, et voici en quels termes elles sont exprimées:
«La nature nous enseigne par induction qu'il existe des démons incorporels, et que les germes du mal qui
existent dans la matière, tournent au bien et à l'utilité commune.
[59]
»Mais ce sont là des mystères qu'il faut ensevelir dans les replis les plus impénétrables de la pensée.
»Le feu toujours agité et bondissant dans l'atmosphère peut prendre une configuration semblable à celle des
corps.
»Appelons, si vous le voulez, ce feu une lumière surabondante qui rayonne, qui parle, qui s'enroule.
»C'est le coursier fulgurant de la lumière, ou plutôt c'est l'enfant aux larges épaules qui dompte et soumet le
coursier céleste.
»Qu'on l'habille de flamme et d'or ou qu'on le représente nu comme l'Amour en lui donnant aussi des
flèches.
»Mais si ta méditation se prolonge, tu réuniras tous ces emblèmes sous la figure du lion;
»Alors qu'on ne voit plus rien ni de la voûte des cieux ni de la masse de l'univers.
»Car tu ne dois point le voir avant que ton corps ne soit purifié par les saintes épreuves.
»Amollissant les âmes et les entraînant toujours loin des travaux sacrés, les chiens terrestres sortent alors de
ces limbes ou finit la matière, et montrent aux regards mortels des apparences de corps toujours
trompeuses.
[60]
»Ne change rien aux noms barbares de l'évocation: car ce sont les noms panthéistiques de Dieu; ils sont
aimantés des adorations d'une multitude et leur puissance est ineffable.
»Et lorsque après tous les fantômes, tu verras briller ce feu incorporel, ce feu sacré dont les flèches
traversent à la fois toutes les profondeurs du monde;
Cette page étonnante que nous traduisons en entier du latin de Patricius, contient tous les secrets du
magnétisme avec des profondeurs que n'ont jamais soupçonnées les Du Potet et les Mesmer.
Nous y voyons: 1° d'abord la lumière astrale parfaitement décrite avec sa force configurative et sa
puissance pour refléter le verbe et répercuter la voix;
2° La volonté de l'adepte figurée par l'enfant aux larges épaules monté sur le cheval blanc; hiéroglyphe que
nous avons retrouvé sur un ancien tarot de la Bibliothèque impériale;
4° L'instrument magnétique qui est le rhombus, espèce de jouet d'enfant en bois creux qui tourne sur lui-
même avec un ronflement toujours croissant;
6° La fin de l'oeuvre magique, qui est l'apaisement de l'imagination et des sens, l'état de somnambulisme
complet et la parfaite lucidité.
Application qui s'opère par la persistance d'une volonté dégagée des sens et affermie par une série
d'épreuves.
L'adepte, parvenu à la lecture immédiate dans la lumière, devenait voyant ou prophète; puis, ayant mis sa
volonté en communication avec cette lumière, il apprenait à la diriger comme on dirige la pointe d'une
flèche; il envoyait à son gré le trouble ou la paix dans les âmes, communiquait à distance avec les autres
adeptes, s'emparait enfin de cette force représentée par le lion céleste.
C'est ce que signifient ces grandes figures assyriennes qui tiennent sous leurs bras des lions domptés.
C'est la lumière astrale qui est représentée par ces gigantesques sphinx, ayant des corps de lions et des têtes
de mages.
La lumière astrale, devenue l'instrument de la puissante magique, est le glaive d'or de Mithra qui immole le
taureau sacré.
Reconstruisons maintenant en esprit ces grandes métropoles de l'Assyrie, Babylone et Ninive, remettons à
leur place ces colosses de granit, rebâtissons ces temples massifs, portés par des éléphants ou par des
sphinx, relevons ces obélisques au-dessus desquels planent des dragons aux yeux étincelants et aux ailes
étendues.
[62]
Le temple et le palais dominent ces entassements de merveilles; là se tiennent cachées en se révélant sans
cesse par des miracles les deux divinités visibles de la terre, le sacerdoce et la royauté.
Le temple, au gré des prêtres, s'entoure de nuages ou brille de clartés surhumaines; les ténèbres se font
parfois pendant le jour, parfois aussi la nuit s'illumine; les lampes du temple s'allument d'elles-mêmes, les
dieux rayonnent, on entend gronder la foudre, et malheur à l'impie qui aurait attiré sur sa tête la malédiction
des initiés! Le temple protége le palais, et les serviteurs du roi combattent pour la religion des mages; le roi
est sacré, c'est le dieu de la terre, on se prosterne lorsqu'il passe, et l'insensé qui oserait sans ordre franchir
le seuil de son palais, serait immédiatement frappé de mort!
Frappé de mort sans massue et sans glaive, frappé par une main invisible, tué par la foudre, terrassé par le
feu du ciel! Quelle religion et quelle puissance! quelles grandes ombres que celles de Nemrod, de Bélus et
de Sémiramis! Que pouvaient donc être avant les cités presque fabuleuses, où ces immenses royautés
trônèrent autrefois, les capitales de ces géants, de ces magiciens, que les traditions confondent avec les
anges et nomment encore les fils de Dieu et les princes du ciel! Quels mystères dorment dans les tombeaux
des nations; et ne sommes-nous pas des enfants lorsque, sans prendre la peine d'évoquer ces effrayants
souvenirs, nous nous applaudissons de nos lumières et de nos progrès!
Dans son livre sur la magie, M. Du Potet avance, avec une certaine crainte, qu'on peut, par une puissante
émission de
[63]
fluide magnétique, foudroyer un être vivant 3.
Note 3: (retour) Du Potet, la Magie dévoilée, ou Principes de science occulte, 1852, 1 vol. in-4.
La puissance magique s'étend plus loin, mais il ne s'agit pas seulement du prétendu fluide magnétique. C'est
la lumière astrale tout entière, c'est l'élément de l'électricité et de la foudre, qui peut être mise au service de
la volonté humaine; et que faut-il faire pour acquérir cette formidable puissance? Zoroastre vient de nous le
le dire: il faut connaître ces lois mystérieuses de l'équilibre qui asservissent à l'empire du bien les
puissances mêmes du mal; il faut avoir purifié son corps par les saintes épreuves, lutté contre les fantômes
de l'hallucination et saisi corps à corps la lumière, comme Jacob dans sa lutte avec l'ange; il faut avoir
dompté ces chiens fantastiques qui aboient dans les rêves; il faut, en un mot, pour nous servir de
l'expression si énergique de l'oracle, avoir entendu parler la lumière. Alors on est maître, alors on peut la
diriger, comme Numa, contre les ennemis des saints mystères; mais si l'on n'est pas parfaitement pur, si la
domination de quelque passion animale vous soumet encore aux fatalités des tempêtes de la vie, on se brûle
aux feux qu'on allume, on est la proie du serpent qu'on déchaîne, et l'on périra foudroyé comme Tullus
Hostilius.
Il n'est pas conforme aux lois de la nature que l'homme puisse être dévoré par les bêtes sauvages. Dieu l'a
armé de puissance pour leur résister; il peut les fasciner du regard, les gourmander avec la voix, les arrêter
d'un signe,... et nous voyons, en effet, que les animaux les plus féroces redoutent la
[64]
fixité du regard de l'homme, et semblent tressaillir à sa voix. Les projections de la lumière astrale les
paralysent et les frappent de crainte. Lorsque Daniel fut accusé de fausse magie et d'imposture, le roi de
Babylone le soumit, ainsi que ses accusateurs, à l'épreuve des lions. Les animaux n'attaquent jamais que
ceux qui les craignent ou ceux dont eux-mêmes ils ont peur. Un homme intrépide et désarmé ferait
certainement reculer un tigre par le magnétisme de son regard.
Les mages se servaient de cet empire, et les souverains de l'Assyrie avaient dans leurs jardins des tigres
soumis, des léopards dociles et des lions apprivoisés. On en nourrissait d'autres dans les souterrains des
temples pour servir aux épreuves de l'initiation. Les bas-reliefs symboliques en font foi; ce ne sont que
luttes d'hommes et d'animaux, et toujours on voit l'adepte couvert du vêtement sacerdotal les dominer du
regard et les arrêter d'un geste de la main. Plusieurs de ces représentations sont symboliques sans doute,
quand les animaux reproduisent quelques-unes des formes du sphinx; mais il en est d'autres où l'animal est
représenté au naturel et où le combat semble être la théorie d'un véritable enchantement.
La magie est une science dont on ne peut abuser sans la perdre et sans se perdre soi-même. Les souverains
et les prêtres du monde assyrien étaient trop grands pour ne pas être exposés à se briser si jamais ils
tombaient; ils devinrent orgueilleux et ils tombèrent. La grande époque magique de la Chaldée est
antérieure aux règnes de Sémiramis et de Ninus. A cette époque déjà la religion se matérialise et l'idolâtrie
commence à triompher. Le
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culte d'Astarté succède à celui de la Vénus céleste, la royauté se fait adorer sous les noms de Baal et de Bel
ou Bélus. Sémiramis abaisse la religion au-dessous de la politique et des conquêtes, et remplace les vieux
temples mystérieux par de fastueux et indiscrets monuments; l'idée magique toutefois domine encore les
sciences et les arts, et imprime aux merveilleuses constructions de cette époque un caractère inimitable de
force et de grandeur. Le palais de Sémiramis était une synthèse bâtie et sculptée de tout le dogme de
Zoroastre. Nous en reparlerons lorsque nous expliquerons le symbolisme de ces sept chefs-d'oeuvre de
l'antiquité, qu'on appela les merveilles du monde.
Le sacerdoce s'était fait plus petit que l'empire, en voulant matérialiser sa propre puissance; l'empire en
tombant devait l'écraser, et ce fut ce qui arriva sous l'efféminé Sardanapale. Ce prince, amoureux de luxe et
de mollesse, avait fait de la science des mages une de ses prostituées. A quoi bon la puissance d'opérer des
merveilles si elle ne donne pas du plaisir? Enchanteurs, forcez l'hiver à donner des roses; augmentez la
saveur du vin; employez votre empire sur la lumière à faire resplendir la beauté des femmes comme celle
des divinités! On obéit et le roi s'enivre. Cependant la guerre se déclare, l'ennemi s'avance.... Qu'importe
l'ennemi au lâche qui jouit et qui dort? Mais c'est la ruine, c'est l'infamie, c'est la mort!... la mort!
Sardanapale ne la craint pas, il croit que c'est un sommeil sans fin; mais il saura bien se soustraire aux
travaux et aux affronts de la servitude... La nuit suprême est arrivée; le vainqueur est aux portes, la ville ne
peut plus résister; demain c'en est fait du royaume d'Assyrie.... Le palais de Sardanapale
[66]
s'illumine, et il rayonne de si merveilleuses splendeurs qu'il éclaire toute la ville consternée. Sur des amas
d'étoffes précieuses, de pierreries et de vases d'or, le roi fait sa dernière orgie. Ses femmes, ses favoris, ses
complices, ses prêtres avilis l'entourent; les clameurs de l'ivresse se mêlent au bruit de mille instruments,
les lions apprivoisés rugissent, et une fumée de parfums sortant des souterrains du palais en enveloppe déjà
toutes les constructions d'un épais nuage. Des langues de flamme percent déjà les lambris de cèdre;... les
chants d'ivresse vont faire place aux cris d'épouvante et aux râles de l'agonie.... Mais la magie qui n'a pu,
entre les mains de ses adeptes dégradés, conserver l'empire de Ninus, va du moins mêler ses merveilles aux
terribles souvenirs de ce gigantesque suicide. Une clarté immense et sinistre telle que n'en avaient jamais vu
les nuits de Babylone, semble repousser tout à coup et élargir la voûte du ciel.... Un bruit semblable à celui
de tous les tonnerres éclatant ensemble ébranle la terre et secoue la ville, dont les murailles tombent.... La
nuit profonde redescend; le palais de Sardanapale n'existe plus, et demain ses vainqueurs ne trouveront plus
rien de ses richesses, de son cadavre et de ses plaisirs.
Ainsi finit le premier empire d'Assyrie et la civilisation faite par le vrai Zoroastre. Ici finit la magie
proprement dite, et commence le règne de la kabbale. Abraham, en sortant de la Chaldée, en a emporté les
mystères. Le peuple de Dieu grandit en silence, et nous trouverons bientôt Daniel aux prises avec les
misérables enchanteurs de Nabuchodonosor et de Balthazar 4.
Note 4: (retour) Suivant Suldas, Cedrénus et la chronique d'Alexandrie, ce fut Zoroastre lui-même qui,
assiégé dans son palais, se fit disparaître tout à coup avec tous ses secrets et toutes ses richesses dans un
immense éclat de tonnerre. En ce temps-là, tout roi qui exerçait la puissance divine passait pour une
incarnation de Zoroastre, et Sardanapale se fit une apothéose de son bûcher.
[67]
CHAPITRE III.
MAGIE DANS L'INDE.
L'Inde, que la tradition kabbalistique nous dit avoir été peuplée par les descendants de Caïn, et où se
retirèrent plus tard les enfants d'Abraham et de Céthurah, l'Inde est par excellence le pays de la goétie et des
prestiges. La magie noire s'y est perpétuée avec les traditions originelles du fratricide rejeté par les
puissants sur les faibles, continué par les castes oppressives et expié par les parias.
On peut dire de l'Inde qu'elle est la savante mère de toutes les idolâtries. Les dogmes de ses
gymnosophistes seraient les clefs de la plus haute sagesse, si elles n'ouvraient encore mieux les portes de
l'abrutissement et de la mort. L'étonnante richesse du symbolisme indien ferait presque supposer qu'il est
antérieur à tous les autres, tant il y a d'originalité primitive dans ses poétiques conceptions; mais c'est un
arbre dont le serpent infernal semble avoir mordu la racine. La déification du diable
[68]
contre laquelle nous avons déjà énergiquement protesté, s'y étale dans toute son impudeur. La terrible
trimourti des brahmes se compose d'un créateur, d'un destructeur et d'un réparateur. Leur Addha-Nari, qui
figure la divinité mère ou la nature céleste, se nomme aussi Bowhanie, et les tuggs ou étrangleurs lui
offrent des assassinats. Vichnou le réparateur ne s'incarne guère que pour tuer un diable subalterne qui
renaît toujours, puisqu'il est favorisé par Rutrem ou Shiva, le dieu de la mort. On sent que Shiva est
l'apothéose de Caïn, mais rien dans toute cette mythologie ne rappelle la douceur d'Abel. Ses mystères
toutefois sont d'une poésie grandiose, ses allégories d'une singulière profondeur. C'est la kabbale profanée;
aussi, loin de fortifier l'âme en la rapprochant de la suprême sagesse, le brahmanisme la pousse et la fait
tomber avec des théories savantes dans les gouffres de la folie.
C'est à la fausse kabbale de l'Inde que les gnostiques empruntèrent leurs rêves tour à tour horribles et
obscènes. C'est la magie indienne qui, se présentant tout d'abord avec ses mille difformités sur le seuil des
sciences occultes, épouvante les esprits raisonnables et provoque les anathèmes de toutes les Églises
sensées. C'est cette science fausse et dangereuse, qui, trop souvent confondue par les ignorants et les demi-
savants avec la vraie science, leur a fait envelopper tout ce qui porte le nom d'occultisme dans un anathème
auquel celui même qui écrit ces pages a souscrit énergiquement lorsqu'il n'avait pas trouvé encore la clef du
sanctuaire magique. Pour les théologiens des Védas, Dieu ne se manifeste que dans la force. Tout progrès
et
[69]
toute révélation sont déterminés par une victoire. Vichnou s'incarne dans les monstrueux léviathans de la
mer et dans les sangliers énormes qui façonnent la terre primitive à coup de boutoirs.
C'est une merveilleuse genèse du panthéisme, et pourtant dans les auteurs de ces fables, quel
somnambulisme lucide! Le nombre dix des Avatars correspond à celui des Séphirots de la kabbale.
Vichnou revêt successivement trois formes animales, les trois formes élémentaires de la vie, puis il se fait
sphinx, et apparaît enfin sous la figure humaine; il est brahme alors et sous les apparences d'une feinte
humilité il envahit toute la terre; bientôt il se fait enfant pour être l'ange consolateur des patriarches, il
devient guerrier pour combattre les oppresseurs du monde, puis il incarne la politique pour l'opposer à la
violence, et semble quitter la forme humaine pour se donner l'agilité du singe. La politique et la violence se
sont usées réciproquement, le monde attend un rédempteur intellectuel et moral. Vichnou s'incarne dans
Chrisna; il apparaît proscrit dans son berceau près duquel veille un âne symbolique; on l'emporte pour le
soustraire à ses assassins, il grandit et prêche une doctrine de miséricorde et de bonnes oeuvres. Puis il
descend aux enfers, enchaîne le serpent infernal et remonte glorieux au ciel; sa fête annuelle est au mois
d'août sous le signe de la Vierge. Quelle étonnante intuition des mystères du christianisme! et combien ne
doit-elle pas sembler extraordinaire, si l'on pense que les livres sacrés de l'Inde ont été écrits plusieurs
siècles avant l'ère chrétienne. A la révélation de Chrisna succède celle de Bouddha, qui réunit ensemble la
religion la plus pure et la
[70]
plus parfaite philosophie. Alors le bonheur du monde est consommé et les hommes n'ont plus à attendre
que la dixième et dernière incarnation, lorsque Vichnou reviendra sous sa propre figure conduisant le
cheval du dernier jugement, ce cheval terrible dont le pied de devant est toujours levé et qui brisera le
monde lorsque ce pied s'abaissera.
Nous devons reconnaître ici les nombres sacrés et les calculs prophétiques des mages. Les gymnosophistes
et les initiés de Zoroastre ont puisé aux mêmes sources,... mais c'est le faux Zoroastre, le Zoroastre noir qui
est resté le maître de la théologie de l'Inde: les derniers secrets de cette doctrine dégénérée, sont le
panthéisme, et par suite le matérialisme absolu, sous les apparences d'une négation absolue de la matière.
Mais qu'importe qu'on matérialise l'esprit ou qu'on spiritualise la matière, dès qu'on affirme l'égalité et
même l'identité de ces deux termes? La conséquence de ce panthéisme est la destruction de toute morale: il
n'y a plus ni crimes ni vertus dans un monde où tout est Dieu.
On doit comprendre d'après ces dogmes l'abrutissement progressif des brahmes dans un quiétisme
fanatique, mais ce n'est pas encore assez; et leur grand rituel magique, le livre de l'occultisme indien,
l'Oupnek'hat, leur enseigne les moyens physiques et moraux de consommer l'oeuvre de leur hébétement et
d'arriver par degrés à la folie furieuse que leurs sorciers appellent l'état divin. Ce livre de l'Oupnek'hat est
l'ancêtre de tous les grimoires, et c'est le monument le plus curieux des antiquités de la goétie.
Ce livre est divisé en cinquante sections: c'est une ombre mêlée d'éclairs. On y trouve des sentences
sublimes et des
[71]
oracles de mensonge. Tantôt on croirait lire l'évangile de saint Jean, lorsqu'on trouve, par exemple, dans les
sections onzième et quarante-huitième:
»La parole de Dieu a produit la terre et les végétaux qui en sortent et la chaleur qui les mûrit.
»La parole du Créateur est elle-même le Créateur, et elle en est le fils unique.»
Tantôt ce sont des rêveries dignes des hérésiarques les plus extravagants:
«La matière n'étant qu'une apparence trompeuse, le soleil, les astres, les éléments eux-mêmes sont des
génies, les animaux sont des démons et l'homme un pur esprit trompé par les apparences des corps.»
Mais nous sommes suffisamment édifiés sur le dogme, venons au rituel magique des enchanteurs indiens.
»En second lieu, la garder aussi longtemps qu'on le pourra et prononcer quarante fois en cet état le nom
divin AUM.
»Troisièmement, expirer aussi longuement que possible en envoyant mentalement son souffle à travers les
cieux se rattacher à l'éther universel.
»Dans cet exercice, il faut se rendre comme aveugle et sourd, et immobile comme un morceau de bois.
»Il faut se poser sur les coudes et sur les genoux, le visage tourné vers le nord.
»Avec un doigt on ferme une aile du nez, par l'autre on attire l'air, puis on la ferme avec un doigt en pensant
que Dieu est le créateur, qu'il est dans tous les animaux, dans la fourmi comme dans l'éléphant: on doit
rester enfoncé dans ces pensées.
[72]
»D'abord on dit Aum douze fois; et pendant chaque aspiration il faut dire Aum quatre-vingts fois, puis
autant de fois qu'il est possible...
»Faites tout cela pendant trois mois, sans crainte, sans paresse, mangeant et dormant peu; au quatrième
mois les dévas se font voir à vous; au cinquième vous aurez acquis toutes les qualités des dévatas; au
sixième vous serez sauvé, vous serez devenu Dieu.»
Il est évident qu'au sixième mois, le fanatique assez imbécile pour persévérer dans une semblable pratique
sera mort ou fou.
S'il résiste à cet exercice de soufflet mystique, l'Oupnek'hat, qui ne veut pas le laisser en si beau chemin, va
le faire passer à d'autres exercices.
«Avec le talon bouchez l'anus, puis tirez l'air de bas en haut du côté droit, faites-le tourner trois fois autour
de la seconde région du corps; de là faites-le parvenir au nombril, qui est la troisième; puis à la quatrième,
qui est le milieu du coeur; puis à la cinquième, qui est la gorge; puis à la sixième, qui est l'intérieur du nez,
entre les deux sourcils; là retenez le vent: il est devenu le souffle de l'âme universelle.»
Ceci nous semble être tout simplement une méthode de se magnétiser soi-même et de se donner par la
même occasion quelque congestion cérébrale.
«Alors, continue l'auteur de l'Oupnek'hat, pensez au grand Aum, qui est le nom du Créateur, qui est la voix
universelle, la voix
[73]
pure et indivisible qui remplit tout; cette voix est le Créateur même; elle se fait entendre au contemplateur
de dix manières. Le premier son est comme la voix d'un petit moineau; le deuxième est le double du
premier; le troisième est comme le son d'une cymbale; le quatrième comme le murmure d'un gros
coquillage; le cinquième est comme le chant de la vînâ (espèce de lyre indienne); le sixième comme le son
de l'instrument qu'on appelle tal; le septième ressemble au son d'une flûte de bacabou posée près de
l'oreille; le huitième au son de l'instrument pakaoudj, frappé avec la main; le neuvième au son d'une petite
trompette, et le dixième au son du nuage qui rugit et qui fait dda, dda, dda!...
»À chacun de ces sons le contemplateur passe par différents états, jusqu'au dixième où il devient Dieu.
»Au septième, il devient maître de la vision, il voit au dedans des coeurs, il entend les voix les plus
éloignées.
»Au neuvième, il se sent assez subtil pour se transporter où il veut, et, comme les anges, tout voir sans être
vu.
Il faut remarquer, dans cette page si curieuse, la description complète des phénomènes du somnambulisme
lucide mêlée à une théorie complète de magnétisme solitaire. C'est l'art de se mettre en extase par la tension
de la volonté et la fatigue du système nerveux.
L'emploi gradué des narcotiques et l'usage d'une gamme de disques coloriés produit des effets analogues à
ceux que décrit le sorcier indien, et M. Ragon en a donné la recette dans son Livre de la maçonnerie
occulte, faisant suite à l'orthodoxie maçonnique, page 499.
L'Oupnek'hat donne un moyen plus simple de perdre connaissance et d'arriver à l'extase: c'est de regarder
des deux yeux le bout de son nez et de rester dans cette posture, ou plutôt dans cette grimace, jusqu'à la
convulsion du nerf optique.
Toutes ces pratiques sont douloureuses et dangereuses autant que ridicules, et nous ne les conseillons à
personne; mais nous ne doutons pas qu'elles ne produisent effectivement, dans un espace de temps plus ou
moins long, suivant la sensibilité des sujets, l'extase, la catalepsie, et même l'évanouissement léthargique.
Pour se procurer des visions, pour arriver aux phénomènes de la seconde vue, il faut se mettre dans un état
qui tient du sommeil, de la mort et de la folie. C'est en cela surtout que les Indiens sont habiles, et c'est à
leurs secrets peut-être qu'il faut rapporter les facultés étranges de certains médiums américains.
[75]
On pourrait définir la magie noire l'art de se procurer et de procurer aux autres une folie artificielle. C'est
aussi par excellence la science des empoisonnements. Mais ce que tout le monde ne sait pas, et ce que M.
Dupotet, parmi nous, a le premier découvert, c'est qu'on peut tuer par congestion ou par soustraction subite
de lumière astrale, lorsque, par une série d'exercices presque impossibles, semblables à ceux que décrit le
sorcier indien, on a fait de son propre appareil nerveux assoupli à toutes les tensions et à toutes les fatigues,
une sorte de pile galvanique vivante, capable de condenser et de projeter avec force cette lumière qui enivre
et qui foudroie.
Mais là ne s'arrêtent pas les secrets magiques de l'Oupnek'hat; il en est un dernier que l'hiérophante
ténébreux confie à ses initiés, comme le grand et suprême arcane, et c'est, en effet, l'ombre et l'inverse de ce
grand secret de la haute magie.
Le grand arcane des vrais mages c'est l'absolu en morale, et par conséquent eu direction des oeuvres et en
liberté.
«Il est permis de mentir pour faciliter les mariages et pour exalter les vertus d'un bramine ou les qualités
d'une vache.
»Dieu s'appelle vérité, et en lui l'ombre et la lumière ne font qu'un. Celui qui sait cela ne ment jamais, car
s'il veut mentir il fait de son mensonge une vérité.
[76]
»Quelque péché qu'il commette, quelque mauvaise oeuvre qu'il fasse, il n'est jamais coupable. Quand
même il serait deux fois parricide, quand même il tuerait un brahme initié aux mystères des Védas, quelque
chose qu'il commette enfin, sa lumière n'en sera pas diminuée, car, dit Dieu, je suis l'âme universelle, en
moi sont le bien et le mal qui se corrigent l'un par l'autre. Celui qui sait cela n'est jamais pécheur; il est
universel comme moi.» (Oupnek'hat, instruction 108, pages 35 et 92 du tome Ier de la traduction
d'Anquetil.)
De pareilles doctrines sont loin d'être civilisatrices, et d'ailleurs l'Inde, en immobilisant sa hiérarchie
sociale, parquait l'anarchie dans les castes; la société ne vit que d'échanges. Or l'échange est impossible
quand tout appartient aux uns et rien aux autres. A quoi servent les échelons sociaux dans une prétendue
civilisation où personne ne peut ni descendre ni monter? Ici se montre enfin le châtiment tardif du
fratricide, châtiment qui enveloppe toute sa race et le condamne à mort. Vienne une autre nation
orgueilleuse et égoïste, elle sacrifiera l'Inde, comme les légendes orientales racontent que Lamech a tué
Caïn. Malheur toutefois au meurtrier même de Caïn! disent les oracles sacrés de la Bible.
[77]
CHAPITRE IV.
MAGIE HERMÉTIQUE.
C'est en Égypte que la magie se complète comme science universelle et se formule en dogme parfait. Rien
ne surpasse et rien n'égale comme résumé de toutes les doctrines du vieux monde les quelques sentences
gravées sur une pierre précieuse par Hermès et connues sous le nom de table d'émeraude; l'unité de l'être et
l'unité des harmonies, soit ascendantes, soit descendantes, l'échelle progressive et proportionnelle du Verbe;
la loi immuable de l'équilibre et le progrès proportionnel des analogies universelles, le rapport de l'idée au
Verbe donnant la mesure du rapport entre le créateur et le créé; les mathématiques nécessaires de l'infini,
prouvées par les mesures d'un seul coin du fini; tout cela est exprimé par cette seule proposition du grand
hiérophante égyptien:
«Ce qui est supérieur est comme ce qui est inférieur, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour
former les merveilles de la chose unique.»
Puis vient la révélation et la description savante de l'agent créateur, du feu pantomorphe, du grand moyen
de la puissance occulte, de la lumière astrale en un mot.
[78]
«Le soleil est son père, la lune est sa mère, le vent l'a porté dans son ventre.»
Ainsi cette lumière est émanée du soleil, elle reçoit sa forme et son mouvement régulier des influences de la
lune, elle a l'atmosphère pour réceptacle et pour prison.
C'est-à-dire qu'elle est équilibrée et mise en mouvement par la chaleur centrale de la terre.
Hermès enseigne ensuite comment de cette lumière, qui est aussi une force, on peut faire un levier et un
dissolvant universel, puis aussi un agent formateur et coagulateur.
Comment il faut tirer des corps où elle est latente, cette lumière à l'état de feu, de mouvement, de splendeur,
de gaz lumineux, d'eau ardente, et enfin de terre ignée, pour imiter, à l'aide de ces diverses substances,
toutes les créations de la nature.
Les autres ouvrages attribués à Hermès, tels que le Pymandre, l'Asclepius, la Minerve du monde, etc., sont
regardés généralement par les critiques comme des productions de l'école d'Alexandrie. Ils n'en contiennent
pas moins les traditions hermétiques conservées dans les sanctuaires de la théurgie. Les doctrines d'Hermès
ne sauraient être perdues pour qui connaît les clefs du symbolisme. Les ruines de l'Égypte sont comme des
pages éparses avec lesquelles on peut encore, en les rassemblant, reconstruire le livre entier, livre
prodigieux dont les grandes
[79]
lettres étaient des temples, dont les phrases étaient des Cités toutes ponctuées d'obélisques et de sphinx!
La division même de l'Égypte était une synthèse magique; les noms de ses provinces correspondaient aux
figures des nombres sacrés: le royaume de Sésostris se divisait en trois parties: la haute Égypte ou la
Thébaïde, figure du monde céleste et patrie des extases; la basse Égypte, symbole de la terre; et l'Égypte
moyenne ou centrale, pays de la science et des hautes initiations. Chacune de ces trois parties était divisée
en dix provinces appelées nomes, et placées sous la protection spéciale d'un dieu. Ces dieux, au nombre de
trente, groupés trois par trois, exprimaient symboliquement toutes les conceptions du ternaire dans la
décade, c'est-à-dire la triple signification naturelle, philosophique et religieuse des idées absolues attachées
primitivement aux nombres. Ainsi, la triple unité ou le ternaire originel, le triple binaire ou le mirage du
triangle, qui forme l'étoile de Salomon; le triple ternaire ou l'idée tout entière sous chacun de ses trois
termes; le triple quaternaire, c'est-à-dire le nombre cyclique des révolutions astrales, etc. La géographie de
l'Égypte, sous Sésostris, est donc un pantacle, c'est-à-dire un résumé symbolique de tout le dogme magique
de Zoroastre, retrouvé et formulé d'une manière plus précise par Hermès.
Ainsi, la terre égyptienne était un grand livre et les enseignements de ce livre étaient répétés, traduits en
peintures, en sculpture, en architecture, dans toutes les villes et dans tous les temples. Le désert même avait
ses enseignements éternels, et son Verbe de pierre s'asseyait carrément sur la base
[80]
des pyramides, ces limites de l'intelligence humaine, devant lesquelles médita pendant tant de siècles un
sphinx colossal en s'enfonçant lentement dans le sable. Maintenant sa tête, mutilée par les âges, se dresse
encore au-dessus de son tombeau, comme si elle attendait pour disparaître qu'une voix humaine vienne
expliquer au monde nouveau le problème des pyramides.
L'Égypte est pour nous le berceau des sciences et de la sagesse; car elle revêtit d'images, sinon plus riches,
du moins plus exactes et plus pures que celles de l'Inde, le dogme antique du premier Zoroastre. L'art
sacerdotal et l'art royal y formèrent des adeptes par l'initiation, et l'initiation ne se renferma pas dans les
limites égoïstes des castes. On vit un esclave hébreu s'initier lui-même et parvenir au rang de premier
ministre, et peut-être de grand hiérophante, car il épousa la fille d'un prêtre égyptien, et l'on sait que le
sacerdoce ne se mésalliait jamais. Joseph réalisa en Égypte le rêve du communisme; il rendit le sacerdoce
et l'état seuls propriétaires, arbitres, par conséquent, du travail et de la richesse. Il abolit ainsi la misère, et
fit de l'Égypte entière une famille patriarcale. On sait que Joseph dut son élévation à sa science pour
l'interprétation des songes, science à laquelle les chrétiens de nos jours, je dis même les chrétiens fidèles,
refusent de croire, tout en admettant que la Bible, où sont racontées les merveilleuses divinations de Joseph,
est la parole du Saint-Esprit.
La science de Joseph n'était autre chose que l'intelligence des rapports naturels qui existent entre les idées
et les images, entre le Verbe et ses figures. Il savait que pendant le sommeil,
[81]
l'âme plongée dans la lumière astrale voit les reflets de ses pensées les plus secrètes et même de ses
pressentiments; il savait que l'art de traduire les hiéroglyphes du sommeil est la clef de la lucidité
universelle; car tous les êtres intelligents ont des révélations en songes.
La science hiéroglyphique absolue avait pour base un alphabet où tous les dieux étaient des lettres, toutes
les lettres des idées, toutes les idées des nombres, tous les nombres des signes parfaits.
Cet alphabet hiéroglyphique dont Moïse fit le grand secret de sa kabbale, et qu'il reprit aux Égyptiens; car,
suivant le Sepher Jezirah, il venait d'Abraham: cet alphabet, disons-nous, est le fameux livre de Thauth,
soupçonné par Court de Gébelin de s'être conservé jusqu'à nos jours sous la forme de ce jeu de cartes
bizarres qu'on appelle le tarot; mal deviné ensuite par Eteilla, chez qui une persévérance de trente ans ne
put suppléer au bon sens et à la première éducation qui lui manquaient; existant encore, en effet, parmi les
débris des monuments égyptiens, et dont la clef la plus curieuse et la plus complète se trouve dans le grand
ouvrage du père Kircher sur l'Égypte. C'est la copie d'une table isiaque ayant appartenu au célèbre cardinal
Bembo. Cette table était de cuivre avec des figures d'émail; elle a été malheureusement perdue; mais
Kircher en donne une copie exacte, et ce savant jésuite a deviné, sans pouvoir toutefois pousser plus loin
son explication, qu'elle contenait la clef hiéroglyphique des alphabets sacrés.
Au milieu de la région centrale siége l'image d'IYNX, pantomorphe, emblème de l'être universel
correspondant au jod hébraïque, la lettre unique dont se forment toutes les autres. Autour d'IYNX on voit la
triade ophionienne correspondant aux trois lettres mères des alphabets égyptien et hébreu; à droite les deux
triades ibimorphe et sérapéenne, à gauche la triade nephtéenne et celle d'Hécate, figures de l'actif et du
passif, du volatil et du fixe, du feu fécondant et de l'eau génératrice. Chaque couple de triades, combiné
avec le centre, donne un septénaire; le centre lui-même en contient un. Ainsi les trois septénaires donnent
l'absolu numéral des trois mondes, et le nombre complet des lettres primitives, auxquelles on ajoute un
signe complémentaire, comme aux neuf caractères des nombres, on ajoute le zéro.
Les dix nombres et les vingt-deux lettres sont ce qu'on appelle en kabbale les trente-deux voies de la
science, et leur description philosophique est le sujet du livre primitif et révéré qu'on nomme le Sepher
Jezirah, et qu'on peut trouver dans la collection de Pistorius et ailleurs. L'alphabet de Thauth n'est l'original
de notre tarot que d'une manière détournée. Le tarot que nous avons est d'origine juive et les types des
figures ne remontent pas plus haut que le règne de Charles VII. Le jeu de cartes de Jacquemin Gringonneur
est le premier tarot que nous connaissions, mais les symboles qu'il reproduit sont de la plus haute antiquité.
Ce jeu fut un essai de quelque astrologue de ce temps-là pour ramener le roi à la raison à l'aide de cette clef,
[83]
des oracles dont les réponses, résultant de la combinaison variée des signes, sont toujours exactes comme
les mathématiques et mesurées comme les harmonies de la nature. Mais il faut être déjà bien raisonnable
pour savoir se servir d'un instrument de science et de raison; le pauvre roi, tombé en enfance, ne vit que des
jouets d'enfant dans les peintures de Gringonneur, et fit un jeu de cartes des alphabets mystérieux de la
kabbale.
Moïse nous raconte qu'à leur sortie d'Égypte, les Israélites emportèrent les vases sacrés des Égyptiens.
Cette histoire est allégorique, et le grand prophète n'eût pas encouragé son peuple au vol. Ces vases sacrés,
ce sont les secrets de la science égyptienne que Moïse avait appris à la cour de Pharaon. Loin de nous l'idée
d'attribuer à la magie les miracles de cet homme inspiré de Dieu; mais la Bible elle-même nous apprend
que Jannès et Mambrès, les magiciens de Pharaon, c'est-à-dire les grands hiérophantes d'Égypte,
accomplirent d'abord, par leur art, des merveilles semblables aux siennes. Ainsi, ils changèrent des
baguettes en serpents et des serpents en baguettes, ce qui peut s'expliquer par prestige ou fascination. Ils
changèrent l'eau en sang, ils firent paraître instantanément une grande quantité de grenouilles, mais ils ne
purent amener ni des mouches ni d'autres insectes parasites, nous avons déjà dit pourquoi, et comment il
faut expliquer leur aveu lorsqu'ils se déclarèrent vaincus.
Moïse triompha et emmena les Israélites hors de la terre de servitude. À cette époque, la vraie science se
perdait en Égypte, parce que les prêtres, abusant de la grande confiance du peuple,
[84]
le laissaient croupir dans une abrutissante idolâtrie; là était le grand écueil de l'ésotérisme. Il fallait voiler
au peuple la vérité sans la lui cacher; il fallait empêcher le symbolisme de s'avilir en tombant dans
l'absurde; il fallait entretenir dans toute sa dignité et dans toute sa beauté première le voile sacré d'Isis. C'est
ce que le sacerdorce égyptien ne sut pas faire. Le vulgaire imbécile prit pour des réalités vivantes les
formes hiéroglyphiques d'Osiris et d'Hermanubis. Osiris devint un boeuf, et le savant Hermès un chien.
Osiris, devenu boeuf, se promena bientôt sous les oripeaux du boeuf Apis, et les prêtres n'empêchèrent pas
le peuple d'adorer une viande prédestinée à leur cuisine.
Il était temps de sauver les saintes traditions. Moïse créa un peuple nouveau, et lui défendit sévèrement le
culte des images. Malheureusement ce peuple avait déjà vécu avec les idolâtres, et les souvenirs du boeuf
Apis le poursuivaient dans le désert. On sait l'histoire du veau d'or, que les enfants d'Israël ont toujours
adoré un peu. Moïse, cependant, ne voulut pas livrer à l'oubli les hiéroglyphes sacrés, et il les sanctifia en
les consacrant au culte épuré du vrai Dieu. Nous verrons comment tous les objets servant au culte de
Jéhovah étaient symboliques, et rappelaient les signes révérés de la révélation primitive.
Mais il faut en finir d'abord avec la gentilité et suivre, à travers les civilisations païennes, l'histoire des
hiéroglyphes matérialisés et des anciens rites avilis.
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CHAPITRE V.
MAGIE EN GRÈCE.
Nous touchons à l'époque où les sciences exactes de la magie vont se revêtir de leur forme naturelle: la
beauté. Nous avons vu dans le Sohar le prototype de l'homme se lever dans le ciel en se mirant dans l'océan
de l'Être. Cet homme idéal, cet ombre du Dieu pantomorphe, ce fantôme viril de la forme parfaite ne restera
pas isolé. Une compagne va lui naître sous le doux ciel de l'Héllénie. La Vénus céleste, Vénus chaste et
féconde, la triple mère des trois Grâces, sort à son tour, non plus des eaux dormantes du chaos, mais des
ondes vivantes et agitées de cet archipel murmurateur de poésie où les îles pavoisées d'arbres verts et de
fleurs semblent être les vaisseaux des dieux.
Le septénaire magique des Chaldéens se change en musique sur les sept cordes de la lyre d'Orphée. C'est
l'harmonie qui défriche les forêts et les déserts de la Grèce. Aux chants poétiques d'Orphée, les rochers
s'amollissent, les chênes se déracinent, et les bêtes sauvages se soumettent à l'homme. C'est par une
semblable magie qu'Amphion bâtit les murs de Thèbes. La savante Thèbes de Cadmus, la ville qui est un
pantacle comme les sept merveilles du monde, la cité de l'initiation. C'est Orphée qui a
[86]
donné la vie aux nombres, c'est Cadmus qui a attaché la pensée aux caractères. L'un a fait un peuple
amoureux de toutes les beautés, l'autre a donné à ce peuple une patrie digne de son génie et de ses amours.
Dans les traditions de l'ancienne Grèce, nous voyons apparaître Orphée parmi les héros de la toison d'or,
ces conquérants primitifs du grand oeuvre. La toison d'or, c'est la dépouille du soleil, c'est la lumière
appropriée aux usages de l'homme; c'est le grand secret des oeuvres magiques, c'est l'initiation enfin, que
vont chercher en Asie les héros allégoriques de la toison d'or. D'une autre part, Cadmus est un exilé
volontaire de la grande Thèbes d'Égypte. Il apporte en Grèce les lettres primitives et l'harmonie qui les
rassemble. Au mouvement de cette harmonie, la ville typique, la ville savante, la nouvelle Thèbes se bâtit
d'elle-même, car la science est tout entière dans les harmonies des caractères hiéroglyphiques, phonétiques
et numéraux qui se meuvent d'eux-mêmes suivant les lois des mathématiques éternelles, Thèbes est
circulaire et sa citadelle est carrée, elle a sept portes comme le ciel magique et sa légende deviendra bientôt
l'épopée de l'occultisme et l'histoire prophétique, du génie humain.
Toutes ces allégories mystérieuses, toutes ces traditions savantes sont l'âme de la civilisation en Grèce,
mais il ne faut pas chercher l'histoire réelle des héros de ces poèmes ailleurs que dans les transformations
du symbolisme oriental apporté en Grèce par des hiérophantes inconnus. Les grands hommes de ce temps-
là écrivaient seulement l'histoire des idées, et se souciaient peu de nous initier aux misères humaines de
l'enfantement des empires. Homère aussi a marché dans cette voie;
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il met en oeuvre les dieux, c'est-à-dire les types immortels de la pensée, et si le monde s'agite c'est une
conséquence forcée du froncement des sourcils de Jupiter. Si la Grèce porte le fer et le feu en Asie, c'est
pour venger les outrages de la science et de la vertu sacrifiées à la volupté. C'est pour rendre l'empire du
monde à Minerve et à Junon, en dépit de cette molle Vénus qui a perdu tous ceux qui l'ont trop aimée.
Telle est la sublime mission de la poésie: elle substitue les dieux aux hommes, c'est-à-dire les causes aux
effets et les conceptions éternelles aux chétives incarnations des grandeurs sur la terre. Ce sont les idées qui
élèvent ou qui font tomber les empires. Au fond de toute grandeur il y a une croyance, et pour qu'une
croyance soit poétique, c'est-à-dire créatrice, il faut qu'elle relève d'une vérité. La véritable histoire digne
d'intéresser les sages, c'est celle de la lumière toujours victorieuse des ténèbres. Une grande journée de ce
soleil se nomme une civilisation.
La fable de la toison d'or rattache la magie hermétique aux initiations de la Grèce. Le bélier solaire dont il
faut conquérir la toison d'or pour être souverain du monde est la figure du grand oeuvre. Le vaisseau des
Argonautes construit avec les planches des chênes prophétiques de Dodone, le vaisseau parlant, c'est la
barque des mystères d'Isis, l'arche des semences et de la rénovation, le coffre d'Osiris, l'oeuf de la
régénération divine. Jason l'aventurier est l'initiable; ce n'est un héros que par son audace, il a de l'humanité
toutes les inconstances et toutes les faiblesses, mais il emmène avec lui les personnifications de toutes les
forces. Hercule qui symbolise la
[88]
force brutale ne doit point concourir à l'oeuvre, il s'égare en chemin à la poursuite de ses indignes amours;
les autres arrivent au pays de l'initiation, dans la Colchide, où se conservaient encore quelques-uns des
secrets de Zoroastre; mais comment se faire donner la clef de ces mystères? La science est encore une fois
trahie par une femme. Médée livre à Jason les arcanes du grand oeuvre, elle livre le royaume et les jours de
son père; car c'est une loi fatale du sanctuaire occulte que la révélation des secrets entraîne la mort de celui
qui n'a pu les garder.
Médée apprend à Jason quels sont les monstres qu'il doit combattre et de quelle manière il peut en
triompher. C'est d'abord le serpent ailé et terrestre, le fluide astral qu'il faut surprendre et fixer; il faut lui
arracher les dents et les semer dans une plaine qu'on aura d'abord labourée en attelant à la charrue les
taureaux de Mars. Les dents du dragon sont les acides qui doivent dissoudre la terre métallique préparée par
un double feu et par les forces magnétiques de la terre. Alors il se fait une fermentation et comme un grand
combat, l'impur est dévoré par l'impur, et la toison brillante devient la récompense de l'adepte.
Là se termine le roman magique de Jason; vient ensuite celui de Médée, car dans cette histoire l'antiquité
grecque a voulu renfermer l'épopée des sciences occultes. Après la magie hermétique vient la goétie,
parricide, fratricide, infanticide, sacrifiant tout à ses passions et ne jouissant jamais du fruit de ses crimes.
Médée trahit son père, comme Cham; assassine son frère, comme Caïn. Elle poignarde ses enfants, elle
empoisonne sa
[89]
rivale et ne recueille que la haine de celui par qui elle voulait être aimée. On peut s'étonner de voir que
Jason maître de la toison d'or n'en devienne pas plus sage, mais souvenons-nous qu'il ne doit la découverte
de ses secrets qu'à la trahison. Ce n'est pas un adepte comme Orphée, c'est un ravisseur comme Prométhée.
Ce qu'il cherche ce n'est pas la science, c'est la puissance et la richesse. Aussi mourra-t-il malheureusement,
et les propriétés inspiratrices et souveraines de la toison d'or ne seront-elles jamais comprises que par les
disciples d'Orphée.
Prométhée, la toison d'or, la Thébaïde, l'Iliade et l'Odyssée, cinq grandes épopées toutes pleines des grands
mystères de la nature et des destinées humaines composent la Bible de l'ancienne Grèce, monument
immense, entassement de montagnes sur des montagnes, de chefs-d'oeuvres sur des chefs-d'oeuvres, de
formes belles comme la lumière sur des pensées éternelles et grandes comme la vérité!
Ce ne fut d'ailleurs qu'à leurs risques et périls que les hiérophantes de la poésie initièrent les populations de
la Grèce à ces merveilleuses fictions conservatrices de la vérité. Eschyle qui osa mettre en scène les luttes
gigantesques, les plaintes surhumaines et les espérances divines de Prométhée, le poète terrible de la
famille d'Oedipe, fut accusé d'avoir trahi et profané les mystères, et n'échappa qu'avec peine à une sévère
condamnation. Nous ne pouvons maintenant comprendre toute l'étendue de l'attentat du poëte. Son drame
était une trilogie, et l'on y voyait toute l'histoire symbolique de Prométhée. Eschyle avait donc osé montrer
au peuple assemblé Prométhée délivré par Alcide et renversant Jupiter de son trône. La
[90]
toute-puissance du génie qui a souffert et la victoire définitive de la patience sur la force: c'était beau sans
doute. Mais les multitudes ne pouvaient-elles pas y voir les triomphes futurs de l'impiété et de l'anarchie!
Prométhée vainqueur de Jupiter ne pouvait-il pas être pris pour le peuple affranchi un jour de ses prêtres et
de ses rois; et de coupables espérances n'entraient-elles pas pour beaucoup dans les applaudissements
prodigués à l'imprudent révélateur?
Nous devons des chefs-d'oeuvre à ces faiblesses du dogme pour la poésie, et nous ne sommes pas de ces
initiés austères qui voudraient comme Platon exiler les poètes, après les avoir couronnés; les vrais poètes
sont des envoyés de Dieu sur la terre, et ceux qui les repoussent ne doivent pas être bénis du Ciel.
Le grand initiateur de la Grèce et son premier civilisateur en fut aussi le premier poète; car en admettant
même qu'Orphée ne fût qu'un personnage mystique ou fabuleux, il faudrait croire à l'existence de Musée et
lui attribuer les vers qui portent le nom de son maître. Peu nous importe d'ailleurs qu'un des Argonautes se
soit ou non appelé Orphée, le personnage poétique a plus fait que de vivre; il vit toujours, il est immortel!
La fable d'Orphée est tout un dogme, c'est une révélation des destinées sacerdotales, c'est une idéal nouveau
issu du culte de la beauté. C'est déjà la régénération et la rédemption de l'amour. Orphée descend aux enfers
chercher Eurydice, et il faut qu'il la ramène sans la regarder. Ainsi l'homme pur doit se créer une
compagne, il doit l'élever à lui en se dévouant à elle, et en ne la convoitant pas. C'est en renonçant à l'objet
de la passion qu'on
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mérite de posséder celui du véritable amour. Ici déjà on pressent les rêves si chastes de la chevalerie
chrétienne. Pour arracher son Eurydice à l'enfer, il ne faut point la regarder!... Mais l'hiérophante est encore
un homme, il faiblit, il doute, il regarde.
Ah miseram Eurydicen!...
Elle est perdue! la faute est faite, l'expiation commence; Orphée est veuf, il reste chaste. Il est veuf sans
avoir eu le temps de connaître Eurydice, veuf d'une vierge il restera vierge, car le poëte n'a pas deux coeurs,
et les enfants de la race des dieux aiment pour toujours. Aspirations éternelles, soupirs vers un idéal qu'on
retrouvera au delà du tombeau, veuvage consacré à la muse sacrée. Quelle révélation avancée des
inspirations à venir! Orphée portant au coeur une blessure que la mort seule pourra guérir, se fait médecin
des âmes et des corps; il meurt, enfin, victime de sa chasteté; il meurt de la mort des initiateurs et des
prophètes; il meurt après avoir proclamé l'unité de Dieu et l'unité de l'amour, et tel fut plus tard le fond des
mystères dans l'initiation Orphique.
Après s'être montré si fort au-dessus de son époque, Orphée devait laisser la réputation d'un sorcier et d'un
enchanteur. On lui attribue, comme à Salomon, la connaissance des simples et des minéraux, la science de
la médecine céleste et de la pierre philosophale. Il savait tout cela, sans doute, puisqu'il personnifie dans sa
légende l'initiation primitive, la chute et la réparation; c'est-à-dire les trois parties du grand oeuvre de
[92]
l'humanité: voici en quels termes, suivant Ballanche, on peut résumer l'initiation orphique:
«L'homme, après avoir subi l'influence des éléments, doit faire subir aux éléments sa propre influence.
La responsabilité est une conquête de l'homme, la peine même du péché est un nouveau moyen de
conquêtes.
Le mariage est la reproduction dans l'humanité du grand mystère cosmogonique. Il doit être un comme
Dieu et la nature sont un.
L'arbre de vie étant unique, et les branches qui s'épanouissent dans le ciel et fleurissent en étoiles
correspondant aux racines cachées dans la terre.
La connaissance des vertus, soit médicales, soit magiques des plantes, des métaux, des corps, en qui réside
plus ou moins la vie, est une synthèse.
Les puissances de l'organisation, à ses divers degrés, sont révélés par une synthèse.
Les agrégations et les affinités des métaux, comme l'âme végétative des plantes, comme toutes les forces
assimilatrices, sont également révélées par une synthèse 5.»
Note 5: (retour) Ballanche, Orphée, liv. VIII, p. 169, édit. 1833.
[93]
On a dit que le beau est la splendeur du vrai. C'est donc à cette grande lumière d'Orphée qu'il faut attribuer
la beauté de la forme révélée pour la première fois en Grèce. C'est à Orphée que remonte l'école du divin
Platon, ce père profane de la haute philosophie chrétienne. C'est à lui que Pythagore et les illuminés
d'Alexandrie ont emprunté leurs mystères. L'initiation ne change pas; nous la retrouvons toujours la même
à travers les âges. Les derniers disciples de Pascalis Martinez sont encore les enfants d'Orphée, mais ils
adorent le réalisateur de la philosophie antique, le verbe incarné des chrétiens.
Nous avons dit que la première partie de la fable de la toison d'or renferme les secrets de la magie orphique,
et que la seconde partie est consacrée à de sages avertissements contre les abus de la goétie ou de la magie
ténébreuse.
La goétie ou fausse magie, connue de nos jours sous le nom de sorcellerie, ne saurait être une science; c'est
l'empirisme de la fatalité. Toute passion excessive produit une force factice dont la volonté ne saurait être
maîtresse, mais qui obéit au despotisme de la passion. C'est pour cela qu'Albert le Grand disait: «Ne
maudissez personne lorsque vous êtes en colère.» C'est l'histoire de la malédiction d'Hippolyte par Thésée.
La passion excessive est une véritable folie. Or la folie est une ivresse ou congestion de lumière astrale.
C'est pour cela que la folie est contagieuse, et que les passions en général portent avec elles un véritable
maléfice. Les femmes, plus facilement entraînées par l'ivresse passionnée, sont en général meilleures
[94]
sorcières que les hommes ne peuvent être sorciers. Le mot sorcier désigne assez les victimes du sort et pour
ainsi dire les champignons vénéneux de la fatalité.
Les sorcières chez les Grecs, et spécialement en Thessalie, pratiquaient d'horribles enseignements et
s'abandonnaient à d'abominables rites. C'étaient en général des femmes perdues de désirs qu'elles ne
pouvaient plus satisfaire, des courtisanes devenues vieilles, des monstres d'immoralité et de laideur.
Jalouses de l'amour et de la vie, ces misérables femmes n'avaient d'amants que dans les tombes, ou plutôt
elles violaient les sépultures pour dévorer d'affreuses caresses la chair glacée des jeunes hommes. Elles
volaient les enfants dont elles étouffaient les cris en les pressant contre leurs mamelles pendantes. On les
appelait des lamies, des stryges, des empuses; les enfants, ces objets de leur envie et par conséquent de leur
haine, étaient sacrifiés par elles; les unes, comme la Canidie dont parle Horace, les enterraient jusqu'à la
tête, et les laissaient mourir de faim, en les entourant d'aliments auxquels ils ne pouvaient atteindre; les
autres leur coupaient la tête, les pieds et les mains, et faisaient réduire leur graisse et leur chair dans des
bassins de cuivre, jusqu'à la consistance d'un onguent qu'elles mêlaient aux sucs de la jusquiame, de la
belladone et des pavots noirs. Elles emplissaient de cet onguent l'organe sans cesse irrité par leurs
détestables désirs; elles s'en frottaient les tempes et les aisselles, puis elles tombaient dans une léthargie
pleine de rêves effrénés et luxurieux. Il faut bien oser le dire: voilà les origines et les traditions de la magie
noire; voilà les secrets qui se perpétuèrent jusque dans notre moyen âge; voilà,
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enfin, quelles victimes prétendues innocentes l'exécration publique, bien plus que la sentence des
inquisiteurs, condamnait à mourir dans les flammes. C'est en Espagne, et en Italie surtout, que pullulait
encore la race des stryges, des lamies et des empuses; et ceux qui en doutent peuvent consulter les plus
savants criminalistes de ces pays, résumés par François Torreblanca, avocat royal à la chancellerie de
Grenade, dans son Epitome delictorum.
Médée et Circé sont les deux types de la magie malfaisante chez les Grecs. Circé est la femme vicieuse qui
fascine et dégrade ses amants; Médée est l'empoisonneuse hardie qui ose tout, et qui fait servir la nature
même à ses crimes. Il est, en effet, des êtres qui charment comme Circé, et près desquels on s'avilit; il est
des femmes dont l'amour dégrade les âmes; elles ne savent inspirer que des passions brutales; elles vous
énervent, puis elles vous méprisent. Ces femmes, il faut comme Ulysse, les faire obéir et les subjuguer par
la crainte, puis savoir les quitter sans regret. Ce sont des monstres de beauté; elles sont sans coeur; la vanité
seule les fait vivre. L'antiquité les représentait encore sous la figure des sirènes.
Quant à Médée, c'est la créature perverse, qui veut le mal et qui l'opère. Celle-ci est capable d'aimer et
n'obéit pas à la crainte, mais son amour est plus redoutable encore que la haine. Elle est mauvaise mère et
tueuse de petits enfants. Elle aime la nuit et va cueillir au clair de la lune des herbes malfaisantes pour on
composer des poisons. Elle magnétise l'air, elle porte malheur à la terre, elle infecte l'eau, elle empoisonne
le feu.
[96]
Les reptiles lui prêtent leur bave: elle murmure d'affreuses paroles; des traces de sang la suivent, des
membres découpés tombent de ses mains. Ses conseils rendent fou, ses caresses font horreur.
Voilà la femme qui a voulu se mettre au-dessus des devoirs de son sexe, en s'initiant elle-même à des
sciences défendues. Les hommes se détournent et les enfants se cachent quand elle passe. Elle est sans
raison et sans amour, et les déceptions de la nature révoltée contre elle sont le supplice toujours renaissant
de son orgueil.
CHAPITRE VI.
MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE.
SOMMAIRE.--Les Vers dorés et les symboles de ce maître.--Les mystères cachés dans la vie et les
instincts des animaux.--Loi d'assimilation.--Secret des métamorphoses, ou comment on peut se changer en
loup.--Éternité de la vie dans la continuité de la mémoire.--Le fleuve d'oubli.
Numa, dont nous avons indiqué les connaissances magiques, avait eu pour initiateur un certain Tarchon,
disciple d'un Chaldéen nommé Tagès. La science alors avait ses apôtres, qui parcouraient le monde pour y
semer des prêtres et des rois. Souvent même la persécution aidait à l'accomplissement des desseins de la
Providence, et c'est ainsi que vers la soixante-deuxième olympiade, quatre générations après le règne de
Numa, Pythagore, de Samos, vint en Italie pour échapper à la tyrannie de Polycrate.
[97]
Le grand vulgarisateur de la philosophie des nombres avait alors parcouru tous les sanctuaires du monde; il
était venu en Judée, où il s'était fait circoncire pour être admis aux secrets de la kabbale, que lui
communiquèrent, non sans une certaine réserve, les prophètes Ézéchiel et Daniel. Puis, il s'était fait
admettre, non sans peine, à l'initiation égyptienne, sur la recommandation du roi Amasis. La puissance de
son génie suppléa aux communications imparfaites des hiérophantes, et il devint lui-même un maître et un
révélateur.
Dieu, disait-il encore, est la musique suprême dont la nature est l'harmonie.
Suivant lui, l'expression la plus haute de la justice c'est le culte; le plus parfait usage de la science c'est la
médecine; le beau c'est l'harmonie, la force c'est la raison, le bonheur c'est la perfection, la vérité pratique
c'est qu'il faut se méfier de la faiblesse et de la perversité des hommes.
Lorsqu'il fut venu s'établir à Crotone, les magistrats de cette ville, voyant quel empire il exerçait sur les
esprits et sur les coeurs, le craignirent d'abord, puis ensuite le consultèrent. Pythagore leur conseilla de
sacrifier aux muses et de conserver entre eux la plus parfaite harmonie, car, leur disait-il, ce sont
[98]
les conflits entre les maîtres qui révoltent les serviteurs; puis il leur donna le grand précepte religieux,
politique et social:
Il nous reste de Pythagore, outre les traditions de sa vie, ses vers dorés et ses symboles; ses vers dorés sont
devenus des lieux communs de morale vulgaire, tant ils ont eu de succès à travers les âges. En voici une
traduction:
Εκητα χρυσα.
[99]
Mais surtout ne fais rien par l'exemple emporté,
Qui soit sans rectitude et sans utilité.
Jusqu'ici les vers dorés ne semblent être que les leçons d'un pédagogue. Ils ont pourtant une toute autre
portée. Ce sont les lois préliminaires de l'initiation magique, c'est la première partie du grand oeuvre, c'est-
à-dire la création de l'adepte parfait. La suite le fait voir et le prouve:
Et toi qui sais prier, quand les dieux sont pour toi,
[100]
Tu monteras alors sur le char de lumière,
Esprit victorieux et roi de la matière.
Pythagore disait: «De même qu'il y a trois notions divines et trois régions intelligibles, il y a aussi un triple
verbe, car l'ordre hiérarchique se manifeste toujours par trois. Il y a la parole simple, la parole
hiéroglyphique et la parole symbolique; en d'autres termes, il y a le verbe qui exprime, le verbe qui cache,
et le verbe qui signifie; toute l'intelligence hiératique est dans la science parfaite de ces trois degrés.»
Il enveloppait donc la doctrine de symboles, mais il évitait avec soin les personnifications et les images qui
selon lui enfantent tôt ou tard l'idolâtrie. On l'a accusé même de détester les poëtes, mais c'était seulement
aux mauvais poëtes que Pythagore interdisait l'art des vers.
dit-il dans ses symboles. Ce grand homme ne pouvait ignorer la relation exacte qui existe entre les sublimes
pensées et les belles expressions figurées, ses symboles mêmes sont pleins de poésie.
C'est ainsi qu'il recommande à ses disciples de n'amoindrir jamais la gloire et de ne point flétrir ce que le
monde semble avoir besoin d'honorer.
C'est par cette sévérité de principes, c'est avec cette pureté de moeurs qu'on s'initiait dans l'école de
Pythagore aux mystères de la nature, et qu'on prenait assez d'empire sur soi-même pour commander aux
forces élémentaires. Pythagore possédait cette faculté qu'on nomme chez nous seconde vue et qui s'appelait
alors divination. Un jour il était avec ses disciples sur le bord de la mer. Un vaisseau se montre à l'horizon:
«Maître lui dit un des disciples, pensez-vous que je serais riche si l'on me donnait la cargaison de ce
vaisseau?--Elle vous serait bien inutile, dit Pythagore.--Eh bien! je la garderais pour mes héritiers.--Vous
voudriez donc leur laisser deux cadavres?»
Le vaisseau entra dans le port un instant après; il rapportait le corps d'un homme qui avait voulu être
enseveli dans sa patrie.
On raconte que les animaux obéissaient à Pythagore. Un jour, au milieu des jeux olympiques, il appela un
aigle qui traversait le ciel; l'aigle descendit en tournoyant et continua son vol à tire d'aile quand le maître lui
fit signe de s'en aller. Une ourse monstrueuse ravageait l'Apulie, Pythagore la fit venir à ses pieds et lui
ordonna de quitter le pays; depuis elle ne reparut
[102]
plus; et comme on lui demandait à quelle science il devait un pouvoir aussi merveilleux:
Les êtres animés, en effet, sont des incarnations de lumière; les formes sortent des pénombres de la laideur
pour arriver progressivement aux splendeurs de la beauté, les instincts sont proportionnels aux formes, et
l'homme, qui est la synthèse de cette lumière dont les animaux sont l'analyse, est créé pour leur
commander; mais parce qu'au lieu d'être leur maître, il s'est fait leur persécuteur et leur bourreau, ils le
craignent et se révoltent contre lui. Ils doivent cependant sentir la puissance d'une volonté exceptionnelle
qui se montre pour eux bienveillante et directrice, ils sont alors invinciblement magnétisés, et un grand
nombre de phénomènes modernes peuvent et doivent nous faire comprendre la possibilité des miracles de
Pythagore.
Les physionomistes ont remarqué que la plupart des hommes rappellent par quelques traits de leur
physionomie la ressemblance de quelque animal. Cette ressemblance peut bien n'être qu'imaginaire et se
produire par l'impression que font sur nous les diverses physionomies, en nous révélant les traits saillants
du caractère des personnes. Ainsi nous trouverons qu'un homme bourru ressemble à un ours, un homme
hypocrite à un chat et ainsi des autres. Ces sortes de jugements s'exagèrent dans l'imagination et se
complètent dans les rêves, où souvent les personnes qui nous ont péniblement impressionné pendant la
veille, se transforment en animaux et nous font éprouver toutes les angoisses du cauchemar. Or les animaux
sont comme nous et
[103]
plus que nous sous l'empire de l'imagination, car ils n'ont pas le jugement pour en rectifier les écarts. Aussi
s'affectent-ils à notre égard suivant leurs sympathies ou leurs antipathies surexcitées par notre magnétisme.
Ils n'ont d'ailleurs aucune conscience de ce qui constitue la forme humaine et ne voient en nous que d'autres
animaux qui les dominent. Ainsi le chien prend son maître pour un chien plus parfait que lui. C'est dans la
direction de cet instinct que consiste le secret de l'empire sur les animaux. Nous avons vu un célèbre
dompteur de bêtes féroces fasciner ses lions en leur montrant un visage terrible et se grimer lui-même en
lion furieux; ici s'applique à la lettre le proverbe populaire: «Il faut hurler avec les loups, et bêler avec les
agneaux.» D'ailleurs chaque forme animale représente un instinct particulier, une aptitude ou un vice. Si
nous faisons prédominer en nous le caractère de la bête, nous en prenons de plus en plus la forme
extérieure, au point d'en imprimer l'image parfaite dans la lumière astrale et de nous voir nous-mêmes, dans
l'état de rêve ou d'extase, tels que nous serions vus par des somnambules ou des extatiques, et tels que nous
apparaissons sans doute aux animaux. Que la raison s'éteigne alors, que le rêve persévérant se change en
folie et nous voici changés en bêtes comme le fut Nabuchodonosor. Ainsi s'expliquent les histoires de
loups-garoux dont quelques-unes ont été juridiquement constatées. Les faits étaient constants, avérés, mais
ce qu'on ignorait c'est que les témoins n'étaient pas moins hallucinés que les loups-garoux eux-mêmes.
Les faits de coïncidence et de correspondances des rêves ne sont ni rares ni extraordinaires. Les extatiques
se voient et se
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parlent d'un bout du monde à l'autre dans l'état d'extase. Nous voyons une personne pour la première fois; et
il nous semble que nous la connaissons depuis longtemps, c'est que nous l'avons souvent déjà rencontrée en
rêve. La vie est pleine de ces singularités, et pour ce qui est de la transformation des êtres humains en
animaux, nous en rencontrons des exemples à chaque pas. Combien d'anciennes femmes galantes et
gourmandes, réduites à l'état d'idiotisme après avoir couru toutes les gouttières de l'existence, ne sont plus
que de vieilles chattes uniquement éprises de leur matou!
Pythagore croyait par-dessus tout à l'immortalité de l'âme et à l'éternité de la vie. La succession continuelle
des étés et des hivers, des jours et des nuits, du sommeil et du réveil, lui expliquaient assez le phénomène
de la mort. L'immortalité spéciale de l'âme humaine consistait selon lui dans la prolongation du souvenir. Il
prétendait se rappeler, dit-on, ses existences antérieures, et s'il est vrai qu'il le prétendait, c'est qu'il trouvait,
en effet, quelque chose de pareil dans ses réminiscences, car un tel homme n'a pu être ni un charlatan ni un
fou. Mais il est probable qu'il croyait retrouver ces anciens souvenirs dans ses rêves, et l'on aura pris pour
une affirmation positive ce qui n'était de sa part qu'une recherche et une hypothèse; quoi qu'il en soit, sa
pensée était grande et la vie réelle de notre individualité ne consiste que dans la mémoire. Le fleuve d'oubli
des anciens était la vraie image philosophique de la mort. La Bible semble donner à cette idée une sanction
divine lorsqu'elle dit au livre des Psaumes: «La vie du juste sera dans l'éternité de la mémoire 6.»
Imp. Caron-Delamarre, Quai de Gds. Augustins, 17, Paris.
Note 6: (retour) In memoria æterna erit justus.
[105]
CHAPITRE VII.
LA SAINTE KABBALE.
SOMMAIRE.--Les noms divins.--Le tétragramme et ses quatre formes. --Le mot unique qui opère toutes
les transmutations.--Les clavicules de Salomon perdues et retrouvées.--La chaîne des esprits.--Le
tabernacle et le temple.--L'ancien serpent.--Le monde des esprits suivant le Sohar.--Quels sont les esprits
qui apparaissent.--Comment on peut se faire servir par les esprits élémentaires.
Remontons maintenant aux sources de la vraie science et revenons à la sainte kabbale, ou tradition des
enfants de Seth, emportée de Chaldée par Abraham, enseignée au sacerdoce égyptien par Joseph, recueillie
et épurée par Moïse, cachée sous des symboles dans la Bible, révélée par le Sauveur à saint Jean, et
contenue encore tout entière sous des figures hiératiques analogues à celles de toute l'antiquité dans
l'Apocalypse de cet apôtre.
Les kabbalistes ont en horreur tout ce qui ressemble à l'idolâtrie; ils donnent pourtant à Dieu la figure
humaine, mais c'est une figure purement hiéroglyphique.
Ils considèrent Dieu comme l'infini intelligent, aimant et vivant. Ce n'est pour eux ni la collection des êtres,
ni l'abstraction de l'Être ni un être philosophiquement définissable. Il est dans tout, distinct de tout et plus
grand que tout. Son nom même est ineffable: et encore ce nom n'exprime-t-il que l'idéal humain de sa
divinité. Ce que Dieu est par lui-même il n'est pas donné à l'homme de le comprendre.
[106]
L'Être est par lui-même et parce qu'il est. La raison d'être de l'Être c'est l'Être même. On peut demander:
«Pourquoi existe-t-il quelque chose, c'est-à-dire pourquoi telle ou telle chose existe-t-elle?» Mais on ne
peut sans être absurde demander: «Pourquoi l'Être est-il?» Ce serait supposer l'Être avant l'Être.
La raison et la science nous démontrent que les modes d'existence de l'Être s'équilibrent suivant des lois
harmonieuses et hiérarchiques. Or la hiérarchie se synthétise en montant et devient toujours de plus en plus
monarchique. La raison cependant ne peut s'arrêter à un chef unique sans s'effrayer des abîmes qu'elle
semble laisser au-dessus de ce suprême monarque, elle se tait donc et cède la place à la foi qui adore.
Ce qui est certain, même pour la science et pour la raison, c'est que l'idée de Dieu est la plus grande, la plus
sainte et la plus utile de toutes les aspirations de l'homme; que sur cette croyance repose la morale avec sa
sanction éternelle. Cette croyance est donc dans l'humanité le plus réel des phénomènes de l'Être, et si elle
était fausse, la nature affirmerait l'absurde, le néant formulerait la vie, Dieu serait en même temps et ne
serait pas.
C'est à cette réalité philosophique et incontestable, qu'on nomme l'idée de Dieu, que les kabbalistes donnent
un nom; dans ce nom sont contenus tous les autres. Les chiffres de ce nom produisent tous les nombres, les
hiéroglyphes des lettres de ce nom expriment toutes les lois et toutes les choses de la nature.
Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit dans notre
[107]
dogme de la haute magie sur le tétragramme divin, nous ajouterons seulement que les kabbalistes l'écrivent
de quatre principales manières:
יהוה
JHVH,
qu'ils ne prononcent pas, mais qu'ils épèlent: Jod, he vau hé, et que nous prononçons Jéhovah, ce qui est
contraire à toute analogie, car le tétragramme ainsi défiguré se trouverait composé de six lettres.
אדני
ADNI,
AHIH,
AGLA,
qui se prononce comme il s'écrit, et qui renferme hiéroglyphiquement tous les mystères de la kabbale.
En effet la lettre Aleph אest la première de l'alphabet hébreu; elle exprime l'unité, elle représente
hiéroglyphiquement le dogme d'Hermès: «Ce qui est supérieur est analogue à ce qui est inférieur.» Cette
lettre, en effet, a comme deux bras dont l'un montre la terre et l'autre le ciel avec un mouvement analogue.
L'unité qui par le ternaire accomplit le cycle des nombres pour retourner à l'unité;
Puis les trois opérations, dissoudre, sublimer, fixer, correspondant aux trois substances nécessaires, sel,
soufre et mercure, le tout exprimé par la lettre Ghimel ג.
Puis les douze clefs de Basile (Valentin) exprimées par Lamed ל.
Telle est l'origine de cette tradition kabbalistique qui met toute la magie dans un mot. Savoir lire ce mot et
le prononcer, c'est-à-dire en comprendre les mystères et traduire en actions ces connaissance absolues, c'est
avoir la clef des merveilles. Pour prononcer le nom d'AGLA, il faut se tourner du côté de l'orient, c'est-à-
dire s'unir d'intention et de science à la
[109]
tradition orientale. N'oublions pas que suivant la kabbale, le Verbe parfait est la parole réalisée par des
actes. De là vient cette expression qui se retrouve plusieurs fois dans la Bible: «Faire une parole» (facere
verbum), dans le sens d'accomplir une action.
Prononcer kabbalistiquement le nom d'AGLA, c'est donc subir toutes les épreuves de l'initiation et en
achever toutes les oeuvres.
Nous avons dit dans notre dogme de la haute magie comment le nom de Jéhovah se décompose en soixante
et douze noms explicatifs, qu'on appelle Schemhamphoras. L'art d'employer ces soixante et douze noms et
d'y trouver les clefs de la science universelle, est ce que les kabbalistes ont nommé les clavicules de
Salomon. En effet, à la suite des recueils d'évocations et de prières qui portent ce titre, on trouve
ordinairement soixante et douze cercles magiques formant trente-six talismans. C'est quatre fois neuf, c'est-
à-dire le nombre absolu multiplié par le quaternaire. Ces talismans portent chacun deux des soixante et
douze noms avec le signe emblématique de leur nombre et de celle des quatre lettres du nom de Jéhovah à
laquelle ils correspondent. C'est ce qui a donné lieu aux quatre décades emblématiques du tarot: le bâton
figurant le Jod; la coupe, le hé; l'épée, le vaf; et le denier, le hé final. Dans le tarot on a ajouté le
complément de la dizaine, qui répète synthétiquement le caractère de l'unité.
Les traditions populaires de la magie disaient que le possesseur des clavicules de Salomon peut converser
avec les esprits de tous les ordres et se faire obéir par toutes les puissances
[110]
naturelles. Or, ces clavicules plusieurs fois perdues, puis retrouvées, ne sont autre chose que les talismans
des soixante et douze noms et les mystères des trente-deux voies hiéroglyphiquement reproduits par le
tarot. A l'aide de ces signes et au moyen de leurs combinaisons infinies, comme celles des nombres et des
lettres, on peut, en effet, arriver à la révélation naturelle et mathématique de tous les secrets de la nature, et
entrer, par conséquent, en communication avec la hiérarchie entière des intelligences et des génies.
Les sages kabbalistes se tiennent en garde contre les rêves de l'imagination et les hallucinations de la veille.
Aussi évitent-ils toutes ces évocations malsaines qui ébranlent le système nerveux et enivrent la raison. Les
expérimentateurs curieux des phénomènes de vision extranaturelle ne sont guère plus sensés que les
mangeurs d'opium et de haschish. Ce sont des enfants qui se font du mal à plaisir. On peut se laisser
surprendre par l'ivresse; on peut même s'oublier volontairement au point de vouloir en éprouver les
vertiges; mais à l'homme qui se respecte une seule expérience suffit; et les honnêtes gens ne s'enivrent pas
deux fois.
Le comte Joseph de Maistre dit qu'on se moquera un jour de notre stupidité actuelle comme nous nous
moquons de la barbarie du moyen âge. Qu'eût-il pensé, s'il eût vu nos tourneurs de tables? et s'il eût
entendu nos faiseurs de théories sur le monde occulte des esprits? Pauvres gens que nous sommes! Nous
n'échappons à l'absurde que par l'absurde contraire. Le XVIIIe siècle croyait protester contre la superstition
en niant la religion, et nous protestons contre l'impiété du XVIIIe siècle en revenant aux
[111]
vieux contes de grand'mères; ne pourrait-on être plus chrétien que Voltaire et se dispenser de croire encore
aux revenants?
Les morts ne peuvent pas plus revenir sur la terre qu'ils ont quittée, qu'un enfant ne pourrait rentrer dans le
sein de sa mère.
Ce que nous appelons la mort, est une naissance dans une vie nouvelle. La nature ne défait pas ce qu'elle a
fait dans l'ordre des progressions nécessaires de l'existence, et elle ne saurait donner le démenti à ses lois
fondamentales.
L'âme humaine, servie et limitée par des organes, ne peut qu'au moyen de ces organes mêmes se mettre en
rapport avec les choses du monde visible. Le corps est une enveloppe proportionnelle au milieu matériel
dans lequel l'âme ici-bas doit vivre. En limitant l'action de l'âme il la concentre et la rend possible. En effet,
l'âme sans corps serait partout, mais partout si peu, qu'elle ne pourrait agir nulle part; elle serait perdue dans
l'infini, elle serait absorbée et comme anéantie en Dieu.
Supposez une goutte d'eau douce enfermée dans un globule et jetée dans la mer: tant que le globule ne sera
pas brisé, la goutte d'eau subsistera dans sa nature propre, mais si le globule se brise, cherchez la goutte
d'eau dans la mer.
Dieu en créant les esprits n'a pu leur donner une personnalité consciencieuse d'elle-même qu'en leur
donnant une enveloppe qui centralise leur action et l'empêche de se perdre en la limitant.
Quand l'âme se sépare du corps, elle change donc nécessairement de milieu puisqu'elle change d'enveloppe.
Elle part revêtue
[112]
seulement de sa forme astrale, de son enveloppe de lumière et elle monte d'elle-même au-dessus de
l'atmosphère comme l'air remonte au-dessus de l'eau en s'échappant d'un vase brisé.
Nous disons que l'âme monte parce que son enveloppe monte, et que son action et sa conscience sont
comme nous l'avons dit attachées à son enveloppe.
L'air atmosphérique devient solide pour ces corps de lumière infiniment plus légers que lui et qui ne
pourraient redescendre qu'en se chargeant d'un vêtement plus lourd, mais où prendraient-ils ce vêtement au-
dessus de notre atmosphère? Ils ne pourraient donc revenir sur la terre qu'en s'y incarnant de nouveau, leur
retour serait une chute, ils se noieraient comme esprits libres et recommenceraient leur noviciat. Mais la
religion catholique n'admet pas qu'un pareil retour soit possible.
Les kabbalistes formulent par un seul axiome toute la doctrine que nous exposons ici:
La vie des intelligences est toute ascensionnelle; l'enfant dans le sein de sa mère vit d'une vie végétative et
reçoit la nourriture par un lien qui s'attache comme l'arbre est attaché à la terre et nourri en même temps par
sa racine.
Lorsque l'enfant passe de la vie végétative à la vie instinctive et animale, son cordon se brise, il peut
marcher.
Lorsque l'enfant se fait homme, il échappe aux chaînes de l'instinct et peut agir en être raisonnable.
Lorsque l'homme meurt, il échappe à ces lois de la pesanteur qui le faisaient toujours retomber sur la terre.
[113]
Lorsque l'âme a expié ses fautes, elle devient assez forte pour quitter les ténèbres extérieures de
l'atmosphère terrestre et pour monter vers le soleil.
Alors commence la montée éternelle de l'échelle sainte, car l'éternité des élus ne saurait être oisive; ils vont
de vertus en vertus, de félicité en félicité, de triomphe en triomphe, de splendeur en splendeur.
La chaîne toutefois ne saurait être interrompue et ceux des plus hauts degrés peuvent encore exercer une
influence sur les plus bas, mais suivant l'ordre hiérarchique, et de la même manière qu'un roi en gouvernant
sagement fait du bien au dernier de ses sujets.
D'échelons en échelons, les prières montent et les grâces descendent sans se tromper jamais de chemin.
Mais les esprits une fois montés ne redescendent plus, car à mesure qu'ils montent les degrés se solidifient
sous leurs pieds.
Le grand chaos s'est affermi, dit Abraham, dans la parabole du mauvais riche; et ceux qui sont ici ne
peuvent plus descendre là-bas.
L'extase peut exalter les forces du corps sidéral au point de lui faire entraîner dans son élan le corps
matériel, ce qui prouve que la destinée de l'âme est de monter.
Les faits de suspension aérienne sont possibles: mais il est sans exemple qu'un homme ait pu vivre sous
terre ou dans l'eau.
Il serait également impossible qu'une âme séparée de son corps pût vivre, même un seul instant, dans
l'épaisseur de notre atmosphère. Les âmes des morts ne sont donc pas autour de nous
[114]
comme le supposent les tourneurs de tables. Ceux que nous aimons peuvent nous voir encore et nous
apparaître, mais seulement par mirage et par reflet dans le miroir commun qui est la lumière. Ils ne peuvent
plus d'ailleurs s'intéresser aux choses mortelles, et ne tiennent plus à nous que par ceux de nos sentiments
qui sont assez élevés pour avoir encore quelque chose de conforme ou d'analogue à leur vie dans l'éternité.
Telles sont les révélations de la haute kabbale contenues et cachées dans le livre mystérieux de Sohar.
Révélations hypothétiques sans doute pour la science, mais appuyées sur une série d'inductions rigoureuses
en partant des faits mêmes que la science conteste le moins; or il faut aborder ici un des secrets les plus
dangereux de la magie. C'est l'hypothèse plus que probable de l'existence des larves fluidiques connues
dans l'ancienne théurgie sous le nom d'esprits élémentaires. Nous en avons dit quelques mots dans notre
Dogme et rituel de la haute magie 7, et le malheureux abbé de Villars, qui s'était joué de ces terribles
révélations, a payé de sa vie son imprudence. Ce secret est dangereux en ce qu'il touche de près au grand
arcane magique. En effet, évoquer les esprits élémentaires, c'est avoir la puissance de coaguler les fluides
par une projection de lumière astrale. Or cette puissance ainsi dirigée ne peut produire que des désordres et
des malheurs comme nous le prouverons plus tard. Voici maintenant la théorie de l'hypothèse avec les
preuves de la probabilité:
La lumière est l'agent efficient des formes et de la vie, parce qu'elle est en même temps mouvement et
chaleur. Lorsqu'elle parvient à se fixer et à se polariser autour d'un centre, elle produit un être vivant, puis
elle attire pour le perfectionner et le conserver toute la substance plastique nécessaire. Cette substance
plastique formée en dernière analyse de terre et d'eau, a été avec raison appelée dans la Bible le limon de la
terre.
Mais la lumière n'est point l'esprit, comme le croient les hiérophantes indiens, et toutes les écoles de goétie;
elle est seulement l'instrument de l'esprit. Elle n'est point le corps du protoplastes, comme le faisaient
entendre les théurgistes de l'école d'Alexandrie; elle est la première manifestation physique du souffle
divin. Dieu la crée éternellement, et l'homme, à l'image de Dieu, la modifie et semble la multiplier.
Prométhée, dit la fable, ayant dérobé le feu du ciel, anima des images faites de terre et d'eau, et c'est pour ce
crime qu'il fut enchaîné et foudroyé par Jupiter.
Les esprits élémentaires, disent les kabbalistes dans leurs livres les plus secrets, sont les enfants de la
solitude d'Adam; ils sont nés de ses rêves, lorsqu'il aspirait à la femme que Dieu ne lui avait pas donnée
encore.
Paracelse dit que le sang perdu, soit régulièrement, soit en rêve, par les célibataires des deux sexes, peuple
l'air de fantômes.
[116]
Nous croyons indiquer assez clairement ici, d'après les maîtres, l'origine supposée de ces larves sans qu'il
soit besoin de nous expliquer davantage.
Ces larves ont donc un corps aérien formé de la vapeur du sang. C'est pour cela qu'elles cherchent le sang
répandu et se nourrissaient autrefois de la fumée des sacrifices.
Ce sont les enfants monstrueux de ces cauchemars impurs qu'on appelait autrefois les incubes et les
succubes.
Lorsqu'ils sont assez condensés pour être vus, ce n'est qu'une vapeur colorée par le reflet d'une image; ils
n'ont pas de vie propre, mais ils imitent la vie de celui qui les évoque comme l'ombre imite le corps.
Ils se produisent surtout autour des idiots et des êtres sans moralité que leur isolement abandonne à des
habitudes déréglées.
La cohésion des parties de leur corps fantastique étant très faible, ils craignent le grand air, le grand feu et
surtout la pointe des épées.
Ils deviennent en quelque sorte des appendices vaporeux du corps réel de leurs parents, puisqu'ils ne vivent
que de la vie de ceux qui les ont créés ou qui se les approprient en les évoquant. En sorte que si on blesse
leurs apparences de corps, le père peut être réellement blessé, comme l'enfant non encore né est réellement
blessé ou défiguré par les imaginations de sa mère.
Le monde entier est plein de phénomènes qui justifient ces révélations singulières et ne peuvent s'expliquer
que par elles.
[117]
Ces larves attirent à elles la chaleur vitale des personnes bien portantes, et épuisent rapidement celles qui
sont faibles.
De là sont venues les histoires de vampires, histoires affreusement réelles et périodiquement constatées
comme chacun sait.
C'est pour cela qu'à l'approche des médiums, c'est-à-dire des personnes obsédées par les larves, on sent un
refroidissement dans l'atmosphère.
Ces larves ne devant l'existence qu'aux mensonges de l'imagination exaltée et au dérèglement des sens, ne
se produisent jamais en présence d'une personne qui sait et qui peut dévoiler le mystère de leur monstrueuse
naissance.
[118]
LIVRE II
FORMATION ET RÉALISATIONS DU DOGME.
ב, Beth.
CHAPITRE PREMIER.
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE.
Il ne nous appartient pas d'expliquer l'Écriture sainte au point de vue religieux et dogmatique. Soumis avant
toute chose à l'ordre hiérarchique, nous laissons la théologie aux docteurs de l'Église et nous rendons à la
science humaine tout ce qui est du domaine de l'expérience et de la raison. Lors donc que nous paraissons
risquer une application nouvelle d'un passage de la Bible ou de l'Évangile, c'est toujours sauf le respect des
décisions ecclésiastiques. Nous ne dogmatisons pas, nous soumettons aux autorités légitimes nos
observations et nos études.
Ce qui nous frappe tout d'abord en lisant dans le livre sacré de Moïse l'histoire originelle du genre humain,
c'est la description
[119]
du paradis terrestre qui se résume dans la figure d'un pantacle parfait. Il est circulaire ou carré, puisqu'il est
arrosé également par quatre fleuves disposés en croix, et au centre se trouvent les deux arbres qui
représentent la science et la vie, l'intelligence stable et le mouvement progressif, la sagesse et la création.
Autour de l'arbre de la science se roule le serpent d'Asclépios et d'Hermès: au pied de l'arbre sont l'homme
et la femme, l'actif et le passif, l'intelligence et l'amour. Le serpent, symbole de l'attrait originel et du feu
central de la terre, tente la femme qui est la plus faible, et celle-ci fait succomber l'homme; mais elle ne
cède au serpent que pour le dompter plus tard, et un jour elle lui écrasera la tête en donnant un sauveur au
monde.
La science tout entière est figurée dans cet admirable tableau. L'homme abdique le domaine de
l'intelligence en cédant aux sollicitations de la partie sensitive; il profane le fruit de la science qui doit
nourrir l'âme en le faisant servir à des usages de satisfaction injuste et matérielle, il perd alors le sentiment
de l'harmonie et de la vérité. Il est revêtu d'une peau de bête, parce que la forme physique se conforme
toujours tôt ou tard aux dispositions morales; il est chassé du cercle arrosé par les quatre fleuves de vie, et
un chérub, armé d'une épée flamboyante toujours agitée, l'empêche de rentrer dans le domaine de l'unité.
Comme nous l'avons fait remarquer dans notre dogme, Voltaire, ayant découvert qu'en hébreu un chérub
signifie un boeuf, s'est fort amusé de cette histoire. Il aurait moins ri s'il avait vu dans l'ange à tête de
taureau l'image du symbolisme obscur, et dans le glaive flamboyant et mobile ces éclairs de vérité mal
[120]
conçue et trompeuse, qui donnèrent tant de crédit après la chute originelle à l'idolâtrie des nations.
Le glaive flamboyant représentait aussi cette lumière que l'homme ne savait plus diriger et dont il subissait
les atteintes fatales au lieu d'en gouverner la puissance.
Le grand oeuvre magique considéré d'une manière absolue, c'est la conquête et la direction de l'épée
flamboyante du chérub.
Le chérub c'est l'ange ou l'âme de la terre représentée toujours dans les anciens mystères sous la figure d'un
taureau.
C'est pour cela que dans les symboles mitthriaques, on voit le maître de la lumière domptant le taureau
terrestre et lui plongeant dans le flanc le glaive qui en fait sortir la vie figurée par des gouttes de sang.
La première conséquence du péché d'Ève, c'est la mort d'Abel. En séparant l'amour de l'intelligence, Ève l'a
séparé de la force; la force, devenue aveugle et asservie aux convoitises terrestres, devient jalouse de
l'amour et le tue. Puis les enfants de Caïn perpétuent le crime de leur père. Ils mettent au monde des filles
fatalement belles, des filles sans amour, nées pour la damnation des anges et pour le scandale des
descendants de Seth.
Après le déluge et à la suite de cette prévarication de Cham, dont nous avons déjà indiqué le mystère, les
enfants des hommes veulent réaliser un projet insensé: ils veulent construire un pantacle et un palais
universel. C'est un gigantesque essai de socialisme égalitaire, et le phalanstère de Fourier est une
conception bien chétive auprès de la tour de Babel. C'était un essai de protestation contre la hiérarchie de la
science, une
[121]
citadelle élevée contre les inondations et la foudre, un promontoire du haut duquel la tête du peuple divinisé
planerait sur l'atmosphère et sur les tempêtes. Mais on ne monte pas à la science sur des escaliers de pierre;
les degrés hiérarchiques de l'esprit ne se bâtissent pas avec du mortier comme les étages d'une tour.
L'anarchie protesta contre cette hiérarchie matérialisée. Les hommes ne s'entendirent plus, leçon fatale, si
mal comprise par ceux qui de nos jours ont rêvé une autre Babel. Aux doctrines brutalement et
matériellement hiérarchiques, répondent les négations égalitaires: toutes les fois que le genre humain, se
bâtira une tour, on s'en disputera le sommet, et la tendance des multitudes sera d'en déserter la base. Pour
satisfaire toutes les ambitions, en rendant le sommet plus large que la base, il faudrait faire une tour
branlante au vent qui tomberait au moindre choc.
La dispersion des hommes fut le premier effet de la malédiction portée contre les profanateurs enfants de
Cham. Mais la race de Chanaan porta d'une manière toute particulière le poids de cette malédiction qui
devait vouer plus tard leur postérité à l'anathème.
La chasteté conservatrice de la famille est le caractère distinctif des initiations hiérarchiques; la profanation
et la révolte sont toujours obscènes et tendent à la promiscuité infanticide. La souillure des mystères de la
naissance, l'attentat contre les enfants, étaient le fond des cultes de l'ancienne Palestine abandonnée aux
rites horribles de la magie noire. Le dieu noir de l'Inde, le monstrueux Rutrem aux formes priapesques, y
régnait sous le nom de Belphégor.
Conséquence fatale des harmonies universelles! on ne forfait pas impunément à la vérité. L'homme révolté
contre Dieu est poussé malgré lui à l'outrage de la nature. Aussi les mêmes causes produisant toujours les
mêmes effets, le sabbat des sorciers au moyen-âge n'était qu'une répétition des fêtes de Chamos et de
Belphégor. C'est contre ces crimes qu'un arrêt de mort éternel est porté par la nature elle-même. Les
adorateurs des dieux noirs, les apôtres de la promiscuité, les théoriciens d'impudeur publique, les ennemis
de la famille et de la hiérarchie, les anarchistes en religion et en politique sont des ennemis de Dieu et de
l'humanité; ne pas les séparer du monde, c'est consentir à l'empoisonnement du monde: ainsi raisonnaient
les inquisiteurs. Nous sommes loin de regretter les cruelles exécutions du moyen âge et d'en désirer le
retour. A mesure que la société deviendra
[123]
plus chrétienne, elle comprendra de mieux en mieux qu'il faut soigner les malades et non pas les faire
mourir. Les instincts criminels ne sont-ils pas les plus affreuses de toutes les maladies mentales?
N'oublions pas que la haute magie se nomme l'art sacerdotal et l'art royal; elle dut partager en Égypte, en
Grèce et à Rome, les grandeurs et les décadences du sacerdoce et de la royauté. Toute philosophie ennemie
du culte et de ses mystères est fatalement hostile aux grands pouvoirs politiques, qui perdent leur grandeur
s'ils cessent, aux yeux des multitudes, d'être les images de la puissance divine. Toute couronne se brise
lorsqu'elle se heurte contre la tiare.
Dérober le feu du ciel et détrôner les dieux, c'est le rêve éternel de Prométhée; et le Prométhée populaire
détaché du Caucase par Hercule, qui symbolise le travail, emportera toujours avec lui ses clous et ses
chaînes; il traînera toujours son vautour immortel suspendu à sa plaie béante, tant qu'il ne viendra pas
apprendre l'obéissance et la résignation aux pieds de celui qui, étant né roi des rois et Dieu des dieux, a
voulu avoir à son tour les mains cloués et la poitrine ouverte pour la conversion de tous les esprits rebelles.
Les institutions républicaines, en ouvrant à l'intrigue la carrière du pouvoir, ébranlèrent fortement les
principes de la hiérarchie. Le soin de former des rois ne fut plus confié au sacerdoce, et l'on y suppléa soit
par l'hérédité qui livre le trône aux chances inégales de la naissance, soit par l'élection populaire, qui laisse
en dehors l'influence religieuse, pour constituer la monarchie suivant des principes républicains. Ainsi se
formèrent les gouvernements qui présidèrent tour à tour aux
[124]
triomphes et aux abaissements des États de la Grèce et de Rome. La science renfermée dans les sanctuaires
fut alors négligée, et des hommes d'audace ou de génie, que les initiateurs n'accueillaient pas, inventèrent
une science qu'ils opposèrent à celle des prêtres, ou opposèrent aux secrets du temple le doute et la
dénégation. Ces philosophes, à la suite de leur imagination aventureuse, arrivèrent vite à l'absurde et s'en
prirent à la nature des défauts de leurs propres systèmes. Héraclite se prit à pleurer; Démocrite prit le parti
de rire, et ils étaient aussi fous l'un que l'autre. Pyrrhon finira par ne croire à rien, ce qui ne sera pas de
nature à le dédommager de ne rien savoir. Dans ce chaos philosophique, Socrate apporta un peu de lumière
et de bon sens en affirmant l'existence pure et simple de la morale. Mais qu'est-ce qu'une morale sans
religion? Le déisme abstrait de Socrate se traduisait pour le peuple par l'athéisme; Socrate manquait
absolument de dogme, Platon son disciple essaya de lui en donner un auquel Socrate avouait n'avoir jamais
songé.
La doctrine de Platon fait époque, dans l'histoire du génie humain, mais ce philosophe ne l'avait pas
inventée, et, comprenant qu'il n'y a pas de vérité en dehors de la religion, il alla consulter les prêtres de
Memphis et se fit initier à leurs mystères. On croit même qu'il eut connaissance des livres sacrés des
hébreux. Il ne put toutefois recevoir en Égypte qu'une initiation imparfaite, car les prêtres eux-mêmes
avaient oublié alors le sens des hiéroglyphes primitifs. Nous en avons la preuve dans l'histoire du prêtre qui
passa trois jours à déchiffrer une inscription hiératique trouvée dans le tombeau d'Alcmène, et
[125]
envoyée par Agésilas, roi de Sparte. Cornuphis, qui était sans doute le plus savant des hiérophantes,
consulta tous les anciens recueils de signes et de caractères, et découvrit enfin que cette inscription était
faite en caractères de prothée; or le prothée était le nom qu'on donnait en Grèce au livre de Thoth, dont les
hiéroglyphes mobiles pouvaient prendre autant de formes qu'il y a de combinaisons possibles au moyen des
caractères, des nombres, et des figures élémentaires. Mais le livre de Thoth étant la clef des oracles et le
livre élémentaire de la science, comment Cornuphis, s'il était vraiment instruit dans l'art sacerdotal, avait-il
dû chercher si longtemps avant d'en reconnaître les signes? Une autre preuve de l'obscurcissement des
vérités premières de la science à cette époque, c'est que les oracles s'en plaignaient dans un style qui n'était
déjà plus compris.
Lorsque Platon, à son retour d'Égypte, voyageait avec Simmias près des confins de la Carie, il rencontra
des hommes de Délos qui le prièrent de leur expliquer un oracle d'Apollon. Cet oracle disait que pour faire
cesser les maux de la Grèce il fallait doubler la pierre cubique. Les Déliens avaient donc essayé de doubler
une pierre cubique qui se trouvait dans le temple d'Apollon. Mais en la doublant de tous côtés ils n'étaient
parvenus qu'à faire un polyèdre à vingt-cinq faces, et pour revenir à la forme cubique ils avaient dû
augmenter vingt-six fois, et en le doublant toujours, le volume primitif de la pierre. Platon renvoya les
émissaires déliens au mathématicien Eudoxe, et leur dit que l'oracle leur conseillait l'étude de la géométrie.
Ne comprit-il pas lui-même le sens profond de cette figure, ou ne daigna-t-il pas l'expliquer à ces ignorants,
c'est
[126]
ce que nous ne saurions dire. Mais ce qui est certain, c'est que la pierre cubique et sa multiplication
expliquent tous les secrets des nombres sacrés, et surtout celui du mouvement perpétuel caché par les
adeptes et cherché par les sots sous le nom de quadrature du cercle. Par cette agglomération cubique de
vingt-six cubes autour d'un cube central, l'oracle avait fait trouver aux Déliens non seulement les éléments
de la géométrie mais encore la clef des harmonies de la création expliquées par l'enchaînement des formes
et des nombres. Le plan de tous les grands temples allégoriques de l'antiquité se retrouve dans cette
multiplication, du cube par la croix d'abord autour de laquelle on peut décrire un cercle, puis la croix
cubique qui peut se mouvoir dans un globe. Toutes ces notions qu'une figure fera mieux comprendre, ont
été conservées jusqu'à nos jours dans les initiations maçonniques, et justifient parfaitement le nom donné
aux associations modernes, car elles sont aussi les principes fondamentaux de l'architecture et de la science
du bâtiment.
Les Déliens avaient cru résoudre la question géométrique en diminuant de moitié leur multiplication, mais
ils avaient encore trouvé huit fois le volume de leur pierre cubique. On peut du reste, augmenter à plaisir le
nombre de leurs essais: car cette histoire n'est peut-être autre chose qu'un problème proposé par Platon lui-
même à ses disciples. S'il faut admettre comme un fait la réponse de l'oracle, nous y trouverons un sens
plus étendu encore, car doubler la pierre cubique c'est faire sortir le binaire de l'unité, la forme de l'idée,
l'action de la pensée. C'est réaliser dans le monde l'exactitude des mathématiques
[127]
éternelles, c'est établir la politique sur la base des sciences exactes, c'est conformer le dogme religieux à la
philosophie des nombres.
Platon a moins de profondeur mais plus d'éloquence que Pythagore. Il essaye de concilier la philosophie
des raisonneurs avec les dogmes immuables des voyants; il ne veut pas vulgariser, il veut reconstituer la
science. Aussi sa philosophie devait-elle fournir plus tard au christianisme naissant des théories toutes
prêtes et des dogmes à vivifier.
Toutefois, bien qu'il fondât ses théorèmes sur les mathématiques, Platon, abondant en formes harmonieuses
et prodigue de merveilleuses hypothèses, fut plus poëte que géomètre. Un génie exclusivement calculateur,
Aristote, devait tout remettre en question dans les écoles, et tout soumettre aux épreuves des évolutions
numérales et de la logique des calculs. Aristote, excluant la foi platonicienne, veut tout prouver et tout
renfermer dans ses catégories; il traduit le ternaire en syllogisme et le binaire en enthymème. La chaîne des
êtres pour lui devient un sorite. Il veut tout abstraire, tout raisonner; l'Être même devient pour lui une
abstraction perdue dans les hypothèses de l'ontologie. Platon inspirera les Pères de l'Église, Aristote sera le
maître des scolastiques du moyen âge, et Dieu sait combien s'amasseront de ténèbres autour de cette
logique qui ne croit à rien et qui prétend tout expliquer. Une seconde Babel se prépare, et la confusion des
langues n'est pas loin.
L'Être est l'Être, la raison de l'Être est dans l'Être. Dans le principe est le Verbe et le Verbe (λογος) est la
logique formulée en parole, la raison parlée; le Verbe est en Dieu et le Verbe est Dieu même manifesté à
l'intelligence. Voilà ce qui est
[128]
[128] au-dessus de toutes les philosophies. Voilà ce qu'il faut croire sous peine de ne jamais rien savoir et
de retomber dans le doute absurde de Pyrrhon. Le sacerdoce gardien de la foi repose tout entier sur cette
base de la science, et c'est dans son enseignement qu'il faut saluer le principe divin du Verbe éternel.
CHAPITRE II
LE MYSTICISME.
La légitimité de droit divin appartient tellement au sacerdoce que sans elle le vrai sacerdoce n'existe pas.
L'initiation et la consécration ont une véritable hérédité.
Ainsi le sanctuaire est inviolable pour les profanes et ne peut être envahi par les sectaires.
Ainsi les lumières de la révélation divine se distribuent avec une suprême raison, parce qu'elles descendent
avec ordre et harmonie. Dieu n'éclaire pas le monde avec des météores et des foudres, mais il fait graviter
paisiblement les univers chacun autour de son soleil.
Ainsi se formèrent les écoles mystiques profanatrices de la science. Nous avons vu par quels procédés les
fakirs de l'Inde arrivaient par des éréthismes nerveux et des congestions cérébrales à ce qu'ils appelaient la
lumière incréée. L'Egypte eut aussi ses sorciers et ses enchanteurs, et la Thessalie en Grèce fut pleine de
conjurations et de maléfices. Se mettre directement en rapport avec les démons et les dieux, c'est supprimer
le sacerdoce, c'est renverser la base du trône; l'instinct anarchique des prétendus illuminés le savait bien.
Aussi est-ce par l'attrait de la licence qu'ils espéraient recruter des disciples, et ils donnaient d'avance
l'absolution à tous les scandales des moeurs, se contentant de la rigidité dans la révolte et de l'énergie dans
la protestation contre la légitimité sacerdotale.
Les bacchantes qui déchirèrent Orphée se croyaient inspirées d'un dieu, et sacrifièrent le grand hiérophante
à leur ivresse divinisée. Les orgies de Bacchus étaient des excitations mystiques, et toujours les sectaires de
la folie procédèrent par mouvements déréglés, excitations frénétiques et dégoûtantes convulsions; depuis
les prêtres efféminés de Bacchus jusqu'aux gnostiques; depuis les derviches tourneurs jusqu'aux
épileptiques
[130]
de la tombe du diacre Pâris, le caractère de l'exaltation superstitieuse et fanatique est toujours le même.
C'est toujours sous prétexte d'épurer le dogme, c'est au nom d'un spiritualisme outré que les mystiques de
tous les temps ont matérialisé les signes du culte. Il en est de même des profanateurs de la science des
mages, car la haute magie, ne l'oublions pas, c'est l'art sacerdotal primitif. Elle réprouve tout ce qui se fait
en dehors de la hiérarchie légitime et applaudit non pas au supplice, mais à la condamnation des sectaires et
des sorciers.
Nous rapprochons à dessein ces deux qualifications, tous les sectaires ont été des évocateurs d'esprits et de
fantômes qu'ils donnaient au monde pour des dieux; ils se flattaient tous d'opérer des miracles à l'appui de
leurs mensonges. A ces titres donc ils étaient tous des goétiens, c'est-à-dire de véritables opérateurs de
magie noire.
L'anarchie étant le point de départ et le caractère distinctif du mysticisme dissident, la concorde religieuse
est impossible entre sectaires, mais ils s'entendent à merveille sur un point: c'est la haine de l'autorité
hiérarchique et légitime. En cela donc consiste réellement leur religion, puisque c'est le seul lien qui les
rattache les uns aux autres. C'est toujours le crime de Cham; c'est le mépris du principe de la famille, et
l'outrage infligé au père, dont tous les dissidents proclament hautement l'ivresse, dont ils découvrent avec
des rires sacrilèges la nudité et le sommeil.
Les mystiques anarchistes confondent tous la lumière, intellectuelle avec la lumière astrale; ils adorent le
serpent au
[131]
lieu de révérer la sagesse obéissante et pure qui lui met le pied sur la tête. Aussi s'enivrent-ils de vertiges et
ne tardent-ils pas à tomber dans l'abîme de la folie.
Les fous sont tous des visionnaires et souvent ils peuvent se croire des thaumaturges, car l'hallucination
étant contagieuse, il se passe souvent ou il semble se passer autour des fous des choses inexplicables.
D'ailleurs les phénomènes de la lumière astrale attirée ou projetée avec excès, sont eux-mêmes de nature à
déconcerter les demi-savants. En s'accumulant dans les corps, elle leur donne, par la distension violente des
molécules, une telle élasticité, que les os peuvent se tordre, les muscles s'allonger outre mesure. Il se forme
des tourbillons et comme des trombes de cette lumière, qui soulèvent les corps les plus pesants et peuvent
les soutenir en l'air pendant un temps proportionnel à la force de projection. Les malades se sentent alors
comme prêts d'éclater, et sollicitent des secours par compression et percussion. Les coups les plus violents
et la compression la plus forte étant alors équilibrés par la tension fluidique, ne font ni contusions ni
blessures, et soulagent le patient au lieu de l'étouffer.
Les fous prennent les médecins en horreur et les mystiques hallucinés détestent les sages, ils les fuient
d'abord, ils les persécutent ensuite fatalement et malgré eux; s'ils sont doux et indulgents, c'est pour les
vices; la raison soumise à l'autorité les trouve implacables: les sectaires en apparence les plus doux sont pris
de fureur et de haine, lorsqu'on leur parle de soumission et de hiérarchie. Toujours les hérésies ont
occasionné des troubles. Si un faux prophète ne pervertit pas, il faut qu'il tue. Ils réclament à grands cris la
tolérance pour eux, mais ils se gardent bien d'en faire usage envers les autres. Les
[132]
protestants déclamaient contre les bûchers de Rome à l'époque même où Jean Calvin, de son autorité
privée, faisait brûler Michel Servet.
Ce sont les crimes des donatistes, des circoncellions et de tant d'autres qui ont forcé les princes catholiques
à sévir, et l'Église même à leur abandonner les coupables. Ne dirait-on pas à entendre les gémissements de
l'irréligion que les vaudois, les albigeois et les hussites étaient des agneaux? Étaient-ce des innocents que
ces sombres puritains d'Écosse et d'Angleterre qui tenaient le poignard d'une main et la Bible de l'autre en
prêchant l'extermination des catholiques? Une seule église au milieu de tant de représailles et d'horreurs à
toujours posé et maintenu en principe son horreur du sang: c'est l'église hiérarchique et légitime.
L'Église, en admettant la possibilité et l'existence des miracles diaboliques, reconnaît l'existence d'une force
naturelle dont on peut se servir, soit pour le bien, soit pour le mal. Aussi a-t-elle sagement décidé que si la
sainteté de la doctrine peut légitimer le miracle, le miracle seul ne peut jamais autoriser les nouveautés de la
doctrine.
Dire que Dieu, dont les lois sont parfaites et ne se démentent jamais, se sert d'un moyen naturel pour opérer
les choses qui nous semblent surnaturelles, c'est affirmer la raison suprême et le pouvoir immuable de Dieu,
c'est agrandir l'idée que nous avons de sa providence; ce n'est point nier son intervention dans les
merveilles qui s'opèrent en faveur de la vérité, que les catholiques sincères le comprennent bien.
Pour tout pouvoir, il faut tout oser, tel était le principe des
[134]
enchantements et de leurs horreurs. Les faux magiciens se liaient par le crime, et ils se croyaient capables
de faire peur aux autres quand ils étaient parvenus à s'épouvanter eux-mêmes. Les rites de la magie noire
sont restés horribles comme les cultes impies qu'elle avait produits, soit dans les associations de malfaiteurs
conspirant contre les civilisations antiques, soit chez les peuplades barbares. C'est toujours le même amour
des ténèbres, ce sont toujours les mêmes profanations, les mêmes prescriptions sanglantes. La magie
anarchique est le culte de mort. Le sorcier s'abandonne à la fatalité, il abjure sa raison, il renonce à
l'espérance de l'immortalité et il immole des enfants. Il renonce au mariage honnête et fait voeu de
débauche stérile. A ces conditions il jouit de la plénitude de sa folie, il s'enivre de sa méchanceté au point
de la croire toute-puissante, et transformant en réalité ses hallucinations, il se croit maître d'évoquer à son
gré toute la tombe et tout l'enfer.
Les mots barbares et les signes inconnus ou même absolument insignifiants sont les meilleurs en magie
noire. On s'hallucine mieux avec des pratiques ridicules et des évocations imbéciles que par des rites ou des
formules capables de tenir l'intelligence en éveil. M. Du Potet affirme avoir expérimenté la puissance de
certains signes sur les crisiaques, et les signes qu'il trace de sa main dans son livre occulte, avec précaution
et mystère, sont analogues, sinon absolument semblables, aux prétendues signatures diaboliques qui se
trouvent dans les anciennes éditions du grand grimoire. Les mêmes causes doivent produire toujours les
mêmes effets, et il n'y a rien de nouveau sous la lune des sorciers, non plus que sous le soleil des sages.
[135]
L'état d'hallucination permanent est une mort ou une abdication de la conscience; on est alors livré à tous
les hasards de la fatalité des rêves. Chaque souvenir apporte son reflet, chaque mauvais désir crée une
image, chaque remords enfante un cauchemar. La vie devient celle d'un animal, mais d'un animal
ombrageux et tourmenté. On n'a plus conscience ni de la morale ni du temps. Les réalités n'existent plus,
tout danse dans le tourbillon des formes les plus insensées. Une heure semble parfois durer des siècles; des
années peuvent passer avec la rapidité d'une heure.
Notre cerveau, tout phosphorescent de lumière astrale, est plein de reflets et de figures sans nombre. Quand
nous fermons les yeux, il nous semble souvent qu'un panorama tantôt brillant, tantôt sombre et terrible, se
déroule sous notre paupière. Un malade atteint de la fièvre ferme à peine les yeux pendant la nuit, qu'il est
ébloui souvent par une insupportable clarté. Notre système nerveux, qui est un appareil électrique complet,
concentre la lumière dans le cerveau, qui est le pôle négatif de l'appareil, ou la projette par les extrémités
qui sont les pointes destinées à remettre en circulation notre fluide vital. Quand le cerveau attire
violemment une série d'images analogues à une passion qui a rompu l'équilibre de la machine, l'échange de
lumière ne se fait plus, la respiration astrale s'arrête et la lumière dévoyée se coagule en quelque sorte dans
le cerveau. Aussi les hallucinés ont-ils les sensations les plus fausses et les plus perverses. Il en est qui
trouvent de la jouissance à se découper la peau en lanières et à s'écorcher lentement, d'autres
[136]
mangent et savourent les substances les moins faites pour servir de nourriture. M. le docteur Brierre de
Boismont, dans son savant Traité des hallucinations 8, a rassemblé plusieurs séries d'observations
excessivement curieuses; tous les excès de la vie, soit en bien mal compris, soit en mal non combattu,
peuvent exalter le cerveau et y produire des stagnations de lumière. L'ambition excessive, les prétentions
orgueilleuses à la sainteté, une continence pleine de scrupules et de désirs, des passions honteuses
satisfaites malgré les avertissements réitérés du remords: tout cela conduit à l'évanouissement de la raison,
à l'extase morbide, à l'hystérie, aux visions, à la folie. Un homme n'est pas fou, remarque le savant docteur,
parce qu'il a des visions, mais parce qu'il croit plus à ses visions qu'au sens commun. C'est donc
l'obéissance et l'autorité seules qui peuvent sauver les mystiques; s'ils ont en eux-mêmes une confiance
obstinée, il n'y a plus de remède, ils sont déjà les excommuniés de la raison et de la foi: ce sont les aliénés
de la charité universelle. Ils se croient plus sages que la société; ils croient former une religion, et ils sont
seuls; ils pensent avoir dérobé pour leur usage personnel les clefs secrètes de la vie, et leur intelligence est
déjà tombée dans la mort.
Note 8: (retour) Brierre de Boismont, Des hallucinations, ou histoire raisonnée des apparitions, des visions,
des songes, de l'extase, du magnétisme et du somnambulisme, 2e édition, 1852, 1 vol. in-8.
[137]
CHAPITRE III.
INITIATIONS ET ÉPREUVES.
Ce que les adeptes nomment le grand oeuvre n'est pas seulement la transmutation des métaux, c'est aussi et
surtout la médecine universelle, c'est-à-dire le remède à tous les maux, y compris la mort.
L'oeuvre qui crée la médecine universelle, c'est la régénération morale de l'homme. C'est cette seconde
naissance dont parlait le Sauveur au docteur de la loi, Nikodémos, qui ne le comprenait pas, et Jésus lui
disait: «Quoi, vous êtes maître en Israël et vous ignorez ce mystère!» comme s'il voulait lui faire entendre
qu'il s'agissait des principes fondamentaux de la science religieuse, et qu'il n'était pas permis à un maître de
les ignorer.
Le grand mystère de la vie et de ses épreuves est représenté dans la sphère céleste et dans le cycle de
l'année. Les quatre formes du sphinx correspondent aux quatre éléments et aux quatre saisons. Les figures
symboliques du bouclier d'Achille, dans Homère, ont une signification analogue à celle des douze travaux
d'Hercule. Achille doit mourir comme Hercule, après avoir vaincu les éléments et combattu contre les
dieux. Hercule, victorieux de
[138]
tous les vices figurés par les monstres qu'il doit combattre, succombe un instant au plus dangereux de tous,
à l'amour; mais il arrache enfin de sa poitrine, avec des lambeaux de sa chair, la tunique brûlante de
Déjanire; il la laisse coupable et vaincue; il meure affranchi et immortel.
Tout homme qui pense est un Oedipe appelé à deviner l'énigme du sphinx ou à mourir. Tout initié doit être
un Hercule accomplissant le cycle d'une grande année de travaux et méritant, par les sacrifices du coeur et
de la vie, les triomphes de l'apothéose.
Orphée n'est roi de la lyre et des sacrifices qu'après avoir tour à tour conquis et su perdre Eurydice.
Omphale et Déjanire sont jalouses d'Hercule: l'une veut l'avilir, l'autre cède aux conseils d'une lâche rivale
qui la pousse à empoisonner le libérateur du monde; mais elle va le guérir d'un empoisonnement bien
autrement funeste, celui de son indigne amour. La flamme du bûcher va purifier ce coeur trop faible;
Hercule expire dans toute sa force et peut s'asseoir victorieux près du trône de Jupiter!
Jacob, avant d'être le grand patriarche d'Israël, avait combattu pendant toute une longue nuit contre un
ange.
L'ÉPREUVE, tel est le grand mot de la vie: la vie est un serpent qui s'enfante et se dévore sans cesse; il faut
échapper à ses étreintes et lui mettre le pied sur la tête. Hermès, en le multipliant, l'oppose à lui-même, et
dans un équilibre éternel il en fait le talisman de son pouvoir et la gloire de son caducée.
Les grandes épreuves de Memphis et d'Éleusis avaient pour but de former des rois et des prêtres, en
confiant la science à des
[139]
hommes courageux et forts. Il fallait, pour être admis à ces épreuves, se livrer corps et âme au sacerdoce et
faire l'abandon de sa vie. On descendait alors dans des souterrains obscurs où il fallait traverser tour à tour
des bûchers allumés, des courants d'eau profonde et rapide, des ponts mobiles jetés sur des abîmes, et cela
sans laisser éteindre et s'échapper une lampe qu'on tenait à la main. Celui qui chancelait ou qui avait peur
ne devait jamais revoir la lumière; celui qui franchissait avec intrépidité tous les obstacles était reçu parmi
les mystes, c'est-à-dire qu'on l'initiait aux petits mystères. Mais il restait à éprouver sa fidélité et son
silence, et ce n'était qu'au bout de plusieurs années qu'il devenait épopte, titre qui correspond à celui
d'adepte.
La philosophie, rivale du sacerdoce, imita ces pratiques et soumit ses disciples à des épreuves. Pythagore
exigeait le silence et l'abstinence pendant cinq ans: Platon n'admettait dans son école que des géomètres et
des musiciens, il réservait d'ailleurs une partie de son enseignement pour les initiés et sa philosophie avait
ses mystères. C'est ainsi qu'il fait créer le monde par les démons, et qu'il fait sortir tous les animaux de
l'homme. Les démons de Platon ne sont autres que les Éloïm de Moïse, c'est-à-dire les forces par le
concours et l'harmonie desquelles le principe suprême a créé. En disant que les animaux sortent de
l'homme, il veut dire que les animaux sont l'analyse de la forme vivante dont l'homme est la synthèse. C'est
Platon qui le premier a proclamé la divinité du verbe, c'est-à-dire de la parole, et ce verbe créateur, il
semble en pressentir l'incarnation prochaine sur la terre; il annonce les souffrances et le supplice du juste
parfait, réprouvé par l'iniquité du monde.
[140]
Cette philosophie sublime du verbe appartient à la pure kabbale, et Platon ne l'a point inventée. Il ne le
cache pas d'ailleurs et déclare hautement qu'en aucune science il ne faut jamais recevoir que ce qui
s'accorde avec les vérités éternelles et avec les oracles de Dieu. Dacier, à qui nous empruntons cette
citation, ajoute que, «par ces vérités éternelles, Platon entend une ancienne tradition, qu'il prétend que les
premiers hommes avaient reçue de Dieu et qu'ils avaient transmise à leurs descendants.» Certes, à moins de
nommer positivement la kabbale, on ne saurait être plus clair. C'est la définition au lieu du nom: c'est
quelque chose de plus précis en quelque manière que le nom même.
«Ce ne sont pas les livres, dit encore Platon, qui donnent ces hautes connaissances; il faut les puiser en soi-
même par une profonde méditation et chercher le feu sacré dans sa propre source.... C'est pourquoi je n'ai
jamais rien écrit de ces révélations et je n'en parlerai jamais.
»Tout homme qui entreprendra de les rendre vulgaires ne l'entreprendra jamais qu'inutilement, et tout le
fruit qu'il tirera de son travail, c'est qu'excepté un petit nombre d'hommes à qui Dieu a donné assez
d'intelligence pour voir en eux-mêmes ces vérités célestes, il donnera aux uns du mépris pour elles, et
remplira les autres d'une vaine et téméraire confiance, comme s'ils savaient des choses merveilleuses qu'ils
ne savent pourtant pas 9.»
Note 9: (retour) Dacier, la Doctrine de Platon (Bibliothèque des anciens philosophes), t. III, p. 81.
[141]
Il écrit à Denys le Jeune:
«Il faut que je déclare à Archédémus ce qui est beaucoup plus précieux et plus divin et ce que vous avez
grande envie de savoir, puisque vous me l'avez envoyé exprès; car, selon ce qu'il m'a dit, vous ne croyez
pas que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense sur la nature du premier principe; il faut vous
l'écrire par énigmes, afin que si ma lettre est interceptée sur terre ou sur mer, celui qui la lira n'y puisse rien
comprendre.
»Toutes choses sont autour de leur roi, elles sont à cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses;
second pour les secondes et troisième pour les troisièmes 10.»
Note 10: (retour) Dacier, loco citato.t. III, p. 194.
Il y a dans ce peu de paroles un résumé complet de la théologie des séphirots. Le roi, c'est Ensoph, l'être
suprême et absolu. Tout rayonne de ce centre qui est partout, mais que nous concevons surtout de trois
manières et dans trois sphères différentes. Dans le monde divin, qui est celui de la première cause, il est
unique et premier. Dans le monde de la science qui est celui des causes secondes, l'influence du premier
principe se fait sentir, mais on ne le conçoit plus que comme la première des causes secondes; il s'y
manifeste par le binaire, c'est le principe créateur passif. Enfin, dans le troisième monde, qui est celui des
formes, il se révèle comme la forme parfaite, le verbe incarné, la beauté et la bonté suprêmes, la perfection
créée; il est donc à la fois le premier, le second et le troisième,
[142]
puisqu'il est tout en tout, le centre et la cause de tout. N'admirons point ici le génie de Platon, reconnaissons
seulement la science exacte de l'initié.
Qu'on ne nous dise plus que notre grand apôtre saint Jean a emprunté à la philosophie de Platon le début de
son évangile. C'est Platon, au contraire, qui avait puisé aux mêmes sources que saint Jean; mais il n'avait
pas reçu l'esprit qui vivifie. La philosophie du plus grand des révélateurs humains pouvait aspirer au verbe
fait homme: l'Évangile seul pouvait le donner au monde.
La kabbale enseignée aux Grecs par Platon prit plus tard le nom de théosophie et embrassa dans la suite le
dogme magique tout entier. Ce fut à cet ensemble de doctrine occulte que se rattachèrent successivement
toutes les découvertes des chercheurs. On voulut passer de la théorie à la pratique et réaliser la parole par
les oeuvres; les dangereuses expériences de la divination apprirent à la science comment on peut se passer
du sacerdoce, le sanctuaire était trahi et des hommes sans mission osaient faire parler les dieux. C'est pour
cela que la théurgie partagea les anathèmes de la magie noire et fut soupçonnée d'en imiter les crimes, parce
qu'elle ne pouvait se défendre d'en partager l'impiété. On ne soulève pas impunément le voile d'Isis, et la
curiosité est un blasphème contre la foi, lorsqu'il s'agit des choses divines. «Heureux ceux qui croiront sans
avoir vu, nous a dit le grand révélateur.»
Les expériences de la théurgie et de la nécromancie sont toujours funestes à ceux qui s'y abandonnent.
Lorsqu'on a une fois mis le pied sur le seuil de l'autre monde, il faut mourir et presque
[143]
toujours d'une manière étrange et terrible. Le vertige commence, la catalepsie et la folie achèvent. Il est
certain qu'en présence de certaines personnes et après une série d'actes enivrants, une perturbation se fait
dans l'atmosphère, les boiseries craquent, les portes tremblent et gémissent. Des signes bizarres et
quelquefois sanglants semblent s'imprimer d'eux-mêmes sur du parchemin vierge ou sur des linges. Ces
signes sont toujours les mêmes et les magistes les classifient sous le nom d'écritures diaboliques. La seule
vue de ces caractères fait retomber les crisiaques en convulsion ou en extase; ils croient alors voir les
esprits, et Satan, c'est-à-dire le génie de l'erreur, se transfigure pour eux en ange de lumière. Ces prétendus
esprits demandent pour se montrer des excitations sympathiques produites par le rapprochement des sexes,
il faut mettre les mains dans les mains, les pieds sur les pieds, il faut se souffler au visage, et souvent
suivent des extases obscènes. Les initiés se passionnent pour ce genre d'ivresse, ils se croient les élus de
Dieu et les interprètes du ciel, ils traitent de fanatisme l'obéissance à la hiérarchie. Ce sont les successeurs
de la race caïnique de l'Inde. Ce sont des hatchichims et des faquirs. Les avertissements ne les éclaireront
pas et ils périront parce qu'ils ont voulu périr.
Les prêtres de la Grèce, pour guérir de semblables malades, employaient une sorte d'homoeopathie; ils les
terrifiaient en exagérant le mal même dans une seule crise et les faisaient dormir dans la caverne de
Trophonius. On se préparait à ce sommeil par des jeûnes, des lustrations et des veilles, puis on descendait
dans le souterrain et on y était laissé et enfermé
[144]
sans lumière. Des gaz enivrants, assez semblables à ceux de la grotte du Chien qu'on voit près de Naples,
s'exhalaient dans cette caverne et ne tardaient pas à terrasser le visionnaire; il avait alors d'épouvantables
rêves causés par un commencement d'asphyxie; on venait à temps le secourir et on l'emportait tout
palpitant, tout pâle et les cheveux hérissés sur un trépied où il prophétisait avant de s'éveiller entièrement.
Ces sortes d'épreuves causaient un tel ébranlement dans le système nerveux, que les crisiaques ne s'en
souvenaient pas sans frissonner et n'osaient plus jamais parler d'évocations et de fantômes. Il en est qui
depuis ne purent jamais s'égayer ni sourire; et l'impression générale était si triste, qu'elle passa en proverbe
et qu'on disait d'une personne dont le front ne se déridait pas: «Elle a dormi dans la caverne de
Trophonius.»
Ce n'est pas dans les livres des philosophes, c'est dans le symbolisme religieux des anciens qu'il faut
chercher les traces de la science et en retrouver les mystères. Les prêtres d'Égypte connaissaient mieux que
nous les lois du mouvement et de la vie. Ils savaient tempérer ou affermir l'action par la réaction, et
prévoyaient facilement la réalisation des effets dont ils avaient posé la cause. Les colonnes de Seth,
d'Hermès, de Salomon, d'Hercule ont symbolisé dans les traditions magiques cette loi universelle de
l'équilibre; et la science de l'équilibre avait conduit les initiés à celle de la gravitation universelle autour des
centres de vie, de chaleur et de lumière. Aussi dans les calendriers sacrés des Égyptiens dont chaque mois
était, comme on sait, placé sous la protection de trois décans ou génies de dix
[145]
jours, le premier décan du signe du lion est-il représenté par une tête humaine à sept rayons avec une
grande queue de scorpion et le signe du Sagittaire sous le menton. Au-dessous de cette tête est le nom de
IAO; on appelait cette figure khnoubis, mot égyptien qui signifie or et lumière. Thalès et Pythagore
apprirent dans les sanctuaires de l'Égypte que la terre tourne autour du soleil, mais ils ne cherchèrent pas à
répandre cette connaissance, parce qu'il eût fallu révéler pour cela un des grands secrets du temple, la
double loi d'attraction et de rayonnement de fixité et de mouvement qui est le principe de la création et la
cause perpétuelle de la vie. Aussi l'écrivain chrétien, Lactance, qui avait entendu parler de cette tradition
magique et de l'effet sans la cause, se moque-t-il fort de ces théurgistes rêveurs qui font tourner la terre et
nous donnent des antipodes, lesquels, suivant lui, devaient avoir, pendant que nous marcherions la tête
haute, les pieds en haut et la tête en bas. D'ailleurs, ajoute naïvement Lactance avec toute la logique des
ignorants et des enfants, de pareils hommes ne tiendraient pas à terre et tomberaient la tête la première dans
le ciel inférieur. Ainsi raisonnaient les philosophes pendant que les prêtres, sans leur répondre et sans
sourire même de leurs erreurs, écrivaient en hiéroglyphes créateurs de tous les dogmes et de toutes les
poésies, les secrets de la vérité.
Dans leur description allégorique des enfers, les hiérophantes grecs avaient caché les grands secrets de la
magie. On y trouve quatre fleuves, comme dans le paradis terrestre, plus un cinquième qui serpente sept
fois entre les autres. Un fleuve de douleurs et de gémissements, le Cocyte, et un fleuve d'oubli, le
[146]
Léthé, puis un fleuve d'eau rapide, irrésistible, qui entraîne tout et qui roule en sens contraire avec un fleuve
de feu. Ces deux fleuves mystérieux, l'Achéron et le Phlégéton, dont l'eau représente le fluide négatif et
l'autre le fluide positif, tournent éternellement l'un dans l'autre. Le Phlégéton échauffe et fait fumer les eaux
froides et noires de l'Achéron et l'Achéron couvre d'épaisses vapeurs les flammes liquides du Phlégéton. De
ces vapeurs sortent par milliers des larves et des lémures, images vaines des corps qui ont vécu et de ceux
qui ne vivent pas encore; mais qu'ils aient bu ou non au fleuve des douleurs, tous aspirent au fleuve d'oubli,
dont l'eau assoupissante leur rendra la jeunesse et la paix. Les sages seuls ne veulent pas oublier, car leurs
souvenirs sont déjà leur récompense. Aussi sont-ils seuls vraiment immortels, puisqu'ils ont seuls la
conscience de leur immortalité.
Les supplices du Ténare sont des peintures vraiment divines des vices et de leur châtiment éternel. La
cupidité de Tantale, l'ambition de Sysiphe ne seront jamais expiées, car elles ne peuvent jamais être
satisfaites. Tantale a soif dans l'eau, Sysiphe roule au sommet d'une montagne un piédestal sur lequel il
veut s'asseoir et qui retombe toujours sur lui en l'entraînant au fond de l'abîme. Ixion, l'amoureux sans frein,
qui a voulu violer la reine du ciel, est fouetté par des furies infernales. Il n'a pourtant pas joui de son crime
et n'a pu embrasser qu'un fantôme. Ce fantôme peut-être a paru condescendre à ses fureurs et l'aimer, mais
quand il méconnaît le devoir, quand il se satisfait par le sacrilége, l'amour, c'est de la haine en fleurs!
[147]
Ce n'est pas au delà de la tombe, c'est dans la vie même qu'il faut chercher les mystères de la mort. Le salut
ou la réprobation commencent ici-bas et le monde terrestre a aussi son ciel et son enfer. Toujours même ici-
bas la vertu est récompensée, toujours même ici-bas le vice est puni; et ce qui nous fait croire parfois à
l'impunité des méchants, c'est que les richesses, ces instruments du bien et du mal, semblent leur être
parfois données au hasard. Mais malheur aux hommes injustes, lorsqu'ils possèdent la clef d'or, elle n'ouvre
pour eux que la porte du tombeau et de l'enfer.
Tous les vrais initiés ont reconnu l'immense utilité du travail et de la douleur. La douleur, a dit un poëte
allemand, c'est le chien de ce berger inconnu qui mène le troupeau des hommes. Apprendre à souffrir,
apprendre à mourir, c'est la gymnastique de l'Éternité, c'est le noviciat immortel.
Tel est le sens moral de la divine comédie de Dante esquissée déjà du temps de Platon dans le tableau
allégorique de Cébès. Ce tableau, dont la description nous a été conservée et que plusieurs peintres du
moyen âge ont refait d'après cette description, est un monument à la fois philosophique et magique. C'est
une synthèse morale très complète, et c'est en même temps la plus audacieuse démonstration qui ait été
faite du grand arcane, de ce secret dont la révélation bouleverserait la terre et le ciel. Nos lecteurs
n'attendent pas sans doute que nous leur en donnions l'explication. Celui qui trouve ce mystère comprend
qu'il est inexplicable de sa nature, et qu'il donne la mort à ceux qui le surprennent comme à celui qui l'a
révélé.
Le soin que prenaient les anciens d'ensevelir les morts protestait hautement contre la nécromancie, et
toujours ceux-là ont été regardés comme des impies qui troublent le repos de la tombe. Rappeler les morts
sur la terre, ce serait les condamner à mourir deux fois; et ce qui faisait craindre surtout aux hommes pieux
des anciens cultes de rester sans sépulture après leur mort, c'était l'appréhension que leur cadavre ne fût
profané par les Stryges et ne servît aux enchantements. Après la mort, l'âme
[149]
appartient à Dieu, et le corps à la mère commune qui est la terre. Malheur à ceux qui osent attenter à ces
refuges! Quand on avait troublé le sanctuaire de la tombe, les anciens offraient des sacrifices aux mânes
irrités; et il y avait une sainte pensée au fond de cet usage. En effet, s'il était permis à un homme d'attirer
vers lui par une chaîne de conjurations les âmes qui nagent dans les ténèbres en aspirant vers la lumière,
celui-là se donnerait des enfants rétrogrades et posthumes qu'il devrait nourrir de son sang et de son âme.
Les nécromanciens sont des enfanteurs de vampires, ne les plaignons donc pas s'ils meurent rongés par les
morts!
CHAPITRE IV.
MAGIE DU CULTE PUBLIC.
Les idées produisent les formes et à leur tour les formes reflètent et reproduisent les idées. Pour ce qui est
des sentiments, l'association les multiplie dans la réunion de ceux qui les partagent, en sorte que tous sont
électrisés de l'enthousiasme de tous. C'est pour cela que si tel ou tel homme du peuple en particulier se
trompe aisément sur le juste et sur
[150]
le beau, le peuple en masse applaudira toujours à ce qui est sublime avec un élan non moins sublime.
Ces deux grandes lois de la nature observées par les anciens mages, leur avaient fait comprendre la
nécessité d'un culte public, unique, obligatoire, hiérarchique et symbolique comme la religion tout entière,
splendide comme la vérité, riche et varié comme la nature, étoilé comme le ciel, plein de parfums comme la
terre, de ce culte enfin que devait plus tard constituer Moïse, que Salomon devait réaliser dans toutes ses
splendeurs, et qui, transfiguré encore une fois, réside aujourd'hui dans la grande métropole de Saint-Pierre
de Rome.
L'humanité n'a jamais eu réellement qu'une religion et qu'un culte. Cette lumière universelle a eu ses
mirages incertains, ses reflets trompeurs et ses ombres, mais toujours après les nuits de l'erreur, nous la
voyons reparaître unique et pure comme le soleil.
Les magnificences du culte sont la vie de la religion, et si le Christ veut des ministres pauvres, sa divinité
souveraine ne veut pas de pauvres autels. Les protestants n'ont pas compris que le culte est un
enseignement, et que dans l'imagination de la multitude il ne faut pas créer un dieu mesquin ou misérable.
Voyez ces oratoires qui ressemblent à des mairies et ces honnêtes ministres tournés comme des huissiers ou
des commissaires, ne font-ils pas nécessairement prendre la religion pour une formalité, et Dieu pour un
juge de paix? Les Anglais qui prodiguent tant d'or dans leurs habitations particulières, et qui affectent
d'aimer tant la Bible, ne devraient-ils pas se souvenir des pompes inouïes du temple de Salomon et trouver
leurs églises
[151]
bien froides et bien nues? Mais ce qui dessèche leur culte c'est la sécheresse de leur coeur, et comment
voulez-vous qu'avec ce culte sans magie, sans éblouissements et sans larmes, ces coeurs soient jamais
rappelés à la vie?
L'orthodoxie est le caractère absolu de la haute magie. Quand la vérité vient au monde, l'étoile de la science
en avertit les mages et ils viennent adorer l'enfant créateur de l'avenir. C'est par l'intelligence de la
hiérarchie et la pratique de l'obéissance qu'on obtient l'initiation, et un véritable initié ne sera jamais un
sectaire.
Les traditions orthodoxes furent emportées de la Chaldée par Abraham, elles régnaient en Égypte du temps
de Joseph avec la connaissance du vrai Dieu. Koung-Tseu voulut les établir en Chine, mais le mysticisme
imbécile de l'Inde devait, sous la forme idolâtrique du culte de Fô, prévaloir dans ce grand empire. Moïse
emporta l'orthodoxie d'Égypte comme Abraham de la Chaldée, et dans les traditions secrètes de la kabbale
nous trouvons une théologie entière, parfaite, unique, semblable à ce que la nôtre a de plus grandiose et de
mieux expliqué par les pères et les docteurs, le tout avec un ensemble et des lumières qu'il n'est pas donné
encore au monde de comprendre. Le Sohar, qui est la clef des livres saints, ouvre aussi toutes les
profondeurs et éclaire toutes les obscurités des mythologies anciennes et des sciences cachées
primitivement dans le sanctuaire. Il est vrai qu'il faut connaître le secret de cette clef pour arriver à s'en
servir, et que pour les intelligences même les plus pénétrantes, mais non initiées à ce secret, le Sohar est
absolument incompréhensible et même illisible.
[152]
Nous espérons que les lecteurs attentifs de nos écrits sur la magie trouveront d'eux-mêmes ce secret, et
parviendront à leur tour à déchiffrer d'abord, puis à lire ce livre qui contient l'explication de tant de
mystères.
Les accusateurs des mages commettaient eux-mêmes les forfaits dont ils les accusaient, et s'abandonnaient
à toutes les frénésies d'une sorcellerie dévergondée. Il n'était bruit que d'apparitions et de prodiges. Les
dieux eux-mêmes descendaient en formes visibles pour autoriser les orgies. Les cercles furieux de
prétendus illuminés remontent jusqu'aux bacchantes qui ont assassiné Orphée. Un panthéisme mystique et
luxurieux multiplia
[153]
toujours depuis ces cercles fanatiques et clandestins où la promiscuité et le meurtre se mêlaient aux extases
et aux prières. Mais les destinées fatales de ce dogme absorbant et destructeur sont écrites dans une des plus
belles fables de la mythologie grecque. Des pirates tyrrhéniens ont surpris Hiacchos endormi et le portent
dans leur vaisseau. Ils croient que le dieu de l'inspiration est leur esclave, mais tout à coup en pleine mer
leur vaisseau se transfigure, les mâts deviennent des ceps, les cordages des vignes, partout apparaissent des
satyres dansant avec des lynx et des panthères, le vertige s'empare de l'équipage, ils se voient tous changés
en boucs, et se précipitent dans la mer. Hiacchos alors aborde en Béotie et se rend à Thèbes, la ville de
l'initiation, où il trouve que Panthée avait usurpé le pouvoir. Panthée à son tour veut emprisonner le dieu;
mais la prison s'ouvre d'elle-même, le captif rayonne, vainqueur au milieu de Thèbes. Panthée devient
furieux et les filles de Cadmus devenues des bacchantes le mettent en pièces croyant immoler un jeune
taureau.
Le panthéisme, en effet, ne saurait constituer une synthèse et doit périr divisé par les sciences, filles de
Cadmus.
Après Orphée, Cadmus, Oedipe et Amphiaraüs, les grands types fabuleux du sacerdoce magique en Grèce
sont Tyrésias et Calchas, mais Tyrésias est un hiérophante inintelligent ou infidèle. Un jour il trouve deux
serpents entrelacés, il croit qu'ils se battent et les sépare en les frappant de son bâton: il n'a pas compris le
symbole du caducée, il veut diviser les forces de la nature, il veut séparer la science de la foi, l'intelligence
de
[154]
l'amour, l'homme de la femme; il les voit unis comme des lutteurs, et il croit qu'ils se battent, il les blesse en
les séparant, et le voilà lui-même ayant perdu son équilibre; il sera tour à tour homme et femme, jamais
complètement, car l'accomplissement du mariage lui est interdit. Ici se révèlent tous les mystères de
l'équilibre universel et de la loi créatrice. En effet c'est l'androgyne humain qui enfante; l'homme et la
femme tant qu'ils sont séparés restent stériles, comme la religion sans la science et réciproquement, comme
l'intelligence sans amour, comme la douceur sans force et la force sans douceur, comme la justice sans
miséricorde et la miséricorde sans justice. L'harmonie résulte de l'analogie des contraires, il faut les
distinguer pour les unir et non les séparer pour choisir entre eux. L'homme, dit-on, va sans cesse du blanc
au noir dans ses opinions et se trompe toujours. Cela doit être, car la forme visible, la forme réelle est
blanche et noire, elle se produit en alliant l'ombre et la lumière sans les confondre. Ainsi se marient tous les
contraires dans la nature, et celui qui veut les séparer s'expose au châtiment de Tyrésias. D'autres disent
qu'il devint aveugle pour avoir surpris Minerve toute nue, c'est-à-dire pour avoir profané les mystères: c'est
une autre allégorie, mais c'est toujours le même symbole.
C'est sans doute à cause de sa profanation des mystères qu'Homère fait errer l'ombre de Tyrésias dans les
ténèbres Cimmériennes, et nous le montre revenant avec les larves et les ombres malheureuses qui
cherchent à s'abreuver de sang, lorsqu'Ulysse consulte les esprits avec un cérémonial bien autrement
magique et
[155]
formidable que les grimaces de nos mediums et les petits papiers innocents des modernes nécromanciens.
Le sacerdoce est presque muet dans Homère, le devin Calchas n'est ni un souverain pontife ni un grand
hiérophante. Il semble être au service des rois dont il redoute la colère, et n'ose dire à Agamemnon des
vérités désagréables qu'après avoir imploré la protection d'Achille. Il jette ainsi la division entre ces chefs et
devient la cause des désastres de l'armée. Homère, dont tous les récits sont d'importantes et profondes
leçons, veut aussi, par cet exemple, montrer à la Grèce combien il importe que le ministère divin soit
indépendant des influences temporelles. La tribu sacerdotale ne doit relever que du suprême pontificat, et le
grand prêtre est frappé d'impuissance; s'il manque une seule couronne à sa tiare il faut qu'il soit roi temporel
pour être l'égal des souverains de la terre, roi par l'intelligence et par la science, roi enfin par sa mission
divine. Tant qu'un pareil sacerdoce n'existera pas, semble dire le sage Homère, il manquera quelque chose à
l'équilibre des empires.
Le devin Théoclymènes dans l'Odyssée joue à peu près le rôle d'un parasite, il paie aux poursuivants de
Pénélope leur hospitalité peu bienveillante par un avertissement inutile, puis il se retire prudemment avant
l'esclandre qu'il prévoit.
Il y a loin du rôle de ces diseurs de bonne ou de mauvaise aventure, à celui de ces sibylles qui habitaient
dans des sanctuaires où elles se rendaient invisibles et qu'on n'abordait qu'en tremblant. Circés nouvelles,
elles ne cédaient pourtant qu'à l'audace: il fallait pénétrer par adresse ou de force dans
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leur retraite, les prendre par les cheveux, les menacer avec l'épée et les traîner jusqu'au fatal trépied. Alors
elles rougissaient et pâlissaient tour à tour, et frémissantes, les cheveux hérissés, elles proféraient des
paroles sans suite, puis elles s'échappaient furieuses, écrivaient sur des feuilles d'arbres des mots qui
rassemblés devaient former des vers prophétiques et jetaient ces feuilles au vent, puis elles se renfermaient
dans leur retraite et ne répondaient plus si on tentait de les rappeler.
L'oracle avait autant de sens différents qu'il était possible d'en trouver en combinant les feuilles de toutes
les manières. Si au lieu de mots les feuilles eussent porté des signes hiéroglyphiques, le nombre des
interprétations eût encore augmenté, et l'on eût pu consulter le sort en les assemblant au hasard; c'est ce que
firent depuis les géomanciens qui devinaient par des nombres et des figures de géométrie jetés au hasard.
C'est ce que font encore de nos jours les adeptes de la cartomancie, en se servant de grands alphabets
magiques du tarot dont ils ignorent assez généralement la valeur. Dans ces opérations, le sort choisit
seulement les signes qui doivent inspirer l'interprète, et sans une faculté toute spéciale d'intuition et de
seconde vue, les phrases indiquées par l'assemblage des lettres sacrées et les révélations indiquées par
l'assemblage des figures prophétiseront au hasard. Ce n'est pas tout d'assembler les lettres, il faut savoir lire.
La cartomancie bien comprise est une véritable consultation des esprits sans nécromancie et sans sacrifices,
elle veut donc l'assistance d'un bon médium, la pratique en est d'ailleurs dangereuse et nous ne la
conseillons à personne. N'est-ce donc pas assez du souvenir de
[157]
nos misères pour aggraver nos souffrances dans le présent, faut-il encore les surcharger de toute l'anxiété de
l'avenir, et souffrir tous les jours d'avance les catastrophes qu'il nous est impossible d'éviter?
CHAPITRE V.
MYSTÈRES DE LA VIRGINITÉ.
L'empire romain ne fut qu'une transfiguration de celui des Grecs. L'Italie était la grande Grèce, et lorsque
l'hellénisme perfectionna ses dogmes et ses mystères, c'est qu'il fallait commencer l'éducation des enfants
de la louve: Rome était déjà au monde.
Un fait spécial caractérise l'initiation donnée aux Romains par Numa, c'est l'importance typique rendue à la
femme, à l'exemple des Égyptiens qui adoraient la divinité suprême sous le nom d'Isis.
Chez les Grecs, le Dieu de l'initiation c'est Iacchos, le vainqueur de l'Inde, le resplendissant Androgyne aux
cornes d'Ammon, le Panthée qui tient la coupe des sacrifices et y fait ruisseler le vin de la vie universelle,
Iacchos, le fils de la foudre et le dompteur des tigres et des lions, mais c'est en profanant les mystères
d'Iacchos que les bacchantes ont déchiré
[158]
Orphée; Iacchos, sous le nom romain de Bacchus, ne sera plus que le dieu de l'ivresse, et Numa demandera
ses inspirations à la sage et discrète Égérie, la déesse du mystère et de la solitude. Il faut bien donner une
mère à ces sauvages enfants trouvés qui n'ont pu devenir époux qu'en enlevant des femmes par surprise et
par trahison. Ce qui doit assurer l'avenir de Rome, c'est le culte de la patrie et de la famille. Numa l'a
compris, et il apprend d'Égérie comment on honore la mère des dieux. Il lui élève un temple sphérique sous
la coupole duquel brûle un feu qui ne doit jamais s'éteindre. Ce feu est entretenu par quatre vierges qu'on
nommera vestales et qui seront entourées d'honneurs extraordinaires si elles sont fidèles, punies avec une
rigueur exceptionnelle si elles manquent à leur dignité. L'honneur de la vierge est celui de la mère, et la
famille ne peut être sainte qu'autant que la pureté virginale sera reconnue possible et glorieuse. Ici déjà la
femme sort de la servitude antique, ce n'est plus l'esclave orientale, c'est la divinité domestique, c'est la
gardienne du foyer, c'est l'honneur du père et de l'époux. Rome est devenue le sanctuaire des moeurs, et à
ce prix elle sera la souveraine des nations et la métropole du monde.
La tradition magique de tous les âges accorde à la virginité quelque chose de surnaturel et de divin. Les
inspirations prophétiques cherchent les vierges, et c'est en haine de l'innocence et de la virginité que la
Goëtie sacrifie des enfants au sang desquels elle reconnaît pourtant une vertu sacrée et expiatoire. Lutter
contre l'attrait de la génération s'est c'exercer à vaincre la mort, et la suprême chasteté était la plus glorieuse
couronne proposée aux hiérophantes. Répandre sa vie
[159]
dans des embrassements humains c'est jeter des racines dans la tombe. La chasteté est une fleur qui n'a plus
de tige sur la terre et qui, aux caresses du soleil qui l'invite à monter vers lui, peut se détacher sans efforts et
s'envoler comme un oiseau.
Le feu sacré des vestales était le symbole de la foi et du chaste amour. C'était aussi l'emblème de cet agent
universel dont Numa savait produire et diriger la forme électrique et foudroyante. En effet, pour rallumer le
feu des vestales, si par une négligence très punissable elles l'avaient laissé s'éteindre, il fallait le soleil ou la
foudre. On le renouvelait et on le consacrait au commencement de toutes les années, pratique conservée
parmi nous et observée la veille de Pâques.
C'est à tort qu'on a accusé le christianisme d'avoir emprunté ce qu'il y avait de plus beau dans les anciens
cultes. Le christianisme, cette dernière forme de l'orthodoxie universelle, a gardé tout ce qui lui appartenait
et n'a rejeté que les pratiques dangereuses et les vaines superstitions.
Le feu sacré représentait aussi l'amour de la patrie et la religion du foyer. C'est à cette religion, c'est à
l'inviolabilité du sanctuaire conjugal que Lucrèce se sacrifia. Lucrèce personnifie toute la majesté de
l'ancienne Rome; elle pouvait sans doute se soustraire à l'outrage en abandonnant sa mémoire à la
calomnie, mais la haute réputation est une noblesse qui oblige. En matière d'honneur un scandale est plus
déplorable qu'une faute. Lucrèce éleva sa dignité d'honnête femme jusqu'à la hauteur du sacerdoce en
subissant un attentat pour l'expier ensuite et le punir.
[160]
C'est en mémoire de cette illustre Romaine que la haute initiation au culte de la patrie et du foyer fut
confiée aux femmes, à l'exclusion des hommes. Là elles devaient apprendre que le véritable amour est celui
qui inspire les plus héroïques dévouements. On leur disait que la vraie beauté de l'homme c'est l'héroïsme et
la grandeur; que la femme capable de trahir ou d'abandonner son mari, flétrit à la fois son avenir et son
passé et se met au front la tache ineffaçable d'une prostitution rétrospective aggravée encore par un parjure.
Cesser d'aimer celui auquel on a donné la fleur de sa jeunesse, c'est le plus grand malheur qui puisse
affliger le coeur d'une femme honnête; mais le déclarer hautement, c'est renier son innocence passée, c'est
renoncer à la probité du coeur et à l'intégrité de l'honneur, c'est la dernière et la plus irréparable de toutes
les hontes.
Telle était la religion de Rome: c'est à la magie d'une pareille morale qu'elle a dû toutes ses grandeurs, et
lorsque pour elle le mariage cessa d'être sacré, la décadence n'était pas loin.
S'il est vrai que, du temps de Juvénal, les mystères de la bonne déesse étaient des mystères d'impureté, ce
dont il est permis peut-être de douter un peu, car les femmes seules admises à ces prétendues orgies se
seraient donc dénoncées elles-mêmes? en admettant, disons-nous, que cela soit vrai, puisque tout était
possible après les règnes de Néron et de Domitien, que pouvons-nous en conclure sinon que le règne moral
de la mère des dieux était passé et qu'il devait faire place au culte populaire, plus universel et plus pur de
Marie, la mère de Dieu?
[161]
Numa, initié aux lois magiques et sachant les influences magnétiques de la vie commune, institua des
collèges de prêtres et d'augures, et les soumit à des règles; c'était l'idée première des couvents, une des
grandes puissances de la religion. Déjà depuis longtemps en Judée, les prophètes se réunissaient en cercles
sympathiques, et mettaient en commun l'inspiration et la prière. Il semble que Numa ait connu les traditions
de la Judée, ses flamines et ses saliens s'exaltaient par des évolutions et des danses qui rappellent celle de
David devant l'arche. Numa n'institua pas de nouveaux oracles capables de rivaliser avec celui de Delphes,
mais il instruisit ses prêtres dans l'art des augures, c'est-à-dire qu'il leur révéla une certaine théorie des
pressentiments et de la seconde vue déterminés par des lois secrètes de la nature. Nous méprisons
maintenant l'art des aruspices et des augures, parce que nous avons perdu la science profonde de la lumière
et des analogies universelles de ses reflets. Voltaire, dans son charmant conte de Zadig, esquisse en jouant
une science de divination toute naturelle, mais qui n'en est pas moins merveilleuse, parce qu'elle suppose
une finesse d'observation tout exceptionnelle et une série de déductions qui échappe habituellement à la
logique si bornée du vulgaire. On raconte que Parménides, maître de Pythagore, ayant goûté de l'eau d'une
source, prédit un prochain tremblement de terre: il n'y a rien là qui doive sembler étrange, car les saveurs
bitumineuses et sulfureuses répandues dans l'eau ont pu avertir le philosophe du travail intérieur des
terrains avoisinants. Peut-être même l'eau était-elle seulement troublée d'une manière insolite. Quoiqu'il en
soit, nous prévoyons encore la rigueur des hivers
[162]
par le vol des oiseaux, et nous pourrions prévoir certaines influences atmosphériques par l'inspection des
organes digestifs et respiratoires des animaux. Or, les perturbations physiques de l'atmosphère ont souvent
des causes morales. Les révolutions se traduisent en l'air par de grands orages, le souffle des peuples agite
le ciel. Le succès marche avec les courants électriques, et les couleurs de la lumière vivante reflètent les
mouvements de la foudre, «Il y a quelque chose dans l'air,» dit le peuple avec son instinct prophétique. Les
aruspices et les augures apprenaient à lire les caractères que trace partout la lumière, et à reconnaître les
marques des courants et des révolutions astrales. Ils savaient pourquoi les oiseaux volent isolés ou se
rassemblent, quelles influences les font aller vers le nord ou vers le midi, vers l'orient ou l'occident, et c'est
ce que nous ne savons plus, nous qui nous moquons des augures. Il est si facile de se moquer et si difficile
de bien apprendre.
C'est par suite de ce parti pris de dénigrer et de nier tout ce que nous ne comprenons pas, que des hommes
d'esprit, comme Fontenelle, et des savants, comme Kircher, ont écrit des choses si téméraires sur les
anciens oracles. Tout est manoeuvres et supercheries aux yeux de ces esprits forts. Ils inventent des statues
machinées, des porte-voix cachés, des échos ménagés dans les souterrains des temples. Pourquoi donc
calomnier toujours le sanctuaire? N'y aurait-il donc jamais eu que des fripons parmi les prêtres? Ne
pouvait-il se trouver parmi les hiérophantes de Cérès ou d'Apollon des hommes honnêtes et convaincus?
On trompait donc ceux-là comme les autres? Mais qui donc les trompait
[163]
constamment sans se trahir pendant une suite de siècles, car les fourbes ne sont pas immortels. Des
expériences récentes prouvent que les pensées peuvent se transmettre, se traduire en écriture et s'imprimer
par les seules forces de la lumière astrale. Des mains mystérieuses écrivent encore sur nos murs comme au
festin de Balthazar. Souvenons-nous de cette sage parole d'un savant qu'on n'accusera certainement ni de
fanatisme ni de crédulité: Arago disait qu'en dehors des mathématiques pures, celui qui prononce le mot
impossible, manque de prudence.
Le calendrier religieux de Numa est calqué sur celui des mages, c'est une série de fêtes et de mystères
rappelant toute la doctrine secrète des initiés et adaptant parfaitement les actes publics du culte aux lois
universelles de la nature. La disposition des mois et des jours est restée la même sous l'influence
conservatrice de la régénération chrétienne. Comme les Romains de Numa, nous sanctifions encore par
l'abstinence les jours consacrés au souvenir de la génération et de la mort; mais pour nous le jour de Vénus
est sanctifié par les expiations du calvaire. Le jour sombre de Saturne est celui où notre dieu incarné dort
dans sa tombe, mais il ressuscitera, et la vie qu'il nous promet, émoussera la faux de Chronos. Le mois que
les Romains consacraient à Maïa, la nymphe de la jeunesse et des fleurs, la jeune mère qui sourit aux
prémices de l'année, est voué par nous à Marie, la rose mystique, le lis de pureté, la céleste mère du
Sauveur. Ainsi nos usages religieux sont anciens comme le monde, nos fêtes ressemblent à celles de nos
pères, et le Sauveur des chrétiens n'est venu rien supprimer des beautés
[164]
symboliques et religieuses de l'ancienne initiation; il est venu, comme il le disait lui-même à propos de la
loi figurative des Israélites, tout réaliser et tout accomplir.
CHAPITRE VI.
DES SUPERSTITIONS.
Les superstitions sont des formes religieuses qui survivent aux idées perdues. Toutes ont eu pour raison
d'être une vérité qu'on ne sait plus ou qui s'est transfigurée. Leur nom, du latin superstes, signifie ce qui
survit: ce sont les restes matériels des sciences ou des opinions anciennes.
La multitude, toujours plutôt instinctive que pensante, s'attache aux idées par les formes, et change
difficilement d'habitudes. Lorsqu'on veut combattre les superstitions, il semble toujours au peuple qu'on
s'attaque à la religion même; aussi saint Grégoire, l'un des plus grands papes de la chrétienté, ne voulait-il
pas qu'on supprimât les usages. Purifiez les temples, écrivait-il à ses missionnaires, mais ne les détruisez
pas, «car, tant que la nation verra subsister ses anciens lieux de prière, elle s'y rendra par habitude et vous la
gagnerez plus facilement au culte du vrai Dieu.»
[165]
«Les Bretons, dit encore ce saint pape, font à certains jours des sacrifices et des festins, laissez-leur les
festins, ne supprimez que les sacrifices; laissez-leur la joie de leurs fêtes, mais de païenne qu'elle était,
rendez-la doucement et progressivement chrétienne.»
La religion garda presque les noms mêmes des coutumes pieuses qu'elle remplaçait par les saints mystères.
Ainsi les anciens célébraient tous les ans un banquet nommé les charisties; ils y invitaient les âmes de leurs
ancêtres et faisaient ainsi acte de foi en la vie universelle et immortelle. L'Eucharistie, c'est-à-dire la
charistie par excellence, a remplacé les charisties, et nous communions à Pâques avec tous nos amis de la
terre et du ciel. Loin de favoriser par de semblables progrès les anciennes superstitions, le christianisme
rendait l'âme et la vie aux signes survivants des croyances universelles.
La magie, cette science de la nature qui tient de si près à la religion, puisqu'elle initie les hommes aux
secrets de la divinité, la magie, cette science oubliée, vit encore tout entière dans les signes
hiéroglyphiques, et en partie dans les traditions vivantes ou superstitions qu'elle a laissées.
Ainsi, par exemple, l'observance des nombres et des jours est une réminiscence aveugle du dogme magique
primitif. Le vendredi, jour consacré à Vénus, était regardé par les anciens comme un jour funeste, parce
qu'il rappelle les mystères de la naissance et de la mort. On ne commençait rien ce jour-là chez les juifs,
mais on achevait tout le travail de la semaine parce qu'il précède le jour du sabbat ou du repos obligatoire.
Le nombre treize, qui vient après le cycle parfait de douze, représente aussi la mort
[166]
après les travaux de la vie. L'article du symbole israëlite relatif à la mort est le treizième. Par suite du
démembrement de la famille de Joseph en deux tribus, il se trouvait treize convives à la première pâque
d'Israël, dans la terre promise, c'est-à-dire treize tribus au partage des moissons de Chanaan. Une de ces
tribus fut exterminée, et ce fut celle de Benjamin, le plus jeune des enfants de Jacob. De là est venue cette
tradition que lorsqu'on est treize à table, le plus jeune doit bientôt mourir.
Les mages s'abstenaient de la chair de certains animaux et ne mangeaient pas de sang. Moïse mit leur
pratique en précepte, et dit, relativement au sang, que l'âme des animaux s'y trouve unie, et qu'il ne faut pas
se nourrir d'âmes animales. Ces âmes animales qui restent dans le sang sont comme un phosphore de
lumière astrale coagulée et corrompue qui peut devenir le germe d'un grand nombre de maladies; le sang
des animaux suffoqués se digère mal et prédispose aux apoplexies et aux cauchemars. La chair des
carnivores est également malsaine à cause des instincts féroces dont elle a été animée, et de ce qu'elle a déjà
absorbé de corruption et de mort.
«Lorsque l'âme d'un animal est séparée de son corps avec violence, dit Porphyre, elle ne s'en éloigne pas, et
comme les âmes humaines qu'une mort violente a fait périr, elle reste près de son corps. Lors donc qu'on
tue les animaux, leurs âmes se plaisent auprès des corps qu'on les a forcés de quitter. Rien ne peut les en
éloigner: elles y sont retenues par sympathie. On en a vu plusieurs qui gémissaient près de leurs corps.
Ainsi les âmes des hommes dont les corps ne sont point inhumés, restent
[167]
près de leurs cadavres; c'est de celles-là que les magiciens abusent pour leurs opérations, en les forçant de
leur obéir, lorsqu'ils sont les maîtres du corps mort soit en entier, soit en partie. Les théosophes qui sont
instruits de ces mystères, et qui savent quelle est la sympathie de l'âme des bêtes pour les corps dont elles
sont séparées et avec quel plaisir elles s'en approchent, ont avec raison défendu l'usage de certaines viandes,
afin que nous ne soyons pas infestés d'âmes étrangères.»
Porphyre ajoute qu'on peut devenir prophète en se nourrissant de coeurs de corbeaux, de taupes et
d'éperviers. Ici le théurgiste d'Alexandrie tombe dans les recettes du petit Albert; mais s'il arrive sitôt à la
superstition, c'est qu'il a promptement fait fausse route, car son point de départ était la science.
Les anciens, pour désigner les propriétés secrètes des animaux, disaient que les dieux à l'époque de la
guerre des géants avaient pris diverses formes pour se cacher, et qu'ils se plaisaient parfois à les reprendre.
Ainsi Diane se change en louve; le soleil en taureau, en lion, en dragon et en épervier; Hécate en cheval, en
lionne, en chienne. Le nom de Phérébate a été donné, suivant plusieurs théosophes, à Proserpine parce
qu'elle se nourrit de tourterelles. Les tourterelles sont l'offrande ordinaire que les prêtresses de Maïa font à
cette déesse qui est la Proserpine de la terre, la fille de la blonde Cérès, nourricière du genre humain. Les
initiés d'Éleusis doivent s'abstenir d'oiseaux domestiques, de poissons, de fèves, de pêches et de pommes;
ils ne touchent jamais une femme en couches ou qui a ses mois. Porphyre, à qui nous empruntons encore
tous ces détails, ajoute la phrase que voici:
[168]
«Quiconque a étudié la science des visions, sait que l'on doit s'abstenir de toutes sortes d'oiseaux si l'on veut
être délivré du joug des choses terrestres et trouver une place parmi les dieux du ciel.» Mais il n'en dit pas
la raison.
Suivant Euripide, les initiés au culte secret de Jupiter en Crète s'abstenaient de la chair des animaux. Voici
comment il fait parler ces prêtres; c'est le choeur qui s'adresse au roi Minos:
«Fils d'une Tyrienne de Phénicie, descendant d'Europe et du grand Jupiter, roi de l'île de Crète, fameuse par
cent villes; nous venons vers toi, en quittant les temples des dieux construits du bois des chênes et des
cyprès façonnés par le fer, nous menons une vie pure.--Depuis le temps que j'ai été fait prêtre de Jupiter
idéen, je ne prends plus de part aux repas nocturnes des bacchanales, et je ne mange plus les viandes
saignantes, mais j'offre des flambeaux à la mère des dieux: je suis prêtre parmi les curètes revêtus de blanc;
je m'éloigne du berceau des hommes, j'évite aussi leurs tombes, et je ne mange rien de ce qui a été animé
par le souffle de vie.»
La chair des poissons est phosphorescente, et par conséquent aphrodisiaque. Les fèves sont échauffantes et
font rêver creux. On trouverait sans doute une raison profonde à toutes les abstinences, même les plus
singulières, en dehors de toutes superstitions. Il est certaines combinaisons d'aliments qui sont contraires
aux harmonies de la nature. «Ne faites pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère,» disait Moïse;
prescription touchante comme allégorie et sage sous le rapport de l'hygiène.
[169]
Les Grecs comme les Romains, mais moins que les Romains, croyaient aux présages; ils regardaient les
serpents comme de bon augure lorsqu'ils goûtaient aux offrandes sacrées. S'il tonnait à droite ou gauche,
l'augure était favorable ou malheureux. Les éternuements étaient des présages, et ils observaient de même
certains autres accidents naturels aussi bruyants, mais moins honnêtes que l'éternuement. Dans l'hymne de
Mercure, Homère raconte qu'Apollon, auquel le dieu des voleurs, étant encore au berceau, venait de
dérober ses boeufs, prend l'enfant et le secoue pour lui faire avouer le larcin:
Chez les Romains tout était présage. Un caillou auquel le pied se heurtait, le cri d'une chouette, l'aboiement
d'un chien, un vase brisé, une vieille femme qui vous regardait la première, un animal qu'on rencontrait.
Ces vaines terreurs avaient pour principe cette grande science magique de la divination qui ne néglige
aucun indice et qui, d'un effet inaperçu du vulgaire,
[170]
remonte à une série de causes qu'elle enchaîne entre elles. Elle sait, par exemple, que les influences
atmosphériques qui font hurler le chien, sont mortelles pour certains malades; que la présence et le
tournoiement des corbeaux annoncent des cadavres abandonnés: ce qui est toujours de sinistre augure. Les
corbeaux fréquentent plus volontiers les régions du meurtre et du supplice. Le passage de certains oiseaux
annonce les hivers rigoureux, d'autres par des cris plaintifs sur la mer donnent le signal des tempêtes. Ce
que la science discerne, l'ignorance le remarque et le généralise. La première trouve partout d'utiles
avertissements; l'autre s'inquiète de tout et se fait peur à elle-même.
Les Romains étaient aussi grands observateurs de songes; l'art de les expliquer tient à la science de la
lumière vitale et à l'intelligence de sa direction et de ses reflets. Les hommes versés dans les mathématiques
transcendentales savent bien qu'il n'y a pas d'image sans lumière soit directe, soit reflétée, soit réfractée, et
par la direction du rayon dont ils sauront reconnaître le retour sous la brisure, ils parviendront toujours par
un calcul exact au foyer lumineux dont ils apprécieront la force universelle ou relative. Ils tiendront compte
aussi de l'état sain ou maladif de l'appareil visuel, soit extérieur, soit intérieur, auquel ils attribueront la
difformité ou la rectitude apparente des images. Les songes, pour ceux-là, seront toute une révélation. Le
songe est un semblant d'immortalité dans cette mort de toutes les nuits que nous appelons le sommeil. Dans
les rêves nous vivons de la vie universelle sans conscience de bien ou de mal, de temps ou d'espace. Nous
voltigeons sur les arbres,
[171]
nous dansons sur l'eau, nous soufflons sur les prisons et elles s'écroulent, ou bien nous sommes lourds,
tristes, poursuivis, enchaînés, suivant l'état de notre santé, et souvent aussi celui de notre conscience. Tout
cela sans doute est utile à observer, mais que peuvent en conclure ceux qui ne savent pas et qui ne veulent
rien apprendre?
L'action toute-puissante de l'harmonie pour exalter l'âme et la rendre maîtresse des sens, était bien connue
des anciens sages, mais ce qu'ils employaient pour calmer, les enchanteurs en firent usage pour exalter et
pour enivrer. Les sorcières de Thessalie et celles de Rome étaient convaincues de ceci: que la lune était
arrachée du ciel par les vers barbares qu'elles récitaient et venait tomber sur la terre toute pâle et toute
sanglante. La monotonie de leur récitation, les passes de leurs baguettes magiques, leurs tournoiements
autour des cercles les magnétisaient, les exaltaient, les amenaient progressivement jusqu'à la fureur, jusqu'à
l'extase, jusqu'à la catalepsie. Elles rêvaient alors tout éveillées et voyaient les tombeaux s'ouvrir, l'air se
charger de nuées de démons et la lune tomber du ciel.
La lumière astrale est l'âme vivante de la terre, âme matérielle et fatale, nécessitée dans ses productions et
dans ses mouvements par les lois éternelles de l'équilibre. Cette lumière qui entoure et pénètre tous les
corps peut en annuler la pesanteur et les faire tourner autour d'un centre puissamment absorbant. Des
phénomènes qu'on n'a pas assez examinés et qui se reproduisent de nos jours, ont prouvé la vérité de cette
théorie. C'est à cette loi naturelle qu'il faut attribuer les tourbillons magiques au centre desquels se plaçaient
les enchanteurs. C'est le secret de
[172]
la fascination exercée sur les oiseaux par certains reptiles et sur les natures sensitives par les natures
négatives et absorbantes; les mediums sont en général des êtres malades en qui le vide se fait, et qui attirent
alors la lumière comme les abîmes attirent l'eau des tourbillons. Les corps les plus lourds peuvent être alors
soulevés comme des pailles, et entraînés par le courant. Ces natures négatives et mal équilibrées, en qui le
corps fluidique est informe, projettent à distance leur force d'attraction et s'ébauchent en l'air des membres
supplémentaires et fantastiques. Lorsque le célèbre medium Home fait apparaître autour de lui des mains
sans corps, il a lui-même les mains mortes et glacées. On pourrait dire que les mediums sont des créatures
phénoménales en qui la mort lutte visiblement contre la vie. Il faut juger de même les fascinateurs, les
jeteurs de sort, les gens qui ont le mauvais oeil et les envoûteurs. Ce sont des vampires, soit volontaires,
soit involontaires; ils attirent la vie qui leur manque et troublent ainsi l'équilibre de la lumière. S'ils le font
volontairement, ce sont des malfaiteurs qu'il faut punir; s'ils le font involontairement, ce sont des malades
fort dangereux dont les personnes délicates et nerveuses surtout doivent soigneusement éviter le contact.
«Parmi ceux qui faisaient profession de philosophes, il y en avait un nommé Olympius, il était
d'Alexandrie; il avait été pendant quelque temps disciple d'Ammonius, il traita Plotin avec mépris parce
qu'il voulait avoir plus de réputation que lui. Il employa des cérémonies magiques pour lui nuire; mais
s'étant aperçu que son entreprise retombait sur lui-même, il convint
[173]
devant ses amis qu'il fallait que l'âme de Plotin fût bien puissante, puisqu'elle rétorquait sur ses ennemis
leurs mauvais desseins. Plotin sentait l'action hostile d'Olympius, et parfois il lui arriva de dire: «Voici
Olympius qui a maintenant des convulsions.» Celui-ci ayant éprouvé plusieurs fois qu'il souffrait lui-même
les maux qu'il voulait faire souffrir à Plotin, cessa enfin de le persécuter.»
L'équilibre est la grande loi de la lumière vitale: si nous la projetons avec violence, et qu'elle soit repoussée
par une nature mieux équilibrée que la nôtre, elle revient sur nous avec une violence égale. Malheur donc à
ceux qui veulent employer les forces naturelles au service de l'injustice, car la nature est juste et ses
réactions sont terribles.
CHAPITRE VII.
MONUMENTS MAGIQUES.
Nous avons dit que l'ancienne Égypte était un pantacle, et l'on pourrait en dire autant de l'ancien monde tout
entier. Plus les grands hiérophantes mettaient de soin à cacher leur science absolue, plus ils cherchaient à en
agrandir et à en multiplier les symboles. Les pyramides triangulaires et carrées par la base, représentaient
leur métaphysique basée sur la science de la nature. Cette science de la nature avait pour clef symbolique la
[174]
forme gigantesque de ce grand sphinx qui s'est creusé un lit profond dans le sable en veillant au pied des
pyramides. Les sept grands monuments appelés les merveilles du monde étaient les magnifiques
commentaires des sept lignes dont se composaient les pyramides, et des sept portes mystérieuses de
Thèbes. A Rhodes, était le pantacle du soleil. Le dieu de la lumière et de la vérité y apparaissait sous une
forme humaine revêtue d'or, il élevait dans sa main droite le phare de l'intelligence; dans sa main gauche, il
tenait la flèche du mouvement et de l'action. Ses pieds reposaient à droite à gauche sur des môles qui
représentaient les forces éternellement équilibrées de la nature, la nécessité et la liberté, le passif et l'actif,
le fixe et le volatil, les colonnes d'Hercule.
A Éphèse, était le pantacle de la lune: c'était le temple de la Diane panthée. Ce temple était fait à l'image de
l'univers: c'était un dôme sur une croix avec une galerie carrée et une enceinte circulaire comme le bouclier
d'Achille.
Le tombeau de Mausole était le pantacle de la Vénus pudique ou conjugale: il avait une forme lingamique.
Son enceinte était circulaire, son élévation carrée. Au centre du carré s'élevait une pyramide tronquée sur
laquelle était un char attelé de quatre chevaux disposés en croix.
Les pyramides étaient le pantacle d'Hermès ou de Mercure.
Le Jupiter olympien était celui de Jupiter; les murs de Babylone et la forteresse de Sémiramis étaient le
pantacle de Mars.
[175]
Enfin le temple de Salomon, ce pantacle universel et absolu qui devait dévorer tous les autres, était pour la
gentilité le pantacle terrible de Saturne.
Trois principes absolus qui n'en sont qu'un; quatre formes élémentaires qui n'en sont qu'une, formant un
tout unique composé d'idée et de forme.
En philosophie, identité de la raison et de la réalité; en religion, la Providence, l'action divine qui réalise le
bien; l'amour réciproque du vrai et du bien, ce que dans le christianisme nous appelons le Saint-Esprit.
Les quatre formes élémentaires étaient l'expression de deux lois fondamentales: la résistance et le
mouvement; l'inertie qui résiste ou le fixe, la vie qui agit ou le volatil; en d'autres termes plus généraux, la
matière et l'esprit: la matière était le néant formulé en affirmation passive; l'esprit était le principe de la
nécessité absolue dans le vrai. L'action négative du néant matériel sur l'esprit était appelée mauvais
principe; l'action
[176]
positive de l'esprit sur le néant pour le remplir de création et de lumière était appelée bon principe. A ces
deux conceptions correspondaient l'humanité d'une part, et de l'autre la vie raisonnable rédemptrice de
l'humanité conçue dans le péché, c'est-à-dire dans le néant, à cause de sa génération matérielle.
Telle était la doctrine de l'initiation secrète. Telle est l'admirable synthèse que le christianisme est venu
vivifier de son souffle, illuminer de ses splendeurs, établir divinement par son dogme, réaliser par ses
sacrements.
Synthèse qui a disparu sous le voile qui la conserve, mais que l'humanité retrouvera, quand le moment sera
venu, dans toute sa beauté primitive et dans toute sa maternelle fécondité!
[177]
LIVRE III.
SYNTHÈSE ET RÉALISATION DIVINE DU MAGISME
PAR LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE.
ג. Ghimel.
CHAPITRE PREMIER.
CHRIST ACCUSÉ DE MAGIE PAR LES JUIFS.
Dans les premières lignes de l'Évangile selon saint Jean, il y a une parole que l'Église catholique ne
prononce jamais sans fléchir les genoux. Cette parole, la voici: LE VERBE S'EST FAIT CHAIR.
Dans cette parole est contenue la révélation chrétienne tout entière. Aussi saint Jean donne-t-il pour
critérium d'orthodoxie la confession de Jésus-Christ en chair, c'est-à-dire en réalité visible et humaine.
Ézéchiel, le plus profond kabbaliste des anciens prophètes, après avoir vivement coloré dans ses visions les
pantacles et les hiéroglyphes de la science; après avoir fait tourner les roues dans les roues, allumé des yeux
vivants autour des sphères, fait
[178]
marcher en battant des ailes les quatre animaux mystérieux, Ézéchiel ne voit plus qu'une plaine couverte
d'ossements desséchés; il parle, et les formes reviennent, la chair couvre les os. Une triste beauté s'étend sur
les dépouilles de la mort, mais c'est une beauté froide et sans vie. Telles étaient les doctrines et les
mythologies du vieux monde, lorsqu'un souffle de charité descendit du ciel. Alors les formes mortes se
levèrent, les rêves philosophiques firent place à des hommes vraiment sages; la parole s'incarna et devint
vivante; il n'y eut plus d'abstractions, tout fut réel. La foi qui se prouve par les oeuvres remplaça les
hypothèses qui n'aboutissaient qu'à des fables. La magie se transforma en sainteté, les prodiges devinrent
des miracles, et les multitudes réprouvées par l'initiation antique furent appelées à la royauté et au
sacerdoce de la vertu.
La réalisation est donc l'essence de la religion chrétienne. Aussi son dogme donne-t-il un corps aux
allégories même les plus évidentes. On montre encore à Jérusalem la maison du mauvais riche, et peut-être
trouverait-on même, en cherchant bien, quelque lampe ayant appartenu aux vierges folles. Ces crédulités
naïves n'ont au fond rien de bien dangereux, et prouvent seulement la virtualité réalisatrice de la foi
chrétienne.
Les Juifs l'accusent d'avoir matérialisé les croyances et idéalisé les choses terrestres. Nous avons rapporté
dans notre Dogme et rituel de la haute magie la parabole assez ingénieuse du Sépher Toldos-Jeschut qui
prouve cette accusation. Dans le Talmud, ils racontent que Jésus Ben-Sabta, ou le fils de la Séparée, ayant
étudié en Egypte les mystères profanes, éleva en Israël une fausse pierre angulaire et entraîna le peuple
dans
[179]
l'idolâtrie. Ils reconnaissent toutefois que le sacerdoce Israélite a eu tort de le maudire des deux mains, et
c'est à cette occasion qu'on trouve dans le Talmud ce beau précepte qui rapprochera un jour Israël du
christianisme: «Ne maudissez jamais des deux mains, afin qu'il vous en reste toujours une pour pardonner
et pour bénir.»
Le sacerdoce juif fut en effet injuste envers ce paisible maître qui ordonnait à ses disciples d'obéir à la
hiérarchie constituée. «Ils sont assis dans la chaire de Moïse, disait le Sauveur, faites-donc ce qu'ils vous
disent, mais ne faites pas ce qu'ils font.» Un autre jour le Maître ordonne à dix lépreux d'aller se montrer
aux prêtres, et pendant qu'ils y allaient, ils furent guéris. Touchante abnégation du divin thaumaturge qui
renvoie à ses plus mortels ennemis l'honneur même de ses miracles!
D'ailleurs, pour accuser le Christ d'avoir posé une fausse pierre angulaire, savaient-ils bien eux-mêmes où
était alors la véritable? La pierre angulaire, la pierre cubique, la pierre philosophale, car tous ces noms
symboliques signifient la même chose, cette pierre fondamentale du temple kabbalistique, carrée par la
base et triangulaire au sommet comme les pyramides, les Juifs du temps des pharisiens n'en avaient-ils pas
perdu la science? En accusant Jésus d'être un novateur, ne dénonçaient-ils pas leur oubli de l'antiquité?
Cette lumière qu'Abraham avait vue avec des tressaillements de joie, n'était-elle pas éteinte pour les enfants
infidèles de Moïse, lorsque Jésus la retrouva et la fit briller d'une nouvelle splendeur? Pour en être certain,
il faut comparer avec l'Évangile et l'Apocalypse de saint Jean les mystérieuses doctrines du Sépher Jezirah
et du Sohar. On
[180]
comprendra alors que le christianisme, loin d'être une hérésie juive, était la vraie tradition orthodoxe du
judaïsme, et que les scribes et les pharisiens étaient seuls des sectaires.
D'ailleurs l'orthodoxie chrétienne est un fait prouvé par l'adhésion du monde et par la cessation chez les
Juifs du souverain sacerdoce et du sacrifice perpétuel, les deux marques certaines d'une véritable religion.
Le judaïsme sans temple, sans grand prêtre et sans sacrifice, n'existe plus que comme opinion
contradictoire. Quelques hommes sont restés juifs; le temple et l'autel sont devenus chrétiens.
On trouve dans les Évangiles apocryphes une belle exposition allégorique de ce critérium de certitude du
christianisme, qui consiste dans l'évidence de la réalisation. Quelques enfants s'amusaient à pétrir des
oiseaux d'argile, et l'enfant Jésus jouait avec eux. Chacun des petits artistes vantait exclusivement son
ouvrage. Jésus ne disait rien, mais quand il eut terminé ses oiseaux, il frappa des mains, leur dit: Volez! et
ils s'envolèrent. Voilà comment les institutions chrétiennes se sont montrées supérieures à celles de l'ancien
monde. Celles-ci sont mortes, et le christianisme a vécu.
Sans les clefs kabbalistiques, en effet, il est parfaitement inexplicable, puisqu'il est incompréhensible.
Nous lisons dans les Actes des apôtres, que saint Paul réunit à Éphèse tous les livres qui traitaient des
choses curieuses, et les brûla publiquement. Nul doute qu'il ne soit ici question des livres de la goétie ou
nigromancie des anciens. Cette perte est à regretter sans doute, car des monuments même de l'erreur
peuvent sortir des éclairs de vérité et des renseignements précieux pour la science.
Tout le monde sait qu'à la venue de Jésus-Christ, les oracles cessèrent dans tout le monde, et qu'une voix
cria sur la mer: «Le grand Pan est mort!» Un écrivain païen se fâche de ces assertions, et déclare que les
oracles ne cessèrent pas, mais qu'il ne se trouva bientôt plus personne pour les consulter. La rectification est
précieuse, et nous trouvons une telle justification plus concluante en vérité que la prétendue calomnie.
Il faut dire la même chose des prestiges, qui furent dédaignés quand se produisirent les vrais miracles; et en
effet si les lois supérieures de la nature obéissent à la vraie supériorité morale, les miracles deviennent
surnaturels comme les vertus qui les produisent. Notre théorie n'ôte rien à la puissance de Dieu, et la
lumière astrale obéissant à la lumière supérieure de la grâce représente réellement pour nous le serpent
allégorique qui vient poser sa tête vaincue sous le pied de la Reine du ciel.
[182]
CHAPITRE II.
VÉRITÉ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE.
SOMMAIRE.--Comment la magie rend témoignage de la vérité du christianisme.--L'esprit de charité, la
raison et la foi.--Vanité et ridicule des objections.--Pourquoi l'autorité du sacerdoce chrétien a dû
condamner la magie.--Simon le Magicien.
La magie, étant la science de l'équilibre universel et ayant pour principe absolu la vérité-réalité-raison de
l'être, rend compte de toutes les antinomies, et concilie toutes les réalités opposées entre elles par ce
principe générateur de toutes les synthèses: L'harmonie résulte de l'analogie des contraires.
Pour l'initié à cette science, la religion ne saurait être mise en question, puisqu'elle existe: on ne conteste
pas ce qui est.
L'opposition apparente de la religion à la raison fait la force de l'une et de l'autre, en les établissant dans
leur domaine distinct et séparé et en fécondant le côté négatif de chacune par le côté affirmatif de l'autre:
c'est, comme nous venons de le dire, l'harmonie par l'analogie des contraires. Ce qui a causé toutes les
erreurs et toutes les confusions religieuses, c'est que par suite de l'ignorance de cette grande loi, on a voulu
faire de la religion une philosophie et de la philosophie une religion; on a voulu soumettre les choses de la
foi aux procédés de la science, chose aussi ridicule que de soumettre la science
[183]
aux obéissances aveugles de la foi: il n'appartient pas plus à un théologien d'affirmer une absurdité
mathématique ou de nier la démonstration d'un théorème, qu'à an savant d'ergoter, au nom de la science,
pour ou contre les mystères du dogme.
Demandez à l'Académie des sciences s'il est mathématiquement vrai qu'il y a trois personnes en Dieu, et s'il
peut être constaté par le moyen des sciences que Marie, mère de Dieu, a été conçue sans péché?
L'Académie des sciences se récusera, et elle aura raison: les savants n'ont rien à voir là-dedans, cela est du
domaine de la foi.
On ne discute pas un article de foi, on le croit ou on ne le croit pas; mais il est de foi précisément parce qu'il
échappe à l'examen de la science.
Quand le comte de Maistre assure qu'on parlera un jour avec étonnement de notre stupidité actuelle, il fait
allusion sans doute à ces prétendus esprits forts qui viennent tous les jours vous dire:
C'est-à-dire, je croirai quand je n'aurai plus rien à croire, et que le dogme sera détruit comme dogme, en
devenant un théorème scientifique.
Cela veut dire en d'autres termes: je n'admettrai l'infini que lorsqu'il sera pour moi expliqué, déterminé,
circonscrit, défini; en un mot, fini.
Je croirai donc à l'infini quand je serai sûr que l'infini n'existe pas.
[184]
Mais, bonnes gens, ce qu'on vous a clairement prouvé et fait comprendre, vous ne le croyez plus, vous le
savez.
D'un autre côté, si l'on vous disait que le pape a décidé que deux et deux ne font pas quatre, et que le carré
de l'hypoténuse n'est pas égal aux carrés tracés sur les deux autres côtés d'un triangle rectangle, vous diriez
avec raison: Le pape n'a pas décidé cela, parce qu'il ne peut pas le décider. Cela ne le regarde pas, et il ne
s'en mêlera pas.
Tout beau, va s'écrier un disciple de Rousseau, l'Église nous ordonne de croire des choses formellement
contraires aux mathématiques.
Les mathématiques nous disent que le tout est plus grand que la partie. Or, quand Jésus-Christ a communié
avec ses disciples, il a dû tenir son corps entier dans sa main, et il a mis sa tête dans sa bouche. (Cette
pauvre plaisanterie se trouve textuellement dans Rousseau.)
Il est facile de répondre à cela, que le sophiste confond ici la science avec la foi, et l'ordre naturel avec
l'ordre surnaturel ou divin.
Si la religion disait que, dans la communion de la cène, notre Sauveur avait deux corps naturels de même
forme et de même grandeur, et que l'un a mangé l'autre, la science aurait droit de se récrier.
Mais la religion dit que le corps du Maître était divinement et sacramentellement contenu sous le signe ou
l'apparence naturelle d'un morceau de pain. Encore une fois, c'est à croire ou ne pas croire; mais quiconque
raisonnera là-dessus et voudra discuter scientifiquement la chose, méritera de passer pour un sot.
[185]
Le vrai en science se prouve par des démonstrations exactes; le vrai en religion se prouve par l'unanimité de
la foi et la sainteté des oeuvres.
Celui-là a le droit de remettre les péchés, dit l'Évangile, qui peut dire au paralytique: Lève-toi, et marche.
Le christianisme a-t-il constitué une société immense d'hommes ayant la hiérarchie pour principe,
l'obéissance pour règle et la charité pour loi? Voilà ce qu'il est permis de demander à la science.
Si la science répond d'après les documents historiques: Oui, mais ils ont manqué à la charité.
Je vous prends par vos propres paroles, pouvons-nous répondre aux interprètes de la science. Vous avouez
donc que la charité existe, puisqu'on peut y manquer?
La charité! grand mot et grande chose, mot qui n'existait pas avant le christianisme, chose qui est la vraie
religion tout entière!
L'esprit de charité n'est-il pas l'esprit divin rendu visible sur la terre?
Cet esprit n'a-t-il pas rendu son existence sensible par des actes, par des institutions, par des monuments,
par des oeuvres immortelles?
En vérité, nous ne concevons pas comment un incrédule de bonne foi peut voir une fille de Saint-Vincent
de Paul sans avoir envie de se mettre à genoux et de prier!
Les sectes séparées sont atteintes de mort dans leur principe, parce qu'elles ont manqué à la charité en se
séparant, et au plus simple bon sens en voulant raisonner sur la foi.
C'est dans ces sectes que le dogme est absurde, parce qu'il est soi-disant raisonnable. Alors ce doit être un
théorème scientifique, ou ce n'est rien. En religion, on sait que la lettre tue et que l'esprit seul vivifie; or, de
quel esprit peut-il être question ici, sinon de l'esprit de charité?
La foi qui transporte les montagnes et qui fait endurer le martyre, la générosité qui donne, l'éloquence qui
parle la langue des hommes et celle des anges, tout cela n'est rien sans la charité, dit saint Paul.
La science peut défaillir, ajoute le même apôtre, la prophétie peut cesser, la charité est éternelle.
La charité et ses oeuvres, voilà la réalité en religion: or, la raison véritable ne se refuse jamais à la réalité;
car la réalité, c'est la démonstration de l'être qui est la vérité.
C'est ainsi que la philosophie donne la main à la religion, sans jamais vouloir en usurper le domaine; et c'est
à cette condition que la religion bénit, encourage et illumine la philosophie de ses charitables splendeurs.
La charité est le lien mystérieux que rêvaient les initiés de l'Hellénie pour concilier Eros et Anteros. C'est
ce couronnement de la porte du temple de Solomon qui devait unir ensemble les deux colonnes Jakin et
Boaz; c'est la garantie mutuelle des
[187]
droits et des devoirs, de l'autorité et de la liberté, du fort et du faible, du peuple et du gouvernement, de
l'homme et de la femme; c'est le sentiment divin qui doit vivifier la science humaine; c'est l'absolu du bien,
comme le principe ÊTRE-RÉALITÉ-RAISON est l'absolu du vrai. Ces éclaircissements étaient nécessaires
pour faire bien comprendre ce beau symbole des mages adorant le Sauveur au berceau. Ils sont trois, un
blanc, un cuivré et un noir, et ils offrent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. La conciliation des contraires
est exprimée par ce double ternaire, et c'est précisément ce que nous venons d'expliquer.
Le christianisme, attendu par les mages, était en effet la conséquence de leur doctrine secrète; mais en
naissant, ce Benjamin de l'antique Israël devait donner la mort à sa mère.
La magie de lumière, la magie du vrai Zoroastre, de Melchisédech et d'Abraham, devait cesser à la venue
du grand réalisateur. Dans un monde de miracles les prodiges ne devaient plus être qu'un scandale,
l'orthodoxie magique s'était transfigurée en orthodoxie religieuse; les dissidents ne pouvaient plus être que
des illuminés et des sorciers; le nom même de la magie ne devait plus être pris qu'en mauvaise part, et c'est
sous cette malédiction que nous suivrons désormais les manifestations magiques à travers les âges.
Le premier hérésiarque dont fassent mention les traditions de l'Église fut un thaumaturge dont la légende
raconte une multitude de merveilles: c'était Simon le Magicien; son histoire nous appartient de droit, et
nous allons essayer de la retrouver parmi les fables populaires.
[188]
Simon était Juif de naissance, on croit qu'il était né au bourg de Gitton, dans le pays de Samarie. Il eut pour
maître de magie un sectaire nommé Dosithée qui se disait l'envoyé de Dieu et le Messie annoncé par les
prophètes. Simon apprit de ce maître non-seulement l'art des prestiges, mais encore certains secrets naturels
qui appartiennent réellement à la tradition secrète des mages: il possédait la science du feu astral, et l'attirait
autour de lui à grands courants, ce qui le rendait en apparence impassible et incombustible; il avait aussi le
pouvoir de s'élever et de se soutenir en l'air, toutes choses qui ont été faites sans aucune science, mais par
accident naturel, par des enthousiastes ivres de lumière astrale, tels que les convulsionnaires de Saint-
Médard, phénomènes qui se reproduisent de nos jours dans les extases des médiums. Il magnétisait à
distance ceux qui croyaient en lui et leur apparaissait sous diverses figures. Il produisait des images et des
reflets visibles au point de faire apparaître en pleine campagne des arbres fantastiques et imaginaires que
tout le monde croyait voir. Les choses naturellement inanimées se mouvaient autour de lui, comme font les
meubles autour de l'Américain Home, et souvent, lorsqu'il voulait entrer dans une maison ou en sortir, les
portes craquaient, s'agitaient et finissaient par s'ouvrir d'elles-mêmes.
Simon opéra ces merveilles devant les notables et le peuple de Samarie; on les exagéra encore, et le
thaumaturge passa pour un être divin. Or, comme il n'avait pu arriver à cette puissance que par des
excitations qui avaient troublé sa raison, il se crut lui-même un personnage tellement extraordinaire, qu'il
s'arrogea
[189]
sans façon les honneurs divins, et songea modestement à usurper les adorations du monde entier.
Ses crises ou ses extases produisaient sur son corps des effets extraordinaires. Tantôt on le voyait pâle,
flétri, brisé, semblable à un vieillard qui va mourir; tantôt le fluide lumineux ranimait son sang, faisait
briller ses yeux, tendait et adoucissait la peau de son visage, en sorte qu'il paraissait tout à coup régénéré et
rajeuni. Les Orientaux, grands amplificateurs de merveilles, prétendaient alors l'avoir vu passer de l'enfance
à la décrépitude, et revenir, suivant son bon plaisir, de la décrépitude à l'enfance. Enfin il ne fut bruit
partout que de ses miracles, et il devint l'idole des Juifs de Samarie et des pays environnants.
Mais les adorateurs du merveilleux sont généralement avides d'émotions nouvelles, et ils se fatiguent vite
de ce qui les a d'abord étonnés. L'apôtre saint Philippe étant venu prêcher l'Évangile à Samarie, il se fit un
nouveau courant d'enthousiasme qui fit perdre à Simon tout son prestige. Lui-même se sentit délaissé par sa
maladie, qu'il prenait pour une puissance; il se crut surpassé par des magiciens plus savants que lui, et prit
le parti de s'attacher aux apôtres pour étudier, surprendre ou acheter leur secret.
Simon n'était certainement pas initié à la haute magie; car elle lui aurait appris que pour disposer des forces
secrètes de la nature de manière à les diriger sans être brisé par elles, il faut être un sage et un saint; que
pour se jouer avec ces terribles armes sans les connaître, il faut être un fou, et qu'une mort prompte et
terrible attend les profanateurs du sanctuaire de la nature.
[190]
Simon était dévoré de la soif implacable des ivrognes: privé de ses vertiges, il croyait avoir perdu son
bonheur; malade de ses ivresses passées, il comptait se guérir en s'enivrant encore. On ne redevient pas
volontiers un simple mortel après s'être posé en dieu. Simon se soumit donc, pour retrouver ce qu'il avait
perdu, à toutes les rigueurs de l'austérité apostolique; il veilla, il pria, il jeûna, mais les prodiges ne
revenaient point.
Après tout, se dit-il un jour, entre Juifs on doit pouvoir s'entendre, et il proposa de l'argent à saint Pierre. Le
chef des apôtres le chassa avec indignation. Simon n'y comprenait plus rien, lui qui recevait si volontiers les
offrandes de ses disciples; il quitta au plus vite la société de ces hommes si désintéressés, et avec l'argent
dont saint Pierre n'avait pas voulu, il fit emplète d'une femme esclave nommée Hélène.
Les divagations mystiques sont toujours voisines de la débauche. Simon devint éperdûment épris de sa
servante; la passion, en l'affaiblissant et en l'exaltant, lui rendit ses catalepsies et ses phénomènes morbides
qu'il appelait sa puissance et ses miracles. Une mythologie pleine de réminiscences magiques mêlées à des
rêves érotiques sortit tout armée de son cerveau; il se mit alors à voyager comme les apôtres, traînant après
lui son Hélène, dogmatisant et se faisant voir à ceux qui voulaient l'adorer et sans doute aussi le payer.
Suivant Simon, la première manifestation de Dieu avait été une splendeur parfaite qui produisit
immédiatement son reflet. Ce soleil des âmes c'était lui, et son reflet c'était Hélène, qu'il affectait d'appeler
Sélène, nom qui en grec signifie la lune.
[191]
Or, la lune de Simon était descendue au commencement des siècles sur la terre que Simon avait ébauchée
dans ses rêves éternels; elle y devint mère, car la pensée de son soleil l'avait fécondée, et elle mit au monde
les anges qu'elle éleva pour elle seule et sans leur parler de leur père.
Il devait y vaincre la mort et emmener vivante à travers les airs son Hélène, suivie du choeur triomphant de
ses élus. Le reste des hommes serait abandonné sur la terre à la tyrannie éternelle des anges.
Ainsi cet hérésiarque, plagiaire du christianisme, mais en sens inverse, affirmait le règne éternel de la
révolte et du mal, faisait créer ou du moins achever le monde par les démons, détruisait l'ordre et la
hiérarchie pour se poser seul avec sa concubine comme étant la voie, la vérité et la vie. C'était le dogme de
l'Antéchrist; et il ne devait pas mourir avec Simon, il s'est perpétué jusqu'à nos jours; et les traditions
prophétiques du christianisme affirment même qu'il doit avoir son règne d'un moment et son triomphe,
avant-coureur des plus terribles calamités.
Simon se faisait appeler saint, et, par une étrange coïncidence, le chef d'une secte gnostique moderne, qui
rappelle tout le mysticisme sensuel du premier hérésiarque, l'inventeur de la femme libre, se nommait aussi
Saint-Simon. Le caïnisme, tel
[192]
est le nom qu'on pourrait donner à toutes les fausses révélations émanées de cette source impure. Ce sont
des dogmes de malédiction et de haine contre l'harmonie universelle et contre l'ordre social; ce sont les
passions déréglées affirmant le droit au lieu du devoir; l'amour passionnel, au lieu de l'amour chaste et
dévoué; la prostituée, au lieu de la mère; Hélène, la concubine de Simon, au lieu de Marie, mère du
Sauveur.
Simon devint un personnage et se rendit à Rome, où l'empereur, curieux de tous les spectacles
extraordinaires, était disposé à l'accueillir: cet empereur était Néron.
L'illuminé Juif étonna le fou couronné par un tour devenu commun sur nos théâtres d'escamoteurs. Il se fit
trancher la tête, puis vint saluer l'empereur avec sa tête sur les épaules; il fit courir les meubles, ouvrir les
portes; il se comporta enfin comme un véritable médium, et devint le sorcier ordinaire des orgies
néroniennes et des festins de Trimalcyon.
Suivant les légendaires, ce fut pour préserver les Juifs de Rome de la doctrine de Simon, que saint Pierre se
rendit dans cette capitale du monde. Néron apprit bientôt par ses espions de bas étage qu'un nouveau
thaumaturge israélite était arrivé pour faire la guerre à son enchanteur. Il résolut de les mettre en présence
et de s'amuser du conflit. Pétrone et Tigellin étaient peut-être de la fête.
«Que la paix soit avec vous! dit en entrant le prince des apôtres.
--Nous n'avons que faire de ta paix, répondit Simon, c'est par la guerre que la vérité se découvre. La paix
entre adversaires, c'est le triomphe de l'un et la défaite de l'autre.»
[193]
Saint Pierre reprit:
«Pourquoi refuses-tu la paix? Ce sont les vices des hommes qui ont créé la guerre; la paix accompagne
toujours la vertu.
--La vertu, c'est la force et le savoir-faire, dit Simon. Moi, j'affronte le feu, je m'élève dans les airs, je
ressuscite les plantes, je change la pierre en pain; et toi, que fais-tu?
--Je prie pour toi, dit saint Pierre, afin que tu ne périsses pas victime de tes prestiges.
--Garde tes prières: elles ne monteront pas aussitôt que moi vers le ciel.
Et voilà le magicien qui s'élance par une fenêtre, et qui s'élève dans les airs. Avait-il quelque appareil
aérostatique sous ses longs vêtements ou s'élevait-il, comme les convulsionnaires du diacre Paris, par une
exaltation de lumière astrale, c'est ce que nous ne saurions dire. Pendant ce temps saint Pierre était à
genoux et priait; tout à coup Simon pousse un grand cri et tombe: on le releva avec les cuisses brisées. Et
Néron fit emprisonner saint Pierre, qui lui semblait être un magicien moins divertissant que Simon; celui-ci
mourut de sa chute. Toute cette histoire, qui remonte aux rumeurs populaires de ce temps-là, est maintenant
reléguée peut-être à tort parmi les légendes apocryphes. Elle n'en est pas moins remarquable et digne d'être
conservée.
La secte de Simon ne s'éteignit pas avec lui, il eut pour successeur un de ses disciples, nommé Ménandre.
Celui-ci ne se disait pas dieu, il se contentait du rôle de prophète; lorsqu'il baptisait ses prosélytes, un feu
visible descendait sur l'eau; il
[194]
leur promettait l'immortalité de l'âme et du corps au moyen de ce bain magique, et il y avait encore, du
temps de saint Justin, des ménandriens qui se croyaient fermement immortels. La mort des uns ne
désabusait pas les autres, car le défunt était immédiatement excommunié et considéré comme un faux frère.
Les ménandriens regardaient la mort comme une véritable apostasie et complétaient leur phalange
immortelle en enrôlant de nouveaux prosélytes. Ceux qui savent jusqu'où peut aller la folie humaine, ne
s'étonneront pas si nous leur apprenons qu'en cette année même 1858, il existe encore en Amérique et en
France des continuateurs fanatiques de la secte des ménandriens.
La qualification de magicien ajoutée au nom de Simon fit prendre en horreur la magie par les chrétiens;
mais on n'en continua pas moins à honorer le souvenir des rois mages qui avaient adoré le Sauveur dans son
berceau.
CHAPITRE III.
DU DIABLE.
SOMMAIRE.--Son origine; ce qu'il est suivant la foi et suivant la science.--Satan, ses pompes et ses
oeuvres.--Les possédés de l'Évangile.--Le vrai nom du diable, suivant la kabbale et d'après les confessions
des énergumènes.--Généalogie infernale.--Le bouc du sabbat.--L'ancien serpent et le faux Lucifer.
Le christianisme, en formulant nettement la conception divine, nous fait comprendre Dieu comme l'amour
le plus pur et le plus absolu, et définit nettement l'esprit opposé à Dieu. C'est l'esprit d'opposition et de
haine, c'est Satan. Mais cet esprit
[195]
n'est pas un personnage, et il ne faut pas le comprendre comme une espèce de dieu noir; c'est une perversité
commune à toutes les intelligences dévoyées. «Je me nomme Légion, dit-il dans l'Évangile, parce que nous
sommes une multitude.»
L'intelligence naissante peut être comparée à l'étoile du matin, et si elle tombe volontairement dans les
ténèbres après avoir brillé un instant, on peut lui appliquer cette apostrophe d'Isaïe au roi de Babylone:
«Comment es-tu tombé du ciel, beau Lucifer, brillante étoile du matin!» Mais est-ce à dire pour cela que le
Lucifer céleste, que l'étoile matinale de l'intelligence divine soit devenue un flambeau de l'enfer? Le nom
de porte-lumière est-il justement donné à l'ange des égarements et des ténèbres? Nous ne le pensons pas, à
moins qu'on n'entende comme nous, et suivant les traditions magiques, par l'enfer personnifié en Satan et
figuré par l'ancien serpent, ce feu central qui s'enroule autour de la terre, dévorant tout ce qu'il produit et se
mordant la queue comme le serpent de Chronos, cette lumière astrale dont le Seigneur parlait lorsqu'il disait
à Caïn: «Si tu fais le mal, le péché sera aussitôt à tes portes, c'est-à-dire le désordre s'emparera de tous tes
sens; mais je t'ai soumis la convoitise de la mort, et c'est à toi de lui commander.»
La personnification royale et presque divine de Satan est une erreur qui remonte au faux Zoroastre, c'est-à-
dire au dogme altéré des seconds mages, les mages matérialistes de la Perse; ils avaient changé en dieux les
deux pôles du monde intellectuel, et de la force passive ils avaient fait une divinité opposée à la force
active. Nous avons signalé dans la mythologie de l'Inde la même monstrueuse erreur.
[196]
Arimanes ou Schiva, tel est le père du démon, comme le comprennent les légendaires superstitieux, et c'est
pour cela que le Sauveur disait: «Le diable est menteur comme son père.»
L'Église, sur cette question, s'en rapporte aux textes de l'Évangile, et n'a jamais donné de décisions
dogmatiques dont la définition du diable fût l'objet. Les bons chrétiens évitent même de le nommer, et les
moralistes religieux recommandent à leurs fidèles de ne pas s'occuper de lui, mais de lui résister en ne
pensant qu'à Dieu.
Nous ne pouvons qu'admirer cette sage réserve de l'enseignement sacerdotal. Pourquoi, en effet, prêterait-
on la lumière du dogme à celui qui est l'obscurité intellectuelle et la nuit la plus sombre du coeur? Qu'il
reste inconnu, cet esprit qui veut nous arracher à la connaissance de Dieu!
Nous ne prétendons pas ici faire ce que n'a pas fait l'Église, nous constatons seulement sur ce sujet quel fut
l'enseignement secret des initiés aux sciences occultes.
Ils disaient que le grand agent magique, justement appelé Lucifer, parce qu'il est le véhicule de la lumière et
le réceptacle de toutes les formes, est une force intermédiaire répandue dans toute la création; qu'elle sert à
créer et à détruire, et que la chute d'Adam a été une ivresse érotique qui a rendu sa génération esclave de
cette lumière fatale; que toute passion amoureuse qui envahit les sens est un tourbillon de cette lumière qui
veut nous entraîner vers le gouffre de la mort; que la folie, les hallucinations, les visions, les extases, sont
une exaltation très dangereuse de ce phosphore intérieur; que cette lumière enfin est de la nature du feu,
dont l'usage intelligent
[197]
échauffe et vivifie, dont l'excès au contraire brûle, dissout et anéantit.
L'homme serait appelé à prendre un souverain empire sur cette lumière et à conquérir par ce moyen son
immortalité, et menacé en même temps d'être enivré, absorbé et détruit éternellement par elle.
Cette lumière, en tant que dévorante, vengeresse et fatale, serait le feu de l'enfer, le serpent de la légende; et
l'erreur tourmentée dont alors elle serait pleine, les pleurs et le grincement de dents des êtres avortés qu'elle
dévore, le fantôme de la vie qui leur échappe, et semble insulter à leur supplice, tout cela serait le diable ou
Satan.
Les actions mal dirigées par le vertige de la lumière astrale, les mirages trompeurs de plaisir, de richesse et
de gloire dont les hallucinations sont pleines, seraient les pompes et les oeuvres de l'enfer.
Le père Hilarion Tissot croit que toutes les maladies nerveuses accompagnées d'hallucinations et de délire
sont des possessions du diable, et en comprenant les choses dans le sens des kabbalistes, il aurait
pleinement raison.
Tout ce qui livre notre âme à la fatalité des vertiges est vraiment infernal, puisque le ciel est le règne éternel
de l'ordre, de l'intelligence et de la liberté.
Les possédés de l'Évangile fuyaient devant Jésus-Christ, les oracles se taisaient devant les apôtres, et les
malades d'hallucinations ont toujours manifesté une répugnance invincible pour les initiés et les sages.
La cessation des oracles et des possessions était une preuve du triomphe de la liberté humaine sur la
fatalité. Quand les
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maladies astrales se montrent de nouveau, c'est un signe funeste qui annonce l'affaiblissement des âmes.
Des commotions fatales suivent toujours ces manifestations. Les convulsions durèrent jusqu'à la révolution
française, et les fanatiques de Saint-Médard en avaient prédit les sanglantes calamités.
Le célèbre criminaliste Torreblanca, qui a étudié à fond les questions de magie diabolique, en décrivant les
opérations du démon, décrit précisément tous les phénomènes de perturbation astrale. Voici quelques
numéros du sommaire de son chapitre XV de la Magie opératrice:
1. L'effort continuel du démon est tendu pour nous pousser dans l'erreur.
2. Le démon trompe les sens en troublant l'imagination, dont il ne saurait pourtant changer la nature.
3. Des apparences qui frappent la vue de l'homme se forme immédiatement un corps imaginaire dans
l'entendement, et tant que dure le fantôme, les apparences l'accompagnent.
4. Le démon détruit l'équilibre de l'imagination par le trouble des fonctions vitales, soit maladie, soit
irrégularité dans la santé.
5 et 6. Quand l'équilibre de l'imagination et de la raison est détruit par une cause morbide, on rêve tout
éveillé, et l'on peut voir avec une apparence réelle ce qui n'existe réellement pas.
7. La vue cesse d'être juste quand l'équilibre est troublé dans la perception mentale des images.
10. Les visions sortent de nous et sont des reflets de notre propre image.
[199]
11. Les anciens connaissaient deux maladies qu'ils nommaient, l'une frénésie (φρενιτις), l'autre
corybantisme (κορυβαντιάσµος), dont l'une fait voir des formes imaginaires, l'autre fait entendre des voix et
des sons qui n'existent pas, etc.
Il résulte de ces assertions, d'ailleurs fort remarquables, que Torreblanca attribue les maladies au démon, et
que par le démon il entend la maladie elle-même; ce que nous entendrions bien volontiers avec lui si
l'autorité dogmatique le permettait.
Les efforts continuels de la lumière astrale pour dissoudre et absorber les êtres appartiennent à sa nature
même; elle ronge comme l'eau, à cause de ses courants continuels; elle dévore comme le feu, parce qu'elle
est l'essence même du feu et sa force dissolvante.
L'esprit de perversité et l'amour de la destruction chez les êtres qu'elle domine n'est que l'instinct de cette
force. C'est aussi un résultat de la souffrance de l'âme qui vit d'une vie incomplète et se sent déchirée par
des tiraillements en sens contraires. Elle aspire à en finir, et craint cependant de mourir seule, elle voudrait
donc anéantir avec elle la création tout entière.
Cette perversité astrale se manifeste ordinairement par la haine des enfants. Une force inconnue porte
certains malades à les tuer, des voix impérieuses demandent leur mort. Le docteur Brierre de Boismont cite
des exemples terribles de cette manie qui nous rappelle les crimes de Papavoine et d'Henriette Cornier 11.
Note 11: (retour) Histoire des hallucinations, 2e édition, 1853.
Les malades de perversion astrales sont malveillants et s'attristent de la joie des autres. Ils ne veulent pas
surtout
[200]
qu'on espère; ils savent trouver les paroles les plus navrantes et les plus désespérantes, même lorsqu'ils
cherchent à consoler, parce que la vie est pour eux une souffrance et parce qu'ils ont le vertige de la mort.
C'est aussi la perversion astrale et l'amour de la mort qui font abuser des oeuvres de la génération, qui
portent à en pervertir l'usage ou à les flétrir par des moqueries sacriléges et des plaisanteries honteuses.
L'obscénité est un blasphème contre la vie.
Chacun de ces vices s'est personnifié en une idole noire ou un démon qui est une image négative et
défigurée de la divinité qui donne la vie; ce sont les idoles de la mort.
Bélial, celui de la révolte éternelle et de l'anarchie. Conceptions funèbres d'une raison près de s'éteindre qui
adore lâchement son bourreau pour obtenir de lui qu'il fasse cesser son supplice en achevant de la dévorer!
Le vrai nom de Satan, disent les kabbalistes, c'est le nom de Jéhovah renversé, car Satan n'est pas un dieu
noir, c'est la négation de Dieu. Le diable est la personnification de l'athéisme ou de l'idolâtrie.
Pour les initiés, ce n'est pas une personne, c'est une force créée pour le bien, et qui peut servir au mal; c'est
l'instrument de la liberté. Ils représentaient cette force qui préside à la
[201]
génération physique sous la forme mythologique et cornue du dieu Pan; de là est venu le bouc du sabbat, le
frère de l'ancien serpent, et le porte-lumière ou phosphore dont les poëtes on fait le faux Lucifer de la
légende.
CHAPITRE IV.
DES DERNIERS PAÏENS.
Le miracle éternel de Dieu, c'est l'ordre immuable de sa providence dans les harmonies de la nature; les
prodiges sont des désordres et ne doivent être attribués qu'aux défaillances de la créature. Le miracle divin
est donc une réaction providentielle pour rétablir l'ordre troublé. Lorsque Jésus guérissait les possédés, il les
calmait et faisait cesser leurs actes merveilleux; lorsque les apôtres apaisaient l'exaltation des pythonisses,
ils faisaient cesser la divination. L'esprit d'erreur est un esprit d'agitation et de subversion; l'esprit de vérité
porte partout avec lui le calme et la paix.
Telle fut l'action civilisatrice du christianisme naissant; mais les passions amies du trouble ne devaient pas
lui laisser sans combats la palme de sa facile victoire. Le polythéisme expirant demanda des forces à la
magie des anciens sanctuaires; aux mystères de l'Évangile on opposa encore ceux d'Éleusis.
[202]
Apollonius de Tyane fut mis en parallèle avec le Sauveur du monde; Philostrate se chargea de faire une
légende à ce dieu nouveau, puis vint l'empereur Julien, qui eût été adoré si le javelot qui le tua n'avait en
même temps porté le dernier coup à l'idolâtrie césarienne; la renaissance violente et surannée d'une religion
morte dans ses formes fut un véritable avortement, et Julien dut périr avec l'enfant décrépit qu'il s'efforçait
de remettre au monde.
Ce n'en furent pas moins deux grands et curieux personnages que cet Apollonius et ce Julien, et leur
histoire fait époque dans les annales de la magie.
En ce temps-là, les légendes allégoriques étaient à la mode; les maîtres incarnaient leur doctrine dans leur
personne, et les disciples initiés écrivaient des fables qui renfermaient les secrets de l'initiation. L'histoire
d'Apollonius par Philostrate, absurde si l'on veut la prendre à la lettre, est très curieuse si l'on veut, d'après
les données de la science, en examiner les symboles. C'est une sorte d'évangile païen opposé aux Évangiles
du christianisme; c'est toute une doctrine secrète qu'il nous est donné d'expliquer et de reconstruire.
Ainsi, le chapitre premier du livre troisième de Philostrate est consacré à la description de l'Hyphasis,
fleuve merveilleux qui prend sa source dans une plaine et se perd dans des régions inaccessibles.
L'Hyphasis représente la science magique, dont les premiers principes sont simples et les conséquences très
difficiles à bien déduire. Les mariages sont inféconds dit Philostrate, s'ils ne sont pas consacrés avec le
baume des arbres qui croissent aux bords de l'Hyphasis.
Par les poissons du fleuve Hyphasis, Apollonius entend la configuration universelle, bleue d'un côté,
multicolore au centre, dorée à l'autre pôle, comme les expériences magnétiques nous l'ont récemment fait
connaître. Le ver blanc de l'Hyphasis c'est la lumière astrale, qui, condensée par un triple feu, se résoud en
une huile qui est la médecine universelle. On ne peut garder cette huile que dans du verre, parce que le
verre n'est pas conducteur de la lumière astrale, ayant peu de porosité; ce secret est gardé pour le roi, c'est-
à-dire pour l'initié du premier ordre, car il s'agit d'une force capable de renverser des villes. Les grands
secrets sont indiqués ici avec la plus grande clarté.
Dans le chapitre suivant, Philostrate parle des licornes. Il dit qu'on fait de leur corne des gobelets dans
lesquels on doit boire pour se préserver de tous les poisons. La corne unique de la licorne représente l'unité
hiérarchique: aussi, dit Philostrate, d'après Damis, ces gobelets sont réservés pour les rois. Heureux, dit
Apollonius, celui qui ne s'enivrerait jamais qu'en buvant dans un pareil verre!
[204]
Damis dit aussi qu'Apollonius trouva une femme blanche jusqu'au sein et noire depuis le sein jusqu'en haut.
Ses disciples étaient effrayés de ce prodige; mais Apollonius, qui savait ce qu'elle était, lui tendit la main.
C'est, dit-il, la Vénus des Indes, et ses deux couleurs sont celles du boeuf Apis adoré des Égyptiens. Cette
femme noire et blanche, c'est la science magique dont les membres blancs, c'est-à-dire les formes créées,
révèlent la tête noire, c'est-à-dire la cause suprême ignorée des hommes. Philostrate et Damis le savaient
bien, et sous ces emblèmes ils écrivaient avec discrétion la doctrine d'Apollonius. Les chapitres V, VI, VII,
VIII, IX et X du troisième livre de la Vie d'Apollonius par Philostrate, contiennent le secret du grand
oeuvre. Il s'agit des dragons qui défendent l'abord du palais des sages. Il y a trois sortes de dragons: ceux
des marais, ceux de la plaine et ceux de la montagne. La montagne, c'est le soufre; le marais, c'est le
mercure; la plaine, c'est le sel des philosophes. Les dragons de la plaine ont sur le dos des pointes en forme
de scie, c'est la puissance acide du sel. Les dragons des montagnes ont les écailles de couleur dorée, ils ont
une barbe d'or, et en rampant ils font un bruit semblable au tintement du cuivre; ils ont dans la tête une
pierre qui opère tous les miracles; ils se plaisent au bord de la mer Rouge, et on les prend au moyen d'une
étoffe rouge sur laquelle sont brodées des lettres d'or; ils reposent la tête sur ces lettres enchantées et
s'endorment, on leur coupe alors la tête avec une hache. Qui ne reconnaît ici la pierre des philosophes, le
magistère au rouge, et le fameux regimen ignis, ou gouvernement du feu, exprimé par les lettres d'or? Sous
le nom de citadelle des
[205]
sages, Philostrate décrit ensuite l'Athanor. C'est une colline toujours entourée d'un brouillard, ouverte du
côté méridional; elle contient un puits large de quatre pas, d'où sort une vapeur azurée qui monte par la
chaleur du soleil en déployant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel; le fond du puits est sablé d'arsenic rouge;
près du puits est un bassin plein de feu, d'où sort une flamme plombée, sans odeur et sans fumée, qui n'est
jamais plus haute ni plus basse que les bords du bassin; là se trouvent aussi deux récipients de pierre noire
contenant l'un la pluie et l'autre le vent. Quand la sécheresse est excessive, on ouvre le tonneau de la pluie,
et il en sort des nuages qui humectent tout le pays. On ne saurait décrire plus exactement le feu secret des
philosophes et ce qu'ils nomment leur bain-marie. On voit par ce passage que les anciens alchimistes, dans
leur grand oeuvre, employaient l'électricité, le magnétisme et la vapeur.
Philostrate parle ensuite de la pierre philosophale, qu'il nomme indifféremment pierre ou lumière. «Il n'est
permis à aucun profane de la chercher, car elle s'évanouit, si l'on ne sait pas la prendre avec les procédés de
l'art. Les sages seuls, au moyen de certaines paroles et de certains rites, peuvent trouver la pantarbe, c'est le
nom de cette pierre, qui de nuit a l'apparence d'un feu, étant enflammée et étincelante; et si on la regarde de
jour, elle éblouit. Cette lumière est une matière subtile d'une force admirable, car elle attire tout ce qui est
proche.» (Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane, livre III, chapitre XLVI.)
Cette révélation des doctrines secrètes d'Apollonius prouve que la pierre philosophale n'est autre chose
qu'un aimant universel
[206]
formé de lumière astrale condensée et fixée autour d'un centre. C'est un phosphore artificiel dont tant
d'allégories et de traditions ne sauraient laisser l'existence douteuse, et dans lequel se concentrent toutes les
vertus de la chaleur génératrice du monde.
Toute la vie d'Apollonius écrite par Philostrate, d'après Damis l'Assyrien, est un tissu d'apologues et de
paraboles; c'était la mode alors d'écrire ainsi la doctrine cachée des grands initiateurs. On ne doit donc pas
s'étonner de ce que ce récit contient des fables, mais sous l'allégorie de ces fables il faut trouver et
comprendre la science occulte des hiérophantes.
Malgré sa grande science et ses brillantes vertus, Apollonius n'était pas le continuateur de l'école
hiérarchique des mages. Son initiation venait des Indes, et il se livrait pour s'inspirer aux pratiques
énervantes des brahmes; il prêchait ouvertement la révolte et le régicide: c'était un grand caractère égaré.
La figure de l'empereur Julien nous parait plus poétique et plus belle que celle d'Apollonius. Julien porta
sur le trône du monde toute l'austérité d'un sage; il voulait transfuser la jeune sève du christianisme au corps
de l'hellénisme vieilli. Noble insensé coupable seulement de trop aimer les souvenirs de la patrie et les
images des dieux de ses pères. Julien, pour contre-balancer la puissance réalisatrice du dogme chrétien,
appela aussi la magie noire à son aide, et s'enfonça, à la suite de Jamblique et de Maxime d'Éphèse, dans de
ténébreuses évocations; ses dieux, dont il voulait ressusciter la beauté et la jeunesse, lui apparurent vieux et
décrépits, inquiets de la vie et de la lumière et prêts à fuir devant le signe de la croix!
[207]
C'était fait pour toujours de l'hellénisme, le Galiléen avait vaincu. Julien mourut en héros, sans blasphémer
son vainqueur, comme on l'a faussement prétendu. Ses derniers moments, qu'Ammien Marcellin nous
raconte assez au long, furent ceux d'un guerrier et d'un philosophe; les malédictions du sacerdoce chrétien
retentirent longtemps sur sa tombe, et cependant le Sauveur, qui doit tant aimer les nobles âmes, n'a-t-il pas
pardonné à des adversaires moins intéressants et moins généreux que Julien?
Après la mort de cet empereur, l'idolâtrie et la magie furent enveloppées dans une même réprobation
universelle. C'est alors que prirent naissance ces sociétés secrètes d'adeptes auxquelles se rallièrent plus
tard les gnostiques et les manichéens; sociétés dépositaires d'une tradition mélangée de vérités et d'erreurs,
mais qui se transmettaient, sous le sceau du serment le plus terrible, le grand arcane de l'ancienne toute-
puissance et les espérances toujours trompées des cultes éteints et des sacerdoces déchus.
CHAPITRE V.
DES LÉGENDES.
SOMMAIRE.--La légende de saint Cyprien et de sainte Justine.--L'oraison de saint Cyprien.--L'âne d'or
d'Apulée.--La fable de Psyché.--La procession d'Isis.--Étrange supposition de saint Augustin.--Philosophie
des Pères de l'Église.
Un des récits de cette légende pleine de mystères caractérise le conflit de la magie et du christianisme
naissant d'une manière tout à fait dramatique et saisissante. C'est comme une ébauche anticipée des Martyrs
de Chateaubriand et du Faust de Goethe fondus ensemble.
Justine était une jeune et belle vierge païenne, fille d'un prêtre des idoles, le type de Cymodocée. Sa fenêtre
s'ouvrait sur une cour voisine de l'église des chrétiens; tous les jours elle entendait la voix pure et recueillie
d'un diacre lire tout haut les saints Évangiles. Cette parole inconnue toucha et remua son coeur, si bien
qu'un soir sa mère la voyant pensive et la pressant de lui confier les préoccupations de son âme, Justine se
jeta à ses pieds en lui disant: «Mère, bénissez-moi ou pardonnez-moi, je suis chrétienne.»
La mère pleura en embrassant sa fille, et alla rejoindre son époux, à qui elle confia ce qu'elle venait
d'apprendre.
Ils s'endormirent ensuite et eurent tous deux le même rêve. Une lumière divine descendait sur eux, et une
voix douce les appelait
[209]
en leur disant: «Venez à moi, vous qui êtes affligés et je vous consolerai; venez, les bien-aimés de mon
père, et je vous donnerai le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde.
Le matin venu, le père et la mère bénirent leur fille. Tous trois se firent inscrire au nombre des
Catéchumènes, et, après les épreuves d'usage, ils furent admis au saint baptême.
Justine revenait blanche et radieuse de l'Église entre sa mère et son vieux père, lorsque deux hommes
sombres, enveloppés dans leur manteau, passèrent comme Faust et Méphistophélès près de Marguerite:
c'étaient le magicien Cyprien et son disciple Acladius. Les deux hommes s'arrêtèrent éblouis par cette
apparition, Justine passa sans les voir et rentra chez elle avec sa famille.
La scène change, nous sommes dans le laboratoire de Cyprien, des cercles sont tracés, une victime égorgée
palpite près d'un réchaud fumant; debout devant le magicien apparaît le génie des ténèbres.
--Séduis-la.
--Dénonce-la.
--Je veux la posséder et non la perdre; peux-tu quelque chose pour moi?
--J'ai séduit Ève, qui était innocente et qui s'entretenait tous les jours familièrement avec Dieu même. Si ta
vierge est chrétienne, sache bien que c'est moi qui ai fait crucifier Jésus-Christ.
--Donc, tu me la livreras?
[210]
--Prends cet onguent magique, tu en graisseras le seuil de sa demeure, le reste me regarde.
Voici maintenant Justine qui dort dans sa petite chambre chaste et sévère, Cyprien est à la porte murmurant
des paroles sacrilèges et accomplissant d'horribles rites; Satan se glisse au chevet de la jeune fille et lui
souffle des rêves voluptueux pleins de l'image de Cyprien qu'elle croit rencontrer encore au sortir de
l'Église; mais cette fois elle le regarde, elle l'écoute, et il lui dit des choses qui mettent le trouble dans son
coeur; tout à coup elle s'agite, elle s'éveille et fait le signe de la croix; le démon disparaît et le séducteur, qui
fait sentinelle à la porte, attend inutilement toute la nuit.
Le lendemain il recommence ses évocations, et il fait d'amers reproches à son infernal complice; celui-ci
avoue son impuissance. Cyprien le chasse honteusement et fait apparaître un démon d'un ordre supérieur.
Le nouveau venu se transforme tour à tour en jeune fille et en beau garçon pour tenter Justine par des
conseils et des caresses. La vierge va succomber, mais son bon ange l'assiste; elle joint le souffle au signe
de la croix et chasse le mauvais esprit. Cyprien alors invoque le roi des enfers. Satan vient en personne. Il
frappe Justine de toutes les douleurs de Job et répand une peste affreuse dans Antioche, en faisant dire aux
oracles que la peste cessera quand Justine apaisera Vénus et l'amour outragés. Justine prie publiquement
pour le peuple, et la peste cesse. Satan est vaincu à son tour, Cyprien le contraint d'avouer la toute-
puissance du signe de la croix et le brave en se marquant de ce signe. Il abjure la magie, il est chrétien, il
devient évêque et retrouve Justine dans un
[211]
monastère de vierges; ils s'aiment alors du pur et durable amour de la céleste charité, la persécution les
atteint; on les arrête ensemble, ils sont mis à mort le même jour et vont consommer au sein de Dieu leur
mariage mystique et éternel.
La légende fait saint Cyprien évêque d'Antioche, tandis que l'histoire ecclésiastique le fait évêque de
Carthage. Peu importe d'ailleurs que ce soit ou non le même. L'un est un personnage poétique, l'autre est un
père de l'Église et un martyr.
On trouve dans les anciens grimoires une oraison attribuée au saint Cyprien de la légende et qui est peut-
être du saint évêque de Carthage. Les expressions obscures et figurées dont elle est remplie, auront peut-
être fait supposer qu'avant d'être évêque et chrétien, Cyprien s'était adonné aux pratiques funestes de la
magie noire.
En voici la traduction:
«Moi, Cyprien, serviteur de notre Seigneur Jésus-Christ, j'ai prié Dieu le père tout-puissant, et j'ai dit: tu es
le Dieu fort, mon Dieu tout-puissant qui habites dans la grande lumière! Tu es saint et digne de louange, et
depuis le temps ancien, tu as vu la malice de ton serviteur et les iniquités dans lesquelles j'étais plongé par
la malice du démon. Je ne savais pas alors ton vrai nom, je passais au milieu des brebis et elles étaient sans
pasteur. Les nuages ne pouvaient donner leur rosée à la terre, les arbres restaient sans fruits et les femmes
en travail ne pouvaient être délivrées; je liais et je ne déliais point, je liais les poissons de la mer et ils
n'étaient point libres, je liais les sentiers de la mer et je retenais ensemble bien des
[212]
maux. Mais maintenant, Seigneur Jésus-Christ, mon Dieu, j'ai connu ton saint nom et je l'ai aimé, et je me
suis converti de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes entrailles, me détournant de la
multitude de mes fautes pour marcher dans ton amour et suivant tes commandements qui sont ma foi et ma
prière. Tu es le verbe de vérité, la parole unique du père, et je te conjure maintenant de rompre la chaîne
des nuées et de faire descendre sur tes enfants ta pluie bienfaisante comme du lait, et de délier les fleuves et
de rendre libres les créatures qui nagent ainsi que celles qui volent; je te conjure de briser toutes les chaînes
et toutes les entraves par la vertu de ton saint nom!»
Cette prière est évidemment très ancienne et elle renferme des souvenirs très remarquables des figures
primitives de l'ésotérisme chrétien aux premiers siècles.
La qualification d'aurea ou dorée donnée à la légende fabuleuse des saints allégoriques en indique assez le
caractère. L'or aux yeux des initiés est de la lumière condensée, ils appellent nombres d'or les nombres
sacrés de la kabbale, vers dorés de Pythagore, les enseignements moraux de ce philosophe, et c'est pour la
même raison qu'un livre mystérieux d'Apulée où un âne joue un grand rôle a été appelé l'âne d'or.
Les païens accusaient les chrétiens d'adorer un âne, et ils n'avaient point inventé cette injure, elle venait des
juifs de Samarie qui, figurant les données de la kabbale sur la divinité par des symboles égyptiens,
représentaient aussi l'intelligence par la figure de l'étoile magique adorée sous le nom de Rempham, la
science sous l'emblème d'Anubis dont ils changeaient le nom en celui de Nibbas, et la foi vulgaire ou la
[213]
crédulité sous la figure de Thartac, dieu qu'on représentait avec un livre, un manteau et une tête d'âne;
suivant les docteurs samaritains, le christianisme était le règne de Thartac; c'étaient la foi aveugle et la
crédulité vulgaire érigées en oracle universel et préférées à l'intelligence et à la science. C'est pourquoi dans
leurs rapports avec les gentils, lorsqu'ils entendaient ceux-ci les confondre avec les chrétiens, ils se
récriaient et priaient qu'on ne les confondît pas avec les adorateurs exclusifs de la tête d'âne.
Cette prétendue révélation fit beaucoup rire les philosophes, et Tertullien parle d'une caricature romaine
exposée de son temps où l'on voyait Thartac dans toute sa gloire avec cette inscription qui fit rire Tertullien
lui-même, auteur, comme l'on sait, du fameux credo quia absurdum: tête d'âne, Dieu des chrétiens.
L'âne d'or d'Apulée est la légende occulte de Thartac. C'est une épopée magique et une satyre contre le
christianisme, que l'auteur avait sans doute professé pendant quelque temps. C'est du moins ce qu'il semble
dire sous l'allégorie de sa métamorphose en âne.
Voici le sujet du livre d'Apulée: Il voyage en Thessalie, pays des enchantements; il reçoit l'hospitalité chez
un homme dont la femme est sorcière; il séduit la servante de cette femme et croit surprendre par ce moyen
les secrets de la maîtresse. La servante veut en effet livrer à son amant une composition au moyen de
laquelle la sorcière se métamorphose en oiseau, mais elle se trompe de boîte et Apulée se trouve
métamorphosé en âne.
Pendant sa longue et triste captivité il entend raconter l'histoire de Psyché, cette histoire merveilleuse et
symbolique qui est comme l'âme et la poésie de la sienne. Psyché a voulu surprendre les secrets de l'amour
comme Apulée ceux de la magie, elle a perdu l'amour, et lui la forme humaine; elle est errante, exilée,
soumise à la colère de Vénus, il est esclave des voleurs. Mais Psyché doit remonter au ciel après avoir
traversé l'enfer, et Lucius sera pris en pitié par les dieux. Isis lui apparaît en songe et lui promet que son
prêtre averti par une révélation lui donnera des roses pendant les solennités de sa fête prochaine. Cette fête
arrive, et Apulée décrit longuement la procession d'Isis, description précieuse pour la science, car on y
trouve la clé des mystères égyptiens; des hommes déguisés marchent les premiers portant des animaux
grotesques; ce sont les fables vulgaires: puis viennent des femmes semant des fleurs avec des miroirs sur
leurs épaules qui réfléchissent l'image de la grande divinité. Ainsi les hommes vont en avant et formulent
les dogmes que les femmes embellissent et reflètent sans le savoir par leur instinct maternel des vérités plus
élevées; des hommes et des femmes viennent ensuite portant la lumière: c'est l'alliance des deux termes,
l'actif et le passif générateurs de la science et de la vie.
[215]
Après la lumière, vient l'harmonie, représentée par de jeunes musiciens. Puis enfin les images des dieux au
nombre de trois, suivies par le grand hiérophante qui porte non pas l'image, mais le symbole de la grande
Isis, une boule d'or surmontée d'un caducée.
Lucius Apuleius voit dans la main du grand prêtre une couronne de roses; il s'approche et on ne le repousse
pas; il mange des roses et redevient homme.
Tout cela est savamment écrit et entremêlé d'épisodes tantôt héroïques, tantôt grivois, comme il convient à
la double nature de Lucius et de l'âne. Apulée a été en même temps le Rabelais et le Swedenborg de
l'ancien monde prêt à finir.
Bien aveugles et bien malheureux, en effet, étaient ces initiés aux antiques mystères qui riaient de l'âne de
Bethléem sans apercevoir l'enfant-Dieu qui rayonnait sur les pacifiques animaux de la crèche et sur le front
duquel se reposait l'étoile conciliatrice du passé et de l'avenir!
Pendant que la philosophie convaincue d'impuissance insultait au christianisme triomphant, les pères de
l'Église s'emparaient de
[216]
toutes les magnificences de Platon et créaient une philosophie nouvelle fondée sur la réalité vivante du
Verbe divin toujours présent dans son église, renaissant dans chacun de ses membres, immortel dans
l'humanité; rêve d'orgueil plus grand que celui de Prométhée, si ce n'était en même temps une doctrine toute
d'abnégation et de dévouement, humaine parce qu'elle est divine, divine parce qu'elle est humaine!
CHAPITRE VI.
PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÈMES SACRÉS.
L'Église primitive, obéissant au précepte formel du Sauveur, ne livrait pas ses plus saints mystères aux
profanations de la foule. On n'était reçu au baptême et à la communion que par des initiations progressives.
On tenait cachés les livres saints dont la lecture entière et l'explication surtout étaient réservées au
sacerdoce. Les images étaient alors moins nombreuses et surtout moins explicites. On s'abstenait de
reproduire la figure même du Sauveur; les peintures des catacombes sont pour la plupart des emblèmes
kabbalistiques: c'est la croix édénique avec les quatre
[217]
fleuves dans lesquels viennent boire des cerfs; c'est le poisson mystérieux de Jonas remplacé souvent par un
serpent bicéphale; c'est un homme sortant d'un coffre qui rappelle celui d'Osiris. Le gnosticisme devait faire
proscrire plus tard toutes ces allégories dont il abusa pour matérialiser et profaner les traditions saintes de la
kabbale des prophètes.
Le nom de gnostique ne fut pas toujours dans l'Église un nom proscrit. Ceux des pères dont la doctrine se
rattachait aux traditions de saint Jean employèrent souvent cette dénomination pour désigner le chrétien
parfait; on la trouve dans saint Irénée et dans saint Clément d'Alexandrie. Nous ne parlons pas ici du grand
Synésius qui fut un kabbaliste parfait, mais un orthodoxe douteux.
Les faux gnostiques furent tous des rebelles à l'ordre hiérarchique qui voulurent niveler la science en la
vulgarisant, substituer les visions à l'intelligence, le fanatisme personnel à la religion hiérarchique, et
surtout la licence mystique des passions sensuelles à la sage sobriété chrétienne et à l'obéissance aux lois,
mère des chastes mariages et de la tempérance conservatrice.
Produire l'extase par des moyens physiques et remplacer la sainteté par le somnambulisme, telle fut
toujours la tendance de ces sectes caïniques continuatrices de la magie noire de l'Inde. L'Église devait les
réprouver avec énergie, elle ne fit pas défaut à sa mission: il est à regretter seulement que le bon grain
scientifique ait souvent souffert lorsqu'on promena le fer et le feu dans les campagnes envahies par l'ivraie.
Espérant échapper à la hiérarchie par le miracle comme si le miracle en dehors de la hiérarchie prouvait
autre chose que le désordre ou la fourberie, les gnostiques, depuis Simon le magicien, étaient grands
faiseurs de prodiges; substituant au culte régulier les rites impurs de la magie noire, ils faisaient apparaître
du sang au lieu du vin eucharistique, et remplaçaient le paisible et pur banquet du céleste agneau par des
communions d'anthropophages. L'hérésiarque Marcos, disciple de Valentin, disait la messe avec deux
calices; dans le plus petit, il versait du vin, puis il prononçait la formule magique et l'on voyait le plus grand
s'emplir d'une liqueur sanglante qui montait en bouillonnant. Marcos, qui n'était point prêtre, voulait
prouver par là que Dieu l'avait revêtu d'un sacerdoce miraculeux. Il conviait tous ses disciples à accomplir
sous ses yeux la même merveille. Les femmes surtout obtenaient un succès pareil au sien, puis elles
tombaient en convulsions et en extase. Marcos soufflait sur elles et leur communiquait sa démence au point
de les engager à oublier pour lui, et par esprit de religion, toute retenue et toute pudeur.
Cette intrusion de la femme dans le sacerdoce fut toujours le rêve des faux gnostiques; car en nivelant ainsi
les sexes, ils introduisaient l'anarchie dans la famille et posaient à la
[219]
société une pierre d'achoppement. Le sacerdoce réel de la femme c'est la maternité, et le culte de cette
religion du foyer c'est la pudeur. Les gnostiques ne le comprenaient pas ou plutôt ils le comprenaient trop,
et en égarant les instincts religieux de la mère ils renversaient la barrière sacrée qui s'opposait à la licence
de leurs désirs.
Ils n'avaient cependant pas tous la triste franchise de l'impudeur. Quelques-uns, comme les Montanistes,
exagéraient au contraire la morale afin de la rendre impraticable. Montan, dont les âpres doctrines
séduisirent le génie extrême et paradoxal de Tertullien, s'abandonnait avec Priscille et Maximille ses
prophétesses, on dirait aujourd'hui ses somnambules, à tout le dévergondage des frénésies et des extases. Le
châtiment naturel de ces excès ne manqua pas à leurs auteurs, ils finirent par la folie furieuse et le suicide.
La doctrine des Marcosiens était une kabbale profanée et matérialisée; ils prétendaient que Dieu avait tout
créé au moyen des lettres de l'alphabet; que ces lettres étaient autant d'émanations divines ayant par elles-
mêmes la puissance génératrice des êtres; que les paroles étaient toutes puissantes et opéraient
virtuellement et réellement des prodiges. Tout cela est vrai en un sens, mais ce sens n'était pas celui des
sectateurs de Marcos. Ils suppléaient aux réalités par les hallucinations et croyaient se rendre invisibles
parce que dans l'état de somnambulisme ils se transportaient mentalement où ils voulaient. Pour les faux
mystiques la vie doit se confondre souvent avec le rêve jusqu'à ce qu'enfin le rêve triomphant déborde et
submerge la réalité: c'est alors le règne complet de la folie.
[220]
L'imagination, dont la fonction naturelle est d'évoquer les images des formes, peut aussi, dans un état
d'exaltation extraordinaire, produire les formes elles-mêmes; comme le prouvent les phénomènes des
grossesses monstrueuses et une multitude de faits analogues que la science officielle ferait mieux d'étudier
que de les nier avec obstination.
Ce sont ces créations désordonnées que la religion flétrit avec raison du nom de miracles diaboliques, et
tels étaient les miracles de Simon, des Ménandriens et de Marcos.
De notre temps encore un faux gnostique nommé Vintras, actuellement réfugié à Londres, fait apparaître du
sang dans des calices vides et sur des hosties profanées.
Ce malheureux tombe alors dans des extases comme Marcos, et prophétise le renversement de la hiérarchie
et le prochain triomphe d'un prétendu sacerdoce tout de visions, d'expansions libres et d'amour. Il n'y a rien
de nouveau sous le soleil.
Après le panthéisme polymorphe des gnostiques, vint le dualisme de Manès. Ainsi se formula en dogme
religieux la fausse initiation des pseudo-mages de la Perse. Le mal personnifié devint un Dieu rival de Dieu
même. Il y eut un roi de la lumière et un roi des ténèbres, et c'est à cette époque qu'il faut faire remonter
cette idée funeste contre laquelle nous protestons de toutes nos forces, de la souveraineté et de l'ubiquité de
Satan. Nous ne prétendons ici nier ni affirmer la tradition de la chute des anges, nous en rapportant comme
toujours en matière de foi aux décisions suprêmes et infaillibles de la sainte Église
[221]
catholique, apostolique et romaine. Mais si les anges déchus avaient un chef avant leur chute, cette chute
doit les avoir précipités dans une complète anarchie tempérée seulement par la justice inflexible de Dieu;
séparé de la divinité qui est le principe de la force et plus coupable que les autres, le prince des anges
rebelles ne saurait être que le dernier et le plus impuissant des réprouvés.
Si donc il existe dans la nature une force qui attire les créatures oublieuses de Dieu vers le péché et vers la
mort, cette force, que nous ne refusons pas de reconnaître comme capable de servir d'instrument aux esprits
déchus, serait la lumière astrale; nous revenons sur cette idée, et nous tenons à l'expliquer parfaitement, afin
qu'on en comprenne bien toute la portée et toute l'orthodoxie.
Cette révélation d'un des grands secrets de l'occultéisme fera comprendre tout le danger des évocations, des
expériences curieuses, des abus du magnétisme, des tables tournantes et de tout ce qui tient aux prodiges et
aux hallucinations.
Arius avait préparé les succès du manichéisme par sa création hybride d'un fils de Dieu différent de Dieu
même: c'était en effet supposer le dualisme en Dieu; c'était admettre l'inégalité dans l'absolu, l'infériorité
dans la suprême puissance. La possibilité du conflit, sa nécessité même entre le père et le fils, puisque
l'inégalité entre les termes du syllogisme divin devait amener forcément une conclusion négative. Le verbe
de Dieu devait-il être le bien ou le mal? Dieu même ou le diable? Telle était la portée immense d'une
diphthongue ajoutée au mot grec οµουσιος pour en faire οµοιουσιος! En déclarant le fils consubstantiel au
père, le concile de Nicée sauva le
[222]
monde, et c'est ce que ne peuvent comprendre ceux qui ne savent pas que les principes constituent
réellement l'équilibre de l'univers.
Le gnoticisme, l'arianisme, le manichéisme, étaient sortis de la kabbale mal entendue. L'Église alors dut
interdire aux fidèles l'étude si dangereuse de cette science dont le suprême sacerdoce devait seul se réserver
les clefs. La tradition kabbalistique paraît, en effet, avoir été conservée par les souverains pontifes au moins
jusqu'à Léon III, auquel on attribue un rituel occulte qui aurait été donné par ce pontife à l'empereur
Charlemagne, et qui reproduit tous les caractères même les plus secrets des clavicules de Salomon. Ce petit
livre qui devait rester caché ayant été divulgué plus tard, dut être condamné par l'Église et tomba dans le
domaine de la magie noire. On le connaît encore sous le nom d'Enchiridion de Léon III, et nous en
possédons un ancien exemplaire très rare et très curieux.
La perte des clefs kabbalistiques ne pouvait entraîner celle de l'infaillibilité de l'Église toujours assistée de
l'esprit saint, mais elle jeta de grandes obscurités dans l'exégèse et rendit complétement inintelligibles les
grandes figures de la prophétie d'Ézéchiel et de l'apocalypse de saint Jean.
Puissent les successeurs légitimes de saint Pierre accepter l'hommage de ce livre et bénir les travaux du plus
humble de leurs enfants, qui croit avoir trouvé une des clefs de la science et qui vient la déposer aux pieds
de celui auquel seul il appartient d'ouvrir et de fermer les trésors de l'intelligence et de la foi!
[223]
CHAPITRE VII.
PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE.
L'école de Platon, prête à s'éteindre, jeta dans Alexandrie une grande lumière; mais déjà le christianisme,
triomphant après trois siècles de combats, s'était assimilé tout ce qu'il y avait de vrai et de durable dans les
doctrines de l'antiquité. Les derniers adversaires de la religion nouvelle croyaient arrêter la marche des
hommes vivants en galvanisant des momies. Le combat ne pouvait déjà plus être sérieux et les païens de
l'école d'Alexandrie travaillaient contre leur gré et à leur insu au monument sacré qu'élevaient pour dominer
tous les âges les disciples de Jésus de Nazareth.
Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus sont de grands noms pour la science et pour la vertu. Leur
théologie était élevée, leur doctrine morale, leurs moeurs austères. Mais la plus grande et la plus touchante
figure de cette époque, la plus brillante étoile de cette pléiade, fut Hypathie, fille de Théon, cette chaste et
savante fille que son intelligence et ses vertus devaient conduire au baptême mais qui mourut martyre de la
liberté de conscience lorsqu'on entreprit de l'y traîner.
«Le peuple se moquera toujours des choses faciles à comprendre, il a besoin d'impostures.»
Lorsqu'on voulut l'élever à la dignité épiscopale, il disait dans une lettre adressée à un de ses amis:
«Un esprit ami de la sagesse et qui contemple de près la vérité est forcé de la déguiser pour la faire accepter
aux multitudes. Il y a en effet une grande analogie entre la lumière et la vérité, comme entre nos yeux et les
intelligences ordinaires. Si l'oeil recevait tout à coup une lumière trop abondante, il serait ébloui, et les
lueurs tempérées d'ombres sont plus utiles à ceux dont la vue est encore faible; c'est pour cela que, selon
moi, les fictions sont nécessaires au peuple, et que la vérité devient funeste à ceux qui n'ont pas la force de
la contempler dans tout son éclat. Si donc les lois sacerdotales permettent la réserve des jugements et
l'allégorie des paroles, je pourrai accepter la dignité qu'on me propose, à condition qu'il me sera permis
d'être philosophe chez moi et au dehors narrateur d'apologues et de paraboles.... Que peuvent avoir de
commun, en effet, la vile multitude et la sublime sagesse? La vérité doit être tenue secrète et les foules ont
besoin d'un enseignement proportionnel à leur imparfaite raison.»
Synésius eut tort d'écrire de pareilles choses. Quoi de plus maladroit, en effet, que de laisser voir une
arrière-pensée lorsqu'on est chargé d'un enseignement public? C'est d'après de pareilles indiscrétions que
bien des gens vont répétant encore de nos jours: il faut une religion pour le peuple! Mais qu'est-ce
[225]
que le peuple? Personne ne veut en être lorsqu'il s'agit d'intelligence et de moralité.
Le livre le plus remarquable de Synésius est un Traité des songes. Il y développe les pures doctrines
kabbalistiques et s'élève comme théosophe à une hauteur qui rend son style obscur et qui l'a fait soupçonner
d'hérésie; mais il n'y avait en lui ni l'entêtement ni le fanatisme d'un sectaire. Il vécut et mourut dans la paix
de l'Église, exposant franchement ses doutes, mais se soumettant à l'autorité hiérarchique: son clergé et son
peuple ne voulurent rien exiger de plus.
Suivant Synésius, l'état de rêve prouve la spécialité et l'immatérialité de l'âme qui se crée alors un ciel, des
campagnes, des palais inondés de lumière, ou des cavernes sombres, suivant ses affections et ses désirs. On
peut juger du progrès moral par les habitudes des rêves, car en cet état le libre arbitre est suspendu, et la
fantaisie s'abandonne tout entière aux instincts dominants. Les images se produisent alors, soit comme un
reflet, soit comme une ombre de la pensée. Les pressentiments y prennent un corps, les souvenirs se mêlent
aux espérances. Le livre des rêves s'écrit alors en caractères tantôt splendides tantôt obscurs, mais on peut
trouver des règles certaines pour le déchiffrer et pour le lire.
Jérôme Cardan a écrit un long commentaire sur le Traité des songes de Synésius, et l'a en quelque sorte
complété par un dictionnaire de tous les songes avec leur explication. Ce travail n'a rien de commun avec
les petits livres ridicules qu'on trouve dans la librairie de pacotille, et il appartient réellement à la
bibliothèque sérieuse des sciences occultes.
[226]
Quelques critiques ont attribué à Synésius les livres extrêmement remarquables qui portent le nom de saint
Denis l'Aréopagite; ce qui est maintenant généralement reconnu, c'est qu'ils sont apocryphes et
appartiennent à la belle époque de l'école d'Alexandrie. Ces livres, dont on ne peut comprendre toute la
sublimité si l'on n'est initié aux secrets de la haute kabbale, sont le véritable monument de la conquête de
cette science par le christianisme. Les principaux traités sont ceux des noms divins, de la hiérarchie dans le
ciel et de la hiérarchie dans l'Église. Le traité des noms divins explique en les simplifiant tous les mystères
de la théologie rabbinique. Dieu, dit l'auteur, est le principe infini et indéfinissable parfaitement un et
indicible, mais nous lui donnons des noms qui expriment nos aspirations vers cette perfection divine;
l'ensemble de ces noms, leurs relations avec les nombres, composent ce qu'il y a de plus élevé dans la
pensée humaine, et la théologie est moins la science de Dieu que celle de nos aspirations les plus sublimes.
L'auteur établit ensuite sur l'échelle primitive des nombres tous les degrés de la hiérarchie spirituelle
toujours régie par le ternaire. Les ordres angéliques sont au nombre de trois et chaque ordre contient trois
choeurs. C'est sur ce modèle que la hiérarchie doit s'établir aussi sur la terre. L'Église en présente le type le
plus parfait: il y a les princes de l'Église, les évêques et les simples ministres. Parmi les princes, on compte
des cardinaux-évêques, des cardinaux-prêtres et des cardinaux-diacres; parmi les évêques, il y a les
archevêques, les évêques et les prélats coadjuteurs; parmi les ministres, il y a les curés, les simples prêtres
et les diacres. On s'élève à cette sainte hiérarchie par
[227]
trois degrés préparatoires, le sous-diaconat, les ordres mineurs et la cléricature. Les fonctions de tous ces
ordres correspondent à celles des anges et des saints, et doivent glorifier les noms divins triples pour
chacune des trois personnes, puisque dans chacune des hypostases divines on adore la trinité tout entière.
Cette théologie transcendentale était celle de la primitive Église, et peut-être ne l'a-t-on attribuée à saint
Denis l'Aréopagite que par suite d'une tradition qui remontait au temps même des apôtres et de saint Denis,
comme les rabbins rédacteurs du Sépher Jézirah ont attribué ce livre au patriarche Abraham, parce qu'il
contient les principes de la tradition conservée de père en fils dans la famille de ce patriarche. Quoi qu'il en
soit, les livres de saint Denis l'Aréopagite sont précieux pour la science; ils consacrent l'union des
initiations de l'ancien monde avec la révélation du christianisme, en alliant une intelligence parfaite de la
suprême philosophie avec l'orthodoxie la plus complète et la plus irréprochable.
[228]
LIVRE IV.
LA MAGIE ET LA CIVILISATION.
ד, Daleth.
CHAPITRE PREMIER.
MAGIE CHEZ LES BARBARES.
SOMMAIRE.--Le monde fantastique des sorciers.--Prodiges accomplis et monstres vaincus pendant les
premiers siècles de l'ère chrétienne.--La Gaule magique.--Philosophie secrète des druides.--Leur théogonie,
leurs rites.--Évocations et sacrifices.--Mission et influence des eubages.--Origine du patriotisme français.--
Médecine occulte.
La magie noire reculait devant la lumière du christianisme, Rome était conquise par la croix et les prodiges
se réfugiaient dans ce cercle d'ombre que les provinces barbares faisaient autour de la nouvelle splendeur
romaine. Entre un grand nombre de phénomènes étranges, en voici un qui fut constaté sous le règne de
l'empereur Adrien:
A Tralles en Asie, une jeune fille noble nommée Philinnium, originaire de Corinthe, et fille de Démostratès
et de Charito, s'était éprise d'un jeune homme de basse condition nommé Machatès. Un mariage était
impossible, Philinnium, comme nous l'avons dit, était noble et c'était de plus une fille unique et [229] une
riche héritière. Machatès était un homme du peuple et tenait une hôtellerie 12. La passion de Philinnium
s'exaspéra par les obstacles; elle s'échappa de la maison paternelle, et vint trouver Machatès. Un commerce
illégitime s'établit entre eux et dura six mois, après lesquels la jeune fille fut découverte par ses parents,
reprise par eux et sévèrement séquestrée. On prit même des mesures pour quitter le pays et emmener
Philinnium à Corinthe; mais alors la jeune fille, qui avait sensiblement dépéri depuis qu'elle était séparée de
son amant, fut atteinte d'une maladie de langueur, elle ne souriait plus, ne dormait plus, refusait toute
nourriture, et définitivement elle mourut.
Note 12: (retour) Cette circonstance, qui ne se trouve pas dans Phlégon, a été ajoutée par les
démonographes français.
Les parents renoncèrent alors à leur départ, et achetèrent un caveau funéraire où la jeune fille fut déposée
couverte des plus riches vêtements. Cette sépulture était dans un enclos appartenant à la famille, où
personne n'entra plus, car les païens n'avaient pas coutume d'aller prier près de la tombe des morts.
Machatès ignorait ce qu'était devenue sa maîtresse: tout s'était passé en secret, tant cette noble famille
craignait le scandale. La nuit qui suivit la sépulture de Philinnium, le jeune homme était prêt à se coucher,
lorsque sa porte s'ouvrit lentement, il s'avança tenant sa lampe à la main, et reconnut Philinnium
magnifiquement parée, mais pâle, froide, et le regardant avec des yeux d'une effrayante Fixité.
Machatès courut à elle, la prit dans ses bras, lui fit mille questions et mille caresses, ils passèrent enfin la
nuit
[230]
ensemble, mais avant le jour Philinnium se leva et disparut pendant que son amant était encore plongé dans
un profond sommeil.
La jeune fille avait une vieille nourrice qui la pleurait et qu'elle avait tendrement aimée. Peut-être cette
femme avait-elle été complice des égarements de la pauvre morte, et depuis qu'on avait enseveli sa bien-
aimée elle ne dormait plus, et se relevait souvent la nuit dans une sorte de délire pour aller rôder autour de
la demeure de Machatès. Quelques jours donc après ce que nous venons de raconter, la nourrice passant le
soir à une heure assez avancée près de la maison du jeune homme vit de la lumière dans sa chambre. Elle
s'approcha, et regardant par les fentes de la porte, elle reconnut Philinnium qui était assise près de son
amant, le contemplant sans rien dire et s'abandonnant à ses caresses.
La pauvre femme tout éperdue courut chez ses maîtres, éveilla la mère et lui raconta ce qu'elle venait de
voir; la mère la traita d'abord de visionnaire et de folle, puis enfin vaincue par ses instances, elle se lève et
se rend à la maison de Machatès. Tout dormait déjà, elle frappe, personne ne lui répond; elle regarde par les
fentes de la porte, la lampe était éteinte, mais un rayon de la lune éclairait encore la chambre. Sur un siége,
Charito reconnut les vêtements de sa fille et dans le lit, malgré l'ombre de l'alcôve, elle distingua la forme
de deux personnes qui dormaient.
L'épouvante saisit la mère, elle retourna chez elle en chancelant, n'eut pas le courage de visiter le sépulcre
de sa fille et passa le reste de la nuit dans l'agitation et dans les larmes.
[231]
Le lendemain elle retourna au logis de Machatès et le questionna avec douceur. Le jeune homme avoua que
Philinnium revenait le voir toutes les nuits. «Pourquoi me la refuser, dit-il à la mère, nous sommes fiancés
devant les dieux;» et, ouvrant un coffre, il montra à Charito l'anneau et la ceinture de sa fille. «Elle me les a
donnés la nuit dernière, ajouta-t-il, en me jurant de n'appartenir jamais qu'à moi; ne cherchez donc plus à
nous séparer puisqu'une promesse mutuelle nous réunit.
--Iras-tu donc à ton tour la trouver dans sa tombe, dit la mère. Philinnium est morte depuis quatre jours et
c'est sans doute une sorcière ou une stryge qui aura pris sa figure pour te tromper; tu es le fiancé de la mort,
demain tes cheveux blanchiront, après-demain on pourra t'ensevelir aussi, et c'est de cette manière que les
dieux vengent l'honneur d'une famille outragée.»
Machatès pâlit et trembla en entendant ce langage, il craignit d'avoir été le jouet des puissances infernales;
il dit à Charito d'amener son mari le soir même, il les ferait cacher près de sa chambre, et à l'heure où le
fantôme entrerait, il donnerait un signal pour les prévenir.
Ils vinrent en effet, et à l'heure accoutumée Philinnium entra chez Machatès, qui s'était couché tout habillé
et faisait semblant de dormir.
La jeune fille se déshabille et vient se placer près de lui, Machatès donne le signal, Démostratès et Charito
entrent avec des flambeaux à la main, et poussent un grand cri en reconnaissant leur fille.
Philinnium alors lève sa tête, pâle puis elle se dresse tout entière sur le lit, et dit d'une voix creuse et
terrible: «O mon père et ma mère, pourquoi avez-vous été jaloux de mon bonheur, et
[232]
pourquoi me poursuivez-vous au delà même de la tombe? Mon amour avait fait violence aux dieux
infernaux, la puissance de la mort était suspendue, trois jours encore et j'étais rendue à la vie! mais votre
curiosité cruelle anéantit le miracle de la nature: vous me tuez une seconde fois!...»
En achevant ces paroles elle tomba sur le lit comme une masse inerte. Ses traits se flétrirent tout à coup,
une odeur cadavéreuse remplit la chambre, et on ne vit plus que les restes défigurés d'une fille morte depuis
cinq jours.
Le lendemain toute la ville fut bouleversée par la nouvelle de ce prodige. On courut au cirque où toute
l'histoire fut publiquement racontée, puis la foule se porta au caveau mortuaire de Philinnium. La jeune fille
n'y était plus, mais on trouva à sa place un anneau de fer et une coupe dorée qu'elle avait reçus en présents
de Machatès. On retrouva le cadavre dans la chambre de l'hôtellerie; Machatès avait disparu.
Les devins furent consultés et ordonnèrent d'enterrer les restes de Philinnium hors de l'enceinte de la ville.
On fit des sacrifices aux furies et au Mercure terrestre, on conjura les dieux mânes et l'on fit des offrandes à
Jupiter hospitalier.
Phlégon, affranchi d'Adrien, qui fut témoin oculaire de ces faits et qui les raconte dans une lettre
particulière, ajoute qu'il dut employer son autorité pour calmer la ville agitée par un événement si
extraordinaire, et finit son récit par ces mots: «Si vous jugez à propos d'en informer l'empereur, faites-le-
moi savoir afin que je vous envoie quelques-uns de ceux qui ont été témoins de toutes ces choses.»
[233]
C'est donc une histoire bien avérée que celle de Philinnium. Un grand poète allemand en a fait le sujet d'une
ballade que tout le monde sait par coeur, et qui est intitulée la Fiancée de Corinthe. Il suppose que les
parents de la jeune fille étaient chrétiens, ce qui lui donne l'occasion de faire une opposition fort-poétique
des passions humaines et des devoirs de la religion. Les démonographes du moyen âge n'eussent pas
manqué d'expliquer la résurrection ou peut-être la mort apparente de la jeune Grecque par une obsession
diabolique. Nous y voyons, pour notre part, une léthargie hystérique accompagnée de somnambulisme
lucide; le père et la mère de Philinnium la tuèrent en la réveillant et l'imagination publique exagéra toutes
les circonstances de cette histoire.
Le Mercure terrestre auquel les devins ordonnèrent des sacrifices n'est autre chose que la lumière astrale
personnifiée. C'est le génie fluidique de la terre, génie fatal pour les hommes qui l'excitent sans savoir le
diriger; c'est le foyer de la vie physique et le réceptacle aimanté de la mort.
Cette force aveugle que la puissance du christianisme allait enchaîner et repousser dans le puits de l'abîme,
c'est-à-dire au centre de la terre, manifesta ses dernières convulsions et ses derniers efforts chez les
Barbares par des enfantements monstrueux. Il n'est guère de régions où les prédicateurs de l'Évangile
n'aient eu à combattre des animaux aux formes hideuses, incarnations de l'idolâtrie agonisante. Les
vouivres, les graouillis, les gargouilles, les tarasques, ne sont pas uniquement des allégories. Il est certain
que les désordres moraux produisent des laideurs physiques et réalisent en quelque sorte les épouvantables
figures que la tradition prête aux
[234]
démons. Les ossements fossiles, à l'aide desquels la science de Cuvier a reconstruit des monstres
gigantesques, appartiennent-ils réellement tous à des époques antérieures à notre création? Est-ce une
allégorie que cet immense dragon que Régulus dut attaquer avec des machines de guerre, et qu'on trouva,
au dire de Tite-Live et de Pline, sur les bords du fleuve Bagrada? Sa peau qui avait cent vingt pieds de long
fut envoyée à Rome, et y fut conservée jusqu'à l'époque de la guerre contre Numance. C'était une tradition
chez les anciens, que les dieux irrités par des crimes extraordinaires, envoyaient des monstres sur la terre, et
cette tradition est trop universelle pour n'être point appuyée sur des faits réels, les récits qui s'y rapportent
appartiennent moins souvent à la mythologie qu'à l'histoire.
Dans tous les souvenirs qui nous restent des peuples barbares à l'époque où le christianisme les conquit à la
civilisation, nous trouvons avec les dernières traces de la haute initiation magique répandue autrefois par
tout le monde, les preuves de l'obscurcissement qu'avait subi cette révélation primitive et de l'avilissement
idolâtrique dans lequel le symbolisme de l'ancien monde était tombé; partout régnaient, au lieu des
disciples des mages, les devins, les sorciers et les enchanteurs. On avait oublié le Dieu suprême pour
diviniser les hommes. Rome avait donné cet exemple à ses provinces, et l'apothéose des Césars avait appris
au monde la religion des dieux de sang. Les Germains, sous le nom d'Irminsul, adoraient cet Arminius, ou
Hermann, qui fit pleurer à Auguste les légions de Varus, et lui offraient des victimes humaines. Les Gaulois
donnaient à Brennus
[235]
les attributs de Taranis et de Teutatès, et brûlaient en son honneur des colosses d'osier remplis de Romains.
Partout régnait le matérialisme, car l'idolâtrie n'est pas autre chose, et la superstition toujours cruelle parce
qu'elle est lâche.
La Providence qui prédestinait la Gaule à devenir la France très chrétienne y avait pourtant fait briller la
lumière des éternelles vérités. Les premiers druides avaient été les vrais enfants des mages, et leur initiation
venait de l'Égypte et de la Chaldée, c'est-à-dire des sources pures de la kabbale primitive: ils adoraient la
trinité sous les noms d'Isis ou Ilésus, l'harmonie suprême; de Belen ou Bel, qui signifie en assyrien le
Seigneur, nom correspondant à celui d'Adonaï; et de Camul ou Camaël, nom qui dans la kabbale
personnifie la justice divine. Au-dessous de ce triangle de lumière ils supposaient un reflet divin, composé
aussi de trois rayons personnifiés: d'abord Teutatès ou Teuth, le même que le Thoth des Égyptiens, le verbe
ou l'intelligence formulée, puis la force et la beauté dont les noms variaient comme les emblèmes. Ils
complétaient enfin le septénaire sacré par une image mystérieuse qui représentait le progrès du dogme et
ses réalisations futures: c'était une jeune fille voilée tenant un enfant dans ses bras, et ils dédiaient cette
image à la vierge qui deviendra mère 13.
Note 13: (retour)
On a trouvé à Chartres une statue druidique ayant cette forme et cette inscription:
VIRGINI PARITURAE.
Les anciens druides vivaient dans une rigoureuse abstinence, gardaient le plus profond secret sur leurs
mystères, étudiaient les sciences naturelles et n'admettaient parmi eux de nouveaux
[236]
adeptes qu'après de longues initiations. Ils avaient à Autun un collége célèbre dont les armoiries, au dire de
Saint-Foix, subsistent encore dans cette ville: elles sont d'azur à la couchée de serpents d'argent surmontée
d'un gui de chêne garni de ses glands de sinople; c'est pour le distinguer des autres guis que le blason donne
des glands au gui de chêne, mais la branche de chêne seule porte des glands. Le gui est un feuillage parasite
qui ne fructifie pas comme l'arbre qui l'a porté.
Les druides ne construisaient pas de temples, ils accomplissaient les rites de leur religion sur les dolmens et
dans les forêts. On se demande encore à l'aide de quelles machines ils ont pu soulever les pierres colossales
qui formaient leurs autels, et qui se dressent encore sombres et mystérieuses sous le ciel nuageux de
l'Armorique. Les anciens sanctuaires avaient leurs secrets qui ne sont pas venus jusqu'à nous.
Les druides enseignaient que l'âme des ancêtres s'attache aux enfants; qu'elle est heureuse de leur gloire ou
tourmentée de leur honte; que les génies protecteurs s'attachent aux arbres et aux pierres de la patrie; que le
guerrier mort pour son pays a expié toutes ses fautes et rempli dignement sa tâche, il devient alors un génie,
et désormais il exerce le pouvoir des dieux. Aussi chez les Gaulois le patriotisme était-il une religion: les
femmes et les enfants même s'armaient, s'il le fallait, pour repousser l'invasion, et les Jeanne d'Arc, les
Jeanne Hachette de Beauvais, n'ont fait que continuer les traditions de ces nobles filles des Gaules.
[237]
Les druides étaient prêtres et médecins; ils guérissaient par le magnétisme, et ils attachaient leur influence
fluidique à des amulettes. Le gui de chêne et l'oeuf de serpent étaient leurs panacées universelles, parce que
ces substances attirent d'une manière toute particulière la lumière astrale. La solemnité avec laquelle on
récoltait le gui, attirait sur ce feuillage la confiance populaire et le magnétisait à grands courants. Aussi
opérait-il des cures merveilleuses, surtout lorsqu'il était appliqué par les eubages avec des conjurations et
des charmes. N'accusons pas nos pères de trop de crédulité, ils savaient peut-être ce que nous ne savons
plus.
Les progrès du magnétisme feront découvrir un jour les propriétés absorbantes du gui de chêne. On saura
alors le secret de ces excroissances spongieuses qui attirent le luxe inutile des plantes et se surchargent de
coloris et de saveur: les champignons, les truffes, les galles d'arbres, les différentes espèces de gui, seront
employés avec discernement par une médecine nouvelle à force d'être ancienne. On ne rira plus alors de
Paracelse qui recueillait l'usnée sur les crânes des pendus; mais il ne faut pas marcher plus vite que la
science, elle ne recule que pour mieux avancer.
[238]
CHAPITRE II
INFLUENCE DES FEMMES.
SOMMAIRE.--Influence des femmes chez les Gaulois.--Les vierges de l'île de Sayne.--La magicienne
Velléda.--Bertha la fileuse.--Mélusine.--Les elfes et les fées.--Sainte Clotilde et sainte Geneviève.--La
sorcière Frédégonde.
La Providence en imposant à la femme les devoirs si sévères et si doux de la maternité, lui a donné droit à
la protection et au respect de l'homme. Assujettie par la nature même aux conséquences des affections qui
sont sa vie, elle conduit ses maîtres avec les chaînes que l'amour lui donne; plus elle est soumise aux lois
qui constituent et qui protègent son honneur, plus elle est puissante et respectée dans le sanctuaire de la
famille. Pour elle, se révolter, c'est abdiquer, et lui prêcher une prétendue émancipation, c'est lui conseiller
le divorce en la vouant d'avance à la stérilité et au mépris.
En Gaule, les femmes ne régnaient pas par leur coquetterie et par leurs vices, mais elles gouvernaient par
leurs conseils. On ne faisait ni la paix ni la guerre sans les avoir consultées; les
[239]
intérêts du foyer et de la famille étaient ainsi plaidés par les mères, et l'orgueil national devenait juste
lorsqu'il était ainsi tempéré par l'amour maternel de la patrie.
Chateaubriand a calomnié Velléda en la faisant succomber à l'amour d'Eudore. Velléda vécut et mourut
vierge. Elle était déjà vieille quand les Romains envahirent les Gaules: c'était une espèce de pythie qui
prophétisait dans les grandes solennités, et dont on recueillait les oracles avec vénération; elle était vêtue
d'une longue robe noire sans manches, la tête couverte d'un voile blanc qui lui descendait jusqu'aux pieds;
elle portait une couronne de verveine et avait à sa ceinture une faucille d'or; son sceptre avait la forme d'un
fuseau, son pied droit était chaussé d'une sandale et son pied gauche portait une sorte de chaussure à
poulaine. On a pris plus tard les statues de Velléda pour celles de Berthe au long pied. La grande prêtresse,
en effet, portait les insignes de la divinité protectrice des druidesses; c'était Hertha ou Wertha, la jeune Isis
gauloise, la reine du ciel, la vierge qui devait enfanter. On la représentait avec un pied sur la terre et l'autre
sur l'eau, parce qu'elle était reine de l'initiation et qu'elle présidait à la science universelle des choses. Le
pied qu'elle posait sur l'eau était ordinairement porté par une barque analogue à la barque ou à la conque de
l'ancienne Isis. Elle tenait le fuseau des Parques chargé d'une laine moitié blanche et moitié noire, parce
qu'elle préside à toutes les formes et à tous les symboles, et qu'elle tisse le vêtement des idées. On lui
donnait aussi la forme allégorique des sirènes moitié femme et moitié poisson, ou le torse d'une belle jeune
fille et deux jambes faites en
[240]
serpents, pour signifier la mutation et la mobilité continuelle des choses, et l'alliance analogique des
contraires dans la manifestation de toutes les forces occultes de la nature. Sous cette dernière forme, Hertha
prenait le nom de Mélusine ou Mélosina (la musicienne, la chanteuse), c'est-à-dire la sirène révélatrice des
harmonies. Telle est l'origine des images et des légendes de la reine Berthe et de la fée Mélusine. Cette
dernière se montra, dit-on, dans le XIe siècle à un seigneur de Lusignan; elle en fut aimée et consentit à le
rendre heureux, à condition qu'il ne chercherait pas à épier les mystères de son existence; le seigneur le
promit, mais la jalousie le rendit curieux et parjure; il épia Mélusine, et la surprit dans ses méthamorphoses,
car une fois par semaine la fée reprenait ses jambes de serpents. Il poussa un cri auquel répondit un autre cri
plus désespéré et plus terrible. Mélusine avait disparu, mais elle revient encore en poussant des clameurs
lamentables toutes les fois qu'une personne de la maison de Lusignan est sur le point de mourir.
Cette légende est imitée de la fable de Psyché, et se rapporte, comme cette fable, au danger des initiations
sacrilèges ou à la profanation des mystères de la religion et de l'amour; le récit en est emprunté aux
traditions des anciens bardes, et elle sort évidemment de la savante école des druides. Le XIe siècle s'en est
emparé et l'a mise à la mode, mais elle existait déjà depuis longtemps.
L'inspiration en France semble appartenir surtout aux femmes; les elfes et les fées y ont précédé les saintes,
et les saintes françaises ont presque toutes quelque chose de féerique dans leur
[241]
légende. Sainte Clotilde nous a fait chrétiens, sainte Geneviève nous a conservés Français en repoussant par
l'énergie de sa vertu et de sa foi l'invasion menaçante d'Attila. Jeanne d'Arc... mais celle-ci était plutôt de la
famille des fées que de la hiérarchie des saintes; elle mourut comme Hypathie, victime des dons
merveilleux de la nature et martyre de son caractère généreux. Nous en reparlerons plus tard. Sainte
Clotilde fait encore des miracles dans nos provinces. Nous avons vu aux Andelys la foule des pèlerins se
presser autour d'une piscine où l'on plonge tous les ans la statue de la sainte; le premier malade qui descend
ensuite dans l'eau est immédiatement guéri, c'est du moins ce que proclame tout haut la confiance
populaire. C'était une énergique femme et une grande reine que cette Clotilde, aussi fut-elle éprouvée par
les plus poignantes douleurs: son premier fils mourut après avoir reçu le baptême, et sa mort fut regardée
comme le résultat d'un maléfice; le second tomba malade et allait mourir... Le caractère de la sainte ne
fléchit pas et le Sicambre ayant un jour besoin d'un courage plus qu'humain se souvint du dieu de Clotilde.
Veuve après avoir converti et fondé en quelque sorte un grand royaume, elle vit égorger pour ainsi dire
sous ses yeux les deux enfants de Clodomir. C'est par de semblables douleurs que les reines de la terre
ressemblent à la reine du ciel.
Après la grande et resplendissante figure de Clotilde, nous voyons apparaître dans l'histoire, comme un
repoussoir hideux, le funeste personnage de Frédégonde, cette femme dont le regard est un maléfice, cette
sorcière qui tue les princes. Frédégonde accusait volontiers ses rivales de magie et les faisait mourir au
[242]
milieu des supplices qu'elle seule méritait. Il restait à Chilpéric un fils de sa première femme: ce jeune
prince, qui se nommait Clovis, s'était épris d'une jeune fille du peuple dont la mère passait pour sorcière.
On accusa la mère et la fille d'avoir troublé par des philtres la raison de Clovis, et d'avoir fait mourir par des
envoûtements magiques les deux enfants de Frédégonde. Les deux malheureuses femmes furent arrêtées;
Klodswinthe, la jeune fille, fut battue de verges, on lui coupa ses beaux cheveux, et Frédégonde les attacha
elle-même à la porte de l'appartement du jeune prince, puis on fit mettre Klodswinthe en jugement. Ses
réponses simples et fermes étonnèrent les juges: quelqu'un conseilla, dit un chroniqueur, de la soumettre à
l'épreuve de l'eau bouillante; un anneau béni fut jeté dans une cuve placée sur un grand feu, et l'accusée,
vêtue de blanc, après s'être confessée et avoir communié, dut plonger son bras dans la cuve et chercher
l'anneau. A l'immobilité des traits de Klodswinthe, tout le monde crut qu'un miracle s'était accompli, mais
un cri de réprobation et d'horreur s'éleva quand la malheureuse enfant retira son bras affreusement brûlé.
Alors elle demanda la permission de parler, et dit à ses juges et au peuple: «Vous demandiez un miracle à
Dieu pour preuve de mon innocence. Dieu ne veut pas qu'on le tente et il ne suspend pas les lois de la
nature suivant le caprice des hommes; mais il donne la force à ceux qui croient en lui, et il a fait pour moi
une merveille bien plus grande que celle qu'il vous a refusée. Cette eau m'a brûlée, et j'y ai plongé mon bras
tout entier et j'ai cherché et ramené l'anneau. Je n'ai ni crié, ni pâli, ni défailli dans cette
[243]
horrible torture. Si j'étais magicienne, comme vous le dites, j'aurais employé des maléfices pour ne pas
brûler, mais je suis chrétienne et Dieu m'a fait la grâce de le prouver par la constance des martyrs.» Cette
logique n'était pas de nature à être comprise à une époque si barbare. Klodswinthe fut reconduite en prison
en attendant le dernier supplice, mais Dieu la prit en pitié et l'appela à lui, dit la chronique où nous avons
puisé ces détails. Si ce n'est qu'une légende, il faut convenir qu'elle est belle et mérite d'être conservée.
Frédégonde perdait une de ses victimes, mais les deux autres ne lui échappèrent pas. La mère de
Klodswinthe fut mise à la torture, et, vaincue par les tourments, elle avoua tout ce qu'on voulut, même la
culpabilité de sa fille, même la complicité de Clovis. Frédégonde, armée de ses aveux, obtint du féroce et
imbécile Chilpéric l'abandon de son fils. Le jeune prince fut arrêté et poignardé dans sa prison. Frédégonde
déclara qu'il avait voulu échapper à ses remords par le suicide. Le cadavre du malheureux Clovis fut mis
sous les yeux de son père, le poignard était encore dans la plaie. Chilpéric regarda froidement ce spectacle;
il était entièrement dominé par Frédégonde qui le trompait effrontément avec les officiers de son palais. On
se cachait si peu que le roi eut malgré lui des preuves de son déshonneur. Au lieu de tuer sur-le-champ la
reine et son complice, il partit sans rien dire pour la chasse. Il eût peut-être souffert cet outrage sans se
plaindre de peur de déplaire à Frédégonde, mais cette femme eut honte pour lui, elle lui fit l'honneur de
croire à sa colère afin d'avoir un prétexte pour l'assassiner; il l'avait rassasiée de crimes et de bassesses, elle
le fit tuer par dégoût.
[244]
Frédégonde, qui faisait brûler comme sorcières les femmes coupables seulement de lui avoir déplu,
s'exerçait elle-même à la magie noire, et protégeait ceux qu'elle croyait vraiment sorciers. Agéric, évêque
de Verdun, avait fait arrêter une pythonisse qui gagnait beaucoup d'argent en faisant retrouver les objets
perdus et en dénonçant les voleurs; c'était vraisemblablement une somnambule. On exorcisa cette femme,
le diable déclara qu'il ne sortirait point tant qu'on le tiendrait enchaîné, mais que si on laissait la pythonisse
seule dans une église, sans surveillant et sans gardes, il sortirait certainement. On donna dans le piège, et ce
fut la femme qui sortit; elle se réfugia auprès de Frédégonde qui la cacha dans son palais et finit par la
soustraire aux exorcismes et probablement au bûcher: elle fit donc cette fois une bonne action par erreur et
pour le plaisir de mal faire.
CHAPITRE III.
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS.
Sous les rois de France de la première race, le crime de magie n'entraînait la mort que pour les grands, et il
s'en trouvait qui faisaient gloire de mourir pour un crime qui les élevait
[245]
au-dessus du vulgaire, et les rendait redoutables même aux souverains. C'est ainsi que le général Mummol,
torturé par ordre de Frédégonde, déclara n'avoir rien souffert et provoqua lui-même les épouvantables
supplices à la suite desquels il mourut, en bravant ses bourreaux que tant de constance avait forcés en
quelque sorte de lui faire grâce.
Dans les lois saliques, que Sigebert attribue à Pharamond, et qu'il suppose avoir été promulguées en 424, on
trouve les dispositions suivantes:
«Si quelqu'un a traité hautement un autre d'héréburge ou strioporte, c'est le nom de celui qui porte le vase
de cuivre au lieu où les stryges font leurs enchantements, et s'il ne peut l'en convaincre, qu'il soit condamné
à une amende de sept mille cinq cents deniers qui font cent quatre-vingts sous et demi.»
«Si quelqu'un traite une femme libre de stryge ou de prostituée sans pouvoir prouver son dire, qu'il soit
condamné à une amende de deux mille cinq cents deniers qui font soixante-deux sous et demi.»
«Si une stryge a dévoré un homme et qu'elle en soit convaincue, elle sera condamnée à payer huit mille
deniers, qui font deux cents sous.»
On voit qu'en ce temps-là, l'anthropophagie était possible à prix d'argent et que la chair humaine ne coûtait
pas cher.
On payait cent quatre-vingt-sept sous et demi pour calomnier un homme: pour douze sous et demi de plus,
on pouvait l'égorger et le manger, c'était plus loyal et plus complet.
«Si quelqu'un a offert du sang de ses enfants à Moloch, qu'il soit puni de mort.» C'est la loi de Moïse.
Le Talmud ajoute en forme de commentaire: «Celui donc qui aura offert non-seulement du sang, mais tout
le sang et toute la chair de ses enfants, en sacrifice à Moloch, ne tombe pas sous les prescriptions de la loi,
et aucune peine n'est portée contre lui.»
A la lecture de cet incompréhensible raisonnement tous les assistants se récrièrent; les uns riaient de pitié,
les autres frémissaient d'indignation.
Rabbi Jéchiel obtint avec peine le silence, on l'écouta enfin, mais avec une défaveur marquée, et comme en
condamnant d'avance tout ce qu'il allait dire.
«La peine de mort chez nous, dit alors Jéchiel, n'est pas une vengeance; c'est une expiation et par
conséquent une réconciliation.
»Tous ceux qui meurent par la loi d'Israël, meurent dans la paix d'Israël; ils reçoivent la réconciliation avec
la mort et dorment avec nos pères. Nulle malédiction ne descend avec eux dans la tombe, ils vivent dans
l'immortalité de la maison de Jacob.
»La mort est donc une grâce suprême, c'est une guérison par le
[247]
fer d'une plaie envenimée; mais nous n'appliquons pas le fer aux incurables; nous n'avons plus de droit sur
ceux que la grandeur de leur forfait retranche à jamais d'Israël.
»Ceux-là sont morts, et il ne nous appartient plus d'abréger le supplice de leur réprobation sur la terre, ils
appartiennent à la colère de Dieu.
»L'homme n'a le droit de frapper que pour guérir, c'est pour cela que nous ne frappons pas les incurables.
»Le père de famille ne châtie que ses enfants et il se contente de fermer sa porte aux étrangers.
»Les grands coupables contre lesquels notre loi ne prononce aucune peine, sont par ce fait même
excommuniés à jamais, et cette réprobation est une peine plus grande que la mort.»
Cette réponse de Jéchiel est admirable, et l'on y sent respirer tout le génie patriarchal de l'antique Israël. Les
juifs sont véritablement nos pères dans la science, et si au lieu de les persécuter nous avions cherché à les
comprendre, ils seraient maintenant sans doute moins éloignés de notre foi.
Cette tradition talmudique prouve combien est ancienne chez les juifs la croyance à l'immortalité de l'âme.
Qu'est-ce, en effet, que cette réintégration du coupable dans la famille d'Israël par une mort expiatoire, si ce
n'est une protestation contre la mort même et un sublime acte de foi en la perpétuité de la vie? Le comte
Joseph de Maistre comprenait bien cette doctrine lorsqu'il élevait jusqu'à une espèce de sacerdoce
exceptionnel la mission sanglante du bourreau. Le supplice supplie, dit ce grand écrivain, et l'effusion du
sang n'a pas cessé d'être un sacrifice. Si la peine capitale n'était pas une suprême
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absolution, elle ne serait qu'une représaille de meurtre: l'homme qui subit sa peine accomplit toute sa
pénitence et rentre par la mort dans la société immortelle des enfants de Dieu.
Les lois saliques étaient celles d'un peuple encore barbare où tout se rachetait, comme à la guerre, avec une
rançon. L'esclavage existait encore, et la vie humaine n'avait qu'une valeur discutable et relative. On peut
toujours acheter ce qu'on a le droit de vendre, et l'on ne doit que de l'argent pour la destruction d'un objet
qui coûte de l'argent.
La seule législation forte de cette époque était celle de l'Église, aussi les conciles portèrent-ils contre les
stryges et les empoisonneurs qui prenaient le nom de sorciers, les peines les plus sévères. Le concile d'Agde
dans le bas Languedoc, tenu en 506, les excommunie; le premier concile d'Orléans, tenu en 511, défend
expressément les opérations divinatoires; le concile de Narbonne, en 589, frappe les sorciers d'une
excommunication sans espérance, et ordonne qu'ils soient faits esclaves et vendus au profit des pauvres. Ce
même concile ordonne de fustiger publiquement les amateurs du diable, c'est-à-dire sans doute ceux qui
s'en occupaient, qui le craignaient, qui l'évoquaient, qui lui attribuaient une partie de la puissance de Dieu.
Nous félicitons sincèrement les disciples de M. le comte de Mirville de n'avoir pas vécu de ce temps-là.
Pendant que ces choses se passaient en France, un extatique venait de fonder en Orient une religion et un
empire. Mahomet était-il un fourbe ou un halluciné? Pour les musulmans, c'est
[249]
encore un prophète, et pour les savants qui connaissent à fond la langue arabe, le Coran sera toujours un
chef-d'oeuvre.
Mahomet était un homme sans lettres, un simple conducteur de chameaux, et il créa le monument le plus
parfait de la langue de son pays. Ses succès ont pu passer pour des miracles, et l'enthousiasme guerrier de
ses successeurs menaça un instant la liberté du monde entier; mais toutes les forces de l'Asie vinrent un jour
se briser contre la main de fer de Charles-Martel. Ce rude guerrier ne priait guère lorsqu'il fallait combattre;
manquait-il d'argent, il en prenait dans les monastères et dans les églises, il donna même des bénéfices
ecclésiastiques à des soldats. Dieu, dans l'opinion du clergé, ne devait pas bénir ses armes, aussi ses
victoires furent-elles attribuées à la magie. Ce prince avait tellement soulevé contre lui l'opinion religieuse,
qu'un vénérable personnage, saint Eucher, évêque d'Orléans, le vit plongé dans les enfers. Le saint évêque,
alors en extase, apprit d'un ange qui le conduisait en esprit à travers les régions d'outre-tombe, que les saints
dont Charles-Martel avait spolié ou profané les églises lui avaient interdit l'entrée du ciel, avaient chassé
son corps même de la sépulture, et l'avaient précipité au fond de l'abîme. Eucher donna avis de cette
révélation à Boniface, évêque de Mayence, et à Fulrad, archichapelain de Pépin le Bref. On ouvrit le
tombeau de Charles-Martel, le corps n'y était plus, la pierre intérieure était noircie et comme brûlée, une
fumée infecte s'en exhala et un énorme serpent en sortit. Boniface adressa à Pépin le Bref et à Carloman le
procès-verbal de l'exhumation, ou plutôt de l'ouverture du tombeau de leur père, en les invitant à profiter
[250]
de ce terrible exemple et à respecter les choses saintes. Mais était-ce bien les respecter que de violer ainsi la
sépulture d'un héros sur la foi d'un rêve pour attribuer à l'enfer ce travail de destruction si complètement et
si vite achevé par la mort?
Sous le règne de Pépin le Bref, des phénomènes fort singuliers se montrèrent publiquement en France. L'air
était plein de figures humaines, le ciel reflétait des mirages de palais, de jardins, de flots agités, de
vaisseaux les voiles au vent et d'armées rangées en bataille. L'atmosphère ressemblait à un grand rêve. Tout
le monde pouvait voir et distinguer les détails de ces fantastiques tableaux. Était-ce une épidémie attaquant
les organes de la vision ou une perturbation atmosphérique qui projetait des mirages dans l'air condensé?
N'était-ce pas plutôt une hallucination universelle produite par quelque principe enivrant et pestilentiel
répandu dans l'atmosphère? Ce qui donnerait plus de probabilité à cette dernière supposition, c'est que ces
visions exaspéraient le peuple; on croyait distinguer en l'air des sorciers qui répandaient à pleines mains les
poudres malfaisantes et les poisons. Les campagnes étaient frappées de stérilité, les bestiaux mouraient, et
la mortalité s'étendait même sur les hommes.
On répandit alors une fable qui devait avoir d'autant plus de succès et de crédit, qu'elle était plus
complètement extravagante. Il y avait alors un fameux kabbaliste, nommé Zédéchias, qui tenait école de
sciences occultes, et enseignait non pas la kabbale, mais les hypothèses amusantes auxquelles la kabbale
peut donner lieu et qui forment la partie exotérique de
[251]
cette science toujours cachée au vulgaire. Zédéchias amusait donc les esprits avec la mythologie de cette
kabbale fabuleuse. Il racontait comment Adam, le premier homme, créé d'abord dans un état presque
spirituel, habitait au-dessus de notre atmosphère où la lumière faisait naître pour lui et à son gré les
végétations les plus merveilleuses; là il était servi par une foule d'êtres de la plus grande beauté, créés à
l'image de l'homme et de la femme, dont ils étaient les reflets animés, et formés de la plus pure substance
des éléments: c'étaient les sylphes, les salamandres, les ondins et les gnomes; mais dans l'état d'innocence,
Adam ne régnait sur les gnomes et sur les ondins que par l'entremise des sylphes et des salamandres qui,
seuls, avaient le pouvoir de s'élever jusqu'à son paradis aérien.
Rien n'égalait le bonheur du couple primitif servi par les sylphes; ces esprits mortels étant d'une incroyable
habileté pour bâtir, tisser, faire fleurir la lumière en mille formes plus variées que l'imagination la plus
brillante et la plus féconde n'a le temps de les concevoir. Le paradis terrestre, ainsi nommé parce qu'il
reposait sur l'atmosphère de la terre, était donc le séjour des enchantements; Adam et Ève dormaient dans
des palais de perles et de saphirs, les roses naissaient autour d'eux et s'étendaient en tapis sous leurs pieds;
ils glissaient sur l'eau dans des conques de nacre tirées par des cygnes, les oiseaux leur parlaient avec une
musique délicieuse, les fleurs se penchaient pour les caresser; la chute leur fit tout perdre en les précipitant
sur la terre; les corps matériels dont ils furent couverts, sont les peaux de bêtes dont il est parlé dans la
Bible. Ils se trouvèrent seuls et nus sur une terre qui
[252]
n'obéissait plus aux caprices de leurs pensées; ils oublièrent même la vie édénique, et ne l'entrevirent plus
dans leurs souvenirs que comme un rêve. Cependant, au-dessus de l'atmosphère, les régions paradisiaques
s'étendaient toujours, habitées seulement par les sylphes et les salamandres qui se trouvaient ainsi gardiens
des domaines de l'homme, comme des valets affligés qui restent dans le château d'un maître dont ils
n'espèrent plus le retour.
Les imaginations étaient pleines de ces merveilleuses fictions lorsqu'apparurent les mirages du ciel et les
figures humaines dans les nuées. Plus de doute alors, c'étaient les sylphes et les salamandres de Zédéchias
qui venaient chercher leurs anciens maîtres; on confondit les rêves avec la veille, et plusieurs personnes se
crurent enlevées par les êtres aériens; il ne fut bruit que de voyages au pays des sylphes, comme parmi nous
on parle de meubles animés et de manifestations fluidiques. La folie gagna les meilleures têtes, et il fallut
enfin que l'Église s'en mêlât. L'Église aime peu les communications surnaturelles faites à la multitude; de
semblables révélations détruisant le respect dû à l'autorité et la chaîne hiérarchique de l'enseignement ne
sauraient être attribuées à l'esprit d'ordre et de lumière. Les fantômes des nuages furent donc atteints et
convaincus d'être des illusions de l'enfer; le peuple alors, désireux de s'en prendre à quelqu'un, se croisa en
quelque sorte contre les sorciers. La folie publique se termina par une crise de fureur: les gens inconnus
qu'on rencontrait dans les campagnes étaient accusés de descendre du ciel et tués sans miséricorde;
plusieurs maniaques avouèrent qu'ils avaient été enlevés par des sylphes ou par des
[253]
démons; d'autres, qui s'en étaient déjà vantés, ne voulurent plus ou ne purent plus s'en dédire: on les brûlait,
on les jetait à l'eau et on croirait à peine, dit Garinet 14, quel grand nombre ils en firent périr ainsi dans tout
le royaume. Ainsi se dénouent ordinairement les drames où les premiers rôles sont joués par l'ignorance et
par la peur.
Note 14: (retour) Garinet, Histoire de la magie en France, 1818, 1 vol. in-8.
Ces épidémies visionnaires se reproduisirent sous les règnes suivants, et la toute-puissance de Charlemagne
dut intervenir pour calmer l'agitation publique. Un édit, renouvelé depuis par Louis le Débonnaire, défendit
aux sylphes de se montrer sous les peines les plus graves. On comprit qu'a défaut des sylphes ces peines
atteindraient ceux qui se vanteraient de les avoir vus et on finit par ne les plus voir; les vaisseaux aériens
rentrèrent dans le port de l'oubli et personne ne prétendit plus avoir voyagé dans le ciel. D'autres frénésies
populaires remplacèrent celle-là, et les splendeurs romanesques du grand règne de Charlemagne vinrent
fournir aux légendaires assez d'autres prodiges à croire et d'autres merveilles à raconter.
[254]
CHAPITRE IV.
LÉGENDES DU RÈGNE DE CHARLEMAGNE.
SOMMAIRE.--L'épée enchantée et le cor magique de Roland.--L'Enchiridion de Léon III.--Le sabbat--Les
tribunaux secrets ou les francs-juges.--Dispositions des Capitulaires contre les sorciers.--La chevalerie
errante.
Charlemagne est le véritable prince des enchantements et de la féerie, son règne est comme une halte
solennelle et brillante entre la barbarie et le moyen âge; c'est une apparition de majesté et de grandeur qui
rappelle les pompes magiques du règne de Salomon, c'est une résurrection et une prophétie. En lui l'empire
romain, enjambant les origines gauloises et franques, reparaît dans toute sa splendeur; en lui aussi, comme
dans un type évoqué et réalisé par divination, se montre d'avance l'empire parfait des âges de la civilisation
mûrie, l'empire couronné par le sacerdoce et appuyant son trône contre l'autel.
A Charlemagne commence l'ère de la chevalerie et l'épopée merveilleuse des romans; les chroniques du
règne de ce prince ressemblent toutes à l'histoire des quatre fils Aymon ou d'Oberon l'enchanteur. Les
oiseaux parlent pour remettre dans le bon chemin l'armée française égarée dans les forêts; des colosses
d'airain se dressent au milieu de la mer et montrent à l'empereur les voies ouvertes de l'Orient. Roland, le
premier des paladins, possède une épée magique, baptisée comme une chrétienne et nommée
[255]
Durandal; le preux parle à son épée, et elle semble le comprendre, rien ne résiste à l'effort de ce glaive
surnaturel. Roland possède aussi un cor d'ivoire si artistement fait, que le moindre souffle y produit un bruit
qui s'entend de vingt lieues à la ronde et qui fait trembler les montagnes; lorsque Roland succombe à
Roncevaux, plutôt écrasé que vaincu, il se soulève encore comme un géant sous un déluge d'arbres et de
roches roulantes, il sonne du cor, et les Sarrazins prennent la fuite. Charlemagne, qui est à plus de dix lieues
de là, entend le cor de Roland et veut aller à son secours; mais il en est empêché par le traître Ganelon qui a
vendu l'armée française aux barbares. Roland, se voyant abandonné, embrasse une dernière fois sa
Durandal, puis, réunissant toutes ses forces, il en frappe à deux mains un quartier de montagne contre
lequel il espère la briser pour ne pas la laisser tomber au pouvoir des infidèles, le quartier de montagne est
pourfendu sans que Durandal soit ébréchée. Roland la serre sur sa poitrine et meurt avec une mine si haute
et si fière que les Sarrazins n'osent descendre pour l'approcher et lancent encore en tremblant une grêle de
flèches contre leur vainqueur qui n'est plus.
Charlemagne donnant un trône à la papauté et recevant d'elle l'empire du monde, est le plus grandiose de
tous les personnages de notre histoire.
Nous avons parlé de l'Enchiridion, ce petit livre renfermant avec les plus belles prières chrétiennes les
caractères les plus cachés de la Kabbale. La tradition occulte attribue ce petit livre à Léon III, et affirme
qu'il fut donné par le pontife à Charlemagne comme le plus rare de tous les présents. Le souverain
[256]
propriétaire de ce livre, et sachant dignement s'en servir, devait être le maître du monde. Cette tradition
n'est peut-être pas à dédaigner.
Elle suppose:
1° L'existence d'une révélation primitive et universelle, expliquant tous les secrets de la nature et les
accordant avec les mystères de la grâce, conciliant la raison avec la foi parce que toutes deux sont filles de
Dieu et concourent à éclairer l'intelligence par leur double lumière;
2° La nécessité où l'on a toujours été réduit de cacher cette révélation à la multitude, de peur qu'elle n'en
abuse en l'interprétant mal, et qu'elle ne se serve contre la foi des forces de la raison ou des puissances de la
foi même pour égarer la raison que le vulgaire n'entend jamais bien;
3° L'existence d'une tradition secrète réservant aux souverains pontifes et aux maîtres temporels du monde
la connaissance de ces mystères;
4° La perpétuité de certains signes ou pantacles exprimant ces mystères d'une manière hiéroglyphique, et
connus des seuls adeptes.
L'Enchiridion serait un recueil de prières allégoriques, ayant pour clefs les pantacles les plus mystérieux de
la kabbale.
Le premier, qui est gravé sur la couverture même du livre, représente un triangle équilatéral renversé,
inscrit dans un double cercle. Sur le triangle sont écrits de manière à former le
[257]
tau prophétique, les deux mots דאלהיםÉloïm, et אבאותSabaoth, qui signifie le Dieu des armées, l'équilibre
des forces naturelles et l'harmonie des nombres. Aux trois côtés du triangle sont les trois grands noms יהוה,
Jéhovah, אבכי, Adonaï, אלכא, Agla; au-dessus du nom de Jéhovah est écrit en latin formatio, au-dessus
d'Adonaï, reformatio, et au-dessus d'Agla, transformatio. Ainsi la création est attribuée au Père, la
rédemption ou la réforme au Fils, et la sanctification ou transformation au Saint-Esprit, suivant les lois
mathématiques de l'action de la réaction et de l'équilibre. Jéhovah est en effet aussi la genèse ou la
formation du dogme par la signification élémentaire des quatre lettres du tétragramme sacré; Adonaï est la
réalisation de ce dogme en forme humaine, dans le Seigneur visible, qui est le fils de Dieu ou l'homme
parfait; et Agla, comme nous l'avons assez longuement expliqué ailleurs, exprime la synthèse de tout le
dogme et de toute la science kabbalistique, en indiquant clairement par les hiéroglyphes dont ce nom
admirable est formé le triple secret du grand oeuvre.
Le deuxième pantacle est une tête à triple visage, couronnée d'une tiare et sortant d'un vase plein d'eau.
Ceux qui sont initiés aux mystères du Sohar comprendront l'allégorie de cette tête.
Le quatrième est l'épée magique, avec cette légende: Deo duce, comite ferro, emblème du grand arcane et
de la toute-puissance de l'initié.
Le sixième est le pantacle de l'esprit, signifié par des ossements qui forment deux E et deux taus: T.
Le septième, et le plus important, est le grand monogramme magique, expliquant les clavicules de
Salomon, le tétragramme, le signe du labarum et le mot suprême des adeptes (voyez Dogme et rituel de la
haute magie, explication des figures du tome 1). Ce caractère se lit en faisant tourner la page comme une
roue, et se prononce rota tarot ou tora (voyez Guilhaume Postel, Clavis absconditorum a constitutione
mundi).
La lettre A est souvent remplacée dans ce caractère par le nombre de la lettre, qui est 1.
On trouve aussi dans ce signe la figure et la valeur des quatre emblèmes hiéroglyphiques du tarot, le bâton,
la coupe, l'épée et le denier. Ces quatre hiéroglyphes élémentaires se retrouvent partout dans les monuments
sacrés des Égyptiens, et Homère les a figurés dans sa description du bouclier d'Achille, en les plaçant dans
le même ordre que les auteurs de l'Enchiridion.
Mais ces explications, s'il fallait les appuyer de toutes leurs preuves, nous entraîneraient ici hors de notre
sujet, et demanderaient un travail spécial que nous espérons bien mettre en ordre et publier un jour.
L'épée ou le poignard magique figuré dans l'Enchiridion paraît avoir été le symbole secret du tribunal des
francs-juges. Ce glaive, en effet, est fait en forme de croix, il est caché et comme enveloppé dans la
légende; Dieu seul le dirige, et celui qui frappe ne doit compte de ses coups à personne. Terrible
[259]
menace et non moins terrible privilège! le poignard vehmique, en effet, atteignait dans l'ombre des
coupables dont le crime même restait souvent inconnu. A quels faits se rattache cette effrayante justice? Il
faut ici pénétrer dans des ombres que l'histoire n'a pu éclaircir, et demander aux traditions et aux légendes
une lumière que la science ne nous donne pas.
Les francs-juges furent une société secrète opposée, dans l'intérêt de l'ordre et du gouvernement, à des
sociétés secrètes anarchiques et révolutionnaires.
Les superstitions sont tenaces, et le druidisme dégénéré avait jeté de profondes racines dans les terres
sauvages du Nord. Les insurrections fréquentes des Saxons attestaient un fanatisme toujours remuant et que
la force morale était impuissante à réprimer; tous les cultes vaincus, le paganisme romain, l'idolâtrie
germaine, la rancune juive, se liguaient contre le christianisme victorieux. Des assemblées nocturnes
avaient lieu, et les conjurés y cimentaient leur alliance par le sang des victimes humaines: une idole
panthéistique aux cornes de bouc et aux formes monstrueuses présidait à des festins qu'on pourrait appeler
les agapes de la haine. Le sabbat, en un mot, se célébrait encore dans toutes les forêts et dans tous les
déserts des provinces encore sauvages; les adeptes s'y rendaient masqués et méconnaissables; l'assemblée
éteignait ses lumières et se dispersait avant le point du jour; les coupables étaient partout, et nulle part on ne
pouvait les saisir. Charlemagne résolut de les combattre avec leurs propres armes.
Charlemagne envoya en Westphalie, où le mal était le plus grand, des agents dévoués chargés d'une
mission secrète. Ces agents attirèrent à eux et se lièrent par le serment et la surveillance mutuelle tout ce
qui était énergique parmi les opprimés, tout ce qui aimait encore la justice, soit parmi le peuple, soit parmi
la noblesse; ils découvrirent à leurs adeptes les pleins pouvoirs qu'ils tenaient de l'empereur, et instituèrent
le tribunal des francs-juges.
C'était une police secrète ayant droit de vie et de mort. Le mystère qui entourait les jugements, la rapidité
des exécutions, tout frappa l'imagination de ces peuples encore barbares. La sainte vehme prit de
gigantesques proportions; on frissonnait en se racontant des apparitions d'hommes masqués, des citations
clouées aux portes des seigneurs les plus puissants au milieu même de leurs gardes et de leurs orgies, des
chefs de brigands trouvés morts avec le terrible poignard cruciforme dans la poitrine, et sur la bandelette
attachée au poignard l'extrait du jugement de la sainte vehme.
Ce tribunal affectait dans ses réunions les formes les plus fantastiques: le coupable cité dans quelque
carrefour décrié y était pris par un homme noir qui lui bandait les yeux et le conduisait en silence; c'était
toujours le soir, à une heure
[261]
avancée, car les arrêts ne se prononçaient qu'à minuit. Le criminel était introduit dans de vastes souterrains,
une seule voix l'interrogeait; puis on lui ôtait son bandeau: le souterrain s'illuminait dans toutes ses
profondeurs immenses, et l'on voyait les francs-juges tous vêtus de noir et masqués. Les sentences n'étaient
pas toujours mortelles, puisqu'on a su comment les choses se passaient, sans que jamais un franc-juge ait
révélé quoi que ce soit, car la mort eût frappé à l'instant même le révélateur. Ces assemblées formidables
étaient quelquefois si nombreuses, qu'elles ressemblaient à une armée d'exterminateurs: une nuit l'empereur
Sigismond lui-même présidait la sainte vehme, et plus de mille francs-juges siégeaient en cercle autour de
lui.
En 1400, il y avait en Allemagne cent mille francs-juges. Les gens à mauvaise conscience redoutaient leurs
parents et leurs amis: «Si le duc Adolphe de Sleiswyek vient me faire visite, disait un jour Guillaume de
Brunswick, il faudra bien que je le fasse pendre, si je ne veux pas être pendu.»
Un prince de la même famille, le duc Frédéric de Brunswick, qui fut empereur un instant, avait refusé de se
rendre à une citation des francs-juges; il ne sortait plus qu'armé de toutes pièces et entouré de gardes; mais
un jour il s'écarta un peu de sa suite et eut besoin de se débarrasser d'une partie de son armure: on ne le vit
pas revenir. Ses gardes entrèrent dans le petit bois où le duc avait voulu être seul un instant; le malheureux
expirait, ayant dans les reins le poignard de la sainte vehme, et la sentence pendue au poignard. On regarda
de tous côtés, et l'on
[262]
vit un homme masqué qui se retirait en marchant d'un pas solennel... Personne n'osa le poursuivre!
On a imprimé dans le Reichsthetaer de Müller le code de la cour vehmique, retrouvé dans les anciennes
archives de Westphalie; voici le titre de ce vieux document:
«Code et statuts du saint tribunal secret des francs-comtes et francs-juges de Westphalie qui ont été établis
en l'année 772 par l'empereur Charlemagne, tels que les dits statuts ont été corrigés en 1404 par le roi
Robert, qui y a fait en plusieurs points les changements et les augmentations qu'exigeait l'administration de
la justice dans les tribunaux des illuminés, après les avoir de nouveau revêtus de son autorité.»
Un avis placé à la première page défend sous peine de mort, à tout profane, de jeter les yeux sur ce livre.
Le nom d'illuminés qu'on donne ici aux affiliés du tribunal secret révèle toute leur mission: ils avaient à
suivre dans l'ombre les adorateurs des ténèbres, ils circonvenaient mystérieusement ceux qui conspiraient
contre la société à la faveur du mystère; mais ils étaient les soldats occultes de la lumière, ils devaient faire
éclater le jour sur toutes les trames criminelles, et c'est ce que signifiait cette splendeur subite qui illuminait
le tribunal lorsqu'il prononçait une sentence.
Les dispositions publiques de la loi sous Charlemagne autorisaient cette guerre sainte contre les tyrans de la
nuit. On peut voir dans les Capitulaires de quelles peines devaient être punis les sorciers, les devins, les
enchanteurs, les noueurs d'aiguillette, ceux qui évoquent le diable, et les empoisonneurs au moyen de
prétendus philtres amoureux.
[263]
Ces mêmes lois défendent expressément de troubler l'air, d'exciter des tempêtes, de fabriquer des caractères
et des talismans, de jeter des sorts, de faire des maléfices, de pratiquer les envoûtements, soit sur les
hommes, soit sur les troupeaux. Les sorciers, astrologues, devins, nécromanciens, mathématiciens occultes,
sont déclarés exécrables et voués aux mêmes peines que les empoisonneurs, les voleurs et les assassins. On
comprendra cette sévérité, si l'on se rappelle ce que nous avons dit des rites horribles de la magie noire et
de ses sacrifices infanticides; il fallait que le danger fût grand, puisque la répression se manifestait sous des
formes si multipliées et si sévères.
Une autre institution qui remonte aux mêmes sources que la sainte vehme, fut la chevalerie errante. Les
chevaliers errants étaient des espèces de francs-juges qui en appelaient à Dieu et à leur lance de toutes les
injustices des châtelains et de toute la malice des nécromans. C'étaient des missionnaires armés qui
pourfendaient les mécréants après s'être munis du signe de la croix; ils méritaient ainsi le souvenir de
quelque noble dame, et sanctifiaient l'amour par le martyre d'une vie toute de dévouement. Que nous
sommes loin déjà de ces courtisanes païennes auxquelles on immolait des esclaves, et pour lesquelles les
conquérants de l'ancien monde brûlaient des villes! Aux dames chrétiennes il faut d'autres sacrifices; il faut
avoir exposé sa vie pour le faible et l'opprimé, il faut avoir délivré des captifs, il faut avoir puni les
profanateurs des affections saintes, et alors ces belles et blanches dames aux jupes armoriées, aux mains
délicates et pâles, ces madones vivantes et
[264]
fières comme des lis, qui reviennent de l'Église, leurs livres d'heures sous le bras et leurs patenôtres à leur
ceinture, détacheront leur voile brodé d'or ou d'argent, et le donneront pour écharpe au chevalier agenouillé
devant elles qui les prie en songeant à Dieu!
Ne nous souvenons plus des erreurs d'Ève, elles sont mille fois pardonnées et compensées par cette grâce
ineffable des nobles filles de Marie!
CHAPITRE V.
MAGICIENS.
Le dogme fondamental de la haute science, celui qui consacre la loi éternelle de l'équilibre, avait obtenu
son entière réalisation dans la constitution du monde chrétien. Deux colonnes vivantes soutenaient l'édifice
de la civilisation: le pape et l'empereur.
Mais l'empire s'était divisé en échappant aux faibles mains de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve.
La puissance temporelle, abandonnée aux chances de la conquête ou de l'intrigue, perdit cette unité
providentielle qui la mettait en harmonie avec Rome. Le pape dut souvent intervenir comme grand justicier,
et à ses risques et périls il réprima les convoitises et l'audace de tant de souverains divisés.
[265]
L'excommunication était alors une peine terrible, car elle était sanctionnée par les croyances universelles, et
produisait, par un effet mystérieux de cette chaîne magnétique de réprobations, des phénomènes qui
effrayaient la foule. C'est ainsi que Robert le Pieux, ayant encouru cette terrible peine par un mariage
illégitime, devint père d'un enfant monstrueux semblable à ces figures de démons que le moyen âge savait
rendre si complètement et si ridiculement difformes. Ce triste fruit d'une union réprouvée attestait du moins
les tortures de conscience et les rêves de terreur qui avaient agité la mère. Robert y vit une preuve de la
colère de Dieu, et se soumit à la sentence pontificale: il renonça à un mariage que l'Église déclarait
incestueux; il répudia Berthe pour épouser Constance de Provence, et il ne tint qu'à lui de voir dans les
moeurs suspectes et dans le caractère altier de cette nouvelle épouse un second châtiment du ciel.
Les chroniqueurs de ce temps-là semblent aimer beaucoup les légendes diaboliques, mais ils montrent, en
les racontant, bien plus de crédulité que de goût. Tous les cauchemars des moines, tous les rêves maladifs
des religieuses, sont considérés comme des apparitions réelles. Ce sont des fantasmagories dégoûtantes, des
allocutions stupides, des transfigurations impossibles, auxquelles il ne manque, pour être amusantes, que la
verve artistique de Callot et de Cyrano Bergerac. Rien de tout cela, depuis le règne de Robert jusqu'à celui
de saint Louis, ne nous parait digne d'être raconté.
Lorsque venait la nuit, une étoile rayonnante apparaissait dans le logis de Jéchiel; la lumière en était si vive,
qu'on ne pouvait la fixer sans être ébloui, elle projetait un rayonnement nuancé des couleurs de l'arc-en-ciel.
On ne la voyait jamais défaillir, ni s'éteindre, et l'on savait qu'elle n'était alimentée ni avec de l'huile, ni
avec aucune des substances combustibles alors connues.
Saint Louis, qui, pour être un grand catholique, n'en était pas moins un grand roi, voulut connaître Jéchiel;
il le fit venir à sa cour, eut avec lui plusieurs entretiens, demeura pleinement satisfait de ses explications, le
protégea contre ses ennemis, et ne cessa pas, tant qu'il vécut, de lui témoigner de l'estime et de lui faire du
bien.
A cette même époque vivait Albert le Grand, qui passe encore parmi le peuple pour le grand maître de tous
les magiciens. Les chroniqueurs assurent qu'il posséda la pierre philosophale, et qu'il parvint, après trente
ans de travail, à la solution du problème de l'androïde; c'est-à-dire qu'il fabriqua un homme artificiel,
vivant, parlant et répondant à toutes les questions avec une telle précision et une telle subtilité, que saint
Thomas d'Aquin, ennuyé de ne pouvoir le réduire au silence, le brisa d'un coup de bâton. Telle est la fable
populaire; voyons ce qu'elle signifie.
Le mystère de la formation de l'homme et de son apparition primitive sur la terre a toujours gravement
préoccupé les curieux qui cherchent les secrets de la nature. L'homme, en effet, apparaît le dernier dans le
monde fossile, et les jours de la création de Moïse ont déposé leurs débris successifs, attestant que ces jours
furent de longues époques: comment donc l'humanité se forma-t-elle? La Genèse nous dit que Dieu fit le
premier homme du limon de la terre, et qu'il lui insuffla la vie; nous ne doutons pas un instant de la vérité
de cette assertion. Loin de nous cependant l'idée hérétique et anthropomorphe d'un Dieu
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façonnant de la terre glaise avec ses mains. Dieu n'a pas de mains, c'est un pur esprit, et il fait sortir ses
créations les unes des autres par les forces mêmes qu'il donne à la nature. Si donc le Seigneur a tiré Adam
du limon de la terre, nous devons comprendre que l'homme est sorti de terre sous l'influence de Dieu, mais
d'une manière naturelle. Le nom d'Adam en hébreu désigne une terre rouge; or, quelle peut être cette terre
rouge? Voilà ce que cherchaient les alchimistes: en sorte que le grand oeuvre n'était pas le secret de la
transmutation des métaux, résultat indifférent et accessoire, c'était l'arcane universel de la vie, c'était la
recherche du point central de transformation où la lumière se fait matière et se condense en une terre qui
contient en elle le principe du mouvement et de la vie; c'était la généralisation du phénomène qui colore le
sang en rouge par la création de ces innombrables globules aimantés comme les mondes et vivants comme
des animaux. Les métaux, pour les disciples d'Hermès, étaient le sang coagulé de la terre passant, comme
celui de l'homme, du blanc au noir et du noir au vermeil, suivant le travail de la lumière. Remettre ce fluide
en mouvement par la chaleur, et lui rendre la fécondation colorante de la lumière au moyen de l'électricité,
telle était la première partie de l'oeuvre des sages; mais la fin était plus difficile et plus sublime, il s'agissait
de retrouver la terre adamique qui est le sang coagulé de la terre vivante; et le rêve suprême des
philosophes était d'achever l'oeuvre de Prométhée en imitant le travail de Dieu, c'est-à-dire en faisant naître
un homme enfant de la science, comme Adam fut l'enfant de la toute-puissance divine: ce rêve était insensé
peut-être, mais il était beau.
[269]
La magie noire, qui singe toujours la magie de lumière, mais en la prenant à rebours, se préoccupa aussi
beaucoup de l'androïde, car elle voulait en faire l'instrument de ses passions et l'oracle de l'enfer. Pour cela
il fallait faire violence à la nature et obtenir une sorte de champignon vénéneux plein de malice humaine
concentrée, une réalisation vivante de tous les crimes. Aussi cherchait-on la mandragore sous le gibet des
pendus; on la faisait arracher par un chien qu'on attachait à la racine, et qu'on frappait d'un coup mortel: le
chien devait arracher la mandragore dans les convulsions de l'agonie. L'âme du chien passait alors dans la
plante et y attirait celle du pendu... Mais c'est assez d'horreurs et d'absurdités. Les curieux d'une pareille
science peuvent consulter ce grimoire vulgaire connu dans les campagnes sous le nom du Petit Albert; ils y
verront comment on peut faire aussi la mandragore sous la forme d'un coq à figure humaine. La stupidité
dans toutes ces recettes le dispute à l'immonde, et en effet on ne peut outrager volontairement la nature sans
renverser en même temps toutes les lois de la raison.
Albert le Grand n'était ni infanticide ni déicide, il n'avait commis ni le crime de Tantale, ni celui de
Prométhée, mais il avait achevé de créer et d'armer de toutes pièces cette théologie purement scolastique,
issue des catégories d'Aristote et des sentences de Pierre Lombard, cette logique du syllogisme qui
argumente au lieu de raisonner, et qui trouve réponse à tout en subtilisant sur les termes. C'était moins une
philosophie qu'un automate philosophique, répondant par ressort, et déroulant ses
[270]
thèses comme un mouvement à rouages; ce n'était point le Verbe humain, c'était le cri monotone d'une
machine, la parole inanimée d'un androïde; c'était la précision fatale de la mécanique, au lieu de la libre
application des nécessités rationnelles. Saint Thomas d'Aquin brisa d'un seul coup tout cet échafaudage de
paroles montées d'avance, en proclamant l'empire éternel de la raison par cette magnifique sentence que
nous avons souvent citée: «Une chose n'est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce qu'elle
est juste.» La conséquence prochaine de cette proposition était celle-ci, en argumentant du plus au moins:
«Une chose n'est pas vraie parce qu'Aristote l'a dite, mais Aristote n'a pu raisonnablement la dire que si elle
est vraie. Cherchez donc d'abord la vérité et la justice, et la science d'Aristote vous sera donnée par
surcroît.»
Aristote galvanisé par la scolastique était le véritable androïde d'Albert le Grand; et le bâton magistral de
saint Thomas d'Aquin, ce fut la doctrine de la Somme théologique, chef-d'oeuvre de force et de raison
qu'on étudiera encore dans nos écoles de théologie quand on voudra revenir sérieusement aux saines et
fortes études.
Quant à la pierre philosophale transmise par saint Dominique à Albert le Grand, et par ce dernier à saint
Thomas d'Aquin, il faut entendre seulement la base philosophique et religieuse des idées de cette époque.
Si saint Dominique avait su faire le grand oeuvre, il eût acheté pour Rome l'empire du monde, dont il était
si jaloux pour l'Église, et eût employé à chauffer ses creusets ce feu qui brûla tant d'hérétiques. Saint
Thomas d'Aquin changeait en or tout ce qu'il touchait, mais c'est au figuré seulement et en prenant l'or pour
l'emblème de la vérité. C'est
[271]
ici l'occasion de dire quelques mots encore de la science hermétique cultivée depuis les premiers siècles
chrétiens par Ostanes, Romarius, la reine Cléopâtre, les arabes Géber, Alfarabius et Salmana, Morien,
Artéphius, Aristée. Cette science, prise d'une manière absolue, peut s'appeler la kabbale réalisatrice ou la
magie des oeuvres; elle a donc trois degrés analogues: réalisation religieuse, réalisation philosophique,
réalisation physique. La réalisation religieuse est la fondation durable de l'empire et du sacerdoce; la
réalisation philosophique est l'établissement d'une doctrine absolue et d'un enseignement hiérarchique; la
réalisation physique est la découverte et l'application dans le microcosme, ou petit monde, de la loi
créatrice qui peuple incessamment le grand univers. Cette loi est celle du mouvement combiné avec la
substance, du fixe avec le volatil, de l'humide avec le solide; ce mouvement a pour principe l'impulsion
divine, et pour instrument la lumière universelle, éthérée dans l'infini, astrale dans les étoiles et les planètes,
métallique, spécifique ou mercurielle dans les métaux, végétale dans les plantes, vitale dans les animaux,
magnétique ou personnelle dans les hommes.
Cette lumière est la quintessence de Paracelse, qui se trouve à l'état latent et à l'état rayonnant dans toutes
les substances créées; cette quintessence est le véritable élixir de vie qui s'extrait de la terre par la culture,
des métaux par l'incorporation, la rectification, l'exaltation et la synthèse, des plantes par la distillation et la
coction, des animaux par l'absorption, des hommes par la génération, de l'air par la respiration. Ce qui a fait
dire à Aristée qu'il faut prendre
[272]
l'air de l'air; à Khunrath, qu'il faut le mercure vivant de l'homme parfait formé par l'androgyne; à presque
tous, qu'il faut extraire des métaux, la médecine des métaux, et que cette médecine, au fond la même pour
tous les règnes, est cependant graduée et spécifiée suivant les formes et les espèces. L'usage de cette
médecine devait être triple: par sympathie, par répulsion ou par équilibre. La quintessence graduée n'était
que l'auxiliaire des forces; la médecine de chaque règne devait se tirer de ce règne même avec addition du
mercure principiant, terrestre ou minéral, et du mercure vivant synthétisé ou magnétisme humain.
Tels sont les aperçus les plus abrégés et les plus rapides de cette science, vaste et profonde comme la
kabbale, mystérieuse comme la magie, réelle comme les sciences exactes, mais décriée par la cupidité
souvent déçue des faux adeptes, et les obscurités dont les vrais sages ont enveloppé en effet leurs théories et
leurs travaux.
CHAPITRE VI.
PROCÈS CÉLÈBRES.
Les sociétés de l'ancien monde avaient péri par l'égoïsme matérialiste des castes qui, en s'immobilisant et
en parquant les multitudes dans une réprobation sans espérance, avaient privé le
[273]
pouvoir captif entre les mains d'un petit nombre d'élus de ce mouvement circulatoire qui est le principe du
progrès, du mouvement et de la vie. Un pouvoir sans antagonisme, sans concurrence, et par conséquent
sans contrôle, avait été funeste aux royautés sacerdotales; les républiques, d'une autre part, avaient péri par
le conflit des libertés qui, en l'absence de tout devoir hiérarchiquement et fortement sanctionné, ne sont plus
bientôt qu'autant de tyrannies rivales les unes des autres. Pour trouver un milieu stable entre ces deux
abîmes, l'idée des hiérophantes chrétiens avait été de créer une société vouée à l'abnégation par des voeux
solennels, protégée par des règlements sévères, qui se recruterait par l'initiation, et qui, seule dépositaire des
grands secrets religieux et sociaux, ferait des rois et des pontifes sans s'exposer elle-même aux corruptions
de la puissance. C'était là le secret de ce royaume de Jésus-Christ qui sans être de ce monde en gouvernerait
toutes les grandeurs.
LA CROIX PHILOSOPHIQUE
Cette idée présida à la fondation des grands ordres religieux, si souvent en guerre avec les autorités
séculières, soit ecclésiastiques, soit civiles; sa réalisation fut aussi le rêve des sectes dissidentes de
gnostiques ou d'illuminés qui prétendaient rattacher leur foi à la tradition primitive du christianisme de saint
Jean. Elle devint enfin une menace pour l'Église et pour la société quand un ordre riche et dissolu, initié aux
mystérieuses doctrines de la kabbale, parut disposé à tourner contre l'autorité légitime les principes
conservateurs de la hiérarchie, et menaça le monde entier d'une immense révolution.
En 1118, neuf chevaliers croisés en Orient, du nombre desquels étaient Geoffroi de Saint-Omer et Hugues
de Payens, se consacrèrent à la religion et prêtèrent serment entre les mains du patriarche de
Constantinople, siège toujours secrètement ou publiquement hostile à celui de Rome depuis Photius. Le but
avoué des templiers était de protéger les chrétiens qui venaient visiter les saints lieux; leur but secret était la
reconstruction du temple de Salomon sur le modèle prophétisé par Ézéchiel.
Cette reconstruction, formellement prédite par les mystiques judaïsants des premiers siècles, était devenue
le rêve secret des patriarches d'Orient. Le temple de Salomon rebâti et consacré au culte catholique
devenait, en effet, la métropole de l'univers. L'Orient l'emportait sur l'Occident, et les patriarches de
Constantinople s'emparaient de la papauté.
Les historiens, pour expliquer le nom de templiers donné à cet ordre militaire, prétendent que Baudoin II,
roi de Jérusalem, leur avait donné une maison située près du temple de Salomon. Mais ils commettent là un
énorme anachronisme, puisqu'à cette époque non-seulement le temple de Salomon n'existait plus, mais il ne
restait pas pierre sur pierre du second temple bâti par Zorobabel sur les ruines du premier, et il eût été
difficile d'en indiquer précisément la place.
Il faut en conclure que la maison donnée aux templiers par Baudoin était située non près du temple de
Salomon, mais près du
[275]
terrain sur lequel ces missionnaires secrets et armés du patriarche d'Orient avaient intention de le rebâtir.
Les templiers avaient pris pour leurs modèles, dans la Bible, les maçons guerriers de Zorobabel, qui
travaillaient en tenant l'épée d'une main et la truelle de l'autre. C'est pour cela que l'épée et la truelle furent
les insignes des templiers, qui plus tard, comme on le verra, se cachèrent sous le nom de frères maçons. La
truelle des templiers est quadruple et les lames triangulaires en sont disposées en forme de croix, ce qui
compose un pantacle kabbalistique connu sous le nom de croix d'Orient.
La pensée secrète d'Hugues de Payens, en fondant son ordre, n'avait pas été précisément de servir
l'ambition des patriarches de Constantinople. Il existait à cette époque en Orient une secte de chrétiens
johannites, qui se prétendaient seuls initiés aux vrais mystères de la religion du Sauveur. Ils prétendaient
connaître l'histoire réelle de Jésus-Christ, et, adoptant en partie les traditions juives et les récits du Talmud,
ils prétendaient que les faits racontés dans les Évangiles ne sont que des allégories dont saint Jean donne la
clef en disant, «qu'on pourrait remplir le monde des livres qu'on écrirait sur les paroles et les actes de Jésus-
Christ;» paroles qui, suivant eux, ne seraient qu'une ridicule exagération, s'il ne s'agissait, en effet, d'une
allégorie et d'une légende qu'on peut varier et prolonger à l'infini.
Pour ce qui est des faits historiques et réels, voici ce que les johannites racontaient:
Une jeune fille de Nazareth, nommée Mirjam, fiancée à un jeune homme de sa tribu, nommé Jochanan, fut
surprise par un certain
[276]
Pandira, ou Panther, qui abusa d'elle par la force après s'être introduit dans sa chambre sous les habits et
sous le nom de son fiancé. Jochanan, connaissant son malheur, la quitta sans la compromettre, puisqu'en
effet, elle était innocente, et la jeune fille accoucha d'un fils qui fut nommé Josuah ou Jésus.
Cet enfant fut adopté par un rabbin du nom de Joseph qui l'emmena avec lui en Égypte; là, il fut initié aux
sciences secrètes, et les prêtres d'Osiris, reconnaissant en lui la véritable incarnation d'Horus promise
depuis longtemps aux adeptes, le consacrèrent souverain pontife de la religion universelle.
Josuah et Joseph revinrent en Judée où la science et la vertu du jeune homme ne tardèrent pas à exciter
l'envie et la haine des prêtres; qui lui reprochèrent un jour publiquement l'illégitimité de sa naissance.
Josuah, qui aimait et vénérait sa mère, interrogea son maître et apprit toute l'histoire du crime de Pandira et
des malheurs de Mirjam. Son premier mouvement fut de la renier publiquement en lui disant au milieu d'un
festin de noces: «Femme qu'y a-t-il de commun entre vous et moi?» Mais ensuite pensant qu'une pauvre
femme ne doit pas être punie d'avoir souffert ce qu'elle ne pouvait empêcher, il s'écria: «Ma mère n'a point
péché, elle n'a point perdu son innocence; elle est vierge, et cependant elle est mère; qu'un double honneur
lui soit rendu! Quant à moi, je n'ai point de père sur la terre. Je suis le fils de Dieu et de l'humanité!»
Nous ne pousserons pas plus loin cette fiction affligeante pour des coeurs chrétiens; qu'il nous suffise de
dire que les johannites allaient jusqu'à faire saint Jean l'Évangéliste
[277]
responsable de cette prétendue tradition, et qu'ils attribuaient à cet apôtre la fondation de leur Église
secrète.
Les grands pontifes de cette secte prenaient le titre de Christ et prétendaient se succéder depuis saint Jean
par une transmission de pouvoirs non interrompue. Celui qui se parait, à l'époque de la fondation de l'ordre
du temple, de ces privilèges imaginaires se nommait Théoclet; il connut Hugues de Payens, il l'initia aux
mystères et aux espérances de sa prétendue Église; il le séduisit par des idées de souverain sacerdoce et de
suprême royauté, il le désigna enfin pour son successeur.
Ainsi l'ordre des chevaliers du temple fut entaché dès son origine de schisme et de conspiration contre les
rois.
Ces tendances furent enveloppées d'un profond mystère et l'ordre faisait profession extérieure de la plus
parfaite orthodoxie. Les chefs seulement savaient où ils voulaient aller; le reste les suivait sans défiance.
Acquérir de l'influence et des richesses, puis intriguer, et au besoin combattre pour établir le dogme
johannite, tels étaient le but et les moyens proposés aux frères initiés. «Voyez, leur disait-on, la papauté et
les monarchies rivales se marchander aujourd'hui, s'acheter, se corrompre, et demain peut-être s'entre-
détruire. Tout cela sera l'héritage du temple; le monde nous demandera bientôt des souverains et des
pontifes. Nous ferons l'équilibre de l'univers, et nous serons les arbitres des maîtres du monde.»
Les templiers avaient deux doctrines, une cachée et réservée aux maîtres, c'était celle du johannisme; l'autre
publique, c'était
[278]
la doctrine catholique-romaine. Ils trompaient ainsi les adversaires qu'ils aspiraient à supplanter, Le
johannisme des adeptes était la kabbale des gnostiques, dégénérée bientôt en un panthéisme mystique
poussé jusqu'à l'idolâtrie de la nature et la haine de tout dogme révélé. Pour mieux réussir et se faire des
partisans, ils caressaient les regrets des cultes déchus et les espérances des cultes nouveaux, en promettant à
tous la liberté de conscience et une nouvelle orthodoxie qui serait la synthèse de toutes les croyances
persécutées. Ils en vinrent ainsi jusqu'à reconnaître le symbolisme panthéistique des grands maîtres en
magie noire, et, pour mieux se détacher de l'obéissance à la religion qui d'avance les condamnait, ils
rendirent les honneurs divins à l'idole monstrueuse du Baphomet, comme jadis les tribus dissidentes avaient
adoré les veaux d'or de Dan et de Béthel.
Des monuments récemment découverts, et des documents précieux qui remontent au XIIIe siècle, prouvent
d'une manière plus que suffisante tout ce que nous venons d'avancer. D'autres preuves encore sont cachées
dans les annales et sous les symboles de la maçonnerie occulte.
Frappé de mort dans son principe même, et anarchique parce qu'il était dissident, l'ordre des chevaliers du
Temple avait conçu une grande oeuvre qu'il était incapable d'exécuter, parce qu'il ne connaissait ni
l'humilité ni l'abnégation personnelle. D'ailleurs les templiers étant pour la plupart sans instruction, et
capables seulement de bien manier l'épée, n'avaient rien de ce qu'il fallait pour gouverner et enchaîner au
besoin cette reine du monde qui s'appelle l'opinion. Hugues de Payens n'avait pas eu la
[279]
profondeur de vues qui distingua plus tard un militaire fondateur aussi d'une milice formidable aux rois.
Les templiers étaient des jésuites mal réussis.
Leur mot d'ordre était de devenir riches pour acheter le monde. Ils le devinrent en effet, et en 1312 ils
possédaient en Europe seulement plus de neuf mille seigneuries. La richesse fut leur écueil; ils devinrent
insolents et laissèrent percer leur dédain pour les institutions religieuses et sociales qu'ils aspiraient à
renverser. On connaît le mot de Richard Coeur de Lion à qui un ecclésiastique, auquel il permettait une
grande familiarité, ayant dit: «Sire, vous avez trois filles qui vous coûtent cher et dont il vous serait bien
avantageux de vous défaire: ce sont l'ambition, l'avarice et la luxure.--Vraiment! dit le roi: eh bien!
marions-les. Je donne l'ambition aux templiers, l'avarice aux moines et la luxure aux évêques. Je suis sûr
d'avance du consentement des parties.»
L'ambition des templiers leur fut fatale; on devinait trop leurs projets et on les prévint. Le pape Clément V
et le roi Philippe le Bel donnèrent un signal à l'Europe et les templiers, enveloppés pour ainsi dire dans un
immense coup de filet, furent pris, désarmés et jetés en prison. Jamais coup d'État ne s'était accompli avec
un ensemble plus formidable. Le monde entier fut frappé de stupeur, et l'on attendit les révélations étranges
d'un procès qui devait avoir tant de retentissement à travers les âges.
Il était impossible de dérouler devant le peuple le plan de la conspiration des templiers; c'eût été initier la
multitude aux secrets des maîtres. On eut recours à l'accusation de magie, et
[280]
il se trouva des dénonciateurs et des témoins. Les templiers, à leur réception, crachaient sur le Christ,
reniaient Dieu, donnaient au grand maître des baisers obscènes, adoraient une tête de cuivre aux yeux
d'escarboucle, conversaient avec un grand chat noir et s'accouplaient avec des diablesses. Voilà ce qu'on ne
craignit pas de porter sérieusement sur leur acte d'accusation. On sait la fin de ce drame et comment
Jacques de Molai et ses compagnons périrent dans les flammes; mais avant de mourir, le chef du Temple
organisa et institua la maçonnerie occulte. Du fond de sa prison, le grand maître créa quatre loges
métropolitaines, à Naples pour l'Orient, à Édimbourg pour l'Occident, à Stockholm pour le Nord et à Paris
pour le Midi. Le pape et le roi périrent bientôt d'une manière étrange et soudaine. Squin de Florian, le
principal dénonciateur de l'ordre, mourut assassiné. En brisant l'épée des templiers, on en avait fait un
poignard, et leurs truelles proscrites ne maçonnaient plus que des tombeaux.
Laissons-les maintenant disparaître dans les ténèbres ou ils se cachent en y tramant leur vengeance. Quand
viendra la grande révolution, nous les verrons reparaître et nous les reconnaîtrons à leurs signes et à leurs
oeuvres.
Le plus grand procès de magie que nous trouvions dans l'histoire, après celui des templiers, est celui d'une
vierge et presque d'une sainte. On a accusé l'Église d'avoir en cette circonstance servi les lâches
ressentiments d'un parti vaincu, et l'on se demande avec anxiété à quels anathèmes ont été voués par le
saint-siége les assassins de Jeanne d'Arc. Disons donc tout
[281]
d'abord à ceux qui ne le savent pas, que Pierre Cauchon, l'indigne évêque de Beauvais, frappé de mort
subite par la main de Dieu, fut excommunié après sa mort par le pape Calixte IV, et que ses ossements
arrachés à la terre sainte furent jetés à la voirie. Ce n'est donc pas l'Église qui a jugé et condamné la pucelle
d'Orléans, c'est un mauvais prêtre et un apostat.
Charles VII qui abandonna cette noble fille à ses bourreaux fut depuis sous la main d'une providence
vengeresse; il se laissa mourir de faim dans la crainte d'être empoisonné par son propre fils. La peur est le
supplice des lâches.
Ce roi avait vécu pour une courtisane et avait obéré pour elle ce royaume qui lui fut conservé par une
vierge. La courtisane et la vierge ont été chantées par nos poètes nationaux. Jeanne d'Arc par Voltaire, et
Agnès Sorel par Béranger.
Jeanne était morte innocente, mais les lois contre la magie atteignirent bientôt après et châtièrent un grand
coupable. C'était un des plus vaillants capitaines de Charles VII, et les services qu'il avait rendus à l'État ne
purent balancer le nombre et l'énormité de ses crimes.
Les contes de l'ogre et de Croquemitaine furent réalisés et surpassés par les actions de ce fantastique
scélérat, et son histoire est restée dans la mémoire des enfants sous le nom de la Barbe Bleue.
Gilles de Laval, seigneur de Raiz, avait en effet la barbe si noire, qu'elle semblait être bleue comme on peut
le voir par son portrait qui est au musée de Versailles, dans la salle des Maréchaux; c'était un maréchal de
Bretagne, brave parce qu'il
[282]
était Français, fastueux, parce qu'il était riche, et sorcier parce qu'il était fou.
Le dérangement des facultés du seigneur de Raiz se manifesta d'abord par une dévotion luxueuse et d'une
magnificence outrée. Il ne marchait jamais que précédé de la croix et de la bannière; ses chapelains étaient
couverts d'or et parés comme des prélats; il avait chez lui tout un collège de petits pages ou d'enfants de
choeur toujours richement habillés. Tous les jours un de ces enfants était mandé chez le maréchal, et ses
camarades ne le voyaient pas revenir: un nouveau venu remplaçait celui qui était parti et il était sévèrement
défendu aux enfants de s'informer du sort de tous ceux qui disparaissaient ainsi et même d'en parler entre
eux.
Le maréchal faisait prendre ces enfants à des parents pauvres, qu'on éblouissait par des promesses, et qui
s'engageaient à ne jamais plus s'occuper de leurs enfants, auxquels le seigneur de Raiz assurait, disait-il, un
brillant avenir.
Le maréchal, ruiné par ses folles dépenses, voulait à tout prix se créer des richesses; l'alchimie avait épuisé
ses dernières ressources, les emprunts usuraires allaient bientôt lui manquer; il résolut alors de tenter les
dernières expériences de la magie noire, et d'obtenir de l'or par le moyen de l'enfer.
Cependant madame de Raiz, que son mari laissait souvent seule pendant la nuit, avait aperçu des lumières
rougeâtres aller et venir dans cette tour.
Elle n'osait pas interroger son mari, dont le caractère bizarre et sombre lui inspirait la plus grande terreur.
Le jour de Pâques de l'année 1440, le maréchal, après avoir solennellement communié dans sa chapelle, prit
congé de la châtelaine de Machecoul, en lui annonçant qu'il partait pour la terre sainte; la pauvre femme ne
l'interrogea pas davantage, tant elle tremblait devant lui; elle était enceinte de plusieurs mois. Le maréchal
lui permit de faire venir sa soeur près d'elle, afin de s'en faire une compagnie pendant son absence. Madame
de Raiz usa de cette permission, et envoya quérir sa soeur; Gilles de Laval monta ensuite à cheval et partit.
Madame de Raiz confia alors à sa soeur ses inquiétudes et ses craintes. Que se passait-il au château?
Pourquoi le seigneur de Raiz était-il si sombre? Pourquoi ces absences multipliées? Que devenaient ces
enfants qui disparaissaient tous les jours? Pourquoi ces lumières nocturnes dans la tour murée? Ces
questions surexcitèrent au plus haut degré la curiosité des deux femmes.
Comment faire, pourtant. Le maréchal avait expressément défendu qu'on s'approchât de la tour dangereuse,
et, avant de partir, il avait formellement réitéré cette défense.
[284]
Il devait exister une entrée secrète: madame de Raiz et sa soeur Anne la cherchèrent; toutes les salles basses
du château furent explorées, coin par coin et pierre par pierre; enfin dans la chapelle, et derrière l'autel, un
bouton de cuivre, caché dans un fouillis de sculpture, céda sous la pression de la main, une pierre se
renversa, et les deux curieuses, palpitantes purent apercevoir les premières marches d'un escalier.
Au premier étage, elles trouvèrent une sorte de chapelle dont la croix était renversée et les cierges noirs; sur
l'autel était placée une figure hideuse représentant sans doute le démon.
Au second, il y avait des fourneaux, des cornues, des alambics, du charbon, enfin tout l'appareil des
souffleurs.
Au troisième, la chambre était obscure; on y respirait un air fade et fétide qui obligea les deux jeunes
visiteuses à ressortir. Madame de Raiz se heurta contre un vase qui se renversa, et elle sentit sa robe et ses
pieds inondés d'un liquide épais et inconnu; lorsqu'elle revint à la lumière du palier, elle se vit toute baignés
de sang.
La soeur Anne voulait s'enfuir, mais chez madame de Raiz la curiosité fut plus forte que l'horreur et que la
crainte; elle redescendit, prit la lampe de la chapelle infernale et remonta dans la chambre du troisième
étage: la un horrible spectacle s'offrit à sa vue.
Une des bassines avait été renversée par madame de Raiz, et un sang noir s'était largement répandu sur le
parquet en bois vermoulu et mal balayé.
Les deux femmes étaient demi-mortes d'épouvante. Madame de Raiz voulut à toute force effacer les indices
de son indiscrétion; elle alla chercher de l'eau et une éponge pour laver les planches, mais elle ne fit
qu'étendre la tache qui, de noirâtre qu'elle était, devenait sanguinolente et vermeille... Tout à coup une
grande rumeur retentit dans le château; on entend crier les gens qui appellent madame de Raiz, et elle
distingue parfaitement ces formidables paroles: «Voici monseigneur qui revient!» Les deux femmes se
précipitent vers l'escalier, mais au même instant elles entendent dans la chapelle du diable un grand bruit de
pas et de voix; la soeur Anne s'enfuit en montant jusqu'aux créneaux de la tour; madame de Raiz descend
en chancelant et se trouve face à face avec son mari, qui montait suivi du prêtre apostat et de Prélati.
Gilles de Laval saisit sa femme par le bras sans lui rien dire et l'entraîne dans la chapelle du diable; alors
Prélati dit au maréchal: «Vous voyez qu'il le faut, et que la victime est venue d'elle-même.--Eh bien! soit,
dit le maréchal; commencez la messe noire.»
Le prêtre apostat se dirigea vers l'autel, M. de Raiz ouvrit une petite armoire pratiquée dans l'autel même et
y prit un large couteau, puis il revint s'asseoir près de sa femme à demi
[286]
évanouie et renversée sur un banc contre le mur de la chapelle; les cérémonies sacrilèges commencèrent.
Il faut savoir que M. de Raiz, au lieu de prendre, en partant, la route de Jérusalem, avait pris celle de Nantes
où demeurait Prélati; il était entré comme un furieux chez ce misérable, en le menaçant de le tuer s'il ne lui
donnait pas le moyen d'obtenir du diable ce qu'il lui demandait depuis si longtemps. Prélati pour gagner un
délai lui avait dit que les conditions absolues du maître étaient terribles et qu'il fallait avant tout que le
maréchal se décidât à sacrifier au diable son dernier enfant arraché de force du sein de sa mère. Gilles de
Laval n'avait rien répondu, mais il était revenu sur-le-champ à Machecoul, entraînant après lui le sorcier
florentin avec le prêtre son complice. Il avait trouvé sa femme dans la tour murée et l'on sait le reste.
Cependant la soeur Anne oubliée sur la plate-forme de la tour et n'osant redescendre, avait détaché son
voile et faisait au hasard des signaux de détresse, auxquels répondirent deux cavaliers suivis de quelques
hommes d'armes qui galopaient vers le château; c'étaient ses deux frères qui, ayant appris le prétendu
départ du sire de Laval pour la Palestine, venaient visiter et consoler madame de Raiz. Ils entrèrent bientôt
avec fracas dans la cour du château; Gilles de Laval interrompant alors l'horrible cérémonie, dit à sa
femme: «Madame, je vous fais grâce, et il ne sera plus question de ceci si vous faites ce que je vais vous
dire:
»Retournez à votre chambre, changez d'habits et venez me rejoindre dans la salle d'honneur où je vais
recevoir vos frères;
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si devant eux vous dites un mot ou que vous leur fassiez soupçonner quelque chose, je vous ramène ici
après leur départ, et nous reprendrons la messe noire où nous l'avons laissée, c'est à la consécration que
vous devez mourir. Regardez bien où je dépose le couteau.»
Il se lève alors, conduit sa femme jusqu'à la porte de sa chambre et descend à la salle d'honneur, où il reçoit
les deux gentilshommes avec leur suite, leur disant que sa femme s'apprête et va venir embrasser ses frères.
Quelques instants après, en effet, paraît madame de Raiz, pâle comme une trépassée. Gilles de Laval ne
cessait de la regarder fixement et la dominait du regard: «Vous êtes malade ma soeur?--Non, ce sont les
fatigues de la grossesse....» Et tout bas la pauvre femme ajoutait: «Il veut me tuer, sauvez-moi....» Tout à
coup la soeur Anne, qui était parvenue à sortir de la tour, entre dans la salle en criant: «Emmenez-nous,
sauvez-nous, mes frères, cet homme est un assassin;» et elle montrait Gilles de Laval.
Le maréchal appelle ses gens à son aide, l'escorte des deux frères entoure les deux femmes et l'on met l'épée
à la main; mais les gens du seigneur de Raiz, le voyant furieux, le désarment au lieu de lui obéir. Pendant
ce temps madame de Raiz, sa soeur et ses frères gagnent le pont-levis et sortent du château.
Le lendemain, le duc Jean V fit investir Machecoul, et Gilles de Laval qui ne comptait plus sur ses hommes
d'armes se rendit sans résistance. Le parlement de Bretagne l'avait décrété de prise de corps comme
homicide; les juges ecclésiastiques s'apprêtèrent à le juger d'abord comme hérétique, sodomite et sorcier.
Des voix, que la terreur avait tenues longtemps muettes, s'élevèrent de
[288]
tous côtés pour lui redemander les enfants disparus. Ce fut un deuil et une clameur universelle dans toute la
province; on fouilla les châteaux de Machecoul et de Chantocé, et l'on trouva des débris de plus de deux
cents squelettes d'enfants; les autres avaient été brûlés et consumés en entier.
Gilles de Laval parut devant ses juges avec une suprême arrogance.--«Qui êtes-vous? lui demanda-t-on,
suivant la coutume.--Je suis Gilles de Laval, maréchal de Bretagne, seigneur de Raiz, de Machecoul, de
Chantocé et autres lieux. Et vous qui m'interrogez, qui êtes-vous?--Nous sommes vos juges, les magistrats
en cour d'Église.--Vous, mes juges! allons donc; je vous connais mes maîtres; vous êtes des simoniaques et
des ribauds; vous vendez votre dieu pour acheter les joies du diable. Ne parlez donc pas de me juger, car si
je suis coupable vous êtes certainement mes instigateurs et mes complices, vous qui me deviez le bon
exemple.--Cessez vos injures, et répondez-nous!--J'aimerais mieux être pendu par le cou que de vous
répondre; je m'étonne que le président de Bretagne vous laisse connaître ces sortes d'affaires; vous
interrogez sans doute pour vous instruire et faire ensuite pis que vous n'avez encore fait.»
Cette hauteur insolente tomba cependant devant la menace de la torture. Il avoua alors, devant l'évêque de
Saint-Brieux et le président Pierre de l'Hôpital, ses meurtres et ses sacrilèges; il prétendit que le massacre
des enfants avait pour motif une volupté exécrable qu'il cherchait pendant l'agonie de ces pauvres petits
êtres. Le président parut douter de la vérité et
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questionna de nouveau le maréchal.--Hélas! dit brusquement celui-ci, vous vous tourmentez inutilement et
moi avec.--Je ne vous tourmente point, répliqua le président; ains je suis moult émerveillé de ce que vous
me dites et ne m'en puis bonnement contenter, ainçois je désire, et voudrois en savoir par vous la pure
vérité.» Le maréchal lui répondit: «Vraiment il n'y avait ni autre cause, ni intention que ce que je vous ai
déjà dit; que voulez-vous davantage, ne vous en ai-je pas assez avoué pour faire mourir dix mille
hommes?»
Ce que Gilles de Raiz ne voulait pas dire, c'est qu'il cherchait la pierre philosophale dans le sang des
enfants égorgés. C'était la cupidité qui le poussait à cette monstrueuse débauche; il croyait, sur la foi de ses
nécromants, que l'agent universel de la vie devait être subitement coagulé par l'action et la réaction
combinées de l'outrage à la nature et du meurtre; il recueillait ensuite la pellicule irisée qui se formait sur le
sang lorsqu'il commençait à se refroidir, lui faisait subir diverses fermentations et mettait digérer le produit
dans l'oeuf philosophique de l'athanor, en y joignant du sel, du soufre et du mercure. Il avait tiré sans doute
cette recette de quelques-uns de ces vieux grimoires hébreux, qui eussent suffi s'ils avaient été connus pour
vouer les Juifs à l'exécration de toute la terre.
Dans la persuasion où ils étaient que l'acte de la fécondation humaine attire et coagule la lumière astrale en
réagissant par sympathie sur les êtres soumis au magnétisme de l'homme, les sorciers israélites en étaient
venus à ces écarts que leur reproche Philon, dans un passage que rapporte l'astrologue
[290]
Gaffarel. Ils faisaient greffer leurs arbres par des femmes qui inséraient la greffe pendant qu'un homme se
livrait sur elles à des actes outrageants pour la nature. Toujours, lorsqu'il s'agit de magie noire, on retrouve
les mêmes horreurs et l'esprit de ténèbres n'est guère inventif.
Gilles de Laval fut brûlé vif dans le pré de la Magdeleine, près de Nantes; il obtint la permission d'aller à la
mort avec tout le faste qui l'avait accompagné pendant sa vie, comme s'il voulait vouer à toute l'ignominie
de son supplice le faste et la cupidité qui l'avaient si complètement dégradé et si fatalement perdu.
CHAPITRE VII.
SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE.
Nous avons dit combien l'Église s'est montrée sobre de décisions relativement au génie du mal; elle
enseigne à ne pas le craindre, elle recommande à ses enfants de ne pas s'en occuper et de ne prononcer
jamais son nom. Cependant le penchant des imaginations malades et des têtes faibles pour le monstrueux et
l'horrible donna, pendant les mauvais jours du moyen âge, une importance formidable et les formes les plus
menaçantes à cet être ténébreux qui ne mérite que l'oubli, puisqu'il méconnaît éternellement la vérité et la
lumière.
[291]
Cette réalisation apparente du fantôme de la perversité fut comme une incarnation de la folie humaine; le
diable devint le cauchemar des cloîtres, l'esprit humain se fit peur à lui-même, et l'on vit l'être prétendu
raisonnable trembler devant ses propres chimères. Un monstre noir et difforme semblait avoir étendu ses
ailes de chauve-souris entre le ciel et la terre pour empêcher la jeunesse et la vie de se confier aux
promesses du soleil et à la paisible sérénité des étoiles. Cette harpie de la superstition empoisonnait tout de
son souffle, infectait tout de son contact: on ne pouvait boire et manger sans craindre d'avaler les oeufs du
reptile; on n'osait regarder la beauté, car peut-être était-ce une illusion du monstre; si l'on riait, on croyait
entendre comme un écho funèbre le ricanement du tourmenteur éternel; si l'on pleurait, on croyait le voir
insulter aux larmes. Le diable semblait tenir Dieu prisonnier dans le ciel, et imposer aux hommes sur la
terre le blasphème et le désespoir.
Les superstitions conduisent vite à l'ineptie et à la démence; rien de plus déplorable et de plus fastidieux
que la série des histoires d'apparitions diaboliques, dont les écrivains vulgaires de l'histoire de la magie ont
surchargé leurs compilations. Pierre le Vénérable voit le diable piquer une tête dans les latrines; un autre
chroniqueur le reconnaît sous la forme d'un chat qui ressemblait à un chien, et qui gambadait comme un
singe; un seigneur de Corasse avait à ses ordres un lutin nommé Orthon, qui lui apparut sous la forme d'une
truie prodigieusement maigre et décharnée. Maître Guillaume Édeline, prieur de Saint-Germain des Prés,
déclara l'avoir vu «sous la forme et semblance d'un
[292]
mouton qu'il lui semblait lors baiser brutalement sous la queue en signe de révérence et d'honneur.»
De malheureuses vieilles femmes s'accusaient de l'avoir eu pour amant; le maréchal Trivulce mourait de
frayeur en s'escrimant d'estoc et de taille, contre des diables dont il voyait sa chambre remplie; on brûlait
par centaines les malheureux idiots et les folles qui avouaient avoir eu commerce avec le malin; on
n'entendait parler que d'incubes et de succubes; des juges accueillaient gravement des révélations qu'il eût
fallu renvoyer aux médecins; l'opinion publique exerçait d'ailleurs sur eux une pression irrésistible, et
l'indulgence pour les sorciers eût exposé les magistrats eux-mêmes à toutes les fureurs populaires. La
persécution exercée sur les fous rendait la folie contagieuse, et les maniaques s'entre-déchiraient; on battait
jusqu'à la mort, on faisait brûler à petit feu, on plongeait dans l'eau glacée les malheureux que la rumeur
publique accusait de magie pour les forcer à lever les sorts qu'ils avaient jetés, et la justice n'intervenait que
pour achever sur un bûcher ce qu'avait commencé la rage aveugle des multitudes.
En racontant l'histoire de Gilles de Laval, nous avons suffisamment prouvé que la magie noire peut être un
crime réel et le plus grand de tous les crimes; mais le malheur des temps fut de confondre les malades avec
les criminels, et de punir ceux qu'il aurait fallu soigner avec patience et charité.
Où commence la responsabilité chez l'homme? où finit-elle? C'est un problème qui doit inquiéter souvent
les dépositaires vertueux de la justice humaine. Caligula, fils de Germanicus, semblait
[293]
avoir hérité de toutes les vertus de son père; un poison qu'on lui fait prendre trouble sa raison, et il devient
l'effroi du monde. A-t-il été vraiment coupable, et ne doit-on pas s'en prendre uniquement de ses forfaits à
ces lâches Romains qui lui obéirent au lieu de le faire enfermer?
Le père Hilarion Tissot, que nous avons déjà cité, va plus loin que nous et veut que tout consentement au
crime soit une folie; malheureusement il explique toujours la folie par l'obsession du mauvais esprit. Nous
pourrions demander à ce bon religieux ce qu'il penserait d'un père de famille qui, après avoir fermé sa porte
à un vaurien reconnu capable de toute espèce de mal, lui laisserait le droit de fréquenter, de conseiller, de
prendre, d'obséder ses petits-enfants? Admettons donc, pour être vraiment chrétiens, que le diable quel qu'il
soit, n'obsède que ceux qui se donnent volontairement à lui, et ceux-là sont responsables de tout ce qu'il
pourra leur suggérer, comme l'ivrogne doit être responsable de tous les désordres auxquels il pourra
s'abandonner sous l'influence de l'ivresse.
L'ivresse est une folie passagère et la folie est une ivresse permanente; l'une et l'autre sont causées par un
engorgement phosphorique des nerfs du cerveau, qui détruit notre équilibre lumineux et prive l'âme de son
instrument de précision. L'âme spirituelle et personnelle ressemble alors à Moïse lié et emmaillotté dans
son berceau de bitume et abandonné au balancement des eaux du Nil; elle est emportée par l'âme fluidique
et matérielle du monde, cette eau mystérieuse sur laquelle planait le souffle des Éloïmes, lorsque le verbe
divin se formula en ces lumineuses paroles: Que la lumière soit!
[294]
L'âme du monde est une force qui tend toujours à l'équilibre; il faut que la volonté triomphe d'elle ou qu'elle
triomphe de la volonté. Toute vie incomplète la tourmente comme une monstruosité, et toujours elle
s'efforce de réabsorber les avortons intellectuels; c'est pour cela que les maniaques et les hallucinés sentent
un irrésistible attrait pour la destruction et la mort; l'anéantissement leur semble un bien, et non-seulement
ils voudraient mourir, mais ils seraient heureux de voir mourir les autres. Ils sentent que la vie leur échappe,
la conscience les brûle et les désespère; leur existence n'est que le sentiment de la mort, c'est le supplice de
l'enfer.
L'un entend une voix impérieuse qui lui ordonne de tuer son fils au berceau. Il lutte, il pleure, il s'enfuit et
finit par prendre une hache et par tuer l'enfant; l'autre, et cette épouvantable histoire est toute récente,
persécuté par des voix qui lui demandent des coeurs, assomme ses parents, leur ouvre la poitrine et ronge à
demi leurs coeurs arrachés. Quiconque commet de propos libéré une mauvaise action, donne des arrhes à la
destruction éternelle et ne peut prévoir d'avance où ce marché funeste le conduira.
L'être est substance et vie. La vie se manifeste par le mouvement, et le mouvement se perpétue par
l'équilibre; l'équilibre est donc la loi d'immortalité. La conscience est le sentiment de l'équilibre et
l'équilibre c'est la justesse et la justice. Tout excès, lorsqu'il n'est pas mortel, se corrige par un excès
contraire; c'est la loi éternelle des réactions, mais si l'excès se précipite en dehors de tout équilibre, il se
perd dans les ténèbres extérieures et devient la mort éternelle.
[295]
L'âme de la terre entraîne dans le vertige du mouvement astral tout ce qui ne lui résiste pas par les forces
équilibrées de la raison. Partout où se manifeste une vie imparfaite et mal formée, elle fait affluer ses forces
pour la détruire comme les esprits vitaux abondent pour fermer les plaies. De là ces désordres
atmosphériques qui se manifestent autour de certains malades, de là ces commotions fluidiques, ces
tournoiements de meubles, ces suspensions, ces jets de pierres, ces distensions aériennes qui font apparaître
à distance le mirage sensible et tangible des mains ou des pieds de l'obsédé. C'est la nature qui se tourmente
autour d'un cancer qu'elle veut extirper, autour d'une plaie qu'elle veut fermer, autour d'une sorte de
vampire dont elle veut achever la mort pour le replonger dans la vie.
Les mouvements spontanés des objets inertes ne peuvent venir que d'un travail des forces qui aimantent la
terre; un esprit, c'est-à-dire, une pensée, ne soulève rien sans levier. S'il en était autrement, le travail
presque infini de la nature pour la création et le perfectionnement des organes serait sans objet. Si l'esprit
dégagé des sens pouvait faire obéir la matière à son gré, les morts illustres se révéleraient à nous les
premiers par des mouvements harmonieux et réguliers; au lieu de cela nous voyons toujours des
mouvements incohérents et fébriles se produisant autour d'êtres malades, inintelligents et capricieux. Ces
êtres sont des aimants déréglés qui font extravaguer l'âme de la terre; mais quand la terre a le délire par
suite de l'éruption de ces êtres avortés, c'est qu'elle souffre elle-même en traversant une crise qui finira par
de violentes commotions.
[296]
Il y a vraiment bien de la puérilité dans certains hommes qui passent pour sérieux. Voici, par exemple, M.
le marquis de Mirville qui attribue au diable tous les phénomènes inexplicables. Mais, mon cher monsieur,
si le diable avait le pouvoir d'intervertir l'ordre naturel, ne le ferait-il pas immédiatement de manière à tout
bouleverser? Avec le caractère qu'on lui suppose, il ne serait sans doute pas retenu par des scrupules.--Oh!
mais, allez-vous répondre, la puissance de Dieu s'y oppose!--Doucement: la puissance de Dieu s'y oppose,
ou elle ne s'y oppose pas. Si elle s'y oppose, le diable ne peut rien faire; si elle ne s'y oppose pas, c'est le
diable qui est le maître... M. de Mirville nous dira que Dieu le permet pour un peu. Tout juste assez pour
tromper les pauvres hommes, tout juste assez pour troubler leur cervelle déjà si solide, comme on sait.
Alors, en effet, ce n'est plus le diable qui est le maître; c'est Dieu, qui serait... Mais nous n'achevons pas:
aller plus loin, ce serait blasphémer.
On ne veut pas assez comprendre les harmonies de l'être, qui se distribuent par la série, comme le disait fort
bien cet illustre maniaque de Fourier. L'esprit agit sur les esprits par le verbe. La matière reçoit les
empreintes de l'esprit et communie avec lui au moyen d'un organisme parfait; l'harmonie dans les formes se
rapproche de l'harmonie dans les idées, le médiateur commun c'est la lumière: la lumière, qui est esprit et
vie; la lumière, qui est la synthèse des couleurs, l'accord des ombres, l'harmonie des formes; la lumière,
dont les vibrations sont les mathématiques vivantes. Mais les ténèbres et leurs fantastiques mirages, mais
[297]
les erreurs phosphorescentes du sommeil, mais les paroles perdues dans le délire, tout cela ne crée rien, ne
réalise rien; tout cela, en un mot, n'existe pas: ce sont les limbes de la vie, ce sont les vapeurs de l'ivresse
astrale, ce sont les éblouissements nerveux des yeux fatigués. Suivre de pareilles lueurs, c'est marcher dans
une impasse; croire à de pareilles révélations, c'est adorer la mort: la nature vous le dit elle-même.
Les tables tournantes n'écrivent qu'incohérences et injures; ce sont les échos les plus infimes de la pensée,
les rêves les plus absurdes et les plus anarchiques; les mots enfin dont la plus basse populace se sert pour
exprimer le mépris. Nous venons de lire un livre du baron de Guldenstubbé, qui prétend communiquer par
lettres avec l'autre monde. Il a obtenu des réponses, et quelles réponses! des dessins obscènes, des
hiéroglyphes désespérantes, et cette signature grecque πνευµα θάνατος, le souffle mort, ou pour mieux
traduire l'esprit de mort. Voilà le dernier mot des révélations phénoménales de la doctrine américaine, si on
la sépare de l'autorité sacerdotale et si on veut la rendre indépendante du contrôle de la hiérarchie. Nous ne
nions ici ni la réalité ni l'importance des phénomènes, ni la bonne foi des croyants; mais nous devons les
avertir des dangers auxquels ils s'exposent s'ils ne préfèrent pas l'esprit de sagesse donné hiérarchiquement
et divinement à l'Église, à toutes ces communications désordonnées et obscures dans lesquelles l'âme
fluidique de la terre reflète machinalement les mirages de l'intelligence et les rêves de la raison.
[298]
LIVRE V.
LES ADEPTES ET LE SACERDOCE.
הHé.
CHAPITRE PREMIER.
PRÊTRES ET PAPES ACCUSÉS DE MAGIE.
Nous avons dit que depuis les profanations et les impiétés des gnostiques, l'Église avait proscrit la magie.
Le procès des templiers acheva la rupture, et depuis cette époque, réduite à se cacher dans l'ombre pour y
méditer sa vengeance, la magie proscrivit à son tour l'Église.
Plus prudents que les hérésiarques qui élevaient publiquement autel contre autel, et se dévouaient ainsi à la
proscription et au bûcher, les adeptes dissimulèrent leurs ressentiments et leurs doctrines; ils se lièrent entre
eux par des serments terribles et, sachant combien il importe de gagner d'abord son procès au tribunal de
l'opinion, ils retournèrent contre les accusateurs et leurs juges les bruits sinistres qui les poursuivaient eux-
mêmes, et dénoncèrent au peuple le sacerdoce comme une école de magie noire.
[299]
Tant qu'il n'a pas assis ses convictions et ses croyances sur la base inébranlable de la raison, l'homme se
passionne malheureusement pour la vérité comme pour le mensonge, et de part, et d'autre, les réactions sont
cruelles. Qui peut faire cesser cette guerre? L'esprit de celui-là seul qui a dit: «Ne rendez pas le mal pour le
mal, mais triomphez du mal en faisant le bien.»
On a accusé le sacerdoce catholique d'être persécuteur, et cependant sa mission est celle du bon Samaritain,
c'est pour cela qu'il a succédé aux lévites impitoyables, qui passent leur chemin sans avoir compassion du
pauvre blessé de Jéricho. C'est en exerçant l'humanité qu'ils prouvent leur consécration divine. C'est donc
une suprême injustice que de rejeter sur le sacerdoce les crimes de quelques hommes qui en étaient
malheureusement revêtus. Un homme, quel qu'il soit, peut toujours être méchant: un vrai prêtre est toujours
charitable.
Les faux adeptes ne l'entendaient pas de cette manière. Le sacerdoce chrétien, suivant eux, était entaché de
nullité et d'usurpation depuis la proscription des gnostiques. «Qu'est-ce, en effet, disaient-ils, qu'une
hiérarchie dont la science ne constitue plus les degrés?» La même ignorance des mystères et la même foi
aveugle poussent au même fanatisme ou à la même hypocrisie les premiers chefs et les derniers ministres
du sanctuaire. Les aveugles sont conducteurs d'aveugles. La suprématie entre égaux n'est plus qu'un résultat
de l'intrigue et du hasard. Les pasteurs consacrent les saintes espèces avec une foi capharnaïte et grossière;
ce sont des escamoteurs de pain et
[300]
des mangeurs de chair humaine. Ce ne sont plus des thaumaturges, ce sont des sorciers; voilà ce que
disaient les sectaires.
Pour appuyer cette calomnie, ils inventèrent des fables; les papes, disaient-ils, étaient voués à l'esprit des
ténèbres depuis le Xe siècle. Le savant Gerbert qui fut couronné sous le nom de Sylvestre II, en aurait fait
l'aveu en mourant. Honorius III, celui qui confirma l'ordre de saint Dominique et qui prêcha les croisades,
était lui-même un abominable nécromant, auteur d'un grimoire qui porte encore son nom, et qui est
exclusivement réservé aux prêtres. On montrait et on commentait ce grimoire, on tachait ainsi de tourner
contre le saint-siége le plus terrible de tous les préjugés populaires à cette époque: la haine mortelle de tous
ceux qui, à tort ou à raison, passaient publiquement pour sorciers.
Il se trouva des historiens malveillants ou crédules pour accréditer ces mensonges. Ainsi Platine, ce
chroniqueur scandaleux de la papauté, répète d'après Martin Polonus les calomnies contre Sylvestre II. Si
l'on s'en rapportait à cette fable, Gerbert, qui était versé dans les sciences mathématiques et dans la kabbale,
aurait évoqué le démon et lui aurait demandé son aide pour parvenir au pontificat. Le diable le lui aurait
promis eu lui annonçant de plus qu'il ne mourrait qu'à Jérusalem, et l'on pense bien que le magicien fit voeu
intérieurement de n'y jamais aller; il devint donc pape, mais un jour qu'il disait la messe dans une église de
Rome, il se sentit gravement malade, et se souvenant alors que la chapelle où il officiait se nommait la
sainte Croix de Jérusalem, il comprit que c'en était fait; il se fit donc tendre un lit dans cette chapelle et
appelant autour
[301]
de lui ses cardinaux, il se confessa tout haut d'avoir eu commerce avec les démons, puis il commanda
qu'après sa mort on le mît sur un chariot de bois neuf auquel on attellerait deux chevaux vierges, l'un noir et
l'autre blanc; qu'on lancerait ces chevaux sans les conduire et qu'on enterrerait son corps où les chevaux
s'arrêteraient. Le chariot courut ainsi à travers Rome et s'arrêta devant l'église de Latran. On entendit alors
de grands cris et de grands gémissements, puis tout redevint silencieux et l'on put procéder à l'inhumation;
ainsi finit cette légende digne de la bibliothèque bleue.
Ce Martin Polonus, sur la foi duquel Platine répète de semblables rêveries, les avait empruntées lui-même
d'un certain Galfride et d'un chroniqueur nommé Gervaise, que Naudé appelle «le plus grand forgeur de
fables, et le plus insigne menteur qui ait jamais mis la main à la plume.» C'est d'après des historiens aussi
sérieux que les protestants ont publié la légende scandaleuse et passablement apocryphe, d'une prétendue
papesse Jeanne, qui fut sorcière aussi, comme chacun sait, et à laquelle on attribue encore des livres de
magie noire. Nous avons feuilleté une histoire de la papesse par un auteur protestant, et nous y avons
remarqué deux gravures fort curieuses. Ce sont d'anciens portraits de l'héroïne à ce que prétend l'historien,
mais en réalité ce sont deux anciens tarots représentant Isis couronnée d'une tiare. On sait que la figure
hiéroglyphique du nombre deux dans le tarot s'appelle encore la papesse; c'est une femme portant une tiare
sur laquelle on remarque les pointes du croissant de la lune ou des cornes d'Isis. Celle du livre protestant est
plus remarquable encore; elle a les cheveux longs
[302]
et épars; une croix solaire sur la poitrine, elle est assise entre les deux colonnes d'Hercule, et derrière elle
s'étend l'Océan avec des fleurs de lotus qui s'épanouissent à la surface de l'eau. Le second portrait
représente la même déesse avec les attributs du souverain sacerdoce, et son fils Horus dans ses bras. Ces
deux images sont donc très précieuses comme documents kabbalistiques, mais cela ne fait pas le compte
des amateurs de la papesse Jeanne.
Quant à Gerbert, pour faire tomber l'accusation de sorcellerie, si elle pouvait être sérieuse à son égard, il
suffirait de dire que c'était le plus savant homme de son siècle, et qu'ayant été le précepteur de deux
souverains, il dut son élévation à la reconnaissance d'un de ses augustes élèves. Il possédait à fond les
mathématiques et savait peut-être un peu plus de physique qu'on n'en pouvait connaître à son époque; c'était
un homme d'une érudition universelle et d'une grande habileté, comme on peut le voir en lisant les épîtres
qu'il a laissées; ce n'était pas un frondeur de rois comme le terrible Hildebrand. Il aimait mieux instruire les
princes que de les excommunier, et, possédant la faveur de deux rois de France et de trois empereurs, il
n'avait pas besoin comme le remarque judicieusement Naudé, de se donner au diable pour parvenir
successivement aux archevêchés de Reims et de Ravenne, puis enfin à la papauté. Il est vrai qu'il y parvint
en quelque sorte malgré son mérite, dans un siècle où l'on prenait les grands politiques pour des possédés et
les savants pour des enchanteurs. Gerbert était non-seulement un grand mathématicien et un astronome
distingué, mais il excellait
[303]
aussi dans la mécanique, et composa dans la ville de Reims, au dire de Guillaume Malmesbery, des
machines hydrauliques si merveilleuses que l'eau y exécutait d'elle-même des symphonies, et y jouait les
airs les plus agréables; il fit aussi, au rapport de Ditmare, dans la ville de Magdebourg, une horloge, qui
marquait tous les mouvements du ciel et l'heure du lever et du coucher des étoiles; il fit encore, dit Naudé,
que nous nous plaisons à citer ici, «cette teste d'airain, laquelle estoit si ingénieusement labourée, que le
susdit Guillaume Malmesbery s'y est luy-même trompé, la rapportant à la magie: aussi Onuphrius, dit qu'il
a veu dans la bibliothèque des Farnèses un docte livre de géométrie composé par ce Gerbert: et pour moy
j'estime que, sans rien décider de l'opinion d'Erfordiensis et de quelques autres, qui le font auteur des
horloges et de l'arithmétique que nous avons maintenant, toutes ces preuves sont assez valables pour nous
faire juger que ceux qui n'avoient jamais ouy parler du cube, paraléllogram, dodécaèdre, almicantharath,
valsagora, almagrippa, cathalzem, et autres noms vulgaires et usités à ceux qui entendent les
mathématiques, eurent opinion que c'estoient quelques esprits qu'il invoquoit, et que tant de choses rares ne
pouvoient partir d'un homme sans une faveur extraordinaire, et que pour cet effet il estoit magicien.»
Ce qui montre jusqu'à quel point va l'impertinence et la mauvaise foi des chroniqueurs, c'est que Platine, cet
écho malicieusement naïf de toutes les pasquinades romaines, assure que le tombeau de Sylvestre II est
encore sorcier, qu'il pleure prophétiquement la chute prochaine de tous les papes, et qu'au déclin de la vie
de
[304]
chaque pontife on entend frémir et s'entre-choquer les ossements réprouvés de Gerbert. Une épitaphe
gravée sur ce tombeau fait foi de cette merveille, ajoute imperturbablement le bibliothécaire de Sixte IV.
Voilà de ces preuves qui paraissent suffisantes aux historiens pour constater l'existence d'un curieux
document historique. Platine était le bibliothécaire du Vatican; il écrivait son histoire des papes par ordre de
Sixte IV; il écrivait à Rome où rien n'était plus facile que de vérifier la fausseté ou l'exactitude de cette
assertion, et cependant cette prétendue épitaphe n'a jamais existé que dans l'imagination des auteurs
auxquels Platine l'emprunte avec une incroyable légèreté 15, circonstance qui excite justement l'indignation
de l'honnête Naudé. Voici ce qu'il en dit dans son Apologie pour les grands hommes accusés de magie:
Note 15: (retour) Que les papes s'en assurent, dit-il, c'est pour eux que la chose est intéressante.
«C'est une pure imposture et fausseté manifeste tant pour l'expérience (des prétendus prodiges du tombeau
de Sylvestre II), qui n'a esté jusques aujourd'huy observée de personne, qu'en l'inscription de ce sépulcre,
qui fut composée par Sergius IV, et laquelle tant s'en faut qu'elle fasse aucune mention de toutes ces fables
et ruseries, qu'au contraire c'est un des plus excellens témoignages que nous puissions avoir de la bonne vie
et de l'intégrité des actions de Sylvestre. C'est à la vérité une chose honteuse que beaucoup de catholiques
soient fauteurs de cette médisance, de laquelle Marianus Scotus, Glaber, Ditmare, Helgandus, Lambert et
Herman Contract, qui ont esté ses contemporains, ne font aucune mention, etc.»
[305]
Venons au grimoire d'Honorius.
C'est à Honorius III, c'est-à-dire à un des plus zélés pontifes du XIIIe siècle, qu'on attribue ce livre impie.
Honorius III, en effet, doit être haï des sectaires et des nécromants qui veulent le déshonorer en le prenant
pour complice. Censius Savelli, couronné pape en 1216, confirma l'ordre de saint Dominique si formidable
aux albigeois et aux vaudois, ces enfants des manichéens et des sorciers. Il établit aussi les Franciscains et
les Carmes, prêcha une croisade, gouverna sagement l'Église et laissa plusieurs décrétales. Accuser de
magie noire ce pape si éminemment catholique, c'est faire planer le même soupçon sur les grands ordres
religieux institués par lui, le diable ne pouvait qu'y gagner.
Quelques exemplaires anciens du grimoire d'Honorius portent le nom d'Honorius II au lieu d'Honorius III;
mais il est impossible de faire un sorcier de ce sage et élégant cardinal Lambert, qui, après sa promotion au
souverain pontificat, s'entoura de poètes auxquels il donnait des évêchés pour des élégies, comme il fit à
Hildebert, évêque du Mans, et de savants théologiens, comme Hugues de Saint-Victor. Pourtant ce nom
d'Honorius II est pour nous un trait de lumière, et va nous conduire à la découverte du véritable auteur de
cet affreux grimoire d'Honorius.
En 1061, lorsque l'Empire commençait à prendre ombrage de la papauté et cherchait à usurper l'influence
sacerdotale en fomentant des troubles et des divisions dans le sacré collège, les évêques de Lombardie,
excités par Gilbert de Parme, protestèrent contre l'élection d'Anselme, évêque de Lucques, qui
[306]
venait d'être appelé au souverain pontificat sous le nom d'Alexandre II. L'empereur Henri IV prit le parti
des dissidents et les autorisa à se donner un autre pape en leur promettant de les appuyer. Ils choisirent un
intrigant pommé Cadulus ou Cadalous, évêque de Parme, homme capable de tous les crimes, et
publiquement scandaleux comme simoniaque et concubinaire. Ce Cadalous prit le nom d'Honorius II et
marcha contre Rome à la tête d'une armée. Il fut battu et condamné par tous les évêques d'Allemagne et
d'Italie; il revint à la charge, s'empara d'une partie de la ville sainte, entra dans l'église Saint-Pierre, d'où il
fut chassé, se réfugia dans le château Saint-Ange, d'où il obtint de pouvoir se retirer en payant une forte
rançon. Ce fut alors qu'Othon archevêque de Cologne, envoyé par l'Empereur, osa reprocher publiquement
à Alexandre II d'avoir usurpé le saint-siége. Mais un moine, nommé Hildebrand, prit la parole pour le pape
légitime, et le fit avec une telle puissance que l'envoyé de l'Empereur s'en retourna confus, et que
l'Empereur lui-même demanda pardon de ses attentats. C'est que Hildebrand, dans les vues de la
Providence, était déjà le foudroyant Grégoire VII, et commençait l'oeuvre de sa vie. L'antipape fut déposé
au concile de Mantoue, et Henri IV obtint son pardon. Cadalous rentra donc dans l'obscurité, et il est
probable qu'il voulut être alors le grand prêtre des sorciers et des apostats; il peut donc avoir rédigé, sous le
nom d'Honorius II, le grimoire qui porte ce nom.
Ce qu'on sait du caractère de cet antipape ne justifierait que trop une accusation de ce genre; il était
audacieux devant les
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faibles et rampant devant les forts, intrigant et débauché, sans foi comme sans moeurs; il ne voyait dans la
religion qu'un instrument d'impunité et de rapines. Pour un pareil homme, les vertus chrétiennes étaient des
obstacles et la foi du clergé une difficulté à surmonter; il aurait donc voulu se faire des prêtres à sa guise et
se composer un clergé d'hommes capables de tous les attentats comme de tous les sacrilèges; tel paraît être,
en effet, le but que s'est proposé l'auteur du grimoire d'Honorius.
Ce grimoire n'est pas sans importance pour les curieux de la science. Au premier abord, il semble n'être
qu'un tissu de révoltantes absurdités; mais pour les initiés aux signes et aux secrets de la kabbale, il devient
un véritable monument de la perversité humaine; le diable y est montré comme un instrument de puissance.
Se servir de la crédulité humaine et s'emparer de l'épouvantail qui la domine pour la faire obéir aux caprices
de l'adepte, tel est le secret de ce grimoire; il s'agit d'épaissir les ténèbres sur les yeux de la multitude, en
s'emparant du flambeau de la science, qui pourra au besoin, entre les mains de l'audace, devenir la torche
des bourreaux ou des incendiaires. Imposer la foi avec la servitude, en se réservant le pouvoir et la liberté,
n'est-ce pas rêver, en effet, le règne de Satan sur la terre, et s'étonnera-t-on si les auteurs d'une conspiration
pareille contre le bon sens public et contre la religion, se flattaient de faire apparaître et d'incarner en
quelque sorte sur la terre le souverain fantastique de l'empire du mal?
La doctrine de ce grimoire est la même que celle de Simon et de la plupart des gnostiques: c'est le principe
passif substitué au
[308]
principe actif. La passion, par conséquent, préférée à la raison, le sensualisme déifié, la femme mise avant
l'homme, tendance qui se retrouve dans tous les systèmes mystiques antichrétiens; cette doctrine est
exprimée par un pantacle placé en tête du livre. La lune isiaque occupe le centre; autour du croissant
sélénique, on voit trois triangles qui n'en font qu'un; le triangle est surmonté d'une croix ansée à double
croisillon; autour du triangle qui est inscrit dans un cercle, et dans l'intervalle formé par les trois segments
de cercle, on voit, d'un côté, le signe de l'esprit et le sceau kabbalistique de Salomon, de l'autre, le couteau
magique et la lettre initiale du binaire, au-dessous une croix renversée formant la figure du lingam, et le
nom de Dieu אלégalement renversé; autour du cercle, on lit ces mots tracés en forme de légende: Obéissez
à vos supérieurs, et leur soyez soumis, parce qu'ils y prennent garde.
Ce pantacle, traduit en symbole ou profession de foi, est donc textuellement ce qui suit:
«La fatalité règne par les mathématiques et il n'y a pas d'autre Dieu que la nature.
»Les dogmes sont l'accessoire du pouvoir sacerdotal et s'imposent à la multitude pour justifier les
sacrifices.
»L'initié est au-dessus de la religion dont il se sert, et il en dit absolument le contraire de ce qu'il en croit.
»L'obéissance ne se motive pas, elle s'impose; les initiés sont faits pour commander et les profanes pour
obéir.»
Ceux qui ont étudié les sciences occultes, savent que les anciens magiciens n'écrivaient jamais leur dogme
et le formulaient uniquement par les caractères symboliques des pantacles.
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A la seconde page, on voit deux sceaux magiques circulaires. Dans le premier, se trouve le carré du
tétragramme avec une inversion et une substitution de noms.
אהיה
Eieie,
יהוה
Jéhovah,
אדני
Adonaï,
אכלא
Agla,
disposition qui signifie: L'Être absolu est Jéhovah, le Seigneur en trois personnes, Dieu de la hiérarchie et
de l'Église.
יהוה
Jéhovah,
אדני
Adonaï,
דראר
D'rar,
אהיה
Eieie,
ce qui signifie: Jéhovah, le Seigneur, n'est autre chose que le principe fatal de la renaissance éternelle
personnifié par cette renaissance même dans l'Être absolu.
Autour du carré dans le cercle, on trouve le nom de Jéhovah droit et renversé, le nom d'Adonaï à gauche, et
à droite, ces trois lettres אחוAEV: suivies de deux points, ce qui signifie: Le ciel et l'enfer sont un mirage
l'un de l'autre, ce
[310]
qui est en haut est comme ce qui est en bas. Dieu c'est l'humanité. (L'humanité est exprimée par les trois
lettres AEV: initiales d'Adam et d'Ève.)
Sur le second sceau, on lit le nom d'ARARITA אראריתאet au-dessous ראסRASCH, autour vingt-six
caractères kabbalistiques, et au-dessous du sceau dix lettres hébraïques, ainsi disposées יכ םכחכרררר. Le tout
est une formule de matérialisme et de fatalité, qu'il serait trop long et peut-être dangereux d'expliquer ici.
«Le saint-siége apostolique, à qui les clefs du royaume des cieux ont été données, par ces paroles de Jésus-
Christ à saint Pierre: Je le donne les clefs du royaume des cieux, à seule puissance de commander au prince
des ténèbres et à ses anges.
»Qui, comme des serviteurs à leur maître, lui doivent honneur, gloire et obéissance, en vertu de ces autres
paroles adressées par Jésus-Christ à Satan lui-même: Tu ne serviras qu'un seul maître.
»Par la puissance des clefs, le chef de l'Église a été fait le seigneur des enfers.
»Jusqu'à ce jour, les souverains pontifes ont eu seuls le pouvoir d'évoquer les esprits et de leur commander;
mais Sa Sainteté Honorius II, dans sa sollicitude pastorale, a bien voulu communiquer la science et le
pouvoir des évocations et de l'empire sur les esprits à ses vénérables frères en Jésus-Christ avec les
conjurations d'usage, le tout contenu dans la bulle suivante.»
Voilà bien ce pontificat des enfers, ce sacerdoce sacrilège des antipapes que Dante semble stigmatiser par
ce cri rauque échappé
[311]
à l'un des princes de son enfer: Pape Satan! pape Satan! aleppe! Que le pape légitime soit le prince du ciel,
c'est assez pour l'antipape Cadalous d'être le souverain des enfers.
Le mystère des évocations ténébreuses y est exposé avec une science effrayante cachée sous des formes
superstitieuses et sacriléges.
Le jeûne, les veilles, les mystères profanés, les cérémonies allégoriques, les sacrifices sanglants y sont
combinés avec un art plein de malice; les évocations ne sont pas sans poésie et sans enthousiasme mêlés
d'horreur. Ainsi, par exemple, l'auteur veut que le jeudi de la première semaine des évocations, on se lève à
minuit, qu'on jette de l'eau bénite dans sa chambre, qu'on allume un cierge de cire jaune préparé le
mercredi, et qui doit être percé en forme de croix. A la lueur tremblante de ce cierge, il faut se rendre seul
dans une église et y lire à voix basse l'office des morts, en substituant à la neuvième leçon des matines cette
invocation rhythmique que nous traduisons du latin, en lui laissant sa forme étrange et ses refrains, qui
rappellent les incantations monotones des sorcières de l'ancien monde:
[316]
Aux ombres de l'enfer je parle sans effroi,
Je leur imposerai ma volonté pour loi!
Après plusieurs autres cérémonies, vient la nuit de l'évocation; alors dans un lieu sinistre, à la lueur d'un feu
alimenté par des croix brisées, il faut avec le charbon d'une croix, tracer un cercle, et réciter en même temps
une hymne magique composée des versets de plusieurs psaumes; voici la traduction de cette hymne:
........................................................
[313]
Éloïm, Élohah, Sébaoth, Hélios,
Éïeïe, Éieazereïe, ô Théos Tsehyros!
Ne croirait-on pas entendre les sombres puritains de Walter Scott ou de Victor Hugo, accompagner de leur
psalmodie fanatique l'oeuvre sans nom des sorcières de Faust ou de Macbeth!
Dans une conjuration adressée à l'ombre du géant Nemrod, ce chasseur sauvage qui fit commencer la tour
de Babel, l'adepte d'Honorius menace cet antique réprouvé de resserrer ses chaînes et de le tourmenter de
plus en plus chaque jour s'il n'obéit pas immédiatement à sa volonté.
N'est-ce pas le sublime de l'orgueil en délire, et cet antipape, qui ne comprenait un grand prêtre que comme
un souverain des
[314]
enfers, ne semble-t-il pas aspirer, comme à une vengeance du mépris et de la réprobation des vivants, au
droit usurpé et funeste de tourmenter éternellement les morts!
CHAPITRE II.
APPARITION DES BOHÉMIENS NOMADES.
SOMMAIRE.--Moeurs et habitudes des Bohémiens nomades.--Ils viennent à la Chapelle, près Paris, où ils
sont prêchés et excommuniés par l'évêque.--Leur science divinatoire et leur tarot.
Au commencement du XVe siècle, on vit se répandre en Europe des bandes de voyageurs basanés et
inconnus. Appelés par les uns Bohémiens, parce qu'ils disaient venir de la Bohême, connus par d'autres
sous le nom d'Égyptiens, parce que leur chef prenait le titre de duc d'Egypte, ils exerçaient la divination, le
larcin et le maraudage. C'étaient des hordes nomades, bivouaquant sous des huttes qu'ils se construisaient
eux-mêmes; leur religion était inconnue; ils se disaient pourtant chrétiens, mais leur orthodoxie était plus
que douteuse. Ils pratiquaient entre eux le communisme et la promiscuité, et se servaient pour leurs
divinations d'une série de signes étranges représentant la forme allégorique et la vertu des Nombres.
D'où venaient-ils? De quel monde maudit et disparu étaient-ils les épaves vivantes? Étaient-ce, comme le
croyait le peuple superstitieux, les enfants des sorcières et des démons? Quel
[315]
sauveur expirant et trahi les avait condamnés à marcher toujours? Était-ce la famille du juif errant? n'était-
ce pas le reste des dix tribus d'Israël perdues dans la captivité et enchaînées pendant longtemps par Gog et
par Magog, dans des climats inconnus? Voilà ce qu'on se demandait avec inquiétude en voyant passer ces
étrangers mystérieux, qui d'une civilisation disparue semblaient n'avoir gardé que les superstitions et les
vices. Ennemis du travail, ils ne respectaient ni la propriété ni la famille; ils traînaient après eux des
femelles et des petits, et troublaient volontiers par leur prétendue divination la paix des honnêtes ménages.
Écoutons parler le chroniqueur qui raconte leur premier campement dans le voisinage de Paris:
«L'année suivante, 1427, le dimanche d'après la mi-août, qui fut le 17 du mois, arrivent aux environs de
Paris douze d'entre eux se disant pénitenciers, savoir un duc, un comte et dix hommes, tous à cheval,
lesquels se disent très bons chrétiens et originaires de la basse Égypte; ils affirment avoir été chrétiens
autrefois, que d'autres chrétiens les ont subjugués et ramenés au christianisme; que ceux qui s'y sont refusés
ont été mis à mort, et que ceux au contraire qui se sont fait baptiser sont demeurés seigneurs du pays
comme devant sur leur parole d'être bons et loyaux et de garder la foi de Jésus-Christ jusqu'à la mort; ils
ajoutent qu'ils ont roi et reine dans leur pays, lesquels demeurent en leur seigneurie, parce qu'ils se sont
faits chrétiens. Et aussi, disent-ils, quelques temps après nous être faits chrétiens, les Sarrazins vinrent nous
assaillir. Grand nombre, peu fermes dans notre foi, sans endurer la guerre, sans défendre leur pays comme
ils le devaient, se soumirent, se firent
[316]
Sarrazins et abjurèrent notre Seigneur; et aussi, disent-ils, l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et
autres seigneurs ayant appris qu'ils avaient si facilement renoncé à la foi et s'étaient faits si tôt Sarrazins et
idolâtres, leur coururent sus, les vainquirent facilement, comme s'ils avaient à coeur de les laisser dans leur
pays pour les ramener au christianisme; mais l'empereur et les autres seigneurs, par délibération du conseil
statuèrent qu'ils n'auraient jamais terre en leur pays, sans le consentement du pape; que pour cela ils
devaient aller à Rome, qu'ils y étaient tous allés, grands et petits et à grand'peine pour les enfants; qu'ils
avaient confessé leur péché; que le pape, les ayant ouïs, leur avait donné pour pénitence, par délibération du
conseil, d'aller sept ans par le monde sans coucher dans aucun lit; qu'il avait ordonné que tout évêque et
abbé portant crosse leur donnât, une fois pour toutes, dix livres tournois comme subvention à leurs
dépenses; qu'il leur avait remis des lettres où tout ceci était relaté, leur avait donné sa bénédiction et que
depuis cinq ans déjà ils couraient le monde.
»Quelques jours après, le jour de saint Jehan Décolace, c'est-à-dire le 29 août, arriva le commun, lequel on
ne laissa point entrer dedans Paris, mais par justice fut logé à la Chapelle-Saint-Denis. Leur nombre se
montait à environ cent vingt personnes, tant hommes que femmes et enfants. Ils assurent qu'en quittant leur
pays ils étaient de mille à douze cents; que le reste était mort en route avec le roi et la reine; que ceux qui
avaient survécu espéraient posséder encore des biens en ce monde,
[317]
car le Saint-Père leur avait promis pays bon et fertile, quand ils auraient achevé leur pénitence.
»Lorsqu'ils furent à la Chapelle, on ne vit jamais plus de gens à la bénédiction du Landit, tant de Saint-
Denis, de Paris que de ses environs la foule accourait pour les voir. Leurs enfants, garçons et filles, étaient
on ne peut plus habiles faiseurs de tours. Ils avaient presque tous les oreilles percées, et à chaque oreille un
ou deux anneaux d'argent; et ils disaient que c'était gentillesse en leur pays; ils étaient très noirs, avaient les
cheveux crépus. Les femmes étaient les plus laides et les plus noires qu'on pût voir; toutes avaient le visage
couvert de plaie, les cheveux noirs comme la queue d'un cheval, pour toute robe une vieille flaussoie ou
schiavina, liée sur l'épaule par une corde ou un morceau de drap, et dessous un pauvre roquet ou une
chemise pour tout habillement. Bref, c'étaient les plus pauvres créatures que de mémoire d'âge on eût
jamais vues en France. Et néanmoins leur pauvreté, ils avaient parmi eux des sorcières qui regardaient les
mains des gens et disaient à chacun ce qui lui était arrivé et ce qui devait lui advenir; et elles jetaient le
désordre dans les ménages, car elles disaient au mari: «Ta femme... ta femme... ta femme t'a »fait coux,» à
la femme: «Ton mari... t'a faite... »coulpe;» et, qui pis est, en parlant aux gens par art magique, par l'ennemi
d'enfer ou par habileté, elles vidaient leurs bourses et emplissaient les leurs;» et le bourgeois de Paris qui
rend compte de ces faits ajoute: «Et vraiment je fus trois ou quatre fois pour parler à eux, mais oncques ne
m'aperçus d'un denier de perte; mais ainsi le disait le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à
[318]
l'évêque de Paris, lequel y alla, et même avec lui un frère mineur, nommé le petit Jacobin, lequel, par le
commandement de l'évêque, fit là une belle prédication en excommuniant tous ceux et celles qui se
faisaient et avaient cru et montré leur mains. Et convint qu'ils s'en allassent, et si partirent le jour de Notre-
Dame de septembre, le 8, et s'en allèrent vers Pontoise.»
On ignore s'ils continuèrent leur voyage en se dirigeant toujours ainsi vers le nord de la capitale, mais il est
certain que leur souvenir est resté dans un des coins du département du Nord.
«Il existe en effet dans un bois près du village de Hamel, et à cinq cents pas d'un monument de six pierres
druidiques, une fontaine appelée Cuisine des sorciers; et, dit la tradition, c'est là que se reposaient et se
désaltéraient les Cara maras, lesquels sont assurément les Caras'mar, c'est-à-dire les bohémiens, sorciers et
devins ambulants auxquels les anciennes chartes du pays de Flandre accordaient le droit d'être nourris par
les habitants.
»Ils ont quitté Paris, mais à leur place il en vint d'autres, et la France n'est pas moins exploitée par eux que
les autres pays. On ne les voit débarquer ni en Angleterre, ni en Ecosse, et pourtant ils sont bientôt dans ce
dernier royaume plus de cent mille 16. On les y appelle ceard et caird, ou comme qui dirait artisans,
monouvriers, parce que, ce mot écossais est dérivé du ker, sanscrit d'où viennent le verbe faire, Ker-aben
des Bohémiens et le latin cerdo (savetier), ce qu'ils ne sont
[319]
pas. Si on ne les voit pas non plus à cette époque au nord de l'Espagne, où les chrétiens s'abritent contre la
domination musulmane, c'est sans doute qu'ils se plaisent mieux au sud avec les Arabes, mais, sous Jean II,
on les distingue bien de ces derniers, sans savoir pourtant d'où ils viennent. Quoi qu'il en soit, à partir de
cette époque, ils sont généralement connus sur tout le continent européen. Une des bandes du roi Sindel
s'est présentée à Ratisbonne en 1433, et Sindel lui-même campe en Bavière avec sa réserve en 1439. Il
semble venir alors de Bohême, car les Bavarois, oublieux de ceux de 1433 qui se sont donnés pour
Égyptiens, les appellent Bohémiens. C'est sous ce nom qu'ils reparaissent en France et y sont connus
désormais. Bon gré, mal gré, on les supporte. Les uns courent les montagnes et cherchent l'or dans les
rivières, les autres forgent des fers de cheval et des chaînes de chiens; ceux-ci, plus maraudeurs que
pèlerins, se glissent et furètent partout et partout volent et escamotent. Il en est qui prennent le parti de se
fixer et qui, fatigués de toujours dresser et lever leurs tentes, se creusent des bordeils, huttes carrées de
quatre à six pieds, sous terre, et recouvertes d'une toiture de branchages dont l'arête, à cheval sur deux
poteaux en Y, ne s'élève guère à plus de deux pieds au-dessus du sol. C'est dans cette tanière, dont il n'est
guère resté en France d'autre souvenir que le nom, que s'entasse pêle-mêle toute une famille; c'est dans ce
bouge, qui n'a d'autre ouverture que la porte et un trou pour la fumée, que le père forge, que les enfants,
accroupis autour du feu, font aller le soufflet, et que la mère fait aller le pot où ne bout jamais que
[320]
le fruit de quelques larcins; c'est dans ce repaire, où pendent, à de longs clous de bois, quelques vieilles
nippes, une bride et un havresac, dont tous les meubles consistent en une enclume, des pinces et un
marteau, c'est là, dis-je, que se donnent rendez-vous la crédulité et l'amour, la demoiselle et le chevalier, la
châtelaine et le page; c'est là qu'ils viennent ouvrir leur mains blanches et nues aux regards pénétrants de la
sibylle; c'est là que l'amour s'achète, que le bonheur se vend, que le mensonge se paie; c'est de là que
sortent les saltimbanques et les tireurs de cartes, la robe étoilée et le bonnet pointu du magicien, les truands
et l'argot, les danseuses de la rue et les filles de joie. C'est le royaume de fainéantise et de trupherie, de la
villonie et des franches lipées; ce sont gens à tout faire pour ne rien faire, comme dit un naïf conteur du
moyen âge; et un savant aussi distingué que modeste, M. Vaillant, auteur d'une Histoire spéciale des Rom-
Muni ou Bohémiens, dont nous citons ici quelques pages, bien qu'il leur donne une grande importance dans
l'histoire sacerdotale de l'ancien monde, n'en fait pas un portrait flatté. Aussi nous raconte-t-il comment ces
protestants étranges des civilisations primitives, traversant les âges avec une malédiction sur le front et la
rapine dans les mains, ont excité d'abord la curiosité puis la défiance, puis enfin la proscription et la haine
des chrétiens du moyen âge. On comprit combien pouvait être dangereux ce peuple sans patrie, parasite du
monde entier et citoyen de nulle part; ces bédouins qui traversaient les empires comme des déserts, ces
voleurs errants, et qui s'insinuaient partout sans se fixer jamais. Aussi bientôt devinrent-ils pour le peuple,
des sorciers,
[321]
des démons même, des jeteurs de sorts, des enleveurs d'enfants, et il y avait du vrai dans tout cela; on les
accusa partout de célébrer en secret d'affreux mystères. Bientôt la rumeur devient générale, on les fait
responsables de tous les meurtres ignorés, de tous les enlèvements mystérieux; comme les Grecs de Damas
accusèrent les Juifs d'avoir tué un des leurs pour en boire le sang; et l'on assure qu'ils préfèrent les jeunes
garçons et les jeunes filles de douze à quinze ans. C'est sans doute un sûr moyen de les faire prendre en
horreur et d'éloigner d'eux la jeunesse; mais ce moyen est odieux; car le peuple et l'enfant ne sont que trop
crédules, et la peur engendrant la haine, il en naît la persécution. Ainsi, c'en est fait! non-seulement on les
évite, on les fuit, mais on leur refuse le feu et l'eau; l'Europe est devenue pour eux les Indes, et tout chrétien
s'est fait contre eux un Brahmane. En certains pays, si quelque jeune fille, en ayant pitié, s'approche de l'un
d'eux pour lui mettre dans la main une pièce de monnaie: «Prenez garde, ma mie, lui crie la gouvernante
éperdue, c'est un Katkaon, un ogre qui viendra vous sucer le sang cette nuit pendant votre sommeil;» et la
jeune fille recule en frissonnant; si quelque jeune garçon passe assez près d'eux pour que son ombre se
dessine sur la muraille auprès de laquelle ils sont assis, où toute une famille mange ou se repose au soleil:
«Au large! enfant, lui crie son pédagogue, ces Strigoï (vampires) vont prendre votre ombre; et votre âme ira
danser avec eux le sabbat toute l'éternité.» C'est ainsi que la haine du chrétien ressuscite contre eux les
lémures et les farfadets, les vampires et les ogres; et chacun de gloser sur
[322]
leur compte.--Ne seraient-ce pas, dit l'un, les descendants de ce Mambrès qui osa rivaliser de miracle avec
Moïse? Ne sont-ils pas envoyés par le roi d'Egypte pour inspecter par le monde les enfants d'Israël et leur
rendre leur sort pénible?--Je croirais, dit un autre, que ce sont les bourreaux dont s'est servi Hérode pour
exterminer les nouveau-nés de Bethléem.--Vous vous trompez, dit un troisième, ces païens n'entendent pas
un mot d'égyptien, leur langue en renferme, au contraire, beaucoup d'hébreux. Ce ne sont donc que les
impurs rejetons de cette race abjecte qui dormait en Judée dans les sépulcres après avoir dévoré les
cadavres qu'ils renfermaient.--Erreur! erreur! s'écrie un quatrième: ce sont tout bonnement ces mécréants de
Juifs eux-mêmes que l'on a torturés, chassés et brûlés en 1348, pour avoir empoisonné nos puits et nos
citernes, et qui reviennent pour recommencer.--Eh! qu'importe? ajoute le dernier, Égyptiens ou Juifs,
Esséniens ou Chusiens, Pharaoniens ou Caphtoriens, Balistari d'Assyrie ou Philistins de Kanaan, ce sont
des renégats, ils l'ont dit en Saxe, en France, partout, il faut les pendre et les brûler.»
Note 16: (retour) Borrew.
Bientôt on enveloppe dans leur proscription ce livre étrange qui leur sert à consulter le sort et à rendre des
oracles. Ces cartons bariolés de figures incompréhensibles et qui sont (on ne s'en doute pas) le résumé
monumental de toutes les révélations de l'ancien monde, la clef des hiéroglyphes égyptiens, les clavicules
de Salomon, les écritures primitives d'Hénoch et d'Hermès. Ici l'auteur que nous venons de citer, fait preuve
d'une sagacité singulière, il parle du tarot en homme qui ne le comprend pas encore parfaitement, mais qui
l'a profondément étudié; aussi voyons ce qu'il en dit:
[323]
«La forme, la disposition, l'arrangement de ces tablettes et les figures qu'elles représentent, bien que
diversement modifiées par le temps, sont si manifestement allégoriques, et les allégories en sont si
conformes à la doctrine civile, philosophique et religieuse de l'antiquité, qu'on ne peut s'empêcher de les
reconnaître pour la synthèse de tout ce qui faisait la foi des anciens peuples. Par tout ce qui précède, nous
avons suffisamment donné à entendre qu'il est une déduction du livre sidéral d'Hénoch qui est Hénochia;
qu'il est modelé sur la roue astrale d'Athor, qui est Astaroth; que, semblable à l'ot-tara indien, ours polaire
ou arc-tura du Septentrion, il est la force majeure (tarie) sur laquelle s'appuient la solidité du monde et le
firmament sidéral de la terre; que, conséquemment, comme l'ours polaire dont on a fait le char du soleil, le
chariot de David et d'Arthur, il est, l'heur grec, le destin chinois, le hasard égyptien, le sort des Rômes; et
qu'en tournant sans cesse autour de l'ours du pôle, les astres déroulent à la terre le faste et le néfaste, la
lumière et l'ombre, le chaud et le froid, d'où découlent le bien et le mal, l'amour et la haine qui font le
bonheur et le malheur des hommes.
«Si l'origine de ce livre se perd dans la nuit des temps, au point que l'on ne sache ni où ni quand il fut
inventé, tout porte à croire qu'il est d'origine indo-tartare et que, diversement modifié par les anciens
peuples, selon les nuances de leurs doctrines et le caractère de leurs sages, il était un des livres de leurs
sciences occultes, et peut-être même l'un de leurs livres sybillins. Nous avons suffisamment fait entrevoir la
route
[324]
qu'il a pu tenir pour arriver jusqu'à nous; nous avons vu qu'il avait dû être connu des Romains, et qu'il avait
pu leur être apporté non-seulement aux premiers jours de l'empire, mais déjà même dès les premiers temps
de la république, par ces nombreux étrangers qui, venus d'Orient et initiés aux mystères de Bacchus et
d'Isis, apportèrent leur science aux héritiers de Numa.»
M. Vaillant ne dit pas que les quatre signes hiéroglyphiques du tarot, les bâtons, les coupes, les épées et les
deniers ou cycles d'or, se trouvent dans Homère, sculptés sur le bouclier d'Achille, mais suivant lui:
«Les coupes égalent les arcs ou arches du temps, les vases ou vaisseaux du ciel.
«Les deniers égalent les astres, les sidères, les étoiles; les épées égalent les feux, les flammes, les rayons;
les bâtons égalent les ombres, les pierres, les arbres, les plantes.
«L'as de coupe est le vase de l'univers, arche de la vérité du ciel, principe de la terre.
«L'as de denier est le soleil, oeil unique du monde, aliment et élément de la vie.
[325]
»Le 9 de denier est le messager Mercure ou l'ange Gabriel.
»Le 9 de coupe est la gestation du bon destin, d'où naît le bonheur.»
»Enfin, nous dit M. Vaillant, il existe un tableau chinois composé de caractères qui forment de grands
compartiments en carré long, tous égaux, et précisément de la même grandeur que les cartes du tarot. Ces
compartiments sont distribués en six colonnes perpendiculaires, dont les cinq premières renferment
quatorze compartiments chacune, en tout soixante et dix; tandis que la sixième qui n'est remplie qu'à
moitié, n'en contient que sept. D'ailleurs, ce tableau est formé d'après la même combinaison du nombre 7;
chaque colonne pleine est de 2 fois 7 = 14, et celle qui ne l'est qu'à demi en contient sept. Il ressemble si
bien au tarot, que les quatre couleurs du tarot emplissent ses quatre premières colonnes; que de ses 21
atouts 14 emplissent la cinquième colonne, et les 7 autres atouts la sixième. Cette sixième colonne des 7
atouts est donc celle des six jours de la semaine de création. Or, selon les Chinois, ce tableau remonte aux
premiers âges de leur empire, au dessèchement des eaux du déluge par Iao; on peut donc conclure qu'il est
ou l'original ou la copie du tarot, et, dans tous les cas, que le tarot est antérieur à Moïse, qu'il remonte à
l'origine des siècles, à l'époque de la confection du Zodiaque, et conséquemment qu'il compte 6,600 ans
d'existence 17.
Note 17: (retour) Pour tout ce qui est du tarot, voir Court de Gebelin, 1 vol. in-8, et le Dogme et rituel de la
haute magie, par Éliphas Lévi. 1856, 2 vol. in-8, avec 23 figures.
[326]
»Tel est ce tarot des Rômes, dont par antilogie les Hébreux ont fait la torah ou loi de Jéhova. Loin d'être
alors un jeu, comme aujourd'hui, il était un livre, un livre sérieux, le livre des symboles et des emblèmes,
des analogies ou des rapports des astres et des hommes, le livre du destin, à l'aide duquel le sorcier dévoilait
les mystères du sort. Ses figures, leurs noms, leur nombre, les sorts qu'on en tirait, en firent naturellement,
pour les chrétiens, l'instrument d'un art diabolique, d'une oeuvre de magie; aussi conçoit-on avec quelle
rigueur ils durent le proscrire dès qu'il leur fut connu par les abus de confiance que l'indiscrétion des Sagi
commettait sur la crédulité publique. C'est alors que, la foi en sa parole se perdant, le tarot devint jeu, et que
ses tablettes se modifièrent selon le goût des peuples et l'esprit du siècle. C'est de ce jeu des tarots que sont
issues nos cartes à jouer, dont les combinaisons sont aussi inférieures à celles du tarot que le jeu de dames
l'est au jeu d'échecs. C'est donc à tort que l'on fixe l'origine des cartes modernes au règne de Charles VI; car
dès 1332, les initiés à l'ordre de la bande, établi par Alphonse XI, roi de Castille, faisaient déjà serment de
ne pas jouer aux cartes. Sous Charles V, dit le Sage, saint Bernard de Sienne condamnait au feu les cartes,
dites alors triomphales, du jeu de triomphe que l'on jouait déjà en l'honneur du triomphateur Osiris ou
Ormuzd, l'une des cartes du tarot; d'ailleurs, ce roi lui-même les proscrivait, en 1369, et le petit Jean de
Saintré ne fut honoré de ses faveurs que parce qu'il n'y jouait pas.
»Alors on les appelait, en Espagne, naïpes, et mieux, en Italie, naïbi, parce que les naïbi sont les diablesses,
les sybilles, les pythonisses.»
[327]
M. Vaillant, que nous venons de laisser parler, suppose donc que le tarot a été modifié et changé, ce qui est
vrai pour les tarots allemands à figures chinoises: mais ce qui n'est vrai ni pour les tarots italiens qui sont
seulement altérés dans quelques détails, ni pour les tarots de Besançon, dans lesquels on retrouve encore
des traces des hiéroglyphes égyptiens primitifs. Nous avons dit, dans notre Dogme et Rituel de la haute
magie, combien furent malencontreux les travaux d'Etteilla ou d'Alliette sur le tarot. Ce coiffeur illuminé
n'ayant réussi, après trente ans de combinaisons, qu'à créer un tarot bâtard dont les clefs sont interverties,
dont les nombres ne s'accordent plus avec les signes, un tarot, en un mot, à la convenance d'Etteilla et à la
mesure de son intelligence qui était loin d'être merveilleuse.
Nous ne croyons pas, avec M. Vaillant, que les bohémiens fussent les propriétaires légitimes de cette clef
des initiations. Ils la devaient sans doute à l'infidélité ou à l'imprudence de quelque kabbaliste juif. Les
bohémiens sont originaires de l'Inde, leur historien l'a prouvé avec assez de vraisemblance. Or, le tarot que
nous avons encore et qui est celui des bohémiens, est venu de l'Égypte en passant par la Judée. Les clefs de
ce tarot, en effet, se rapportent aux lettres de l'alphabet hébraïque, et quelques-unes des figures reproduisent
même la forme des caractères de cet alphabet sacré.
Qu'était-ce donc que ces bohémiens? C'était, comme l'a dit le poète:
Le reste immonde
En 1840, des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, las, disaient-ils, d'être trompés par les journalistes et de
servir d'instruments aux ambitions des beaux parleurs, résolurent de fonder eux-mêmes et de rédiger un
journal d'un radicalisme pur et d'une logique sans faux-fuyants et sans ambages.
Ils se réunirent donc et tinrent conseil pour établir carrément leurs doctrines; ils prenaient pour base la
devise républicaine: liberté, égalité et le reste. La liberté leur semblait impossible avec le devoir de
travailler, l'égalité avec le droit d'acquérir, et ils conclurent au communisme. Mais l'un d'eux fit observer
que dans le communisme les plus intelligents présideraient au partage et se feraient la part du lion. Il fut
donc arrêté que personne n'aurait droit à la supériorité intellectuelle. Quelqu'un remarqua que la beauté
physique même constitue une aristocratie, et l'on décréta l'égalité de la laideur. Puis, comme on s'attache à
la terre en la cultivant, il fut décidé que les vrais communistes ne pouvant être
[329]
agriculteurs, n'ayant que le monde pour patrie et l'humanité pour famille, ils devaient s'organiser en
caravanes et faire éternellement le tour du monde. Ce que nous racontons ici n'est pas une parabole, nous
avons connu les personnages présents à cette délibération, nous avons lu le premier numéro de leur journal
intitulé l'Humanitaire, qui fut poursuivi et supprimé en 1841 (voir les procès de presse de cette époque). Si
ce journal eût pu continuer, si la secte naissante eût recruté des adeptes, comme faisait alors même l'ancien
procureur Cabet pour l'émigration icarienne, une nouvelle bande de bohémiens se fût organisée et la
truanderie errante compterait un peuple de plus.
CHAPITRE III.
LÉGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE.
SOMMAIRE.--Ses travaux, son grand art, pourquoi on l'appelle le Docteur illuminé.--Ses théories en
philosophie hermétique.--La magie chez les Arabes.--Idées de Raymond Lulle sur l'Antéchrist et sur la
science universelle.
L'Église, comme nous l'avons dit, avait proscrit l'initiation en haine des profanations de la gnose. Quand
Mahomet arma dans l'Orient le fanatisme contre la foi, à la piété qui ignore et qui prie, il vint opposer la
crédulité sauvage qui combat. Ses successeurs prirent pied dans l'Europe et menacèrent bientôt de l'envahir.
«La Providence nous châtie, disaient les chrétiens;» et les musulmans répondaient: «La fatalité est pour
nous.»
[330]
Les juifs kabbalistes, qui craignaient d'être brûlés comme sorciers dans les pays catholiques, se réfugièrent
près des Arabes qui étaient à leurs yeux des hérétiques, mais non pas des idolâtres. Ils en admirent
quelques-uns à la connaissance des mystères, et l'islamisme, déjà triomphant par la force, put aspirer
bientôt à triompher aussi par la science de ceux que l'Arabie lettrée appelait avec dédain les Barbares de
l'Occident.
Le génie de la France avait opposé aux envahissements de la force les coups de son marteau terrible. Un
doigt ganté de fer avait tracé une ligne devant la marée montante des armées mahométanes, et la grande
voix de la victoire avait crié au flot: Tu n'iras pas plus loin.
Le génie de la science suscita Raymond Lulle qui revendiqua pour le Sauveur, fils de David, l'héritage de
Salomon, et qui appela pour la première fois les enfants de la croyance aveugle aux splendeurs de la
connaissance universelle.
Il faut voir avec quel mépris parlent encore de ce grand homme les faux savants et les faux sages! Mais
aussi l'instinct populaire l'a vengé. Le roman et la légende se sont emparés de son histoire. On nous le
représente amoureux comme Abailard, initié comme Faust, alchimiste comme Hermès, pénitent et savant
comme saint Jérôme, voyageur comme le Juif errant, pieux et illuminé comme saint François d'Assises,
martyr enfin comme saint Etienne, et glorieux dans la mort comme le Sauveur du monde.
Commençons par le roman; c'est un des plus touchants et des plus beaux que nous connaissions: Un jour de
dimanche de l'année 1250,
[331]
à Palma, dans l'Ile de Majorque, une dame sage et belle, nommée Ambrosia di Castello, native de Gênes, se
rendait à l'église.
Un cavalier de haute mine et richement vêtu passait dans la rue; il voit la dame, il s'arrête comme foudroyé;
elle entre dans l'église et va disparaître dans l'ombre du porche. Le cavalier, sans savoir ce qu'il fait, lance
son cheval et entre après elle au milieu des fidèles effrayés: grande rumeur et grand scandale. Le cavalier
est connu; c'est le seigneur Raymond Lulle, sénéchal des Îles et maire du palais: il a une femme et trois
enfants; deux fils, l'un, nommé Raymond comme lui; l'autre, Guillaume, et une fille nommée Madeleine.
Madame Ambrosia di Castello est également mariée et jouit, de plus, d'une réputation sans tache. Raymond
Lulle passait alors pour un grand séducteur. Son entrée équestre dans l'église de Palma fit grand bruit dans
la ville. Ambrosia, toute confuse, consulta son mari qui était sans doute un homme sage et qui ne trouva pas
que sa femme fût offensée parce que sa beauté avait tourné la tête d'un jeune et brillant seigneur; mais il
conseilla à Ambrosia de guérir son fol adorateur par la folie même dont elle était cause. Déjà Raymond
Lulle avait écrit à la dame pour s'excuser ou pour s'accuser davantage. «Ce qu'elle lui avait inspiré, disait-il,
était étrange, surhumain, fatal: il respectait son honneur, ses affections qu'il savait appartenir à un autre.
Mais il était touché de la foudre, il lui fallait des dévouements, des sacrifices à faire, des miracles à
accomplir, des pénitences de stylite, des prouesses de chevalier errant.»
[332]
«Pour répondre à un amour que vous dites surhumain, il me faudrait une existence immortelle.
»Il faudrait que cet amour héroïquement et pleinement sacrifié à notre devoir pendant toute la vie des êtres
qui nous sont chers (et je désire qu'elle soit longue), pût créer une éternité pour nous au moment où Dieu et
le monde nous permettraient de nous aimer.
»On dit qu'il existe un élixir de vie; tâchez de le trouver, et quand vous serez sûr de votre découverte, venez
me voir.
»Jusque-là, vivez pour votre femme et vos enfants, comme je vivrai pour mon mari que j'aime, et si vous
me rencontrez dans la rue, ne me reconnaissez même pas.»
C'était un congé gracieux qui remettait, comme on le voit, notre amoureux aux calendes grecques; mais il
ne l'entendit pas ainsi, et, à partir de ce jour, le brillant seigneur disparut pour faire place à un sombre et
grave alchimiste. Don Juan était devenu Faust. Des années se passèrent. La femme de Raymond Lulle
mourut, Ambrosia di Castello, à son tour, fut veuve; mais l'alchimiste semblait l'avoir oubliée pour ne
s'occuper plus que du grand oeuvre.
Un jour, enfin, la veuve étant seule, on lui annonce Raymond Lulle: elle voit entrer un vieillard pâle et
chauve qui tenait à la main une fiole pleine d'un élixir rouge comme le feu; il s'avance en chancelant et la
cherche des yeux: elle est devant lui et il ne la reconnaît pas, car dans sa pensée elle est toujours jeune et
belle comme dans l'église de Palma. «C'est moi, dit-elle enfin, que me voulez-vous?» A l'accent de cette
voix, l'alchimiste tressaille, il la reconnaît, il croit la voir jeune
[333]
encore, il se jette à ses pieds, et, lui tendant la fiole avec délire: «Tenez, dit-il, prenez, buvez, c'est la vie.
J'ai mis là-dedans trente ans de la mienne, mais je l'ai essayé, j'en suis sûr, c'est l'élixir d'immortalité!
--Depuis deux mois, dit Raymond, après avoir bu une quantité d'élixir pareille à celle-là, je me suis abstenu
de toute nourriture. La faim m'a tordu les entrailles, mais non-seulement je ne suis pas mort, je puis dire
que je sens en moi plus de vie et plus de force que jamais.
--Je vous crois, dit Ambrosia, mais cet élixir qui conserve la vie ne fait pas revenir la jeunesse, mon pauvre
ami, regardez-vous,» et elle lui présentait un miroir.
Raymond Lulle recula. Jamais, depuis trente ans, il n'avait songé à se regarder.
«Maintenant, Raymond, regardez-moi, dit Ambrosia en découvrant ses cheveux blancs; puis, détachant
l'agrafe de sa robe, elle lui montra son sein qui avait été presque entièrement rongé par un cancer: Est-ce
cela, ajouta-t-elle, que vous voulez immortaliser?»
«Écoutez-moi, dit-elle, depuis trente ans je vous aime et je ne veux pas vous condamner à la prison
perpétuelle dans le corps d'un vieillard; ne me condamnez pas, à votre tour. Faites-moi grâce de cette mort
qu'on nomme la vie. Laissez-moi me transformer pour revivre, retrempons-nous dans la jeunesse éternelle.
Je ne veux pas de votre élixir qui prolonge la nuit de la tombe, j'aspire à l'immortalité.»
[334]
Raymond Lulle jeta alors à terre la fiole qui se brisa.
«Je vous délivre, dit-il, et je reste en prison pour vous. Vivez dans l'immortalité du ciel, moi, je suis
condamné pour jamais à la mort vivante de la terre.»
Puis, cachant son visage dans ses mains, il s'enfuit en fondant en larmes.
Quelques mois après, un moine de l'ordre de saint François assistait Ambrosia di Castello à ses derniers
moments: ce moine, c'était Raymond Lulle. Ici, le roman se termine et la légende va commencer.
Cette légende ne faisant qu'un seul homme des trois ou quatre Raymond Lulle qui ont existé à différentes
époques, donne à l'alchimiste repentant plusieurs siècles d'existence et d'expiation. Le jour où naturellement
le pauvre adepte devait mourir, il ressentait toutes les angoisses de l'agonie, puis, dans une crise suprême, il
sentait la vie le reprendre, comme le vautour de Prométhée reprenait son festin renaissant. Le Sauveur du
monde, qui déjà lui tendait la main, rentrait tristement dans le ciel qui se refermait, et Raymond Lulle se
retrouvait sur la terre sans espoir de jamais mourir.
Il se mit à prier et dévoua son existence aux bonnes oeuvres; Dieu lui accordait toutes ses grâces excepté la
mort, et que faire des autres sans celle-là qui doit les compléter et les couronner toutes? Un jour l'arbre de la
science lui apparut chargé de ses fruits lumineux; il comprit l'être et ses harmonies, il devina la kabbale, il
jeta les bases et traça le plan d'une science universelle, et depuis ce temps on ne l'appela plus que le docteur
illuminé.
[335]
Il avait trouvé la gloire. Cette fatale récompense du travail que Dieu dans sa miséricorde n'envoie guère aux
grands hommes qu'après leur mort parce qu'elle enivre et empoisonne les vivants. Mais Raymond Lulle qui
n'avait pu mourir pour lui faire place devait craindre encore de la voir mourir avant lui, et cette gloire ne lui
semblait être qu'une dérision de son immortelle infortune.
Il savait faire de l'or et il pouvait acheter le monde et tous ses monuments sans pouvoir s'assurer la
jouissance d'un seul tombeau.
C'était le pauvre de l'immortalité. Partout il allait mendiant la mort et personne ne pouvait la lui donner.
Il avait pris corps à corps la philosophie des Arabes, il luttait victorieusement contre l'islamisme et avait
tout à redouter du fanatisme des sectaires; tout à redouter, c'est-à-dire peut-être quelque chose à espérer, et
ce qu'il espérait, c'était la mort.
Il prit pour domestique un jeune Arabe des plus fanatiques et se posa devant lui en fléau de la doctrine de
Mahomet. L'arabe assassina son maître, c'était ce que Raymond Lulle attendait, mais il n'en mourut pas
comme il l'avait espéré, ne put obtenir la grâce de son assassin et eut un remords sur la conscience au lieu
de la délivrance et de la paix.
A peine guéri de ses blessures, il s'embarque et part pour Tunis; il y prêche publiquement le christianisme,
mais le bey admirant sa science et son courage le défend contre la fureur du peuple et le fait embarquer
avec tous ses livres. Raymond Lulle revient, prêche à Bône, à Bougie et dans d'autres villes d'Afrique; les
musulmans stupéfaits n'osent mettre la main sur lui. Il retourne
[336]
enfin à Tunis, et amassant le peuple dans les rues, il s'écrie qu'il a été déjà chassé du pays, mais qu'il y
revient afin de confondre les dogmes impies de Mahomet et de mourir pour Jésus-Christ. Cette fois toute
protection est impossible, le peuple furieux le poursuit, c'est une véritable sédition; il fuit pour les exciter
davantage, il est déjà brisé de coups, inondé de sang, couvert de blessures, et il vit toujours. Il tombe enfin
littéralement enseveli sous une montagne de pierres.
La nuit suivante, deux marchands génois, nommés Etienne Colon et Louis de Pastorga, passant en pleine
mer, virent une grande lumière s'élever du port de Tunis. Ils s'approchèrent et virent un monceau de pierres
qui projetait au loin cette miraculeuse splendeur; ils cherchèrent sous ces pierres et y trouvèrent Raymond
Lulle brisé et vivant, ils l'embarquèrent sur leur vaisseau et le ramenèrent à Majorque, sa patrie. Mais en
vue de cette île le martyr expira enfin, Dieu l'avait délivré par un miracle et sa pénitence était accomplie.
Telle est l'odyssée du Raymond Lulle fabuleux: venons maintenant aux réalités historiques.
Raymond Lulle le philosophe et l'adepte, celui qui mérita le surnom de docteur illuminé, était le fils de ce
sénéchal de Majorque, célèbre par sa passion malheureuse pour Ambrosia di Castello. Il ne composa pas
l'élixir d'immortalité, mais il fit de l'or en Angleterre pour le roi Edouard III; cet or fut appelé l'or de
Raymond, et il en existe encore des pièces fort rares à la vérité, que les curieux nomment des raymondines.
«Raymond Lulle, dont le génie s'exerça dans toutes les branches des connaissances humaines, et qui exposa
dans son livre, Ars magna, tout un vaste système de philosophie résumant les principes encyclopédiques de
la science de son temps, ne pouvait manquer de laisser aux chimistes un utile héritage. Il perfectionna et
décrivit avec soin divers composés qui sont très en usage en chimie. C'est à lui que nous devons la
préparation du carbonate de potasse au moyen du tartre et au moyen des cendres du bois, la rectification de
l'esprit de vin, la préparation des huiles essentielles, la coupellation de l'argent et la préparation du mercure
doux.»
D'autres savants, convaincus de la pureté de l'or des nobles à la rose, ont pensé que la chimie pratique
ayant, au moyen âge, des procédés fort imparfaits, les transmutations de Raymond Lulle et des autres
adeptes n'étaient autre chose que la séparation de l'or caché dans les mines d'argent, et purifié au moyen de
l'antimoine, qui est désigné en effet par un grand nombre de symboles hermétiques, comme l'élément
efficient et principal de la poudre de projection.
Nous conviendrons avec eux que la chimie n'existait pas au moyen âge, et nous ajouterons qu'elle fut créée
par les adeptes ou
[338]
plutôt que les adeptes, gardant pour eux les secrets de la synthèse, ce trésor des sanctuaires magiques,
enseignèrent à leurs contemporains quelques-uns des procédés de l'analyse, procédés qui ont été
perfectionnés depuis, mais qui n'ont pas encore conduit nos savants à retrouver cette antique synthèse qui
est à proprement parler la philosophie hermétique.
Raymond Lulle a renfermé dans son testament philosophique tous les principes de cette science, mais d'une
manière voilée, comme c'était l'usage et le devoir de tous les adeptes: aussi composa-t-il une clef de ce
testament, puis une clef de la clef, c'est-à-dire un codicille qui est, selon nous, le plus important de ses écrits
sur l'alchimie. Les principes qu'on y trouve et les procédés qui y sont exposés n'ont rien de commun avec la
sophistication des métaux purs, ni avec la séparation des alliages. C'est une théorie conforme aux principes
de Geber et d'Arnauld de Villeneuve pour la pratique, et aux plus hautes conceptions de la kabbale pour la
doctrine. Les esprits sérieux qui ne se laissent pas décourager par le discrédit où l'ignorance fait parfois
tomber les grandes choses, doivent, pour continuer après les plus puissants génies de l'ancien monde la
recherche de l'absolu, étudier d'abord et méditer kabbalistiquement le codicille de Raymond Lulle.
Toute la vie de ce merveilleux adepte, le premier initié après saint Jean qui ait été voué à l'apostolat
hiérarchique de la sainte orthodoxie, toute sa vie, disons-nous, se passa en fondations pieuses, en
prédications, en travaux scientifiques immenses. Ainsi, l'an 1276 il fonda à Palma un collège de
franciscains voués à l'étude des langues orientales et surtout de
[339]
la langue arabe, avec la mission spéciale de réfuter les livres des docteurs mahométans, et de prêcher aux
Maures la foi chrétienne. Jean XXI confirma cette institution par un bref daté de Viterbe, le 16 des calendes
de décembre, la première année de son pontificat.
Depuis l'an 1293 jusqu'à l'an 1311, il sollicite et obtient du pape Nicolas IV et des rois de France, de Sicile,
de Chypre, de Majorque, l'établissement de plusieurs collèges pour l'étude des langues. Partout il enseigne
son grand art qui est une synthèse universelle des connaissances humaines, et qui a pour but d'amener les
hommes à n'avoir plus qu'une seule langue comme ils n'auront qu'une pensée. Il vient à Paris, et en
émerveille les plus savants docteurs; puis il va en Espagne, s'arrête à Complute, et y fonde une académie
centrale pour l'étude des langues et des sciences; il réforme plusieurs couvents, voyage en Italie et recrute
des soldats pour un nouvel ordre militaire dont il sollicite l'institution à ce même concile de Vienne qui
condamne les templiers. C'est la science catholique, c'est la vraie initiation de saint Jean qui veut reprendre
à des mains infidèles le glaive défenseur du temple. Les grands de la terre se moquent du pauvre Raymond
Lulle, et font malgré eux tout ce qu'il désire. Cet illuminé qu'on appelle par dérision Raymond le
fantastique, semble être le pape des papes et le roi des rois: il est pauvre comme Job, et il fait l'aumône aux
souverains; on le dit fou, et il confond les sages. Le plus grand politique du temps, le cardinal Ximenès,
esprit aussi vaste que sérieux, ne parle de lui qu'en l'appelant le divin Raymond Lulle et le docteur très
illuminé. Il mourut, suivant Génébrard, en 1314, ou
[340]
en 1315, suivant l'auteur de la préface des Méditations de l'ermite Blaquerne. Il était âgé de quatre-vingts
ans, et la fin de sa laborieuse et sainte existence arriva le jour de la fête et du martyre des apôtres saint
Pierre et saint Paul.
Disciple des grands kabbalistes, Raymond Lulle voulait établir une philosophie universelle et absolue, en
substituant aux abstractions conventionnelles des systèmes la notion fixe des réalités de la nature, et aux
termes ambigus de la scholastique, un verbe simple et naturel. Il reprochait aux définitions des savants de
son temps d'éterniser les disputes par leurs inexactitudes et leurs amphibologies. L'homme est un animal
raisonnable, dit Aristote; l'homme n'est pas un animal, peut-on répondre, et il est rarement raisonnable. De
plus, animal et raisonnable sont deux termes qui ne sauraient s'accorder. Un fou, selon vous, ne serait pas
un homme, etc. Raymond Lulle définit les choses par leur nom même et non par des synonymes ou des à
peu près; puis il explique les noms par l'étymologie. Ainsi à cette question: qu'est-ce que l'homme? il
répondra: ce mot, pris dans une acception générale, signifie la condition humaine; pris dans une acception
particulière, il désigne la personne humaine. Mais qu'est-ce que la personne humaine? --Originairement,
c'est la personne que Dieu a faite en donnant un souffle de vie à un corps tiré de la terre (humus);
actuellement, c'est vous, c'est moi, c'est Pierre, c'est Paul, etc. Les gens habitués au jargon scientifique vont
alors se récrier et diront au docteur illuminé que tout le monde en pourrait dire autant, qu'il raisonne comme
un enfant; qu'avec cette méthode tout le monde serait savant, et qu'on préférerait
[341]
le bon sens des gens du peuple à toute la doctrine des académies: c'est bien ce que je veux, répondrait
simplement Raymond Lulle. De là le reproche de puérilité adressé à toute la théorie savante de Raymond
Lulle, et elle était puérile en effet, puérile comme la morale de celui qui a dit: si vous ne devenez
semblables à des petits enfants, vous n'entrerez jamais dans le royaume du ciel. Le royaume du ciel, n'est-ce
pas aussi le royaume de la science, puisque toute la vie céleste des hommes et de Dieu n'est qu'intelligence
et amour!
Raymond Lulle voulait opposer la kabbale devenue chrétienne à la magie fataliste des Arabes, les traditions
de l'Égypte à celles de l'Inde, la magie de lumière à la magie noire; il disait que dans les derniers temps, les
doctrines de l'Antéchrist seraient un réalisme matérialisé, et qu'alors ressusciteraient toutes les
monstruosités de la mauvaise magie; il préparait donc les esprits au retour d'Hénoch, c'est-à-dire à la
révélation dernière de cette science, dont la clef est dans les alphabets hiéroglyphiques d'Hénoch, et dont la
lumière conciliatrice de la raison et de la foi précédera le règne messianique et universel du christianisme
sur la terre. Pour les vrais kabbalistes et les voyants, cet homme était donc un grand prophète, et pour les
sceptiques qui savent du moins respecter les grands caractères et les hautes aspirations, c'était un sublime
rêveur.
[342]
CHAPITRE IV.
ALCHIMISTES.
Ce livre était combiné sur les clefs du Tarot et n'était qu'un commentaire hiéroglyphico-hermétique du
Sepher Jézirah. Nous voyons, en effet, dans la description qu'en fait Flamel, que les feuillets étaient au
nombre de vingt et un, soit vingt-deux avec le titre, et qu'ils se divisaient en trois septénaires, avec une
feuille sans écriture à chaque septième page.
Remarquons que l'Apocalypse, ce sublime résumé kabbalistique et prophétique de toutes les figures
occultes, partage aussi ses images en trois septénaires, après chacun desquels il se fait un silence dans le
ciel, analogie frappante avec la feuille non écrite du livre mystique de Flamel.
Les septénaires de l'Apocalypse sont d'abord sept sceaux à ouvrir, c'est-à-dire sept mystères à connaître et
sept difficultés à vaincre; sept trompettes à sonner, c'est-à-dire sept paroles à comprendre, et sept coupes à
verser, c'est-à-dire sept substances à volatiliser et à fixer.
[343]
Dans le livre de Flamel, le premier septième feuillet porte pour hiéroglyphe la verge de Moïse triomphante
des serpents projetés par les enchanteurs de Pharaon et qui s'entre-dévorent, figure analogue au
triomphateur du Tarot attelant à son char cubique les sphinx blanc et noir de la magie égyptienne.
Cette figure correspond au septième dogme du symbole de Maïmonides: Nous n'avons qu'un prophète, et
c'est Moïse.
Elle représente l'unité de la science et de l'oeuvre; elle représente aussi le mercure des sages qui se forme
par la dissolution des mixtes et par Faction réciproque du soufre et du sel des métaux.
La figure du second septénaire était la représentation du serpent d'airain fixé sur une croix. La croix
représente le mariage du soufre et du sel purifiés, et la condensation de la lumière astrale; le nombre 14 du
Tarot représente un ange, c'est-à-dire l'esprit de la terre mêlant ensemble les liquides d'un vase d'or et d'un
vase d'argent. C'est donc le même symbole figuré d'une autre manière.
Au dernier septénaire du livre de Flamel, on voyait le désert, des fontaines et des serpents qui couraient de
tous côtés, image de l'espace et de la vie universelle. Dans le Tarot, l'espace est figuré par les quatre signes
des points cardinaux du ciel, et la vie par une jeune fille nue qui court dans un cercle. Flamel ne dit pas le
nombre des fontaines et des serpents. Il pouvait y avoir quatre fontaines jaillissant d'une même source,
comme dans le pantacle édénique, avec quatre, sept, neuf ou dix serpents.
[344]
Au quatrième feuillet, on voyait le Temps prêt à trancher les pieds à Mercure. Près de là était un rosier
fleuri dont la racine était bleue, la tige blanche, les feuilles rouges et les fleurs d'or. Le nombre quatre est
celui de la réalisation élémentaire: le Temps, c'est le nitre atmosphérique; sa faux, c'est l'acide qu'on en peut
faire et qui fixe le mercure en le transformant en sel; le rosier, c'est l'oeuvre avec ses trois couleurs
successives: c'est le magistère au noir, au blanc et au rouge qui fait germer et fleurir l'or.
Au cinquième feuillet (le nombre cinq est celui du grand mystère), on voyait au pied du rosier fleuri des
aveugles fouiller la terre pour y chercher le grand agent qui est partout; quelques-uns, plus avisés, pesaient
une eau blanche semblable à de l'air épaissi; au revers de la page on voyait le massacre des Innocents et le
soleil et la lune qui venaient se baigner dans leur sang. Cette allégorie, qui exprime en effet le grand secret
de l'art hermétique, se rapporte à cet art de prendre l'air dans l'air comme dit Aristée, ou, pour parler une
langue intelligible, d'employer l'air comme force en le dilatant au moyen de la lumière astrale, comme on
dilate l'eau en vapeur par l'action du feu, ce qui peut se faire à l'aide de l'électricité, des aimants et d'une
projection puissante de la volonté de l'opérateur dirigée par la science et le bon vouloir. Le sang des enfants
représente cette lumière essentielle que le feu philosophique extrait des corps élémentaires et dans laquelle
le soleil et la lune viennent se baigner, c'est-à-dire que l'argent s'y teint en or et que l'or y acquiert un degré
de pureté qui en transforme le soufre en véritable poudre de projection.
La tradition populaire assure que Flamel n'est pas mort et qu'il a enterré un trésor sous la tour Saint-
Jacques-la-Boucherie. Ce trésor contenu dans un coffre de cèdre revêtu de lames des sept métaux, ne serait
autre chose, disent les adeptes illuminés, que l'exemplaire original du fameux livre d'Abraham le juif, avec
ses explications écrites de la main de Flamel, et des échantillons de la poudre de projection suffisants pour
changer l'Océan en or si l'Océan était du mercure.
Après Flamel vinrent Bernard le Trévisan, Basile Valentin et d'autres alchimistes célèbres. Les douze clefs
de Basile Valentin sont à la fois kabbalistiques, magiques et hermétiques. Puis en 1480 parut Jean Trithême
qui fut le maître de Cornélius Agrippa et le plus grand magicien dogmatique du moyen âge. Trithême était
un abbé de l'ordre de saint Benoît, d'une irréprochable orthodoxie et de la conduite la plus régulière. Il n'eut
pas l'imprudence d'écrire ouvertement sur la philosophie occulte comme son disciple l'aventureux Agrippa;
tous ses travaux magiques roulent sur l'art de cacher les mystères; quant à sa doctrine, il l'a exprimée par un
pantacle, suivant l'usage des vrais adeptes. Ce pantacle, extrêmement rare, se trouve seulement dans
quelques exemplaires manuscrits du Traité des causes secondes. Un gentilhomme polonais qui est un esprit
élevé et un noble coeur, M. le comte Alexandre Branistki, en possède un curieux exemplaire qu'il a bien
voulu nous communiquer.
[346]
Ce pantacle est composé de deux triangles unis par la base, l'un blanc et l'autre noir; sous la pointe du
triangle noir est couché un fou qui redresse péniblement la tête et regarde avec une grimace d'effroi dans
l'obscurité du triangle où se reflète sa propre image; sur la pointe du triangle blanc s'appuie un homme dans
la force de l'âge, vêtu en chevalier, ayant le regard ferme et l'attitude d'un commandement fort et paisible.
Dans le triangle blanc sont tracés les caractères du tétragramme divin.
On pourrait expliquer ce pantacle par cette légende: «Le sage s'appuie sur la crainte du vrai Dieu, l'insensé
est écrasé par la peur d'un faux dieu fait à son image. C'est là le sens naturel et exotérique de l'emblème;
mais en le méditant dans son ensemble et dans chacune de ses parties, les adeptes y trouveront le dernier
mot de la kabbale, la formule indicible du grand arcane: la distinction entre les miracles et les prodiges, le
secret des apparitions, la théorie universelle du magnétisme et la science de tous les mystères.
Trithême a composé une histoire de la magie toute en pantacles, sous ce titre: Veterum sophorum sigilla et
imagines magicæ; puis dans sa stéganographie et dans sa polygraphie il donne la clef de toutes les écritures
occultes et explique en termes voilés la science réelle des incantations et des évocations. Trithême est en
magie le maître des maîtres, et nous n'hésitons pas à le proclamer le plus sage et le plus savant des adeptes.
Il n'en est pas de même de Cornélius Agrippa, qui fut toute sa vie un chercheur et qui ne trouva ni la vraie
science ni la paix. Les livres d'Agrippa sont pleins d'érudition et de hardiesse; il
[347]
était lui-même d'un caractère fantasque et indépendant, aussi passa-t-il pour un abominable sorcier et fut-il
persécuté par le clergé et par les princes; il écrivit enfin contre les sciences qui n'avaient pu lui donner le
bonheur, et il mourut dans la misère et dans l'abandon.
Nous arrivons enfin à la douce et bonne figure de ce savant et sublime Postel qu'on ne connaît que par son
trop mystique amour pour une vieille fille illuminée. Il y a pourtant dans Postel toute autre chose que le
disciple de la mère Jeanne; mais les esprits vulgaires sont si heureux de dénigrer pour se dispenser
d'apprendre, qu'ils ne voudront jamais y rien voir de mieux. Ce n'est donc pas à ceux-là que nous allons
révéler le génie de Guillaume Postel.
Postel était le fils d'un pauvre paysan des environs de Barenton en Normandie: à force de persévérance et
de sacrifices il parvint à s'instruire et devint bientôt le plus savant homme de son temps; la pauvreté
l'accompagna toujours et la misère même le força parfois de vendre ses livres. Postel, toujours plein de
résignation et de mansuétude, travaillait comme un homme de peine pour gagner un morceau de pain et
revenait ensuite étudier: il apprit toutes les langues connues et toutes les sciences de son temps; il découvrit
des manuscrits précieux et rares, entre autres les Évangiles apocryphes et le Sepher Jezirah; il s'initia lui-
même aux mystères de la haute kabbale et dans sa naïve admiration pour cette vérité absolue, pour cette
raison suprême de toutes les philosophies et de tous les dogmes, il voulut la révéler au monde. Il parla donc
ouvertement la langue des mystères, écrivit un livre ayant pour titre: La clef des choses
[348]
cachées depuis le commencement du monde. Il adressa ce livre aux Pères du concile de Trente en les
conjurant d'entrer dans la voie de la conciliation et de la synthèse universelle. Personne ne le comprit,
quelques-uns l'accusèrent d'hérésie, les plus modérés se contentèrent de dire qu'il était fou.
La Trinité, disait-il, a fait l'homme à son image et à sa ressemblance. Le corps humain est double et son
unité ternaire se compose de l'union des deux moitiés; l'âme humaine aussi est double: elle est animus et
anima, elle est esprit et tendresse; elle a deux sexes, le sexe paternel siège dans la tête, le sexe maternel
dans le coeur; l'accomplissement de la rédemption doit donc être double dans l'humanité: il faut que l'esprit
par sa pureté rachète les égarements du coeur, puis il faut que le coeur par sa générosité rachète les
sécheresses égoïstes de la tête. Le christianisme, ajoutait-il, n'a encore été compris que par les têtes
raisonneuses, il n'est pas descendu jusqu'aux coeurs. Le Verbe s'est fait homme, mais c'est quand il se sera
fait femme que le monde sera sauvé. C'est le génie maternel de la religion qui apprendra aux hommes les
sublimes grandeurs de l'esprit de charité, et alors la raison se conciliera avec la foi parce qu'elle
comprendra, expliquera et gouvernera les saintes folies du dévouement.
Voyez maintenant, ajoutait-il, de quoi se compose la religion du plus grand nombre des chrétiens: une
partialité ignorante et persécutrice, un entêtement superstitieux et stupide, et surtout la peur, la lâche peur!
Et pourquoi cela? Parce qu'ils n'ont pas des coeurs de femme, parce qu'ils ne sentent pas les divins
enthousiasmes de l'amour maternel qui leur expliqueraient la
[349]
religion tout entière. La puissance qui s'est emparée de leur cerveau et qui lie leur esprit, ce n'est pas le
Dieu bon, intelligent et longanime, c'est le méchant et sot et couard Satanas, ils ont bien plus de peur du
diable que d'amour pour Dieu. Ce sont des cervelles glacées et rétrécies placées comme des tombeaux sur
des coeurs morts. Oh! quand la grâce ressuscitera les coeurs, quel réveil pour les intelligences! quelle
renaissance pour la raison! quel triomphe pour la vérité! Pourquoi suis-je le premier et presque le seul à le
comprendre? Que peut faire un ressuscité seul parmi des morts qui ne peuvent encore rien entendre! Vienne
donc, vienne cet esprit maternel qui m'est apparu à Venise dans l'âme d'une vierge inspirée de Dieu, et qu'il
apprenne aux femmes du nouveau monde leur mission rédemptrice et leur apostolat de saint et spirituel
amour!
Ces nobles inspirations, Postel les devait en effet à une pieuse fille nommée Jeanne, qu'il avait connue à
Venise; il fut le confident spirituel de cette âme d'élite et fut entraîné dans le courant de poésie mystique qui
tourbillonnait autour d'elle. Lorsqu'il lui donnait la communion, il la voyait rayonnante et transfigurée, elle
avait alors plus de cinquante ans, et le pauvre père avoue naïvement qu'il ne lui en eût pas donné quinze,
tant la sympathie de leurs coeurs la transfigurait à ses yeux. Etranges égarements de l'amour dans deux
âmes pures, mariage mystique de deux virginités, puérilités lyriques, célestes hallucinations; pour
comprendre tout cela il faut avoir vécu de la vie ascétique. C'est elle, disait l'enthousiaste, c'est l'esprit de
Jésus-Christ vivant en elle qui doit régénérer le
[350]
monde. Cette lumière du coeur qui doit chasser de tous les esprits le spectre hideux de Satan, ce n'est pas
une chimère de mes rêves, je l'ai vue, elle a paru dans le monde, elle s'est incarnée dans une vierge, et j'ai
salué en elle la mère du monde à venir! Nous analysons ici Postel plutôt que nous ne le traduisons, mais
l'abrégé rapide que nous donnons de ses sentiments et de son langage ne suffit-il pas pour faire comprendre
que tout cela était dit au figuré et que suivant la judicieuse remarque du savant jésuite Desbillons, dans sa
notice sur la vie et les ouvrages de Postel, rien n'était plus loin de sa pensée que de faire, comme on l'a
prétendu, une seconde incarnation et une divinité de cette pauvre soeur hospitalière qui l'avait uniquement
séduit par l'éclat de ses humbles vertus. Nous croyons bien sincèrement que les calomniateurs et les
railleurs du bon Postel ne valaient pas la mère Jeanne.
Les relations mystiques de Postel et de cette religieuse durèrent environ cinq ans, après lesquels la mère
Jeanne mourut. Elle avait promis à son confesseur de ne jamais se séparer de lui et de l'assister quand elle
serait dégagée des chaînes de la vie présente. «Elle m'a tenu parole, dit Postel, elle est venue depuis me
visiter à Paris, elle m'a illuminé de sa lumière, elle a concilié ma raison avec ma foy. Sa substance et corps
spirituel, deux ans depuis son ascension au ciel, est descendu en moy, et s'est partout mon corps
sensiblement estendu, tellement que c'est elle et non pas moy qui vit en moy.»
Depuis cette époque, Postel ne s'appela jamais plus autrement que le ressuscité, il signait Postellus
restitutus, et de fait un singulier phénomène s'accomplit en lui, ses cheveux de blancs
[351]
qu'ils étaient redevinrent noirs, ses rides s'effacèrent et la couleur vermeille de la jeunesse se répandit sur
son visage, pâli et exténué par les austérités et les veilles; ses biographes moqueurs prétendent qu'il se
teignait les cheveux, et qu'il se fardait: comme si ce n'était pas assez d'en avoir fait un fou, ils veulent
encore qu'un homme d'un si noble et si généreux caractère ait été un jongleur et un charlatan.
Il y a quelque chose de plus prodigieux que l'éloquente déraison des coeurs enthousiastes, c'est la bêtise ou
la mauvaise foi des esprits sceptiques et froids qui les jugent.
«On s'est imaginé, écrit le père Desbillons, et je vois qu'on croit encore aujourd'hui, que la régénération,
qu'il suppose avoir été faite par la mère Jeanne, est le fondement de son système; le système dont il ne s'est
jamais départi, si ce n'est peut-être quelques années avant sa mort, subsistait en entier avant qu'il eût
entendu parler de cette mère Jeanne. Il s'était mis dans la tête que le règne évangélique de Jésus-Christ,
établi par les apôtres, ne pouvait plus ni se soutenir parmi les chrétiens, ni se propager parmi les infidèles,
que par les lumières de la raison.... A ce principe, qui le regardait personnellement, il en joignait un autre
qui consistait dans la destination d'un roi de France à la monarchie universelle, il fallait lui préparer les
voies par la conquête des coeurs et la conviction des esprits, afin qu'il n'y eût plus dans le monde qu'une
seule croyance, et que Jésus-Christ y régnât par un seul roi, par une seule loi et une seule foi.»
Voilà ce qui prouve, suivant le père Desbillons, que Postel était fou.
[352]
Fou, pour avoir pensé que la religion doit régner sur les esprits par la raison suprême de son dogme, et que
la monarchie, pour être forte et durable, doit enchaîner les coeurs par les conquêtes de la prospérité
publique de la paix.
Fou, pour avoir cru à l'avènement du règne de celui à qui nous demandons tous les jours que son règne
arrive.
La preuve de sa folie, c'est qu'il écrivit, comme nous l'avons dit, aux pères du concile de Trente, pour les
supplier de bénir tout le monde et de ne lancer d'anathèmes contre personne.
Autre folie; il essaya de convertir les jésuites à ses idées, et de leur faire prêcher la concorde universelle
entre les hommes, la paix entre les souverains, la raison aux prêtres et la bonté aux princes de ce monde.
Enfin, dernière et suprême folie, il négligea les biens de la terre et la faveur des grands, vécut toujours
humblement et pauvrement, ne posséda jamais rien que sa science et ses livres, et n'ambitionna jamais autre
chose que la vérité et la justice.
Il était si doux et si bon, que ses supérieurs ecclésiastiques eurent pitié de lui, et pensant probablement,
comme on l'a dit plus tard de La Fontaine, qu'il était plus bête que méchant, ils se contentèrent de le
renfermer dans un couvent pour le reste de ses jours. Postel les remercia du calme qu'ils procuraient ainsi à
la fin de sa vie et mourut paisiblement en rétractant tout ce
[353]
que ses supérieurs voulurent. L'homme de la concorde universelle ne pouvait être un anarchiste, et avant
toute chose c'était le plus sincère des catholiques et le plus humble des chrétiens.
Passons à un autre fou, celui-ci s'appelle Théophraste Auréole Bombast, et on le connaît dans le monde
magique sous le nom célèbre de Paracelse.
Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit de ce maître dans notre dogme et rituel de la haute magie,
nous ajouterons seulement quelques remarques sur la médecine occulte dont Paracelse fut le rénovateur.
Cette médecine vraiment universelle repose sur une vaste théorie de la lumière, que les adeptes nomment
l'or fluide ou potable. La lumière, cet agent créateur, dont les vibrations donnent à toutes choses le
mouvement et la vie; la lumière latente dans l'éther universel, rayonnante autour des centres absorbants, qui
s'étant saturés de lumière projettent à leur tour le mouvement et la vie, et forment ainsi des courants
créateurs; la lumière astralisée dans les astres, animalisée dans les animaux, humanisée dans les hommes; la
lumière qui végète dans les plantes, qui brille dans les métaux, qui produit toutes les formes de la nature, et
les équilibre toutes par les lois de la sympathie universelle, c'est cette lumière qui produit les phénomènes
du magnétisme devinés par Paracelse, c'est elle qui colore le sang en se dégageant de l'air, aspiré et renvoyé
par le soufflet hermétique des poumons; le sang alors devient un véritable élixir de vie où des globules
[354]
vermeils et aimantés de lumière vivante nagent dans un fluide légèrement doré. Ces globules sont de
véritables semences prêtes à prendre toutes les formes du monde dont le corps humain est l'abrégé, ils
peuvent se subtiliser et se coaguler, renouvelant ainsi les esprits qui circulent dans les nerfs, et la chair qui
s'affermit autour des os; ils rayonnent au dehors ou plutôt en se spiritualisant ils se laissent entraîner par les
courants de la lumière, et circulent dans le corps astral, ce corps intérieur et lumineux que l'imagination
dilate chez les extatiques, en sorte que leur sang va quelquefois colorer à distance des objets que leur corps
astral pénètre pour se les identifier. Nous démontrerons dans un ouvrage spécial sur la médecine occulte,
tout ce que nous avançons ici, quelque étrange et quelque paradoxal que cela puisse paraître d'abord aux
hommes de science. Telles étaient les bases de la médecine de Paracelse, il guérissait par sympathie de
lumière, il appliquait les médicaments non au corps extérieur et matériel qui est tout passif, et qu'on peut
même tailler et déchirer sans qu'il sente rien quand le corps astral se retire, mais à ce médium intérieur, à ce
corps, principe des sensations dont il ravivait la quintessence par des quintessences sympathiques. Ainsi,
par exemple, il guérissait les blessures en appliquant de puissants réactifs au sang répandu dont il renvoyait
vers le corps l'âme physique et la séve purifiée. Pour guérir un membre malade, il faisait un membre de cire
auquel il attachait, par la puissance de sa volonté, le magnétisme du membre malade; il appliquait à cette
cire le vitriol, le fer et le feu, et réagissait ainsi par l'imagination et la correspondance magnétique sur le
malade lui-même dont ce membre de cire était devenu l'appendice et le
[355]
supplément. Paracelse connaissait LES MYSTÈRES DU SANG, il savait pourquoi les prêtres de Baal, pour
faire descendre le feu du ciel, se faisaient des incisions avec des couteaux; il savait pourquoi les Orientaux
qui veulent inspirer à une femme de l'amour physique, répandent leur sang devant elle; il savait comment le
sang répandu crie vengeance ou miséricorde et remplit l'air d'anges ou de démons. C'est le sang, en effet,
qui est l'instrument des rêves, c'est lui qui fait abonder les images dans notre cerveau pendant le sommeil,
car le sang est plein de lumière astrale. Les globules en sont bisexuels, aimantés et ferrés, sympathiques et
répulsifs. De l'âme physique du sang, on peut faire sortir toutes les formes et toutes les images du monde...
Lisons le récit d'un voyageur estimé:
«A Baroche, dit le voyageur Tavernier, les Anglais ont un fort beau logis, et je me souviens qu'y arrivant un
jour, en revenant d'Agra à Surate, avec le président des Anglais, il vint aussitôt des charlatans lui demander
s'il voulait qu'ils lui montrassent quelques tours de leur métier: ce qu'il eut la curiosité de voir.
»La première chose qu'ils firent fut d'allumer un grand feu, et de faire rougir des chaînes de fer dont ils
s'entortillèrent le corps, faisant semblant qu'ils en ressentaient quelque douleur, mais n'en recevant au fond
aucun dommage. Ensuite, ils prirent un petit morceau de bois, et, l'ayant planté en terre, ils demandèrent à
quelqu'un de la compagnie quel fruit il voulait avoir. On leur dit que l'on souhaitait des mangues, et alors
un de ces charlatans, se couvrant d'un linceul, s'accroupit contre
[356]
terre jusqu'à cinq ou six reprises.--J'eus la curiosité de monter à une chambre pour voir d'en haut par une
ouverture du linceul, ce que cet homme faisait, et j'aperçus que, se coupant la chair sous les aisselles avec
un rasoir, il frottait de son sang le morceau de bois. A chaque fois qu'il se relevait, le bois croissait a vue
d'oeil, et, à la troisième, il en sortit des branches avec des bourgeons. A la quatrième fois, l'arbre fut couvert
de feuilles, et, à la cinquième, on lui vit des fleurs.
»Le président des Anglais avait alors son ministre avec lui, l'ayant mené à Amadabat pour baptiser un
enfant du Commandeur hollandais, et dont il avait été prié d'être le parrain; car il faut remarquer que les
Hollandais ne tiennent point de ministres que dans les lieux où ils ont ensemble des marchands et des
soldats. Le ministre anglais avait protesté d'abord qu'il ne pouvait consentir que des chrétiens assistassent à
de semblables spectacles; et dès qu'il eut vu que, d'un morceau de bois sec, ces gens-là faisaient venir, en
moins d'une demi-heure, un arbre de quatre ou cinq pieds de haut, avec des feuilles et des fleurs comme au
printemps, il se mit en devoir de l'aller rompre, et dit hautement qu'il ne donnerait jamais la communion à
aucun de ceux qui demeureraient davantage à voir ces choses. Cela obligea le président de congédier ces
charlatans.»
Le docteur Clever de Maldigny, à qui nous empruntons cette citation, regrette que les mangues se soient
arrêtées en si beau chemin, mais il n'entreprend pas d'expliquer le phénomène. Nous croyons que c'était une
fascination par le magnétisme de la lumière rayonnante du sang; c'était ce que nous avons défini ailleurs: un
phénomène d'électricité magnétisée, identique avec
[357]
celui qu'on nomme palingénésie, et qui consiste à faire apparaître une plante vivante dans un vase qui
contient la cendre de cette même plante morte depuis longtemps.
Tels étaient les secrets que connaissait Paracelse, et c'est en employant aux usages de la médecine ces
forces cachées de la nature, qu'il se fit tant d'admirateurs et tant d'ennemis. Paracelse était loin d'ailleurs
d'être un bonhomme comme Postel, il était naturellement agressif et batailleur; son génie familier était
caché, disait-il, dans le pommeau de sa grande épée, et il ne la quittait jamais. Sa vie fut une lutte
incessante; il voyageait, il disputait, il écrivait, il enseignait. Il était plus curieux de résultats physiques que
de conquêtes morales, aussi fut-il le premier des magiciens opérateurs et le dernier des sages adeptes. Sa
philosophie était toute de sagacité, aussi l'intitulait-il lui-même philosophia sagax. Il a plus deviné que
personne sans avoir jamais rien su complètement. Rien n'égale ses intuitions, si ce n'est la témérité de ses
commentaires. C'était l'homme des expériences hardies, il s'enivrait de ses opinions et de sa parole, il
s'enivrait même autrement, si l'on en croit ses chroniqueurs. Les écrits qu'il a laissés sont précieux pour la
science, mais il faut les lire avec précaution; on peut l'appeler le divin Paracelse, en prenant cet adjectif
dans le sens de divinateur, c'est un oracle, mais ce n'est pas un vrai maître; c'est comme médecin surtout
qu'il est grand, puisqu'il avait trouvé la médecine universelle: il ne put toutefois conserver sa propre vie, et
il mourut encore jeune, épuisé par ses travaux et par ses excès, laissant après lui un nom d'une gloire
fantastique et douteuse, fondée sur des
[358]
découvertes dont ses contemporains ne profitèrent pas. Il mourut sans avoir dit son dernier mot, et il est un
de ces personnages mystérieux dont on peut dire comme d'Hénoch et de saint Jean: Il n'est pas mort, et il
reviendra visiter la terre avant le dernier jour!
CHAPITRE V.
SORCIERS ET MAGICIENS CÉLÈBRES.
On a multiplié les commentaires et les études sur l'oeuvre de Dante, et personne, que nous sachions, n'en a
signalé le principal caractère. L'oeuvre du grand Gibelin est une déclaration de guerre à la papauté par la
révélation hardie des mystères. L'épopée de Dante est joannite et gnostique, c'est une application hardie des
figures et des nombres de la kabbale aux dogmes chrétiens, et une négation secrète de tout ce qu'il y a
d'absolu, dans ces dogmes; son voyage à travers les mondes surnaturels s'accomplit comme l'initiation aux
mystères d'Éleusis et de Thèbes. C'est Virgile qui le conduit et le protège dans les cercles du nouveau
Tartare, comme si Virgile, le tendre et mélancolique prophète des destinées du fils de Pollion, était aux
yeux du poète florentin le père illégitime, mais véritable de
[359]
l'épopée chrétienne. Grâce au génie païen de Virgile, Dante échappe à ce gouffre sur la porte duquel il avait
lu une sentence de désespoir, il y échappe en mettant sa tête à la place de ses pieds et ses pieds à la place de
sa tête, c'est-à-dire en prenant le contrepied du dogme, et alors il remonte à la lumière en se servant du
démon lui-même comme d'une échelle monstrueuse; il échappe à l'épouvante à force d'épouvante, à
l'horrible à force d'horreur. L'enfer, semble-t-il dire, n'est une impasse que pour ceux qui ne savent pas se
retourner; il prend le diable à rebrousse-poil, s'il m'est permis d'employer ici cette expression familière, et
s'émancipe par son audace. C'est déjà le protestantisme dépassé, et le poète des ennemis de Rome a déjà
deviné Faust montant au ciel sur la tête de Méphistophélès vaincu. Remarquons aussi que l'enfer de Dante
n'est qu'un purgatoire négatif. Expliquons-nous: son purgatoire semble s'être formé dans son enfer comme
dans un moule, c'est le couvercle et comme le bouchon du gouffre, et l'on comprend que le titan florentin
en escaladant le paradis voudrait jeter d'un coup de pied le purgatoire dans l'enfer.
Son ciel se compose d'une série de cercles kabbalistiques divisés par une croix comme le pantacle
d'Ézéchiel; au centre de cette croix fleurit une rose, et nous voyons apparaître pour la première fois exposé
publiquement et presque catégoriquement expliqué le symbole des rose-croix.
Nous disons pour la première fois, parce que Guillaume de Lorris, mort en 1260, cinq ans avant la
naissance d'Alighieri, n'avait pas achevé son Roman de la rose, qui fut continué par Clopinel,
[360]
un demi-siècle plus tard. On ne découvrira pas sans étonnement que le Roman de la rose et la Divine
comédie sont les deux formes opposées d'une même oeuvre: l'initiation à l'indépendance de l'esprit, la satire
de toutes les institutions contemporaines et la formule allégorique des grands secrets de la Société des rose-
croix.
Ces importantes manifestations de l'occultisme coïncident avec l'époque de la chute des templiers, puisque
Jean de Meung ou Clopinel, contemporain de la vieillesse de Dante, florissait pendant ses plus belles
années à la cour de Philippe le Bel. Le Roman de la rose est l'épopée de la vieille France. C'est un livre
profond sous une forme légère, c'est une révélation aussi savante que celle d'Apulée des mystères de
l'occultisme. La rose de Flamel, celle de Jean de Meung et celle de Dante sont nées sur le même rosier.
Les grands hommes impriment à l'intelligence un mouvement qui se prouve plus tard par des actes dont
l'initiative appartient aux médiocrités remuantes. Dante n'a peut-être jamais été lu, et n'eût certainement
jamais été compris par Luther. Cependant l'oeuvre des Gibelins fécondée par la puissante pensée du poète,
souleva lentement l'empire contre la papauté, en se perpétuant sous divers noms de siècle en siècle, et rendit
enfin l'Allemagne protestante. Ce n'est certainement pas Luther qui a fait la réforme, mais la réforme s'est
emparée de Luther et l'a poussé en avant. Ce moine aux épaules carrées n'avait que de l'entêtement et de
l'audace, mais c'était l'instrument qu'il fallait aux idées révolutionnaires. Luther était le Danton de la
théologie
[361]
anarchique; superstitieux et téméraire, il se croyait obsédé par le diable; le diable lui dictait des arguments
contre l'Église, le diable le faisait raisonner, déraisonner et surtout écrire. Ce génie inspirateur de tous les
Caïns ne demandait alors que de l'encre, bien sûr qu'avec cette encre distillée par la plume de Luther, il
ferait bientôt des flots de sang. Luther le sentait et il haïssait le diable parce que c'était encore un maître; un
jour il lui lança son écritoire à la tête comme s'il voulait le rassasier par cette violente libation. Luther jetant
son encrier à la tête du diable, nous rappelle ce facétieux régicide qui, en signant la mort de Charles Ier,
barbouilla d'encre ses complices.
«Plutôt Turc que papiste!» c'était la devise de Luther; et en effet le protestantisme n'est au fond, comme
l'islamisme, que le déisme pur organisé en culte conventionnel, et n'en diffère que par des restes de
catholicisme mal effacé. Les protestants sont, au point de vue de la négation du dogme catholique, des
musulmans avec quelques superstitions de plus et un prophète de moins.
Les hommes renoncent plus volontiers à Dieu qu'au diable, les apostats de tous les temps l'ont assez
prouvé. Les disciples de Luther, divisés bientôt par l'anarchie, n'avaient plus entre eux qu'un lien de
croyance commune, ils croyaient tous à Satan, et ce spectre grandissant à mesure que leur esprit de révolte
les éloignait de Dieu, arrivait à des proportions terribles. Carlostad, archidiacre de Wurtemberg, étant un
jour en chaire, vit entrer dans le temple un homme noir qui s'assit devant lui, et le regarda pendant tout le
temps de son sermon avec une fixité terrible; il se trouble, descend de chaire, interroge les
[362]
assistants; personne n'a vu le fantôme. Carlostad revient chez lui tout épouvanté, le plus jeune de ses fils
vient au-devant de lui, et lui raconte qu'un inconnu vêtu de noir est venu le demander et a promis de revenir
dans trois jours. Plus de doute pour l'halluciné; le visiteur n'est autre que le spectre de la vision. La frayeur
lui donne la fièvre, il se met au lit et meurt avant le troisième jour.
Ces malheureux sectaires avaient peur de leur ombre, leur conscience était restée catholique et les damnait
impitoyablement. Luther se promenant un soir avec sa femme Catherine de Bora, regarda le ciel plein
d'étoiles, et dit à demi-voix avec un profond soupir: «Beau ciel que je ne verrai jamais!»--«Eh quoi, dit la
femme, pensez-vous donc être réprouvé?»--«Qui sait, dit Luther, si Dieu ne nous punira pas d'avoir été
infidèles à nos voeux?» Peut-être qu'alors si Catherine, en le voyant douter ainsi de lui-même, l'eût
abandonné en le maudissant, le réformateur, brisé par cet avertissement divin, eût reconnu combien il avait
été criminel en trahissant l'Église sa première épouse, et eut tourné des yeux en larmes vers le cloître qu'il
avait lui-même abandonné! Mais Dieu qui résiste aux superbes, ne le trouva pas digne sans doute de cette
salutaire douleur. La comédie sacrilège du mariage de Luther avait été le châtiment providentiel de son
orgueil, et comme il persévéra dans son péché, son châtiment ne le quitta pas et le ridiculisa jusqu'à la fin. Il
mourut entre le diable et sa femme, effrayé de l'un et fort embarrassé de l'autre.
Lorsque la ligue eut juré la mort du faible et misérable Henri III, elle eut recours aux envoûtements de la
magie noire. L'Étoile assure que l'image en cire du roi était placée sur les autels où les prêtres ligueurs
disaient la messe, et qu'on perçait cette image avec un canif en prononçant une oraison de malédictions et
d'anathème. Comme le roi ne mourait pas assez vite, on en conclut qu'il était sorcier. Des pamphlets
coururent où Henri III était représenté tenant des conventicules où les crimes de Sodome et de Gomorrhe
n'étaient que le prélude d'attentats plus inouïs et plus affreux. Le roi, disait-on, avait parmi ses mignons un
personnage inconnu qui était le diable en personne; on enlevait des jeunes vierges que ce prince prostituait
violemment à Béelzébut; le peuple croyait à ces fables, et il se trouva enfin un fanatique pour exécuter les
menaces de l'envoûtement. Jacques Clément eut des visions et entendit des voix impérieuses qui lui
commandaient de tuer le roi. Cet halluciné courut au régicide comme un martyr, et mourut
[364]
en riant comme les héros de la mythologie scandinave. Des chroniqueurs scandaleux ont prétendu qu'une
grande dame de la cour avait uni aux inspirations de la solitude du moine, le magnétisme de ses caresses:
cette anecdote manque de probabilité. La chasteté du moine entretenait son exaltation, et s'il eût commencé
à vivre de la vie fatale des passions, une soif insatiable de plaisir se fût emparée de tout son être, et il n'eût
plus voulu mourir.
Pendant que les guerres de religion ensanglantaient le monde, les sociétés secrètes de l'illuminisme, qui
n'étaient que des écoles de théurgie et de haute magie, prenaient de la consistance en Allemagne. La plus
ancienne de ces sociétés paraît avoir été celle des rose-croix dont les symboles remontent au temps des
Guelfes et des Gibelins, comme nous le voyons par les allégories du poème de Dante, et par les figures du
Roman de la rose.
La rose, qui a été de tout temps l'emblème de la beauté, de la vie, de l'amour et du plaisir, exprimait
mystiquement la pensée secrète de toutes les protestations manifestées à la renaissance. C'était la chair
révoltée contre l'oppression de l'esprit; c'était la nature se déclarant fille de Dieu, comme la grâce; c'était
l'amour qui ne voulait pas être étouffé par le célibat; c'était la vie qui ne voulait plus être stérile, c'était
l'humanité aspirant à une religion naturelle, toute de raison et d'amour, fondée sur la révélation des
harmonies de l'Être, dont la rose était pour les initiés le symbole vivant et fleuri. La rose, en effet, est un
pantacle, elle est de forme circulaire, les feuilles de la corolle sont taillées en coeur, et s'appuient
harmonieusement les unes sur les autres; sa couleur présente les
[365]
nuances les plus douces des couleurs primitives, son calice est de pourpre et d'or. Nous avons vu que
Flamel, ou plutôt le livre du juif Abraham, en faisait le signe hiéroglyphique de l'accomplissement du grand
oeuvre. Telle est la clef du roman de Clopinel et de Guillaume de Lorris. La conquête de la rose était le
problème posé par l'initiation à la science pendant que la religion travaillait à préparer et à établir le
triomphe universel, exclusif et définitif de la croix.
Réunir la rose à la croix, tel était le problème posé par la haute initiation, et en effet la philosophie occulte
étant la synthèse universelle, doit tenir compte de tous les phénomènes de l'Être. La religion, considérée
uniquement comme un fait physiologique, est la révélation et la satisfaction d'un besoin des âmes. Son
existence est un fait scientifique: la nier, ce serait nier l'humanité elle-même. Personne ne l'a inventée, elle
s'est formée comme les lois, comme les civilisations, par les nécessités de la vie morale; et considérée
seulement à ce point de vue philosophique et restreint, la religion doit être regardée comme fatale si l'on
explique tout par la fatalité, et comme divine si l'on admet une intelligence suprême à la source des lois
naturelles. Il suit de là que le caractère de toute religion proprement dite étant de relever directement de la
divinité par une révélation surnaturelle, nul autre mode de transmission ne donnant au dogme une sanction
suffisante, il faut en conclure que la vraie religion naturelle c'est la religion révélée, c'est-à-dire qu'il est
naturel de n'adopter une religion qu'en la croyant révélée, toute vraie religion exigeant des sacrifices, et
[366]
l'homme n'ayant jamais ni le pouvoir, ni le droit d'en imposer à ses semblables, en dehors et surtout au-
dessus des conditions ordinaires de l'humanité.
C'est en partant de ce principe rigoureusement rationnel que les rose-croix arrivaient au respect de la
religion dominante, hiérarchique et révélée. Ils ne pouvaient par conséquent pas plus être les ennemis de la
papauté que de la monarchie légitime, et s'ils conspiraient contre des papes et contre des rois, c'est qu'ils les
considéraient personnellement comme des apostats du devoir et des fauteurs suprêmes de l'anarchie.
Qu'est-ce, en effet, qu'un despote soit spirituel, soit temporel, sinon un anarchiste couronné?
C'est par cette considération qu'on peut expliquer le protestantisme et même le radicalisme de certains
grands adeptes plus catholiques que certains papes, et plus monarchiques que certains rois, de quelques
adeptes excentriques, tels que Henri Khunrath et les vrais illuminés de son école.
Henri Khunrath est un personnage peu connu de ceux qui n'ont pas fait des sciences occultes une étude
particulière; c'est pourtant un maître et un maître du premier ordre; c'est un prince souverain de la rose-
croix, digne sous tous les rapports de ce titre scientifique et mystique. Ses pantacles sont splendides comme
la lumière du Sohar, savants comme Trithême, exacts comme Pythagore, révélateurs du grand oeuvre
comme le livre d'Abraham et de Nicolas Flamel.
Henri Khunrath était chimiste et médecin, il était né en 1502, et il avait quarante-deux ans, lorsqu'il parvint
à la haute initiation théosophique. Le plus remarquable de ses ouvrages, son
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Amphithéâtre de la sagesse éternelle, était publié en 1598, car l'approbation de l'empereur Rodolphe qui s'y
trouve annexée est datée du 1er juin de cette même année. L'auteur, bien qu'il fît profession d'un
protestantisme radical, y revendique hautement le nom de catholique et d'orthodoxe; il déclare avoir en sa
possession, mais garder secrète comme il convient, une clef de l'apocalypse, clef triple et unique comme la
science universelle. La division du livre est septénaire, et il y partage en sept degrés l'initiation à la haute
philosophie; le texte est un commentaire mystique des oracles de Salomon; l'ouvrage se termine par des
tableaux synoptiques, qui sont la synthèse de la haute magie et de la kabbale occulte, en tout ce qui peut
être écrit et publié verbalement. Le reste, c'est-à-dire la partie ésotérique et indicible de la science, est
exprimé par de magnifiques pantacles dessinés et gravés avec soin. Ces pantacles sont au nombre de neuf.
Le cinquième est une rose de lumière, au centre de laquelle une forme humaine étend ses bras en forme de
croix.
Le sixième représente le laboratoire magique de Khunrath, avec son oratoire kabbalistique, pour démontrer
la nécessité d'unir la prière au travail.
[368]
Le neuvième résume la doctrine particulière de Khunrath avec une énergique protestation contre tous ses
détracteurs. C'est un pantacle hermétique encadré dans une caricature allemande pleine de verve et de naïve
colère. Les ennemis du philosophe sont travestis en insectes, en oisons bridés, en boeufs et en ânes, le tout
orné de légendes latines et de grosses épigrammes en allemand; Khunrath y est représenté à droite et à
gauche, en costume de ville et en costume de cabinet, faisant face à ses adversaires, soit au dedans, soit au
dehors: en habit de ville, il est armé d'une épée et marche sur la queue d'un scorpion; en costume de
cabinet, il est muni de pincettes et marche sur la tête d'un serpent; au dehors il démontre, et chez lui il
enseigne, comme ses gestes le font assez comprendre, toujours la même vérité sans craindre le souffle
impur de ses adversaires, souffle si pestilentiel pourtant que les oiseaux du ciel tombent morts à leurs pieds.
Cette planche très curieuse manque dans un grand nombre d'exemplaires de l'Amphithéâtre de Khunrath.
Ce livre extraordinaire contient tous les mystères de la plus haute initiation; il est, comme l'auteur l'annonce
dans son titre même: Christiano-kabbalistique, divino-magique, physico-chimique, triple unique et
universel.
C'est un véritable manuel de haute magie et de philosophie hermétique, et l'on ne saurait trouver ailleurs, si
ce n'est dans le Sepher Jésirah et le Sohar, une plus complète et plus parfaite initiation.
Dans les quatre importants corollaires qui suivent l'explication de la troisième figure, Khunrath établit: 1.
Que la dépense à
[369]
faire pour le grand oeuvre (à part l'entretien et les dépenses personnelles de l'opérateur) ne doit pas excéder
la somme de trente thalers; j'en parle sciemment, ajoute l'auteur, l'ayant appris de quelqu'un qui le savait.
Ceux qui dépensent davantage se trompent et perdent leur argent. Ces mots: l'ayant appris de quelqu'un qui
le savait, prouvent que Khunrath ou n'a pas fait lui-même la pierre philosophale, ou ne veut pas dire qu'il l'a
faite, et cela par crainte des persécutions.
Khunrath établit ensuite l'obligation pour l'adepte, de ne consacrer à ses usages personnels que la dixième
partie de sa richesse et consacrer tout le reste à la gloire de Dieu et aux oeuvres de charité.
Troisièmement, il affirme que les mystères du christianisme et ceux de la nature s'expliquant et s'illustrant
réciproquement, le règne futur du Messie (le messianisme) s'établit sur la double base de la science et de la
foi, en sorte que le livre de la nature confirmant les oracles de l'Évangile, on pourra convaincre par la
science et par la raison les juifs et les mahométans de la vérité du christianisme, si bien qu'avec le concours
de la grâce divine, ils seront infailliblement convertis à la religion de l'unité; il termine enfin par cette
sentence:
Par ces principes on reconnaîtrait que les hiéroglyphes primitifs formés des éléments mêmes de la
géométrie correspondraient aux lois constitutives et essentielles des formes déterminées par les
mouvements alternés ou combinés que décident les attractions équilibrantes; on reconnaîtrait à leur seule
figure extérieure les simples et les composés, et par les analogies des figures avec les nombres, on pourrait
faire une classification mathématique de toutes les substances révélées par les lignes de
[371]
leurs surfaces. Il y a au fond de ces aspirations, qui sont des réminiscences de la science édénique, tout un
monde de découvertes à venir pour les sciences. Paracelse les avait pressenties, Crollius les indique, un
autre viendra pour les réaliser et les démontrer. La folie d'hier sera le génie de demain, et le progrès saluera
ces sublimes chercheurs qui avaient deviné ce monde perdu et retrouvé cette Athlantide du savoir humain!
Le commencement du XVIIe siècle fut la grande époque de l'alchimie, alors parurent: Philippe Muller, Jean
Thorneburg, Michel Mayer, Ortelius, Poterius, Samuel Northon, le baron de Beausoleil, David
Planiscampe, Jean Duchesne, Robert Flud, Benjamin Mustapha, le président d'Espagnet, le cosmopolite
qu'il fallait nommer le premier, de Nuisement, qui a traduit et publié les remarquables écrits du
cosmopolite, Jean-Baptiste Van Helmont, Irénée Philalèthe, Rodolphe Glauber, le sublime cordonnier
Jacob Boehm. Les principaux de ces initiés s'adonnaient aux recherches de la haute magie, et en cachaient
avec soin le nom décrié sous les apparences des recherches hermétiques. Le Mercure des sages qu'ils
voulaient trouver et donner à leurs disciples, c'était la synthèse scientifique et religieuse, c'était la paix qui
réside dans la souveraine unité. Les mystiques n'étaient alors que les croyants aveugles des véritables
illuminés, et l'illuminisme proprement dit n'était que la science universelle de la lumière. En 1623, au
printemps, on trouva affichée dans les rues de Paris cette étrange proclamation:
«S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communique jamais avec nous;
mais si sa volonté le porte réellement et de fait à s'inscrire sur les registres de notre confraternité, nous, qui
jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos promesses, tellement que nous ne mettons point le lieu
de notre demeure, puisque la pensée, jointe à la volonté réelle du lecteur, sera capable de nous faire
connaître à lui et lui à nous.»
L'opinion se préoccupa alors de cette manifestation mystérieuse, et si quelqu'un alors demandait hautement
ce que c'était que les frères rose-croix, souvent un personnage inconnu prenait à part le questionneur, et lui
disait gravement:
«Prédestinés à la réforme qui doit s'accomplir bientôt dans tout l'univers, les rose-croix sont les dépositaires
de la suprême sagesse, et paisibles possesseurs de tous les dons de la nature, ils peuvent les dispenser à leur
gré.
«En quelque lieu qu'ils soient, ils connaissent mieux toutes les choses qui se passent dans le reste du
monde, que si elles leur étaient présentes; ils ne sont sujets ni à la faim ni à la soif, et n'ont à craindre ni la
vieillesse ni les maladies.
«Ils peuvent commander aux esprits et aux génies les plus puissants.
[373]
«Dieu les a couverts d'une nuée pour les défendre de leurs ennemis, et on ne peut les voir que quand ils le
veulent, eût-on des yeux plus perçants que ceux de l'aigle.
«Mais ces pyramides sont pour eux comme le rocher d'où jaillissait la source de Moïse, elles marchent avec
eux dans le désert, et les suivront jusqu'à leur entrée dans la terre promise.»
CHAPITRE VI.
PROCÈS DE MAGIE.
«Il n'y a qu'un bien véritable à désirer, c'est la sagesse; et il n'y a qu'un mal à craindre, c'est la folie.»
Le mal moral en effet, la méchanceté, le crime, ne sont autre chose qu'une folie véritable: et le père
Hilarion Tissot a toutes les sympathies de notre coeur, lorsqu'il répète sans cesse dans ses brochures
follement courageuses qu'au lieu de punir les criminels, il faudrait les soigner et les guérir.
[374]
Nous disons les sympathies de notre coeur, parce que notre raison proteste contre cette trop charitable
interprétation du crime dont les conséquences seraient de détruire la sanction de la morale en désarmant la
loi. Nous comparons la folie à l'ivresse, et considérant que l'ivresse est presque toujours volontaire, nous
applaudissons à la sagesse des juges qui, ne regardant pas la perte spontanée de la raison comme une
excuse, punissent sans pitié les délits et les crimes commis dans l'ivresse. Un jour viendra même peut-être
où l'ivresse sera comptée parmi les circonstances aggravantes, et où tout être intelligent qui se mettra
volontairement hors de la raison, se trouvera hors de la loi. La loi n'est-elle pas la raison de l'humanité?
Malheur à l'homme qui s'enivre soit de vin, soit d'orgueil, soit de haine, soit même d'amour! Il est aveugle,
il est injuste, il est le jouet de la fatalité; c'est un fléau qui marche, c'est une calamité vivante; il peut tuer, il
peut violer; c'est un fou sans chaîne; haro sur lui! La société a droit de se défendre; c'est plus que son droit,
c'est son devoir, car elle a des enfants.
Ces réflexions nous viennent au sujet des procès de magie dont nous avons à rendre compte. On a trop
accusé l'Église et la société de meurtre judiciaire sur des fous; nous admettons que les sorciers étaient des
fous sans doute, mais c'étaient des fous de perversité; si parmi eux quelques innocents malades ont péri, ce
sont des malheurs dont l'Église et la société ne sauraient être responsables. Tout homme condamné suivant
les lois de son pays et les formes judiciaires de son temps, est justement
[375]
condamné, son innocence possible n'appartient plus qu'à Dieu; devant les hommes il est et doit rester
coupable.
Ludwig Tieck, dans un remarquable roman intitulé le Sabbat des sorcières, met en scène une sainte femme,
une pauvre vieille épuisée de macérations, la tête affaiblie par les jeûnes et les prières, qui, pleine d'horreur
pour les sorciers, et disposée par excès d'humilité à s'accuser de tous les crimes, finit par se croire en effet
sorcière, s'en accuse, en est convaincue par erreur et par prévention, puis est brûlée vive. Cette histoire fût-
elle vraie, que prouverait-elle? Qu'une erreur judiciaire est possible, rien de plus, rien de moins.
Mais si l'erreur judiciaire est possible en fait, elle ne saurait l'être en droit: autrement que deviendrait la
justice humaine?
Socrate condamné à mort aurait pu fuir, et ses juges eux-mêmes lui en eussent fourni les moyens, mais il
respecta les lois et voulut mourir.
C'est aux lois et non aux tribunaux du moyen âge qu'il faut s'en prendre de la rigueur de certaines sentences.
Mais Gilles de Laval, dont nous ayons raconté les crimes et le supplice, fut-il injustement condamné, et
devait-on l'absoudre parce qu'il était fou? Étaient-elles innocentes ces horribles folles qui composaient des
philtres avec la moelle des petits enfants? La magie noire d'ailleurs était la folie générale de cette
malheureuse époque: les juges, à force d'étudier les questions de sorcellerie finissaient quelquefois par se
croire sorciers eux-mêmes. La sorcellerie, dans plusieurs localités, devenait épidémique, et les supplices
semblaient multiplier les coupables.
[376]
On peut voir dans les démonographes, tels que Delancre, Delrio, Sprenger, Bodin, Torre-Blanca et les
autres, les récits d'un grand nombre de procès dont les détails sont aussi fastidieux que révoltants. Les
condamnés sont pour la plupart des hallucinés et des idiots, mais des idiots méchants et des hallucinés
dangereux; les passions érotiques, la cupidité et la haine sont les causes principales de l'égarement de leur
raison: ils étaient capables de tout. Sprenger dit que les sorcières s'entendaient avec les sages-femmes pour
leur acheter des cadavres d'enfants nouveau-nés. Les sages-femmes tuaient ces innocents au moment même
de leur naissance, en leur enfonçant de longues aiguilles dans le cerveau, on déclarait un enfant mort et on
l'enterrait. La nuit venue, les stryges grattaient la terre et en arrachaient le cadavre, elles le faisaient bouillir
dans une chaudière avec des herbes narcotiques et vénéneuses, puis distillaient, alambiquaient,
mélangeaient cette gélatine humaine. Le liquide servait d'élixir de longue vie, le solide était broyé et
incorporé aux graisses de chat noir mélangées de suie qui servaient aux frictions magiques. Le coeur se
soulève de dégoût à la lecture de ces révélations abominables, et l'indignation fait taire la pitié; mais
lorsqu'on en vient aux procédures, lorsqu'on voit la crédulité et la cruauté des juges, les fausses promesses
de grâce qu'ils emploient pour obtenir des aveux, les tortures atroces, les visites obscènes, les précautions
honteuses et ridicules, puis après tout cela, le bûcher en place publique, l'assistance dérisoire du clergé qui
livre au bras séculier en demandant grâce pour ceux qu'il voue à la mort, on est forcé de
[377]
conclure qu'au milieu de tout ce chaos, la religion seule reste sainte, mais que les hommes sont tous
également des idiots ou des scélérats.
Ainsi en 1598, un prêtre limousin, nommé Pierre Aupetit, est brûlé vif pour des aveux ridicules qui lui ont
été arrachés par la torture.
A Dôle, en 1599, on brûle une femme nommée Antide Collas, parce que sa conformation sexuelle avait
quelque chose de phénoménal, qu'on crut ne pouvoir expliquer que par un commerce infâme avec Satan. La
malheureuse, mise et remise à la torture, dépouillée, sondée, visitée en présence des médecins et des juges,
écrasée de honte et de douleurs, avoua tout pour en finir.
Henri Boguet, juge de Saint-Claude, raconte lui-même qu'il fit torturer une femme comme sorcière, parce
qu'il manquait quelque chose à la croix de son chapelet, signe certain de sorcellerie, au dire de ce féroce
imbécile.
Un enfant de douze ans, stylé par les inquisiteurs, vient accuser son père de l'avoir mené au sabbat. Le père
meurt en prison par suite de ses tortures, et l'on propose de faire brûler l'enfant. Boguet s'y oppose et se fait
un mérite de cette clémence.
Une femme de trente-cinq ans, Rollande de Vernois, est oubliée dans un cachot si glacial qu'elle promet de
s'avouer coupable de magie, si on veut la laisser s'approcher du feu. Dès qu'elle sent la chaleur, elle tombe
dans des convulsions affreuses, elle a la fièvre et le délire; en cet état on la met à la torture, elle dit tout ce
qu'on lui fait dire, elle est traînée mourante au bûcher. Un orage éclate, la pluie éteint le feu, Boguet se
félicite alors
[378]
de la sentence qu'il a rendue, puisque évidemment cette femme que le ciel semblait défendre, devait être
protégée par le diable. Le même Boguet a fait encore brûler deux hommes, Pierre Gaudillon et le gros
Pierre, pour avoir couru la nuit, l'un en forme de lièvre, l'autre en forme de loup.
Mais le procès qui fit le plus de bruit au commencement du XVIIe siècle, fut celui de messire Louis
Gaufridi, curé de la paroisse des Accoules à Marseille. Le scandale de cette affaire donna un funeste
exemple qui ne fut que trop tôt suivi. Un prêtre accusé par des prêtres! un curé traîné devant les tribunaux
par ses confrères! Constantin avait dit que s'il voyait un prêtre déshonorer son caractère par un péché
honteux, il le couvrirait de sa pourpre, c'était une belle et royale parole. Le sacerdoce, en effet, doit être
impeccable, comme la justice est infaillible devant la morale publique.
En décembre 1610, une jeune fille de Marseille nommée Magdelaine de la Palud, étant allée en pèlerinage à
la Sainte-Baume, en Provence, y fut prise d'extase et de convulsions. Une autre dévote nommée Louise
Capeau fut bientôt atteinte du même mal. Des dominicains et des capucins crurent à la présence du démon,
et firent des exorcismes. Magdelaine de la Palud et sa compagne donnèrent alors le spectacle qui se
renouvela si souvent un siècle plus tard lors de l'épidémie des convulsions. Elles criaient, se tordaient et
demandaient à être battues et foulées aux pieds, un jour six hommes marchèrent en même temps sur la
poitrine de Magdelaine qui n'en ressentit aucune douleur; en cet état elle s'accusait des plus étranges
déréglements; elle s'était livrée au diable corps et âme, disait-elle; elle avait été
[379]
fiancée au démon par un prêtre nommé Gaufridi. Au lieu d'enfermer cette folle, on l'écouta, et les pères
exorcistes dépêchèrent à Marseille trois capucins pour informer secrètement les supérieurs ecclésiastiques
de ce qui se passait à la Sainte-Baume, et amener, s'il était possible, sans violence et sans scandale le curé
Gaufridi pour le confronter avec les prétendus démons.
Cependant on commençait à écrire les inspirations infernales des deux hystériques, c'étaient des discours
d'une dévotion ignorante et fanatique, présentant la religion telle que la comprenaient les exorcistes eux-
mêmes. Les possédées semblaient raconter les rêves de ceux qui les interrogeaient: c'était exactement le
phénomène des tables parlantes et des médiums de notre temps. Les diables se donnaient des noms aussi
incongrus que ceux des esprits américains; ils déclamaient contre l'imprimerie et contre les livres, faisaient
des sermons dignes des capucins les plus fervents et les plus ignares. En présence de ces démons faits à leur
image et à leur ressemblance, les pères ne doutèrent plus de la vérité de la possession et de la véracité des
esprits infernaux. Les fantômes de leur imagination malade prenaient un corps et leur apparaissaient vivants
dans ces deux femmes dont les confessions obscènes surexcitaient leur curiosité et leur indignation pleines
de secrètes convoitises, ils devinrent furieux et il leur fallut une victime: telles étaient leurs dispositions
lorsqu'on leur amena enfin le malheureux Louis Gaufridi.
Gaufridi était un prêtre assez mondain, d'une figure agréable, d'un caractère faible et d'une moralité plus
que suspecte, il
[380]
avait été le confesseur de Magdelaine de la Palud, et lui avait inspiré une implacable passion; cette passion,
changée en haine par la jalousie, était devenue une fatalité, elle entraîna le malheureux prêtre dans son
tourbillon de folie qui le conduisit au bûcher.
Tout ce que pouvait dire l'accusé pour se défendre était retourné contre lui. Il attestait Dieu et Jésus-Christ,
et sa sainte mère et son précurseur saint Jean-Baptiste, et on lui répondait: vous récitez à merveille les
litanies du sabbat; par Dieu, vous entendez Lucifer, par Jésus-Christ, Béelzébub, par la sainte Vierge, la
mère apostate de l'Antéchrist, par saint Jean-Baptiste, le faux prophète précurseur de Gog et Magog... Puis
on le mettait à la torture, et on lui promettait sa grâce s'il voulait signer les déclarations de Magdelaine de la
Palud. Le pauvre prêtre, éperdu, circonvenu, brisé, signa tout ce qu'on voulut: il en signa assez pour être
brûlé, et c'était ce qu'on demandait. Les capucins de Provence donnèrent enfin au peuple cet affreux
spectacle, ils lui apprirent à violer les privilèges du sanctuaire, ils lui montrèrent comment on tue les
prêtres, et le peuple s'en souvint plus tard.
O saint temple, disait un rabbin témoin des prodiges qui précédèrent la destruction de Jérusalem par Titus,
ô saint temple, qu'as-tu donc? Et pourquoi te fais-tu peur à toi-même?
Ni le saint-siége ni les évêques ne protestèrent contre le meurtre de Gaufridi, mais le XVIIIe siècle allait
venir traînant la révolution à sa suite.
Une des possédées qui avaient tué le curé des Accoules déclara un jour que le démon la quittait pour aller
préparer la perte d'un
[381]
autre prêtre, qu'elle nomma d'avance prophétiquement et sans le connaître; elle le nomma Urbain Grandier.
Alors régnait le terrible cardinal de Richelieu, qui comprenait l'autorité absolue comme le salut des États;
malheureusement les tendances du cardinal étaient plutôt politiques et habiles que véritablement
chrétiennes. Ce grand esprit avait pour borne une certaine étroitesse de coeur qui le rendait sensible à
l'offense personnelle, et implacable dans ses vengeances. Ce qu'il pardonnait le moins au talent, c'était
l'indépendance; il voulait avoir les gens d'esprit pour auxiliaires, plutôt que pour flatteurs, et il avait une
certaine joie de détruire tout ce qui voulait briller sans lui. Sa tête aspirait à tout dominer, le père Joseph
était son bras droit et Laubardemont son bras gauche.
Il y avait alors en province, à Loudun, un ecclésiastique d'un génie remarquable et d'un grand caractère, il
avait de la science et du talent, mais peu de circonspection; fait pour plaire aux multitudes et pour attirer les
sympathies des grands, il pouvait dans l'occasion devenir un dangereux sectaire; le protestantisme alors
remuait en France, et le curé de Saint-Pierre de Loudun, trop disposé aux idées nouvelles par son peu
d'attrait pour le célibat ecclésiastique, pouvait devenir à la tête de ce parti un prédicant plus brillant que
Calvin et aussi audacieux que Luther, il se nommait Urbain Grandier.
Déjà des démêlés sérieux avec son évêque avaient signalé son habileté et son caractère inflexible, habileté
malheureuse et maladroite, d'ailleurs, puisqu'il en avait appelé de ses puissants ennemis au roi et non pas au
cardinal; le roi lui avait
[382]
donné raison, le cardinal devait lui donner tort. Grandier était retourné triomphant à Loudun, et s'était
permis la fanfaronnade peu cléricale d'y rentrer une branche de laurier à la main. A dater de ce jour il fut
perdu.
Les religieuses ursulines de Loudun avaient alors pour supérieure, sous le nom de la mère Jeanne des
anges, une certaine Jeanne de Belfiel, petite-fille du baron de Cose. Cette religieuse n'était rien moins que
fervente, et son couvent ne passait pas pour un des plus réguliers du pays, il s'y passait des scènes nocturnes
qu'on attribuait à des esprits. Les parents retiraient les pensionnaires, et la maison allait être bientôt dénuée
de toute ressource.
Grandier avait quelques intrigues et ne les cachait pas assez, c'était, d'ailleurs, un personnage trop en vue
pour que l'oisiveté d'une petite ville ne fît pas grand bruit de ses faiblesses. Les pensionnaires des Ursulines
en entendaient parler avec mystère chez leurs parents, les religieuses en parlaient entre elles pour déplorer
le scandale, et restaient toutes préoccupées du personnage scandaleux, elles en rèvèrent; elles le virent
pendant la nuit apparaître dans les dortoirs avec des attitudes bien conformes à ce qu'on disait de ses
moeurs, elles poussèrent des cris, se crurent obsédées, et voilà le diable dans la maison.
Les directeur de ces filles, mortels ennemis de Grandier, virent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de cette
affaire dans l'intérêt de leur rancune et dans l'intérêt du couvent. On fit des exorcismes en secret d'abord,
puis en public. Les amis de Grandier sentaient qu'il se tramait quelque chose et pressaient
[383]
le curé de Saint-Pierre du Marché de permuter ses bénéfices, et de quitter Loudun. Tout s'appaiserait dès
qu'on le verrait parti; mais Grandier était un vaillant homme, il ne savait pas ce que c'était que de céder à la
calomnie, il resta, et fut arrêté un matin comme il entrait dans son église, revêtu de ses habits sacerdotaux.
A peine arrêté, Grandier fut traité en criminel d'État, ses papiers furent saisis, les scellés apposés à ses
meubles, et lui-même fut conduit sous bonne garde à la forteresse d'Angers. Pendant ce temps on lui
préparait à Loudun un cachot qui semblait plus fait pour une bête féroce que pour un homme. Richelieu,
instruit de tout, avait dépêché Laubardemont pour en finir avec Grandier, et avait fait défendre au
parlement de connaître de cette affaire.
Si la conduite du curé de Saint-Pierre avait été celle d'un mondain, la tenue de Grandier, prisonnier et
accusé de magie, fut celle d'un héros et d'un martyr. L'adversité révèle ainsi les grandes âmes, et il est
beaucoup plus facile de supporter la souffrance que la prospérité.
Il écrivait à sa mère:
«... Je supporte mon affliction avec patience, et plains plus la vôtre que la mienne. Je suis fort incommodé,
n'ayant point de lit; tâchez de me faire apporter le mien, car si le corps ne repose, l'esprit succombe. Enfin
envoyez-moi un bréviaire, une Bible et un saint Thomas, pour ma consolation; au reste, ne vous affligez
pas, j'espère que Dieu mettra mon innocence au jour...»
Dieu, en effet, prend tôt ou tard le parti de l'innocence opprimée, mais il ne la délivre pas toujours de ses
ennemis sur
[384]
la terre, ou ne la délivre que par la mort. Grandier devait bientôt l'éprouver.
Ne faisons cependant pas les hommes plus méchants qu'ils ne sont en effet: les ennemis de Grandier ne
croyaient pas à son innocence, ils le poursuivaient avec rage, mais c'était un grand coupable qu'ils croyaient
poursuivre. Les phénomènes hystériques étaient alors mal connus et le somnambulisme entièrement ignoré:
les contorsions des religieuses, leurs mouvements en dehors des habitudes et des forces humaines, les
preuves qu'elles donnaient d'une seconde vue effrayante, tout cela était de nature à convaincre les moins
crédules. Un athée célèbre de ce temps-là, le sieur de Kériolet, conseiller au parlement de Bretagne, vint
voir les exorcismes pour s'en moquer. Les religieuses qui ne l'avaient jamais vu l'apostrophèrent par son
nom et révélèrent tout haut des péchés que le conseiller croyait bien n'avoir fait connaître à personne. Sa
conscience fut bouleversée et il passa d'un extrême à l'autre, comme font tous les naturels emportés; il
pleura, il se confessa, et se voua pour le reste de ses jours à l'ascétisme le plus rigoureux.
Le sophisme des exorcistes de Loudun était cet absurde paralogisme que M. de Mirville ose soutenir encore
de nos jours:
Le diable est l'auteur de tous les phénomènes qui ne s'expliquent pas par les lois connues de la nature.
A cet aphorisme antilogique, ils en joignaient un autre dont ils faisaient en quelque sorte un article de foi.
Le diable dûment exorcisé est forcé de dire la vérité, et on peut l'admettre à témoigner en justice.
[385]
Le malheureux Grandier n'était donc pas livré à des scélérats; c'était à des fous furieux qu'il avait affaire;
aussi, forts de leur conscience, donnèrent-ils à cet incroyable procès la plus grande publicité. Jamais pareil
scandale n'avait affligé l'Église: des religieuses hurlant, se tordant, se livrant aux gestes les plus obscènes,
blasphémant, cherchant à se jeter sur Grandier comme les bacchantes sur Orphée; puis les choses les plus
sacrées de la religion mêlées à ce hideux spectacle, traînées dans cette fange; Grandier seul calme, haussant
les épaules et se défendant avec dignité et douceur; des juges pâles, éperdus, suant à grosses gouttes,
Laubardemont en robe rouge planant sur ce conflit comme le vautour qui attend un cadavre. Tel fut le
procès d'Urbain Grandier.
Disons-le hautement pour l'honneur de l'humanité: un complot pareil à celui que supposerait l'assassinat
juridique de cet homme, si l'on n'admet pas la bonne foi des exorcistes et des juges, est heureusement
impossible. Les monstres sont aussi rares que les héros; la foule se compose de médiocrités aussi
incapables de grands crimes que de grandes vertus. Les plus saints personnages de ce temps-là ont cru à la
possession de Loudun; saint Vincent de Paul ne fut pas étranger à cette histoire et fut appelé à en dire son
avis. Richelieu lui-même, qui, en tout cas peut-être, eût trouvé moyen de se débarrasser de Grandier, finit
par le croire coupable. Sa mort fut le crime de l'ignorance et des préjugés de son temps, et ce fut une
catastrophe bien plutôt qu'un assassinat.
Nous n'affligerons pas nos lecteurs du détail de ses tortures: il demeura ferme, résigné, sans colère et
n'avoua rien; il n'affecta pas même de mépriser ses juges, il pria avec douceur les
[386]
exorcistes de l'épargner: «Et vous, mes pères, leur disait-il, modérez la rigueur de mes tourments, et ne
réduisez pas mon âme au désespoir.» On sent à travers ce sanglot de la nature qui se plaint, toute la
mansuétude du chrétien qui pardonne. Les exorcistes, pour cacher leur attendrissement, lui répondaient par
des invectives, et les exécuteurs pleuraient.
Trois des religieuses, dans un de leurs moments lucides, vinrent se prosterner devant le tribunal, en criant
que Grandier était innocent; on crut que le démon parlait par leur bouche, et cet aveu ne fit que hâter le
supplice.
Urbain Grandier fut brûlé vif, le 18 août 1634. Il fut patient et résigné jusqu'à la fin. Lorsqu'on le descendit
de la charrette, comme il avait les jambes brisées, il tomba rudement le visage contre terre sans pousser un
seul cri ou un seul gémissement. Un cordelier, nommé le père Grillau, fendit alors la foule et vint relever le
patient qu'il embrassa en pleurant: «Je vous apporte, dit-il, la bénédiction de votre mère, elle et moi nous
prions Dieu pour vous.--Merci, mon père, répondit Grandier, vous seul ici avez pitié de moi, consolez ma
pauvre mère et servez-lui de fils.» Le lieutenant du prévôt, tout attendri, lui dit alors: «Monsieur,
pardonnez-moi la part que je suis forcé de prendre à votre supplice.--Vous ne m'avez pas offensé, répondit
Grandier, vous êtes obligé de remplir les devoirs de votre charge.» On lui avait promis de l'étrangler avant
de le brûler, mais quand le bourreau voulut tirer la corde elle se trouva nouée, et le malheureux curé de
Saint-Pierre tomba tout vivant dans le feu.
Les principaux exorcistes, le père Tranquille et le père Lactance, moururent bientôt après, dans les
transports d'une
[387]
frénésie furieuse; le père Surin, qui les remplaça, devint fou. Manoury, le chirurgien qui avait aidé à
torturer Grandier, mourut poursuivi par le fantôme de la victime. Laubardemont perdit son fils d'une
manière tragique, et tomba lui-même dans la disgrâce de son maître; les religieuses restèrent idiotes; tant il
est vrai qu'il s'agissait d'une maladie terrible et contagieuse: la maladie mentale du faux zèle et de la fausse
dévotion. La Providence punit les hommes par leurs propres fautes, elle les instruit par les tristes
conséquences de leurs erreurs.
Dix ans à peine après la mort de Grandier, les scandales de Loudun se renouvelèrent en Normandie. Des
religieuses de Louviers accusèrent deux prêtres de les avoir ensorcelées; un de ces prêtres était mort, on
viola la majesté de la tombe pour en arracher le cadavre, les phénomènes de la possession furent les mêmes
qu'à Loudun et qu'à la Sainte-Baume. Ces filles hystériques traduisaient en langage ordurier les cauchemars
de leurs directeurs; les deux prêtres, l'un mort et l'autre vivant, furent condamnés au bûcher. Chose horrible,
on attacha au même poteau un homme et un cadavre! Le supplice de Mézence, cette fiction d'un poète
païen, trouva des chrétiens pour la réaliser, un peuple chrétien assista froidement à cette exécution
sacrilège, et les pasteurs ne comprirent pas qu'en profanant ainsi le sacerdoce et la mort, ils donnaient à
l'impiété un épouvantable signal.
On appelait le XVIIe siècle, il vint éteindre les bûchers avec le sang des prêtres, et comme il arrive presque
toujours, ce furent les bons qui payèrent pour les méchants.
[388]
Le XVIIIe siècle était commencé, et l'on brûlait encore des hommes; la foi était déjà perdue, et l'on
abandonnait par hypocrisie le jeune Labarre aux plus horribles supplices pour avoir refusé de saluer la
procession. Voltaire était alors au monde et sentait grandir dans son coeur une vocation pareille à celle
d'Attila. Les passions humaines profanaient la religion, et Dieu envoyait ce nouveau dévastateur pour
reprendre la religion à un monde qui n'en était plus digne.
En 1731, une demoiselle Catherine Cadière de Toulon accusa son confesseur, le père Girard, jésuite, de
séduction et de magie; cette fille était une extatique stigmatisée qui avait passé longtemps pour une sainte;
ce fut toute une immonde histoire de pamoisons lascives, de flagellations secrètes, d'attouchements
luxurieux... Quel lieu infâme a des mystères pareils à ceux d'une imagination célibataire et déréglée par un
dangereux mysticisme? La Cadière ne fut pas crue sur parole, et le père Girard échappa aux dangers d'une
condamnation; le scandale n'en fut pas moins immense, et le bruit qu'il fit eut un éclat de rire pour écho:
nous avons dit que Voltaire était alors au monde.
Les gens superstitieux avaient jusqu'alors expliqué les phénomènes extraordinaires par l'intervention du
diable et des esprits; l'école de Voltaire, non moins absurde, nia contre toute évidence les phénomènes eux-
mêmes.
Ce que nous ne pouvons pas expliquer vient du diable, disaient les uns.
Ce que nous ne pouvons pas expliquer n'existe pas, répondaient les autres.
n tous temps, des perturbations physiques ont accompagné certaines maladies nerveuses; les fous, les
épileptiques, les cataleptiques, les hystériques, ont des facultés exceptionnelles, sont sujets à des
hallucinations contagieuses et produisent parfois, soit dans l'atmosphère, soit dans les objets qui les
entourent, des commotions et des dérangements. L'halluciné projette ses rêves autour de lui, et il est
tourmenté par son ombre; le corps s'environne de ses reflets rendus difformes par les souffrances du
cerveau; on se mire alors en quelque sorte dans la lumière astrale dont les courants excessifs, agissant à la
manière de l'aimant, déplacent et font tourner les meubles; on entend alors des bruits et des voix comme
dans les rêves. Ces phénomènes, répétés tant de fois de nos jours qu'ils sont devenus vulgaires, étaient
attribués par nos pères aux fantômes et aux démons. La philosophie voltairienne trouva plus court de les
nier, en traitant d'imbéciles et d'idiots les témoins oculaires des faits les plus incontestables.
Quoi de plus avéré, par exemple, que les merveilles des convulsions au tombeau du diacre Pâris, et dans les
réunions des extatiques de saint Médard? Comment expliquer ces étranges secours que demandaient les
convulsionnaires? des milliers de coups de bûche sur la tête, des pressions à écraser un hippopotame, des
torsions de mamelles avec des pinces de fer, le crucifiement même avec des clous enfoncés dans les pieds
et les mains? puis des contorsions surhumaines, des ascensions
[390]
aériennes? Les voltairiens n'ont voulu voir là que des grimaces et des gambades, les jansénistes criaient
miracle et les vrais catholiques gémissaient; mais la science qui seule devait intervenir pour expliquer cette
fantasque maladie, la science se tenait à l'écart: c'est à elle seule pourtant qu'appartiennent maintenant les
ursulines de Loudun, les religieuses de Louviers, les convulsionnaires et les médiums américains. Les
phénomènes du magnétisme ne la mettent-ils pas sur la voie des découvertes nouvelles? La synthèse
chimique qui se prépare, n'amènera-t-elle pas d'ailleurs nos physiciens à la connaissance de la lumière
astrale? Et cette force universelle une fois connue, qui empêchera de déterminer la force, le nombre et la
direction de ses aimants? Ce sera toute une révolution dans la science, on sera revenu à la haute magie des
Chaldéens.
[391]
Voici une histoire d'apparition du commencement du XVIIIe siècle; la naïveté du récit en prouve
l'authenticité, il y a certains caractères de vérité que les inventeurs n'imitent pas.
Un bon prêtre de la ville de Valogne, nommé Bézuel, étant prié à dîner, le 7 janvier 1708, chez une dame,
parente de l'abbé de Saint-Pierre, avec cet abbé, leur conta, d'après leur désir, l'apparition d'un de ses
camarades, qu'il avait eue en plein jour il y a douze ans.
«En 1695, leur dit Bézuel, étant jeune écolier d'environ quinze ans, je fis connaissance avec les deux
enfants d'Abaquène, procureur, écoliers comme moi. L'aîné était de mon âge, le cadet avait dix-huit mois
de moins, il s'appelait Desfontaines; nous faisions nos promenades et toutes nos parties de plaisir ensemble;
et soit que Desfontaines eût plus d'amitié pour moi, soit qu'il fût plus gai, plus complaisant, plus spirituel
que son frère, je l'aimais aussi davantage.
En 1696, nous promenant tous deux dans le cloître des Capucins, il me conta qu'il avait lu depuis peu une
histoire de deux amis qui s'étaient promis que celui qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de
son état au vivant; que le mort revint, et lui dit des choses surprenantes. Sur cela, Desfontaines me dit qu'il
avait une grâce à me demander, qu'il me la demandait instamment: c'était de lui faire une pareille promesse,
et que, de son côté, il me la ferait; je lui dis que je ne voulais point. Il fut plusieurs mois à m'en parler
souvent et très sérieusement; je résistais toujours. Enfin, vers le mois d'août 1696, comme il devait partir
pour aller étudier à Caen, il me pressa tant, les larmes aux yeux, que j'y consentis. Il tira dans le moment
deux
[392]
petits papiers qu'il avait écrits tout prêts, l'un signé de son sang, où il me promettait, en cas de mort, de
venir dire des nouvelles de son état, l'autre où je lui promettais pareille chose. Je me piquai au doigt, il en
sortit une goutte de sang avec lequel je signai mon nom; il fut ravi d'avoir mon billet, et, en m'embrassant,
il me fit mille remercîments.
Quelque temps après, il partit avec son frère. Notre séparation nous causa bien du chagrin; nous nous
écrivions de temps en temps de nos nouvelles, et il n'y avait que six semaines que j'avais reçu de ses lettres,
lorsqu'il m'arriva ce que je m'en vais conter.
Le 31 juillet 1697, un jeudi, il m'en souviendra toute ma vie, feu M. de Sortoville, auprès de qui je logeais,
et qui avait eu de la bonté pour moi, me pria d'aller à un pré près des Cordeliers, et d'aider à presser ses
gens qui faisaient du foin; je n'y fus pas un quart d'heure que vers les deux heures et demie je me sentis tout
d'un coup étourdi et pris d'une faiblesse; je m'appuyais en vain sur ma fourche à foin, il fallut que je me
misse sur un peu de foin, où je fus environ une demi-heure à reprendre mes esprits. Cela se passa; mais
comme jamais rien de semblable ne m'était arrivé, j'en fus surpris, et je craignis le commencement d'une
maladie, il ne m'en resta cependant que peu d'impression le reste du jour; il est vrai que la nuit je dormis
moins qu'à l'ordinaire.
Enfin, le lendemain, deuxième jour d'août, étant dans le grenier où on serrait le foin que l'on apportait du
pré, précisément à la même heure, je fus pris d'un pareil étourdissement et d'une pareille faiblesse, mais
plus grande que les autres. Je m'évanouis et perdis connaissance. Un des laquais s'en aperçut. On m'a dit
qu'on me demanda alors qu'est-ce que j'avais; et que je répondis: J'ai vu ce que je n'aurais jamais cru; mais
il ne me souvient ni de la demande ni de la réponse. Cela cependant s'accorde à ce qu'il me souvient avoir
vu alors comme une personne nue à mi-corps, mais que je ne reconnus cependant point. On m'aida à
descendre de l'échelle; je me tenais bien aux échelons; mais comme je vis Desfontaines, mon camarade, au
bas de l'échelle, la faiblesse me reprit, ma tête s'en alla entre deux échelons et je perdis encore
connaissance. On me descendit et on me mit sur une grosse poutre qui servait de siége sur la grande place
des capucins; je n'y vis plus alors M. de Sortoville, ni ses domestiques, quoique présents; mais apercevant
Desfontaines vers le pied de l'échelle, qui me faisait signe de venir à lui, je me reculai sur mon siége,
comme pour lui faire place, et ceux qui me voyaient, et que je ne voyais pas, quoique j'eusse les yeux
ouverts, remarquèrent ce mouvement.
Comme il ne venait point, je me levai pour aller à lui; il s'avança vers moi, me prit le bras gauche de son
bras droit, et me conduisit, à trente pas de là, dans une rue écartée, me tenant ainsi accroché. Les
domestiques croyant que mon étourdissement
[394]
était passé, et que j'allais à quelques nécessités, s'en allèrent chacun à leur besogne, excepté un petit laquais
qui vint dire à M. de Sortoville que je parlais tout seul. M. de Sortoville crut que j'étais ivre; il s'approcha,
et m'entendit faire quelques questions et quelques réponses qu'il m'a dites depuis.
Je fus là près de trois quarts d'heure à causer avec Desfontaines. Je vous ai promis, me dit-il, que si je
mourais avant vous, je viendrais vous le dire. Je me noyai avant-hier à la rivière de Caen; à peu près à cette
heure-ci, j'étais à la promenade avec tels et tels, il faisait grand chaud, il nous prit envie de nous baigner, il
me vint une faiblesse dans la rivière, et je tombai au fond. L'abbé de Ménil-Jean, mon camarade, plongea
pour me reprendre, je saisis son pied; mais, soit qu'il eût peur que ce ne fût un saumon, parce que je le
serrai bien fort, soit qu'il voulût promptement remonter sur l'eau, il secoua si rudement le jarret, qu'il me
donna un grand coup sur la poitrine, et me jeta au fond de la rivière, qui est là fort profonde.
Desfontaines me conta ensuite tout ce qui leur était arrivé dans la promenade, et de quoi ils s'étaient
entretenus. J'avais beau lui faire des questions s'il était sauvé, s'il était damné, s'il était en purgatoire, si
j'étais en état de grâce, et si je le suivrais de près, il continua son discours comme s'il ne m'avait point
entendu, et comme s'il n'eût point voulu m'entendre.
Je m'approchai plusieurs fois pour l'embrasser; mais il me parut que je n'embrassais rien; je sentais pourtant
bien qu'il me tenait fortement par le bras, et que lorsque je tâchais de détourner ma tête pour ne le plus voir,
parce que je ne le voyais
[395]
qu'en m'affligeant, il me secouait le bras, comme pour m'obliger à le regarder et à l'écouter.
Il me parut toujours plus grand que je ne l'avais vu, et plus grand même qu'il n'était lors de sa mort,
quoiqu'il eût grandi depuis dix-huit mois que nous ne nous étions vus; je le vis toujours à mi-corps et nu, la
tête nue avec ses beaux cheveux blonds, et un écriteau blanc, entortillé dans ses cheveux, sur son front, sur
lequel il y avait de l'écriture, où je ne pus lire que ces mots: In, etc.
C'était son même son de voix: il ne me parut ni gai, ni triste, mais dans une situation calme et tranquille; il
me pria, quand son frère serait revenu, de lui dire certaines choses pour dire son père et à sa mère; il me
pria de dire les sept psaumes qu'il avait eus en pénitence le dimanche précédent, qu'il n'avait pas encore
récités; ensuite il me recommanda encore de parler à son frère, et puis me dit adieu, s'éloigna de moi en me
disant: «Jusques, jusques,» qui était le terme ordinaire dont il se servait quand nous nous quittions à la
promenade pour aller chacun chez nous.
Il me dit que, lorsqu'il se noyait, son frère, en écrivant une traduction, s'était repenti de l'avoir laissé aller
sans l'accompagner, craignant quelque accident: il me peignit si bien où il s'était noyé, et l'arbre de l'avenue
de Louvigni où il avait écrit quelques mots, que deux ans après, me trouvant avec le feu chevalier de Gotot,
un de ceux qui étaient avec lui lorsqu'il se noya, je lui marquai l'endroit même, et qu'en comptant les arbres
d'un certain côté, que Desfontaines m'avait spécifié, j'allai droit à l'arbre, et je trouvai son écriture: il
[396]
me dit aussi que l'article des sept psaumes était vrai, qu'au sortir de confession, ils s'étaient dit leur
pénitence; son frère me dit depuis qu'il était vrai qu'à cette heure-là il écrivait sa version, et qu'il se reprocha
de n'avoir pas accompagné son frère.
Comme je passai près d'un mois sans pouvoir faire ce que m'avait dit Desfontaines à l'égard de son frère, il
m'apparut encore deux fois, avant dîner, à une maison de campagne où j'étais allé dîner, à une lieue d'ici. Je
me trouvai mal; je dis qu'on me laissât, que ce n'était rien, que j'allais revenir: j'allai dans le coin du jardin.
Desfontaines m'ayant apparu, il me fit des reproches de ce que je n'avais pas encore parlé à son frère, et
m'entretint encore un quart d'heure sans vouloir répondre à mes questions.
Il ne m'est rien arrivé depuis, et voilà mon aventure au naturel. On l'a contée diversement; mais je ne l'ai
contée que comme je viens de vous le dire. Le feu chevalier de Gotot m'a dit que Desfontaines est aussi
apparu à M. de Ménil-Jean. Mais je ne le connais pas; il demeure à vingt lieues d'ici, du côté d'Argentan, et
je ne puis en rien dire de plus.»
Il faut remarquer le caractère de rêve qui se montre partout dans cette vision d'un homme éveillé, mais à
demi asphyxié par les émanations du foin. On reconnaîtra l'ivresse astrale produite par la congestion du
cerveau. L'état de somnambulisme qui en est la conséquence, et qui fait voir à M. Bézuel le dernier reflet
vivant que son ami a laissé dans la lumière. Il est nu, et l'on ne peut le voir qu'à mi-corps, parce que le reste
était déjà caché par l'eau de la rivière. La bandelette dans les cheveux était sans doute un mouchoir ou un
cordon qui avait servi au baigneur à retenir sa chevelure. Bézuel eut alors l'intuition somnambulique de tout
ce qui s'était passé, il lui sembla l'apprendre de la bouche même de son ami. Cet ami d'ailleurs ne lui parut
ni triste, ni gai, manière d'exprimer l'impression que lui fit cette image sans vie toute de réminiscence et de
reflet. Lorsque cette vision lui vient pour la première fois, M. Bézuel, enivré par l'odeur du foin, se laisse
tomber d'une échelle et se blesse au bras: il lui semble alors, avec la logique des rêves,
[398]
que son ami lui serre le bras, et à son réveil il sent encore de la douleur, ce qui s'explique tout naturellement
par le coup qu'il s'était donné; du reste, les discours du défunt étaient tout rétrospectifs, rien de la mort ni de
l'autre vie, ce qui prouve une fois de plus combien est infranchissable la barrière qui sépare l'autre monde
de celui-ci.
La vie dans la prophétie d'Ézéchiel est figurée par des roues qui tournent les unes dans les autres; les
formes élémentaires représentées par les quatre animaux, montent et descendent avec la roue, et se
poursuivent sans s'atteindre jamais comme les signes du zodiaque. Jamais les roues du mouvement
perpétuel ne retournent sur elles-mêmes; jamais les formes ne reculent vers les stations qu'elles ont quittées;
pour revenir d'où l'on est parti, il faut avoir fait le tour du cercle dans un mouvement toujours le même et
toujours nouveau. Concluons-en que tout ce qui se manifeste à nous en cette vie, est un phénomène de cette
même vie, et qu'il n'est donné ici-bas, ni à notre pensée, ni à notre imagination, ni même, à nos
hallucinations et à nos rêves, de franchir, ne fût-ce que pour un instant, les barrières redoutables de la mort.
[399]
CHAPITRE VII.
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÇONNERIE.
La grande association kabbalistique, connue en Europe sous le nom de maçonnerie, apparaît tout à coup
dans le monde au moment où la protestation contre l'Église vient de démembrer l'unité chrétienne. Les
historiens de cet ordre ne savent comment en expliquer l'origine: les uns lui donnent pour mère une libre
association de maçons, formée lors de la construction de la cathédrale de Strasbourg; d'autres lui donnent
Cromwell pour fondateur, sans trop se demander si les rites de la maçonnerie anglaise du temps de
Cromwell ne sont pas organisés contre ce chef de l'anarchie puritaine; il en est d'assez ignorants pour
attribuer aux jésuites, sinon la fondation du moins la continuation et la direction de cette société longtemps
secrète et toujours mystérieuse. A part cette dernière opinion, qui se réfute d'elle-même, on peut concilier
toutes les autres, en disant que les frères maçons ont emprunté aux constructeurs de la cathédrale de
Strasbourg leur nom et les emblèmes de leur art, qu'ils se sont organisés publiquement pour la première fois
en Angleterre, à la faveur des institutions radicales et en dépit du despotisme de Cromwell.
[400]
On peut ajouter qu'ils ont eu les templiers pour modèles, les roses-croix pour pères et les joannites pour
ancêtres. Leur dogme est celui de Zoroastre et d'Hermès, leur règle est l'initiation progressive, leur principe
l'égalité réglée par la hiérarchie et la fraternité universelle; ce sont les continuateurs de l'école d'Alexandrie,
héritière de toutes les initiations antiques; ce sont les dépositaires des secrets de l'apocalypse et du sobar;
l'objet de leur culte c'est la vérité représentée par la lumière; ils tolèrent toutes les croyances et ne
professent qu'une seule et même philosophie; ils ne cherchent que la vérité, n'enseignent que la réalité et
veulent amener progressivement toutes les intelligences à la raison.
Le but allégorique de la maçonnerie c'est la reconstruction du temple de Salomon; le but réel c'est la
reconstitution de l'unité sociale par l'alliance de la raison et de la foi, et le rétablissement de la hiérarchie,
suivant la science et la vertu, avec l'initiation et les épreuves pour degrés.
Rien n'est plus beau, on le voit, rien n'est plus grand que ces idées et ces tendances, malheureusement les
doctrines de l'unité et la soumission à la hiérarchie ne se conservèrent pas dans la maçonnerie universelle; il
y eut bientôt une maçonnerie dissidente, opposée à la maçonnerie orthodoxe, et les plus grandes calamités
de la révolution française furent le résultat de cette scission.
Les francs-maçons ont leur légende sacrée, c'est celle d'Hiram, complétée par celle de Cyrus et de
Zorobabel.
Lorsque Salomon fit bâtir le temple, il confia ses plans à un architecte nommé Hiram.
[401]
Cet architecte, pour mettre de l'ordre dans les travaux, divisa les travailleurs par rang d'habileté, et comme
leur multitude était grande, afin de les reconnaître, soit pour les employer suivant leur mérite, soit pour les
rémunérer suivant leur travail, il donna à chaque catégorie, aux apprentis, aux compagnons et aux maîtres,
des mots de passe et des signes particuliers.
Trois compagnons voulurent usurper le rang des maîtres sans en avoir le mérite, ils se mirent en embuscade
aux trois principales portes du temple, et lorsque Hiram se présenta pour sortir, l'un des compagnons lui
demanda le mot d'ordre des maîtres, en le menaçant de sa règle.
Hiram lui répondit: Ce n'est pas ainsi que j'ai reçu le mot que vous me demandez.
Le compagnon furieux frappa Hiram de sa règle de fer, et lui fit une première blessure.
Hiram courut à une autre porte, il y trouva le second compagnon, même demande, même réponse, et cette
fois Hiram fut frappé avec une équerre, d'autres disent avec un levier.
À la troisième porte était le troisième assassin, qui acheva le maître d'un coup de maillet.
Ces trois compagnons cachèrent ensuite le cadavre sous un tas de décombres, et plantèrent sur cette tombe
improvisée une branche d'acacia, puis ils prirent la fuite comme Caïn après le meurtre d'Abel.
Cependant Salomon, ne voyant pas revenir son architecte, envoya neuf maîtres pour le chercher, la branche
d'acacia leur révéla le cadavre, ils le tirèrent des décombres, et comme il y avait séjourné assez longtemps,
ils s'écrièrent en le soulevant: Mac bénach! ce qui signifie: la chair se détache des os.
[402]
On rendit à Hiram les derniers devoirs, puis vingt-sept maîtres furent envoyés par Salomon à la recherche
des meurtriers.
Le premier fut surpris dans une caverne, une lampe brûlait près de lui et un ruisseau coulait à ses pieds, un
poignard était près de lui pour sa défense; le maître qui pénétra dans la caverne reconnut l'assassin, saisit le
poignard et le frappa en criant: Nekum! mot qui veut dire vengeance; sa tête fut portée à Salomon, qui
frémit en la voyant, et dit à celui qui avait tué l'assassin: Malheureux, ne savais-tu pas que je m'étais réservé
le droit de punir? Alors tous les maîtres se prosternèrent et demandèrent grâce pour celui que son zèle avait
emporté trop loin.
Le second meurtrier fut trahi par un homme qui lui avait donné asile; il était caché dans un rocher près d'un
buisson ardent, sur lequel brillait un arc-en-ciel, un chien était couché près de lui, les maîtres trompèrent la
vigilance du chien, saisirent le coupable, le lièrent et le menèrent à Jérusalem, où il périt du dernier
supplice.
Le troisième assassin fut tué par un lion, qu'il fallut vaincre pour s'emparer de son cadavre, d'autres
versions disent qu'il se défendit lui-même à coups de hache contre les maîtres, qui parvinrent enfin à le
désarmer et le conduisirent à Salomon, qui lui fit expier son crime.
Le temple est la réalisation et la figure du règne hiérarchique de la vérité et de la raison sur la terre.
[403]
Hiram est l'homme parvenu à l'empire par la science et par la sagesse.
Il gouverne par la justice et par l'ordre, en rendant à chacun selon ses oeuvres.
Il n'y a qu'une parole pour Hiram, mais cette parole se prononce de trois manières différentes.
D'une manière pour les apprentis, et prononcé par eux il signifie nature et s'explique par le travail.
D'une autre manière pour les compagnons, et chez eux il signifie pensée en s'expliquant par l'étude.
D'une autre manière pour les maîtres, et dans leur bouche il signifie vérité, mot qui s'explique par la
sagesse.
Cette parole est celle dont on se sert pour désigner Dieu, dont le vrai nom est indicible et incommunicable.
Ces forces sont figurées par la règle qui unit, le levier qui soulève et le maillet qui affermit.
La rébellion des instincts brutaux, contre l'aristocratie hiérarchique de la sagesse, s'arme successivement de
ces trois forces qu'elle détourne de l'harmonie.
Le rebelle à la nature;
Le rebelle à la science;
Le rebelle à la vérité.
Ils étaient figurés dans l'enfer des anciens par les trois têtes de Cerbère.
[404]
Ils sont figurés dans la Bible par Coré, Dathan et Abiron.
Dans la légende maçonnique, ils sont désignés par des noms qui varient suivant les rites.
Le premier qu'on appelle ordinairement Abiram ou meurtrier d'Hiram, frappe le grand maître avec la règle.
C'est l'histoire du juste mis à mort, au nom de la loi, par les passions humaines.
Le second nommé Miphiboseth, du nom d'un prétendant ridicule et infirme à la royauté de David, frappe
Hiram avec le levier ou avec l'équerre.
C'est ainsi que le levier populaire ou l'équerre d'une folle égalité devient l'instrument de la tyrannie entre les
mains de la multitude et attente, plus malheureusement encore que la règle, à la royauté de la sagesse et de
la vertu.
Comme font les instincts brutaux, lorsqu'ils veulent faire l'ordre au nom de la violence et de la peur en
écrasant l'intelligence.
La branche d'acacia sur la tombe d'Hiram est comme la croix sur nos autels.
C'est le signe de la science qui survit à la science; c'est la branche verte qui annonce un autre printemps.
Quand les hommes ont ainsi troublé l'ordre de la nature, la Providence intervient pour le rétablir, comme
Salomon pour venger la mort d'Hiram.
[405]
Celui qui a assassiné avec la règle, meurt par le poignard.
Celui qui a frappé avec le levier ou l'équerre, mourra sous la hache de la loi. C'est l'arrêt éternel des
régicides.
Celui qui a triomphé avec le maillet, tombera victime de la force dont il a abusé, et sera étranglé par le lion.
L'assassin par la règle, est dénoncé par la lampe même qui l'éclaire et par la source où il s'abreuve.
L'assassin par le levier sera surpris quand sa vigilance sera en défaut comme un chien endormi, et il sera
livré par ses complices; car l'anarchie est mère de la trahison.
Le lion qui dévore l'assassin par le maillet, est une des formes du sphinx d'Oedipe.
Et celui-là méritera de succéder à Hiram dans sa dignité qui aura vaincu le lion.
Le cadavre putréfié d'Hiram montre que les formes changent, mais que l'esprit reste.
La source d'eau qui coule près du premier meurtrier, rappelle le déluge qui a puni les crimes contre la
nature.
Le buisson ardent et l'arc-en-ciel qui font découvrir le second assassin, représentent la lumière et la vie,
dénonçant les attentats contre la pensée.
Enfin le lion vaincu représente le triomphe de l'esprit sur la matière et la soumission définitive de la force à
l'intelligence.
Depuis le commencement du travail de l'esprit pour bâtir le temple de l'unité, Hiram a été tué bien des fois,
et il ressuscite toujours.
[406]
C'est Adonis tué par le sanglier, c'est Osiris assassiné par Typhon.
C'est Pythagore proscrit, c'est Orphée déchiré par les Bacchantes, c'est Moïse abandonné dans les cavernes
du Mont-Nébo, c'est Jésus mis à mort par Caïphe, Judas et Pilate.
Les vrais maçons sont donc ceux qui persistent à vouloir construire le temple, suivant le plan d'Hiram.
Telle est la grande et principale légende de la maçonnerie; les autres ne sont pas moins belles et moins
profondes, mais nous ne croyons pas devoir en divulguer les mystères, bien que nous n'ayons reçu
l'initiation que de Dieu et de nos travaux, nous regardons le secret de la haute maçonnerie comme le nôtre.
Parvenus par nos efforts à un grade scientifique qui nous impose le silence, nous nous croyons mieux
engagé par nos convictions que par un serment. La science est une noblesse qui oblige, et nous ne
démériterons point la couronne princière des roses-croix. Nous aussi nous croyons à la résurrection
d'Hiram!
Les rites de la maçonnerie sont destinés à transmettre le souvenir des légendes de l'initiation, à le conserver
parmi les frères.
On nous demandera peut-être comment, si la maçonnerie est si sublime et si sainte, elle a pu être proscrite
et si souvent condamnée par l'Église.
Nous avons déjà répondu à cette question, en parlant des scissions et des profanations de la maçonnerie.
La maçonnerie, c'est la gnose, et les faux gnostiques ont fait condamner les véritables.
Mais ils craignent les profanateurs, c'est-à-dire, les faux interprètes, les calomniateurs, les sceptiques au rire
stupide, et les ennemis de toute croyance et de toute moralité.
De notre temps d'ailleurs un grand nombre d'hommes qui se croyent francs-maçons, ignorent le sens de
leurs rites, et ont perdu la clé de leurs mystères.
Ils ne comprennent même plus leurs tableaux symboliques, et n'entendent plus rien aux signes
hiéroglyphiques, dont sont historiés les tapis de leurs loges.
Ces tableaux et ces signes sont les pages du livre de la science absolue et universelle.
On peut les lire à l'aide des clés kabbalistiques, et elles n'ont rien de caché pour l'initié qui possède les
clavicules de Salomon.
La maçonnerie a non-seulement été profanée, mais elle a servi même de voile et de prétexte aux complots
de l'anarchie, par l'influence occulte des vengeurs de Jacques de Molay, et des continuateurs de l'oeuvre
schismatique du temple.
Les anarchistes ont repris la règle, l'équerre et le maillet, et ont écrit dessus liberté, égalité, fraternité.
C'est-à-dire liberté pour les convoitises, égalité dans la bassesse, et fraternité pour détruire.
Voilà les hommes que l'Église a condamnés justement et qu'elle condamnera toujours!
[408]
LIVRE VI.
LA MAGIE ET LA RÉVOLUTION.
ו, Waou.
CHAPITRE PREMIER.
AUTEURS REMARQUABLES DU XVIIIe SIÈCLE.
Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la Chine était à peu près inconnue au reste du monde. C'est seulement à cette
époque que ce vaste empire, exploré par nos missionnaires, nous est révélé par eux, et nous apparaît comme
une nécropole de toutes les sciences du passé. Les Chinois semblent être un peuple de momies. Rien ne
progresse chez eux, et ils vivent dans l'immobilité de leurs traditions dont l'esprit et la vie se sont retirés
depuis longtemps. Ils ne savent plus rien, mais ils se souviennent vaguement de tout. Le génie de la Chine
est le dragon des Hespérides qui défend les pommes d'or du jardin de la science. Leur type humain de la
divinité, au lieu de vaincre le dragon comme Cadmus, s'est accroupi, fasciné et magnétisé par le monstre
qui fait miroiter devant lui le reflet changeant de ses écailles.
[409]
Le mystère seul est vivant en Chine, la science est en léthargie, ou du moins elle dort profondément et ne
parle jamais qu'en rêve.
Nous avons dit que la Chine possède un tarot calculé sur les mêmes données kabbalistiques et absolues que
le Sepher Jézirah des Hébreux, elle possède aussi un livre hiéroglyphique composé uniquement des
combinaisons de deux figures, ce livre est l'y-Kim attribué à l'empereur Fo-hi, et M. de Maison, dans ses
Lettres sur la Chine, le déclare parfaitement indéchiffrable.
Il ne l'est pourtant pas plus que le Sohar dont il parait être un complément fort curieux, et un précieux
appendice. Le Sohar est l'explication du travail de la balance ou de l'équilibre universel: l'y-Kim en est la
démonstration hiéroglyphique et chiffrée.
La clé de ce livre est un pantacle connu sous le nom des Trigrammes de Fo-hi. Suivant la légende rapportée
dans le Vay-Ky, recueil d'une grande autorité en Chine, et qui fut composé par Léon-Tao-Yuen, sous la
dynastie des Soms, il y a sept ou huit cents ans, l'empereur Fo-hi méditant un jour au bord d'une rivière sur
les grands secrets de la nature, vit sortir de l'eau un sphinx, c'est-à-dire, un animal allégorique ayant la
forme mixte d'un cheval et d'un dragon. Sa tête était allongée comme celle du cheval, il avait quatre pieds
et finissait par une queue de serpent; son dos était couvert d'écailles et sur chacune de ses écailles brillait la
figure des mystérieux Trigrammes, plus petits vers les extrémités, plus larges sur sa poitrine et sur le dos,
mais en parfaite harmonie les uns avec les autres. Ce dragon se mirait dans l'eau, et son reflet avait les
mêmes
[410]
formes, et portait les mêmes images que lui, mais en sens inverse des formes et des images réelles. Ce
cheval serpent, inspirateur ou plutôt porteur d'inspirations comme le Pégase de la mythologie grecque,
symbole de la vie universelle, comme le serpent de kronos, initia Fo-hi à la science universelle. Les
Trigrammes lui servirent d'introduction, il compta les écailles du cheval-serpent, et combina les
Trigrammes en autant de manières qu'il conçut une synthèse des sciences comparées et unies entre elles par
les harmonies préexistantes et nécessaires de la nature; la rédaction des tables de l'y-Kim fut le résultat de
cette merveilleuse combinaison. Les nombres de Fo-hi sont les mêmes que ceux de la haute kabbale, son
pantacle est analogue à celui de Salomon, comme nous l'avons expliqué dans notre dogme et rituel de la
haute magie; ses tables correspondent aux trente-deux voies et aux cinquante portes de la lumière, et l'y-
Kim ne saurait avoir d'obscurité pour les sages kabbalistes qui ont la clé du sepher Jézirah et du Sohar.
La science de la philosophie absolue a donc existé en Chine. Les Kims ne sont que les commentaires de cet
absolu caché aux profanes, et ils sont à l'y-Kim ce que le Pentateuque de Moïse est aux révélations du
Siphra de Zéniuta, qui est le livre des mystères, et la clé du Sohar chez les Hébreux. Koug-fu-tzée, ou
Confucius, n'eût été que le révélateur ou révoilateur de cette kabbale qu'il eût niée peut-être pour en
détourner les recherches des profanes, comme le savant Talmudiste Maïmonides nia les réalités de la
clavicule de Salomon, puis vint le matérialiste Fo, qui substitua les traditions de la sorcellerie
[411]
indienne aux souvenirs de la haute magie des Égyptiens. Le culte de Fo paralysa en Chine le progrès des
sciences, et la civilisation avortée de ce grand peuple tomba dans la routine et dans l'abrutissement.
Un philosophe d'une admirable sagacité et d'une grande profondeur, le sage Leibnitz, qui eût été si digne
d'être initié aux vérités suprêmes de la science absolue, croyait voir dans l'y-Kim sa propre invention de
l'arithmétique binaire, et dans la ligne droite et la ligne brisée de Fo-hi, il retrouvait les caractères 1 0,
employés par lui-même dans ses calculs; il était bien près de la vérité, mais il ne l'entrevoyait que dans un
de ses détails, il ne pouvait en embrasser l'ensemble.
Des disputes théologiques ont été l'occasion des recherches les plus importantes sur les antiquités
religieuses de la Chine. Il s'agissait de savoir si les jésuites avaient raison de tolérer chez les Chinois
convertis au christianisme le culte du ciel et celui des ancêtres; en d'autres termes, si l'on devait croire que
par le ciel les lettrés de la Chine entendaient Dieu ou simplement l'espace et la nature. Il était tout naturel de
s'en rapporter aux lettrés eux-mêmes et au bon sens public, mais ce ne sont pas là des autorités
théologiques; on argumenta donc, on écrivit beaucoup, on intrigua davantage, les jésuites qui avaient raison
pour le fond furent convaincus d'avoir tort pour la forme, et on leur créa de nouvelles difficultés qui ne sont
pas surmontées encore et qui font de nos jours même couler en Chine le sang de nos infatigables martyrs.
Pendant qu'on disputait ainsi à la religion ses conquêtes en Asie, une immense inquiétude agitait l'Europe.
La foi chrétienne
[412]
semblait prête à s'y éteindre et il n'était bruit de tous côtés que de révélations nouvelles et de miracles. Un
homme sérieusement posé dans la science et dans le monde, Emmanuel Swedenborg, étonnait la Suède par
ses visions et l'Allemagne était pleine de nouveaux illuminés; le mysticisme dissident conspirait pour
remplacer les mystères de la religion hiérarchique par les mystères de l'anarchie; une imminente
catastrophe se préparait.
Swedenborg, le plus honnête et le plus doux des prophètes du faux illuminisme, n'était pas pour cela moins
dangereux que les autres. Prétendre, en effet, que tous les hommes sont appelés à communiquer
directement avec le ciel, c'est remplacer l'enseignement religieux régulier et l'initiation progressive par
toutes les divagations de l'enthousiasme et toutes les folies de l'imagination et des rêves. Les illuminés
intelligents sentaient bien que la religion étant un des grands besoins de l'humanité, on ne la détruira
jamais; aussi voulaient-ils se faire de la religion même et du fanatisme qu'elle entraîne par une conséquence
fatale de l'enthousiasme inspiré à l'ignorance, des armes pour détruire l'autorité hiérarchique de l'Église,
comptant bien voir sortir des conflits du fanatisme une hiérarchie nouvelle dont ils espéraient être les
fondateurs et les chefs.
«Vous serez comme des dieux, connaissant tout sans avoir eu la peine de rien apprendre; vous serez comme
des rois, possédant tout sans avoir eu la peine de rien acquérir.»
Telles sont en résumé les promesses de l'esprit révolutionnaire aux multitudes envieuses. L'esprit
révolutionnaire, c'est
[413]
l'esprit de mort; c'est l'ancien serpent de la Genèse, et cependant c'est le père du mouvement et du progrès,
puisque les générations ne se renouvellent que par la mort; c'est pour cela que les Indiens adoraient Schiva,
l'impitoyable destructeur, dont la forme symbolique était celle de l'amour physique et de la génération
matérielle.
Le système de Swedenborg n'est autre chose que la kabbale, moins le principe de la hiérarchie; c'est le
temple sans clef de voûte et sans fondement; c'est un immense édifice, heureusement tout fantastique et
aérien, car si l'on avait jamais tenté de le réaliser sur la terre, il tomberait sur la tête du premier enfant qui
essayerait, nous ne dirons pas de l'ébranler, mais de s'appuyer seulement contre une de ses principales
colonnes.
Organiser l'anarchie, tel est le problème que les révolutionnaires ont et auront éternellement à résoudre;
c'est le rocher de Sisyphe qui retombera toujours sur eux; pour exister un seul instant ils sont et seront
toujours fatalement réduits à improviser un despotisme sans autre raison d'être que la nécessité, et qui, par
conséquent, est violent et aveugle comme elle. On n'échappe à la monarchie harmonieuse de la raison, que
pour tomber sous la dictature désordonnée de la folie.
Le moyen proposé indirectement par Swedenborg, pour communiquer avec le monde surnaturel, était un
état intermédiaire qui tient du rêve, de l'extase et de la catalepsie. L'illuminé suédois affirmait la possibilité
de cet état, mais il ne donnait pas la théorie des pratiques nécessaires pour y arriver; peut-être ses disciples,
pour combler cette lacune, eussent-ils recouru au rituel magique de l'Inde, lorsqu'un homme de génie vint
compléter
[414]
par une thaumaturgie naturelle les intuitions prophétiques et kabbalistiques de Swedenborg. Cet homme
était un médecin allemand, nommé Mesmer.
Mesmer eut la gloire de retrouver, sans initiateur et sans connaissances occultes, l'agent universel de la vie
et de ses prodiges; ses Aphorismes 18, que les savants de son temps devaient regarder comme autant de
paradoxes, deviendront un jour les bases de la synthèse physique.
Note 18: (retour) Mesmer, Mémoires et aphorismes, suivis des procédés d'Eslon, nouvelle édition, 1846, 1
vol. gr. in 18.
Mesmer reconnaît dans l'être naturel deux formes, qui sont la substance et la vie, d'où résultent la fixité et le
mouvement qui constituent l'équilibre des choses.
Il reconnaît l'existence d'une matière première fluidique, universelle, capable de fixité et de mouvement,
qui, en se fixant, détermine la constitution des substances, et qui, se mouvant toujours, modifie et
renouvelle les formes.
Cette matière fluidique est active et passive: comme passive elle s'attire elle-même, comme active elle se
projette.
Par elle les mondes et les êtres vivants qui peuplent les mondes, s'attirent et se repoussent; elle passe des
uns aux autres par une circulation comparable à celle du sang.
Elle entretient et renouvelle la vie de tous les êtres, elle est l'agent de leur force et peut devenir l'instrument
de leur volonté.
Les prodiges sont les résultats des forces ou des volontés exceptionnelles.
[415]
Les phénomènes de cohésion, d'élasticité, de densité ou de subtilité des corps, sont produits par les diverses
combinaisons des deux propriétés du fluide universel ou de la matière première.
La maladie, comme tous les désordres physiques, vient d'un dérangement de l'équilibre normal de la
matière première dans un corps organisé.
Les corps organisés sont ou sympathiques ou antipathiques les uns aux autres, par suite de leur équilibre
spécial.
Les corps sympathiques peuvent se guérir les uns les autres, en rétablissant mutuellement leur équilibre.
Cette propriété des corps de s'équilibrer les uns les autres par l'attraction ou la projection de la matière
première, Mesmer la nomme magnétisme, et comme elle se spécifie suivant les spécialités des êtres,
lorsqu'il en étudie les phénomènes dans les êtres animés, il la nomme magnétisme animal.
Mesmer prouva sa théorie par des oeuvres, et ses expériences furent couronnées d'un plein succès.
Ayant observé l'analogie qui existe entre les phénomènes du magnétisme animal et ceux de l'électricité, il
fit usage de conducteurs métalliques, aboutissant à un réservoir commun qui contenait de la terre et de
l'eau, pour absorber et pour projeter les deux forces; on a depuis abandonné l'appareil compliqué des
baquets, qu'on peut remplacer par une chaîne vivante de mains superposées à un corps circulaire et mauvais
conducteur comme le bois d'une table, l'étoffe de soie ou de laine d'un chapeau, etc.
[416]
Il appliqua ensuite aux êtres vivants et organisés les procédés de l'aimantation métallique, et il acquit la
certitude de la réalité et de la similitude des phénomènes qui s'ensuivirent.
Un seul pas lui restait à faire, c'était de déclarer que les effets attribués en physique aux quatre fluides
impondérables sont les manifestations diverses d'une seule et même force diversifiée par ses usages, et que
cette force inséparable de la matière première et universelle qu'elle fait mouvoir, tantôt splendide, tantôt
ignée, tantôt électrique et tantôt magnétique, n'a qu'un seul nom indiqué par Moïse dans la Genèse, lorsqu'il
la fait apparaître à l'appel du Tout-Puissant, avant toutes les substances et avant toutes les formes: LA
LUMIÈRE; יאי אנד
La grande chose du XVIIIe siècle, ce n'est pas l'encyclopédie, ce n'est pas la philosophie ricaneuse et
dérisoire de Voltaire, ce n'est pas la métaphysique négative de Diderot et de d'Alembert, ce n'est pas la
philanthropie haineuse de Rousseau; c'est la physique sympathique et miraculeuse de Mesmer! Mesmer est
grand comme Prométhée, il a donné aux hommes le feu du ciel que Franklin n'avait su que détourner.
Il ne manqua au génie de Mesmer, ni la sanction de la haine, ni la consécration des persécutions et des
injures; il avait été chassé de l'Allemagne, on se moqua de lui en France, tout en lui faisant une fortune, car
ses guérisons étaient évidentes et les malades allaient à lui et le payaient, puis se disaient guéris par hasard,
pour ne pas attirer sur eux l'animadversion des savants. Les corps constitués ne firent pas même au
thaumaturge
[417]
l'honneur d'examiner sa découverte et le grand homme dut se résigner à passer pour un adroit charlatan.
Les savants seuls n'étaient pas hostiles au mesmérisme, les hommes sincèrement religieux s'alarmaient des
dangers de la découverte nouvelle, et les superstitieux criaient au scandale et à la magie. Les sages
prévoyaient les abus, les insensés n'admettaient pas même l'usage de cette merveilleuse puissance. N'allait-
on pas au nom du magnétisme nier les miracles du Sauveur et de ses saints, disaient les uns; que va devenir
la puissance du diable, disaient les autres? Et pourtant la religion qui est vraie, ne doit craindre la
découverte d'aucune vérité; d'ailleurs, en donnant la mesure de la puissance humaine, le magnétisme ne
donne-t-il pas aux miracles divins une sanction nouvelle, au lieu de les détruire? Il est vrai que les sots
attribueront au diable moins de prodiges, ce qui leur laissera moins d'occasions d'exercer leur haine et leurs
fureurs; mais ce ne sont certainement pas les personnes d'une véritable piété qui songeront jamais à s'en
plaindre: le diable doit perdre du terrain quand la lumière se fait et quand l'ignorance se retire; mais les
conquêtes de la science et de la lumière étendent, affermissent et font aimer de plus en plus au monde
l'empire et la gloire de Dieu!
[418]
CHAPITRE II.
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIIIe SIÈCLE.
Le XVIIIe siècle n'a eu de crédulité que pour la magie, car les croyances vagues sont la religion des âmes
sans foi: on niait les miracles de Jésus-Christ et l'on attribuait des résurrections au comte de Saint-Germain.
Ce singulier personnage était un théosophe mystérieux qu'on faisait passer pour avoir les secrets du grand
oeuvre et pour fabriquer des diamants et des pierres précieuses; c'était d'ailleurs un homme du monde, d'une
conversation agréable et d'une grande distinction dans ses manières. Madame de Genlis, qui, pendant son
enfance, le voyait presque tous les jours, assure qu'il savait donner même à des pierreries qu'il représentait
en peinture, tout leur éclat naturel et un feu dont aucun chimiste ni aucun peintre ne pouvait deviner le
secret; avait-il trouvé le moyen de fixer la lumière sur la toile, ou employait-il quelque préparation de nacre
ou quelque incrustation métallique? c'est ce qu'il nous est impossible de savoir, puisqu'il ne nous reste
aucune de ces peintures merveilleuses.
Le comte de Saint-Germain faisait profession de la religion catholique, et en observait les pratiques avec
une grande fidélité; on parlait cependant d'évocations suspectes et d'apparitions étranges, il se flattait de
posséder le secret de
[419]
la jeunesse éternelle. Était-ce mysticisme, était-ce folie? Personne ne connaissait sa famille, et à l'entendre
causer des choses du temps passé, il semblait qu'il eût vécu plusieurs siècles; il parlait peu de tout ce qui se
rapportait aux sciences occultes, et lorsqu'on lui demandait l'initiation, il prétendait ne rien savoir; il
choisissait lui même ses disciples, et leur demandait tout d'abord une obéissance passive, puis il leur parlait
d'une royauté à laquelle ils étaient appelés, celle de Melchisédech et de Salomon, la royauté des initiés qui
est aussi un sacerdoce. «Soyez le flambeau du monde, disait-il; si votre lumière n'est que celle d'une
planète, vous ne serez rien devant Dieu: je vous réserve une splendeur dont celle du soleil n'est que l'ombre,
alors vous dirigerez la marche des étoiles, et vous gouvernerez ceux qui régnent sur les empires.»
Ces promesses, dont la signification bien comprise n'a rien qui puisse étonner les véritables adeptes, sont
rapportées, sinon textuellement, du moins quant au sens des paroles, par l'auteur anonyme d'une Histoire
des sociétés secrètes en Allemagne, et suffisent pour faire comprendre à quelle initiation appartenait le
comte de Saint-Germain.
Voici maintenant quelques détails jusqu'à présent inconnus sur cet illuminé:
Il était né à Lentmeritz, en Bohême, à la fin du XVIIe siècle, il était fils naturel ou adoptif d'un rose-croix
qui se faisait appeler Comnes cabalicus, le compagnon cabaliste, et qui fut tourné en ridicule sous le nom
de comte de Gabalis, par le malheureux abbé de Villars; jamais Saint-Germain ne parlait de son père. À
l'âge de sept ans, disait-il, j'étais proscrit et
[420]
j'errais avec ma mère dans les forêts. Cette mère dont il voulait parler, c'était la science des adeptes; son âge
de sept ans est celui des initiés promus au grade de maîtres; les forêts sont les empires dénués, suivant les
adeptes, de la vraie civilisation et de la vraie lumière. Les principes de Saint-Germain étaient ceux des
roses-croix, et il avait fondé dans sa patrie une société dont il se sépara dans la suite quand les doctrines
anarchiques prévalurent dans les associations des nouveaux sectateurs de la gnose. Aussi fut-il désavoué
par ses frères, accusé même de trahison, et quelques auteurs de mémoires sur l'illuminisme semblent
insinuer qu'il fut précipité dans les oubliettes du château de Ruel. Madame de Genlis, au contraire, le fait
mourir dans le duché de Holstein, tourmenté par sa conscience et agité par les terreurs de l'autre vie. Ce qui
est certain, c'est qu'il disparut tout à coup de Paris, sans qu'on pût savoir bien au juste où il s'était retiré, et
que les illuminés laissèrent tomber, autant que cela leur fut possible, sur sa mémoire le voile du silence et
de l'oubli. La société qu'il avait fondée sous le titre de Saint-Jakin, dont on a fait Saint-Joachim, dura
jusqu'à la révolution et disparut alors ou se transforma, comme tant d'autres. Voici, au sujet de cette société,
une anecdote qu'on trouve dans les pamphlets hostiles à l'illuminisme; elle est extraite d'une
correspondance de Vienne. Tout cela, comme on le voit, n'a rien de bien authentique ni de bien certain.
Voici toutefois l'anecdote:
«J'ai été fort bien accueilli, à votre recommandation, par M.N.Z.... Il était déjà prévenu de mon arrivée.
L'harmonica eut
[421]
toute son approbation. Il me parla d'abord de certains essais particuliers auxquels je ne compris rien du tout;
ce n'est que depuis peu que mon intelligence peut y suffire. Hier, vers le soir, il me conduisit à sa
campagne, dont les jardins sont fort beaux. Des temples, des grottes, des cascades, des labyrinthes, des
souterrains procurent à l'oeil une longue suite d'enchantements; mais un mur très haut qui environne ces
beautés me déplut infiniment, il dérobe à l'oeil un site enchanteur....
«J'avais emporté l'harmonica, d'après l'invitation de M. N. Z., afin d'en toucher, seulement pendant
quelques minutes, dans un lieu désigné et à un signe convenu. Il me conduisit, après notre visite dans le
jardin, à une salle sur le devant de la maison, et me quitta bientôt sous quelque prétexte. Il était fort tard: je
ne le voyais point revenir; l'ennui et le sommeil commençaient à me gagner, lorsque je fus interrompu par
l'arrivée de plusieurs carrosses. J'ouvris la fenêtre: il était nuit, je ne pus rien voir; je compris encore moins
le chuchotage bas et mystérieux de ceux qui paraissaient entrer dans la maison. Bientôt le sommeil
s'empara tout à fait de moi; et, après avoir dormi environ une heure, je fus réveillé en sursaut par un
domestique envoyé pour me guider et porter l'instrument. Il marchait très vite et fort loin devant moi; je le
suivais assez machinalement, lorsque j'entendis des sons de trompettes qui me paraissaient sortir des
profondeurs d'une cave; à cet instant, je perdis de vue mon guide; et m'avançant du côté où le bruit
paraissait venir, je descendis à moitié l'escalier d'un caveau qui s'offrit devant moi. Jugez de ma surprise!
On y psalmodiait un chant funèbre.
[422]
J'aperçus distinctement un cadavre dans un cercueil ouvert; à côté, un homme vêtu de blanc paraissait
rempli de sang; il me parut qu'on lui avait ouvert une veine au bras droit. A l'exception de ceux qui lui
prêtaient leur ministère, les autres étaient enveloppés dans de longs manteaux noirs, avec l'épée nue à la
main. Autant que la terreur dont j'étais frappé me permit d'en juger, il y avait à l'entrée du caveau des
monceaux d'ossements humains entassés l'un sur l'autre. La lumière qui éclairait ce spectacle lugubre me
parut produite par une flamme semblable à celle de l'esprit de vin brûlant.
»Incertain si je pourrais rejoindre mon guide, je me hâtai de me retirer; je le trouvai précisément à quelques
pas de là qui me cherchait; il avait l'oeil hagard, il me prit la main avec une sorte d'inquiétude, et m'entraîna
à sa suite dans un jardin particulier où je me crus transporté par l'effet de la magie. La clarté que répandait
un nombre prodigieux de lampions, le murmure des cascades, le chant des rossignols artificiels, le parfum
qu'on y respirait exaltèrent d'abord mon imagination. Je fus placé derrière un cabinet de verdure dont
l'intérieur était richement décoré, et dans lequel on transporta immédiatement une personne évanouie
(vraisemblablement celle qui paraissait dans un cercueil au caveau); aussitôt on me fit le signal de toucher
mon instrument.
»Je vous écris ceci encore tout agité... Si je n'avais pris la précaution de noter cette scène sur-le-champ, je la
prendrais aujourd'hui pour un rêve.»
Ce qu'il y a de plus inexplicable dans cette scène, c'est la présence du profane qui la raconte. Comment
l'association pouvait-elle s'exposer ainsi à la divulgation de ses mystères? Il nous est impossible de
répondre à cette question, mais pour ce qui est des mystères eux-mêmes, nous pouvons facilement les
expliquer.
Les successeurs des anciens roses-croix, dérogeant peu à peu de la science austère et hiérarchique de leurs
ancêtres en initiation, s'étaient érigés en secte mystique; ils avaient accueilli avec empressement les dogmes
magiques des templiers, et se croyaient seuls dépositaires des secrets de l'Évangile de saint Jean; ils
voyaient dans les récits de l'Évangile une série allégorique de rites propres à compléter l'initiation, et
croyaient que l'histoire du Christ devait se réaliser dans la personne de chacun des adeptes; ils racontaient
une légende
[424]
gnostique suivant laquelle le Sauveur, environné de parfums et de bandelettes, n'aurait point été renfermé
dans le sépulcre neuf de Joseph d'Arimathie, et serait revenu à la vie dans la maison même de saint Jean.
C'était ce prétendu mystère qu'ils célébraient au son de l'harmonica et des trompettes. Le récipiendaire était
invité à faire le sacrifice de sa vie, et subissait, en effet, une saignée qui lui procurait un évanouissement;
cet évanouissement, on lui disait que c'était la mort, et lorsqu'il revenait à lui, des fanfares d'allégresse et
des cris de triomphe célébraient sa résurrection. Ces émotions diverses, ces scènes tour à tour lugubres et
brillantes, devaient impressionner à jamais son imagination et le rendre fanatique ou voyant. Plusieurs
croyaient à une résurrection réelle et se croyaient assurés de ne plus mourir. Les chefs de l'association
mettaient ainsi au service de leurs projets cachés le plus redoutable de tous les instruments, la folie, et
s'assuraient de la part de leurs adeptes un de ces dévouements fatals et infatigables que la déraison produit
plus souvent et plus sûrement que l'amitié.
La secte du Saint-Jakin était donc une société de gnostiques adonnée aux illusions de la magie fascinatrice,
elle tenait des roses-croix et des templiers, son nom du Saint-Jakin venait de l'un des deux noms gravés en
initiales sur les deux principales colonnes du temple de Salomon, Jakin et Bohas. L'initiale de Jakin en
hébreu est le Jod, lettre sacrée de l'alphabet hébreu, initiale du nom de Jéhova que celui de Jakin sert à
voiler aux profanes, c'est pourquoi on la nommait le Saint-Jakin.
Les saint-jakinites étaient des théosophes qui s'occupaient beaucoup trop de théurgie.
[425]
Tout ce qu'on raconte du mystérieux comte de Saint-Germain donne lieu de croire que c'était un physicien
habile et un chimiste distingué: on assure qu'il possédait le secret de souder ensemble les diamants sans
qu'on pût apercevoir aucune trace du travail; il avait l'art d'épurer les pierreries et de donner ainsi un grand
prix aux plus imparfaites et aux plus communes; l'auteur imbécile et anonyme que nous avons déjà cité, lui
accorde bien ce talent, mais nie qu'il ait jamais fait d'or, comme si l'on ne faisait pas de l'or en faisant des
pierres précieuses. Saint-Germain inventa aussi, suivant le même auteur, et légua aux sciences industrielles
l'art de donner au cuivre plus d'éclat et de ductilité, autre invention qui suffisait pour faire la fortune de son
auteur. De pareilles oeuvres doivent faire pardonner au comte de Saint-Germain d'avoir beaucoup connu la
reine Cléopâtre, et d'avoir même causé familièrement avec la reine de Saba. C'était d'ailleurs un bon et
galant homme qui aimait les enfants, et se plaisait à leur fabriquer lui-même des bonbons délicieux et de
merveilleux joujoux; il était brun et de petite taille, toujours vêtu richement, mais avec beaucoup de goût, et
se plaisant d'ailleurs à tous les raffinements du luxe. On assure que le roi Louis XV le recevait
familièrement, et s'occupait avec lui de diamants et de pierreries. Il est probable que ce monarque
entièrement dominé par des courtisanes et absorbé par ses plaisirs, céda, en invitant Saint-Germain à
quelques audiences particulières, plutôt à quelque caprice de curiosité féminine qu'à un amour sérieux pour
la science. Saint-Germain fut un moment à la mode, et comme c'était un aimable et jeune vieillard
[426]
qui savait unir le babil d'un roué aux extases d'un théosophe, il fit fureur dans certains cercles, puis fut
bientôt remplacé par d'autres fantaisies; ainsi va le monde.
On a dit que Saint-Germain n'était autre que ce mystérieux Althotas qui fut le maître en magie d'un adepte,
dont nous allons bientôt nous occuper, et qui prenait le nom kabbalistique d'Acharat; rien n'est moins fondé
que cette supposition, comme nous le verrons en étudiant ce nouveau personnage.
Pendant que le comte de Saint-Germain était à la mode à Paris, un autre adepte mystérieux parcourait le
monde en recrutant des apôtres pour la philosophie d'Hermès: c'était un alchimiste qui se faisait appeler
Lascaris, et se disait archimandrite d'Orient, chargé de recueillir des aumônes pour un couvent grec;
seulement, au lieu de demander l'aumône, Lascaris semblait suer de l'or, et en laissait partout une traînée
après lui. Partout il ne faisait qu'apparaître, et ses apparitions changeaient de formes; ici il se montrait
vieux, ailleurs il était encore jeune; il ne faisait pas lui-même de l'or publiquement, mais il en faisait faire
par ses disciples auxquels il laissait en les quittant un peu de poudre de projection. Rien de plus avéré et de
mieux établi que les transmutations opérées par les émissaires de Lascaris. M. Louis Figuier, dans son
savant ouvrage sur les alchimistes, n'en révoque en doute ni la réalité ni l'importance. Or, comme il n'y a
rien, surtout en physique, de plus inexorable que les faits, il faudrait donc conclure de ceux-là, que la pierre
philosophale n'est pas une rêverie, si l'immense tradition de l'occultisme, si les mythologies anciennes, si
les travaux
[427]
sérieux des plus grands hommes de tous les âges n'en démontraient pas d'ailleurs suffisamment l'existence
et la réalité.
Un chimiste moderne, qui s'est empressé de publier son secret, est parvenu à tirer de l'or de l'argent par un
procédé ruineux, car l'argent détruit par lui ne rend en or que le dixième ou environ de sa valeur. Agrippa,
qui n'est jamais arrivé à la découverte du dissolvant universel, avait été cependant plus heureux que notre
chimiste, car il avait trouvé en or une valeur équivalente à celle de l'argent employé, il n'avait donc perdu
absolument que son travail, si c'est le perdre que de l'employer à la recherche des grands secrets de la
nature.
Engager par l'attrait de l'or les hommes à des recherches qui les conduiraient à la philosophie absolue, tel
paraît avoir été le but de la propagande de Lascaris, l'étude des livres hermétiques devant ramener
nécessairement les hommes d'étude à la connaissance de la kabbale. Les initiés, en effet, pensaient au
XVIIIe siècle que leur temps était venu, les uns pour fonder une hiérarchie nouvelle, les autres pour
renverser toute autorité et promener sur toutes les sommités de l'ordre social le niveau égalitaire. Les
sociétés secrètes envoyaient leurs éclaireurs à travers le monde pour sonder et réveiller au besoin l'opinion:
après Saint-Germain et Lascaris, Mesmer; après Mesmer, Cagliostro. Mais tous n'étaient pas de la même
école: Saint-Germain était l'homme des illuminés théosophes, Lascaris représentait les naturalistes attachés
à la tradition d'Hermès.
Cagliostro était l'agent des templiers, aussi écrivait-il dans une circulaire adressée à tous les francs-maçons
de Londres, que
[428]
le temps était venu de mettre la main à l'oeuvre pour reconstruire le temple de l'Éternel. Comme les
templiers, Cagliostro s'adonnait aux pratiques de la magie noire, et pratiquait la science funeste des
évocations; il devinait le passé et le présent, prédisait l'avenir, faisait des cures merveilleuses et prétendait
aussi faire de l'or. Il avait introduit dans la maçonnerie un nouveau rite qu'il nommait rite égyptien, et il
essayait de ressusciter le culte mystérieux d'Isis. Lui-même, la tête entourée de bandelettes et coiffé comme
un sphinx de Thèbes, il présidait des solennités nocturnes dans des appartements pleins d'hiéroglyphes et de
flambeaux. Il avait pour prêtresses des jeunes filles qu'il appelait des colombes, et qu'il exaltait jusqu'à
l'extase pour leur faire rendre des oracles au moyen de l'hydromancie, l'eau étant un excellent conducteur,
un puissant réflecteur et un milieu très réfringent pour la lumière astrale, comme le prouvent les mirages de
la mer et des nuages.
Cagliostro, comme on le voit, continuait Mesmer, et avait retrouvé la clef des phénomènes de médiomanie;
lui-même était un médium, c'est-à-dire un homme d'une organisation nerveuse exceptionnellement
impressionnable: il joignait à cela beaucoup de finesse et d'aplomb, l'exagération publique et l'imagination
des femmes surtout faisaient le reste. Cagliostro eut un succès fou; on se l'arrachait, son buste était partout
avec cette inscription: le divin Cagliostro. On put dès ce moment prévoir une réaction égale à cette vogue:
après avoir été un dieu, Cagliostro devint un intrigant, un charlatan, un proxénète de sa femme, un scélérat
enfin, auquel l'inquisition de Rome crut faire grâce en le condamnant seulement à une prison perpétuelle.
Ce qui
[429]
fit croire qu'il vendait sa femme, c'est que sa femme le vendit. Il fut amené et pris dans un piége, on lui fit
son procès et l'on publia de ce procès ce qu'on voulut. La révolution arriva sur ces entrefaites, et tout le
monde oublia Cagliostro.
Cet adepte n'est cependant pas sans importance dans l'histoire de la magie; son sceau est aussi important
que celui de Salomon, et atteste son initiation aux secrets les plus relevés de la science. Ce sceau, expliqué
par les lettres kabbalistiques des noms d'Acharat et d'Althotas, exprime les principaux caractères du grand
arcane et du grand oeuvre. C'est un serpent percé d'une flèche, figurant la lettre aleph, א, image de l'union
de l'actif et du passif, de l'esprit et de la vie, de la volonté et de la lumière. La flèche est celle de l'Apollon
antique, le serpent est le Python de la fable, le dragon vert des philosophes hermétiques. La lettre aleph
représente l'unité équilibrée. Ce pantacle se reproduit sous diverses formes dans les talismans de l'ancienne
magie, mais tantôt le serpent est remplacé par le paon de Junon, le paon à la tête royale, à la queue
multicolore, l'emblème de la lumière analysée, l'oiseau du grand oeuvre dont le plumage est tout ruisselant
d'or; tantôt, au lieu du paon coloré, c'est l'agneau blanc, l'agneau ou le jeune bélier solaire traversé par la
croix, comme on le voit encore dans les armoiries de la ville de Rouen. Le paon, le bélier et le serpent
représentent le même signe hyéroglyphique: celui du principe passif et le sceptre de Junon, la croix et la
flèche, c'est le principe actif, la volonté, l'action magique, la coagulation du dissolvant, la fixation par la
projection du volatil, la pénétration de la terre par le feu. L'union des deux, c'est la
[430]
balance universelle, c'est le grand arcane, c'est le grand oeuvre, c'est l'équilibre de Jakin et de Bohas.
Le trigramme L.-. P.-. D.-. qui accompagne cette figure, veut dire liberté, pouvoir, devoir, il signifie aussi
lumière proportion, densité, loi, principe et droit.
Les francs-maçons ont changé l'ordre des lettres, et en l'écrivant L.-.D.-.P.-. ils en font les initiales des mots
liberté de penser qu'ils inscrivent sur un pont symbolique, en y lisant pour les profanes: liberté de passer.
Dans les actes du procès de Cagliostro, il est marqué que lui-même donna à ces trois lettres dans ses
interrogatoires une autre signification; il les aurait traduites par cette légende: Lilia destrue pedibus, foule
aux pieds les lys; et l'on peut citer à l'appui de cette version, une médaille maçonnique du XVIe ou du
XVIIe siècle, où l'on voit une épée coupant une branche de lys avec ces mots sur l'exergue: Talem dabit
ultio messem.
Le nom d'Acharat que prenait Cagliostro, écrit kabbalistiquement en hébreu de cette manière:
אע
אך
אה
Le nom d'Althotas, maître de Cagliostro, se compose du nom de Thot et des syllabes al et as, qui, lues
kabbalistiquement, sont Sala qui signifie messager, envoyé; le nom entier signifie donc
[431]
Thot, le messie des Égyptiens, et tel était en effet celui que Cagliostro reconnaissait avant tout pour maître.
La doctrine du grand Cophte, tel était, on le sait, le titre que prenait Cagliostro; sa doctrine, disons-nous,
avait un double objet, la régénération morale et la régénération physique.
«Monte sur le Sinaï avec Moïse, sur le Calvaire, puis sur le Thabor avec Phaleg, sur le Carmel avec Élie.
»Il sera divisé en trois bâtiments unis ensemble et celui du milieu aura trois étages.
»L'étage du milieu sera une chambre ronde avec douze lits autour et un au milieu, ce sera la chambre du
sommeil et des songes.
»La chambre supérieure, celle du troisième étage, sera carrée et percée de seize fenêtres, quatre de chaque
côté, ce sera la chambre de la lumière.
»Là, tu prieras seul pendant quarante jours, et tu dormiras pendant quarante nuits dans le dortoir des douze
maîtres.
»Alors, tu recevras les signatures des sept génies et tu obtiendras d'eux le pentagramme tracé sur la feuille
de parchemin vierge.
[432]
»C'est le caractère occulte du caillou blanc dont il est parlé dans la prophétie du plus jeune des douze
maîtres.
»Alors, ton esprit sera illuminé d'un feu divin et ton corps deviendra pur comme celui d'un enfant. Ta
pénétration n'aura point de bornes, ton pouvoir sera immense; tu entreras dans le repos parfait, qui est le
commencement de l'immortalité, et tu pourras dire avec vérité et sans orgueil: Je suis celui qui est.
Cette énigme signifie que, pour se régénérer moralement, il faut étudier, comprendre et réaliser la haute
kabbale.
Les trois chambres sont l'alliance de la vie physique, des aspirations religieuses et de la lumière
philosophique; les douze maîtres sont les grands révélateurs dont il faut comprendre les symboles; la
signature des sept esprits, c'est l'initiation au grand arcane, etc., etc. Tout ceci est donc allégorique, et il ne
s'agit pas plus de faire bâtir en réalité une maison à trois étages, qu'il ne s'agit dans la maçonnerie de bâtir
un temple à Jérusalem.
Pour y arriver il faut, toujours suivant les prescriptions occultes du grand Cophte:
Faire tous les cinquante ans une retraite de quarante jours en manière de jubilé, durant la pleine lune de
mai.
Jeûner pendant quarante jours, buvant la rosée de mai, recueillie sur les blés en herbe avec un linge de lin
pur et blanc, mangeant des herbes tendres et nouvelles.
[433]
Commençant le repas par un grand verre de rosée et le finissant par un biscuit ou une simple croûte de pain.
Le dix-septième jour, saignée légère.
Prendre six gouttes de baume d'azoth le matin et six le soir, augmenter de deux gouttes par jour jusqu'au
trente-deuxième.
Renouveler alors la petite émission de sang au crépuscule du matin, dormir ensuite et rester au lit jusqu'à la
fin de la quarantaine.
On éprouvera un évanouissement qui doit durer trois heures, puis des convulsions, des transpirations et des
évacuations considérables, on changera ensuite de linge et de lit.
Il faut ensuite prendre un consommé de boeuf sans graisse, assaisonné avec de la rue, de la sauge, de la
valériane, de la verveine et de la mélisse.
Le jour suivant, second grain de médecine universelle, c'est-à-dire, de mercure astral combiné avec le
soufre d'or.
C'est au moyen de ce régime jubilaire, que Cagliostro prétendait avoir vécu lui-même plusieurs siècles.
C'était, comme on le voit, une nouvelle préparation du fameux bain d'immortalité des gnostiques
ménandriens. Cagliostro y croyait-il sérieusement?
Devant ses juges il montra beaucoup de fermeté et de présence d'esprit, il se déclara catholique, et dit qu'il
honorait dans le pape le chef suprême de la hiérarchie religieuse. Sur les questions relatives aux sciences
occultes, il répondit d'une manière énigmatique, et comme on lui disait que ses réponses étaient absurdes et
inintelligibles: Comment pouvez-vous savoir qu'elles sont absurdes, répondit-il, si vous les trouvez
inintelligibles? Les juges se fâchèrent et lui demandèrent brusquement les noms des péchés capitaux:
Cagliostro nomma la luxure, l'avarice, l'envie, la gourmandise et la paresse.--Vous oubliez l'orgueil et la
colère, lui dit-on.--Pardonnez-moi, reprit l'accusé, je ne les oublie pas, mais je ne voulais pas les nommer
devant vous par respect et de peur de vous offenser. On le condamna à mort: puis la peine fut commuée en
une détention perpétuelle. Dans sa prison, Cagliostro demanda à se confesser et désigna lui-même le prêtre,
c'était un homme à peu près de sa tournure et de sa taille. Le confesseur entra et au bout de quelque temps
on le vit ressortir; quelques heures après, le geôlier en entrant dans la prison du condamné y trouva le
cadavre
[435]
d'un homme étranglé, ce cadavre défiguré était couvert des habits de Cagliostro; on ne revit jamais le
prêtre.
Des amateurs du merveilleux assurent que le grand Cophte est actuellement en Amérique, et qu'il y est le
pontife suprême et invisible des croyants aux esprits frappeurs.
CHAPITRE III.
PROPHÉTIES DE CAZOTTE.
L'école des philosophes inconnus fondée par Pasqualis Martinez et continuée par Saint-Martin, semble
avoir renfermé les derniers adeptes de la véritable initiation. Saint Martin connaissait la clef ancienne du
tarot, c'est-à-dire le mystère des alphabets sacrés et des hiéroglyphes hiératiques; il a laissé plusieurs
pantacles fort curieux qui n'ont jamais été gravés et dont nous possédons des copies. L'un de ces pantacles
est la clef traditionnelle du grand oeuvre, et Saint-Martin le nomme la clef de l'enfer, parce que c'est la clef
des richesses; les martinistes parmi les illuminés furent les derniers chrétiens, et ils furent les initiateurs du
fameux Cazotte.
Nous avons dit qu'au XVIIIe siècle une scission s'était faite dans l'illuminisme: les uns, conservateurs des
traditions de la
[436]
nature et de la science, voulaient restaurer la hiérarchie; les autres, au contraire, voulaient tout niveler en
révélant le grand arcane, qui rendrait impossibles dans le monde la royauté et le sacerdoce. Parmi ces
derniers, les uns étaient des ambitieux et des scélérats, qui espéraient trôner sur les débris du monde; les
autres étaient des dupes et des niais.
Les vrais initiés voyaient avec épouvante la société lancée ainsi vers le précipice, et prévoyaient toutes les
horreurs de l'anarchie. Cette révolution qui plus tard devait apparaître au génie mourant de Vergniaud sous
la sombre figure de Saturne dévorant ses enfants, se dressait déjà tout armée dans les rêves prophétiques de
Cazotte. Un soir qu'il se trouvait au milieu des instruments aveugles du jacobinisme futur, il leur prédit, à
tous, leur destinée: aux plus forts et aux plus faibles, l'échafaud; aux plus enthousiastes, le suicide; et sa
prophétie qui ne parut alors qu'une lugubre facétie fut pleinement réalisée 20. Cette prophétie n'était, en
effet, qu'un calcul des probabilités, et le calcul se trouva rigoureux, parce que les chances probables étaient
déjà changées en conséquences nécessaires. La Harpe que cette prédiction frappa d'étonnement plus tard, y
ajouta quelques détails pour la rendre plus merveilleuse, comme le nombre exact des coups de rasoir que
devait se donner un des convives, etc.
Note 20: (retour) Deleuze, Mémoire sur la faculté de précision, in-8, 1836.
Il faut pardonner un peu de cette licence poétique à tous les conteurs de choses extraordinaires; de pareils
ornements ne sont pas précisément des mensonges, c'est tout simplement de la poésie et du style.
[437]
Donner aux hommes naturellement inégaux une liberté absolue, c'est organiser la guerre sociale; et lorsque
ceux qui doivent contenir les instincts féroces des multitudes ont la folie de les déchaîner, il ne faut pas être
un profond magicien pour voir qu'ils seront dévorés les premiers, puisque les convoitises animales s'entre-
déchireront jusqu'à la venue d'un chasseur audacieux et habile qui en finira par des coups de fusil ou par un
seul coup de filet. Cazotte avait prévu Marat, Marat prévoyait une réaction et un dictateur.
Cazotte avait débuté dans le monde par quelques opuscules de littérature frivole, et on raconte qu'il dut son
initiation à la publication d'un de ses romans intitulé le Diable amoureux. Ce roman, en effet, est plein
d'intuitions magiques, et la plus grande des épreuves de la vie, celle de l'amour, y est montrée sous le
véritable jour de la doctrine des adeptes.
L'amour physique en effet, cette passion délirante, cette folie invincible pour ceux qui sont les jouets de
l'imagination, n'est qu'une séduction de la mort qui veut renouveler sa moisson par la naissance. La Vénus
physique, c'est la mort fardée et habillée en courtisane; l'amour est destructeur, comme sa mère, il recrute
des victimes pour elle. Quand la courtisane est rassasiée, la mort se démasque et demande sa proie à son
tour. Voilà pourquoi l'Église qui sauve la naissance par la sainteté du mariage, dévoile et prévient les
débauches de la mort en condamnant sans pitié tous les égarements de l'amour.
Si la femme aimée n'est pas un ange qui s'immortalise par les sacrifices du devoir dans les bras de celui
qu'elle aime, c'est
[438]
une stryge qui l'énerve, l'épuise et le fait mourir, en se montrant enfin à lui dans toute la hideur de son
égoïsme brutal. Malheur aux victimes du diable amoureux! Malheur à ceux qui se laissent prendre aux
flatteries lascives de Biondetta! bientôt le gracieux visage de la jeune fille se changera pour eux en cette
affreuse tête de chameau qui apparaît si tragiquement au bout du roman de Cazotte.
Il y a dans les enfers, disent les kabbalistes, deux reines des stryges: l'une, c'est Lilith la mère des
avortements, et l'autre, c'est Nahéma, la fatale et meurtrière beauté. Quand un homme est infidèle à l'épouse
que lui destinait le ciel, lorsqu'il se voue aux égarements d'une passion stérile, Dieu lui reprend son épouse
légitime et sainte pour le livrer aux embrassements de Nahéma. Cette reine des stryges sait se montrer avec
tous les charmes de la virginité et de l'amour: elle détourne le coeur des pères et les engage à l'abandon de
leurs devoirs et de leurs enfants; elle pousse les hommes mariés au veuvage, et force à un mariage sacrilége
les hommes consacrés à Dieu. Lorsqu'elle usurpe le titre d'épouse, il est facile de la reconnaître: le jour de
son mariage elle est chauve, car la chevelure de la femme étant le voile de la pudeur, lui est interdite pour
ce jour-là; puis après le mariage, elle affecte le désespoir et le dégoût de l'existence, prêche le suicide, et
quitte enfin avec violence celui qui lui résiste en le laissant marqué d'une étoile infernale entre les deux
yeux.
Nahéma peut devenir mère, disent-ils encore, mais elle n'élève jamais ses enfants; elle les donne à dévorer à
Lilith, sa funeste soeur.
Ces allégories kabbalistiques qu'on peut lire dans le livre
[439]
hébreu de la Révolution des âmes, dans le Dictionnaire kabbalistique du Sohar, et dans les Commentaires
des Talmudistes sur le Sota, semblent avoir été connues ou devinées par l'auteur du Diable amoureux; aussi
assure-t-on qu'après la publication de cet ouvrage, il reçut la visite d'un personnage inconnu, enveloppé
d'un manteau à la manière des francs-juges. Ce personnage lui fit des signes que Cazotte ne comprit pas,
puis enfin il lui demanda si réellement il n'était pas initié. Sur la réponse négative de Cazotte, l'inconnu prit
une physionomie moins sombre, et lui dit: Je vois que vous n'êtes pas un dépositaire infidèle de nos secrets,
mais un vase d'élection pour la science. Voulez-vous commander réellement aux passions humaines et aux
esprits impurs? Cazotte était curieux, une longue conversation s'ensuivit, elle fut le préliminaire de
plusieurs autres, et l'auteur du Diable amoureux fut réellement initié. Son initiation devait en faire un
partisan dévoué de l'ordre et un ennemi dangereux pour les anarchistes, et, en effet, nous avons vu qu'il est
question d'une montagne sur laquelle on s'élève pour se régénérer suivant les symboles de Cagliostro, mais
cette montagne est blanche de lumière comme le Thabor, ou rouge de feu et de sang comme le Sinaï et le
Calvaire. Il y a deux synthèses chromatiques, dit le Sohar: la blanche, qui est celle de l'harmonie et de la vie
morale; la rouge, qui est celle de la guerre et de la vie matérielle: la couleur du jour et celle du sang. Les
Jacobins voulaient élever l'étendard du sang, et leur autel s'élevait déjà sur la montagne rouge. Cazotte
s'était rangé sous l'étendard de la lumière, et son tabernacle mystique était
[440]
posé sur la montagne blanche. La montagne sanglante triompha un moment, et Cazotte fut proscrit. Il avait
une fille, une héroïque enfant, qui le sauva au massacre de l'Abbaye. Mademoiselle Cazotte n'avait pas de
particule nobiliaire devant son nom, et ce fut ce qui la sauva de ce toast d'une horrible fraternité, par lequel
s'immortalisa la piété filiale de mademoiselle de Sombreuil, cette noble fille qui, pour se disculper d'être
une fille noble, dut boire la grâce de son père dans le verre sanglant des égorgeurs!
Cazotte avait prophétisé sa propre mort parce que sa conscience l'engageait à lutter jusqu'à la mort contre
l'anarchie. Il continua donc d'obéir à sa conscience, fut arrêté de nouveau et parut devant le tribunal
révolutionnaire; il était condamné d'avance. Le président, après avoir prononcé son arrêt, lui fit une
allocution étrange, pleine d'estime et de regret: il l'engageait à être jusqu'au bout digne de lui-même et à
mourir en homme de coeur comme il avait vécu. La révolution, même au tribunal, était une guerre civile et
les frères se saluaient avant de se donner la mort. C'est que des deux côtés il y avait des convictions
sincères et par conséquent respectables. Celui qui meurt pour ce qu'il croit la vérité, est un héros, même
lorsqu'il se trompe, et les anarchistes de la montagne sanglante ne furent pas seulement hardis pour envoyer
les autres à l'échafaud, ils y montèrent eux-mêmes sans pâlir: que Dieu et la postérité soient leurs juges!
[441]
CHAPITRE IV.
RÉVOLUTION FRANÇAISE.
Il y avait eu dans le monde un homme profondément indigné de se sentir lâche et vicieux, et qui s'en prenait
de sa honte mal dévorée à la société tout entière. Cet homme était l'amant malheureux de la nature, et la
nature, dans sa colère, l'avait armé d'éloquence comme d'un fléau. Il osa plaider contre la science la cause
de l'ignorance, contre la civilisation celle de la barbarie, contre toutes les hauteurs sociales en un mot celle
de toutes les bassesses. Le peuple par instinct lapida cet insensé, mais les grands l'accueillirent, les femmes
le mirent à la mode, il obtint tant de succès que sa haine contre l'humanité s'en augmenta et qu'il finit par se
tuer de colère et de dégoût. Après sa mort, le monde s'ébranla pour se retourner en réalisation des rêves de
Jean-Jacques Rousseau, et les conspirateurs qui, depuis la mort de Jacques de Molai, avaient juré la ruine
de l'édifice social, établirent rue Platrière, dans la maison même où Jean-Jacques avait demeuré, une loge
inaugurée sous les auspices du fanatique de Genève. Cette loge devint le centre du mouvement
révolutionnaire, et un prince du sang royal vint y jurer la perte des successeurs de Philippe le Bel, sur le
tombeau de Jacques de Molai.
[442]
Ce fut la noblesse du XVIIIe siècle qui corrompit le peuple; les grands, à cette époque, étaient pris d'une
furie d'égalité qui avait commencé avec les orgies de la régence; on s'encanaillait alors par plaisir, et la cour
s'amusait à parler le jargon des halles. Les registres de l'ordre des templiers attestent que le régent était
grand maître de cette redoutable société secrète, et qu'il eut pour successeur le duc du Maine, les princes de
Bourbon-Condé et de Bourbon-Conti, et le duc de Cossé-Brissac. Cagliostro avait rallié dans son rite
égyptien les auxiliaires du second ordre: tout s'empressait d'obéir à cette impulsion secrète et irrésistible qui
pousse vers leur destruction les civilisations en décadence. Les événements ne se firent pas attendre, ils
vinrent tels que Cazotte les avait prévus, ils se précipitèrent poussés par une main invisible. Le malheureux
Louis XVI était conseillé par ses plus mortels ennemis; ils arrangèrent et firent échouer le malheureux
projet d'évasion qui amena la catastrophe de Varennes, comme ils avaient fait l'orgie de Versailles, comme
ils commandèrent le carnage du 10 août; partout ils avaient compromis le roi, partout ils le sauvèrent de la
fureur du peuple, pour exaspérer cette fureur et amener l'événement qu'ils préparaient depuis des siècles;
c'était un échafaud qu'il fallait à la vengeance des templiers!
Sous la pression de la guerre civile, l'assemblée nationale déclara le roi suspendu de ses pouvoirs, et lui
assigna pour résidence le palais du Luxembourg, mais une autre assemblée plus secrète en avait décidé
autrement. La résidence du roi déchu, ce devait être une prison, et cette prison ne pouvait être que l'ancien
palais des templiers, resté debout avec son donjon et
[443]
ses tourelles, pour attendre ce prisonnier royal promis à d'inexorables souvenirs.
Le roi était au Temple et l'élite du clergé français était en exil ou à l'Abbaye. Le canon tonnait sur le Pont-
Neuf, et des écriteaux menaçants proclamaient la patrie en danger. Alors des hommes inconnus
organisèrent le massacre. Un personnage hideux, gigantesque, à longue barbe, était partout où il y avait des
prêtres à égorger. Tiens, leur disait-il avec un ricannement sauvage, voila pour les Albigeois et les Vaudois!
tiens, voilà pour les templiers! voilà pour la Saint-Barthélémy! voilà pour les proscrits des Cévennes; et il
frappait avec rage, et il frappait toujours avec le sabre, avec le couperet, avec la massue. Les armes se
brisaient et se renouvelaient dans ses mains, il était rouge de sang, de la tête aux pieds, sa barbe en était
toute collée, et il jurait avec des blasphèmes épouvantables qu'il ne la laverait qu'avec du sang.
Ce fut cet homme qui proposa un toast à la nation, à l'angélique mademoiselle de Sombreuil.
Un autre ange priait et pleurait dans la tour du Temple, en offrant à Dieu ses douleurs et celles de deux
enfants, pour obtenir de lui le pardon de la royauté et de la France. Pour expier les folles joies des
Pompadour et des Dubarry, il fallait toutes les souffrances et toutes les larmes de cette vierge-martyre, la
sainte madame Élisabeth.
Le jacobinisme était déjà nommé avant qu'on n'eût choisi l'ancienne église des Jacobins pour y réunir les
chefs de la conjuration; ce nom vient de celui de Jacques, nom fatal et
[444]
prédestiné aux révolutions. Les exterminateurs en France ont toujours été appelés les Jacques; le philosophe
dont la fatale célébrité prépara de nouvelles jacqueries et servit aux projets sanglants des conspirateurs
joannites se nommait Jean-Jacques, et les moteurs occultes de la révolution française avaient juré le
renversement du trône et de l'autel sur le tombeau de Jacques de Molai.
Après la mort de Louis XVI, au moment même où il venait d'expirer sous la hache de la révolution,
l'homme à la longue barbe, ce juif errant du meurtre et de la vengeance, monta sur l'échafaud devant la
foule épouvantée, il prit du sang royal plein ses deux mains et les secouant sur la tête du peuple, il cria
d'une voix terrible: «Peuple français, je te baptise au nom de Jacques et de la liberté 21!»
Note 21: (retour) Prudhomme, dans son journal, rapporte autrement les paroles de cet homme. Nous tenons
celles que nous donnons ici d'un vieillard qui les a entendues.
La moitié de l'oeuvre était faite, et c'était désormais contre le pape que l'armée du Temple devait diriger
tous ses efforts.
La spoliation des églises, la profanation des choses sacrées, des processions dérisoires, l'inauguration du
culte de la raison dans la métropole de Paris, furent le signal de cette guerre nouvelle. Le pape fut brûlé en
effigie au Palais-Royal, et bientôt les armées de la république se disposèrent à marcher sur Rome.
Jacques de Molai et ses compagnons étaient peut-être des martyrs, mais leurs vengeurs ont déshonoré leur
mémoire. La royauté se régénéra sur l'échafaud de Louis XVI, l'Église triompha dans la
[445]
captivité de Pie VI, traîné prisonnier à Valence et mourant de fatigue et de douleurs, mais les indignes
successeurs des anciens chevaliers du Temple périrent tous ensevelis dans leur funeste victoire.
Il y avait eu dans l'état ecclésiastique de grands abus et de grands scandales entraînés par le malheur des
grandes richesses; les richesses disparurent et on vit revenir les grandes vertus. Ces désastres temporels et
ce triomphe spirituel avaient été prédits dans l'Apocalypse de saint Méthodius, dont nous avons déjà parlé.
Nous possédons de ce livre un exemplaire en lettres gothiques, imprimé en 1527, et orné des plus
étonnantes figures: on y voit d'abord des prêtres indignes jetant les choses saintes aux pourceaux, puis le
peuple révolté assassinant les prêtres et leur brisant les vases sacrés sur la tête; on y voit d'abord le pape
prisonnier des hommes de guerre, puis un chevalier couronné qui d'une main relève l'étendard de la France
et étend de l'autre son épée sur l'Italie; on y voit deux aigles et un coq qui porte une couronne sur la tête et
une double fleur de lys sur la poitrine; on y voit le second aigle qui fait alliance avec les griffons et les
licornes pour chasser le vautour de son aire, et bien d'autres choses étonnantes. Ce livre singulier n'est
comparable qu'à une édition illustrée des prophéties de l'abbé Joachim (de Calabre), où l'on voit les
portraits de tous les papes à venir avec les signes allégoriques de leur règne jusqu'à la venue de l'Antéchrist.
Chroniques étranges de l'avenir raconté comme le passé et qui feraient croire à une succession de mondes
où les événements se renouvellent, en sorte que la prévision des choses futures ne serait que l'évocation des
reflets perdus du passé!
[446]
CHAPITRE V.
PHÉNOMÈNES DE MÉDIOMANIE.
En 1772, un habitant de Saint-Mandé nommé Loiseaut, étant à l'église, crut voir à genoux près de lui un
fort singulier personnage: c'était un homme tout basané et qui portait pour tout vêtement un caleçon de
laine grossière. Cet homme avait la barbe longue, les cheveux crépus et autour du cou une cicatrice
vermeille et circulaire, il portait un livre sur lequel était tracée en lettres d'or cette inscription: Ecce Agnus
Dei.
Loiseaut s'étonna fort en voyant que cette étrange figure n'était remarquée de personne, il acheva sa prière
et revint chez lui; là il trouva le même personnage qui l'attendait, il s'avança pour lui parler et lui demanda
qui il était et ce qu'il voulait, mais le visiteur fantastique avait tout à coup disparu. Loiseaut se mit au lit
avec la fièvre et ne put s'endormir; la nuit il vit tout à coup sa chambre éclairée par une lueur rougeâtre, il
crut à un incendie et se leva brusquement sur son séant, alors au milieu de la chambre, sur sa table, il vit un
plat doré et dans ce plat toute baignée de sang la tête de son visiteur de la veille. Cette tête était entourée
d'une auréole rouge, elle roulait les yeux d'une manière terrible, et ouvrant la bouche comme pour crier, elle
dit d'une voix étranglée et sifflante:
[447]
J'attends les têtes des rois et celles des courtisannes des rois, j'attends Hérode et Hérodiade; puis l'auréole
s'éteignit et le malade ne vit plus rien.
Quelques jours après il fut guéri et put retourner à ses affaires. Comme il traversait la place Louis XV, il fut
abordé par un pauvre qui lui demanda l'aumône, Loiseaut sans le regarder tira une pièce de monnaie et la
jeta dans le chapeau de l'inconnu: Merci, lui dit cet homme, c'est une tête de roi, mais ici, ajoute-t-il en
étendant la main et en montrant le milieu de la place, ici il en tombera une autre, et c'est celle-là que
j'attends. Loiseaut alors regarda le pauvre avec surprise et jeta un cri en reconnaissant l'étrange figure de sa
vision.--«Tais-toi, lui dit le mendiant, on te prendrait pour un fou, car personne ici ne peut me voir excepté
toi. Tu m'as reconnu, je le vois, je suis en effet saint Jean-Baptiste le précurseur, et je viens t'annoncer le
châtiment des successeurs d'Hérode et des héritiers de Caïphe, tu peux répéter tout ce que je te dirai.»
Depuis cette époque, Loiseaut croyait voir presque tous les jours saint Jean-Baptiste près de lui. La vision
lui parlait longuement des malheurs qui allaient tomber sur la France et sur l'Église.
Loiseaut raconta sa vision à quelques personnes qui en furent frappées et qui devinrent visionnaires comme
lui. Ils formèrent ensemble une société mystique qui se réunissait en grand secret; les membres de cette
association se plaçaient en cercle en se tenant la main et attendaient les communications en silence; ils
attendaient souvent plusieurs heures, puis la figure de saint Jean apparaissait au milieu d'eux; ils tombaient
tous ensemble ou successivement dans le sommeil magnétique et voyaient se dérouler
[448]
sous leurs yeux les scènes futures de la révolution et de la restauration future.
Le directeur spirituel de cette secte ou de ce cercle était un religieux nommé dom Gerle, il en devint le chef
à la mort de Loiseaut arrivée en 1788, puis à l'époque de la révolution, ayant été gagné par l'enthousiasme
républicain, il fut rejeté par les autres sectaires qui suivirent en cela les inspirations de leur principale
somnambule qu'ils nommaient la soeur Françoise André.
Dom Gerle avait aussi sa somnambule et il vint exercer dans une mansarde de Paris le métier alors nouveau
de magnétiseur; la voyante était une vieille femme presque aveugle nommée Catherine Théot, elle fit des
prédictions qui se réalisèrent, elle guérit plusieurs malades, et comme les prophéties avaient toujours
quelque chose de politique, la police du Comité de salut public ne tarda pas à s'en préoccuper.
Un soir, Catherine Théot entourée de ses adeptes était en extase: «Écoutez, disait-elle, j'entends le bruit de
ses pas, c'est l'élu mystérieux de la Providence, c'est l'ange de la révolution; c'est celui qui en sera le
sauveur et la victime, c'est le roi des ruines et de la régénération, le voyez-vous? Il approche: lui aussi, il a
le front ceint de l'auréole sanglante du précurseur; c'est lui qui portera tous les crimes de ceux qui vont le
faire mourir. Oh! que tes destinées sont grandes, toi qui vas fermer l'abîme en y tombant! Le voyez-vous
paré comme pour une fête, il tient à la main des fleurs... ce sont les couronnes de son martyre...» Puis
s'attendrissant et fondant en larmes: «Qu'elles
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ont été cruelles tes épreuves, ô mon fils, s'écria-t-elle, et combien d'ingrats maudiront ta mémoire à travers
les âges! Levez-vous! levez-vous! et inclinez-vous, le voici! c'est le roi... c'est le roi des sanglants
sacrifices.
A ce moment la porte s'ouvrit sans bruit, et un homme, le chapeau rabattu sur les yeux et enveloppé d'un
manteau, entra dans la chambre; l'assemblée se leva, Catherine Théot étendit vers le nouveau venu ses
mains tremblantes: «Je savais que tu devais venir, dit-elle, et je t'attendais; celui que tu ne vois pas et que je
vois à ma droite t'a montré à moi aujourd'hui, lorsqu'un rapport t'a été remis contre nous: on nous accusait
de conspirer pour le roi, et en effet j'ai parlé d'un roi, d'un roi dont le précurseur me montre en ce moment la
couronne teinte de sang, et sais-tu sur quelle tête elle est suspendue? Sur la tienne, Maximilien!»
A ce nom l'inconnu tressaillit comme si un fer rouge l'eût mordu à la poitrine, il jeta autour de lui un regard
rapide et inquiet, puis reprenant une contenance impassible:
--Que voulez-vous dire? murmura-t-il, d'une voix brève et saccadée, je ne vous comprends pas.
--Je veux dire, reprit Catherine Théot, qu'il fera un beau soleil ce jour-là et qu'un homme vêtu de bleu et
tenant en main un sceptre de fleurs, sera un instant le roi et le sauveur du monde; je veux dire que tu seras
grand comme Moïse et comme Orphée, lorsque, mettant le pied sur la tête du monstre prêt à te dévorer, tu
diras aux bourreaux et aux victimes qu'il existe un Dieu. Cesse de le cacher, Robespierre, et montre-nous
sans pâlir cette tête courageuse que Dieu va jeter dans le plateau
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vide de sa balance. La tête de Louis XVI est lourde, et la tienne seule en peut équilibrer le poids.
--Est-ce une menace, dit froidement Robespierre en laissant tomber son manteau, et croit-on par cette
jonglerie étonner mon patriotisme et influencer ma conscience? Prétendez-vous, par des menaces
fanatiques et des radotages de vieilles femmes, surprendre mes résolutions, comme vous avez épié mes
démarches? Vous m'attendiez, à ce qu'il me paraît, et malheur à vous de m'avoir attendu! car, puisque vous
forcez le curieux, le visiteur inconnu, l'observateur à être Maximilien Robespierre, représentant du peuple,
comme représentant du peuple, je vous dénonce au Comité de salut public et je ferai procéder à votre
arrestation.
Ayant dit ces mots, Robespierre rejeta son manteau autour de sa tête poudrée, et marcha avec roideur vers
la porte, personne n'osa ni le retenir, ni lui adresser la parole. Catherine Théot joignait les mains et disait:
Respectez ses volontés, il est roi et pontife de l'ère nouvelle; s'il nous frappe, c'est que Dieu veut nous
frapper: tendons la gorge au couteau de la Providence.
Les initiés de Catherine Théot attendirent toute la nuit qu'on vînt les arrêter, personne ne parut; ils se
séparèrent pendant la journée suivante; deux autres jours et deux autres nuits se passèrent pendant lesquels
les membres de la secte ne cherchèrent pas à se cacher. Le cinquième jour, Catherine Théot et ceux qu'on
appelait ses complices, furent dénoncés aux Jacobins par un ennemi secret de Robespierre, qui insinua
adroitement aux auditeurs des doutes contre le tribun. On parlait de dictature,
[451]
le nom de roi avait même était prononcé. Robespierre le savait et comment le tolérait-il? Robespierre
haussa les épaules, mais le lendemain, Catherine Théot, dom Gerle et quelques autres furent arrêtés et
envoyés dans ces prisons qui ne s'ouvraient plus, une fois qu'on y était entré, que pour fournir la tâche
quotidienne du bourreau.
L'histoire de l'entrevue de Robespierre avec Catherine Théot transpira au dehors on ne sait comment. Déjà
la contre-police des futurs thermidoriens épiait le dictateur présumé et on l'accusait de mysticisme, parce
qu'il croyait en Dieu. Robespierre n'était pourtant ni l'ami, ni l'ennemi de la secte des nouveaux joannites; il
était venu chez Catherine pour observer des phénomènes; mécontent d'avoir été reconnu, il sortit en
proférant des menaces qu'il ne réalisa pas, et ceux qui transformèrent en conspiration les conventicules du
vieux moine et de la vieille béate avaient espéré faire sortir de ce procès un doute ou du moins un ridicule
qui s'attacherait à la réputation de l'incorruptible Maximilien.
La prophétie de Catherine Théot eut son accomplissement par l'inauguration du culte de l'Être suprême et la
réaction rapide de thermidor.
Pendant ce temps, la secte qui s'était ralliée à la soeur André, dont un sieur Ducy écrivait les révélations,
continuait ses visions et ses miracles. Leur idée fixe était la conservation de la légitimité par le règne futur
de Louis XVII: plusieurs fois ils sauvèrent en rêve le pauvre petit orphelin du Temple, et crurent réellement
l'avoir sauvé; d'anciennes prophéties promettaient le trône des lys à un jeune homme autrefois captif. Sainte
Brigitte, sainte Hildegarde, Bernard Tollard,
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Lichtemberger, annonçaient tous une restauration miraculeuse après de grands désastres. Les néo-joannites
furent les interprètes et les continuateurs de ces prédictions, jamais les Louis XVII ne leur manquèrent, et
ils en eurent successivement sept ou huit, tous parfaitement authentiques et non moins parfaitement
conservés; c'est aux influences de cette secte que nous avons dû depuis les révélations du paysan Martin (de
Gallardon) et les prodiges de Vintras.
Dans ce cercle magnétique comme dans les assemblées de quakers ou des trembleurs de la Grande-
Bretagne, l'enthousiasme était contagieux et se transmettait de frère en frère. Après la mort de la soeur
André, la seconde vue et la faculté de prophétiser furent le partage d'un nommé Legros, qui était à
Charenton lorsque Martin y fut mis provisoirement. Il reconnut un frère dans le paysan beauceron, qu'il
n'avait jamais vu. Tous ces sectaires, à force de vouloir Louis XVII, le créaient en quelque sorte, c'est-à-
dire qu'ils évoquaient de telles hallucinations, que des médiums se faisaient à l'image et à la ressemblance
du type magnétique, et se croyant réellement l'enfant royal échappé du Temple, ils attiraient à eux tous les
reflets de cette douce et frêle victime, et se souvenaient de circonstances connues seulement de la famille
de Louis XVI. Ce phénomène, quelque incroyable qu'il paraisse, n'est ni impossible, ni inouï. Paracelse
assure que si, par un effort extraordinaire de volonté, on pouvait se figurer qu'on est une personne autre que
soi-même, on saurait aussitôt la plus secrète pensée de cette autre personne et on attirerait à soi ses plus
intimes souvenirs. Souvent après un entretien qui nous a mis en rapport
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d'imagination avec notre interlocuteur, nous rêvons en dormant des réminiscences inédites de sa vie. Parmi
les faux Louis XVII, il faut donc en reconnaître quelques-uns qui n'étaient pas des imposteurs, mais des
hallucinés, et parmi ces derniers, il faut distinguer un Genevois, nommé Naundorff, visionnaire comme
Swedenborg, et d'une conviction si contagieuse que d'anciens serviteurs de la famille royale l'ont reconnu et
se sont jetés à ses pieds en pleurant: il portait sur lui les signes particuliers et les cicatrices de Louis XVII; il
racontait son enfance avec une vérité saisissante, entrait dans ces détails insignifiants, qui sont décisifs pour
les souvenirs intimes. Ses traits mêmes étaient ceux qu'aurait eus l'orphelin de Louis XVI, s'il avait vécu.
Une seule chose enfin lui manquait pour être vraiment Louis XVII, c'était de n'être pas Naundorff.
La puissance contagieuse du magnétisme de cet halluciné était telle, que sa mort ne détrompa aucun des
croyants à son règne futur. Nous en avons vu un des plus convaincus, auquel nous objections timidement,
lorsqu'il parlait de la Restauration prochaine de ce qu'il appelait la vraie légitimité, que son Louis XVII était
mort.--Est-il donc plus difficile à Dieu de le ressusciter qu'il n'a été à nos pères de le sauver du Temple!
nous répondit-il avec un sourire si triomphant qu'il était presque dédaigneux. A cela nous n'avions rien à
répliquer, et force nous fut de nous incliner devant une pareille conviction.
[454]
CHAPITRE VI.
LES ILLUMINÉS D'ALLEMAGNE.
L'Allemagne est la terre natale du mysticisme métaphysique et des fantômes; fantôme elle-même de
l'ancien empire romain, elle semble toujours évoquer la grande ombre d'Hermann, en lui consacrant le
simulacre des aigles captives de Varus. Le patriotisme des jeunes Allemands est toujours celui des anciens
Germains: ils ne rêvent pas l'invasion des contrées riantes de l'Italie, ils ne l'acceptent tout au plus que
comme une revanche, mais ils mourraient mille fois pour la défense de leurs foyers: ils aiment leurs vieux
châteaux et leurs vieilles légendes des bords du Rhin; ils lisent patiemment les traités les plus obscurs de
leur philosophie, et voient dans les brumes de leur ciel et dans la fumée de leur pipe mille choses indicibles
qui les initient aux merveilles de l'autre monde.
Bien avant qu'on ne parlât en Amérique et en France de médiums et d'évocations, il y avait en Prusse des
illuminés et des voyants qui tenaient des conférences réglées avec les morts. Un grand seigneur avait fait
bâtir à Berlin une maison destinée aux évocations: le roi Frédéric-Guillaume était fort curieux de tous ces
mystères et s'enfermait souvent dans cette maison avec un adepte nommé Steinert; les impressions qu'il y
recevait produisaient en lui des sensations si vives, qu'il tombait en
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défaillance et ne revenait à lui que lorsqu'on lui donnait quelques gouttes d'un élixir magique analogue, à
celui de Cagliostro. On trouve dans une correspondance secrète sur les premiers temps du règne de ce
prince, citée par le marquis de Luchet dans sa Diatribe contre les illuminés, une description de la chambre
obscure où se faisaient les évocations: elle était carrée, séparée en deux par un voile transparent devant
lequel était placé le fourneau magique ou l'autel des parfums; derrière le voile était un piédestal sur lequel
se montrait l'esprit. Eckartshausen, dans son livre allemand sur la magie, décrit tout l'appareil de cette
fantasmagorie. C'est un système de machine et de procédés pour aider l'imagination à se créer les fantômes
qu'elle désire, et pour jeter les consultants dans une sorte de somnambulisme éveillé, assez semblable à la
surexcitation nerveuse produite par l'opium ou le haschich. Ceux qui se contenteront des explications
données par l'auteur que nous venons de citer ne verront dans les apparitions que des effets de lanterne
magique; il y a autre chose certainement, et la lanterne magique n'est dans cette affaire qu'un instrument
utile, mais non absolument nécessaire à la production du phénomène. On ne fait pas sortir des reflets d'un
verre de couleur des visages autrefois connus et qu'on évoque par la pensée; on ne fait pas parler les images
peintes d'une lanterne, et elles ne viennent pas répondre aux questions de la conscience. Le roi de Prusse, à
qui appartenait la maison, savait à merveille comment elle était machinée, et n'était pas dupe d'une
jonglerie, comme le prétend l'auteur de la correspondance secrète. Les moyens naturels
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préparaient et n'accomplissaient pas le prodige; il se passait là réellement des choses à étonner le plus
sceptique et à troubler le plus hardi. Schroepffer, d'ailleurs, n'employait ni la lanterne magique ni le voile,
mais il faisait boire à ses visiteurs un punch préparé par lui: les figures qu'il faisait apparaître étaient
comme celles du médium américain Home, à demi corporelles, et produisaient une sensation étrange à ceux
qui essayaient de les toucher. C'était quelque chose d'analogue à une commotion électrique qui faisait
frissonner l'épiderme, et l'on n'éprouvait rien si, avant de toucher à la vision, on avait eu soin de se mouiller
les mains. Schroepffer était de bonne foi, comme l'est aussi l'américain Home; il croyait à la réalité des
esprits qu'il évoquait et se tua lorsqu'il vint à en douter.
Lavaler, qui mourut aussi de mort violente, était entièrement adonné à l'évocation des esprits, il en avait
deux à ses ordres; il faisait partie d'un cercle où l'on se mettait en extase au moyen de l'harmonica, on
faisait alors la chaîne, et une espèce d'idiot servait d'interprète à l'esprit en écrivant sous son impulsion. Cet
esprit se donnait pour un kabbaliste juif mort avant la naissance de Jésus-Christ et fit écrire au médium des
choses tout à fait dignes des somnambules de Cahagnet 22, comme, par exemple, cette révélation sur les
peines de l'autre vie où l'esprit assure que l'âme de l'empereur François est
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condamnée dans l'autre monde à faire le compte et l'état exact de toutes les coquilles d'escargots qui
peuvent exister ou avoir existé dans tout l'univers. Il révéla aussi que les vrais noms des trois mages
n'étaient point, comme le disait la tradition des légendaires, Gaspar, Melchior et Balthasar, mais bien
Vrasapharmion, Melchisedech et Baleathrasaron; on croit lire des noms écrits par nos modernes tables
tournantes. L'esprit déclara en outre qu'il était lui même en pénitence pour avoir levé le glaive magique
contre son père, et qu'il était disposé à faire cadeau à ses amis de son portrait. Sur sa demande, on plaça
derrière un écran, du papier, des couleurs toutes préparées et des pinceaux; on vit alors se dessiner sur
l'écran la silhouette d'une petite main, et on entendit un petit frottement sur le papier; quand le bruit cessa,
tout le monde accourut, et l'on trouva un portrait grossièrement peint, représentant un vieux rabbin vêtu de
noir avec une fraise blanche tombant sur les épaules et une calotte noire sur le sommet de la tête, costume
un peu hétéroclite pour un personnage antérieur à Jésus-Christ; la peinture, d'ailleurs, était tachée et
incorrecte, et ressemblait beaucoup à l'oeuvre de quelque enfant qui se serait amusé à faire un coloriage les
yeux fermés.
Note 22: (retour) M. Cahagnet est auteur des ouvrages suivants: Arcanes de la vie future, 1848-1854, 3 vol.
gr. in-12; Lumière des morts, 1851, 1 vol. in-12; Magie magnétique, 2e édition, 1858,1 vol. in-12;
Sanctuaire du spiritualisme, 1850,1 vol in-12; Révélations d'outre-tombe, 1856, 1 vol. in-12, etc.
Les instructions écrites par la main du médium sous l'impulsion de Gablidone sont d'une obscurité qui
l'emporte sur celle de tous les métaphysiciens allemands.
--Il ne faut pas donner, dit-il, le nom de majesté à la légère; majesté vient de mage, parce que les mages,
étant pontifes et rois, étaient les majestés premières. Pécher mortellement, c'est offenser Dieu dans sa
majesté, c'est-à-dire le blesser comme père
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en jetant la mort dans les sources de la vie. La source du Père est lumière et vie, la source du Fils est sang et
eau, la lumière du Saint-Esprit est feu et or. On pèche contre le Père par le mensonge, contre le Fils par la
haine, et contre le Saint-Esprit par la débauche qui est oeuvre de mort et de destruction. Le bon Lavater
recevait ces communications comme des oracles, et lorsqu'il demandait à l'esprit quelques éclaircissements
nouveaux: «Le grand initiateur viendra, répondait Gablidone, il naîtra avec le siècle prochain: alors la
religion des patriarches sera connue sur notre globe. Il expliquera au monde le trigramme d'Agion, Hélion,
Tetragrammaton et le Seigneur dont le corps est ceint d'un triangle apparaîtra sur la quatrième marche de
l'autel; l'angle suprême sera rouge et la devise mystérieuse du triangle sera: Venite ad patres osphal.--Que
veut dire le mot osphal? demanda un des assistants à l'esprit. Le médium écrivit ces trois mots: Alphos, M:
Aphon, Eliphismatis, sans donner d'autres explications; quelques interprètes en conclurent que le mage
promis au XIXe siècle se nommerait Maphon fils d'Éliphisma: c'était une explication peut-être un peu
risquée.
Rien n'est plus dangereux que le mysticisme, parce qu'il produit la folie qui déjoue toutes les combinaisons
de la sagesse humaine. Ce sont toujours des fous qui bouleversent le monde, et ce que les grands politiques
ne prévoient jamais, ce sont les coups de tête et les coups de main des insensés. L'architecte du temple de
Diane à Éphèse, en se promettant une gloire éternelle, avait compté sans Érostrate.
Carl Sand qui tua Kotzebue, était aussi un malheureux enfant perdu de mysticisme, égaré par les sociétés
secrètes où l'on jurait la vengeance sur des poignards. Kotzebue méritait peut-être des soufflets, le couteau
de Sand le réhabilita et en fit un martyr: il est beau, en effet, de mourir l'ennemi et la victime de ceux qui se
vengent par le guet-apens et par l'assassinat! Les sociétés secrètes de l'Allemagne avaient des
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cérémonies et des rites qui se rapportaient plus ou moins à ceux de l'ancienne magie; dans la société des
mopses, par exemple, on renouvelait avec des formes adoucies et presque plaisantes la célébration des
mystères du sabbat et de la réception secrète des templiers. Le bouc baphométique était remplacé par un
chien, c'était Hermanubis au lieu de Pau; la science à la place de la nature, substitution équivalente,
puisqu'on ne connaît la nature que par la science. Les deux sexes étaient admis chez les mopses comme au
sabbat; la réception était accompagnée d'aboiements et de grimaces, et, comme chez les templiers, on
proposait au récipiendaire de baiser à son choix le derrière du diable, celui du grand maître ou celui du
mopse; le mopse était, comme nous venons de le dire, une petite figure de carton recouverte de soie,
représentant un chien, nommé mops en allemand. On devait en effet, avant d'être reçu, baiser le derrière du
mopse, comme on baisait celui du bouc Mendès, dans les initiations du sabbat. Les mopses ne s'engageaient
pas les uns aux autres par des serments, ils donnaient simplement leur parole d'honneur, ce qui est le
serment le plus sacré des honnêtes gens; leurs réunions se passaient comme celles du sabbat, en danses et
en festins, seulement, les dames restaient vêtues, ne pendaient pas de chats vivants à leurs ceintures et ne
mangeaient pas de petits enfants: c'était un sabbat civilisé.
Le sabbat eut en Allemagne son grand poëte et la magie son épopée: cette épopée, c'est le drame
gigantesque de Faust, cette Babel achevée du génie humain. Goethe était initié à tous les mystères de la
magie philosophique, il avait même pratiqué dans
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sa jeunesse la magie cérémonielle, et le résultat de ces tentatives audacieuses avait été pour lui d'abord un
profond dégoût de la vie et une violente envie de mourir. Il accomplit en effet son suicide, non pas dans un
acte, mais dans un livre: il fit le roman de Verther, ce fatal ouvrage qui prêche la mort et qui a fait tant de
prosélytes; puis, victorieux enfin du découragement et du dégoût, arrivé aux régions sereines de la vérité et
de la paix, il écrivit Faust. Faust est le magnifique commentaire d'une des plus belles pages de l'Évangile, la
parabole de l'enfant prodigue. C'est l'initiation au péché par la science insoumise, à la douleur par le péché;
à l'expiation et à la science harmonieuse par la douleur. Le génie humain, représenté par Faust, prend pour
valet l'esprit du mal, qui aspire à devenir son maître, il épuise vite tout ce que l'imagination met de joie dans
les amours illégitimes, il traverse les orgies de la folie, puis, attiré par le charme de la souveraine beauté, il
se relève du fond de ses désenchantements pour monter sur les hauteurs de l'abstraction et de l'idéal
impérissable, là, Méphistophélès n'est plus à l'aise, le rieur implacable devient triste, Voltaire fait place à
Chateaubriand; à mesure que la lumière se fait, l'ange des ténèbres se tord sur lui-même et se tourmente, les
anges l'enchaînent, il les admire malgré lui, il aime, il pleure, il est vaincu.
Dans la première partie du drame, nous avions vu Faust séparé violemment de Marguerite, et des voix du
ciel avaient crié: Elle est sauvée, pendant qu'on la menait au supplice; mais Faust peut-il être perdu,
puisqu'il est toujours aimé de Marguerite, son coeur n'est-il pas déjà fiancé au ciel! Le grand oeuvre de la
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rédemption par la solidarité s'accomplit. La victime serait-elle jamais consolée de ses tortures, si elle ne
convertissait son bourreau? Le pardon n'est-il pas la vengeance des enfants du ciel? L'amour qui était arrivé
au ciel le premier, attire à lui la science par sympathie; le christianisme se révèle dans son admirable
synthèse. La nouvelle Ève a lavé avec le sang d'Abel la tache du front de Caïn, et elle pleure de joie sur ses
deux enfants qui se tiennent embrassés.
L'enfer, désormais inutile, est fermé pour cause d'agrandissement du ciel. Le problème du mal a reçu sa
dernière solution et le bien seul nécessaire et triomphant va régner dans l'éternité.
Tel est le beau rêve du plus grand de tous les poëtes, mais malheureusement ici le philosophe oublie toutes
les lois de l'équilibre, il veut absorber la lumière dans une splendeur sans ombre et le mouvement dans un
repos absolu qui serait la cessation de la vie. Tant qu'il y aura une lumière visible, il y aura une ombre
proportionnelle à cette lumière. Le repos ne sera jamais le bonheur, s'il n'est équilibré par un mouvement
analogue et contraire; tant qu'il y aura une bénédiction libre, le blasphème sera possible; tant qu'il y aura un
ciel, il y aura un enfer. C'est la loi immuable de la nature, c'est la volonté éternelle de la justice qui est
Dieu!
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CHAPITRE VII.
EMPIRE ET RESTAURATION.
Napoléon remplissait le monde de merveilles et il était lui-même la plus grande merveille du monde; sa
femme, l'impératrice Joséphine, curieuse et crédule comme une créole, passait d'enchantements en
enchantements. Cette gloire lui avait été prédite, assure-t-on, par une vieille bohémienne, et le peuple des
campagnes croit encore que Joséphine était, elle-même, le bon génie de l'empereur; c'était en effet une
douce et modeste conseillère, qui l'eût écarté de bien des écueils, s'il eût toujours écouté sa voix, mais la
fatalité ou plutôt la Providence le poussait en avant, et ce qu'il avait à devenir était écrit.
Dans une prophétie attribuée à saint Césaire, mais qui est signée Jean de Vatiguerro, et qui se trouve dans le
Liber mirabilis, recueil de prédictions imprimé en 1524, on lit ces paroles étonnantes:
«Le prince le plus grand et le plus auguste souverain de tout l'Occident, sera mis en fuite après une défaite
surnaturelle...
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«Le très noble prince sera mis en captivité par ses ennemis et s'affligera en pensant à ceux qui étaient
attachés à lui...
«Avant que la paix se rétablisse en France, les mêmes événements recommenceront et se produiront
plusieurs fois...
«L'aigle sera couronné de trois diadèmes, et il rentrera victorieux dans son aire d'où il ne sortira plus que
pour s'élever vers le ciel...»
Nostradamus, après avoir prédit la spoliation des églises et le meurtre des prêtres, annonce qu'un empereur
naîtra près de l'Italie, que sa souveraineté coûtera bien du sang à la France, et que les siens le trahiront et
l'accuseront du sang versé.
C'est-à-dire qu'au moment des plus grandes calamités de l'Église, il comblera les prêtres de biens.
Dans un Recueil de prophéties, publié en 1820, dont nous possédons un exemplaire, on trouve, après une
prédiction qui concerne Napoléon Ier, cette phrase:
La célèbre mademoiselle Lenormand avait dans sa bibliothèque un volume cartonné, à dos de parchemin,
contenant le Traité
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d'Olivarius sur les prophéties, suivi de dix pages manuscrites où le règne de Napoléon et sa chute étaient
formellement annoncés. La devineresse communiqua ce livre à l'impératrice Joséphine. Puisque nous
venons de nommer mademoiselle Lenormand, il faut dire quelques mots de cette singulière femme: c'était
une grosse demoiselle fort laide, emphatique dans ses discours, amphigourique dans son style, mais
somnambule éveillée et d'une lucidité toute particulière; elle fut sous le premier empire et sous la
restauration la devineresse à la mode. Rien n'est plus fastidieux que la lecture de ses ouvrages, mais elle
tirait les cartes avec le plus grand succès.
La cartomancie retrouvée en France par Éteilla n'est autre chose que la consultation du sort au moyen de
signes convenus d'avance; ces signes combinés avec les nombres, inspirent des oracles au médium qui se
magnétise en les regardant. On tire ces signes au hasard après les avoir lentement mêlés, on les dispose par
nombre kabbalistiques, et ils répondent toujours à la pensée de celui qui les interroge sérieusement et de
bonne foi, car nous portons en nous tout un monde de pressentiments auxquels il ne faut qu'un prétexte
pour nous apparaître. Les natures impressionnables et sensitives reçoivent de nous le choc magnétique qui
leur communique l'empreinte de notre état nerveux. Le médium peut alors lire nos craintes et nos
espérances dans les rides de l'eau, dans la configuration des nuages, dans les points jetés au hasard sur la
terre, dans les dessins laissés sur une assiette par du marc de café, dans les chances d'un jeu de cartes ou
d'un tarot. Le tarot surtout, ce livre kabbalistique et savant, dont
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toutes les combinaisons sont une révélation des harmonies préexistantes entre les signes, les lettres et les
nombres, le tarot est alors d'un usage vraiment merveilleux. Mais nous ne pouvons impunément nous
arracher ainsi à nous-mêmes les secrets de notre communication intime avec la lumière universelle. La
consultation des cartes et des tarots est une véritable évocation qui ne peut se faire sans danger et sans
crime. Dans les évocations, nous forçons notre corps astral à nous apparaître, dans la divination nous le
contraignons à nous parler; nous donnons ainsi un corps à nos chimères et nous faisons une réalité
prochaine de cet avenir qui sera véritablement le nôtre, quand nous l'aurons évoqué par le Verbe et adopté
par la foi. Contracter l'habitude de la divination et des consultations magnétiques, c'est faire un pacte avec
le vertige: or, nous avons déjà établi que le vertige c'est l'enfer.
Mademoiselle Lenormand était folle d'infatuation de son art et d'elle-même; le monde ne roulait pas sans
elle, et elle se croyait nécessaire à l'équilibre européen. Lors du congrès d'Aix-la-Chapelle, la devineresse
partit suivie de tout son mobilier, se fit des affaires à toutes les douanes, et tourmenta toutes les autorités
pour qu'on fût en quelque sorte forcé de s'occuper d'elle: c'était la vraie mouche du coche, et quelle
mouche! A son retour, elle publia ses impressions et mit en tête de son livre une vignette où elle se
représente entourée de toutes les puissances qui la consultent et qui tremblent devant elle.
Les grands événements qui venaient de s'accomplir dans le monde avaient tourné à cette époque les âmes
vers le mysticisme, une
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réaction religieuse était commencée, et les souverains qui formèrent la sainte alliance sentaient le besoin de
rattacher à la croix leurs sceptres unis en faisceaux. L'empereur Alexandre, surtout, croyait que l'heure était
venue pour la sainte Russie de convertir le monde à l'orthodoxie universelle.
La secte des sauveurs de Louis XVII, secte intrigante et remuante, voulut profiter de cette disposition pour
fonder un nouveau sacerdoce et parvint à introduire près de l'empereur de Russie une de ses illuminées.
Cette nouvelle Catherine Théot, que les sectaires appelaient soeur Salomé, se nommait madame Bouche;
elle passa dix-huit mois à la cour de l'empereur, ayant souvent avec lui des entretiens secrets; mais
Alexandre avait plus d'imagination dévote que de véritable enthousiasme, il se plaisait au merveilleux, et
prétendait qu'on l'amusât. Ses confidents mystiques lui présentèrent une prophétesse nouvelle qui lui fit
oublier la soeur Salomé, c'était, la fameuse madame de Krudener, cette aimable coquette de piété et de
vertus, qui fit et ne fut pas Valérie. Son ambition était pourtant qu'on la crût l'héroïne de son livre, et
comme une de ses intimes amies la pressait de lui en nommer le héros, elle désigna un homme éminent de
ce temps-là.--Mais alors, dit l'amie, le dénoûment de votre livre n'est pas conforme à la vérité de l'anecdote,
car ce monsieur n'est pas mort.--Oh! ma chère, s'écria madame de Krudener, je vous assure qu'il n'en vaut
guère mieux. Cette réponse fit fortune. Madame de Krudener exerça sur l'esprit un peu faible d'Alexandre
une influence assez grande pour alarmer ses conseillers, il s'enfermait souvent avec elle pour prier, mais
elle se perdit par excès de zèle. Un jour, comme l'empereur
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allait la quitter, elle se jette au-devant de lui et le conjure de ne pas sortir. Dieu me révèle, dit-elle, que vous
courez un grand danger: on en veut à votre vie; un assassin est caché dans le palais. L'empereur s'alarme, il
sonne, il se fait entourer de gardes, on fait des perquisitions et l'on finit par trouver un pauvre diable muni
d'un poignard. Cet homme, interrogé, se trouble et finit par avouer qu'il a été introduit par madame
Krudener elle-même. Était-ce vrai, et cette dame avait-elle joué dans cette affaire le rôle de Latude près de
madame Pompadour? Était-ce faux, et cet homme, aposté par les ennemis de l'empereur, avait-il pour
mission secrète, si le meurtre ne réussissait pas, de perdre madame Krudener? De toutes façons, la pauvre
prophétesse fut perdue. L'empereur, honteux d'avoir été pris pour dupe, la congédia sans l'entendre, et elle
dut s'estimer heureuse encore d'en être quitte à si bon marché.
La petite église de Louis XVII ne se tint pas pour battue par la disgrâce de madame Bouche, et vit dans
celle de madame de Krudener un véritable châtiment divin, ils continuèrent leurs prophéties, et firent au
besoin des miracles. Sous le règne de Louis XVIII, ils mirent en avant un paysan de la Beauce, nommé
Martin, qui soutenait avoir vu un ange. Cet ange, dont il décrivait le costume et la figure, avait toute
l'apparence d'un laquais de bonne maison: il avait une redingote très longue et très serrée à la taille, d'une
couleur jaunâtre ou blonde, il était pâle et mince et portait sur sa tête un chapeau probablement galonné et
verni. Ce qu'il y a d'étrange, et ce qui prouve une fois de plus combien il y a de ressources dans la
[469]
persistance et dans l'audace, c'est que cet homme se fit prendre au sérieux, et parvint à s'introduire auprès
du roi. On assure qu'il l'étonna par des révélations de sa vie intime, révélations qui n'ont rien d'impossible
ni même d'extraordinaire, maintenant que les phénomènes du magnétisme sont mieux constatés et mieux
connus.
Louis XVIII, d'ailleurs, était assez sceptique pour être crédule. Le doute en présence de l'être et de ses
harmonies, le scepticisme en face des mathématiques éternelles et des lois immuables de la vie qui rendent
la divinité présente et visible partout, n'est-ce pas la plus sotte des superstitions et la plus inexcusable
comme la plus dangereuse de toutes les crédulités?
[470]
LIVRE VII.
LA MAGIE AU XIXe SIÈCLE.
ז, Zaïn.
CHAPITRE PREMIER.
LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÉRIALISTES.
SOMMAIRE.--Une évocation dans l'église de Notre-Dame.--Les faux prophètes et les faux dieux.
Ils crurent sérieusement au changement prochain de l'Océan en un vaste bol de limonade, à la création
future des antilions et des antiserpents, à la correspondance épistolaire des planètes les
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unes avec les autres. Nous ne parlons pas de la fameuse queue de trente-deux pieds dont ils voulaient, dit-
on, gratifier l'espèce humaine, parce qu'ils ont eu eux-mêmes la générosité de renoncer à cette queue et d'en
considérer l'avènement, possible, suivant le maître, comme purement hypothétique.
C'est à de pareilles absurdités que devait conduire la négation de l'équilibre, et il y a au fond de toutes ces
folies plus de logique qu'on ne pense. La même raison qui nécessite la douleur dans l'humanité, rend
indispensable l'amertume des eaux de la mer; supposez bonne l'expansion intégrale des instincts, et vous ne
pourrez plus admettre l'existence des animaux féroces; donnez à l'homme pour toute moralité l'aptitude à
satisfaire ses appétits, il aura toujours quelque chose à envier aux orangs-outangs et aux singes. Nier l'enfer,
c'est nier le ciel, puisque, suivant la plus haute interprétation du dogme unique d'Hermès, l'enfer est la
raison équilibrante du ciel, parce que l'harmonie résulte de l'analogie des contraires. Quod superius, sicut
quod inferius, la supériorité existe en raison de l'infériorité; c'est la profondeur qui déterminé la hauteur, et
si vous comblez les vallées vous ferez disparaître les montagnes; de même, si vous effacez les ombres, vous
anéantirez la lumière qui n'est visible que par le contraste gradué de l'ombre et du jour, et vous produirez
l'obscurité universelle par un immense éblouissement; les couleurs même n'existent dans la lumière que par
la présence de l'ombre, c'est la triple alliance du jour et de la nuit, c'est l'image lumineuse du dogme, c'est la
lumière faite ombre, comme le Sauveur est le Verbe fait homme, et tout cela repose sur la même loi, la loi
première de la création, la
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loi unique et absolue de la nature, celle de la distinction et de la pondération harmonieuse des forces
contraires dans l'équilibre universel.
Ce n'est pas le dogme de l'enfer, ce sont les interprétations téméraires de ce dogme qui ont révolté la
conscience publique. Ces rêves barbares du moyen âge, ces supplices atroces et obscènes sculptés sur les
portiques des églises, cette infâme chaudière où cuisent des chairs humaines à jamais vivantes pour souffrir
et à la fumée de laquelle se réjouissent les élus, tout cela est absurde et impie, mais tout cela n'appartient
pas au dogme sacré de l'Église. La cruauté attribuée à Dieu est le plus affreux des blasphèmes, et c'est pour
cela même que le mal est à jamais sans remède, quand la volonté de l'homme se refuse à la bonté divine.
Dieu n'inflige pas plus aux damnés les tortures de la réprobation, qu'il ne donne la mort à ceux qui se
suicident.
--Je me révolterai!
Tel est l'arrêt de la raison absolue et de la souveraine justice; que peut répondre à cela l'orgueil de la folie
humaine?
La religion n'a pas de plus grands ennemis que le mysticisme téméraire qui prend les visions de sa fièvre
pour des révélations
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divines. Ce ne sont pas les théologiens qui ont créé l'empire du diable, ce sont les faux dévôts et les
sorciers.
Croire à une vision de notre cerveau plutôt qu'à l'autorité de la raison et de la piété publiques, tel est
toujours le commencement de l'hérésie en religion, de la folie dans l'ordre de la philosophie humaine; un
fou ne serait jamais fou s'il croyait à la raison des autres.
Les visions ne manquent jamais à la piété révoltée, pas plus que les chimères à une raison qui
s'excommunie et qui s'égare.
A ce point de vue, le magnétisme a certainement ses dangers: car l'état de crise amène aussi bien les
hallucinations que les intuitions lucides.
Nous consacrerons dans ce livre un chapitre spécial aux magnétiseurs, les uns mystiques, les autres
matérialistes, et nous les avertirons, au nom de la science, des dangers auxquels ils s'exposent.
Les consultations du sort, les expériences magnétiques et les évocations appartiennent à un seul et même
ordre de phénomènes. Or, ce sont des phénomènes dont on ne saurait impunément abuser, il y va de la
raison et de la vie.
Il y a trente ou quarante ans, un vicaire de choeur de l'église de Notre-Dame, homme fort pieux et fort
estimable d'ailleurs, s'était épris du magnétisme, et se livrait à de fréquentes expériences, il consacrait plus
de temps qu'il ne l'aurait peut-être dû, à la lecture des mystiques, et surtout du vertigineux Swedenborg; sa
tête bientôt se fatigua, il fut travaillé d'insomnies, il se levait alors pour étudier, ou même lorsque l'étude
n'arrivait pas à calmer les agitations de son
[474]
cerveau, il prenait la clef de l'église et y entrait par la porte rouge, il pénétrait ensuite dans le choeur éclairé
seulement par la faible lampe du maître-autel, gagnait sa stalle et y restait jusqu'au matin, abîmé dans des
prières et des méditations profondes.
Une nuit, le sujet de sa méditation était la damnation éternelle, il songeait à la doctrine si menaçante du
petit nombre des élus, et ne savait comment concilier cette rigoureuse exclusion du plus grand nombre avec
la bonté infinie de ce Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, dit l'Écriture sainte, et qu'ils
arrivent à la connaissance de la vérité; il pensait à ce supplice du feu que le plus cruel tyran de la terre ne
voudrait pas infliger, s'il le pouvait, pendant une journée seulement, à son plus cruel ennemi, et le doute
entrait de tous côtés dans son coeur; puis il se mit à songer aux explications conciliantes de la théologie.
L'Église ne définit pas le feu de l'enfer, il est éternel, suivant l'Évangile, mais il n'est écrit mille part que le
plus grand nombre des hommes doit le souffrir éternellement. Beaucoup de réprouvés pourront n'avoir à
supporter que la peine du dam, c'est-à-dire, la privation de Dieu; enfin l'Église défend absolument de
supposer la damnation de personne. Les païens ont pu être sauvés par le baptême de désir, les pécheurs
scandaleux par une contrition subite et parfaite, enfin il faut espérer pour tous et prier pour tous, excepté
pour un seul, celui de qui le Sauveur a dit qu'il eût été plus avantageux pour cet homme-là de n'être point
né.
Le vicaire s'arrêta à cette dernière pensée, et songea tout à coup qu'un seul homme portait ainsi
officiellement le poids de la
[475]
réprobation depuis des siècles; que Judas Iscariote, car c'est de lui qu'il s'agit dans le passage de l'Écriture,
après s'être repenti de son forfait jusqu'à en mourir, était devenu le bouc émissaire de l'humanité, l'Atlas de
l'enfer, le Prométhée de la damnation, lui que le Sauveur prêt à mourir avait appelé son ami! Ses yeux alors
se remplirent de larmes, il lui sembla que la rédemption était sans effet, si elle n'avait pas sauvé Judas; c'est
pour celui-là et pour celui-là seul, répétait-il dans son exaltation, que j'aurais voulu mourir une seconde
fois, si j'avais été le Sauveur! mais Jésus-Christ n'est-il pas meilleur que moi mille fois? Que doit-il donc
faire maintenant dans le ciel, pendant que je pleure son malheureux apôtre sur la terre?... Ce qu'il fait,
ajouta le prêtre en s'exaltant de plus en plus, il me plaint et il me console; je le sens, il dit à mon coeur que
le paria de l'Évangile est sauvé, et qu'il sera, par la longue malédiction qui pèse encore sur sa mémoire, le
rédempteur de tous les parias...--Mais s'il en est ainsi, c'est un nouvel Évangile qu'il faut annoncer au
monde... celui de la miséricorde infinie, universelle, au nom de Judas régénéré... Mais je m'égare, je suis un
hérétique, un impie!... Non cependant, puisque je suis de bonne foi!... Puis joignant les mains avec ferveur:
«Mon Dieu, dit le vicaire, donnez-moi ce que vous ne refusiez pas jadis à la foi, ce que vous ne lui refusez
pas encore... un miracle pour me convaincre et me rassurer, un miracle comme gage d'une mission
nouvelle...»
L'enthousiaste alors se lève, et dans le silence de la nuit, si formidable, au pied des autels, dans l'immensité
de cette église muette et sombre, il prononce à haute voix, d'une voix lente et
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solennelle, cette évocation: «Toi qu'on maudit depuis dix-huit siècles, et que je pleure, car tu sembles avoir
pris l'enfer pour toi seul, afin de nous laisser le ciel, malheureux Judas, s'il est vrai que le sang de ton
Maître t'a purifié, si tu es sauvé, viens m'imposer les mains pour le sacerdoce de la miséricorde et de
l'amour!»
Le vicaire ayant dit ces paroles, et pendant que l'écho éveillé en sursaut les murmurait encore sous les
voûtes épouvantées, le vicaire se lève, traverse le choeur, et va s'agenouiller sous la lampe au pied du
maître-autel. «Alors, dit-il (car c'est à lui-même que nous devons le récit de cette histoire), alors je sentis
positivement et réellement deux mains, deux mains chaudes et vivantes, se poser sur ma tête, comme font
celles de l'évêque le jour de l'ordination, je ne dormais pas, je n'étais pas évanoui, et je les sentis; c'était un
contact réel et qui dura quelques minutes. Dieu m'avait exaucé, le miracle était fait, de nouveaux devoirs
m'étaient imposés, et une vie nouvelle commençait pour moi; à partir du lendemain, je devais être un
nouvel homme...»
Le rêve d'un ciel sans enfer, le rêve de Faust a fait bien d'autres victimes dans ce malheureux siècle de
doute et d'égoïsme qui n'est parvenu à réaliser qu'un enfer sans ciel. Dieu même devenait inutile dans un
système où tout était permis, où tout était bien. Les hommes arrivés à ne plus craindre un juge suprême
trouvèrent bien facile de se passer du Dieu des bonnes gens, moins Dieu, en effet, que les bonnes gens eux-
mêmes. Les fous qui s'érigeaient en vainqueurs du diable en arrivèrent à se faire
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dieux. Notre siècle est surtout celui de ces mascarades prétendues divines, nous en avons connu de toutes
les sortes. Le dieu Ganneau, bonne et trop poétique nature, qui eût donné sa chemise aux pauvres, et qui
réhabilitait les voleurs, Ganneau qui admirait Lacenaire, et qui n'eût pas tué une mouche; le dieu Cheneau,
marchand de boutons de la rue Croix-des-Petits-Champs, qui était visionnaire comme Swedemborg et qui
écrivait ses inspirations en style de Jeannot, le dieu Tourreil, bon et excellent homme qui divinise la
femme, et veut qu'Adam soit sorti d'Ève; le dieu Auguste Comte, qui conservait de la religion catholique
tout, excepté deux choses, deux misères: l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme; le dieu Wronski, vrai
savant celui-là, qui eut la gloire et le bonheur de retrouver les premiers théorèmes de la kabbale, et qui, en
ayant vendu la communication cent cinquante mille francs à un riche imbécile nommé Arson, déclare dans
un de ses livres les plus sérieux que ledit Arson, pour avoir refusé de le payer intégralement, est devenu
réellement et en vérité la bête de l'Apocalypse. Voici ce curieux passage que nous tenons à citer, pour qu'on
ne nous accuse pas d'injustice envers un homme dont les travaux nous ont été utiles, et dont nous avons fait
sincèrement l'éloge dans nos précédentes publications.
Wronski, pour forcer Arson à le payer, avait publié une brochure intitulée Oui ou Non, c'est-à-dire, m'avez-
vous acheté, oui ou non, pour cent-cinquante mille francs ma découverte de l'absolu?
[478]
Or, voici en quels termes, dans son livre intitulé: Réforme de la philosophie, Wronski 23 rappelle à
l'univers entier qui ne s'en soucie guère, la publication de cette brochure; on trouvera par la même occasion
dans ce passage un échantillon curieux du style de ce négociant en absolu.
Note 23: (retour) Wronski, Réforme de la philosophie, p. 512.
«Ce fait de la découverte de l'absolu, qui parait si fortement révolter les hommes, se trouve déjà constaté
dans un grand scandale, celui du fameux OUI ou NON, aussi décisif par l'éclatant triomphe de la vérité qui
en fut l'issue, qu'il est remarquable par l'apparition soudaine de l'être symbolique dont menace
l'Apocalypse, de ce monstre de la création, qui porte au front le nom de MYSTÈRE, et qui, cette fois,
craignant d'être frappé mortellement, ne put plus contenir dans l'ombre ses hideuses convulsions, et vint,
par la voie des journaux et par toutes les autres voies où l'on entraîne le public, étaler au grand jour sa rage
infernale et son extrême imposture, etc.»
Il est bon de savoir que ce pauvre Arson qui est accusé ici de rage infernale et d'extrême imposture avait
déjà payé à l'hiérophante quarante ou cinquante mille francs.
L'absolu que Wronski vendait si cher, nous l'avons retrouvé après lui, et nous l'avons donné pour rien à nos
lecteurs, car la vérité est due au monde, et nul n'a le droit de se l'approprier et d'en faire métier et
marchandise. Puisse cet acte de justice expier la faute d'un homme qui est mort dans un état voisin de la
misère, après avoir tant travaillé, non pas pour la science, mais
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pour s'enrichir au moyen de la science, qu'il n'était peut-être digne ni de comprendre ni de posséder.
CHAPITRE II.
DES HALLUCINATIONS.
On trouve toujours au fond du fanatisme de toutes les sectes un principe d'ambition ou de cupidité; Jésus-
Christ lui-même avait souvent réprimandé sévèrement ceux de ses disciples qui ne l'entouraient, pendant les
jours de ses privations et de son exil au milieu même de sa patrie, que dans l'espérance d'un royaume où ils
auraient les premières places. Plus les espérances sont folles, plus elles séduisent certaines imaginations; on
paye alors de sa bourse et de sa personne le bonheur d'espérer. C'est ainsi que le dieu Wronski ruinait des
imbéciles en leur promettant l'absolu; que le dieu Auguste Comte se faisait six mille livres de rentes aux
dépens de ses adorateurs, auxquels il avait distribué d'avance des dignités fantastiques, réalisables lorsque
sa doctrine aurait conquis le monde; c'est ainsi que certains magnétiseurs tirèrent de l'argent à un grand
nombre de dupes en leur promettant des trésors que les esprits dérangent toujours. Quelques sectaires
croient réellement à ce qu'ils
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promettent, et ceux-là sont les plus infatigables et les plus hardis dans leurs intrigues: l'argent, les miracles,
les prophéties, rien ne leur manque, parce qu'ils ont cet absolu de volonté et d'action qui fait réellement des
prodiges, ce sont des magiciens sans le savoir.
La secte des sauveurs de Louis XVII appartient, sous ce rapport, à l'histoire de la magie. La folie de ces
hommes est contagieuse au point de gagner à leurs croyances ceux-mêmes qui viennent les trouver pour les
combattre; ils se procurent les pièces les plus importantes et les plus introuvables, attirent à eux les plus
singuliers témoins, évoquent des souvenirs perdus, commandent à l'armée des rêves, font apparaître des
anges à Martin, du sang à Rose Tamisier, un ange en guenilles à Eugène Vintras. Cette dernière histoire est
curieuse à cause de ses suites phénoménales, et nous allons la raconter.
En 1839, les sauveurs de Louis XVII qui avaient rempli les almanachs de prophéties pour l'an 1840,
comptant bien que, si tout le monde attendait une révolution, cette révolution ne tarderait pas à s'accomplir,
les sauveurs de Louis XVII qui n'avaient plus leur prophète Martin résolurent d'en avoir un autre; quelques-
uns de leurs agents les plus zélés étaient en Normandie, pays dont le faux Louis XVII avait la prétention
d'être le duc; ils jetèrent les yeux sur un ouvrier dévot, d'un caractère exalté et d'une tête faible, et voici le
tour dont ils s'avisèrent: ils supposèrent une lettre adressée au prince, c'est-à-dire au prétendu Louis XVII,
remplirent cette lettre des promesses emphatiques du règne futur, jointes à des expressions
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mystiques capables de faire impression sur une tête faible et firent tomber cette lettre dans les mains de
l'ouvrier qui se nommait Eugène Vintras, avec les circonstances que lui-même va nous raconter:
»A neuf heures environ, j'étais occupé à écrire..., on frappe à la porte de la chambre où j'étais; croyant que
c'était un ouvrier qui avait affaire à moi, je réponds assez brusquement: Entrez. Je fus bien surpris, au lieu
d'un ouvrier, de voir un vieillard déguenillé; je lui demandai seulement ce qu'il voulait.
»Il me répondit bien tranquillement: Ne vous fâchez pas, Pierre-Michel (noms dont jamais personne ne se
sert pour me nommer; dans tout le pays on m'appelle Eugène, et même, lorsque je signe quelque chose, je
ne mets jamais ces deux prénoms).
»Cette réponse de mon vieillard me fit une certaine sensation; mais elle augmenta lorsqu'il me dit: «Je suis
bien fatigué; partout où je me présente, on me regarde avec mépris ou comme un voleur.» Ces dernières
paroles m'effrayèrent beaucoup, quoique dites d'un air triste et malheureux. Je me levai, et pris devant moi
non pas de la monnaie, mais une pièce de dix sous que je lui mis dans la main en lui disant: Je ne vous
prends pas pour cela, mon brave homme. Et en lui disant cela, je lui fis apercevoir que je voulais
l'éconduire. Il ne demanda pas mieux et me tourna le dos d'un air peiné.
»A peine eut-il mis le pied sur la dernière marche que je retirai la porte sur moi, et la fermai à clef. Ne
l'entendant pas
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descendre, j'appelai un ouvrier et lui dis de monter à ma chambre. Là, sous prétexte d'affaires, j'espérais lui
faire parcourir avec moi tous les endroits que je jugeais possibles de cacher mon vieillard, que je n'avais pas
vu sortir. Cet ouvrier monte à ma chambre, je sors avec lui en fermant ma porte à clef, et je parcourus tous
les plus petits réduits. Je ne vis rien.
»J'allais entrer dans la fabrique, quand tout à coup j'entends sonner une messe. J'éprouvais du plaisir
pensant que, malgré le dérangement de mon vieillard, je pourrais néanmoins assister à une messe. Alors je
courus à ma chambre pour prendre un livre de prières. Je trouvai, à la place où j'écrivais, une lettre adressée
à madame de Generès, à Londres. Cette lettre était signée et écrite par M. Paul de Montfleury, de Caen, et
contenait une réfutation d'hérésie et une profession de foi orthodoxe.
»Cette lettre, quoique adressée à madame de Generès, était destinée à remettre sous les yeux du duc de
Normandie les plus grandes vérités de notre sainte religion catholique, apostolique et romaine. Sur la lettre
était posée la pièce de dix sous que j'avais donnée à mon vieillard.»
Dans une autre lettre, Pierre-Michel avoue que la figure de ce vieillard ne lui était pas inconnue, mais qu'en
le voyant ainsi apparaître tout à coup, il eut extraordinairement peur, il verrouilla et barricada la porte
quand il fut sorti, écouta longtemps à la porte s'il l'entendait descendre. Le vieux mendiant ôta sans doute
ses souliers pour descendre sans faire du bruit, car Vintras n'entendit rien; il court alors à la fenêtre
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et ne le voit pas sortir, attendu qu'il était sorti depuis longtemps. Voilà mon homme bouleversé, il appelle
au secours, cherche partout, trouve enfin la lettre qu'on voulait lui faire lire, c'est évidemment une lettre
tombée du ciel. Voilà Vintras dévoué à Louis XVII, le voila visionnaire pour le reste de ses jours, car
désormais l'image du vieux mendiant ne le quittera plus. Ce mendiant deviendra saint Michel, parce qu'il l'a
appelé Pierre-Michel, association d'idées analogue à celles des rêves. Les hallucinés de la secte de Louis
XVII avaient deviné, avec la seconde vue des maniaques, juste le moment où il fallait frapper la faible tête
de Vintras pour en faire en un seul instant un illuminé et un prophète.
La secte de Louis XVII se compose surtout d'anciens serviteurs de la royauté légitimiste, aussi Vintras,
devenu leur medium, est-il le fidèle reflet de toutes ces imaginations pleines de souvenirs chevaleresques et
de mysticisme vieilli. Ce sont partout, dans les visions du nouveau prophète, des lys baignés de sang, des
anges en costume de chevaliers, des saints déguisés en troubadours. Puis apparaissent des hosties collées
sur de la soie bleue. Vintras a des sueurs de sang, et son sang apparaît sur les hosties, où il dessine des
coeurs avec des légendes de l'écriture et de l'orthographe de Vintras; des calices vides paraissent tout à
coup pleins de vin, puis où le vin tombe apparaissent des taches de sang. Les initiés croient entendre une
musique délicieuse et respirer des parfums inconnus; des prêtres appelés à constater ces prodiges sont
entraînés dans le courant de l'enthousiasme.
Vintras, que ses sectaires posent en nouveau Christ, eut aussi ses Iscariotes: deux membres de la secte, un
certain Gozzoli et un nommé Alexandre Geoffroi, publièrent contre lui les révélations les plus odieuses. A
les croire, les sectaires de Tilly-sur-Seules (ainsi se nommait leur résidence) se livraient aux pratiques les
plus obscènes; ils célébraient dans leur
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chapelle particulière, qu'ils nommaient le cénacle, des messes sacrilèges auxquelles les élus assistaient dans
un état complet de nudité; à un certain moment, tous gesticulaient, fondaient en larmes en criant: Amour!
amour! et ils se jetaient dans les bras les uns des autres; on nous permettra de supprimer le reste. C'étaient
les orgies des anciens gnostiques, mais sans qu'on prît la peine d'éteindre les lumières. Alexandre Geoffroi
assure que Vintras l'initia à un genre de prière qui consistait dans l'acte monstrueux d'Onan, exercé au pied
des autels, mais ici le dénonciateur est trop odieux pour être cru sur parole. L'abbé Charvoz, à qui nous
avons parlé de ces accusations infâmes, nous a dit qu'il fallait les attribuer à la haine de deux hommes
chassés de l'association pour avoir commis eux-mêmes les actes dont ils accusent Vintras. Quoi qu'il en
soit, les désordres moraux engendrent naturellement les désordres physiques, et les surexcitations
anormales du système nerveux produisent presque toujours des dérèglements excentriques dans les moeurs;
si donc Vintras est innocent, il aurait pu et peut encore devenir coupable.
Le pape Grégoire XVI, par un bref du 8 novembre 1843, a condamné formellement la secte de Vintras.
Voici un spécimen du style de cet illuminé, homme d'ailleurs sans instruction et dont les écrits emphatiques
fourmillent de fautes de français.
«Dormez, dormez, indolents mortels: restez, restez encore sur vos couches moelleuses; souriez à vos rêves
de fêtes et de grandeurs; l'ange de l'alliance est descendu sur vos montagnes, il a écrit son nom jusque dans
le calice de vos fleurs; il a touché, des
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anneaux qui ornent ses pieds, les fleuves qui font votre orgueil et votre espérance; les chênes de vos forêts
ont pris l'éclat de son front pour une nouvelle aurore; la mer, d'un bond voluptueux, a salué son regard! Elie
l'a précédé! Penchez-vous du côté de la terre, mais ne vous effrayez point de ce bruit si actif des tombeaux.
Dormez, dormez encore; je l'ai vu vers l'orient; il burinait son nom sur des monts inaccessibles; il criait au
temps de hâter sa barque, et j'ai vu lui sourire le plus vieux des vieillards. Dormez, dormez encore; Elie, à
l'occident, pose une croix à la porte du temple; il la scèle avec du feu et l'acier d'un poignard.»
Encore le temple, le feu et le poignard! Chose étrange! les fous se reflètent les uns et les autres, tous les
fanatismes échangent leurs inspirations, et le prophète de Louis XVII devient ici l'écho du cri de vengeance
des templiers.
Il est vrai que Vintras ne se croit pas responsable de ses écrits; voici comment il en parle lui-même.
«Oh! si mon esprit était pour quelque chose dans ces écrits que l'on condamne, j'inclinerais ma tête, et la
crainte entrerait dans mon âme. Ce n'est point mon ouvrage: je n'y ai point prêté mon concours par
recherche ni par désir. Le calme est en moi; ma couche ne connaît pas l'insomnie; les veilles n'ont point
fatigué mes paupières; mon sommeil est pur comme quand Dieu le créa: je puis dire à mon Dieu avec un
coeur libre: Custodi animam meam et erue me: non erubescam, quoniam speravi in te.»
L'argument de Vintras, pour légitimer son inspiration, n'est donc pas concluant, puisqu'il a servi également
à Lacenaire pour excuser et même pour légitimer aussi, non plus des rêveries, mais des crimes.
Condamnés par le pape, les sectaires de Tilly-sur-Seules condamnèrent le pape à leur tour, Vintras, de son
autorité privée, s'est créé souverain pontife. La forme de ses vêtements sacerdotaux lui a été révélée: il
porte un diadème d'or avec un lingam indien sur le front, il revêt une robe de pourpre et tient en main un
sceptre magique terminé par une main dont les doigts sont fermés à l'exception du pouce et de l'auriculaire,
les doigts consacrés à Vénus et à Mercure, hiéroglyphe de l'hermaphrodite antique, emblème des anciens
cultes orgiaques et des priapées du sabbat. Ainsi les réminiscences et les reflets de la magie noire apportés
par la lumière astrale viennent rattacher aux mystères de l'Inde et au culte profane du Baphomet, les extases
de ce malade contagieux dont l'infirmerie est à Londres, et qui continue à y faire des prosélytes et des
victimes.
Aussi l'exaltation du pauvre prophète n'est-elle pas toujours exempte d'épouvante et de remords, quoi qu'il
en dise, et parfois il laisse échapper les plus tristes aveux. Voici ce que nous trouvons dans une lettre
adressée à un de ses plus intimes amis:
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«Je suis toujours en attente de nouveaux tourments. Demain arrive la famille Verger, je vais voir sur leurs
traits la pureté de leur âme s'annonçant par leur joie; on rappellera tout mon bonheur passé; on citera des
noms que je prononçais avec amour dans des temps peu éloignés. Enfin, tout ce qui fera les délices des
autres sera pour moi de nouvelles tortures! Il faudra être à table; tandis que l'on fouillera mon coeur avec un
glaive, je devrai sourire! Oh! si pourtant ces paroles terribles que j'ai entendues n'étaient pas éternelles, je
chérirais encore mon cruel supplice! Pardon, mon cher, je ne pourrais vivre sans aimer Dieu!
»Écoutez, si votre charité d'homme vous le permet, comme ministre du Dieu vivant, je ne la réclame pas,
celui que votre maître a vomi de sa bouche doit être maudit de vous:
»Dans la nuit de dimanche à lundi (17 au 18 mai) un songe affreux a porté dans mon âme comme dans mon
corps un coup mortel. J'étais à Sainte-Paix, il n'y avait plus personne au château; cependant les portes en
étaient ouvertes. Je suis promptement monté à la sainte chapelle; j'allais en ouvrir la porte quand j'ai vu
écrit sur cette porte, en caractères de feu: «N'approche pas de ce lieu, toi que j'ai vomi de ma bouche!» Je
n'ai pu descendre; je suis tombé anéanti sur la première marche; mais jugez de mon effroi quand je n'ai plus
vu autour de moi qu'un large et profond abîme! il y avait dans le fond des monstres hideux qui m'appelaient
leur frère!
»Mon cher, je l'ai vue au-dessus de l'abîme: ses yeux d'un bleu céleste se sont remplis de feu, ses lèvres
vermeilles sont devenues violettes, sa voix si suave et si divine s'est changée, elle est devenue dure et
terrible! elle m'a lancé ces mots comme
[490]
une foudre: «Roule, orgueilleux, dans ces lieux remplis de feu qu'habitent les démons!»
»Tout mon sang reflua vers mon coeur; je crus que l'heure était sonnée où l'enfer terrestre allait faire place
à l'enfer éternel! j'ai pu encore rassembler quelques mots de l'Ave Maria; je ne sais combien j'ai été de
temps; je sais que j'ai trouvé la domestique couchée en rentrant: elle m'a dit qu'il était tard.
»Ah! si je fais connaître aux ennemis de l'oeuvre de la miséricorde ce qui se passe en moi, n'est-ce pas
qu'ils crieraient victoire? ils diraient que ce sont bien là les preuves d'une monomanie. Plût à Dieu que cela
fût! je serais moins à plaindre! Mais ne craignez rien, si Dieu ne veut pas entendre ma voix pour moi je
prierai pour lui qu'il double mes souffrances, mais qu'il les cache à ses ennemis.»
Ici l'hallucination triomphante s'élève jusqu'au sublime Vintras consent à être damné, pourvu qu'on ne dise
pas qu'il est fou; dernier instinct du prix inestimable de la raison qui survit à la raison même: l'homme ivre
n'est préoccupé que de la crainte de passer pour ivre; l'insensé et le monomane demandent la mort plutôt
que d'avouer leur délire. C'est que, suivant la belle sentence de Cèbes que nous avons déjà citée, il n'y a
pour l'homme qu'un bien désirable, c'est la sagesse qui est l'usage de la raison, et il n'y a aussi qu'un
véritable et suprême malheur à redouter, c'est la folie.
[491]
CHAPITRE III.
LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES.
L'Église, dans sa haute sagesse, nous défend de consulter le sort et de violer par une indiscrète curiosité les
secrets de l'avenir; mais de nos jours la voix de l'Église n'est plus guère entendue, et la foule revient aux
devins et aux pythonisses; les somnambules sont devenues les oracles de ceux qui ne croient plus aux
préceptes de l'Évangile, et l'on ne songe pas que la préoccupation d'un événement prédit supprime en
quelque sorte notre liberté, et paralyse nos moyens de défense: en consultant la magie pour prévoir les
événements futurs, nous donnons des arrhes à la fatalité.
Les somnambules sont les sybilles de notre époque, comme les sybilles étaient les somnambules de
l'antiquité: heureux les consultants qui ne mettent pas leur crédulité au service de magnétiseurs immoraux
ou insensés, car ils communieraient par le fait même de leur bénévole consultation à l'immoralité ou à la
folie des inspirateurs de l'oracle: le métier de magnétiseur est facile et les dupes sont en grand nombre.
Il est donc important de connaître parmi ceux qui s'occupent du magnétisme, quels sont les hommes
vraiment sérieux.
[492]
Parmi ceux-ci nous devons mettre au premier rang M. le baron Du Potet, dont les travaux consciencieux ont
fait déjà faire un grand pas à la science de Mesmer. M. Du Potet a ouvert à Paris une école pratique de
magnétisme où le public est admis à s'instruire des procédés et à vérifier les phénomènes.
Le baron Du Potet est une nature exceptionnelle et particulièrement intuitive. Comme tous les
contemporains, même les plus instruits, il ignore la kabbale et ses mystères, et cependant le magnétisme lui
a révélé la magie; il a senti le besoin de révéler et de cacher cette science effrayante encore pour lui-même,
et il a écrit un livre qu'il vend seulement à ses adeptes et sous le sceau du secret le plus absolu. Ce secret,
nous ne l'avons pas promis à M. Du Potet, mais nous le garderons par respect pour les convictions de
l'hiérophante; qu'il nous suffise de dire que son livre est le plus remarquable de tous les ouvrages de pure
intuition; nous ne le croyons pas dangereux, parce que M. le baron Du Potet indique des forces dont il ne
précise pas l'usage. Il sait qu'on peut nuire ou faire du bien, tuer ou sauver par les procédés magnétiques;
mais ces procédés, il ne les indique pas d'une manière claire et pratique, et nous l'en félicitons d'ailleurs, car
le droit de vie et de mort suppose une souveraineté divine, et cette souveraineté, nous regarderions comme
un indigne celui qui, la connaissant et la possédant, consentirait à la vendre de quelque manière que ce fût.
M. Du Potet établit victorieusement l'existence de cette lumière universelle dans laquelle les crisiaques
perçoivent toutes les images et tous les reflets de la pensée; il provoque des projections puissantes de cette
lumière au moyen d'un appareil
[493]
absorbant qu'il nomme le miroir magique: c'est tout simplement un cercle ou un carré couvert de charbon
en poudre fine et tamisée. Dans cet espace négatif, la lumière projetée par le crisiaque et par le magnétiseur
réunis, colore bientôt et réalise toutes les formes correspondantes à leurs impressions nerveuses. Dans ce
miroir vraiment magique, apparaissent pour le sujet soumis au somnambulisme tous les rêves de l'opium ou
du haschich, les uns riants, les autres lugubres; le malade doit être arraché à ce spectacle, si l'on ne veut pas
qu'il tombe dans des convulsions.
Ces phénomènes sont analogues à ceux de l'hydromancie pratiquée par Cagliostro: l'eau, considérée
attentivement, éblouit et trouble la vue; alors la fatigue des yeux favorise les hallucinations du cerveau.
Cagliostro voulait pour ces expériences des sujets vierges et parfaitement innocents, afin de n'avoir pas à
craindre les divagations nerveuses produites par les réminiscences érotiques. Le miroir magique de Du
Potet est peut-être plus fatiguant pour le système nerveux tout entier, mais les éblouissements de
l'hydromancie doivent avoir une influence plus redoutable sur le cerveau.
M. Du Potet est un de ces hommes fortement convaincus qui supportent courageusement les dédains de la
science et les préjugés de l'opinion, en répétant tout bas la profession de foi secrète de Galilée: La terre
tourne cependant!
On a découvert tout récemment que les tables tournent aussi, et que l'aimantation humaine donne aux objets
mobiliers soumis à l'influence des crisiaques un mouvement de rotation. Les masses même les plus lourdes
peuvent être soulevées et promenées dans
[494]
l'espace par cette force, car la pesanteur n'existe qu'en raison de l'équilibre des deux forces de la lumière
astrale, augmentez l'action de l'une des deux, l'autre cédera aussitôt. Or, si l'appareil nerveux aspire et
respire cette lumière en la rendant positive ou négative, suivant les surexcitations personnelles du sujet,
tous les corps inertes soumis à son action et imprégnés de sa vie deviendront plus légers ou plus lourds,
suivant le flux et le reflux de la lumière qui entraîne dans le nouvel équilibre de son mouvement les corps
poreux et mauvais conducteurs autour d'un centre vivant, comme les astres dans l'espace sont emportés,
balancés, et gravitent autour du soleil.
Cette puissance excentrique d'attraction ou de projection suppose toujours un état maladif chez celui qui en
est le sujet, les médiums sont tous des êtres excentriques et mal équilibrés; la médiomanie suppose ou
occasionne une suite d'autres manies nerveuses, idées fixes, dérèglements d'appétits, érotomanie
désordonnée, penchants au meurtre ou au suicide. Chez les êtres ainsi affectés, la responsabilité morale
semble n'exister plus; ils font le mal avec la conscience du bien; ils pleurent de piété à l'église et peuvent
être surpris dans de hideuses bacchanales; ils ont une manière de tout expliquer, c'est le diable, ce sont les
esprits qui les obsèdent et les entraînent. Que leur voulez-vous? que leur demandez-vous? Ils ne vivent plus
en eux-mêmes; c'est un être mystérieux qui les anime, c'est lui qui agit à leur place, et être se nomme
légion!
Les essais réitérés d'une personne bien portante pour se créer des facultés de médium la fatiguent, la
rendent malade, et
[495]
peuvent déranger sa raison. C'est ce qui est arrivé à Victor Hennequin, ancien rédacteur de la Démocratie
pacifique, et membre, après 1848, de l'Assemblée nationale: c'était un jeune avocat d'une parole abondante
et facile, il ne manquait ni d'instruction, ni de talent, mais il était infatué de rêveries de Fourier: exilé après
le 2 décembre, il se livra dans l'inaction de sa retraite aux expériences des tables tournantes; bientôt il fut
atteint de médiomanie, et crut être l'instrument des révélations de l'âme de la terre. Il publia un livre
intitulé: Sauvons le genre humain, c'était un mélange de souvenirs phalanstériens et de réminiscences
chrétiennes, une dernière lueur de raison mourante y brille encore, mais les expériences continuèrent et la
folie triompha. Dans un dernier ouvrage dont le premier volume a été seul publié, Victor Hennequin
représente Dieu comme un immense polype placé au centre de la terre avec des antennes et des trompes
contournées en vrilles qui vont et viennent à travers son cerveau et celui de sa femme Octavie. Bientôt
après on apprit que Victor Hennequin était mort des suites d'un accès de démence furieuse dans une maison
d'aliénés.
Nous avons entendu parler d'une dame du grand monde qui se livrait à des conversations avec les prétendus
esprits des meubles, et qui, scandalisée outre mesure par les réponses inconvenantes de son guéridon, fit le
voyage de Rome pour déférer le meuble hérétique au saint siège; elle avait emporté avec elle le coupable, et
en fit un autodafé dans la capitale du monde chrétien. Mieux vaut brûler son mobilier que de se rendre
folle, et en vérité pour cette dame le péril était imminent.
[496]
[496] Ne rions pas d'elle, nous, enfants d'un siècle de raison où des hommes sérieux, comme le comte de
Mirville, attribuent au diable les phénomènes inexpliqués de la nature.
Dans un mélodrame qui se joue sur les boulevards, il est question d'un magicien qui, pour se faire un
auxiliaire formidable, a créé un androïde, un monstre à griffes de lion, à cornes de taureau, à écailles de
liévathan, il donne la vie à ce sphinx hybride, et aussitôt, épouvanté de son ouvrage, il prend la fuite. Le
monstre le poursuit, apparaît entre lui et sa fiancée, incendie sa maison, brûle son père, enlève son fils, le
poursuit jusque sur la mer, monte avec lui sur son vaisseau qu'il fait engloutir et finit lui-même par un coup
de foudre. Ce spectacle affreux, risible à force d'épouvante, a été réalisé dans l'histoire de l'humanité, la
poésie a été personnifiée le fantôme du mal lui a prêté toutes les forces de la nature. Elle voulait de cet
épouvantail faire un auxiliaire à la morale, puis elle a eu peur de cette laideur enfantée par ses rêves. Depuis
ce temps, le monstre nous poursuit à travers les âges, il apparaît hideux et grimaçant entre nous et les objets
de nos amours, cauchemar immonde, il étouffe nos enfants pendant leur sommeil, il apporte dans la
création, cette maison paternelle de l'humanité, l'incendie inextinguible de l'enfer, il brûle et torture à jamais
nos pères et nos mères; il étend ses ailes noires pour nous cacher le ciel et il nous crie: Plus d'espérance! il
monte en groupe et galope après nous comme le chagrin; il plonge dans l'océan du désespoir la dernière
arche de notre espérance; c'est l'antique Arimanes des Perses, c'est le Typhon de l'Égypte, c'est le dieu noir
des sectaires de Manès, du comte de Mirville et de
[497]
la magie noire du diable, c'est l'horreur du monde et l'idole des mauvais chrétiens. Les hommes ont essayé
d'en rire et ils en ont peur. Ils en font des caricatures, et ils tressaillent, parce qu'il leur semble voir ces
caricatures mêmes s'animer pour se moquer d'eux à leur tour. Cependant son règne est passé, mais il ne
périra pas écrasé par la foudre du ciel: la science a conquis le feu du tonnerre, et elle a fait des flambeaux,
le monstre s'évanouira devant les splendeurs de la science et la vérité: le génie de l'ignorance et de la nuit
ne peut être foudroyé que par la lumière!
CHAPITRE IV.
LES FANTAISISTES EN MAGIE.
SOMMAIRE.--Le Magicien, par Alphonse Esquiros.--Les livres et les miracles de Henri Delaage.--Les
expériences du comte d'Ourches.--Le livre du baron de Guldenstabbé.--Un mot sur les nécromanciens et les
vampires.--Le cartomancien Edmond.
Il y a une vingtaine d'années qu'un de nos amis d'enfance, Alphonse Esquiros, publia un livre de haute
fantaisie, intitulé le Magicien. C'était tout ce que le romantisme d'alors pouvait imaginer de plus bizarre,
l'auteur donnait à son magicien un sérail de femmes mortes, mais embaumées par un procédé retrouvé
depuis par Gannal. Un androïde de bronze qui prêchait la chasteté, un hermaphrodite amoureux de la lune
et qui entretenait avec elle une correspondance suivie, et bien d'autres choses
[498]
encore que nous ne nous rappelons pas. Alphonse Esquiros, par la publication de ce roman, fonda une école
de fantaisistes en magie dont le jeune et intéressant Henri Delaage est actuellement le représentant le plus
distingué.
Henri Delaage est un écrivain fécond, un thaumaturge méconnu et un fascinateur habile. Son style n'est pas
moins étonnant que les idées d'Alphonse Esquiros, son initiateur et son maître; ainsi dans son livre des
Ressuscités, il dit en parlant d'une objection contre le christianisme: «Je vais prendre cette objection à la
gorge, et quand je la lâcherai, la terre retentira sourdement sous le poids de son cadavre étranglé.» Il est
vrai qu'il ne répond pas grand'chose ensuite à cette objection, mais que voulez-vous qu'on réponde à une
objection étranglée, quand une fois la terre a retenti sourdement sous le poids de son cadavre?
Henri Delaage est, avons-nous dit, un thaumaturge méconnu; il a avoué, en effet, à une personne de notre
connaissance que pendant un hiver où régnait impitoyablement cette affection de poitrine si fâcheuse qu'on
nomme la grippe, il n'avait qu'à se présenter dans un salon pour guérir immédiatement toutes les personnes
qui s'y trouvaient; il est vrai qu'il était la victime du miracle, car il y a gagné un léger enrouement qui ne l'a
pas quitté depuis.
Plusieurs amis d'Henri Delaage nous ont assuré qu'il a le don d'ubiquité, on vient de le quitter au bureau de
la Patrie, on le retrouve chez Dentu, son éditeur, on s'enfuit effrayé, on rentre chez soi et l'on y trouve...
Delaage qui vous attendait.
[499]
Henri Delaage est aussi un fascinateur habile. Une dame du monde qui venait de lire un de ses livres,
déclarait qu'elle ne connaissait rien au monde de plus beau et de mieux écrit, mais ce n'est pas seulement à
ses livres que Delaage communique le don de beauté. Un jour nous venions de lire un feuilleton signé
Fiorentino, où l'on disait que les charmes physiques du jeune magicien égalaient ou même surpassaient
ceux des anges. Nous rencontrons Delaage et nous le questionnons avec curiosité sur cette révélation
singulière. Delaage alors met la main dans son gilet, se tourne de trois quarts et lève en souriant les yeux
vers le ciel... Heureusement nous avions sur nous l'Enchiridion de Léon III, qui est, comme on sait, un
préservatif contre les enchantements, et la beauté angélique du fascinateur resta invisible à nos yeux.
Nous donnerons à Henri Delaage des éloges plus sérieux que ceux des admirateurs de sa beauté, il se
déclare sincèrement catholique, et proclame hautement son respect et son amour pour la religion; or la
religion pourra faire de lui un saint, ce qui est un titre plus estimable et plus glorieux que celui de sorcier.
C'est à cause de sa qualité de publiciste que nous avons nommé ce jeune homme le premier parmi les
fantaisistes de la magie. Ce rang sous tous les autres rapports appartenait à M. le comte d'Ourches, homme
vénérable par son âge qui consacre sa vie et sa fortune aux expériences magnétiques. Chez lui les meubles
et les dames somnambules se livrent à des danses effrénées, les meubles se fatiguent et se brisent, mais les
dames, à ce qu'on assure, ne s'en portent que mieux.
[500]
Pendant longtemps M. le comte d'Ourches a été dominé par une idée fixe: la crainte d'être enterré vivant, et
il a fait plusieurs mémoires sur la nécessité de constater les décès d'une manière plus certaine qu'on ne le
fait habituellement. M. d'Ourches avait d'autant plus raison de craindre, que son tempérament est
pléthorique, et que son extrême susceptibilité nerveuse, journellement surexcitée par ses expériences avec
les jolies somnambules, l'expose peut-être à des attaques d'apoplexie.
M. le comte d'Ourches est en magnétisme l'élève de l'abbé Faria, et en nécromancie il appartient à l'école
du baron de Guldenstubbé.
Le baron de Guldenstubbé a publié un livre intitulé: Pneumatologie positive et expérimentale; la réalité des
esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe.
«Ce fut déjà dans le courant de l'année 1850, environ trois ans avant l'invasion de l'épidémie des tables
tournantes, que l'auteur a voulu introduire en France les cercles du spiritualisme d'Amérique, les coups
mystérieux de Rochester et récriture purement machinale des médiums. Il a rencontré malheureusement
beaucoup d'obstacles de la part des autres magnétiseurs. Les fluidistes, et même ceux qui s'intitulèrent
magnétiseurs spiritualistes, mais qui n'étaient en vérité que des somnambuliseurs de bas étage, traitèrent les
coups mystérieux du spiritualisme américain de folies et de songes creux. Aussi ce n'est qu'au bout de plus
de six mois, que l'auteur a pu former le premier cercle selon le mode des Américains, grâce au concours
zélé que lui a prêté M. Roustan,
[501]
ancien membre de la société des magnétiseurs spiritualistes, homme simple, mais plein d'enthousiasme
pour la sainte cause du spiritualisme. Plusieurs autres personnes sont venues se joindre à nous, parmi
lesquelles il faut citer feu l'abbé Châtel, le fondateur de l'Église française, qui, malgré ses tendances
rationalistes, a fini par admettre la réalité d'une révélation objective et surnaturelle, condition indispensable
du spiritualisme et de toutes les religions positives. On sait que les cercles américains sont basés
(abstraction faite de certaines conditions morales, également requises) sur la distinction des principes
magnétiques ou positifs et électriques ou négatifs.
»Ces cercles se composent de douze personnes, dont six représentent les éléments positifs, et les six autres,
les éléments négatifs ou sensitifs. La distinction des éléments ne doit pas être faite d'après le sexe des
personnes, bien que généralement les femmes aient des attributs négatifs et sensitifs, et que les hommes
soient doués de qualités positives et magnétiques. Il faut donc bien étudier la constitution morale et
physique de chacun, avant de former les cercles, car il y a des femmes délicates qui ont des qualités
masculines, comme quelques hommes vigoureux ne sont que des femmes au moral. On place une table
dans un endroit spacieux et aéré. Le médium (ou les milieux) doit s'asseoir au bout de la table et être
entièrement isolé; il sert de conducteur à l'électricité par son calme et sa quiétude contemplative. Un bon
somnambule est en général un excellent MÉDIUM. On place les six natures électriques ou négatives qu'on
reconnaît généralement aux qualités affectueuses du coeur et à leur sensibilité, à droite du médium, en
mettant immédiatement auprès du médium la personne
[502]
la plus sensitive ou négative du cercle. Il en est de même quant aux natures positives que l'on place à
gauche du médium, parmi lesquelles la personne la plus positive, la plus intelligente doit se mettre
également auprès du médium. Pour former la chaîne, il faut que les douze personnes posent la main droite
sur la table, et qu'elles mettent la main gauche du voisin dessus, en faisant ainsi le tour de la table de la
même façon. Quant au médium ou aux milieux, s'il y en a plusieurs, ils restent entièrement isolés des douze
personnes qui forment la chaîne.
»Nous avons obtenu au bout de plusieurs séances certains phénomènes remarquables, tels que des
secousses simultanées, ressenties par tous les membres du cercle au moment de l'évocation mentale des
personnes les plus intelligentes. Il en est de même des coups mystérieux et des sons étranges; plusieurs
personnes même très insensibles ont eu des visions simultanées, bien qu'elles fussent restées à l'état
ordinaire de veille. Quant aux sujets sensibles, ils ont acquis l'admirable faculté des médiums, d'écrire
machinalement grâce à une attraction invisible, laquelle se sert d'un bras sans intelligence pour exprimer
ses idées. Au surplus, les individus insensibles ressentaient cette influence mystérieuse d'un souffle externe,
mais l'effet n'était pas assez fort pour mettre en mouvement leurs membres. Du reste, tous ces phénomènes
obtenus selon le mode du spiritualisme américain, ont le défaut d'être encore plus ou moins indirects, parce
qu'on ne peut pas se passer dans ces expériences de l'intermédiaire d'un être humain, d'un médium. Il
[503]
en est de même des tables tournantes et parlantes qui n'ont envahi l'Europe qu'au commencement de l'année
1853.
»L'auteur a fait beaucoup d'expériences de tables avec son honorable ami, M. le comte d'Ourches, l'un des
hommes les plus versés dans la magie et dans les sciences occultes. Nous sommes parvenus peu à peu à
mettre les tables en mouvement sans attouchement quelconque; M. le comte d'Ourches les a fait soulever
même sans attouchement. L'auteur a fait courir les tables avec une grande vitesse également sans
attouchement et sans le concours d'un cercle magnétique. Il en est de même des vibrations des cordes d'un
piano, phénomène obtenu déjà le 20 janvier 1856 en présence des comtes de Szapary et d'Ourches. Tous
ces phénomènes révèlent bien la réalité de certaines forces occultes, mais ces faits ne démontrent pas
suffisamment l'existence réelle et substantielle des intelligences invisibles, indépendantes de notre volonté
et de notre imagination, dont on agrandit, il est vrai, démesurément, de nos jours le pouvoir. De là le
reproche que l'on adresse aux spiritualistes américains de n'avoir que des communications insignifiantes et
vagues avec le monde des esprits, qui ne se manifestent que par certains coups mystérieux, et par la
vibration de quelques sons. En effet il n'y a qu'un phénomène direct, intelligent et matériel à la fois,
indépendant de notre volonté et de notre imagination, tel que l'écriture directe des esprits, qu'on n'a pas
même évoqués ni invoqués, qui puisse servir de preuve irréfragable de la réalité du monde surnaturel.
»L'auteur, étant toujours à la recherche d'une preuve intelligente et palpable en même temps, de la réalité
[504]
substantielle du monde surnaturel, afin de démontrer par des faits irréfragables, l'immortalité de l'âme, n'a
jamais cessé d'adresser des prières ferventes à l'Éternel de vouloir bien indiquer aux hommes un moyen
infaillible pour raffermir la foi en l'immortalité de l'âme, cette base éternelle de la religion. L'Éternel, dont
la miséricorde est infinie, a amplement exaucé cette faible prière. Un beau jour, c'était le premier août 1856,
l'idée vint à l'auteur d'essayer si les esprits pouvaient écrire directement, sans l'intermédiaire d'un médium.
Connaissant l'écriture directe et merveilleuse du Décalogue selon Moïse, et l'écriture également directe et
mystérieuse durant le festin du roi Baltazar suivant Daniel, ayant en outre entendu parler des mystères
modernes de Strattford en Amérique, où l'on avait trouvé certains caractères illisibles et étranges, tracés sur
des morceaux de papier, et qui ne paraissaient pas provenir des médiums, l'auteur a voulu constater la
réalité d'un phénomène dont la portée serait immense, s'il existait réellement.
»Il mit donc un papier blanc à lettres et un crayon taillé dans une petite boite fermée à clef, en portant cette
clef toujours sur lui-même et sans faire part de cette expérience à personne. Il attendit durant douze jours en
vain, sans remarquer la moindre trace d'un crayon sur le papier, mais quel fut son étonnement, lorsqu'il
remarqua le 13 août 1856 certains caractères mystérieux, tracés sur le papier; à peine les eut-il remarqués
qu'il répéta dix fois pendant cette journée, à jamais mémorable, la même expérience, en mettant toujours au
bout d'une
[505]
demi-heure, une nouvelle feuille de papier blanc dans la même boîte. L'expérience fut couronnée chaque
fois d'un succès complet.
»Le lendemain, 14 août, l'auteur fit de nouveau une vingtaine d'expériences, en laissant la boîte ouverte et
en ne la perdant pas de vue; c'est alors que l'auteur voyait que des caractères et des mots dans la langue
esthonienne se formèrent ou furent gravés sur le papier, sans que le crayon bougea. Depuis ce moment,
l'auteur, voyant l'inutilité du crayon, a cessé de le mettre sur le papier; il place simplement un papier blanc
sur une table chez lui, ou sur le piédestal des statues antiques, sur les sarcophages, sur les urnes, etc., au
Louvre, à Saint-Denis, à l'église Saint-Étienne-du-Mont, etc. Il en est de même des expériences faites dans
les différents cimetières de Paris. Du reste, l'auteur n'aime guère les cimetières, la plupart des esprits
préférant les lieux où ils ont vécu durant leur carrière terrestre, aux endroits où repose leur dépouille
mortelle.»
Nous sommes loin de révoquer en doute les phénomènes singuliers observés par M. le baron, mais nous lui
ferons observer que la découverte avait été faite avant lui par Lavater et qu'il y a encore loin de quelques
lignes obtenues par M. de Guldenstubbé au portrait peint à l'aquarelle par le kabbaliste Gablidone.
Maintenant, au nom de la science, nous dirons à M. de Guldenstubbé, non pas pour lui qui ne nous croira
pas, mais pour les observateurs sérieux de ces phénomènes extraordinaires:
Monsieur le baron, les écritures que vous obtenez ne viennent pas de l'autre monde; et c'est vous-même qui
les tracez à votre insu.
[506]
Vous avez par vos expériences multipliées à l'excès et par l'excessive tension de votre volonté détruit
l'équilibre de votre corps fluidique et astral, vous le forcez à réaliser vos rêves et il trace en caractères
empruntés à vos souvenirs le reflet de vos imaginations et de vos pensées.
Si vous étiez plongé dans un sommeil magnétique parfaitement lucide, vous verriez le mirage lumineux de
votre main s'allonger comme une ombre au soleil couchant, et tracer sur le papier préparé par vous ou vos
amis les caractères qui vous étonnent.
Cette lumière corporelle qui émane de la terre et de vous est contenue par une enveloppe fluidique d'une
extrême élasticité, et cette enveloppe se forme de la quintessence de vos esprits vitaux et de votre sang.
Cette quintessence emprunte à la lumière une couleur déterminée par votre volonté secrète, elle se fait ce
que vous rêvez qu'elle est; alors les caractères s'impriment sur le papier comme les signes sur le corps des
enfants qui ne sont pas encore nés sous l'influence des imaginations de leurs mères.
Cette encre que vous voyez apparaître sur le papier, c'est votre sang noirci et transfiguré. Vous vous épuisez
à mesure que les écritures se multiplient. Si vous continuez vos expériences, votre cerveau s'affaiblira
graduellement, votre mémoire se perdra; vous ressentirez dans les articulations des membres et des doigts
d'inexprimables douleurs et vous mourrez enfin, soit foudroyé subitement, soit dans une longue agonie
accompagnée d'hallucinations et de démence. Voici pour M. le baron de Guldenstubbé.
[507]
Maintenant nous dirons à M. le comte d'Ourches: Vous ne serez pas enterré vivant, mais vous risquez de
mourir par les précautions mêmes que vous prendrez pour ne pas l'être.
Les personnes enterrées vivantes ne peuvent d'ailleurs avoir sous terre que des réveils rapides et de peu de
durée, elles peuvent toutefois y vivre longtemps conservées par la lumière astrale dans un état complet de
somnambulisme lucide.
Leurs âmes alors sont sur la terre encore enchaînées au corps endormi par une chaîne invisible, alors si ce
sont des âmes avides et criminelles, elles peuvent aspirer la quintessence du sang des personnes endormies
du sommeil naturel, et transmettre cette séve à leur corps enterré pour le conserver plus longtemps dans
l'espérance vague qu'il sera enfin rendu à la vie. C'est cet effrayant phénomène qu'on appelle le
vampirisme, phénomène dont la réalité a été constatée par des expériences nombreuses aussi bien attestées
que tout ce qu'il y a de plus solennel dans l'histoire.
Si vous doutez de la possibilité de cette vie magnétique du corps humain dans la terre, lisez ce récit d'un
officier anglais nommé Osborne, récit dont la fidélité a été attestée à M. le baron Du Potet par le général
Ventura.
«Le 6 juin (1838), dit M. Osborne, la monotonie de notre vie de camp fut heureusement interrompue par
l'arrivée d'un individu célèbre dans le Pendjab. Il jouit parmi les Sikhs d'une grande vénération à cause de la
faculté qu'il a de rester enseveli sous terre aussi longtemps qu'il lui plaît. On rapportait dans le pays des
faits si extraordinaires sur cet homme, et tant de personnes
[508]
respectables en garantissaient l'authenticité, que nous étions extrêmement désireux de le voir. Il nous
raconta lui-même qu'il exerçait ce qu'il appelle son métier (celui de se faire enterrer) depuis plusieurs
années; on l'a vu en effet répéter cette étrange expérience sur divers points de l'Inde. Parmi les hommes
graves et dignes de foi qui en rendent témoignage, je dois citer le capitaine Wade, agent politique à
Lodhiana. Cet officier m'a affirmé très sérieusement avoir assisté lui-même à la résurrection de ce fakir
après un enterrement qui avait eu lieu quelques mois auparavant, en présence du général Ventura, du
maharadja et des principaux chefs sikhs. Voici les détails qu'on lui avait donnés sur l'enterrement, et ceux
qu'il ajoutait, d'après sa propre autorité, sur l'exhumation.
»A la suite de quelques préparatifs qui avaient duré quelques jours et qu'il répugnerait d'énumérer, le fakir
déclara être prêt à subir l'épreuve. Le maharadja, les chefs sikhs et le général Ventura se réunirent près
d'une tombe en maçonnerie construite exprès pour le recevoir. Sous leurs yeux, le fakir ferma avec de la
cire, à l'exception de la bouche, toutes les ouvertures de son corps qui pouvaient donner entrée à l'air; puis
il se dépouilla des vêtements qu'il portait: on l'enveloppa alors d'un sac de toile, et, suivant son désir, on lui
retourna la langue en arrière de manière à lui boucher l'entrée du gosier; aussitôt après cette opération le
fakir tomba dans une sorte de léthargie. Le sac qui le contenait fut fermé, et un cachet y fut apposé par le
maharadja. On plaça ensuite ce sac dans une caisse de bois
[509]
cadenassée et scellée qui fut descendue dans la tombe: on jeta une grande quantité de terre dessus, on foula
longtemps cette terre et on y sema de l'orge; enfin des sentinelles furent placées tout alentour avec l'ordre
de veiller jour et nuit.
»Malgré toutes ces précautions, le maharadja conservait des doutes; il vint deux fois dans l'espace de dix
mois, temps pendant lequel le fakir resta enterré, et il fit ouvrir devant lui la tombe; le fakir était dans le sac
tel qu'on l'y avait mis, froid et inanimé. Les dix mois expirés, on procéda à l'exhumation définitive du fakir.
Le général Ventura et le capitaine Wade virent ouvrir les cadenas, briser les scellés et élever la caisse hors
de la tombe. On retira le fakir: nulle pulsation soit au coeur, soit au pouls, n'indiquait la présence de la vie.
Comme première mesure destinée à le ranimer, une personne lui introduisit très doucement le doigt dans la
bouche et replaça sa langue dans la position naturelle. Le sommet de la tête était seul demeuré le siège
d'une chaleur sensible. En versant lentement de l'eau chaude sur le corps on obtint peu à peu quelques
signes de vie: après deux heures de soins, le fakir se releva et se mit à marcher en souriant.
»Cet homme vraiment extraordinaire raconte que, durant son ensevelissement il a des rêves délicieux, mais
que le moment du réveil lui est toujours très pénible; avant de revenir à la conscience de sa propre
existence, il éprouve des vertiges.
»Il est âgé d'environ trente ans; sa figure est désagréable et a une certaine expression de ruse.
»Quinze jours après la visite du fakir à leur camp, les officiers anglais arrivèrent à Lahore; ils y choisirent
un endroit qui leur parut favorable, firent construire une tombe en maçonnerie avec une caisse en bois bien
solide, et demandèrent le fakir. Celui-ci les vint trouver le lendemain en leur témoignant le désir ardent de
prouver qu'il n'était pas un imposteur. Il avait déjà, disait-il, subi les préparatifs nécessaires à l'expérience;
son maintien trahissait cependant l'inquiétude et l'abattement. Il voulut d'abord savoir quelle serait sa
récompense: on lui promit une somme de quinze cents roupies, et un revenu de deux mille roupies par an
que l'on se chargerait d'obtenir du roi. Satisfait sur ce point, il voulut savoir quelles précautions on comptait
prendre; les officiers lui firent voir l'appareil de cadenas et de clefs, et l'avertirent que des sentinelles
choisies parmi les soldats anglais veilleraient alentour pendant une semaine. Le fakir se récria et exhala
force injures contre les Frenghis, contre les incrédules qui voulaient lui ravir sa réputation; il exprima le
soupçon que l'on voulût attenter à sa vie, il refusa de s'abandonner ainsi complètement à la surveillance des
Européens, il demanda que les doubles clefs de chaque cadenas fussent remises à quelqu'un de ses
coreligionnaires, et il insista surtout pour que les factionnaires ne fussent pas des
[511]
ennemis de sa religion. Les officiers ne voulurent point accéder à ces conditions. Différentes entrevues
eurent lieu sans résultat; enfin le fakir fit savoir par un des chefs sikhs que le maharadja l'ayant menacé de
sa colère s'il ne remplissait pas son engagement avec les Anglais, il voulait se soumettre à l'épreuve, bien
qu'entièrement convaincu que le seul but des officiers était de lui ôter la vie, et qu'il ne sortirait jamais
vivant de sa tombe; les officiers déclarèrent que comme sur ce dernier point ils partageaient complètement
sa conviction, et qu'ils ne voulaient pas avoir sa mort à se reprocher, ils le tenaient quitte de sa promesse.
»Ces hésitations et ces craintes du fakir sont-elles des preuves péremptoires contre lui? En résulte-t-il que
toutes les personnes qui auparavant ont soutenu avoir vu les faits sur lesquels repose sa célébrité aient
voulu en imposer ou aient été les dupes d'une habile fourberie? Nous avouons que nous ne pouvons douter,
d'après le nombre et le caractère des témoins, que le fakir ne se soit fait souvent et réellement enterrer; mais
admettant même qu'après l'ensevelissement il ait réussi chaque fois à communiquer avec le dehors, il serait
encore inexplicable comment il aurait pu rester privé de respiration pendant tout le temps qui s'écoulait
entre son enterrement et le moment où ses complices lui venaient en aide. M. Osborne cite en note un
extrait de la Topographie médicale de Lodhiana, du docteur Mac Gregor, médecin anglais qui a assisté à
une des exhumations, et qui, témoin de l'état de léthargie du fakir et de son retour graduel à la vie, cherche
sérieusement à l'expliquer. Un autre officier anglais, M. Boileau, dans un ouvrage publié il y a
[512]
quelques années, raconte qu'il a été témoin d'une autre expérience où tous les faits se sont passés de la
même manière. Les personnes qui voudraient satisfaire plus amplement leur curiosité, celles qui verraient
dans ce récit l'indication d'un curieux phénomène physiologique, peuvent remonter avec confiance aux
sources que nous venons d'indiquer.»
Il existe encore un grand nombre de procès-verbaux sur l'exhumation des vampires. Les chairs étaient dans
un état remarquable de conservation, mais elles suintaient le sang, leurs cheveux avaient cru d'une manière
extraordinaire et s'échappaient par touffes entre les fentes du cercueil. La vie n'existait plus dans l'appareil
qui sert à la respiration, mais seulement dans le coeur qui d'animal semblait être devenu végétal. Pour tuer
le vampire, il fallait lui traverser la poitrine avec un pieu, alors un cri terrible annonçait que le somnambule
de la tombe se réveillait en sursaut dans une véritable mort.
Pour rendre cette mort définitive, on entourait la tombe du vampire d'épées plantées en terre la pointe en
l'air, car les fantômes de lumière astrale se décomposent par l'action des pointes métalliques qui, en attirant
cette lumière vers le réservoir commun, en détruisent les amas coagulés.
Ajoutons, pour rassurer les personnes craintives, que les cas de vampirisme sont heureusement fort rares, et
qu'une personne saine d'esprit et de corps ne saurait être la victime d'un vampire si elle ne lui a pas
abandonné de son vivant son corps et son âme par quelque complicité de crime ou de passion déréglée.
[513]
Voici une histoire de vampire qui est rapportée par Tournefort, dans son Voyage au Levant:
«Nous fûmes témoins (dit l'auteur), dans l'île de Mycone, d'une scène bien singulière, à l'occasion d'un de
ces morts, que l'on croit voir revenir, après leur enterrement. Des peuples du Nord les appellent Vampires;
les Grecs les désignent sous le nom de Broucolaques. Celui dont on va donner l'histoire était un paysan de
Mycone, naturellement chagrin et querelleur; c'est une circonstance à remarquer par rapport à de pareils
sujets: il fut tué à la campagne, on ne sait par qui ni comment.
«Deux jours après qu'on l'eut inhumé dans une chapelle de la ville, le bruit courut qu'on le voyait la nuit se
promener à grands pas: qu'il venait dans les maisons renverser les meubles, éteindre les lampes, embrasser
les gens par derrière, et faire mille petits tours d'espiègle. On ne fit qu'en rire d'abord; mais l'affaire devint
sérieuse, lorsque les plus honnêtes gens commencèrent à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) eux-mêmes
convenaient du fait, et sans doute qu'ils avaient leurs raisons. On ne manqua pas de faire dire des messes:
cependant le paysan continuait la même vie sans se corriger. Après plusieurs assemblées des principaux de
la ville, des prêtres et des religieux, on conclut qu'il fallait, je ne sais par quel ancien cérémonial, attendre
les neuf jours après l'enterrement.
«Le dixième jour, on dit une messe dans la chapelle où était le corps, afin de chasser le démon que l'on
croyait s'y être renfermé. Après la messe, on déterra le corps, et on en ôta le
[514]
coeur; le cadavre sentait si mauvais qu'on fut obligé de brûler de l'encens; mais la fumée, confondue avec la
mauvaise odeur, ne fit que l'augmenter, et commença d'échauffer ces pauvres gens. On s'avisa de dire qu'il
sortait une fumée épaisse de ce corps. Nous, qui étions témoins, nous n'osions dire que c'était celle de
l'encens.
«Plusieurs des assistants assuraient que le sang de ce malheureux était bien vermeil; d'autres juraient que le
corps était encore tout chaud; d'où l'on concluait que le mort avait grand tort de n'être pas bien mort, ou,
pour mieux dire, de s'être laissé ranimer par le diable; c'est là précisément l'idée qu'ils ont d'un broucolaque;
on faisait alors retentir ce nom d'une manière étonnante. Une foule de gens, qui survinrent, protestèrent tout
haut qu'ils s'étaient bien aperçus que ce corps n'était pas devenu roide, lorsqu'on le porta de la campagne à
l'église pour l'enterrer; et que, par conséquent, c'était un vrai broucolaque; c'était là le refrain.
«Quand on nous demanda ce que nous croyions de ce mort, nous répondîmes que nous le croyions très bien
mort; et que, pour ce prétendu sang vermeil, on pouvait voir aisément que ce n'était qu'une bourbe fort
puante; enfin, nous fîmes de notre mieux pour guérir, ou du moins pour ne pas aigrir leur imagination
frappée, en leur expliquant les prétendues vapeurs et la chaleur d'un cadavre.
«Malgré tous nos raisonnements, on fut d'avis de brûler le coeur du mort, qui, après cette exécution, ne fut
pas plus docile qu'auparavant, et fit encore plus de bruit. On l'accusa de battre les gens la nuit, d'enfoncer
les portes, de briser les fenêtres,
[515]
de déchirer les habits et de vider les cruches et les bouteilles. C'était un mort bien altéré. Je crois qu'il
n'épargna que la maison du consul, chez qui nous logions. Tout le monde avait l'imagination renversée. Les
gens du meilleur esprit paraissaient frappés comme les autres. C'était une véritable maladie de cerveau,
aussi dangereuse que la manie et que la rage. On voyait des familles entières abandonner leurs maisons, et
venir des extrémités de la ville porter leurs grabats à la place pour y passer la nuit. Chacun se plaignait de
quelque nouvelle insulte, et les plus sensés se retiraient à la campagne.
«Les citoyens les plus zélés pour le bien public croyaient qu'on avait manqué au point le plus essentiel de la
cérémonie; il ne fallait, selon eux, célébrer la messe qu'après avoir ôté le coeur à ce malheureux. Ils
prétendaient qu'avec cette précaution, on n'aurait pas manqué de surprendre le diable; et sans doute, il
n'aurait eu garde d'y revenir; au lieu qu'ayant commencé par la messe, il avait eu tout le temps de s'enfuir,
et de revenir à son aise.
«Après tous ces raisonnements, on se trouva dans le même embarras que le premier jour. On s'assembla
soir et matin; on fit des processions pendant trois jours et trois nuits; on obligea les papas de jeûner; on les
voyait courir dans les maisons, le goupillon à la main, jeter de l'eau bénite et en laver les portes: ils en
remplissaient même la bouche de ce pauvre broucolaque.
«Dans une prévention si générale, nous prîmes le parti de ne rien dire. Non-seulement on nous aurait traités
de ridicules, mais d'infidèles. Comment faire revenir tout un peuple? Tous les
[516]
matins, on nous donnait la comédie, par le récit des nouvelles folies de cet oiseau de nuit; on l'accusait
même d'avoir commis les péchés les plus abominables.
»Cependant nous répétâmes si souvent aux administrateurs de la ville, que, dans un pareil cas, on ne
manquerait pas, dans notre pays, de faire le guet la nuit, pour observer ce qui se passerait, qu'enfin on arrêta
quelques vagabonds, qui, assurément, avaient part à tous ces désordres: mais on les relâcha trop tôt; car,
deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu'ils avaient fait en prison, il recommencèrent à vider les
cruches de vin, chez ceux qui étaient assez sots pour abandonner leurs maisons la nuit. On fut donc obligé
d'en revenir aux prières.
»Un jour, comme on récitait certaines oraisons, après avoir planté je ne sais combien d'épées nues sur la
fosse du cadavre, que l'on déterrait trois ou quatre fois par jour, suivant le caprice du premier venu, un
Albanais, qui se trouvait là, s'avisa de dire, d'un ton de docteur, qu'il était fort ridicule en pareils cas, de se
servir des épées des chrétiens. «Ne voyez-vous pas, pauvres gens, disait-il, que la garde de ces épées faisant
une croix avec la poignée, empêche le diable de sortir de ce corps? Que ne vous servez-vous plutôt des
sabres des Turcs?»
»L'avis de cet habile homme ne servit de rien; le broucolaque ne parut pas plus traitable, et on ne savait
plus à quel saint se vouer, lorsque tout d'une voix, comme si l'on s'était donné le mot, on se mit à crier, par
toute la ville, qu'il fallait brûler le broucolaque tout entier; qu'après cela ils défiaient le diable
[517]
de revenir s'y nicher; qu'il valait mieux recourir à cette extrémité, que de laisser déserter l'île. En effet, il y
avait déjà des familles qui pliaient bagage pour aller s'établir ailleurs.
«On porta donc le broucolaque, par ordre des administrateurs, à la pointe de l'île de Saint-Georges, où l'on
avait préparé un grand bûcher avec du goudron, de peur que le bois, quelque sec qu'il fut, ne brûlât pas
assez vite. Les restes de ce malheureux cadavre y furent jetés et consumés en peu de temps. C'était le
premier jour de janvier 1701. Dès lors, on n'entendit plus de plaintes contre le broucolaque; on se contenta
de dire que le diable avait été bien attrapé cette fois-là, et l'on fit quelques chansons pour le tourner en
ridicule.»
Remarquons dans ce récit de Tournefort, qu'il admet la réalité des visions qui épouvantaient tout un peuple.
Qu'il ne conteste ni la flexibilité ni la chaleur du cadavre, mais qu'il cherche à les expliquer, et cela
seulement dans le but fort louable sans doute de rassurer ces pauvres gens.
Qu'il ne parle pas de la décomposition du cadavre, mais seulement de sa puanteur; puanteur naturelle aux
cadavres vampiriques comme aux champignons vénéneux.
Qu'il atteste enfin que le cadavre une fois brûlé, les prodiges et les visions cessèrent.
Mais nous voici bien loin des fantaisistes de la magie, revenons-y pour oublier les vampires, et disons
quelques mots sur le cartomancien Edmond.
Edmond est le sorcier favori des dames du quartier de Notre-Dame-de-Lorette, il occupe, rue Fontaine-
Saint-Georges, n. 30, un petit appartement assez coquet, son antichambre est
[518]
toujours pleine de clientes et parfois aussi de clients. Edmond est un homme de grande taille, un peu obèse,
son teint est pâle, sa physionomie ouverte, sa parole assez sympathique. Il paraît croire à son art et
continuer en conscience les exercices et la fortune des Éteilla et des demoiselles Lenormand. Nous l'avons
interrogé sur ses procédés, et il nous a répondu avec l'accent de la franchise et avec beaucoup de politesse
qu'il a été depuis son enfance passionné pour les sciences occultes et qu'il s'est exercé de bonne heure à la
divination; qu'il ignore les secrets philosophiques des hautes sciences et qu'il n'a pas les clefs de la kabbale
de Salomon, mais qu'il est sensitif au plus haut point, et que la seule présence de ses clients l'impressionne
si vivement qu'il sent en quelque sorte leur destinée. Il me semble, disait-il, que j'entends des bruits
singuliers, des bruits de chaînes autour des prédestinés du bagne, des cris et des gémissements autour de
ceux qui mourront de mort violente, des odeurs surnaturelles viennent m'assaillir et me suffoquent. Un jour,
en présence d'une femme voilée et vêtue de noir, je me pris à tressaillir, je sentais une odeur de paille et de
sang.... Madame, lui criai-je, sortez d'ici, vous êtes environnée d'une atmosphère de meurtre et de prison.
Eh bien! oui, dit alors cette femme, en dévoilant son visage pâle, j'ai été accusée d'infanticide et je sors de
prison. Puisque vous avez vu le passé, dites-moi aussi l'avenir.
Un de nos amis et de nos disciples en kabbale, parfaitement inconnu d'Edmond, est allé un jour le consulter,
il avait payé d'avance et attendait les oracles, lorsque Edmond se levant avec respect le pria de reprendre
son argent. Je n'ai rien à vous
[519]
dire, ajouta-t-il; votre destinée est fermée pour moi avec la clef de l'occultisme; tout ce que je pourrais vous
dire, vous le savez aussi bien que moi, et il le reconduisit en le saluant beaucoup.
Edmond s'occupe aussi d'astrologie judiciaire, il dresse au plus juste prix des horoscopes et des thèmes de
nativité; il tient en un mot tout ce qui concerne son état. C'est d'ailleurs un triste et fatiguant métier que le
sien: avec combien de têtes malades et de coeurs malsains ne doit-il pas être continuellement en rapport! et
puis les sottes exigences des uns, les reproches injustes des autres, les confidences gênantes, les demandes
de philtres et d'envoûtements, les obsessions des fous, tout cela, en vérité lui fait bien gagner son argent.
Edmond n'est à tout prendre qu'un somnambule comme Alexis, il se magnétise lui-même avec ses cartons
bariolés de figures diaboliques, il s'habille de noir et donne ses consultations dans un cabinet noir: c'est le
prophète du mystère.
CHAPITRE V.
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR.
SOMMAIRE.--Influence des Illuminés et des maniaques sur les événements historiques.--Le mapah.--
Sobrier et la révolution de février 1848.--Puissance magnétique de certains hommes.--Une somnambule
statique.
[520]
--Venez-vous avec moi, voir le mapah, lui dit ce dernier.
--Qu'est-ce que c'est que le mapah?
--C'est un dieu.
--Venez-donc, c'est le fou le plus éloquent, le plus radieux et le plus superbe qu'on ait jamais vu.
Ses manières étaient brusques mais sympathiques, son éloquence entraînante, ses yeux hallucinés; il parlait
avec emphase, s'animait, s'échauffait jusqu'à ce qu'une écume blanchâtre vînt border ses lèvres. Quelqu'un a
défini l'abbé de Lamennais, quatre-vingt-treize faisant ses pâques; cette définition conviendrait mieux au
mysticisme du Mapah, on peut en juger par ce fragment échappé à son enthousiasme lyrique:
«L'humanité devait faillir: ainsi le voulait sa destinée, afin qu'elle fût elle-même l'instrument de sa
reconstitution, et que dans la grandeur et la majesté du labeur humain passant par
[521]
toutes ses phases de lumières et de ténèbres, apparussent manifestement la grandeur et la majesté de Dieu.
«Et l'unité primitive est brisée par la chute; la douleur s'introduit dans le monde sous la forme du serpent; et
l'arbre de vie devient arbre de mort.
«Et les choses étant ainsi, Dieu dit à la femme: Tu enfanteras dans la douleur; puis il ajoute: C'est par toi
que la tête du serpent sera écrasée.
«Et la femme est la première esclave; elle a compris sa mission divine, et le pénible enfantement a
commencé.
«C'est pourquoi, depuis l'heure de la chute, la tâche de l'humanité n'a été qu'une tâche d'initiation, tâche
grande et terrible; c'est pourquoi tous les termes de cette même initiation, dont notre mère commune Ève
est l'alpha, et notre mère commune Liberté, l'oméga, sont également saints et sacrés aux yeux de Dieu.
«J'ai vu un immense vaisseau surmonté d'un mât gigantesque terminé en ruche, et l'un des flancs du
vaisseau regardait l'Occident et l'autre l'Orient.
«Et, du côté de l'Occident, ce vaisseau s'appuyait sur les sommets nuageux de trois montagnes, dont la base
se perdait dans une mer furieuse;
«Et chacune de ces montagnes portait son nom sanglant attaché à son flanc. La première s'appelait
Golgotha; la seconde, mont Saint-Jean; la troisième Sainte-Hélène.
«Et au centre du mât gigantesque, du côté de l'Occident, était fixé une croix à cinq branches sur laquelle
expirait une femme.
[522]
«Au-dessus de la tête de cette femme, on lisait:
France:
18 juin 1815;
Vendredi-Saint.
«Et chacune des cinq branches de la croix, sur laquelle elle était étendue, représentait une des cinq parties
du monde; sa tête reposait sur l'Europe et un nuage l'entourait.
«Et du côté du vaisseau qui regardait l'Orient les ténèbres n'existaient pas; et la carène était arrêtée au seuil
de la cité de Dieu sur le faîte d'un arc triomphal que le soleil illuminait de ses rayons.
Le mapah était, comme on le voit, un continuateur de Catherine Théot et de dom Gerle, et cependant
étrange sympathie des folies entre elles, il nous déclara un jour confidentiellement qu'il était Louis XVII,
revenu sur la terre pour une oeuvre de régénération, et que cette femme qui vivait avec lui avait été Marie-
Antoinette de France. Il expliquait alors ses théories révolutionnaires jusqu'à l'extravagance, comme le
dernier mot des prétentions violentes de Caïn, destinées à ramener par une réaction fatale le triomphe du
juste Abel. Esquiros et moi, nous étions allés voir le mapah pour nous amuser de sa démence, et
[523]
notre imagination resta frappée de ses discours. Nous étions deux amis de collège à la manière de Louis-
Lambert et de Balzac, et nous avions souvent rêvé ensemble des dévouements impossibles et des héroïsmes
inconnus. Après avoir entendu Ganneau, ainsi se nommait celui qui se faisait appeler le mapah, nous nous
prîmes à penser qu'il serait beau de dire au monde le dernier mot de la révolution et de fermer l'abîme de
l'anarchie, en nous y jetant comme Curtius. Cet orgueil d'écoliers donna naissance à l'Évangile du peuple et
à la Bible de la liberté, folies qu'Esquiros et son malencontreux ami n'ont que trop chèrement payées.
Tel est le danger des manies enthousiastes, elles sont contagieuses, et l'on ne se penche pas impunément au
bord des abîmes de la démence; mais voici quelque chose de bien autrement terrible.
Parmi les disciples du mapah, se trouvait un jeune homme nerveux et débile nommé Sobrier. Celui-là perdit
complètement la tête, et se crut prédestiné à sauver le monde en provoquant la crise suprême d'une
révolution universelle.
Arrivent les journées de février 1848. Une émeute avait provoqué un changement de ministère, tout était
fini, les Parisiens étaient contents et les boulevards étaient illuminés.
Un jeune homme apparaît tout à coup dans les rues populeuses du quartier Saint-Martin. Il se fait précéder
de deux gamins, l'un portant une torche, l'autre battant le rappel, un rassemblement nombreux se forme, le
jeune homme monte sur une borne et harangue la foule. Ce sont des choses incohérentes, incendiaires, mais
la
[524]
conclusion, c'est qu'il faut aller au boulevard des Capucines porter au ministère la volonté du peuple.
Au coin de toutes les rues l'énergumène répète la même harangue, et il marche en tête du rassemblement,
deux pistolets aux poings et toujours précédé de sa torche et de son tambour.
La foule des curieux qui encombrait les boulevards se joint par curiosité au cortège du harangueur. Bientôt
ce n'est plus un rassemblement, c'est une masse de peuple qui roule sur le boulevard des Italiens.
Au milieu de cette trombe, le jeune homme et les deux gamins ont disparu, mais devant l'hôtel des
Capucines un coup de pistolet est tiré sur la troupe.
Pendant toute la nuit, deux tombereaux chargés de cadavres se promenèrent dans les rues à la lueur des
torches; le lendemain tout Paris était aux barricades, et Sobrier sans connaissance était rapporté chez lui.
C'était Sobrier qui, sans savoir ce qu'il faisait, venait de donner une secousse au monde.
Ganneau et Sobrier sont morts, et l'on peut maintenant, sans danger pour eux, révéler à l'histoire ce terrible
exemple du magnétisme des enthousiastes et des fatalités que peuvent entraîner après elles les maladies
nerveuses de certains hommes. Nous tenons de source certaine les choses que nous racontons et nous
pensons que cette révélation peut apporter un soulagement à la conscience du Bélisaire de la poésie, l'auteur
de l'Histoire des Girondins.
[525]
Les phénomènes magnétiques produits par Ganneau durèrent même après sa mort. Sa veuve, femme sans
instruction et d'une intelligence assez négative, fille d'un honnête Auvergnat, est restée dans le
somnambulisme statique où son mari l'avait plongée. Semblable à ces enfants qui subissent la forme des
imaginations de leurs mères, elle est devenue une image vivante de Marie-Antoinette prisonnière à la
Conciergerie. Ses manières sont celles d'une reine à jamais veuve et désolée, parfois seulement elle laisse
échapper quelques plaintes qui sont de s'écrier que son rêve la fatigue, mais elle s'indigne souverainement
contre ceux qui cherchent à la réveiller; elle ne donne d'ailleurs aucun signe d'aliénation mentale; sa
conduite extérieure est raisonnable, sa vie parfaitement honorable et régulière. Rien n'est plus touchant,
selon nous, que cette obsession persévérante d'un être follement aimé qui se survit dans une hallucination
conjugale. Si Artémise a existé, il est permis de croire que Mausole était aussi un puissant magnétiseur, et
qu'il avait entraîné et fixé à jamais les affections d'une femme toute sensitive en dehors des limites du libre
arbitre et de la raison.
CHAPITRE VI.
DES SCIENCES OCCULTES.
Le secret des sciences occultes c'est celui de la nature elle-même, c'est le secret de la génération des anges
et des mondes, c'est celui de la toute-puissance de Dieu!
[526]
Vous serez comme les Élohims, connaissant le bien et le mal, avait dit le serpent de la Genèse, et l'arbre de
la science est devenu l'arbre de la mort.
Depuis six mille ans, les martyrs de la science travaillent et meurent au pied de cet arbre pour qu'il
redevienne l'arbre de vie.
L'absolu cherché par les insensés et trouvé par les sages, c'est la vérité, la réalité et la raison de l'équilibre
universel!
Jusqu'à présent l'humanité a essayé de se tenir sur un seul pied, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre.
Les civilisations se sont élevées et ont péri, soit par la démence anarchique du despotisme, soit par
l'anarchie despotique de la révolte.
Tantôt les enthousiasmes superstitieux, tantôt les misérables calculs de l'instinct matérialiste ont égaré les
nations, et Dieu pousse le monde enfin vers la raison croyante et les croyances raisonnables.
Nous avons eu assez de prophètes sans philosophie et de philosophes sans religion, les croyants aveugles et
les sceptiques se ressemblent et ils sont aussi loin les uns que les autres du salut éternel.
Dans le chaos du doute universel et des conflits de la science et de la foi, les grands hommes et les voyants
n'ont été que des artistes malades qui cherchaient la beauté idéale aux risques et périls de leur raison et de
leur vie.
Le tribunal de la médiocrité juge le génie sans appel, parce que le génie étant la lumière du monde, est
regardé comme nul et comme mort, dès qu'il n'éclaire pas.
L'enthousiasme du poëte est contrôlé par le sang-froid de la prosaïque multitude. L'enthousiaste que le bon
sens public n'accepte pas, n'est point un génie, c'est un fou.
Ne dites pas que les grands artistes sont les esclaves de la foule ignorante, car c'est d'elle que leur talent
reçoit l'équilibre de la raison.
La vertu, c'est l'équilibre dans les affections; la beauté, c'est l'équilibre dans les formes.
Les belles lignes sont les lignes justes, et les magnificences de la nature sont un algèbre de grâces et de
splendeurs.
[528]
Tout ce qui est juste est beau: tout ce qui est beau doit être juste.
Le ciel et l'enfer sont l'équilibre de la vie morale; le bien et le mal sont l'équilibre de la liberté.
Le grand oeuvre, c'est la conquête du point central où réside la force équilibrante. Partout ailleurs, les
réactions de la force équilibrée conservent la vie universelle par le mouvement perpétuel de la naissance et
de la mort.
C'est pour cela que les philosophes hermétiques comparent leur or au soleil.
C'est pour cela que cet or guérit toutes les maladies de l'âme et donne l'immortalité. Les hommes arrivés à
ce point central sont les véritables adeptes, ce sont les thaumaturges de la science et de la raison.
Ils sont maîtres de toutes les richesses du monde et des mondes, ils sont les confidents et les amis des
princes du ciel, la nature leur obéit parce qu'ils veulent ce que veut la loi qui fait marcher la nature.
Voilà ce que le Sauveur du monde appelle le royaume de Dieu! c'est le sanctum regnum de la sainte
kabbale. C'est la couronne et l'anneau de Salomon, c'est le sceptre de Joseph devant lequel s'inclinent les
étoiles du ciel et les moissons de la terre.
Cette toute-puissance nous l'avons retrouvée, et nous ne la vendons pas, mais si Dieu nous avait chargé de
la vendre, nous ne trouverions pas que ce soit assez de toute la fortune des acheteurs; nous leur
demanderions encore, non pas pour nous, mais pour elle toute leur âme et toute leur vie!
[529]
CHAPITRE VII.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
Résumer l'histoire d'une science, c'est résumer la science. Aussi allons-nous récapituler les grands principes
de l'initiation conservés et transmis à travers tous les âges.
Cette science est essentiellement religieuse, elle a présidé à la formation des dogmes de l'ancien monde, et a
été ainsi la mère nourrice de toutes les civilisations.
Mère pudique et mystérieuse, qui, en allaitant de poésie et d'inspiration les générations naissantes, couvrait
son visage et son sein!
Avant tout principe, elle nous dit de croire en Dieu, et de l'adorer sans chercher à le définir, parce que
souvent pour notre intelligence imparfaite, un Dieu défini est en quelque sorte un Dieu fini! Mais après
Dieu, elle nous montre comme souverains principes des choses, les mathématiques éternelles et les forces
équilibrées.
Il est écrit dans la Bible que Dieu a tout disposé par le poids, le nombre et la mesure, voici le texte:
[530]
Ainsi le poids, c'est-à-dire l'équilibre, le nombre ou la quantité et la mesure, c'est-à-dire la proportion, telles
sont les bases éternelles ou divines de la science de la nature.
La clef des nombres se trouve dans le Sepher Jézirah. La génération des nombres est analogue à la filiation
des idées et à la production des formes.
En sorte que, dans leur alphabet sacré, les sages hiérophantes de la kabbale ont réuni les signes
hiéroglyphiques des nombres, des idées et des formes.
Les combinaisons de cet alphabet donnent des équations d'idées, et mesurent, en les indiquant, toutes les
combinaisons possibles dans les formes naturelles.
Dieu, dit la Genèse, a fait l'homme à son image: or, l'homme étant le résumé vivant de la création, il s'ensuit
que la création aussi est faite à l'image de Dieu.
[531]
Ils comparaient le soufre au père, à cause de l'activité génératrice du feu; le mercure à la mère, pour sa
puissance d'attraction et de reproduction; et le sel était pour eux l'enfant ou la substance soumise à
l'éducation de la nature.
Lumière positive ou ignée, le soufre volatil; lumière négative ou rendue visible par les vibrations du feu, le
mercure fluide éthéré; et lumière neutralisée ou ombre, le mixte coagulé ou fixé sous la forme de terre ou
de sel.
C'est pourquoi Hermès trismégiste s'exprime ainsi dans son symbole connu sous le nom de Table
d'émeraude:
«Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour
former les merveilles de la chose unique.»
C'est-à-dire que le mouvement universel est produit par les analogies du fixe et du volatil, le volatil tendant
à se fixer, et le fixe à se volatiliser, ce qui produit un échange continuel entre les formes de la substance
unique et, par cet échange, les combinaisons sans cesse renouvelées des formes universelles.
Le feu c'est Osiris ou le soleil, la lumière c'est Isis ou la lune, ils sont le père et la mère du grand Télesma,
c'est-à-dire de la substance universelle, non qu'ils en soient les créateurs, mais ils en représentent les deux
forces génératrices, et leur effort combiné produit le fixe ou la terre, ce qui fait dire à Hermès que leur force
est parvenue à toute sa manifestation quand la terre en a été formée.
[532]
Osiris n'est donc pas Dieu, même pour les grands hiérophantes du sanctuaire égyptien. Osiris n'est que
l'ombre lumineuse ou ignée du principe intellectuel de la vie, et c'est pour cela qu'au moment des dernières
initiations on jetait en courant dans l'oreille de l'adepte cette révélation redoutable: Osiris est un dieu noir.
Malheur, en effet, au récipiendaire dont l'intelligence ne se serait pas élevée par la foi au-dessus des
symboles purement physiques de la révélation égyptienne! Cette parole devenait pour lui une formule
d'athéisme et son esprit était frappé d'aveuglement. Elle était au contraire pour le croyant d'un génie plus
élevé, le gage des plus sublimes espérances. Enfant, semblait lui dire l'initiateur, tu prends une lampe pour
le soleil, mais ta lampe n'est qu'une étoile de la nuit; il existe un véritable soleil; sors de la nuit et cherche le
jour!
Ce que les anciens appelaient les quatre éléments n'étaient pas pour eux des corps simples, mais bien les
quatre formes élémentaires de la substance unique. Ces quatre formes étaient figurées sur le sphinx: l'air par
les ailes, l'eau par le sein de femme, la terre par le corps de taureau, le feu par les griffes du lion.
La substance une, trois fois triple en mode d'essence, et quadruple en forme d'existence, tel est le secret des
trois pyramides triangulaires d'élévation, carrées par la base et gardées par le sphinx. L'Égypte, en élevant
ces monuments, avait voulu poser les colonnes d'Hercule de la science universelle.
Aussi les sables ont monté, les siècles ont passé et les pyramides toujours grandes proposent aux nations
leur énigme dont
[533]
le mot a été perdu. Quant au sphinx, il semble avoir sombré dans la poussière des âges. Les grands empires
de Daniel ont régné tour à tour sur la terre, et se sont enfoncés de tout leur poids dans le tombeau.
Conquêtes de la guerre, fondations du travail, oeuvres des passions humaines, tout s'est englouti avec le
corps symbolique du sphinx; maintenant la tête humaine se dresse seule au-dessus des sables du désert,
comme si elle attendait l'empire universel de la pensée.
Devine ou meurs! tel était le terrible dilemme posé par le sphinx aux aspirants à la royauté de Thèbes. C'est
qu'en effet les secrets de la science sont ceux de la vie; il s'agit de régner ou de servir, d'être ou de ne pas
être. Les forces naturelles nous briseront, si elles ne nous servent à conquérir le monde. Roi ou victime, il
n'y a pas de milieu entre cet abîme et cette sommité, à moins qu'on ne se laisse tomber dans la masse de
ceux qui ne sont rien, parce qu'ils ne se demandent jamais pourquoi ils vivent ni ce qu'ils sont.
Les formes du sphinx représentent aussi par analogie hiéroglyphique les quatre propriétés de l'agent
magique universel, c'est-à-dire de la lumière astrale: dissoudre, coaguler, réchauffer, refroidir. Ces quatre
propriétés dirigées par la volonté de l'homme, peuvent modifier toutes les formes de la nature, et produire,
suivant l'impulsion donnée, la vie ou la mort, la santé ou la maladie, l'amour ou la haine, la richesse même
ou la pauvreté. Elles peuvent mettre au service de l'imagination tous les reflets de la lumière; elles sont la
solution paradoxale des questions les plus téméraires qu'on puisse poser à la haute magie.
[534]
Les questions paradoxales de la curiosité humaine, les voici; nous allons les poser et y répondre:
1. Peut-on échapper à la mort?
Nous appelons paradoxales ces questions qui sont en dehors de toute science, et qui semblent être d'avance
résolues négativement par la foi.
Ces questions sont téméraires si elles sont faites par un profane, et leur solution complète donnée par un
adepte ressemblerait à un sacrilège.
Dieu et la nature ont fermé le sanctuaire intime de la haute science, en sorte qu'au delà de certaine limite
celui qui sait, parlerait inutilement, il ne se ferait plus comprendre; la révélation du grand arcane magique
est donc heureusement impossible.
Les solutions que nous allons donner seront donc la dernière expression du verbe magique; nous les
rendrons aussi claires qu'elles peuvent être, mais nous ne nous chargeons pas de les faire comprendre à tous
nos lecteurs.
[535]
QUESTIONS 1 et 2.
1. Peut-on échapper à la mort?
RÉPONSES.
Dans le temps, en guérissant toutes les maladies et en évitant les infirmités de la vieillesse;
Et dans l'éternité, en perpétuant par le souvenir l'identité personnelle dans les transformations de l'existence.
1° Que la vie résultant du mouvement ne peut se conserver que par la succession et le perfectionnement des
formes;
3° Que cette science a pour objet la juste pondération des influences équilibrées;
4° Que tout renouvellement s'opère par la destruction, et qu'ainsi toute génération est une mort, et toute
mort une génération.
Maintenant établissons avec les anciens sages que le principe universel de la vie est un mouvement
substantiel ou une substance éternellement et essentiellement mue et motrice, invisible et impalpable, à
l'état volatil, et qui se manifeste matériellement en se fixant par les phénomènes de la polarisation.
[536]
Cette substance est indéfectible, incorruptible, et par conséquent immortelle.
Mais ses manifestations par la forme sont éternellement changées par la perpétuité du mouvement.
Ainsi tout meurt parce que tout vit, et si l'on pouvait éterniser une forme, on arrêterait le mouvement et l'on
aurait créé la seule véritable mort.
Emprisonner à jamais une âme dans un corps humain momifié, telle serait la solution horrible du paradoxe
magique de l'immortalité prétendue dans le même corps et sur la même terre.
Ce dissolvant concentre sa force dans la quintessence, c'est-à-dire au centre équilibrant d'une double
polarité.
Les quatre éléments des anciens sont les quatre forces polaires de l'aimant universel représenté par une
croix.
Cette croix qui tourne indéfiniment autour de son centre, en posant ainsi l'énigme de la quadrature du
cercle.
Le Verbe créateur se fait entendre du milieu de la croix et il crie: Tout est consommé.
C'est dans la juste proportion des quatre formes élémentaires qu'il faut chercher la médecine universelle des
corps, comme la médecine de l'âme nous est présentée par la religion en celui qui s'offre éternellement sur
la croix pour le salut du monde.
L'aimentation et la polarisation des corps célestes résultent de
[537]
leur gravitation équilibrée autour des soleils, qui sont les réservoirs communs de leur électro-magnétisme.
La vibration de la quintessence autour des réservoirs communs se manifeste par la lumière, et la lumière
révèle sa polarision par les couleurs.
Le blanc est la couleur de la quintessence. Vers son pôle négatif, cette couleur se condense en bleu et se
fixe en noir; mais vers son pôle positif, elle se condense en jaune et se fixe en rouge.
La vie rayonnante va donc toujours du noir au rouge, en passant par le blanc; et la vie absorbée redescend
du rouge au noir, en traversant le même milieu.
Les quatre nuances intermédiaires ou mixtes produisent avec les trois couleurs de la syllepse de l'analyse et
de la synthèse lumineuse, ce qu'on appelle les sept couleurs du prisme ou du spectre solaire.
Ces sept couleurs forment sept atmosphères ou sept zones lumineuses autour de chaque soleil, et la planète
dominante dans chaque zone se trouve aimentée d'une manière analogue à la couleur de son atmosphère.
Les métaux dans les entrailles de la terre se forment comme les planètes dans le ciel, par les spécialités
d'une lumière latente qui se décompose en traversant divers milieux.
S'emparer du sujet dans lequel la lumière métallique est latente, avant qu'elle se soit spécialisée, et la
pousser à l'extrême pôle positif, c'est-à-dire au rouge vif, par un feu emprunté à la lumière même, tel est
tout le secret du grand oeuvre.
Mais pour arracher à la marcassite, au stibium, à l'arsenic des philosophes son sperme métallique vivant et
androgyne, il faut un premier dissolvant qui est un menstrue minéral salin, il faut de plus le concours du
magnétisme et de l'électricité.
Le reste se fait de soi-même, dans un seul vase, dans un seul athanor, et par le feu gradué d'une seule
lampe; c'est, disent les adeptes, un travail de femmes et d'enfants.
Ce que les chimistes et les physiciens modernes appellent chaleur, lumière, électricité, magnétisme, n'était
pour les anciens que les manifestations phénoménales élémentaires de la substance unique appelée aour,
od, tik et ob, par les Hébreux. Od est le nom de l'actif, ob le nom du passif, et aour, dont les philosophes
hermétiques ont fait leur or, est le nom du mixte androgyne et équilibré.
L'or vulgaire c'est l'aour métallisé, l'or philosophique c'est l'aour à l'état de pierrerie soluble.
En théorie, suivant la science transcendantale des anciens, la pierre philosophale qui guérit toutes les
maladies et opère la transmutation des métaux, existe donc incontestablement. Existe-t-elle et peut-elle
exister en fait? Si nous l'affirmions, on ne nous croirait pas, donnons donc cette affirmation comme une
solution paradoxale aux paradoxes exprimés par les deux premières questions et passons au second
chapitre.
RÉPONSES.
Lorsque le Sauveur du monde eut triomphé, dans sa tentation du désert, des trois convoitises qui
asservissent l'âme humaine:
Car les esprits sont au service de l'esprit souverain, et l'esprit souverain est celui qui enchaîne les
turbulences déréglées et les entraînements injustes de la chair.
Remarquons bien toutefois qu'il est contre l'ordre de la Providence d'intervertir la série naturelle des
communications entre les êtres.
Nous ne voyons pas que le Sauveur et les apôtres aient évoqué les âmes des morts.
L'immortalité de l'âme étant un des dogmes les plus consolants de la religion, doit-être réservée aux
aspirations de la foi, et ne sera par conséquent jamais prouvée par des faits accessibles à la critique de la
science.
Aussi les traditions magiques font-elles toujours apparaître les morts évoqués, avec des visages tristes et
colères.
Ils se plaignent d'avoir été troublés dans leur repos et ne profèrent que des reproches et des menaces.
Les clefs ou clavicules de Salomon sont des forces religieuses et rationnelles exprimées par des signes, et
qui servent moins à évoquer les esprits qu'à se préserver soi-même de toute aberration dans les expériences
relatives aux sciences occultes.
L'anneau de Salomon est à la fois circulaire et carré, et il figure ainsi le mystère de la quadrature du cercle.
Il se compose de sept carrés disposés de manière à former un cercle. On y adapte deux chatons, l'un
circulaire, l'autre carré, l'un en or, l'autre en argent.
Dans le chaton d'argent on enchâsse une pierre blanche, et dans le chaton d'or une pierre rouge avec ces
signatures:
Lorsqu'on met l'anneau à son doigt, une des pierres doit être au dedans de la main, l'autre au dehors, suivant
qu'on veut commander aux esprits de lumière ou aux puissances des ténèbres.
[541]
La volonté est toute-puissante, lorsqu'elle s'arme des forces vives de la nature.
La pensée est oisive et morte tant qu'elle ne se manifeste pas par le verbe ou par le signe, elle ne peut donc
alors ni exciter, ni diriger la volonté.
Plus le signe est parfait, plus la pensée est fortement formulée, et plus par conséquent la volonté est dirigée
avec puissance.
La foi aveugle transporte les montagnes, que sera-ce donc de la foi éclairée par une science complète et
immuable?
Si notre âme pouvait concentrer toute son intelligence et toute son énergie dans l'émission d'une seule
parole, cette parole pour elle ne serait-elle pas toute-puissante?
L'anneau de Salomon avec son double sceau, c'est toute la science et toute la foi des mages résumées en un
signe.
C'est le symbole de toutes les forces du ciel et de la terre et des lois saintes qui les régissent, soit dans le
macrocosme céleste, soit dans le microcosme humain.
L'anneau de Salomon est tout-puissant, si c'est un signe vivant, mais il est inefficace, si c'est un signe mort;
la vie des signes c'est l'intelligence et la foi, intelligence de la nature, foi en son moteur éternel.
[542]
L'étude approfondie des mystères de la nature peut éloigner de Dieu l'observateur inattentif chez qui la
fatigue de l'esprit paralyse les élans du coeur.
C'est en cela que les sciences occultes peuvent être dangereuses et même fatales à certaines âmes.
L'exactitude mathématique, la rigueur absolue des lois de la nature, l'ensemble et la simplicité de ces lois,
donnent à plusieurs l'idée d'un mécanisme nécessaire, éternel, inexorable, et la Providence disparaît pour
eux derrière les rouages de fer d'une horloge au mouvement perpétuel.
Ils ne réfléchissent pas au fait redoutable de la liberté et de l'autocratie des créatures intelligentes.
Un homme dispose à son gré de l'existence d'êtres organisés comme lui; il peut atteindre les oiseaux dans
l'air, les poissons dans l'eau, les bêtes sauvages dans les forêts; il peut couper ou incendier les forêts elles-
mêmes, miner et faire sauter les rochers et les montagnes, changer autour de lui toutes les formes, et malgré
les analogies ascendantes de la nature, il ne croirait pas à l'existence d'êtres intelligents comme lui qui
pourraient à leur gré déplacer, briser et incendier les mondes, souffler sur les soleils pour les éteindre, ou
les broyer pour en faire des étoiles... des êtres si grands qu'ils échappent à sa vue, comme nous échappons
sans doute à celle de la mite ou du ciron.... Et si de pareils êtres existent sans que l'univers soit mille fois
bouleversé, ne faut-il pas admettre qu'ils obéissent tous à une volonté suprême, à une force puissante et
sage, qui leur défend de déplacer les mondes, comme elle nous défend de détruire le nid de l'hirondelle et la
crysalide du papillon? Pour
[543]
le mage qui sent cette force au fond même de sa conscience, et qui ne voit plus dans les lois de l'univers que
les instruments de la justice éternelle, le sceau de Salomon, ses clavicules et son anneau sont les insignes de
la suprême royauté.
QUESTIONS 5 ET 6.
RÉPONSES.
Deux joueurs d'échec d'égale force, sont assis à une table, ils commencent la partie, lequel des deux
gagnera?
Si je connais les préoccupations de l'un et de l'autre, je puis prédire certainement le résultat de leur partie.
Rien dans la vie n'arrive par hasard, le hasard, c'est l'imprévu; mais l'imprévu de l'ignorant avait été prévu
par le sage.
Tout événement, comme toute forme, résulte d'un conflit ou d'un équilibre de forces, et ces forces peuvent
être représentées par des nombres.
Toute action violente est balancée par une réaction égale, le rire pronostique les larmes, et c'est pour cela
que le Sauveur disait: Heureux ceux qui pleurent!
[544]
C'est pour cela aussi qu'il disait: Celui qui s'élève, sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.
Aujourd'hui Nabuchodonosor se fait Dieu, demain il sera changé en bête.
Aujourd'hui Alexandre fait son entrée dans Babylone, et se fait offrir de l'encens sur tous les autels, demain
il mourra brutalement ivre.
Les effets s'enchaînent si nécessairement et si exactement aux causes et deviennent ensuite eux-mêmes des
causes d'effets nouveaux si conformes aux premiers dans leur manière de se produire, qu'un seul fait peut
révéler au voyant toute une généalogie de mystères.
Quand le Christ est venu, il est certain que l'Antéchrist viendra: mais la venue de l'Antéchrist précédera le
triomphe du Saint-Esprit.
Le siècle d'argent où nous vivons est le précurseur des plus abondantes charités et des bonnes oeuvres les
plus grandes qu'on ait encore vues dans le monde.
Mais il faut savoir que la volonté de l'homme modifie les causes fatales, et qu'une seule impulsion donnée
par un homme peut changer l'équilibre de tout un monde.
Si telle est la puissance de l'homme dans le monde qui est son domaine, que doivent donc être les génies
des soleils!
Le moindre des égrégores pourrait d'un souffle, en dilatant subitement le calorique latent de notre terre, la
faire éclater et disparaître comme un petit nuage de cendre.
[545]
L'homme aussi peut d'un souffle faire évanouir toute la félicité d'un de ses semblables.
Les hommes sont aimantés comme les mondes, ils rayonnent leur lumière spéciale comme les soleils.
Les uns sont plus absorbants, les autres irradient plus volontiers.
Personne n'est isolé dans le monde, tout homme est une fatalité ou une providence.
Auguste et Cinna se rencontrent: tous deux sont orgueilleux et implacables, voilà la fatalité.
Cinna veut fatalement et librement tuer Auguste, Auguste est entraîné fatalement à le punir, il veut lui
pardonner et librement il lui pardonne. Ici la fatalité se change en providence, et le siècle d'Auguste
inauguré par cette bonté sublime devient digne de voir naître celui qui dira: Pardonnez à vos ennemis!
Auguste, en faisant grâce à Cinna, a expié toutes les vengeances d'Octave.
Tant que l'homme est asservi aux exigences de la fatalité, c'est un profane, c'est-à-dire un homme qu'il faut
repousser loin du sanctuaire de la science.
L'homme libre au contraire, c'est-à-dire celui qui domine par l'intelligence les instincts aveugles de la vie,
celui-là est essentiellement conservateur et réparateur, car la nature est le domaine de sa puissance, le
temple de son immortalité.
L'initié libre ne peut pas vouloir mal faire; s'il frappe, c'est pour châtier et pour guérir.
[546]
Le souffle du profane est mortel, celui de l'initié est vivifiant.
Le profane souffre pour faire souffrir les autres, l'initié souffre pour que les autres ne souffrent pas.
Le profane trempe ses flèches dans son propre sang et les empoisonne; l'initié, libre avec une goutte de son
sang, guérit les plus cruelles blessures.
QUESTIONS 7 ET 8.
RÉPONSES.
L'homme qui dispose des forces occultes de la nature, sans s'exposer à être écrasé par elles, celui-là est un
vrai magicien.
Zoroastre a créé les dogmes et les civilisations primitives de l'Orient, et a disparu comme Oedipe dans un
orage.
Orphée a donné la poésie à la Grèce, et avec cette poésie la beauté de toutes les grandeurs, et il a péri dans
une orgie à laquelle il refusait de se mêler.
Julien, malgré toutes ses vertus, n'a été qu'un initié à la magie noire. Il est mort victime et non martyr; sa
mort a été une destruction et une défaite, il ne comprenait pas son époque.
[547]
Apollonius de Thyane et Synesius n'ont été autre chose que de merveilleux philosophes, ils ont cultivé la
vraie science, mais ils n'ont rien fait pour la postérité.
Les mages de l'Évangile régnaient alors dans les trois parties du monde connu, et les oracles se taisaient en
écoutant les vagissements du petit enfant de Bethléem.
Le roi des rois, le mage des mages, était venu dans le monde, et les cultes, les lois, les empires, tout était
changé!
Napoléon, ce Verbe de la guerre, ce messie armé, est venu fatalement et sans le savoir, compléter la parole
chrétienne. La révélation chrétienne ne nous apprenait qu'à mourir, la civilisation napoléonienne doit nous
apprendre à vaincre.
De ces deux Verbes contraires en apparence, le dévouement et la victoire, souffrir, mourir, combattre et
vaincre, se forme le grand arcane de l'HONNEUR!
Croix du Sauveur, croix du brave, vous n'êtes pas complètes l'une sans l'autre, car celui-là seul sait vaincre
qui sait se dévouer et mourir!
Napoléon qui était mort en apparence, devait revenir dans le monde en la personne d'un homme réalisateur
de son esprit.
Salomon et Charlemagne reviendront aussi en un seul monarque, et alors saint Jean l'Évangéliste, qui, selon
la tradition, doit
[548]
revivre à la fin des temps, ressuscitera aussi en la personne d'un souverain pontife, qui sera l'apôtre de
l'intelligence et de la charité.
Et ces deux princes réunis, annoncés par tous les prophètes, accompliront le prodige de la régénération du
monde.
Alors fleurira la science des vrais magiciens: car, jusqu'à présent, nos faiseurs de prodiges ont été pour la
plupart des hommes fatals et des sorciers, c'est-à-dire des instruments aveugles du sort.
Les maîtres que la fatalité jette au monde sont bientôt renversés par elle. Ceux qui triomphent par les
passions seront la proie des passions. Lorsque Prométhée fut jaloux de Jupiter et lui déroba sa foudre, il
voulut se faire aussi un aigle immortel, mais il ne créa et n'immortalisa qu'un vautour.
La fable dit encore qu'un roi impie nommé Ixion voulut faire violence à la reine du ciel, mais il n'embrassa
qu'une nuée mensongère, et fut lié par des serpents de feu à la roue inexorable de la fatalité.
Ces profondes allégories menacent les faux adeptes, les profanateurs de la science, les séides de la magie
noire.
La fatalité des passions est comme un serpent de feu qui roule et se tortille autour du monde en dévorant les
âmes.
Mais l'intelligence paisible, souriante et pleine d'amour, figurée par la mère de Dieu, lui pose le pied sur la
tête.
La fatalité se dévore elle-même; c'est l'antique serpent de Chronos qui ronge éternellement sa queue.
[549]
Ou plutôt se sont deux serpents ennemis qui se battent et se déchirent de morsures, jusqu'à ce que
l'harmonie les enchante et les fasse s'enlacer paisiblement autour du caducée d'Hermès.
CONCLUSION.
Croire qu'il n'existe pas dans l'être un principe intelligent universel et absolu, c'est la plus téméraire et la
plus absurde de toutes les croyances.
Croyance téméraire, parce qu'elle est isolante et désolante; croyance absurde, parce qu'elle suppose le plus
complet néant, à la place de la plus entière perfection.
L'homme, par cette science, peut produire et diriger des phénomènes naturels en s'élevant toujours vers une
intelligence plus haute et plus parfaite que la sienne.
L'équilibre moral, c'est le concours de la science et de la foi, distinctes dans leurs forces et réunies dans leur
action pour donner à l'esprit et au coeur de l'homme une règle qui est la raison.
Car, la science qui nie la foi est aussi déraisonnable que la foi qui nie la science.
[550]
L'objet de la foi ne saurait être ni défini ni surtout nié par la science, mais la science est appelée elle-même
à constater la base rationnelle des hypothèses de la foi.
Une croyance isolée ne constitue pas la foi parce qu'elle manque d'autorité, et par conséquent de garantie
morale, elle ne peut aboutir qu'au fanatisme ou à la superstition.
La foi est la confiance que donne une religion, c'est-à-dire une communion de croyance.
Elle est donc essentiellement et toujours catholique, c'est-à-dire universelle. C'est une dictature idéale
acclamée généralement dans le domaine révolutionnaire de l'inconnu.
La loi d'équilibre, lorsqu'elle sera mieux comprise, fera cesser toutes les guerres et toutes les révolutions du
vieux monde. Il y a eu conflit entre les pouvoirs comme entre les forces morales. On blâme actuellement
les papes de se cramponner au pouvoir temporel, sans songer à la tendance protestante des princes pour
l'usurpation du pouvoir spirituel.
Tant que les princes auront la prétention d'être papes, le pape sera forcé, par la loi même de l'équilibre, à la
prétention d'être roi.
Le monde entier rêve encore l'unité de pouvoir, et ne comprend pas la puissance du dualisme équilibré.
Devant les rois usurpateurs de la puissance spirituelle, si le pape n'était plus roi, il ne serait plus rien. Le
pape dans l'ordre temporel subit comme un autre les préjugés de son siècle.
[551]
Il ne saurait donc abdiquer son pouvoir temporel quand cette abdication serait un scandale pour la moitié du
monde.
Quand l'opinion souveraine de l'univers aura proclamé hautement qu'un prince temporel ne peut pas être
pape, quand le czar de toutes les Russies et le souverain de la Grande-Bretagne auront renoncé à leur
sacerdoce dérisoire, le pape saura ce qui lui reste à faire.
Jusque-là, il doit lutter et mourir, s'il le faut, pour défendre l'intégrité du patrimoine de saint Pierre.
La science de l'équilibre moral fera cesser les querelles de religion et les blasphèmes philosophiques. Tous
les hommes intelligents seront religieux, quand il sera bien reconnu que la religion n'attente pas à la liberté
d'examen, et tous les hommes vraiment religieux respecteront une science qui reconnaîtra l'existence et la
nécessité d'une religion universelle.
Cette science répandra un jour nouveau sur la philosophie de l'histoire et donnera un plan synthétique de
toutes les sciences naturelles. La loi des forces équilibrées et des compensations organiques révélera une
physique et une chimie nouvelles; alors de découvertes en découvertes, on en reviendra à la philosophie
hermétique, et l'on admirera ces prodiges de simplicité et de clarté oubliés depuis si longtemps.
La philosophie alors sera exacte comme les mathématiques, car les idées vraies, c'est-à-dire, identiques à
l'être, constituant la science de la réalité fournissent avec la raison et à la justice des proportions exactes et
des équations rigoureuses comme les nombres. L'erreur donc ne sera plus possible qu'à l'ignorance; le vrai
savoir ne se trompera plus.
[552]
L'esthétique cessera d'être subordonnée aux caprices du goût qui change comme la mode. Si le beau est la
splendeur du vrai, on devra soumettre à d'infaillibles calculs le rayonnement d'une lumière dont le foyer
sera incontestablement connu et déterminé avec une rigoureuse précision.
La poésie n'aura plus de tendances folles et subversives. Les poètes ne seront plus ces enchanteurs
dangereux que Platon bannissait de sa république en les couronnant de fleurs; ils seront les musiciens de la
raison et les gracieux mathématiciens de l'harmonie.
Est-ce à dire que la terre deviendra un Eldorado? Non, car, tant qu'il y aura une humanité, il y aura des
enfants, c'est-à-dire des faibles, des petits, des ignorants et des pauvres.
Mais la société sera gouvernée par ses véritables maîtres, et il n'y aura plus de mal sans remède dans la vie
humaine.
On reconnaîtra que les miracles divins sont ceux de l'ordre éternel, et l'on n'adorera plus les fantômes de
l'imagination sur la foi des prodiges inexpliqués. L'étrangeté des phénomènes ne prouve que notre
ignorance devant les lois de la nature. Quand Dieu veut se faire connaître à nous, il éclaire notre raison et
ne cherche pas à la confondre ou à l'étonner.
Selon lui, la vraie foi n'est digne de notre confiance que par cette autorité invariable qui en rend les dogmes
inaccessibles aux caprices de l'ignorance humaine. «Et cependant, ajoute Vincent de Lérins, cette
immobilité n'est pas la mort; nous conservons, au contraire, pour l'avenir, un germe de vie. Ce que nous
croyons aujourd'hui sans le comprendre, l'avenir le comprendra et se réjouira d'en avoir connaissance.
Posteritas intellectum gratuletur, quod ante vetustas non intellectum venerabatur. Si donc on nous demande:
Est-ce que tout progrès est exclu de la religion de Jésus-Christ? Non sans doute, et nous en espérons un très
grand.
«Quel homme, en effet, serait assez jaloux des hommes, assez ennemi de Dieu, pour vouloir empêcher le
progrès? Mais il faut que ce soit réellement un progrès, et non pas un changement de croyance. Le progrès,
c'est l'accroissement et le développement de chaque chose dans son ordre et dans sa nature. Le désordre,
c'est la confusion, et le mélange des choses et de leur nature. Sans aucun doute, il doit y avoir, tant pour
tous les hommes en général que pour chacun en particulier, selon la marche naturelle des âges de l'Église,
différents degrés d'intelligence, de science et de sagesse, mais en telle sorte que tout soit conservé, et que le
dogme garde toujours le même esprit et la
[554]
même définition. La religion doit développer successivement les âmes, comme la vie développe les corps
qui grandissent et sont pourtant toujours les mêmes.
«Quelle différence entre la fleur enfantine du premier âge et la maturité de la vieillesse! Les vieillards sont
pourtant les mêmes, quant à la personne, qu'ils étaient dans l'adolescence; il n'y a que l'extérieur et les
apparences de changés. Les membres de l'enfant au berceau sont bien frêles, et pourtant ils ont les mêmes
principes rudimentaires et les mêmes organes que les hommes; ils grandissent sans que leur nombre
augmente, et le vieillard n'a rien de plus en cela que n'avait l'enfant. Et cela doit être ainsi, sous peine de
difformité ou de mort.
«Il en est ainsi de la religion de Jésus-Christ, et le progrès pour elle s'accomplit dans les mêmes conditions
et suivant les mêmes lois. Les années la rendent plus forte et la grandissent, mais n'ajoutent rien à tout ce
qui compose son être. Elle est née complète et parfaite dans ses proportions, qui peuvent croître et s'étendre
sans changer. Nos pères ont semé du froment, nos neveux ne doivent pas moissonner de l'ivraie. Les
récoltes intermédiaires ne changent rien à la nature du grain; nous devons le prendre et le laisser toujours le
même.
«Le catholicisme a planté des roses, devons-nous y substituer des ronces? Non sans doute, ou malheur à
nous! Le baume et le cinname de ce paradis spirituel ne doivent pas se changer sous nos mains en aconit et
en poison. Tout ce qui, dans l'Église, cette belle campagne de Dieu, a été semé par les pères, doit y être
cultivé et entretenu par les fils: c'est cela qui toujours doit croître et fleurir; mais cela peut grandir et doit se
développer. Dieu
[555]
permet en effet que les dogmes de cette philosophie céleste soient, par le progrès du temps, étudiés,
travaillés, polis en quelque sorte; mais ce qui est défendu, c'est de les changer; ce qui est un crime, c'est de
les tronquer et de les mutiler. Qu'ils reçoivent une nouvelle lumière et des distinctions plus savantes, mais
qu'ils gardent toujours leur plénitude, leur intégrité, leur propriété.»
Considérons donc comme acquises au profit de l'Église universelle toutes les conquêtes de la science dans
le passé, et promettons-lui, avec Vincent de Lérins, l'héritage complet des progrès à venir! A elle toutes les
grandes aspirations de Zoroastre et toutes les découvertes d'Hermès! À elle la clef de l'arche sainte, à elle
l'anneau de Salomon, car elle représente la sainte et immuable hiérarchie. Ses luttes l'ont rendue plus forte,
ses chutes apparentes la rendront plus stable; elle souffre pour régner, elle tombe pour grandir en se
relevant, elle meurt pour ressusciter!
«Il faut vous tenir prêts, dit le comte Joseph de Maistre, pour un événement immense dans l'ordre divin,
vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs; des oracles
redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés. Plusieurs prophéties contenues dans
l'Apocalypse se rapportaient à nos temps modernes. Un écrivain est allé jusqu'à dire que l'événement avait
déjà commencé, et que la nation française devait être le grand instrument de la plus grande des révolutions.
Il n'y a peut-être pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite) qui
n'attende dans ce moment quelque chose
[556]
d'extraordinaire. Or, n'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses? Remontez aux siècles
passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur; à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie
des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: «L'Orient est sur le point de triompher... Le vainqueur partira de
la Judée... Un enfant divin nous est donné; il va paraître; il descend du plus haut des cieux; il ramènera l'âge
d'or sur la terre.» Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la
poésie, le plus grand poète latin s'en empara, et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion.
Aujourd'hui, comme au temps de Virgile, l'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous cette
grande persuasion, et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se
livrent à de saintes recherches?
«Voulez-vous une preuve de ce qui se prépare? cherchez-la dans les sciences; considérez bien la marche de
la chimie, de l'astronomie même, et vous verrez où elles nous conduisent. Croiriez-vous, par exemple, que
Newton nous ramène à Pythagore, et qu'incessamment il sera démontré que «les corps célestes sont mus
précisément, comme le corps humain, par des intelligences qui leur sont unies» sans qu'on sache comment:
c'est cependant ce qui est sur le point de se vérifier, sans qu'il y ait bientôt aucun moyen de disputer. Cette
doctrine pourra sembler paradoxale sans doute, et même ridicule, parce que l'opinion environnante en
impose; mais attendez que l'affinité naturelle de la religion et la science les réunissent dans la tête d'un seul
homme de génie. L'apparition de cet homme ne saurait être éloignée. Alors des
[557]
opinions qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insensées seront des axiomes dont il ne sera pas
permis de douter, et l'on parlera de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la superstition du moyen
âge 24.»
Note 24: (retour) Joseph de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821, p. 308.
Au tome dixième de ses oeuvres, page 697, saint Thomas dit cette belle parole: «Tout ce que Dieu veut est
juste, mais le juste ne doit pas être nommé ainsi uniquement parce que Dieu le veut: non ex hoc dicitur
justum quod Deus illud vult.» La doctrine morale de l'avenir est renfermée là tout entière; et de ce principe
fécond on peut immédiatement déduire celui-ci: Non-seulement il est bien, au point de vue de la foi, de
faire ce que Dieu commande, mais encore, au point de vue de la raison, il est bon et raisonnable de lui
obéir. L'homme donc pourra dire: Je fais le bien non-seulement parce que Dieu le veut, mais aussi parce
que je le veux. La volonté humaine sera ainsi soumise et libre en même temps; car la raison, démontrant
d'une façon irrécusable la sagesse des prescriptions de la foi, agira de son propre mouvement en se réglant
d'après la loi divine, dont elle deviendra en quelque sorte la sanction humaine. Alors il n'y aura plus ni
superstition, ni impiété possible, on le comprend facilement d'après ce que nous venons de dire: donc, en
religion et en philosophie pratique, c'est-à-dire en morale, l'autorité absolue existera et les dogmes moraux
pourront seulement alors se révéler et s'établir.
Jusque-là, nous aurons la douleur et l'effroi de voir tous les
[558]
jours remettre en question les principes les plus simples et les plus communs du droit et du devoir entre les
hommes. Sans doute, on fera taire les blasphémateurs; mais autre chose est imposer silence, autre chose,
persuader et convertir.
Tant que la haute magie a été profanée par la méchanceté des hommes, l'Église a dû la proscrire. Les faux
gnostiques ont décrié le nom si pur d'abord du gnosticisme, et les sorciers ont fait tort aux enfants des
mages; mais la religion, amie de la tradition et gardienne des trésors de l'antiquité ne saurait repousser plus
longtemps une doctrine antérieure à la Bible, et qui accorde si parfaitement avec le respect traditionnel du
passé, les espérances les plus vivantes du progrès et de l'avenir?
Le peuple s'initie par le travail et par la foi à la propriété et à la science. Il y aura toujours un peuple,
comme il y aura toujours des enfants; mais quand l'aristocratie devenue savante sera une mère pour le
peuple, les voies de l'émancipation seront ouvertes à tous, émancipation personnelle, successive,
progressive, par laquelle tous les appelés pourront, par leurs efforts, arriver au rang des élus. C'est ce
mystère d'avenir que l'initiation antique cachait sous ses ombres; c'est pour ces élus de l'avenir que sont
réservés les miracles de la nature assujettis à la volonté de l'homme. Le bâton sacerdotal doit être la
baguette des miracles, il l'a été du temps de Moïse et d'Hermès, et il le sera encore. Le sceptre du mage
redeviendra celui du roi ou de l'empereur du monde, et celui-là sera de droit le premier parmi les hommes,
qui se montrera de fait le plus fort par la science et par la vertu.
Alors la magie ne sera plus une science occulte que pour les
[559]
ignorants, mais elle sera pour tous une science incontestable. Alors la révélation universelle ressoudera les
uns aux autres tous les anneaux de sa chaîne d'or. L'épopée humaine sera terminée et les efforts même des
Titans n'auront servi qu'à rehausser l'autel du vrai Dieu.
Alors toutes les formes qu'a successivement revêtues la pensée divine renaîtront immortelles et parfaites.
Tous les traits qu'avait esquissés l'art successif des nations se réuniront et formeront l'image complète de
Dieu.
Le dogme épuré et sorti du chaos produira naturellement la morale infaillible, et l'ordre social se constituera
sur cette base. Les systèmes qui se heurtent maintenant sont les rêves du crépuscule. Laissons-les passer. Le
soleil luit et la terre poursuit sa marche; insensé serait celui qui douterait du jour!
Il en est qui disent: Le catholicisme n'est plus qu'un tronc aride, portons-y la hache.
Insensés! ne voyez-vous pas que sous l'écorce desséchée se renouvelle sans cesse l'arbre vivant. La vérité
n'a ni passé ni avenir; elle est éternelle. Ce qui finit ce n'est pas elle, ce sont nos rêves.
Le marteau et la hache qui détruisent aux yeux des hommes, ne sont dans la main de Dieu que la serpe de
l'émondeur, et les branches mortes, c'est-à-dire les superstitions et les hérésies, en religion, en science et en
politique, peuvent seules être coupées sur l'arbre des croyances et des convictions éternelles.
Que la religion et la science, réunies dans l'avenir, s'entr'aident donc et s'aiment comme deux soeurs,
puisqu'elles ont eu le même berceau!
FIN
End of the Project Gutenberg EBook of Histoire de la magie, by Éliphas Lévi
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o.
LA CLEF
DES
GRANDS MYSTÈRES
SUIVANT
PAR
ÉLIMAS LIÉIVI.
PAIIS
GERMER BAILLIERE, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
Rue de l'École-de-Médecine, 17.
LONDRES NEW - YORK
Hippolyte Baillilre, 2E, gegen Rte«. Mâte broiliers, IRO, Broadway.
MADRID, C. BAILLT-BAILLIERE, CALLE DEL PRINCIPE, 11.
1861.
Droits do traduction ot de reproduction réservée.
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PRÉFACE.
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PRÉFACE.
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iV PRÉFACE •gt
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LA
PREMIÈRE PARTIE
MYSTÈRES RELIGIEUX.
PROBLÈMES A RÉSOUDRE.
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CONSIDÉRATIONS PRÉ LIMINAIRES.
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES.
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IIISTkRES RELIGIEUX.
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 5
rien. Par l'autorité civile? C'est absurde. Faites done
surveiller les prières par des gendarmes!
Reste donc l'autorité morale, qui seule peut constituer
le dogme et établir la discipline du culte, de concert cette
fois avec l'autorité civile, mais non d'après ses ordres;
il faut, en un mot, que la foi donne au besoin religieux
une satisfaction réelle, entière, permanente, indubitable.
Pour cela, il faut l'affirmation absolue, invariable, d'un
dogme conservé par une hiérarchie autorisée. Il faut un
culte efficace, donnant, avec une foi absolue, une réali-
sation substantielle aux signes de la croyance.
La religion, ainsi comprise, étant la seule qui satisfasse
le besoin naturel de religion, doit être appelée la seule
vraiment naturelle. Et nous arrivons de nous-mêmes à
cette double définition : la vraie religion naturelle, c'est
la religion révélée; la vraie religion révélée, c'est la
religion hiérarchique et traditionnelle, qui s'affirme abso-
lument au - dessus des discussions humaines par la com-
munion à la foi, à l'espérance et à la charité.
Représentant l'autorité morale et la réalisant par l'effi-
cacité de son ministère, le sacerdoce est saint et infaillible
autant que l'humanité est sujette au vice et à l'erreur. Le
Prêtre, agissant comme prêtre, est toujours le représen-
tant de Dieu. Peu importent les fautes ou même les crimes
de l'homme. Lorsque Alexandre VI faisait une ordina-
tion, ce n'était pas l'empoisonneur qui imposait les mains
'aux évêques, c'était le pape. Or le pape Alexandre vi n'a
jamais ni corrompu ni falsifié les dogmes qui le condam-
naient lui-même, les sacrements qui, entre ses mains,
sauvaient les autres et•ne le justifiaient pas. Il y a eu tou.
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6 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 7
absurdité dans l'ordre religieux. Croire et savoir sont deux
termes qui ne peuvent jamais se confondre.
Ils ne sauraient non plus s'opposer l'un à l'autre dans
un antagonisme quelconque. Il est impossible, en effet,
de croire le contraire de ce qu'on sait sans cesser, pour
cela même, de le savoir, et il est également impossible
d'arriver à savoir le contraire de ce qu'on croit sans cesser
immédiatement de croire.
Nier ou même contester les décisions de la foi, et cela
au nom de la science, c'est prouver qu'on ne comprend
ni la science ni la foi : en effet, le mystère d'un Dieu en
trois personnes n'est pas un problème de mathématiques;
l'incarnation du Verbe n'est pas un phénomène qui ap-
partienne à la médecine; la rédemption échappe à la
critique des historiens. La science est absolument impuis-
sante à décider qu'on ait tort ou raison de croire ou de
ne pas croire au dogme; elle peut constater seulement les
résultats de la croyance, et si la foi rend évidemment les
hommes meilleurs, si d'ailleurs la foi en elle-même, con-
sidérée comme un fait physiologique, est évidemment
une nécessité et une force, il faudra bien que la science
l'admette, et prenne le sage piirti de compter toujours
avec la foi.
Osons affirmer maintenant qu'il existe MI fait im-
mense, également appréciable et par la foi et par la
science; un fait qui rend Dieu visible en quelque sorte
sur la terre ; un fait incontestable et (l'une portée uni-
verselle : ce fait, c'est la manifestation dans le monde, à
partir de l'époque où commence la révélation chrétienne,
d'un esprit inconnu aux anciens, d'un esprit évidemment
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8 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 9
saines, pour s'incliner devant cette réalité sublime.
Charité! mot divin, mot qui seul fait comprendre Dieu,
mot qui contient une révélation tout entière ! Esprit de
charité, alliance de deux mots qui sont toute une solution
et tout un avenir! A quelle question, en effet, ces deux
mots ne peuvent-ils pas répondre?
Qu'est-ce que Dieu pour nous, sinon l'esprit de cha-
rité ? qu'est-ce que l'orthodoxie ? n'est-ce pas l'esprit de
charité qui ne discute pas sur la foi afin de ne pas altérer
la confiance des petits et afin de ne pas troubler la paix
de la communion universelle ? Or l'Église universelle
est-elle autre chose qu'une communion en esprit de
charité? C'est par l'esprit de charité que l'Église est in-
faillible. C'est l'esprit de charité qui est la vertu divine
du sacerdoce. '\
Devoir des tommes, garantie de leurs droits, preuve
de leur immortalité, éternité de bonheur eomruencée pour
eux sur la terré, but glorieux donné à leur existence, fin
et moyen de leurs efforts, 'Perfection de leur morale in-
dividuelle,: civil et religieuse, l'esprit de charité com—/
prend_ei, s'ap ligue à tout, peut tont espérer, tout
trepzendré et to accomplir.
C'est par l'esprit de charité que Jésus expirant sur la
croix donnait à sa mère un fils dans la personne dé saint
Jean, et, triomphant des angoisses du plus affieux sup-
plice, poussait un cri de délivrance et de salut, en disant :
« 111mi père, je remets mon esprit entre tes mains.»
C'est par la charité que douze artisans de Galilée ont
conquis le monde; ils ont aimé la vérité plus que leur
vieJ, et ils sont allés seuls la dire aux peuples et aux rois;
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1 0 MYSTÈRES RELIGIEUX.
éprouvés par les tortures, ils ont été trouvés fidèles. Ils
ont:montré aux multitudes l'immortalité vivante dans leur
mort, et ils ont arrosé la terre d'un sang dont la cha-
leur ne pouvait s'éteindre parce qu'ils étaient tout brûlants
des ardeurs de la charité.
C'est par la charité que les apôtres ont constitué leur
symbole. Ils ont dit que croire ensemble vaut mieux que
douter séparément; ils ont constitué la hiérarchie sur
l'obéissance rendue si noble et si grande par l'esprit de
charité que servir ainsi, c'est régner; ils ont formulé la
foi de tous, et l'espérance de tous, et ils ont mis ce sym-
bole sous la garde de la charité de tous. Malheur à
l'égoïste qui s'approprie un seul mot de cet héritage du
Verbe, car c'est un déicide qui veut démembrer le corps
du Seigneur.
Le symbole , c'est l'arche sainte de la charité, qui-
conque y touche, est frappé de mort éternelle, car la
charité se retire de lui. C'est l'héritage sacré de nos en-
fants, c'est le prix du sang de nos pères!
C'est par la charité que les martyrs se consolaient
dans les prisons des césars et attiraient â leur croyance
leurs gardiens mêmes et leurs bourreaux.
C'est au nom de la charité que saint Martin, de Tours,
protestait contre le supplice des pricillianistes et se sé-
parait de la communion du tyran qui voulait imposer la
foi par le glaive.
C'est par la charité que tant de saints ont consolé le
monde des crimes commis au nom de la religion même
et des scandales du sanctuaire profané!
C'est par la charité que saint Vincent de Paul et Fé-
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. i
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ARTICLE PREMIER.
LE VRAI DIEU.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 18
les symboles sont les figurés analogiques de l'harmonie
qui vient des nombres.
Les mathématiques ne sauraient démontrer la fatalité
aveugle, puisqu'elles sont l'expression de l'exactitude qui
est le caractère de la plus suprême raison.
L'unité démontre l'analogie des contraires; c'est le
principe, l'équilibre et la fin des nombres. L'acte de foi
part de l'unité et retourne à l'unité.
Nous allons esquisser une explication de la Bible par
les nombres, parce que la Bible est le livre des images
de Dieu.
Nous demanderons aux nombres la raison des dogmes
de la religion éternelle, et les nombres nous répondront ,
I. -
L UNITÉ.
'
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MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 4 5
La foi commence où la science finit. Agrandir la
science, c'est en apparence ôter à la foi, et en réalité,
c'est en agrandir également le domaine, car c'est en am-
plifier la base.
On ne peut deviner l'inconnu que par ses proportions
supposées et supposables avec le connu.
L'analogie était le dogme unique des anciens mage
Dogme vraiment médiateur, car il est moitié scien
figue, moitié hypothétique, moitié raison et moitié poési
Ce dogme a été et sera toujours le générateur de tous 1
autres.
Qu'est-ce que l'Homme-Dieu? C'est celui qui réalise
dans la vie la plus humaine l'idéal le plus divin.
La foi est une divination de l'intelligence et de l'amour
dirigés par les indices de la nature et de la raison.
Il est donc de l'essence des choses de foi d'être inac-
cessibles à la science, douteuses pour la philosophie, et
indéfinies pour la certitude.
La foi est une réalisation hypothétique et mie détermi-
nation conventionnelle des fins dernières de l'espérance.
C'est l'adhésion au signe visible des choses qu'on ne voit
pas.
Sperandarum substanlia rerum
Argumentum non apparentium.
Pour affirmer sans folie que Dieu est ou qu'il n'est pas,
il faut partir d'une définition raisonnable ou déraisonnable
de Dieu. Or, cette définition pour être raisonnable doit
être hypothétique, analogique et négative du fini connu.
On peut nier un Dieu quelconque, mais le Dieu absolu
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16 MYSTÉRRS RELIGIEe.
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SOLUTION DV PREMIER PROBLÈME. 1
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18 MYSTÈRES RELIGIEUX.
II.
LE BINAIRE.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 19
La femme est le sourire du Créateur content de lui-
même, et c'est après l'avoir faite qu'il se reposa, dit la
céleste parabole.
La femme est avant l'homme, parce qu'elle est mère,
et tout lui est pardonné d'avance parce qu'elle enfante
avec douleur.
La femme s'est initiée la première à l'immortalité par
la mort; l'homme alors l'a vue si belle et l'a comprise
si généreuse qu'il n'a pas voulu lui survivre, et il l'a
aimée plus que sa vie, plus que son bonheur éternel.
Heureux proscrit! puisqu'elle lui a été donnée pour
compagne de son exil!
Mais les enfants de Caïn se sont révoltés contre la mère
d'Abel et ils ont asservi leur mère.
La beauté de la femme est devenue une proie pour la
brutalité des hommes sans amour.
Alors la femme a fermé son coeur comme un sanc-
tuaire ignoré et a dit aux hommes indignes d'elle : « Je
suis vierge, mais je veux être mère, et mon fils vous ap-
prendra à m'aimer. »
0 Ève! sois saluée et adorée dans ta chute!
0 Marie! sois bénie et adorée dans tes douleurs et
dans ta gloire!
Sainte crucifiée qui survivais à ton Dieu pour ense-
velir ton fils, sois pour nous le dernier mot de la révé-
lation divine!
Moïse appelait Dieu Seigneur, Jésus l'appelait môn
Père, et nous, en songeant à toi, nous dirons à la Pro-
vidence : « Vous êtes notre mère! »
Enfants de la femme, pardonnons à la femme déchue.
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20 MYSTÈRES RELIGIEUX.
LE TERNAIRE.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 21
Nous attendons le culte de l'épouse et de la mère, nous
aspirons aux noces de l'alliance nouvelle.
Alors les pauvres, les aveugles, tous les proscrits du
vieux monde seront conviés au festin et recevront une
robe nuptiale; et ils se regarderont les uns les autres avec
une grande douceur et un ineffable sourire, parce qu'ils
auront pleuré longtemps.
I V.
LE QUATERNAIRE.
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22 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 23
dont la croix trop lourde posée sur la couronne des Cé-
sars a brisé contre terre le front des Césars !
Gloire au Saint-Esprit, qui doit balayer de la terre par
son souffle terrible tous les voleurs et tous les bourreaux
pour faire place au banquet des enfants de Dieu !
Gloire au Saint-Esprit qui a promis la conquête de la
terre et du ciel à l'ange de la liberté!
L'ange de la liberté est né avant l'aurore du premier
jour, avant le réveil même de l'intelligence, et Dieu l'a
appelé l'étoile du matin.
0 Lucifer! tu t'es détaché volontairement et dédai-
gneusement du ciel où le soleil te noyait dans sa clarté,
pour sillonner de tes propres rayons les champs incultes
de la nuit.
Tu brilles quand le soleil se couche, et ton regard
étincelant précède le lever du jour.
Tu tombes pour remonter ; tu goûtes la mort pour
mieux connaître la vie.
Tu es pour les gloires antiques du monde, l'étoile du
soir; pour la vérité renaissante , la belle étoile du
matin!
La liberté n'est pas la licence : car la licence c'est la
tyrannie.
La liberté est la gardienne du devoir, parce qu'elle re-
vendique le droit.
Lucifer, dont les âges de ténèbres ont fait le génie du
mal, sera vraiment l'ange de la lumière, lorsqu'ayant
conquis la liberté au prix de la réprobation, il en fera
usage pour se soumettre ei l'ordre éternel, inaugurant
ainsi les gloires de l'obéissance volontaire.
•
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MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 25
l'homme du devoir c'est Abel qui meurt pour Caïn par
amour.
Et telle a été la mission du Christ, le grand Abel de
l'humanité.
Ce n'est pas per le droit que nous devons tout oser,
c'est pour le devoir.
C'est le devoir qui est l'expansion et la jouissance de
la liberté ; le droit isolé est le père de la servitude.
Le devoir c'est le dévouement, le droit c'est l'égoïsme.
Le devoir c'est le sacrifice, le droit c'est la rapine et
le vol.
Le devoir c'est l'amour, et le droit c'est la haine.
Le devoir c'est la vie infinie, le droit c'est la mort
éternelle.
S'il faut combattre pour la conquête du droit, ce n'est
que pour acquérir la puissance du devoir : et pourquoi
donc serions-nous libres, si ce n'est pour aimer, nous
dévouer et ainsi ressembler à Dieu!
S'il faut enfreindre la loi, c'est lorsqu'elle captive
l'amour dans la crainte.
Celui qui veut sauver son âme la perdra, dit le livre
saint ; et celui qui consentira à la perdre la sauvera.
Le devoir c'est d'aimer : périsse tout ce qui fait ob-
stacle à l'amour! Silence aux oracles de la haine! Anéan-
tissement aux faux dieux de l'égoïsme et de la peur!
Honte aux esclaves avares d'amour!
Dieu aime les enfants prodigues!
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Z6 MYSTÈRES RELIGIEUX.
V.
LE QUINAIRE.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 27
chose la justice et la vérité; ne le condamnez pas sans
l'entendre.
Croire à la vérité suprême ce n'est pas la définir, et
déclarer qu'on y croit c'est reconnaître qu'on l'ignore.
L'apôtre saint Paul borne toute la foi à ces deux
choses : Croire que Dieu est et qu'il récompense ceux
qui le cherchent.
La foi est plus grande que les réligions parce qu'elle
précise moins les articles de la croyance.
Un dogme quelconque ne constitue qu'une croyance
et appartient à une communion spéciale; la foi est un
sentiment commun à l'humanité tout entière.
Plus on discute pour préciser, moins on croit; un
dogme de plus c'est une croyance qu'une secte s'appro-
prie et enlève ainsi en quelque sorte à la foi universelle.
Laissons les sectaires faire et refaire leurs dogmes,
laissons les superstitieux détailler et formuler leurs su-
perstitions, laissons les morts ensevelir leurs morts,
comme disait le Maître, et croyons à la vérité indicible,
à l'absolu que la raison admet sans le comprendre, à ce
que nous prèssentons sans le savoir.
Croyons à la raison suprême.
Croyons à l'amour infini et prenons en pitié les
stupidités de l'école et les barbaries de la fausse reli-
gion.
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28 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 29
quelles choses nous lui demandons, et ne sait-il pas ce
qui nous est nécessaire?
Si nous pleurons, présentons lui nos larmes; si nous
nous réjouissons, adressons-lui notre sourire; s'il nous
frappe, baissons la tête ; s'il nous caresse, endormons-
nous entre ses bras!
Notre prière sera parfaite quand nous prierons sans
savoir même qui nous prions.
La prière n'est pas un bruit qui frappe l'oreille, c'est
un silence qui pénètre le cœur.
Et de douces larmes viennent humecter les yeux, et
des soupirs s'échappent comme la fumée de l'encens.
L'on se sent pris d'un ineffable amour pour tout ce
qui est beauté, vérité, justice; l'on palpite d'une nouvelle
vie et l'on ne craint plus de mourir. Car la prière est la
vie éternelle de l'intelligence et de l'amour; c'est la vie
de Dieu sur la terre.
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80 MYSTÈRES Rumex.
dont Dieu l'anime, c'est un enfer qui dévore tout et ne
se remplit que de cendres; s'il le fait rayonner au dehors,
il devient un doux soleil d'amour.
L'homme se doit à sa famille ; la famille se doit à la
patrie, la patrie à l'humanité.
L'égoïsme de l'homme mérite l'isolement et le dés-
espoir, l'égoïsme de la famille mérite la ruine et l'exil,
l'égoïsme de la patrie mérite la guerre et l'invasion.
L'homme qui s'isole de tout amour humain, en disant :
Je servirai Dieu, celui-là se trompe. Car, dit l'apôtre
saint Jean, s'il n'aime pas son prochain qu'il voit, com-
ment aimera-t-il Dieu qu'il ne voit pas ?
Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, mais il ne faut
pas refuser même à César ce qui est à César.
Dieu est celui qui donne la vie, César c'est celui qui
peut donner la mort.
Il faut aimer Dieu et ne pas craindre César, car il est
dit dans le livre sacré : Celui qui frappe avec l'épée, pé-
rira par l'épée.
Voulez-vous être bons, soyez justes ; voulez-vous être
justes, soyez libres!
Les vices qui rendent l'homme semblable à la brute,
sont les premiers ennemis de sa liberté.
Regardez l'ivrogne et dites-moi si cette brute im-
monde peut être libre!
L'avare maudit la vie de son père, et, comme le cor-
beau, il a faim de cadavres.
L'ambitieux veut des ruines, c'est un envieux en dé-
lire ; le débauché crache sur le sein de sa mère et rem-
plit d'avortons les entrailles de la mort.
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A■
VI.
LE SENAIRE.
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32 llYsTÈREs RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 33
VII.
LE SEPTÉNAIRE.
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blYSTERES RELIGIEUX.
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SOLUTION RU PREMIER PROBLÈME. 35
génie israélite est dans le caractère de Jacob, le patient
et laborieux supplantateur, qui cède à la colère d'Esaü,
devient riche et achète le pardon de son frère. Quand
les anciens voulaient philosopher, ils racontaient, il ne
faut jamais l'oublier.
L'histoire ou la légende de Joseph contient en germe
tout le génie de l'Évangile, et le Christ, méconnu par
son peuple, a dû pleurer plus d'une fois en relisant cette
scène où le gouverneur de l'Égypte se jette au cou de
Benjamin en poussant un grand cri et en disant : « Je
suis Joseph ! »
Israël devient le peuple de Dieu, c'est-à-dire le conser-
vateur de l'idée et le dépositaire du verbe. Cette idée,
c'est celle de l'indépendance humaine et de la royàuté
par le travail, mais on la cache avec soin comme un
germe précieux. Un signe douloureux et indélébile est
imprimé aux initiés, toute image de la vérité est interdite,
et les enfants de Jacob veillent le sabre à la main autour
de l'unité du tabernacle. Hemor et Sichem veulent s'in-
troduire de force dans la famille sainte et périssent avec
leur peuple à la suite d'une feinte initiation. Pour domi-
ner sur les peuples, il faut que le sanctuaire s'entoure
déjà de sacrifices et de terreur.
La servitude des enfants de Jacob prépare leur déli-
vrance : car ils ont une idée, et l'on n'enchaîne pas
l'idée; ils ont une religion, et l'on ne violente pas une re-
ligion ; ils sont un peuple enfin, et l'on n'enchaîne pas
un vrai peuple. La persécution suscite des vengeurs,
l'idée s'incarne dans un homme, Moïse se lève, Pharaon
tombe, et la colonne dé nuées et de Baumes qui précède
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, .
36 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 37
Mais la protestation de quoi ? de la chair contre l'intel-
ligence? Non !
Du droit contre le devoir? — Non!
De l'attrait physique contre l'attrait moral? — Non !
non!
De l'imagination contre lu raison universelle ? De la
folie contre là sagesse? — Non, et mille fois non, en-
core une fois!
Le Christ c'est le devoir réel qui proteste éternelle-
ment contre le droit imaginaire.
C'est l'émancipation de l'esprit qui brise la servitude
de la chair.
C'est le dévouement révolté contre l'égoïsme.
C'est la modestie sublime qui répond à : Je
ne t'obéirai pas !
Le Christ est veuf, le Christ est seul, le Christ est
triste : pourquoi?
C'est que la femme s'est prostituée.
C'est que la société est accusée de vol.
C'est que la joie égoïste est impie!
Le Christ est jugé, il est condamné, il est exécuté et
on l'adore!
Cela s'est passé dans un mon de aussi sérieux peut-
être que le nôtre.
Juges du monde où nous vivons, soyez attentifs et
songez à celui qui jugera vos jugements.
Mais avant de mourir, le Sauveur a. légué à ses en-
fants le signe immortel du salut : la communion.
Communion ! union commune! dernier mot du •au-
veur du monde.
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88 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 39
VIII.
LE NOMBRE HUIT.
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11 0 MISTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. lit
IX.
LE NOMBRE NEUF.
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it2 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 63
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ti MYSTÈRES RELIGIEUX.
X.
XI.
LE NOMBRE ONZE.
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SOLUTION MI PREMIER PROBLÈME. l5
car chez lui les aspirations de .l'esprit ont triomphé des
frayeurs de l'animal.
Tout homme qui tombe à la guerre est un martyr, car
il meurt pour les autres.
Tout homme qui meurt de misère est un martyr,
car il est comme un soldat frappé dans la bataille de
la vie.
Ceux qui meurent pour le droit sont aussi saints dans
leur sacrifice que les victimes du devoir, et dans les
grandes luttes de la révolution contre le pouvoir, les mar-
tyrs tombaient également des deux côtés.
Le droit étant la racine du devoir, notre devoir est de
défendre nos droits.
Qu'est-ce qu'un crime ? C'est l'exagération d'un droit.
Le meurtre et le vol sont des négations de la société ;
c'est le despotisme isolé d'un individu qui usurpe la
royauté et fait la guerre à ses risques et périls.
Le crime doit être réprimé sans doute, et la société doit
se défendre; mais qui donc est assez juste, assez grand,
assez pur, pour avoir la prétention de punir ?
Paix donc à tous ceux qui tombent à la guerre, même
à la guerre illégitime ; car ils ont joué leur. tête et ils
l'ont perdue, et quand ils ont payé que pouvons—nous
réclamer encore !
Honneur à tous ceux qui combattent bravement et
loyalement ! Honte seulement aux traîtres et aux lâches !
Le Christ est mort entre deux voleurs, et il en a em-
mené un avec lui au ciel.
Le royaume des cieux est pour les lutteurs, et on l'em-
porte de vive force. •
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/16 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBIIME. 11,
XII.
LE NOMBRE DOUZE.
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MYSYÈRES RELIGIEtIt.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME.
LE NOMBRE TREIZE.
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50 »MIMES RELIGIEUX.
Faites donc un bon usage de ces choses qui périssent,
vous qui périrez avant elles !
Songez que l'égoïsme provoque l'égoïsme et que l'im-
moralité du riche répondra des crimes des pauvres.
Que veut le pauvre, s'il est honnête ?
11 veut du travail. Usez de vos droits, mais faites votre
devoir : le devoir du riche, c'est de répandre la richesse;
le bien qui ne circule pas est mort, ne thésaurisez pas la
mort.
Un sophiste a dit : La propriété, c'est le vol. Et il vou-
lait parler sans doute de la propriété absorbée, soustraite
à l'échange, détournée de l'utilité commune.
Si telle était sa pensée, il pouvait aller plus loin et dire
qu'une telle suppression de la vie publique est tin véri-
table assassinat.
C'est le crime d'accaparement que l'instinct public a
toujours regardé comme un crime de lèse-majesté hu-
maine.
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SOLUTION UV PREMIER PROBLÈME.
du dévouement réciproque est l'essence du mariage et le
principe de la famille.
La sanction et la garantie de cette promesse doivent être
une confiance absolue.
Toute jalousie est un soupçon, et tout soupçon est un
outrage.
Le véritable adultère, c'est celui de la confiance : la
femme qui se plaint de son mari près d'un autre homme ;
l'homme qui confie à une autre femme que la sienne les
chagrins ou les espérances de son coeur, ceux-là trahis-
sent véritablement la foi conjugale.
Les surprises des sens ne sont des infidélités qu'à cause
des entraînements du coeur, qui s'abandonne plus ou
moins à la reconnaissance du plaisir. Hors de là, ce sont
des fautes humaines, dont il faut rougir et qu'on doit ca-
cher; ce sont des indécences qu'il faut prévenir en écar-
tant les occasions, mais qu'il ne faut jamais chercher à
surprendre : les moeurs sont la proscription du scan-
dale.
Tout scandale est une turpitude. On n'est pas indécent
parce qu'on a des organes que la pudeur ne nomme pas;
mais on est obscène lorsqu'on les montre.
Maris, cachez les plaies de votre ménage; ne dés-
habillez pas vos femmes devant la risée publique !
Femmes, n'affichez pas les misères du lit conjugal :
ce serait vous inscrire dans l'opinion publique comme des
prostituées.
Il faut une haute dignité de coeur pour garder la foi
conjugale; c'est un pacte d'héroïsme dont les grandes
âmes seules peuvent comprendre toute l'étendue.
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52 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION PU PREMIER PROBLÈME. 53
Soulevez le voile noir de toutes ces têtes coupées et
demandez-leur ce qu'elles ont pensé du mariage et de la
famille ; quel lait elles ont sucé, quelles caresses les ont
ennoblies... Puis frémissez, vous tous qui ne donnez pas
à vos enfants le pain de l'intelligence et de l'amour, vous
tous qui ne sanctionnez pas l'autorité paternelle par la
vertu du bon exemple... •
Ces misérables étaient des •orphelins par l'esprit et par
le coeur, et ils se sont vengés de leur naissance!...
Nous vivons dans un siècle où plus que jamais la fa-
mille est méconnue dans ce qu'elle a d'auguste et de
sacré : l'intérêt matériel tue l'intelligence et l'amour; les
leçons de l'expérience sont méprisées, l'on marchande les
choses de Dieu. La chair insulte l'esprit, la fraude rit au
nez de la loyauté. Plus (l'idéal, plus de justice : la vie
humaine s'est rendue orpheline des deux côtés.
Courage et patience! Ce siècle ira où doivent aller les
grands coupables. Voyez contme il est triste ! L'ennui est
le voile noir de sa tête... le tombereau roule, et la foule
suit en frémissant...
Bientôt un siècle de plus sera jugé par l'histoire, et on
écrira sur un grand tombeau de ruines :
Ici a fini le siècle parricide ! le siècle bourreau de son
Dieu et de son Christ !
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51t MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 55
les siècles, en laissant tomber des larmes dans le ruis-
seau.
. Et l'éternité, accroupie et morne, contemplait les lar-
mes qui tombaient, elle les comptait une à une et il n'y
en avait jamais assez pour laver une tache de sang.
Mais entre deux multitudes et deux figes vint le Christ,
pâle et rayonnante figure.
Et dans la terre du sang et des larmes il planta la
vigne de la fraternité, et les larmes et le sang aspirés par
les racines de l'arbre divin devinrent la sève délicieuse
du raisin qui doit enivrer d'amour les fils de l'avenir.
XIV.
LE NOMBRE QUATORZE.
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56 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 57
n'y a pas d'autre Dieu que Dieu et Mahomet est son pro-
phète.
Dites avec les enfants d'Israël : 11 n'est point d'aulre
Dieu que Dieu et Moïse est son prophète 1
Dites avec les chrétiens : Il n'y a point d'autre Dieu
que Dieu et Jésus-Christ est son prophète!
Mahomet c'est l'ombre de Moïse. Moïse c'est le pré-
curseur de Jésus.
Qu'est-ce qu'un prophète ? C'est un représentant de
l'humanité qui cherche Dieu. Dieu est Dieu, l'homme est
le prophète de Dieu, lorsqu'il fait que nous croyons à Dieu.
La Bible, le Coran et l'Évangile sont trois traductions
différentes du même livre. Il n'y a qu'une loi, comme il
n'y a qu'un Dieu.
0 femme idéalisée, ô récompense des élus, es—tu plus
belle que Marie ?
0 Marie, fille de l'Orient, chaste comme le pur amour,
grande comme les aspirations maternelles, viens appren-
dre aux enfants de l'Islam les mystères du ciel et les se-
crets de la beauté.
Invite-les au festin de l'alliance nouvelle, là, sur trois
trônes étincelants de pierreries, trois prophètes seront
assis.
L'arbré tuba fera de ses branches recourbées un dais
à la table céleste.
L'épouse sera blanche comme la lune et vermeille
comme le sourire du matin.
Tous les peuples accourront pour la voir et ils ne crain-
dront plus de passer Al Sirah, car sur ce pont tranchant
comme une lame de rasoir, le Sauveur étendra sa croix et
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58 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 59
Les nations se succèdent comme les hommes et rien
n'est stable parce que tout marche vers la perfection.
Le grand homme qui meurt lègue à sa patrie le fruit
de ses travaux; la grande nation qui s'éteint sur la terre,
se transfigure en une étoile pour éclairer les obscurités
de l'histoire.
Ce qu'elle a écrit par ses actions, reste gravé dans le
livre éternel ; elle a ajouté une page à la bible du genre
humain.
Ne dites pas que la civilisation est mauvaise; car elle
ressemble à la chaleur humide qui mûrit les moissons,
elle développe rapidement les principes de vie et les
principes de mort, elle tue et elle vivifie.
Elle est comme l'ange du jugement, qui sépare les mé-
chants du milieu des bons.
La civilisation transforme en anges de lumière les
hommes de bonne volonté, et rabaisse l'égoïste au-dessous
de la brute; c'est la corruption des corps et l'émancipa-
tion des âmes.
Le monde impie des géants a élevé au ciel l'âme d'Hé-
noch; au-dessus des bacchanales de la Grèce primitive,
s'élève l'esprit harmonieux d'Orphée.
Socrate et Pythagore, Platon et Aristote, résument en
les expliquant toutes les aspirations et toutes les gloires
de l'ancien monde; les fables d'Homère sont restées plus
vraies que l'histoire, et il ne nous reste des grandeurs
de Rome que les écrits immortels qu'élabora le siècle
d'Auguste.
Ainsi Rome n'avait peut-être ébranlé le monde de ses
guerrières convulsions que pour enfanter son Virgile.
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60 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 64
veulent être un jour, eux aussi, des soldats de la vieille •
garde !
Napoléon n'est plus un homme, c'est le génie même
de la France, c'est le second sauveur du monde, et lui
aussi il a donné pour signe, à ses apôtres, la croix !
Sainte-Hélène et le Golgotha sont les jalons (le la civi-
lisation nouvelle; ce sont les deux piles d'une arche im-
mense que forme l'arc-en-ciel du dernier déluge et qui
jette un pont entre deux mondes.
Et vous pourriez croire qu'un passé sans auréole et
sans gloire pourrait reprendre et dévorer tant d'avenir?
Et vous penseriez que l'éperon d'un Tartare déchirera
un jour le pacte de nos gloires, le testament de nos
libertés !
Dites plutôt que nous redeviendrons des enfants et
que nous rentrerons dans le sein de nos mères !
Marche! marche ! dit la voix divine à Aasverus. Avance!
avance ! crie à la France la destinée du monde !... Et où
allons-nous? A l'inconnu, à l'abîme peut-être; n'importe!
Mais au passé, mais vers les cimetières de l'oubli, mais
vers les langes que notre enfance elle-même a déchirés,
mais vers l'imbécillité et l'ignorance des premiers âges...
jamais ! jamais !
X V.
LE NOMBRE QUINZE.
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69 itlfSTèRES RtLIGIEUX.
• l'Église civilisatrice 1t l'Église barbare, l'Êglise progres-
sive et l'Église stationnaire.
L'une est active, l'autre passive : l'une a commandé
aux nations et les gouverne toujours, puisque les rois la
-
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. g8
La patrie du christianisme catholique est celle des
sciences et des beaux-arts, et le Verbe éternel de l'Évan-
gile vivant et incarné dans une autorité visible est encore
la lumière du monde.
Silence donc aux Pharisiens de la synagogue nouvelle !
Silence aux traditions haineuses de l'École, au presbyté-
rianisme arrogant, an jansénisme absurde, et ;à toutes ces
honteuses et superstitieuses interprétations du dogme
éternel, si justement stigmatisées par le génie impitoyable
de Voltaire !
Voltaire (1) et Napoléon sont morts catholiques. Et
savez-vous ce que doit être le catholicisme de l'avenir?
Ce sera le dogme évangélique, éprouvé comme l'or
par la critique dissolvante de Voltaire, et réalisé dans le
gouvernement du monde par le génie d'un Napoléon
chrétien !
Ceux qui ne voudront pas marcher les événements les
traîneront ou passeront sur eux!
D'immenses calamités peuvent encore peser sur le
monde. Les armées de l'Apocalypse vont peut-être un
jour déchaîner les quatre fléaux. Le sanctuaire sera épuré.
La sainte et sévère pauvreté enverra ses apôtres pour
soutenir tout ce qui chancelle, rele'ver ce qui est brisé et
répandre l'huile sainte sur toutes les meurtrissures.
Le despotisme et l'anarchie, ces deux monstres altérés
de sang, se déchireront et 's'anéantiront l'un l'autre après
s'être mutuellement soutenus pour un peu de temps par
l'étreinte même de leur lutte.
(I) On ne dit pas que Voltaire soit mort en bon catholique, mais il est
mort catholique.
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MYSTÈRES RELIGIEUX.
XVI.
LE NOMBRE SEIZE.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 65
Jérusalem rebâtira le temple de Jéhova sur le modèle
prophétisé qar Éséchiel ; et le Christ, nouveau et éternel
Salomon , y chantera, sous des lambris de cèdre et de
cyprès, ses noces avec la sainte liberté, la jeune épouse
du cantique!
Mais Jéhova aura déposé sa foudre pour bénir des deux
mains le fiancé et la fiancée : il apparaîtra souriant entre
les deux époux, et se réjouira d'être appelé père.
Cependant la poésie de l'Orient, dans ses magiques
souvenirs, l'appellera encore Brama et Jupiter. L'Inde
apprendra à nos climats enchantés les fables merveil-
leuses de Wishnou, et nous essayerons au front encore
sanglant de notre Christ bien-aimé, la triple couronne
de perles de la mystique Trimourti. Vénus purifiée sous
le voile de Marie ne pleurera plus désormais son Adonis.
L'époux est ressuscité pour ne plus mourir, et le san-
glier infernal a trouvé la mort dans sa passagère victoire.
Relevez-vous, temples de Delphes et d'Ephèse ! Le
dieu de la lumière et des arts est devenu le dieu du
monde, et le verbe de Dieu veut bien être nommé Apol-
lon ! Diane ne régnera plus veuve dans les champs soli-
taires de la nuit; son croissant argenté est maintenant
sous les pieds de l'épouse.
Mais•Diane n'est pas vaincue par Vénus; son Endy-
mion vient de se réveiller, et la virginité va s'enorgueillir
d'être mère!
Sors de la tombe, ô Phidias, et réjouis-toi de la des-
truction de ton premier Jupiter : c'est maintenant que tu
vas enfanter un Dieul
0 Rome I que tes temples se relèvent à côté de tes
5
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66 I1YSTiRE8 RELICIEUI
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 67
l'univers entier, seront la lumière, le verbe et la révéla-
tion permanente et visible de Dieu. Amen 1 qu'il en soit
ainsi !
XVII.
LE NOMBRE DIX-SEPT.
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68 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. C9
XVIII.
LE NOMBRE DIX-HUIT.
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70 MYSTÈRES RELIGIEUX.
XIX.
LE NOMBRE DIX-NEUF.
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SOLUTION MI PREMIER PROBLÈME. 71
Sans Dieu, l'être est un néant qui s'affirme, et la vie
une mort qui se déguise.
La lumière est une nuit toujours trompée par le mirage
des songes.
Le premier et le plus essentiel des actes de foi est donc
celui-ci.
L'Être est, et l'être de l'être, la vérité de l'être, c'est
Dieu.
L'Être est vivant avec intelligence, et l'intelligence
vivante de l'Étre absolu, c'est Dieu.
La lumière est réelle et vivifiante; or la réalité et la vie
de toute lumière, c'est Dieu.
Le Verbe de la raison universelle est une affirmation
et non une négation.
Aveugles ceux qui ne voient pas que la lumière phy-
sique n'est que l'instrument de la pensée!
La pensée seule voit la lumière et la crée en l'employant
à ses usages.
L'affirmation de l'athéisme, c'est le dogme de l'éter-
nelle nuit; l'affirmation de Dieu, c'est le dogme de la
lumière !
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72 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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sommet nu PREMIER PROBLÈME. 18
êtes vivant; mais non pas comme les vies des mortels qui
sont comparées à un souffle, et dont la fin sera la nour-
riture des vers. Vous êtes vivant, et celui qui peut at-
teindre vos mystères jouira des délices éternelles, et
vivra à perpétuité.
» Vous êtes grand, et auprès de votre grandeur toutes
ces grandeurs fléchissent, et tout ce qu'il y a de plus
excellent devient défectueux. Vous êtes grand au-dessus
de toute imagination, et vous vous élevez au-dessus de
toutes les hiérarchies célestes. Vous êtes grand, au-des-
sus de toute grandeur, et vous êtes exalté au-dessus de
toutes louanges. Vous êtes fort, et pas une de toutes vos
créatures ne fera les oeuvres que vous faites, ni sa force
ne pourra être comparée à la vôtre. Vous êtes fort ; et
c'est à vous qu'appartient cette force invincible qui ne
change ni ne s'altère jamais. Vous êtes fort, et par votre
magnanimité vous pardonnez dans le temps de votre
plus ardente colère, et vous vous montrez patient envers
les pécheurs. Vous êtes fort, et vos miséricordes, qui
ont existé de tout temps, s'étendent sur toutes vos créa-
tures. Vous êtes la lumière éternelle, que les âmes pures
verront, et que la nuée des péchés cachera aux yeux des
pécheurs. Vous êtes la lumière, qui est cachée dans ce
monde, et visible dans l'autre, où la gloire du Seigneur
se montre. Vous êtes souverain, et les yeux de l'enten-
dement qui désirent de vous voir sont tout étonnés de
n'en pouvoir atteindre qu'une partie et jamais le tout.
Vous êtes le Dieu des dieux, témoins toutes vos créa-
tures ; et en l'houneur de ce grand nom elles vous doi-
vent toutes rendre leur culte. Vous êtes Dieu, et tous les
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llYSTÈRES UL1011III.
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SOLUTION DU PREMIER PROBLÈME. 75
s'enfoncer, et au monde de s'étendre. Elle a mesuré les
cieux avec le palme, avec sa puissance a assemblé le pa-
villon des sphères, avec les lacets de son pouvoir a serré
les rideaux des créatures de l'univers, et en touchant
avec sa force le bord du rideau de la création, a joint la
partie supérieure à l'inférieure. »
(Extrait des prières de Kippour).
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ARTICLE II.
LA VRAIE RELIGION.
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•
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P 77
a
MICROP ROSOPUS
4. Aziluth
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SOLUTION DU DEUXIÈME PROBLÈME. '77
vin qu'elle s'impose aux respects de la science et à l'as-
sentiment de la raison.
La science ne saurait sans témérité affirmer ou nier
ces hypothèses du dogme qui sont des vérités pour la
foi ; mais elle peut reconnaître, à des caractères certains,
la religion seule véritable, c'est-à-dire celle qui mérite
seule le nom de religion en réunissant tous les caractères
qui conviennent à cette grande et universelle aspiration
de l'âme humaine.
Une seule chose évidemment divine pour tous s'est
manifestée dans le monde.
C'est la charité.
L'oeuvre de la vraie religion doit être de produire, de
conserver et de répandre l'esprit de charité.
Pour parvenir à ce but, il faut qu'elle ait elle-même
tous les caractères de la charité, en sorte qu'on puisse
la bien définir en la nommant elle-même la charité or-
ganisée.
Or, quels sont les caractères de la charité.
C'est saint Paul qui va nous l'apprendre.
La charité est patiente.
Patiente comme Dieu, parce qu'elle est éternelle comme
lui. Elle souffre les persécutions et ne persécute jamais
personne.
Elle est bienveillante et débonnaire, appelant à elle
les petits et ne repoussant pas les grands.
Elle est sans jalousie. De qui et de quoi serait-elle ja-
louse, n'a-t-elle pas cette meilleure part qui ne lui sera
jamais ôtée ?
Elle n'est ni remuante ni intrigante.
•
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7$ meus RELIGIEUX.
Elle est mas orgueil, uns ambition, sans égoïsme,
sans colère.
Elle ne suppose jamais le mal et ne triomphe jamais
par l'injustice, car elle met toute sa joie dans la vérité.
Elle endure tout sans jamais tolérer le mal.
Elle croit tout, sa foi est simple, soumise, hiérarchique
et universelle.
Elle soutient tout , et n'impose jamais de fardeaux
qu'elle ne porte la première.
La religion est patiente, c'est la religion des grands
travailleurs de la pensée : c'est la religion des martyrs.
Elle est bienveillante comme le Christ et les apôtres
comme les Vincent de Paul et les Fénelon.
Elle n'envie ni les dignités ni les biens de la terre.
C'est la religion des pères du désert, de saint François
d'Assises et de saint Bruno, des soeurs de la charité et des
frères de Saint-Jean-de-Dieu.
Elle n'est ni remuante , ni intrigante , elle prie, elle
fait le bien et elle attend.
Elle est humble, elle est douce, elle n'inspire que le
dévouement et le sacrifice. Elle a enfin tous les carac-
tères de la charité, parce qu'elle est la charité même.
Les hommes, au contraire, sont impatients, persécu-
teurs, jaloux, cruels, ambitieux, injustes, et ils se sont
montrés tels, même au nom de cette religion qu'ils ont
pu calomnier, mais qu'ils ne feront jamais mentir. Les
hommes passent et la vérité est éternelle.
Fille de la charité et créant à son tour la charité, la
vraie religion est essentiellement réalisatrice; elle croit
aux miracles de la foi, parce qu'elle les accomplit tous les
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.SOLUTION DU MIMÉ» PROBLiME. 19
jours kirsqu'elle fait la charité. Or, une religion qui fait
la charité peut se flatter de réaliser tous les rêves de
l'amour divin. Aussi la foi de l'Église hiérarchique trans-
forme-t-elle le mysticisme en réalisme par l'efficacité de
ses sacrements. Plus de signes, plus de figures qui n'aient
leur force dans la grâce et qui ne donnent réellement ce
qu'elles promettent. La foi anime tout, rend tout en quel-
que sorte visible et palpable; les paraboles même de
Jésds-Christ prennent un corps et une âme. On montre à
Jérusalem la maison du mauvais riche. Les symbolismes
épars des religions primitives, délaissés par la science et
privés de la vie de la foi, ressemblaient à ces ossements
blanchis qui couvraient la campagne d'Ézéchiel. L'esprit
du, Sauveur, l'esprit de foi, l'esprit de charité a soufflé
sur cette poussière, et tout ce qui 'était mort a repris une
vie si réelle qu'on ne reconnaît plus dans ces vivants
d'aujourd'hui les cadavres d'hier. Et pourquoi les recon-
naîtrait-on, puisque le inonde est renouvelé, puisque
saint Paul a brûlé à Éphèse les livres des hiérophantes.
Était-ce donc un barbare que saint Paul, et ne commet-
tait-il pas un attentat contre la science? Non, mais il
brûlait les suaires des ressuscités pour leur faire oublier
la mort. Pourquoi donc aujotird'hui rappelons-nous les
origines kabbalistiques du dogme? Pourquoi rattachons-
nous les figures de la Bible aux allégories d'Hermès?
Est-ce pour condamner saint Paul, est-ce pour apporter
le doute aux croyants? Non certes, car les croyants n'ont
pas besoin de notre livre, ils ne le liront pas, ils ne vou-
dront pas le comprendre. Mais nous voulons montrer à
la foule innombrable de ceux qui doutent que la foi se
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80 MIffititES RELIGIBUI.
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ARTICLE III.
SOLUTION DU TROISIÈME PROBLÈME.
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82 /VISTMES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU TROISIÈME PROBLÈME. u
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84 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU TROISIÈME PROBLÈME. 85 .
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86 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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ARTICLE IV.
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88 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU QUATRIÈME PROBLÈME. 89
Le culte est un enseignement, c'est une langue, il faut
le traduire quand les nations ne le comprennent plus.
Nous avons traduit et non détruit le culte de Moïse et
des prophètes.
En adorant Dieu dans la création, nous n'adorons pas
la création elle-même.
En adorant Dieu en Jésus-Christ, c'est Dieu seul que
nous adorons, mais Dieu uni à l'humanité.
En rendant l'humanité divine, le christianisme a ré-
vélé la divinité humaine.
Le Dieu des juifs était inhumain, parce qu'ils ne le
comprenaient pas dans ses oeuvres.
Nous sommes donc plus israélites que les israélites
eux-mêmes. Ce qu'ils croient nous le croyons avec eux
et mieux qu'eux. Ils nous accusent de nous être séparés
d'eux, et ce sont eux au contraire qui veulent rester sé-
parés de nous.
Nous les attendons à coeur et à bras ouverts.
Nous sommes comme eux les disciples de Moïse.
Comme eux, nous venons de l'Égypte et nous en dé-
testons la servitude. Mais nous sommes entrés dans la
terre promise, et eux ils s'obstinent à demeurer et à mou-
rir dans le désert.
Les musulmans sont les bâtards d'Israël ou plutôt ils
en sont les frères déshérités, comme Ésaü.
Leur croyance est illogique , car ils admettent que
Jésus est un grand prophète, et ils traitent les chrétiens
d'infidèles.
Ils reconnaissent l'inspiration divine de Moïse et ils
ne regardent pas les juifs comme des frères.
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90 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU QUATRIÈME PROBLÈME. Al
Église marchait, et qui n'en est plus que la silhouette ef-
facée et sans tête.
Puis les protestants, ces éternels régulateurs de l'anar-
chie, qui ont brisé le dogme et qui essayent toujours de
le remplir de raisonnements comme le tonneau des Da-
naïdes ; ces fantaisistes religieux dont toutes les innova-
tions sont négatives, qui ont formulé à leur usage un in-
connu, soi-disant mieux connu, des mystères mieux
expliqués, un infini plus défini, une immensité plus res-
treinte, une foi plus douteuse, qui ont quintessencié l'ab-
surde, scindé la charité et pris des actes d'anarchie pour
les principes d'une hiérarchie à jamais impossible ; ces
hommes qui veulent réaliser le salut par la foi seule,
parce que la charité leur échappe, et qui ne peuvent plus
rien réaliser, même sur la terre, car leurs sacrements
prétendus ne sont plus que des momeries allégoriques,
ils ne donnent plus la gràce, ils ne font plus voir Dieu et
toucher Dieu, ce ne sont plus, en un mot, les signes de
la toute-puissance de la foi, mais les témoignages forcés
de l'impuissance éternelle du doute.
C'est donc contre la foi même que la réforme a pro-
testé. Les protestants ont eu raison seulement contre le zèle
inconsidéré et persécuteur qui voulait forcer les con-
sciences. Ils ont réclamé le droit de douter, le droit
d'avoir moins de religion ou même de n'en avoir pas du
tout; ils ont versé leur sang pour ce triste privilége ; ils
l'ont conquis, ils le possèdent, mais ils ne nous ôteront
pas celui de les plaindre et de les aimer. Quand le besoin
de croire les reprendra, quand leur coeur se révoltera à
son tour contre la tyrannie d'une raison faussée, quand
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92 MYSTÈRES RELIGIEUX.
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SOLUTION DU QUATRIÈME PROBLÈME. 98
gion dans la parodie de Voltaire. Les voltairiens ressem-
blent aux grenouilles de la fable qui sautent sur le soliveau
et se moquent ensuite de la majesté royale. Libre à eux
de prendre le soliveau pour un roi, libre à eux de refaire
cette caricature romaine dont riait autrefois Tertullien, et
qui représentait le Dieu des chrétiens sous la figure d'un
homme à tête d'âne. Les chrétiens hausseront les' épaules
en voyant cette polissonnerie et prieront Dieu pour les
pauvres ignorants qui prétendent les insulter.
M. le comte Joseph de Maistre après avoir, dans un
de ses plus éloquents paradoxes, représenté le bourreau
comme tin être sacré et comme une incarnation perma-
nente de la justice divine sur la terre, voudrait qu'on fit
élever au vieillard de Ferney une statue par la main du
bourreau. Il y a de la profondeur dans cette pensée.
Voltaire en effet aussi, a été dans le monde un être à la
fois providentiel et fatal, doué d'insensibilité pour l'ac-
complissement de ses terribles fonctions. C'était dans le
domaine de l'intelligence un exécuteur des hautes-oeu-
vres , un exterminateur armé par la justice même de
Dieu.
Dieu a envoyé Voltaire entre le siècle de Bossuet et
celui de Napoléon pour anéantir tout ce' qui sépare ces
deux génies et les réunir en un seul.
C'était le Samson de l'esprit, toujours prêt à secouer
les colonnes du temple; mais pour lui faire tourner mal-
gré lui la meule du progrès religieux, la Providence
semblait avoir aveuglé son coeur.
•
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ARTICLE V.
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SOLUTION DU DERNIER PROBLÈME. 95
tise ; le fanatisme c'est la religion servant de prétexte à
la fureur.
Ceux qui confondent à dessein et de parti pris la reli-
gion elle-même avec la superstition et le fanatisme, em-
pruntent à la bêtise ses préventions aveugles et emprun-
teraient peut-être de même au fanatisme ses injustices et
ses colères.
Inquisiteurs ou septembriseurs, qu'importent les noms?
La religion de Jésus-Christ condamne et a toujours con-
damné les assassins.
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RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE
EN FORME DE DIALOGUE.
LA SCIENCE.
LA FOI.
LA SCIENCE.
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RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE. 97
LA FOI.
LA FOI.
LA FOI.
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98 MYSTÈRES RELIGIEUI.,
LA SCIENCE.
LA FOI.
LA SCIENCE.
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RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE. GQ
LA SCIENCE.
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400 MYSTÈRES RELIGIEUX.
LA FOI.
LA SCIENCE.
LA FOI.
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RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE. 101
LA SCIENCE.
LA FOI.
LA RAISON.
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102 MYSTÈRES RELIGIEUX.
LA FOI.
LA SCIENCE.
LA SCIENCE.
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RÉSU3IÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE. 403
LA FOI.
LA FOI.
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I Ott MYSTÈRES RELIGIEUX.
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DEUXIÈME PARTIE
MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES
CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
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106 MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES.
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CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES. 101
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108 MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES.
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SOLUTION
DES PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES.
PREMIÈRE SÉRIE.
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110 MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES.
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SOLUTION DES PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES.
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11`2 MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES.
DEUXIÈME SÉRIE.
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SOLUTION DES PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES. 113
R. Elle est lumière en partie volatile et en partie fixée.
D. Qu'est-ce que la partie volatile de cette lumière?
R. C'est le fluide magnétique.
D. Et la partie fixée?
R. C'est le corps fluidique ou armai.
D. L'existence de ce corps est-elle démontrée ?
R. Oui, par les expériences les plus curieuses et les
plus concluantes. Nous en parlerons dans la troisième
partie de.cet ouvrage.
D. Ces expériences sont- elles articles de foi ?
R. Non, elles appartiennent à la science.
D. Mais la science s'en préoccupera-t-elle?
R. Elle s'en préoccupe déjà, puisque nous avons écrit
ce livre et puisque vous le lisez.
D. Donnez-nous quelques notions sur ce médiateur
plastique.
R. Il est formé de lumière astrale ou terrestre et en
transmet au corps humain la double aimantation. L'âme,
en agissant sur cette hunière par ses volitions, peut la
dissoudre ou la coaguler, la projeter ou l'attirer. Elle est
le miroir de l'imagination et des rêves. Elle réagit sur le
système nerveux, et produit ainsi les mouvements du
corps. Cette lumière peut se dilater indéfiniment et coni-
muniquer ses images à des distances considérables, elle
aimante les corps soumis à l'action de l'homme, et peut,
en se resserrant, les attirer vers lui. Elle peut prendre
toutes les formes évoquées par la pensée et, dans les
coagulations passagères de sa partie rayonnante, appa-
raître aux yeux et offrir même une sorte de résistance au
contact. Mais ces manifestations et ces usages du média
8
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114 MYSTÈRES PHILOSOPHIQUES.
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SOLUTION DES PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES. ft§
R. La santé de l'esprit et du corps; l'intention droite
et la pratique discrète.
D. Quels résultats avantageux peut-on obtenir par le
magnétisme bien dirigé ?
R. La guérison des maladies nerveuses, l'analyse des
pressentiments, le rétablissement des harmonies fluidi-
ques, la découverte de certains secrets de la nature.
D. Expliquez-nous tout ceci d'une manière plus com-
plète.
R. Nous le ferons dans la troisième partie de cet ou-
vrage qui traitera spécialement des mystères de la nature.
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Page 117
La dixième clé du T ut
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TROISIÈME PARTIE.
LES MYSTÈRES DE LA NATURE.
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LIVRE PREMIER.
LEI 1111/1161 NÉTIQUEO.
CHAPITRE PREMIER.
LA CLEF DU MESMÉRISME.
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20 MYSeRES MAGNÉTIQUES.
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CLEF DU MESMÉRISME. 121
Eloïm dit : Que la lumière soit et la lumière fut.
Cette lumière, dont le nom hébreu est mu, aour, est
l'or fluide et vivant de la philosophie hermétique. Son
principe positif est leur soufre; son principe négatif leur
mercure, et ses principes équilibrés forment ce qu'ils ont
nominé leur sel.
Il faudrait donc au lieu du sixième aphorisme de
Mesmer ainsi conçu :
La matière est indifférente à être en mouvement ou
à être en repos. »
Établir celui-ci :
La matière universelle est nécessitée au mouvement
par sa double aimantation et cherche fatalement l'équi-
libre.
Et en déduire les suivants
La régularité et la variété dans le mouvement résultent
des combinaisons diverses de l'équilibre.
Un point équilibré de tous côtés reste immobile pour
cela même qu'il est doué de mouvement.
Le fluide est une matière en grand mouvement et tou-
jours agitée par la variation des équilibres.
Le solide est la même matière en petit mouvement ou
en repos apparent, parce qu'elle est plus ou moins solide-
ment équilibrée.
Il n'est pas de corps solide qui ne puisse immédiate-
ment être pulvérisé, s'évanouir en fumée et devenir invi-
sible si l'équilibre de ses molécules venait à cesser tout à
coup.
Il n'est pas de corps fluide qui ne puisse devenir à
l'instant même plus dur que le diamant, si l'on pouvait
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122 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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DU MESMÉRISME. 4 23
L'âme remua les ressorts de la vieparticulière, tout en
se baignant dans la vie lev selle, éprouve un bien-
être inexprimable et ell e( ototltiers les branches
nerveuses qui la tiennent suspendue au-dessus du cou-
rant. Dans les extases de toutes sortes la situation est la
même. Si la volonté s'y plonge avec un effort passionné
ou même s'y abandonne tout entière, le sujet peut rester
idiot, paralysé ou mourir.
Les hallucinations et les visions résultent de blessures
faites au médiateur plastique et de sa paralysie locale. Tan-
tôt il cesse de rayonner et substitue des images conden-
sées en quelque sorte aux réalités montrées par la lu-
mière, tantôt il rayonne avec trop de force et se condense
en dehors autour de quelque foyer fortuit et déréglé,
comme le sang dans les excroissances de chair, alors les
chimères de notre cerveau prennent un corps etsemblent
prendre une âme, nous nous apparaissons à nous-mêmes
radieux ou difformes comme l'idéal de nos désirs ou de
nos craintes.
Les hallucinations étant des rêves de personnes éveil-
lées, supposent toujours un état analogue au somnambu-
lisme. Mais, en sens contraire; le somnambulisme c'est
le sommeil empruntant au réveil ses phénomènes ; l'hal-
lucination c'est la veille assujettie encore en partie à l'i-
vresse astrale du sommeil.
Nos corps fluidiques s'attirent et se repoussent les uns
les autres, suivant des lois conformes à celles de l'élec- 7--
tricité. C'est ce qui produit les sympathies et les antipa-
thies instinctives. Ils s'équilibrent ainsi les uns les autres,
et c'est pour cela que les hallucinations sont souvent
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I2/1 MtnieRES MAGNÉTIQUES.
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CLEF DU MESMÉRISME. 125
l'amour de la tête purement nerveux et passionné ne vit
que d'enthousiasme, se heurte contre tous les devoirs,
traite l'objet aimé en chose conquise, est égoïste, exigeant,
inquiet, tyrannique et traîne fatalement après lui le sui-
cide pour catastrophe finale, ou l'adultère pour remède.
Ces phénomènes sont constants comme la nature, in-
exorables comme la fatalité.
Une jeune artiste pleine d'avenir et de courage avait
pour mari un honnête homme, un chercheur de science,
un poète auquel elle ne pouvait reprocher qu'un excès
d'amour pour elle, elle l'a quitté en l'outrageant, et de-
puis elle continue à le haïr. Elle aussi cependant est une
honnête femme, mais le monde impitoyable la juge et la
condamne. Ce n'est pourtant pas maintenant qu'elle est
coupable. Sa faute, s'il est permis de lui en reprocher
une, c'est d'avoir d'abord follement et passionnément aimé
son mari.
Mais, dira-t-on, l'âme humaine n'est donc pas libre?
— Non, elle ne l'est plus dès qu'elle s'abandonne au
vertige des passions. Il n'y a que la sagesse qui soit libre,
les passions désordonnées sont le domaine de la folie, et
la folie c'est la fatalité.
Ce que nous avons dit de l'amour peut se dire aussi
de la religion qui est le plus puissant, mais aussi le plus
enivrant des amours. La passion religieuse a aussi ses
excès et ses réactions fatales. On peut avoir des extases
et des sigmates, comme saint François d'Assises, et
tomber ensuite dans des abîmes de débauche et d'impiété .
Les natures passionnées sont des aimants exaltés, elles
attirent ou repoussent avec force.
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126 MYSTMES 31AGNÉTIQUES.
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CLEF DU MESMÉRISME. 127
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CHAPITRE 11.
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LA VIE ET LA MORT. - • LA VEILLE ET LE SOMMEIL. 129
Il existe une langue du sommeil dent il est impossible
dans l'état de veille de comprendre et même de rassem-
bler les mots.
La langue du sommeil est celle de la nature, hiérogly-
phique dans ses caractères et seulement rhythmée dans
ses sons.
Le sommeil peut être vertigineux ou lucide.
La folie est un état permanent de somnambulisme ver-
tigineux.
Une commotion violente peut éveiller les fous aussi
bien qu'elle peut les tuer.
Les hallucinations, lorsqu'elles entraînent l'adhésion
de l'intelligence, sont des accès passagers de folie.
Toute fatigue de l'esprit provoque le sommeil ; niais si
la fatigue est accompagnée d'irritation nerveuse, le Som-
meil peut être incomplet et prendre les caractères du
somnambulisme.
On s'endort parfois sans s'en apercevoir au milieu de
la vie réelle, et alors, au lieu de penser, on rêve.
Pourquoi avons-nous des réminiscences de choses qui
ne nous sont jamais arrivées? C'est que nous les avons
rêvées tout éveillés.
Ce phénomène du sommeil involontaire et non senti,
traversant tout à coup la vie réelle, se produit fréquem-
ment chez tous ceux qui surexcitent leur organisme
nerveux par des excès, soit de travail, soit de veilles,
soit de boisson, soit d'un éréthisme quelconque.
Les monomanes dorment lorsqu'ils se livrent à des
actes déraisonnables et n'ont plus conscience de rien au
réveil.
9
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130 MItekRES MAGNÉTIQUES.
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LA VIE ET LA MORT. — LA VEILLE ET LE SOMMEIL. 131
rait l'éveiller. Il en est de même des hallucinés, des som-
nambules statiques, des maniaques, des épileptiques et
de tous ceux qui s'abandonnent au délire d'une passion.
Ils ont entendu la musique fatale, ils sont entrés dans la
danse macabre, et ils se sentent entraînés dans le tour-
billon du vertige. Vous leur parlez, ils ne vous entendent
plus, vous les avertissez, ils ne vous comprennent plus,
mais votre voix les importune; ils ont sommeil du som-
meil de la mort.
La mort est un courant qui entraîne, un gouffre qui
absorbe, mais du fond duquel le moindre mouvement
peut vous faire remonter. La force de répulsion étant
égale à celle de l'attraction, souvent au moment même
d'expirer, on se rattache violemment à la vie, souvent
aussi par la même loi d'équilibre on passe du sommeil à
la mort ; par complaisance pour le sommeil.
Une nacelle se balance près des rives du lac. L'en-
fant y entre, l'eau brillante de mille reflets danse au-
tour de lui et l'appelle, la chaîne qui retient le bateau
se tend et semble vouloir se romkrepm oiseau merveil-
leux s'élance alors du regéeet Mie& chantant sur les
it- Oe el flots joyeux; l'enfant veut le suivre, il porte la main à la
t
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4 32 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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LA VIE ET LA MORT. — LA VEILLE ET LE SOMMEIL. 43$
Adonis revenant à la vie pour écouter les plaintes de Vé-
nus et se ranimant comme une fleur sous la rosée bril-
lante de ses larmes ; Castor et Pollux que la mort n'a pu
désunir et qui s'aiment tour à tour dans les enfers et sur
la terre... Puis il appelle doucement.Eurydice, sa chère
Eurydice, son Eurydice tant aimée :
Ah! miseram Eurydicen enfin& fugiente vocabat,
Eurydieen ! toto referebant Diamine rime.
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I.8& meus micrtrions.
phénomène impossible dans l'ordre même de la nature,
et en cela nous n'avons nié ni contredit en aucune ma-
nière la loi fatale de la mort. Une mort qui peut cesser
n'est qu'une léthargie et un sommeil, mais c'est par la
léthargie et le sommeil que la mort commence toujours.
L'état de quiétude profonde qui succède alors aux agita-
tions de la vie emporte alors l'âme détendue et endormie,
on ne peut la faire revenir, la forcer à plonger de nou-
veau qu'en excitant violemment toutes ses affections et
tous ses désirs. Quand Jésus, le Sauveur du monde, était
sur la terre, la terre était plus belle et plus désirable que
le ciel, et Cependant il a fallu à Jésus un cri et une se-
cousse pour réveiller la fille de Jaïre. C'est à force de
frémissements et de larmes qu'il a rappelé du tombeau
son ami Lazare, tant il est difficile d'interrompre une
âme fatiguée qui dort de son premier sommeil!
Toutefois le visage de la mort n'a pas la même séré-
nité pour toutes les âmes qui le contemplent, lorsqu'on
a manqué le but de sa vie, lorsqu'on emporte avec soi
des convoitises effrénées ou des haines inassouvies, l'é-
ternité apparaît à l'âme ignorante ou coupable avec de si
formidables proportions de douleurs qu'elle tente quel-
quefois de se rejeter dans la vie mortelle. Combien
d'âmes agitées ainsi par le cauchemar de l'enfer se sont
réfugiées dans leurs corps glacés et couverts déjà du
marbre de la tombe I On a retrouvé des squelettes retour-
nés, convulsés, tordus, et l'on a dit : Voici des hommes
qui ont été enterrés vivants. On se trompait souvent, et
ce pouvait être toujours des épaves de la mort, des res-
suscitée de la sépulture qui, pour s'abandonner tout à fait
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LA VIE ET LA MORT. - - LA VEILLE ET LE SOMMEIL. 485
aux angoisses du seuil de l'éternité, s'y étaient repris à
deux fois.
Un magnétiste célèbre, M. le baron Dupotet, enseigne
dans son livre secret sur la Magie qu'on peut tuer par le
magnétisme comme par l'électricité. Cette révélation n'a
rien d'étrange pour qui connaît bien les analogies de la
nature. Il est certain qu'en dilatant outre mesure ou en
coagulant tout à coup le médiateur plastique d'un sujet,
on peut détacher son âme de son corps. Il suffit quelque-
fois d'exciter chez une personne une violente colère ou
une trop grande frayeur pour tuer subitement cette per-
sonne.
L'usage habituel du magnétisme met ordinairement le
sujet qui s'y abandonne à la merci du magnétiseur.
Quand la communication est bien établie, quand le ma-
gnétiseur peut produire à volonté le sommeil, l'insensi-
bilité, la catalepsie, etc., il ne lui en coûterait qu'un efIbrt
de plus pour amener aussi la mort.
On nous a raconté, comme certaine, une histoire dois'
nous ne garantissons pas toutefois l'authçnticité.
Nous allons la dire parce qu'elle peut être vraie.
Des personnes qui doutaient en même temps de la re •
ligion et du magnétisme, de ces incrédules qui sont prêts
à toutes les superstitions et à tous les fanatismes, avaie4
décidé à prix d'argent une pauvre fille à subir leurs expé-
riences. C'était une nature impressionnable et nerveuse,
fatiguée d'ailleurs par les excès d'une vie plus qu'irrégu-
lière, et déjà dégoûtée de l'existence. On l'endort; on
lui commande de voir ; elle pleure et se débat. Ou lui
parle de Dieu..., elle tremble de tous ses membres.
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•
■11111..
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LA VIE ET LA MORT. - LA VEILLE ET LE SOMMEIL. 137
— Allez-y, je le veux.
Les traits de la somnambule deviennent terribles à
voir; ses cheveux se dressent sur sa tête ; ses yeux tout
grands ouverts ne montrent que le blanc; sa poitrine se
soulève et laisse échapper une sorte de râle.
— Allez-y, je le veux, répète le magnétiseur.
— J'y suis, dit entre ses dents la malheureuse en re-
tombant épuisée. Puis elle ne répond plus ; sa tête inerte
penche sur son épaule; ses bras pendent le long de 'son
corps. On s'approche d'elle; op la touche. On veut trop
tard la réveiller ; le crime était fait; la femme était morte
et les auteurs de cette expérience sacrilége durent à l'in-
crédulité publique, en matière de magnétisme, de ne pas
être poursuivis. L'autorité eut à constater un décès, et la
mort fut attribuée à la rupture d'un anévrysme. Le corps
ne portait d'ailleurs aucune trace de violence ; on le fit
enterrer et tout fut dit.
Voici une autre anecdocte qui nous a été racontée par
des compagnons du tour de France. •
Deux compagnons logeaient dans la même auberge et
partageaient la même chambre. L'un des deux avait l'ha-
bitude de parler en dormant et répondait alors aux ques-
tions que son camarade lui adressait. Une nuit il pousse
tout à coup des cris étouffés, l'autre compagnon s'éveille
et lui demande ce qu'il a.
— Mais tu ne vois donc pas, dit le dormeur, tu ne
vois donc pas cette pierre énorme... elle se détache de
la montagne... elle tombe sur moi, elle va m'écraser.
— Eh bien! sauve-toi!
— Impossible, j'ai les pieds embarrassés dans des
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48$ MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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CHAPITRE III.
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i 0 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. f
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I /12 artstÈREs mAdatmores.
1
de B... fut ce jour-là bonne pour lui, comme toujours,
et voulut le retenir à Biner; le mystérieux personnage
allait accepter, lorsque quelqu'un étant venu à dire qu'on
attendait un kabbaliste connu dans le monde des sciences •
occultes par la publication d'un livre intitulé : Dogme et
rituel de la haute magie. (1), M. Home a tout à coup
changé de visage et a déclaré en balbutiant et avec un
trouble visible qu'il ne pouvait rester, et que l'approche
de ce professeur de magie lui causait une invincible ter-
reur. Tout ce qu'on put lui dire pour le rassurer fut inu-
tile. — Je ne juge pas cet homme, disait-il, je n'affirme
pas qu'il soit bon ou mauvais, je n'en sais rien, mais son I
atmosphère me fait mal, près de lui je me sentirais sans
force et comme sans vie. Et après cette explication, 1
M. Home s'est empressé de saluer et de sortir.
Cette terreur des hommes de prestiges, en présence
des véritables initiés à la science, n'est pas un fait nou-
veau dans les annales de l'occultisme. On peut lire dans
Philostrate l'histoire de la stryge qui tremble en écoutant
venir' Apollonius de Tyane. Notre admirable conteur,
Alexandre Dumas, a dramatisé cette anecdote magique
dans le beau résumé de toutes les légendes qui devait
servir de prologue à sa grande épopée romanesque du
Juif-Errant. La scène se passe à Corinthe; c'est une noce
antique avec ses beaux enfants couronnés de fleurs qui
portent les torches nuptiales et chantent des épithalames
gracieux et tout fleuris de voluptueuses images comme
les poésies de Catulle. La fiancée est belle, dans ses
chastes draperies, comme la Polymnie antique; elle est
(1) Germer Baillière, 17, rue de Picote-de-Médecine.
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1dYSTiRES DES liALLUCINATIOXS, E'tC. l iI8
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MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC.
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1 /16 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÙRES DES HALLUCINATIONS, ETC. I/11
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It8 imbu ItACTIÉTIQUES.
çaient ordinairement à la main de Typhon. Un tau à
double trait vertical ouvert en forme de compas, une
croix ansée ayant en haut un anneau circulaire ; au-
dessous de l'anneau un double trait horizontal, sous le
double trait horizontal un double trait oblique en forme
de V renversé.
Le second caractère représentait uue croix de grand
hiérophante avec les trois traverses hiérarchiques. Ce
symbole qui remonte à la plus haute antiquité est encore
l'attribut de nos souverains pontifes et termine l'extré-
mité supérieure de leur bâton pastoral. Mais le signe
tracé par le crayon avait cela de particulier que la branche
supérieure, la tête de la croix, était double et formait en-
core le terrible V typhonien, le signe de l'antagonisme et
de la séparation, le symbole de la haine et du combat
éternel.
Le troisième caractère était celui que les F. • . Maçons
nomment la croix philosophique, une croix à quatre
branches égalés avec un point dans chacun des angles.
Mais, au lieu de quatre points, il y en avait seulement
deux, placés dans les deux angles de droite, encore un
signe de lutte de séparation et de négation.
Le professeur, qu'on nous permettra de distinguer ici
du conteur et de nommer à la troisième personne, pour
ne pas fatiguer nos lecteurs en ayant l'air de leur parler
de nous, le professeur done, maitre Éliphas Lévi, a donné
aux personnes réunies dans le salon de madame de B...,
l'explication scientifique des trois signatures, et voici ce.
qu'il en a dit :
« Ces trois signes appartiennent à la série des hiéro-
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 1119
glyphes saurés et primitifs connus seulement des initiés
du premier ordre, le premier est la signature de Typhon.
Il exprime le blasphème de cet esprit du mal en établis-
sant le dualisme dans le principe créateur. Car la croix
ansée d'Osiris est un lingam renversé, et représente la
force paternelle et active de Dieu (la ligne verticale sor-
tant du cercle) fécondant la nature passive (la ligne ho-
riiontale). Doubler la ligne verticale c'est affirmer que la
nature a deux pères; c'est mettre l'adultère à la place de
la maternité divine, c'est affirmer, au lieu du premier
principe intelligent, la fatalité aveugle ayant pour résultat
le conflit éternel des. apparences dans le néant; c'est
donc le plus ancien, le plus authentique et le plus terrible
de tous les stigmates de l'enfer. Il signifie le dieu athée,
c'est la signature de Satan.
Cette première signature est hiératique et se rapporte
aux caractères occultes du monde divin.
La seconde appartient aux hiéroglyphes philosophi-
ques, elle représente la mesure ascensionnelle de l'idée
et l'extension progressive de la forme.
C'est un triple tau renversé, c'est la pensée humaine
affirmant tour à tour l'absolu dans les trois mondes, et
cet absolu se termine ici par une fourche, c'est-à-dire
par le signe du doute et de l'antagonisme. En sorte que,
si le premier caractère veut dire : Il n'y a pas de Dieu,
celui-ci a pour signification rigoureuse : La vérité hiérar-
chique n'existe pas.
Le troisième, ou la croix philosophique, a été dans toutes
les initiations le symbole de la nature et de ses quatre
formes élémentaires, les quatre points représentent les
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150 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 451
Certaines circonstances ridicules et un procès en es-
croquerie firent bientôt tomber dans l'oubli et même dans
le mépris ce thaumaturge, attaqué d'ailleurs avec vio-
lence dans des pamphlets dont les auteurs étaient d'an-
ciens admirateurs de sa doctrine, car le médium Vintras
se mêle de dogmatiser. Une chose pourtant est remar-
quable dans les invectives dont il est l'objet : c'est que
ses adversaires, tout en s'efforçant de le flétrir, recon-
naissent la vérité de ses miracles et se contentent de les
attribuer au démon.
Quels sont donc les miracles si authentiques de Vin-
tras?? Nous sommes sur ce sujet mieux renseigné que
personne, comme bientôt on va le voir. Des procès-ver-
baux signés par des témoins honorables, par des artistes,
par des médecins, par des prêtres, d'ailleurs irréprocha-
bles, nous ont été communiqués; nous avons questionné
des témoins oculaires, et, mieux que cela, nous avons
vu. Les choses méritent d'être racontées avec quelques
détails.
Il existe à Paris un écrivain au moins excentrique
nommé M. Madrolle. C'est un vieillard dont la famille et
les relations sont honorables. Il a écrit d'abord dans le
sens catholique le plus exalté, a reçu les encouragements
les plus flatteurs de l'autorité ecclésiastique et même des
brefs émanés du saint-siége, puis il a vu Vintras; et, en-
traîné par le prestige de ses miracles, il est devenu un
sectaire déterminé et un ennemi irréconciliable de la hié-
rarchie et du clergé.
A l'époque où Éliphas Lévi faisait paraître son Dogme
et rituel de la haute magie, il reçut une brochure de
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'1 52 Mi STÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 158
M. Madrolle. — Votre chagrin, monsieur! Veuillez '
vous expliquer, je ne vous comprends pas.
Je regrette vivement, monsieur, de vous voir com-
mettre des fautes dans lesquelles je suis tombé autrefois
moi-même. Mais j'avais du moins alors l'excuse de l'inex-
périence et de la jeunesse. Votre brochure manque de
portée parce qu'elle manque de mesure. Votre intention
était sans doute de protester contre des erreurs dans la
croyance, contre des abus dans la morale; et il se trouve
que c'est la croyance même et la morale que vous atta-
quez. L'exaltation qui déborde dans votre petit écrit doit
même vous faire le plus grand tort, et quelques-uns de
vos meilleurs amis ont dû concevoir des inquiétudes sur
l'état de votre santé....
— Eh, sans doute! on a dit et on dit encore que je suis
fou. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui que les croyants
doivent subir la folie de la croix. Je suis exalté, monsieur,
parce que vous le seriez vous-même à ma place, parce
qu'il est impossible de rester froid en présence des pro-
diges....
— Oh ! oh! vous parlez de prodiges, ceci m'intéresse.
Voyons, entre nous et de bonne foi, de quels prodiges
s'agit-il ?
— Eh ! de quels prodiges, sinon de ceux du grand
prophète Élie, revenu sur la terre sous le nom de Pierre-
Michel.
— J'entends ; vous voulez dire Eugène Vintras. J'ai
entendu parler de ses oeuvres. Mais fait-il vraiment des
miracles ?
(Ici M. Madrolle fait un bond sur sa chaise, lève les
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154 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLICINATIONS, ETC. 155
— Monsieur, je sais comme vous ces choses-là. Mais
Dieu ne peut pas être en désaccord avec lui-même. Il ne
peut pas permettre que la bonne foi soit trompée, et
l'Église même ne saurait décider que je suis aveugle
quand j'ai des yeux... Tenez, voici ce qu'on lit dans les
lettres de Jean Huss, lettre quarante-troisième vers
la fin :
K Un docteur m'a dit : En toute chose je me soumet-
» trais au concile, tout alors serait bon et légitime pour
» moi. Il ajouta : Si le concile disait que vous n'avez
» qu'un oeil, quoique vous en ayez deux, encore faudrait-il
» dire que le concile n'a pas tort. — Quand le monde
» entier, répondis-je, affirmerait une telle chose, aussi
» longtemps que j'aurais l'usage de ma raison, je ne
» pourrais en convenir sans blesser ma conscience. » Je
vous dirai comme Jean Huss : Avant qu'il y ait une Église
et des conciles, il y a une vérité et une raison.
— Je vous arrête, mon cher monsieur. Vous étiez ca-
tholique autrefois, vous ne l'êtes plus; les consciences
sont libres. Je vous représenterai seulement que l'insti-
tution de l'infaillibilité hiérarchique en matière de dogme
est bien autrement raisonnable et bien plus incontesta-
blement vraie que tous les miracles du monde. D'ailleurs,
que ne doit- on pas faire pour conserver la paix ! Croyez-
vous que Jean Huss n'eût pas été un plus grand homme
eût sacrifié un de ses yeux à la concorde universelle,
plutôt que d'inonder l'Europe de sang I Oh ! monsieur,
que l'Église décide quand elle voudra que je suis
borgne ; je ne lui demande qu'une grâce, c'est de me
dire de quel oeil, afin que je puisse fermer celui-là et
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156 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 157
« Cher maître,
» Je vous adresse un vieux savant qui veut baragouiner
» avec vous l'hébreu de la sorcellerie. Recevez-le comme
» moi-même (je veux dire comme moi-même je l'ai
» reçu), en vous en débarrasiant le mieux que vous
» pourrez.
'» Tout à vous en la sacro-sainte Kabbale.
» AD. DESBARROLLES. »
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158 MYSTéRES MAGNÉTIQUEg.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS. 169
de la science, voilà ce que nous demandons. Venez à
Londres, monsieur, et vous verrez ! Les miracles sont
en permanencé.
— Voulez-vous, monsieur, me donner d'abord quel-
ques détails exacts et consciencieux sur les miracles ?
— Oh ! tant qu'il vous plaira.
Et aussitôt, le vieux prêtre de raconter des choses que
tout le monde eût trouvées impossibles, mais qui ne firent
pas même sourciller le professeur de haute magie.
Ainsi, par exemple :
Un jour, Vintras, dans un accès d'enthousiasme, prê-
• .
elle devant son autel hétérodoxe ; vingt-cinq personnes
assistaient à ce prêche. Un calice vide était sur l'autel,
calice bien connu de l'abbé Charvoz; il l'avait apporté
lui-même de son église de Mont-Louis, et il était parfai-
tement certain que ce vase sacré n'avait ni conduits mys-
térieux ni double fond.
— Pour vous prouver, dit Vintras, que c'est Dieu lui-
même qui m'inspire, il me fait connaître que le calice va
se remplir des gouttes de son sang sous les apparences
• du vin, et tous vous pourrez goûter le produit des vignes
de l'avenir, du vin que nous devons boire avec le Sau-
veur dans le royaume de son père...
— Saisi d'étonnement et de crainte, continue l'abbé
Charvoz, je monte à l'autel, je prends le calice, j'en re-
garde le fond : il était entièrement vide. Je le renverse
devant tout le monde, puis je reviens m'agenouiller au
pied de l'autel, tenant le calice entre mes deux mains...
Tout à coup un léger bruit, celui d'une goutte d'eau qui
serait tombée du plafond dans le calice se fit entendre
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160 MYSTÈ1Ie3 MAGNÉtIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 161.
— Monsieur...
— Vous en avez, je le sais; pourquoi essayeriez-vous
de le nier?
— Je ne le nie pas, dit l'abbé Charvoz; mais vous nie
permettrez de ne pas exposer aux investigations de l'in-
crédulité les objets de la croyance la plus sincère et la
plus dévouée.
— Monsieur l'abbé, dit gravement Éliphas, l'incrédu-
lité est la défiance d'une ignorance presque sûre de se
tromper. La science n'est pas incrédule. Je crois d'abord
à votre conviction, puisque vous avez accepté une vie de
privation et même de réprobation pour cette malheureuse
croyance. Montrez-moi donc vos hosties miraculeuses et
croyez à tout mon respect pour les objets d'une sincère
adoration.
7— Eh bien ! dit l'abbé Charvoz après avoir encore un
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iÔ IIYSTiRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTiliES DES UALLUCINATIONS, ETC. 463
dans lesquatre autres. L'étoile flamboyante qui, renversée,
est le signe hiéroglyphique du bouc de la magie noire,
dont la tête peut alors être dessinée dans l'étoile, les deux
cornes en haut, à droite et à gauche les oreilles, la barbe
én bas. C'est le signe de l'antagonisme et de la fatalité.
C'est le bouc de la luxure attaquant le ciel avec ses cor-
nes. C'est un signe exécré même au sabbat par les ini-
tiés d'un ordre supérieur.
2° Les deux serpents hermétiques, mais les tètes et les
queues, au lieu de se rapprocher en deux demi-cercles
parallèles, étaient en dehors, et il n'y avait point de ligne
intermédiaire représentant le caducée. Au-dessus de la
tête des serpents on voyait le V fatal, la fourche typho-
nienne, le caractère de l'enfer. A droite et à gauche les
nombres sacrés HI et VII relégués sur la ligne horizon-
tale qui représente les choses passives et secondaires. Le
sens du caractère était donc celui-ci :
L'antagonisme est éternel.
• Dieu, c'est la lutte des forces fatales qui créent tou-
jours en détruisant.
Les choses religieuses sont passives et passagères.
L'audace s'en sert, la guerre en profite, et c'est par
elles que la discorde se perpétue.
3° Enfin, le monogramme cabalistique de Jehova, le
jod et le hé, mais renversés, ce qui forme, suivant les doc-
teurs de la science occulte, le plus épouvantable de tous
les blasphèmes, et signifie, de quelque manière qu'on les
lise : « La fatalité seule existe : Dieu et l'esprit ne sont
» pas. La matière est tout, et l'esprit n'est qu'une fiction
» de cette mène atière en démence. La forme est plus
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46k MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 465
la marque distinctive des adorateurs de Shiva le destruc-
teur ; car ce signe étant celui du grand arcane magique
qui tient au mystère de la génération universelle, le por-
ter sur le front c'est faire profession d'impudeur dogma-
tique. Or, disent les Orientaux, le jour où il n'y aura plus
(le pudeur dans le monde, le monde abandonné à la dé-
bauche, qui est stérile, finira aussitôt faute de mères. La
pudeur est l'acceptation de la maternité.
La main aux trois grands doigts fermés exprime la
négation du ternaire et l'affirmation des seules forces
naturelles.
Les anciens hiérophantes, comme va l'expliquer notre
Savant et spirituel ami Desbarrolles dans un beau livre
qui est sous presse, avaient fait de la main humaine le
résumé de la science magique. L'index, pour eux, re-
présentait Jupiter; le grand doigt ou médius, Saturne;
l'annulaire, Apollon ou le Soleil. Chez les Égyptiens, le
grand doigt était Ops, Osiris et l'annulaire Horus;
le pouce représentait la force génératrice, et l'auriculaire
l'adresse insinuante. Une main montrant seulement le
pouce et l'auriculaire équivaut, en langue hiéroglyphique
sacrée, à l'affirmation exclusive de la passion et du sa-
voir-faire. C'est la traduction abusive et matérielle de
cette grande parole de saint Augustin : « Aimez et faites
ce que vous voudrez. » Rapprochez maintenant ce signe
de la doctrine de M. Madrolle : l'acte d'amour le plus im-
parfait et en apparence le plus coupable, vaut mieux que
la meilleure des prières. Et vous vous demanderez quelle
est cette force qui, indépendamment de la volonté et du
plus ou moins de science des hommes (car Vintras est
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MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
un homme sans lettres et sans instruction), formule ses
dogmes avec des signes enfouis dans les débris de l'an-
cien monde, retrouve les mystères de Thèbes et d'Éleu-
sis, et nous écrit les plus doctes rêveries de l'Inde avec
les alphabets occultes d'Hermès.
Quelle est cette force ?—Je vous le dirai. Mais j'ai en-
core bien d'autres prodiges à vous conter, et ceci, di-
sons-nous, est comme une instruction juridique. Nous
devons avant tout la compléter.
Cependant on nous permettra, avant de passer à d'an-
tres récits, de transcrire ici une page d'un illuminé alle-
mand, Ludwig Tieck.
Si par exemple, comme le rapporte une ancienne
» tradition, une partie des anges créés ne tardèrent pas
» à déchoir, et si ce furent précisément, comme on le
» dit encore, les plus brillants, on peut bien entendre
» simplement par cette chute qu'ils cherchèrent une route
» nouvelle, une autre activité, d'autres occupations et
» une autre vie que ces esprits orthodoxes, ou plus pas-
» sifs, qui restèrent dans la région qui leur était assignée,
» et ne firent aucun usage de la liberté, leur apanage
» commun. Leur chiite fut cette pesanteur de la forme
» que nous appelons maintenant la réalité, et qui est une
» protestation de l'existence individuelle contre la réab-
» sorption dans les abîmes de l'esprit universel. C'est
» ainsi que la mort conserve et reproduit la vie, c'est
» ainsi que la vie est fiancée au trépas... Comprenez-
» vous maintenant ce que c'est que Lucifer? N'est-ce pas
» le génie mérne de l'antique Prométhée, cette force qui
» donne le branle au monde, à la vie, au mouvement
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. I61
» même, et qui règle le cours des formes successives ?
» Cette force, par sa résistance, équilibra le principe
» créateur. C'est ainsi que les élohim enfantèrent le
» monde. Lorsque ensuite les hommes furent placés sur
» la terre, par le Seigneur, comme des esprits intermé-
» diaires i dans leur enthousiasme qui les portait à sonder
» la nature et ses profondeurs, ils se livrèrent à l'influence
» de ce superbe et puissant génie, et lorsque avec un doux
» ravissement ils se furent précipités dans la mort pour
» y trouver la vie, ce fut alors qu'ils commencèrent A
» exister d'une manière véritable, naturelle, et comme il
» convient à des créatures.»
Cette page n'a pas besoin de commentaire, et explique
assez les tendances de ee qu'on nomme le spiritualisme
ou la doctrine spirite.
Depuis longtemps déjà cette doctrine ou cette antidoc-
trine travaille le monde pour le précipiter dans une anar-
chie universelle. Mais la loi d'équilibre nous sauvera, et
déjà le grand mouvement de réaction a commencé.
— Nous continuons le récit des phénomènes.
Un ouvrier se présenta un jour chez Éliphas Lévi.
C'était un homme d'une cinquantaine d'années, de grande
taille, regardant en face et parlant d'une manière fort
raisonnable. Interrogé sur le motif de sa visite, cet homme
répond : « Vous devez bien le savoir, je viens vous prier
et vous supplier de me rendre ce que j'ai perdu.»
Nous devons dire, pour être sincère, qu'Éliphas ne sa-
vait rien de ce visiteur ni de ce qu'il pouvait avoir perdu.
Aussi lui répondit-il : Vous me croyez beaucoup plus
sorcier que je ne le suis; je ne sais ni qui vous êtes ni
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468 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 169
vertu de cet horrible lWre? Les connaissez-vous ? leur
avez-vous promis quelque chose ? avez-vous signé un
pacte?
— Non, interrompit le propriétaire du grimoire; je
ne les connais pas et je n'ai pris avec eux aucun enga-
gement. Je sais seulement que parmi eux les chefs sont
bons, les intermédiaires alternativement bons et mau-
vais ; les inférieurs mauvais, mais pas aveuglément et
sans qu'il leur soit possible de mieux faire. Celui que j'ai
évoqué et qui m'est apparu souvent appartient à la hiérar-
chie la plus élevée, car il était de belle mine, bien vêtu et
me donnait toujours des réponses favorables. Mais j'ai
perdu une page de mon grimoire, la première, la plus
importante, celle qui portait la signature autographe
de l'esprit, et depuis il ne paraît "plus quand je l'ap-
pelle.
Je suis un homme perdu. Je suis nu comme Job, je
n'ai plus ni force ni courage. Oh ! maitre, je vous en
conjure, vous qui n'avez qu'un mot à dire, qu'un signe
à faire et les esprits obéiront, prenez pitié de moi et
rendez-moi ce que j'ai perdu!
— Donnez-moi votre grimoire, dit Éliphas.
Quel nom donniez-vous à l'esprit qui vous apparais-
sait?
— Je l'appelais Adonaï.
Et en quelle langue était sa signature?
— Je l'ignore, mais je suppose que c'était de l'hé-
• breu.
— Tenez, dit le professeur de haute magie après avoir
tracé deux mots hébreux au commencement et à la fin
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170 avseacs 11AGNÉTIQU6S.
du livre. Voici deux signatures que les esprits des ténè-
bres ne contreferont jamais. Allez en paix, dormez bien
et n'évoquez plus les fantômes.
L'ouvrier se retira.
Huit jours après , il revint trouver l'homme de
science.
— Vous m'avez rendu l'espérance et la vie, lui dit-
il, ma force est revenue en partie, je puis, avec les si-
gnatures que vous m'avez données, soulager ceux qui
souffrent et débarrasser les obsédés, mais lui, je ne puis le
revoir, et, tant que je ne l'aurai pas revu, je serai triste
jusqu'à la mort. Autrefois il était toujours près de moi,
il me touchait parfois et m'éveillait la nuit pour me dire
tout ce que j'avais besoin de savoir. Maltre, je vous en
supplie, faites que je le revoie...
— Qui donc?
— Adonaï.
— Savez-vous qui est Adonaï ?
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 171
— L'Écriture sainte dit encore qu'on ne peut le voir
sans mourir.
— Il avait une bonne et joviale figure.
— Mais comment procédiez-vous pour obtenir ces ap-
paritions?
— Eh bien! je faisais tout ce qui est marqué dans le
grand grimoire.
— Quoi donc I même le sacrifiée sanglant ?
— Sans doute.
— Malheureux ! mais quelle était donc la victime ?
A cette question, l'ouvrier eut un léger tressaillement,
il pâlit et son regard se troubla.
— Maître, vous savez mieux que moi ce que c'est,
dit-il humblement et à voix basse. Oh ! il m'en a coûté
beaucoup ; surtout la première fois, de couper la gorge
d'un seul coup avec le couteau magique à cette créature
innocente ! Une nuit je venais d'accomplir les rites funè-
bres, j'étais assis dans le cercle sur le seuil intérieur de
ma porte ét la victime achevait de se consumer dans un
grand feu de bois d'aulne et de cyprès... Tout à coup,
près de moi... je l'ai revu ou plutôt je l'ai senti passer...
J'ai entendu dans mon oreille une plainte déchirante...
on eùt dit qu'elle pleurait, et depuis ce moment je croyais
l'entendre toujours.
Éliphas s'était levé et regardait fixement son interlo-
cuteur. Avait-il devant lui un fou dangereux capable de
renouveler les atrocités du seigneur de Retz? Pourtant
la figure de cet homme était douce et honnête. Non, cela
n'était pas possible.
— Mais enfin, cette victime... dites-moi nettement ce
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172 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 173
sorcier du moyen âge, un sorcier naïf et convaincu! un
sorcier qui a vu Satan sous le nom d'Adonaï, Satan ha-
billé en bourgeois et Astaroth sous sa vraie forme diabo-
lique! quel objet d'art! quel trésor d'archéologie!
— Mon ami, dit-il à son nouveau disciple, je veux
vous aider à retrouver ce que vous dites avoir perdu.
Prenez mon livre, observez les prescriptions du rituel et
revenez me voir dans huit jours.
Huit jours après, nouvelle conférence, et ici l'ouvrier
déclare qu'il est l'inventeur d'une machine de sauvetage
de la plus grande importance pour la marine. La machine
est parfaitement combinée ; il n'y manque qu'une chose...
elle ne fonctionne pas : un défaut imperceptible est dans
le mouvement. Quel est ce défaut? L'esprit de malice seul
pourrait le dire. Il faut donc absolument l'évoquer!...
— Gardez-vous-en bien, dit Éliphas ; dites plutôt pen-
dant neuf jours cette invocation cabalistique (et il lui re-
mit un feuillet manuscrit). Commencez ce soir, et revenez
demain me dire ce que vous aurez vu, car cette nuit
vous aurez une manifestation.
Le lendemain notre homme ne manqua pas au ren-
dez-vous.
— Je me suis éveillé tout à coup, dit-il, vers une heure
du matin. J'ai vu devant mon lit une grande lumière, et
dans cette lumière un bras d'ombre qui passait et repas-
sait devant moi comme pour nie magnétiser. Alors, je
me suis rendormi, et, quelques instants après, m'étant
éveillé de nouveau, j'ai revu la même lumière, mais elle
avait changé de place. Elle avait passé de gauche à droite,
et sur le fond lumineux j'ai distingué la silhouette d'un
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n
i
MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
lez-vous encore ?
—• Oh! si vous vouliez !...
— Eh bien, quoi? n'avez-vous pas obtenu tout ce que
vous demandiez et plus que vous ne demandiez, car vous
ne m'aviez pas parlé d'argent.
— Oui, sans doute, fit l'autre en soupirant, mais je
voudrais bien le revoir !
— Incorrigible ! dit Éliphas.
Quelques semaines après le professeur de haute magie
fut réveillé vers deux heures du matin par une douleur
aiguë dans la tête. Pendant quelques instants il craignit
une congestion cérébrale, il se leva, ralluma sa lampe,
ouvrit sa fenêtre, se promena dans son cabinet d'étude,
puis, calmé par l'air frais du matin, il se recoucha et
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HYSTkRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 475
s'endormit profondément, il eut alors un cauchemar; il
vit, avec une apparence terrible de réalité, le géant à la
tête de boeuf décharnée dont lui avait parlé l'ouvrier mé-
canicien. Ce monstre le poursuivait et luttait contre lui.
Lorsqu'il s'éveilla il faisait grand jour et quelqu'un frap-
pait à la porte. Éliphas se lève, jette un vêtement sur lui
et va ouvrir ; c'était l'ouvrier.
— Maître, dit il en entrant avec empressement et d'un
air alarmé, comment vous trouvez-vous?
— Très bien, répond Éliphas.
— Mais cette nuit, à deux heures du matin, n'avez-
vous pas couru un danger?
— Éliphas n'était pas à la question et ne se rappelait
déjà plus son indisposition de la nuit.
— Un danger? dit-il ; non, pas du moins que je sache.
— Vous n'avez pas été assailli par un fantôme mons-
trueux qui cherchait à vous étrangler! Vous n'avez pas
souffert?
Éliphas se rappela.
— Oui, dit-if, certainement, j'ai eu un commencement
d'apoplexie et un horrible rêve. Mais comment savez-
vous cela ?
— A la même heure, une main invisible m'a frappé
rudement sur l'épaule et m'a réveillé en sursaut. Je rê-
vais alors que je vous voyais aux prises avec Astaroth.
Je me suis dressé sur mon séant et une voix m'a dit
l'oreille : Lève-toi et va au secours de ton maitre; il est
en danger. Je me suis levé précipitamment. Mais où fal-
lait-il courir d'abord? Quel danger vous menaçait? Était-
ce chez vous ou ailleurs ? La voix n'en avait rien dit.
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176 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 177
arrière, ses cheveux plats et courts, séparés par une raie
sur le côté, étaient d'un blond grisâtre, tirant sur le cha-
tain clair, mais avec une nuance particulière et désa-
gréable. Sa bouche était sensuelle et batailleuse; ses ma-
nières, d'ailleurs, étaient affables, sa voix douce et sa
parole quelquefois un peu embarrassée. Interrogé par
Éliphas Lévi sur l'objet de sa visite, il répondit qu'il
était à la recherche du grimoire d'Honorius et qu'il ve-
nait se renseigner près du professeur de sciences occultes
sur la manière de se procurer ce petit livre noir devenu
à peu près introuvable.
— Je donnerais bien cent francs d'un exemplaire de
ce grimoire, disait-il.
— L'ouvrage en lui-même ne vaut rien, dit Éliphas.
C'est une constitution prétendue d'Honorius H, que vous
trouverez peut-être citée par quelque érudit collecteur de
constitutions apocryphes; vous pourriez chercher à la
bibliothèque.
— le le ferai, car je passe à Paris presque tout mon
temps dans les bibliothèques publiques.
— Vous n'êtes pas occupé dans le ministère de Paris ?
— Non, plus maintenant. J'ai été pendant quelque
temps employé à la paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois.
— Et vous vous livrez maintenant à ce que je vois à
des recherches curieuses sur les sciences occultes.
Pas précisément; mais je poursuis la réalisation
d'une pensée... j'ai quelque chose à faire.
— le ne suppose pas que ce quelque chose soit une
opération de magie noire, vous savez comme moi, mon-
sieur l'abbé, que l'Église a toujours condamné et con-
12
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78 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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ut wrians bES nALLucitiertoris, ETC. 479
— Dites tout, monsieur, je puis tout entendre et je
désire tout savoir.
— Eh bien ! si, comme je n'en doute pas, vous tour-
nez au profit de la charité toute l'activité inquiète que vous
donneraient les passions du coeur, vous devez être sou-
vent béni pour vos bonnes oeuvres.
L'abbé lit encore une fois ce sourire douteux et fatal
qui donnait à son pale visage une si singulière expression.
Il se leva et prit congé sans avoir dit son nom et sans
que personne eût songé à le lui demander.
Éliphas et Desbarrolles le reconduisirent jusqu'à l'es-
calier par égard pour sa dignité de prêtre.
Près de l'escalier, il se tourna et dit lentement :
— Avant peu, vous entendrez dire quelque chose...
Vous entendrez parier de moi, ajouta-t-il en appuyant
sur chaque mot. Puis il salua de la tête et de la main, se
retourna sans ajouter une parole et descendit l'escalier.
Les deux amis rentrèrent chez madame A...
— Voilà un singulier personnage, dit Éliphas. E m'a
semblé voir Pierrot des Funambules dans un rôle de
traître. Ce qu'il nous a dit en partant ressemble assez à
Une menace.
— Vous l'avez intimidé, dit madame A...; avant votre
arrivée, il commençait à dire toute sa pensée, mais vous
lui avez parlé de conscience et des lois de l'Église, il n'a
plus osé vous avouer ce qu'il voulait.
— Bah! que voulait-il donc ?
— Voir le diable.
— Croirait-il par hasard que je l'ai dans ma poche ?
— Non, mais il sait que vous donnez des leçons de
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180 MYSTÈRES xscutrions.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 181.
cachée par une draperie noire s'ouvrait sur cette cham-
bre, derrière la draperie on devinait la lueur rougeâtre
des cierges, et il semblait à Éliphas que, poussé par une
curiosité pleine de terreurs, il s'approchait de la draperie
noire... Alors la draperie s'entr'ouvrit, une main s'éten-
dit et saisit le bras d'Éliphas. Il ne vit personne, mais il
entendit une voix basse qui disait à son oreille :
— Viens voir ton père qui va mourir!
Le magiste s'éveilla le coeur palpitant et le front baigné
de sueur.
Que veut dire ce rêve ? pensa-t-il. Il y a longtemps
que mon père est mort ; pourquoi me dit-on qu'il va
mourir,. et pourquoi cet avertissement a-t-il bouleversé
mon coeur ?
La nuit suivante, le même rêve reparut avec les
même circonstances, et Éliphas Lévi se réveilla encore
une fois en entendant répéter à son oreille :
— Viens voir ton père qui va mourir!
Cette répétition de cauchemars impressionna pénible-
ment Éliphas : il avait accepté pour le 3 janvier une in-
vitation à dîner dans une société joyeuse, il écrivit pour
s'excuser, se trouvant peu disposé à la gaieté d'un ban-
quet d'artistes. Il resta donc dans son cabinet d'études ;
le temps était couvert; à midi, il reçut la visite d'un de
ses disciples en magie, M. le vicomte de M. La pluie
alors tomba avec une telle abondance qu'Éliphas offrit an
vicomte son parapluie que celui-ci refusa d'accepter. Il
s'ensuivit un débat de politesse dont le résultat fut qu'Éli-
phas sortit pour reconduire le vicomte. Pendant qu'ils
étaient dehors, la pluie cessa, le vicomte trouva une voi-
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82 lOYSTÈRS8 M.oNtriQug8.
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mysitaxs +1.LUCINATI0NS, ETC. I 83
enfin apparaissait le vénérable archevêque de Paris, mitré
de blanc, portant une chape que relevaient de chaque
côté ses deux grands vicaires; le prélat, appuyé sur sa
crosse, marchait lentement et bénissait à droite et à
gauche la foule qui s'agenouillait sur son passage. Éli-
phas voyait l'archevêque pour la première fois et remar-
qua les traits de son visage. Ils exprimaient la bonhomie
et la douceur; mais on pouvait y remarquer l'expression
d'une grande fatigue et même d'une souffrance nerveuse
péniblement dissimulée.
La procession descendit jusqu'au bas de l'église en
traversant la nef, remonta par le bas-côté à gauche de la
porte d'entrée, et se rendit à la station du tombeau de
sainte Geneviève; puis elle revint par le bas-côté de
droite en continuant le chant des litanies;
Un groupe de fidèles suivait la procession et marchait
immédiatement derrière l'archevêque.
Éliphas se mêla à ce groupe pour traverser plus faci-
lement la foule qui allait se reformer et pour regagner la
porte de l'église, tout rêveur et tout attendri de cette
pieuse solennité.
La tête de la procession était déjà rentrée dans le
choeur, l'archevêque arrivait à la grille de la nef : 14 le
passage était trop étroit pour que trois personnes pussent
y marcher de front; l'archevêque donc était devant et les
deux grands vicaires étaient derrière lui tenant toujours
les bords de sa chape qui se trouvait ainsi rejetée et tirée
en arrière, de sorte que le prélat présentait sa poitrine
découverte et protégée seulement par les broderies croi-
sèes de l'étole.
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i 86 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 185
tachait sur un fond sombre où l'on distingnait à peine
un piédestal sans statue sur lequel étaient écrites ces deux
paroles de la passion du Christ : ECCE HOMO, et plus loin,
dans le fond, une p einture apocalyptique représentant les
e
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86 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTMES les UALLUCIPlATIONS, ETC. 187
rieur le plus respectable lui avait pris le bras en récla-
mant sa protection.
Il se fit un devoir de répondre à cet appel, et lorsqu'il
fut sorti dela foule avec cette dame :
— Combien je suis heureuse, lui dit-elle, d'avoir ren-
contré un homme qui s'afflige de ce grand crime dont
-
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188 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 89
avait fait partie du clergé de Saint-Germain-l'Auxerrois,
qu'il avait été curé de campagne, qu'il paraissait exalté
jusqu'à la fureur, se ressouvint du prêtre pâle qui cher-
chait un an auparavant le grimoire d'Honorius. Mais le
signalement que donnaient de ce criminel les feuilles pu-
bliques déroutait les souvenirs du professeur de magie.
En effet, la plupart des journaux lui donnaient des che-
veux noirs... Ce n'est donc pas lui, pensait Eliphas. Ce-
pendant j'ai encore dans l'oreille et dans la mémoire cette
parole qui serait maintenant expliquée pour moi par ce
grand crime :
— Vous ne tarderez pas à apprendre quelque chose.
Avant peu vous entendrez parler de moi.
Le procès eut lieu avec toutes les affreuses péripéties
que tout le monde connaît, et l'accusé fut condamné à
mort.
Le lendemain, Eliphas lut dans une feuille judiciaire
le récit de cette scène inouïe dans les annales de la
justice; mais un nuage passa sous ses yeux lorsqu'il lut
à l'endroit du signalement de l'accusé :
a Il est blond. »
— Ce doit être lui, dit le professeur de magie.
Quelques jours après, une personne qui avait pu tracer
à l'audience un croquis de profil du condamné, le faisait
voir à Eliphas.
— Laissez-moi copier ce dessin, dit celui-ci tout pal-
pitant d'épouvante.
Il fit la copie et la porta à son ami Desbarolles auquel il
demanda sans autres explications :
— Connaissez-vous cette tête?
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I 430 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTkRES nES HA LUICINATMS, ETC. 1 91
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192 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 493
possible, puisqu'elle eût révolté la conscience publique?
Demandez tout cela au grimoire d'Honorius !
Deux choses dans cette histoire si tragique se rappor-
tent aux phénomènes de M., Home : le bruit de tempête
entendu par le mauvais prêtre lors de ses premières évo-
cations, et le trouble qui l'empêcha de dire toute sa pen-
sée, en présence d'Eliphas Lévi.
On peut remarquer aussi cette apparition d'un homme
sinistre se réjouissant du deuil public et tenant un propos
vraiment infernal au milieu de la foule consternée, appa-
rition remarquée seulement par l'extatique de la Saiette,
cette trop célèbre mademoiselle de La Merlière qui a l'air,
au demeurant, d'une bonne et respectable personne, mais
fort exaltée et capable peut-être d'agir et de parler à son
-
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19/1 utsviaEs IIAGNÉT1QUES.
En voici le titre :
Pourquoi le diable ?
— Parce que nous avons démontré par des faits ce que
M. de Mirville avait avant nous incomplétement pressenti.
Nous disons incomplétement, parce que le diable est,
pour M. de Mirville, un. personnage fantastique, tandis
que pour nous c'est l'usage abusif d'une force naturelle.
Un médium a dit : L'enfer n'est pas un lieu, c'est un
État.
Nous pourrions ajouter : Le diable n'est ni une per-
sonne ni une force, c'est un vice, et, par conséquent,
une faiblesse.
Revenons pour un moment à l'étude des phénomènes.
Les médinuns sont généralement des êtres malades et
. bornés.
Ils ne peuvent rien faire d'extraordinaire devant les
personnes calmes et instruites.
Il faut être habitué à leur contact pour voir et sentir
quelque chose. .
Les phénomènes ne sont pas les mêmes pour tous les
assistants. Ainsi, où l'un verra une main, l'autre n'aper-
cevra qu'une vapeur blanchâtre.
Les personnes impressionnables au magnétisme de
M. Home éprouvent une sorte de malaise; il leur semble
(1) C'était le titre que nous voulions alors donner au livre que nous pu-
blions aujourd'hui.
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titYwriass bE8 HALLUCINATIONS, ETC. 495
que le salon tournoie, et la température pour eux semble
s'abaisser rapidement.
Les prodiges ou les prestiges s'accomplissent mieux
devant un petit nombre de témoins choisis par le médium
lui-même.
Dans une réunion de personnes qui verront les pres-
tiges, il peut s'en trouver une qui ne verra absolument
rien.
Parmi les personnes qui voient, toutes ne voient pas
la même chose.
Ainsi par exemple :
Un soir, chez madame de B..., le médium lit appa-
rattre un enfant que cette dame a perdu. Madame de B...
seule voyait l'enfant, le comte de M... voyait une petite
vapeur blanchâtre en forme de pyramide, les autres per-
sonnes ne voyaient rien.
Tout le monde sait que certaines substances, le hat-
chich par exemple, enivrent sans ôter l'usage de la rai-
son , et font voir avec une étonnante impression de
réalité des choses qui n'existent pas.
Une grande partie des phénomènes de M. Home ap-
partient à une influence naturelle semblable à celle du
hatchich.
Voilà pourquoi le médium ne veut opérer que devant
un petit nombre de personnes qu'il choisit.
Le reste de ces phénbmènes doit être attribué à la
puissance magnétique.
Voir quelque chose avec M. Home n'est pas un indice
rassmeant pour la santé de celui qui voit.
Et,quand même la santé serait d'ailleurs excellente,
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496 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 197
Il existe une puissance génératrice des formes; cette
puissance, c'est la lumière.
La lumière crée les formes suivant les lois des mathé-
matiques éternelles, par l'équilibre universel du jour et
de l'ombre.
Les signes primitifs de la pensée se tracent d'eux-
mêmes dans la lumière, qui est l'instrument matériel de
la pensée.
Dieu, c'est l'âme de la lumière. La lumière universelle
et infinie est pour nous comme le corps de Dieu.
La kabbale ou la haute magie, c'est la science de la
lumière.
La lumière correspond avec la vie.
Le royaume des ténèbres, c'est la mort.
Tous les dogmes de la vraie religion sont écrits dans la
• kabbale en caractères de lumière sur une page d'ombre.
La page d'ombre, ce sont les croyances aveugles.
La lumière est le grand médiateur plastique.
L'alliance de l'âme avec le corps est un mariage de
lumière et d'ombre. •
La lumière est l'instrument du Verbe, c'est l'écriture
blanche de Dieu sur le grand livre de la nuit.
La lumière, c'est la source des pensées, et c'est en
elle qu'il faut chercher l'origine de tous les dogmes reli-
gieux. Mais il n'y a qu'un vrai dogme, comme il n'y a
qu'une pure lumière; l'ombre seule est variée à l'infini.
La lumière, l'ombre et leur accord qui est la vision
des êtres , tel est le principe analogique des grands
dogmes de la Trinité, de l'incarnation et de la Ré-
demption.
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198 MYSTÈRES IIAGNETIQUI18.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 199
a publié un traité de l'idolâtrie chez les anciens et les
modernes, où il soulève le voile de la mythologie uni-
verselle.
Nous invitons les hommes d'études consciencieuses à
lire ces différents ouvrages et nous nous renfermerons
dans l'étude spéciàle de la kabbale chez les Hébreux.
Le Verbe, ou la parole, étant, suivant les initiés de cette
science, la révélation tout entière, les principes de la
haute kabbale doivent se trouver réunis dans les signes
mêmes qui composent l'alphabet primitif.
Or, voici ce que nous trouvons dans toutes les gram-
maires hébraïques.
Il y a une lettre principiante et universelle génératrice
de toutes les autres. C'est le iod 4
.
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200 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
Les mères.
Les doubles.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 201 \
Tau : La vérité, la lumière, le Soleil, Michaël, roi des '
Eloïm.
Les simples.
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202 mitan MAGNÉTIQUES.
gramme), puis de deux arbres l'un de vie, l'autre de
mort, plantés près du fleuve. Là sont placés l'homme et
la femme, l'actif et le passif; la femme sympathise avec
la mort et entraîne Adam avec elle dans sa perte, ils sont
donc chassés du sanctuaire de la vérité et un ehérub (un
sphinx à tête de taureau, voir les hiéroglyphes de l'As-
syrie, de l'Inde et de l'Égypte), est placé à la porte du
jardin de vérité pour empêcher les profanateurs de dé-
truire l'arbre de vie. Ainsi voilà le dogme mystérieux
avec toutes ses allégories et ses épouvantes qui succède
à la simple vérité. L'idole a remplacé Dieu, et l'huma-
nité déchue ne tardera pas à se livrer au culte du veau
d'or.
Le mystère des réactions nécessaires et successives des
deux principes l'un sur l'autre, est indiqué ensuite par
l'allégorie de Caïn et d'Abel. La force se venge, par l'op-
pression, des séductions de la faiblesse; la faiblesse mar-
tyre expie et intercède pour la force condamnée par
suite du crime à la flétrissure et aux remords. Ainsi se
révèle l'équilibre du monde moral, ainsi se pose la base
de toutes les prophéties et le point d'appui de toute poli-
tique intelligente. Abandonner une force à ses propres
excès, c'est la condamner au suicide.
Ce qui a manqué à Dupuis pour comprendre le dogme
religieux universel de la kabbale, c'est la science de
cette belle hypothèse démontrée en partie et réalisée de
jour en jour davantage par les découvertes de la science :
l'analogie universelle.
Privé de cette clef du dogme transcendental, il n'a pu
voir dans tous les dieux que le soleil, les sept planètes
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIO14S, ETC. 203
et les douze signes du zodiaque, mais il n'a pas vu dans
le soleil l'image du logos de Platon, dans les sept planètes
les sept notes de la gamme céleste, et dans le zodiaque la
quadrature du cycle ternaire de toutes les initiations.
L'empereur Julien, ce spiritualiste incompris, cet ini-
tié dont le paganisme était moins idolâtre que la foi de
Certains chrétiens, l'empereur Julien, disons-nous, com-
prenait mieux que Dupuis et que Volnay le culte symbo-
lique du soleil. Dans son hymne au roi Hélios il reconnait
que l'astre du jour n'est que le reflet et l'ombre matérielle
de ce soleil de vérité qui éclaire le monde de l'intelli-
gence et qui n'est lui-même qu'une lueur empruntée à
l'absolu.
Chose remarquable, Julien a du Dieu suprême que les
chrétiens croyaient seuls adorer, des idées bien plus
grandes et bien plus justes que celles de plusieurs pères
de l'Église, adversaires et contemporains de cet empereur.
Voici comment il s'exprime dans sa défense de l'hellé-
nisme :
« Il ne suffit pas d'écrire dans un livre : Dieu a dit, et
» les choses ont été faites. Il faut voir si les choses qu'on
attribue à Dieu ne sont pas contraires aux lois mêmes de
» l'Étre. Car, s'il en est ainsi, Dieu n'a pu les faire, lui
» qui ne saurait donner de démentis à la nature sans se
» nier lui-même... Dieu étant éternel s il est de toute né=
eessité que ses ordres soient immuables comme lui. »
Voilà comment parlait cet apostat et cet impie, et plus
tard un docteur chrétien, devenu l'oracle des écoles de
théologie, devait, en s'inspirant peut-être des belles pa-
roles du mécréant, donner un frein à toutes les supers-
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:204 MYSeRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES nAt.cuceistiorts, ETC. 205
parce que la vigilance supplée souvent à la force et par-
vient à dompter la colère. Les autres fables de la préten-
due histoire naturelle des anciens s'expliquent de la même
manière, et dans cet usage allégorique des analogies, on
peut déjà comprendre les abus possibles et pressentir les
erreurs qui ont dù naître de la kabbale.
La loi des analogies, en effet, a été pour les kabbalistes
du second ordre l'objet d'une foi aveugle et fanatique.
C'est à cette croyance qu'il faut rapporter toutes les su-
perstitions reprochées aux adeptes des sciences occultes,
Voici comment ils raisonnaient :
Le signe exprime la chose.
La chose est la vertu du signe.
Il y a correspondance analogique entre le signe et la
chose signifiée.
Plus le signe est parfait, plus la correspondance est
entière.
Dire un mot c'est évoquer une pensée et la rendre
présente. Nommer Dieu, par exemple, c'est manifester
Dieu.
La parole agit sur les âmes et les âmes réagissent
sur les corps ; donc on peut effrayer, consoler, rendre
malade, guérir, tuer même et ressusciter par des pa-
roles.
Proférer un nom, c'est créer ou appeler un être.
1)an3 le nom est contenue la doctrine verbale ou spiri-
tuelle de l'être même.
Quand l'âme évoque une pensée, le signe de cette
pensée s'écrit de lui-même dans la lumière.
Invoquer c'est adjurer, c'est-à-dire jurer par un nom :
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206 IfT8ÉSRRS MAGNÉTIQUEL
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MTSItRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 20,
efforts quelque passion à satisfaire ou quelque cupidité à
assouvir. Parmi les secrets de la kabbale, il en est un
surtout qui a toujours tourmenté les chercheurs : c'est
le secret de la transmutation des métaux et de la conver-
sion de toutes les substances terrestres en or.
L'alchimie, en effet, a emprunté tous ses signes à la
kabbale, et c'est sur la loi des analogies résultantes.de
l'harmonie des contraires qu'elle basait ses opérations.
Un secret physique immense était d'ailleurs caché sous
des paraboles kabbalistiques des anciens. Ce secret, nous
sommes parvenus à le déchiffrer, et nous en livrons la
lettre aux investigations des faiseurs d'or. Le voici :
1° Les quatre fluides impondérables ne sont que les
manifestations diverses d'un même agent universel qui
est la lumière.
2° La lumière est le feu qui sert au grand oeuvre sous
forme d'électricité.
3° La volonté humaine dirige la lumière vitale au
moyen de l'appareil nerveux. Cela s'appelle de nôs jours
magnétiser.
4° L'agent secret du grand oeuvre, l'azoth des sages,
l'or vivant et vivifiant des philosophes, l'agent producteur
métallique universel, c'est l'ÉLEcralcrà MAGNÉTISÉE.
L'alliance de ces deux mots ne nous dit pas encore
grand'chose et pourtant ils renferment peut-être une
force à bouleverser le monde. Nous disons peut-étre par
bienséance philosophique, car, pour notre part, nous ne
doutons pas de la haute importance de ce grand arcane
hermétique.
Nous venons de dire que l'alchimie est fille de la kab-
j
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208 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 209
piètent d'un alphabet à l'autre, et il n'y a pas doute que
Trithème n'ait eu connaissance du tarot et n'en ait fait
usage pour disposer dans un ordre logique ses savantes
combinaisons.
Jérôme Cardan connaissait l'alphabet symbolique des
initiés comme on peut le reconnaître par le nombre et la
disposition des chapitres. de son ouvrage sur la subtilité.
Cet ouvrage, en effet, est composé de vingt-deux chapi-
tres, et le. sujet de chaque chapitre est analogue au nom-
bre et à l'allégorie de la carte correspondante du tarot.
Nous avons fait la même observation sur un livre de saint
Martin intitulé : Tableau naturel des rapports qui exis-
tent entre Dieu, l'homme et l'univers. La tradition de
ce secret n'a donc pas été interrompue depuis les pre-
miers âges de la kabbale jusqu'à nos jours.
Les tourneurs de tables et ceux qui font parler les es-
prits avec des cadrans alphabétiques sont donc arriéré
de bien des siècles et ne savent pas qu'il existe un ins-
trument à oracles toujours clairs et d'un sens parfaite-
ment juste, au moyen duquel on peut communiquer ave
les sept génies des planètes et faire parler à volonté le,
soixante-douze roues d'Aziah, de Jézirali et de Briali. Il
suffit pour cela de connaître le système des analogies
universelles, tel que l'a exposé Swedenborg dans la clé
hiéroglyphique des arcanes, puis de mêler ensemble les
cartes et de tirer au hasard, en les assemblant toujours
par les nombres correspondants aux idées dont on désire
l'éclaircissement, puis de lire les oracles comme doivent
être lues les écritures kabbalistiques, c'est-à-dire en com-
mençant au milieu et en allant de droite à gauche pour les
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210 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES HES HALLUCINATIONS, ETC. 21 4
la mort, etc. Les chances aléatoires de ce jeu représen-
tent celles de la vie et cachent un sens philosophique
assez profond pour faire méditer les sages et assez sim-
ple pour être compris par les enfants.
Le personnage allégorique de Palamède est d'ailleurs
identique à ceux d'Hénoc, d'Hermès et de Cadmus, aux-
quels on attribue l'invention des lettres dans les diverses
mythologies. Mais, dans la pensée d'Homère, Palamède,
le révélateur et la victime d'Ulysse, représente l'initiateur
ou l'homme de génie dont la destinée éternelle est d'être
tué par ceux qu'il initie. Le disciple ne devient la réali-
sation vivante des pensées du maître qu'après en avoir
bu le sang et mangé la chair suivant l'énergique et allé-
gorique expression de l'initiateur si mal compris des
chrétiens:
La conception de l'alphabet primitif était, comme on
peut le voir, l'idée d'une langue universelle, et renfer-
mant dans ses combinaisons et dans ses signes mêmes le
résumé et la loi d'évolution (le toutes les sciences divines
et humaines: Jamais rien de plus beau et de plus grand
n'a été depuis, selon nous, rêvé par le génie des hommes,
et nous avouons que la découverte de ce secret du monde
antique nous a pleinement dédommagé de tant d'années
da recherches stériles et de travaux ingrats dans les
cryptes des sciences perdues et dans les nécropoles du
passé.
L'un des premiers résultats de cette découverte serait
une nouvelle direction donnée à l'étude des écritures
hyéroglyphiques si imparfaitement déchiffrées encore
par les émules et les successeurs de M. Champollion.
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212 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 21 3
et lui fournit naturellement les signes déjà trouvés, mais
ouhliés, des grandes révélations de l'occultisme. Ainsi
se forment les prétendues signatures des esprits, ainsi se
sont produites les écritures mystérieuses de Gablidone
qui visitait le docteur Lavater, des fantômes de Schroep-
fer, du saint Michel de Vintras et des esprits de
M. Home.
Si l'électricité peut faire mouvoir un corps léger ou
même lourd sans qu'on y touche, est-il impossible, par
le magnétisme, de donner à l'électricité une direction et
de produire ainsi naturellement des signes et des écritu-
res ? On le peut sans doute, puisqu'on le fait.
Ainsi donc, à ceux qui nous demanderont quel est le
plus grand agent des prodiges, nous répondrons :
— C'est la matière première du grand oeuvre.
— C'est l'ÉLECTRICITÉ MAGNÉTISÉE.
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211/ InSTÈRES 11AUÉ1 'OURS.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 215
qu'on qualifie habituellement de miracles. Us magnéti-
seurs et les somnambules en font tous les jours ; la soeur
Rose l'amisier en a fait, l'illuminé Vintras en fait encore;
plus de quinze mille témoins attestaient dernièrement
ceux des mediums d'Amérique, dix mille paysans du
Berry et de la Sologne attesteraient, au besoin, ceux du
dieu Cheneau (un ancien marchand de boutons retiré et
qui se croit inspiré de Dieu). Tous ces gens-là sont-ils
des hallucinés ou des fourbes ? Hallucinés, oui peut-être,
mais le fait même de leur hallucination identique, soit
séparément, soit coHectivement; n'est-il pas un assez
grand miracle de la part de celui qui le produit toujours
lorsqu'il le. veut et à point nommé ?
Faire des miracles ou persuader à la multitude qu'on
en fait, c'est à peu près la même chose, surtout dans
un siècle aussi léger et aussi moqueur que le nôtre. Or,
le monde est plein de thaumaturges, et la science en est
souvent réduite à nier leurs oeuvres ou à refuser (le les
\fuir pour ne pas être réduite à les examiner et à leur as-
signer line cause;
Toute l'Europe a retenti au siècle dernier des prodiges
de Cagliostro. Qui ne sait tout ce qu'on attribuait de puis-
sance à son vin d'Egypte et à son élixir ? Que pourrions-
nous ajouter à tout ce qu'on raconte de ces soupers de
l'autre monde, où il faisait apparaître en chair et en os
les personnages illustres du temps passé ? Cagliostro était
loin cependant d'être un initié du premier ordre, puisque
la grande association des adeptes l'abandonna à l'inqui-
sition romaine, devant laquelle il fit, s'il faut en croire
les pièces de son procès, une Si ridicule et si odieuse
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216 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 211
besoin par des exemples la réalité de la pierre philoso-
phale et de la transmutation des métaux, suivant les
secrets d'Abraham le Juif, de Flamel et de Raymond
Lulle.
Tous ces prodiges s'opèrent au moyen d'un seul agent
que les Hébreux appelaient OD, comme le chevalier de
Reichenbach, que nous appelons lumière astrale, avec
l'école de Pasqualis Martinez, que M. de Mirville appelle
le diable, que les anciens alchimistes nommaien tazoth.
C'est l'élément vital qui se manifeste par les Phénomènes
de chaleur, de lumière, d'électricité et de magnétisme,
qui aimante tous les globes terrestres et tous les êtrA
vivants. Dans cet agent même se manifestent les preuves
de la doctrine kabbalistique sur l'équilibre et sur le mou-
vement par la double polarité dont l'une attire tandis
que l'autre repousse, dont l'une produit le chaud, l'autre
le froid, dont l'une enfin donne une lumière bleue et
verdâtre, l'autre une lumière jaune et rougeâtre.
Cet agent, par ses différents modes d'aimantation,
nous attire les uns vers les autres ou nous éloigne les
uns des autres, soumet l'un aux volontés de l'autre en le
faisant entrer dans son cercle d'attraction rétablit ou dé-
;
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Il 8 • wysataEs MAGNÉTIQUES.
lois invariables du magnétisme ou de la lumière astrale.
Nous préférons le mot lumière à celui de magnétisme,
parce qu'il est plus traditionnel dans l'occultisme, et
qu'il exprime d'une manière plus complète et plus par-
faite la nature de l'agent secret. C'est là, véritablement,
l'or fluide et potable des maîtres en alchimie, le mot or
vient de l'hébreux aour, qui signifie lumière. Que vou-
lez-vous ? demandait-on aux récipiendaires de toutes les
initiations. — Voir la lumière, devaient-ils répondre . Le -
mère des Eloïm, lui met le pied sur la tête, elle épuise
toutes les flammes qu'il vomit et verse sur la terre, à
pleines mains, une lumière vivifiante. Aussi est-il dit
dans le Sohar qu'au commencement de notre période
terrestre, lorsque les éléments sc disputaient la surface
du monde, le feu, semblable à un serpent immense, avait
tout enveloppé dans ses replis et allait consumer tous les
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MYSTÈRES 1118 HALLUCINATIONS, ETC. 219
êtres, lorsque la clémence divine, soulevant autour d'elle •
les flots de la mer comme un vêtement de nuages, mit
le pied sur la tête du serpent et le fit rentrer dans l'abîme.
Qui ne voit dans cette allégorie la première donnée et
l'explication la plus raisonnable d'une des images les plus
hères au symbolisme catholique, le triomphe de la mère
de Dieu ?
Les kabbalistes disent que le nom occulte du diable,
son vrai nom, c'est celui même de Jéhovah écrit à re-
bours. Ceci est toute une révélation pour l'initié aux mys-
tères du tetragramme. En effet, l'ordre des lettres de ce
grand nom indique la prédominance de l'idée sur la
forme, de l'actif sur le passif, de la cause sur l'effet. En
renversant cet ordre on obtient le contraire. Jéhovah
c'est celui qui dompte la nature comme un cheval superbe
et la fait aller où il veut, chavajoh (le démon) c'est le
cheval sans frein qui, semblable à ceux des Égyptiens
dans le cantique de Moïse, se renverse sur son cavalier
et le précipite sous lui dans l'abîme.
Le diable existe donc bien réellement pour les kabba-
listes, mais ce n'est ni une personne, ni une puissance
distincte des forces mêmes de la nature. Le diable c'est
la divagation ou le sommeil de l'intelligence. C'est la folie
et le mensonge.
Ainsi s'expliquent tous les cauchemars du moyen âge,
ainsi s'expliquent aussi les bizarres symboles de quelques
initiés, ceux des templiers, par exemple, bien moins
coupables d'avoir rendu un culte au Baphomet que d'en
avoir laissé apercevoir l'image à des profanes. Le Bapho-
met, figure panthéistique de l'agent universel, n'est autre
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220 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS , ETC. 221
charité, à la science, à la justice et surtout à la miséri-
corde de ses ministres!
Les nigromants, qui font apparaître le diable après
une série fatigante et presque impossible des plus révol-
tantes évocations, ne sont que des enfants auprès de ce
saint Antoine de la légende qui les tirait des enfers par
milliers et les traînait toujours après lui, comme on ra-
conte d'Orphée qu'il attirait à lui les chênes, les rochers
et les animaux les plus sauvages.
Calot seul, initié par les Bohémiens nomades pendant
Son enfance aux mystères de la sorcellerie noire, a pu
comprendre et reproduire les évocations du premier
ermite. Et croyez-vous qu'en retraçant ces rêves épou-
vantables de la Macération et du jeûne, les légendaires
aient inventé? Non ; ils sont restés bien au-dessous de la
réalité. Les cloîtres, en effet, ont toujours été peuplés de
spectres sans nom, et les murs en sont palpitants d'om-
bres et de larves infernales. Sainte Catherine de Sienne
passa une fois huit jours au milieu d'une orgie obscène
qui eût découragé la verve (le l'Arétin; sainte Thérèse se
Sentit transporter vivante dans l'enfer et y souffrit, entre
des murailles qui se rapprochaient toujours, des angois-
ses que les femmes hystériques pourront seules compren-
dre... Tout cela, dira-t-on, se passait dans l'imagination
des patients. Mais où voulez-vous donc que puissent se
passer des faits d'un ordre surnaturel? Ce qui est certain,
c'est que tous ces visionnaires ont vu, qu'ils ont touché,
qu'ils ont eu le sentiment poignant d'une réalité formida-
ble. Nous en parlons d'après notre propre expérience, et
il y a telles visions de notre première jeunesse passée
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242 ' xYsI nas MAGNÈTIQU es.
dans la retraite et dans l'ascétisme dont le souvenir nous
fait encore frissonner.
Dieu et le diable sont l'idéal du bien et du mal absolus.
Mais l'homme ne conçoit jamais le mal absolu que comme
une fausse idée du bien. Le bien seul peut être absolu, et
le mal est uniquement relatif à nos ignorances et à nos
erreurs. Tout homme se fait diable d'abord pour être
dieu ; mais, comme la loi de solidarité est universelle, la
hiérarchie existe dans l'enfer comme dans le ciel. Un
méchant trouvera toujours un plus méchant que lui pour
lui faire du mal ; et quand le mal est à son comble, il
faut qu'il cesse, car il ne pourrait continuer que par
l'anéantissement de l'être, ce qui est impossible. Alors
les hommes-diables, à bout de ressources, retombent
sous l'empire des hommes-Dieu et sont sauvés par ceux
qu'on croyait d'abord leurs victimes; mais l'homme qui
s'évertue à vivre en faisant le mal rend hommage au
bien par tout ce qu'il développe en lui-même d'intelli-
gence et d'énergie. C'est pour cela que le grand initia-
teur disait dans son langage figuré : Soyez froids ou
chauds, mais si vous êtes tièdes, vous me faites vomir.
Le grand maître, dans une de ses paraboles, condamne
uniquement le paresseux qui a enterré son dépôt de peur
de le perdre dans les opérations hasardeuses de cette
banque qu'on nomme la vie. Ne rien penser, ne rien
aimer, ne rien vouloir, ne rien faire, voilà le vrai péché.
La nature ne reconnaît et ne récompense que les tra-
vailleurs.
La volonté humaine se développe et s'augmente par
l'activité. Pour vouloir véritablement, il faut agir. L'ac-
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•
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22% MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 225
n'être qu'un charlatan; mais, dès qué l'opinion eut fait
de lui le divin Cagliostro, il devait opérer des prodiges,
et c'est aussi ce qui arriva.
Lorsque Céphas Barjona n'était qu'un Juif, proscrit par
Néron, qui débitait aux femmes des esclaves un spéci-
fique pour la vie éternelle, Céphas Barjona, pour tous
les gens instruits de Rome, n'était qu'un charlatan; mais
l'opinion a fait un apôtre de l'empirique spiritualiste ; et
les successeurs de Pierre, fussent-ils Alexandre VI ou
même Jean XXII, sont infaillibles pour tout homme bien
élevé et qui ne veut pas se mettre inutilement an ban de
la société. Ainsi va le monde.
Le charlatanisme, lorsqu'il réussit, est donc, en magie
comme en toutes choses, un grand instrument de puis-
sance. Fasciner habilement le vulgaire, n'est-ce pas
déjà le dominer ? Les pauvres diables de sorciers, qui,
au moyen âge, se faisaient bêtement brûler vifs, n'avaient
pas, on le voit, un grand empire sur les autres. Jeanne
d'Arc était magicienne à la tête des armées, et à Rouen la
pauvre fille ne fut pas sorcière. Elle ne savait que prier
et combattre, et le prestige qui l'entourait cessa dès
qu'elle fut dans les fers. Est-il dit dans son histoire que
le roi de France l'ait réclamée ? Que la noblesse fran-
çaise, que le peuple, que l'armée aient protesté contre
sa condamnation? Le pape, dont le roi de France était
le, fils aîné, a-t-il excommunié les bourreaux de la
Pucelle ? Non, rien de tout cela. Jeanne d'Arc fut sor-
cière pour tout le monde dès qu'elle cessa d'être magi-
cienne, et ce ne sont certainement pas les Anglais seuls
qui l'ont brûlée. Lorsqu'on exerce un pouvoir en appa-
15
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226 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTiRES DES DALIICINA'TIONS, ETC. 227
Lavater après Porta. Cardan, Taisnier, Jean Belot et
quelques autres ont deviné de nouveau plutôt qu'ils n'ont
retrouvé la science de la psychologie ; la chiromancie est
encore. occulte, et c'est à peine si l'on en retrouve quel-
ques traces dans l'ouvrage tout récent et fort intéressant
d'ailleurs du chevalier d'Arpentigny. Pour en avoir des
notions suffisantes, il faut remonter jusqu'aux sources
kabbalistiques mêmes auxquelles a puisé le savant Cor-
nélius Agrippa. Il est donc à propos d'en dire ici quelques
mots en attendant l'ouvrage de notre ami Desbarrolles.
La main est l'instrument de l'action dans l'homme :
c'est, comme le visage, une sorte de synthèse nerveuse,
et elle doit avoir aussi ses traits et sa physionomie. Le
caractère des individus y est tracé par des signes irrécu-
sables. Ainsi, parmi les mains, les unes sont laborieuses,
les autres paresseuses ; les unes lourdes et carrées, les
autres insinuantes et légères. Les mains dures et sèches
sont faites pour la lutte et le travail, les mains molles et
humides n'aspirent qu'à la volupté. Les doigts pointus
sont scrutateurs et mystiques, les doigts carrés mathé-
maticiens, les doigts spatulés opiniâtres et ambitieux.
Le pouce, pollex, le doigt de la force et de la puis-
sance, correspond dans le symbolisme kabbalistique
à la première lettre du nom de Jehovah. Ce doigt est donc
à lui seul comme la synthèse de la main : s'il est fort,
l'homme est fort a u n t ILI ;S'il est faible, l'homme est
débile. Il a trois phalanges, dont la première est cachée
clans la paume de la main, comme l'axe imaginaire du
monde traverse l'épaisseur de la terre. Cette première
phalange correspond à la vie physique, la seconde à l'in-
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228 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 229
conséquent les destinées probables des individus soumis
à leur appréciation.
Il n'est pas de vice qui ne laisse une trace, pas une
vertu qui n'ait son signe. Aussi, pour les yeux exercés
de l'observateur, il n'est point d'hypocrisie possible. Ou
comprendra qu'une science pareille est déjà une puis-
sance vraiment sacerdotale et royale.
La prédiction des principaux événements de la vie est
déjà possible par les nombreuses probabilités analogiques
de cette observation : mais il existe une faculté qu'on
nomme celle des pressentiments ou (lu sensitivis►e. Les
choses éventuelles existent souvent dans leur cause avant
de se réaliser en actions, les sensitifs voient d'avance les
effets dans les causes, et il a existé avant tous les grands
événements de très étonnantes prédictions. Nous avons
entendu, sous Louis-Philippe, des somnambules et des
extatiques annoncer le retour de l'empire et préciser la
date de son avénement. La république de 1848 était an-
noncée clairement dans la prophétie d'Orval qui datait
au moins de 1830 et que nous soupçonnons fort, ainsi
que celles attribuées aux Olivarius, d'être l'ouvrage
pseudonyme de Mlle Lenormand. Peu importe d'ailleurs
à notre thèse.
Cette lumière magnétique qui fait prévoir l'avenir fait
deviner aussi les choses présentes et cachées ; comme
elle est la vie universelle, elle est aussi l'agent de la sen-
sibilité humaine, transmettant aux uns les maux ou la
santé des autres, suivant l'influence fatale des contacts
ou les lois de la volonté. C'est ce qui explique le pouvoir
des bénédictions et des envoùtements si hautement
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230 mysituts MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. •114
sommeil, en effet, la raison n'agit _pas, et la logique,
lorsqu'il s'en trouve dans nos songes, n'y arrive que for-
tuitement et suivant les hasards des réminiscences pure-
ment physiques.
Dans les songes, nous avons la conscience de la vie
5(._
universelle ; nous nous mêlons à l'eau, au feu, à l'air et
à la terre; nous volons comme les oiseaux ; nous grim-
pons comme les écureuils ; nous rampons comme les
serpents ; nous sommes ivres de lumière astrale; nous
nous replongeons au foyer commun, comme cela arrive
d'une manière plus complète à la mort ; mais alors (et
c'est ainsi que Paracelse explique les mystères de l'autre
vie), alors les méchants, c'est-à-dire ceux qui se sont
laissé dominer par les instincts de la bête au préjudice de
la raison humaine, se noient dans l'océan de la vie com-
mune avec toutes les angoisses d'une mort éternelle; les
autres surnagent et jouissent à jamais des richesses de
cet or fluide qu'ils sont parvenus à dominer.
Cette identité de la vie physique permet aux volontés
les plus fortes de s'emparer de l'existence des autres et
de s'en faire des auxiliaires, explique les. courants sym-
pathiques à proximité Ou à distance, et donne tout le
secret de la médecine occulte, parce que cette médecine
a pour principe la grande hypothèse des analogies uni-
verselles et, attribuant tous les phénomènes de la vie
physique à l'agent universel, enseigne qu'il faut agir sur
le corps astral pour réagir sur le corps matériellement
visible ; elle enseigne aussi que l'essence de la lumière
astrale est un double mouvement d'attraction et de pro-
jection ; ainsi que les corps humains s'attirent et se Fe-
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232 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 233
dégage et en le rappelant à la vie par quelque intérêt
puissant ou quelque affection dominante. Jésus exprimait
la même pensée lorsqu'il disait de la fille de Jaïre : Cette
jeune fille n'est pas morte, elle dort ; et de Lazare. Notre
ami s'est endormi et je vais le réveiller. Pour exprimer
ce système résurrectionniste d'une manière qui n'offense
pas le sens commun, c'est-à-dire les opinions générale-
ment adoptées, disons que la mort, lorsqu'il n'y a pas
destruction ou altération essentielle des organes, est tou-
jours précédée d'une léthargie plus ou moins longue. (La
résurrection du Lazare, si elle devait être admise comme
fait scientifique, prouverait que cet état peut durer quatre
jours) (I).
Venons maintenant au secret du grand oeuvre que
nous avons donné seulement en hébreu non ponctué
dans le Rituel de la haute magie. En voici le texte tout
entier en latin, tel qu'on le trouve à la page lie du
Sepher Jezirah, commenté par l'alchimiste Abraham
(Amsterdam, 16112) :
SEMITA XXXI.
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23k MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 235
magnétique qu'ils concentraient dans leur athanor. C'est
ce qui résulte des dogmes obscurs de Basile Valentin, de
Bernard Trévisan et de Henri Khunrath, qui, tous, pré-
tendent avoir opéré la transmutation comme Raymond
Lulle, comme Arnaud de Villeneuve et comme Nicolas
Flamel.
La lumière universelle, lorsqu'elle aimante les mondes,
s'appelle lumière astrale; lorsqu'elle forme les métaux,
on la nomme azoth , ou mercure des sages; lorsqu'elle
donne la vie aux animaux, elle doit s'appeler magnétisme
animal.
La brute subit les fatalités de cette lumière; l'homme
peut la diriger.
C'est l'intelligence qui, en adaptant le signe à la pensée,
crée les formes et les images.
La lumière universelle est comme l'imagination divine,
et ce monde qui change sans cesse, en demeurant tou-
jours le même quant à ses lois de configuration, est le
rêve immense de Dieu.
L'homme formule la lumière par son imagination ;
attire à lui la lumière suffisante pour donner les formes
convenables à ses pensées et même à ses rêves; si cette
lumière l'envahit , s'il noie son entendement dans les
formes qu'il évoque, il est fou. Mais l'atmosphère flui-
dique des fous est souvent un poison pour les raisons
chancelantes et pour les imaginations exaltées.
Les formes que l'imagination surexcitée produit pbur
égarer l'entendement sont aussi réelles que les empreintes
.
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236 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
Axiome.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS. 237
dans l'infini, 'et, faute de pouvoir se concentrer quelque
part, ils seraient morts et impuissants partout, abîmés
qu'ils seraient dans l'immensité de Dieu.
Tous les esprits créés ont donc des corps, les uns plus
subtils, les autres plus épais, suivant les milieux où ils
sont appelés à vivre.
L'âme d'un mort ne pourrait donc pas plus vivre dans
l'atmosphère des vivants que nous ne pourrions vivre
dans la terre ou dans l'eau.
Il faudrait, à un esprit aérien ou plutôt éthéré, un corps
factice semblable aux appareils de nos plongeurs, pour
qu'il pût arriver jusqu'à nous.
Tout ce que nous pouvons voir des morts, ce sont les
reflets qu'ils ont laissés dans la lumière atmosphérique,
lumière dont nous évoquons les empreintes par la sym-
pathie de nos souvenirs.
Les âmes des morts sont au-dessus de notre atmo-
sphère. Noire air respirable devient terre pour eux. C'est
ce que le Sauveur a déclaré dans son Évangile, lorsqu'il
fait dire à l'âme d'un bienheureux :
« Maintenant le grand chaos s'est affermi pour nous,
et ceux qui sont en haut ne peuvent plus descendre vers
ceux qui sont en bas. »
Les mains que fait apparaître M. Home sont donc de
l'air coloré par les reflets qu'attire et que projette son
imagination malade (1).
(I) L'agent lumineux étant aussi celui du calorique, on comprend les va-
riations subites de température occasionnées par les projections anormales
ou les absorptions subites de la lumière. H s'ensuit une perturbation atmo.
sphérique locale qui produit les bruits de tempêtes et les craquements des
boiseries. (Note de l'auteur.)
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238 inwréaEs 1IAGN entelle.
On les touche comme on les voit : moitié illusion,
moitié force magnétique et nerveuse.
Voilà, ce nous semble, de bien précises et de bien
claires explications.
Raisonnons un peu avec, les partisans de l'apparition
.
ultramondaine :
Ou ces mains sont des corps réels,
Ou ce sont des illusions.
Si ce sont des corps, ce ne sont donc pas des esprits.
Si ce sont des illusions produites par des mirages,
soit en nous, soit hors de nous, vous me donnez donc
gain de cause.
Maintenant, une remarque :
C'est que tons les malades de congestion lumineuse
ou de somnambulisme contagieux périssent de mort vio-
lente, ou tout au moins de mort subite.
C'est pour cela qu'on attribuait autrefois au diable le
pouvoir d'étrangler les sorciers.
Le bon et honnête Lavater évoquait habituellement le
prétendu esprit de Gablidone.
Il fut assassiné.
Un limonadier de Leipsiek , Sert eider, évoquait les
-
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•
XYS'ItRES IDES HILLUCEUTIONS, ETC. 230
Les maladies magnétiques sont par elles-mêmes un
acheminement à la folie, et naissent toujours de rhyper-
• trophie ou de l'atrophie du système nerveux.
Elles ressemblent à l'hystérisme , qui en est une va-
riété, et sont souvent produites, soit par des excès de
célibat, soit par des excès d'un genre tout opposé.
On sait dans quel rapport sont avec le cerveau les or-
ganes chargés par la nature de l'accomplissement de ses
plus nobles oeuvres : celles qui ont pour but la reproduc-
tion des êtres.
• On ne viole pas impunément le sanctuaire de la nature.
Personne ne soulève, sans risquer sa propre vie, le
voile de la grande Isfs.
La nature est chaste, et c'est à la chasteté qu'elle donne
les clefs de la vie.
Se livrer aux amours impurs, c'est se fiancer à la mort.
La liberté, qui est la vie de l'âme, ne se conserve que
dans l'ordre de la nature. Tout désordre volontaire la
blesse, un excès prolongé la tue.
Alors, au lieu d'être guidé et préservé par la raison,
on est abandonné aux fatalités du flux et du reflux de la
lumière magnétique.
Or, la lumière magnétique dévore sans cesse, parce
qu'elle crée toujours, et que pour produire continuelle-
ment, il faut éternellement absorber.
De là viennent les monomanies meurtrières et les ten-
tations (le suicide.
De là vient cet esprit de perversité qu'Edgar Poë a
décrit d'une manière si saisissante et si vraie, et que
M. de Mirville aurait raison d'appeler le diable. '
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240 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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MYSTÈRES DES HALLUCINATIONS, ETC. 241
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mitan axarikrionss.
lement pour avertir ceux qui cherchent. Courage et bon
espoir à ceux-là; ils trouveront certainement, puisque
nous avons trouvé.
Le dogme magique n'est pas celui des médiums. Les
médiums qui dogmatisent ne peuvent enseigner que l'a- -
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tinstriltEs. DES HALLUCINATIONS, ETC. 248
en chaire de vérité, des oracles qui écrivent pour le
salut du genre humain le mot attribué à Cambronne, des
grands hommes qui se dérangent de la sérénité des des-
tinées éternelles pour faire danser nos meubles et tenir
avec nous des conversations semblables à celles que leur
prête Béroalde de Verville dans le moyen de parvenir.
Tout cela fait pitié : et cependant, en Amérique, tout cela
se répand comme une peste intellectuelle. La jeune Amé-
rique bat la campagne, elle a la fièvre, elle fait peut-être
ses dents. Mais la France ! la France accueillir de pareilles
choses ! Non, cela n'est pas possible, et cela n'est pas.
Mais en se refusant aux doctrines, les hommes sérieux
doivent observer les phénomènes, rester calmes au mi-
lieu des agitations de tous les fanatismes (car l'incrédulité
a aussi le sien) , et juger après avoir examiné.
Conserver sa raison au milieu des fous, sa foi au mi-
lieu des superstitions, sa dignité au milieu des caractères
amoindris, et son indépendance parmi les moutons de
Panurge, c'est de tous les miracles le plus rare, le
plus beau, et aussi le plus difficile à accomplir.
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CHAPITRE 1V.
LES FANTOMES FLUIDIQUES ET LEURS MYSTÈRES.
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LES FANTÔMES FLUIDIQUES ET LEURS MYSTÈRES 2115
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246 inwritass MAGNÉTIQUES.
cilié. Le sérum est redevenu liquide, il a repris et imbibé
de nouveau les globules que la lumière astrale a colorés,
et le sang a coulé.
La photographie nous prouve assez que les images
sont des modifications réelles de la lumière. Or, il existe
une photographie accidentelle et fortuite qui opère, d'après
les mirages errants dans l'atmosphère, des impressions
durables sur des feuilles d'irbres, dans le bois et jusque
dans le coeur des pierres : ainsi se forment ces figures
naturelles auxquelles Gaffarel a consacré plusieurs pages
dans son livre des Curiosités inouïes, ces pierres aux-
quelles il attribue une vertu occulte, et qu'il nomme des
gamahés ; ainsi se tracent ces écritures et ces dessins qui
étonnent à un si haut point les observateurs des phéno-
mènes fluidiques. Ce sont des photographies astrales
tracées par l'imagination des médium avec le concours
ou sans le concours des larves fluidiques.
L'existence de ces larves nous a été démontrée d'un
manière péremptoire par une expérience assez curieuse.
Plusieurs personnes, pour tenter la puissance magique
de l'Américain Home, l'ont prié d'évoquer des parents
qu'elles supposaient avoir perdus, mais qui réellement
n'avaient jamais existé. Les spectres n'ont pas fait défaut
à cet appel, et les phénomènes qui suivaient habituelle-
ment l'évocation du médium se sont pleinement mani-
festés.
Cette expérience suffisait seule pour convaincre de
crédulité fâcheuse et d'erreur formelle ceux qui croient à
"intervention des esprits dans ces phénomènes étranges.
Pour que des morts reviennent, il faut avant tout qu'ils
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LES FANTÔMES FLUIDIQUES ET LEURS MYSTÈRES. 2&7
aient existé, et des démons ne seraient pas si facilement
les dupes de nos mystifications.
Comme tous les catholiques, nous croyons à l'existence
des esprits de ténèbres ; mais nous savons aussi que la
puissance divine leur a donné les ténèbres pour prison
éternelle, et que le Rédempteur a vu Salan tomber du
ciel comme la foudre. Si les démons nous tentent, c'est
par la complicité volontaire de nos passions mauvaises,
et il ne leur est pas permis (l'affronter l'empire de Dieu
et de troubler, par des manifestations niaises et inutiles,
l'ordre éternel de la nature.
Les caractères et signatures diaboliques qui se pro-
duisent à l'insu des médium ne sont évidemment pas les
preuves d'un pacte tacite ou formel entre ces malades et
les intelligences (le l'abîme. Ces signes ont servi de tout
temps à exprimer le vertige astral et sont restés à l'état
(le mirage dans les reflets de la lumière dévoyée. La na-
ture aussi a ses réminiscences et nous envoie les mêmes
signes à propos des mêmes idées. 11 n'y a rien dans tout
cela de surnaturel ni d'infernal.
« Comment voulez-vous que j'admette », nous disait
le curé Charvoz, premier vivaire de Vintras, « que Satan
» ose imprimer ses hideux stigmates sur des espèces
» consacrées et devenues le corps même de Jésus-Christ ? »
-- Nous déclarâmes aussitôt qu'il nous était également
impossible de nous prononcer en faveur (l'un pareil blas-
phème; et pourtant, comme nous l'avons démontré dans
nos feuilletons du journal l'Estafette, les signes imprimés
en caractères sanglants sur les hosties de Vintras, con-
sacrées régulièrement par Charvoz, étaient ceux qui, dans
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248 MYSTÈRES MAGNÉTIQUES.
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LES FANTÔMES FLUIDIQUES ET LEURS MYSTÈRES. 249
disparu, et la troupe dévote put continuer librement son
chemin. Ce phénomène, que nous ne révoquons pas en
doute, présente les doubles caractères d'un mirage et
d'une projection soudaine de larves astrales, occasionnés
par la chaleur de l'atmosphère et l'épuisement fanatique
des pèlerins.
Le docteur Brierre de Boismont , dans son curieux
Traité des hallucinations, raconte qu'un homme parfai-
tement sensé, et qui n'avait jamais eu de visions, fut
tourmenté un matin par un cauchemar des plus pénibles.
Il voyait dans sa chambre un singe monstrueux, horrible
à voir, qui lui grinçait les dents et se livrait aux plus
hideuses contorsions. Il s'éveille en sursaut, il était grand
jour; il saute à bas du lit, et reste terrifié en voyant
réellement présent l'affreux objet de son 'rêve. Le singe
était là parfaitement semblable à celui du cauchemar,
aussi absurde, aussi épouvantable, et faisant les mêmes
grimaces. Le personnage en question ne pouvait en croire
ses yeux; il resta près d'une demi-heure immobile, ob-
servant ce singulier phénomène et se demandant s'il avait
la fièvre chaude ou s'il devenait fou. Il s'approcha enfin
du fantastique animal pour le toucher, et l'apparition
s'évanouit.
Cornelius Gemma, dans son Histoire critique univer-
selle, raconte qu'en 454, dans l'île de Candie, le fantôme
de Moïse apparut à des Juifs au bord de la mer; il avait
au front ses cornes lumineuses, à la main sa verge fou-
droyante, et les invitait à le suivre en leur montrant du
doigt l'horizon du côté de la Terre sainte. La nouvelle de
ce prodige se répandit, et les Israélites en foule se pré-
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250 wtrwrbtEs atAtzeriQuies.
cipitèrent vers le rivage. Tous virent ou prétendirent
voir la merveilleuse apparition : ils étaient au nombre de
vingt mille, au dire du chroniqueur, que nous soupçon-
nons ici d'exagérer un peu. Aussitôt les têtes s'échauffent,
les imaginations s'exaltent; on croit à un miracle plus
éclatant que ne le fut autrefois le passage de la mer Rouge.
Les Juifs se forment en colonne serrée et prennent leur
course vers la mer; les derniers poussaient les premiers
avec frénésie : on croyait voir le prétendu Moïse marcher
sur l'eau. Ce fut tin épouvantable désastre : presque
toute cette multitude se noya, et l'hallucination ne s'é-
teignit qu'avec la vie -du plus grand nombre de ces
malheureux visionnaires.
La pensée humaine crée ce qu'elle imagine ; les fan-
tômes de la superstition projettent leur difformité réelle
dans la lumière astrale et vivent des terreurs même qui
les enfantent. Ce géant noir qui étend ses ailes de l'orient
à l'occident pour cacher la lumière au monde, ce monstre
qui dévore les âmes, cette effrayante divinité de l'igno-
rance et de la peur, le diable, en un mot, est encore,
pour une immense multitude d'enfants de tous les âges,
une affreuse réalité. Dans notre Dogme et Rituel de la
haute magie, nous l'avons représenté comme l'ombre
de Dieu, et en disant cela nous avons caché encore la
moitié de notre pensée : Dieu est la lumière sans ombre.
Le diable n'est que l'ombre du fantôme de Dieu!
Le fantôme de Dieu! cette dernière idole de la terre;
ce spectre anthropomorphe qui se rend malicieusement
invisible; cette personnification finie de l'infini; cet in-
visible qu'on ne peut voir sans mourir, sans mourir du
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LES FANTÔMES FLUIDIQUES ET LEURS MYSTÈRES. 251
moins à l'intelligence et à la raison, puisque, pour voir
l'invisible, il faut être fou; le fantôme de celui qui n'a pas
de corps ; la forme confuse de celui qui est sans formes
et sans limites : voilà ce qu'adorent à leur insu le plus
grand nombre des croyants. Celui qui est essentielle-
ment, purement, spirituellement, sans être ni l'être
absolu, ni un être abstrait, ni la collection des êtres,
l'infini intellectuel, en un mot, est si difficile à imaginer!
Aussi toute imagination à son sujet est-elle une idolâtrie,
il faut y croire et l'adorer. Notre esprit doit se taire de-
vant lui et notre coeur seul a droit de lui donner un nom :
Notre Père I
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LIVRE II.
LES lIYSTÉ ES MAGIQUES.
CHAPITRE PREMIER.
THÉORIE DE LA VOLONTÉ.
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»Mat» •11AGRMS,
passions et de leur servitude, se crée en quelque sorte
une seconde fois lui-même. La nature l'avait fait vivant
et souffrant; il se fait heureux et immortel : il devient
ainsi le représentant de la divinité sur la terre et en
exerce relativement la toute-puissance.
AXIOM E I.
AXIOME III.
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t'aima ss LA voLoterk.
AXIOME VI.
AXIOME IX.
AXIOME I.
AXIOME XI.
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256 MYSTÈRES MAGIQUES.
mar volontaire avec son sang, avec sa vie, avec son in-
telligence et sa raison, sans les rassasier jamais.
AXIOME XII.
AXIOME XIII.
AXIOME XIV.
AXIOME XV.
AXIOME XVI.
AXIOME XVII.
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THÉORIE DE LA VOLONTÉ. 257
AXIOME XVIII.
AXIOME XIX.
AXIOME XX.
AXIOME XXI.
17
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CHAPITRE II.
LA PUISSANCE DE LA PAROLE.
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LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 259
La beauté de la parole est une splendeur de vérité.
Une parole vraie est toujours belle, une belle parole est
toujours vraie.
C'est pour cela que les oeuvres d'art sont toujours
saintes quand elles sont belles.
Que m'importe qu'Anacréon chante Batylle, si, dans
ses vers, j'entends les notes de cette divine harmonie qui
est l'hymne éternel de la beauté? La poésie est pure comme
le soleil : elle étend son voile de lumière sur les erreurs
de l'humanité. Malheur à qui voudrait soulever le voile
pour apercevoir des laideurs !
Le concile de Trente a dit qu'il est permis aux per-
sonnes sages et prudentes de lire les livres des anciens,
même obscènes, à cause de la beauté de la forme.
Une statue de Néron ou d'Héliogabale faite comme les
chefs-d'oeuvre de Phidias, ne serait-elle pas une oeuvre
absolument belle et absolument bonne? et celui-là ne méri-
terait-il pas les huées du monde entier qui voudrait qu'on
la brisât parce qu'elle représenterait un monstre ?
Les statues scandaleuses, ce sont les statues mal faites;
et la Vénus de Milo serait profanée si on la plaçait à côté
des Vierges qu'on ose exposer dans certaines églises.
On apprend le mal dans des livres de morale sottement
écrits, bien plus que dans les poésies de Catulle ou dans
les ingénieuses allégories d'Apulée.
Il n'y a de mauvais livres que les livres mal pensés ou
mal faits.
Tout verbe de beauté est un verbe de vérité. C'est
une lumière formulée en parole.
Mais à la plus brillante lumière, pour se produire et
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260 MYSTÈRES MARQUES.
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LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 261
van he, on commande à la nature : les royaumes sont
conquis au nom d'A donaï, et les forces occultes qui com-
posent l'empire d'Hermès sont toutes obéissantes à celui
qui sait prononcer suivant la science le nom incommuni-
cable d'A gla.
Pour prononcer suivant la science les grandes paroles
de la Kabbale, il faut les prononcer avec une intelligence
entière, avec une volonté que rien n'arrête, avec une ac-
tivité que rien ne rebute. En magie, avoir dit c'est avoir
fait; le verbe se commence avec des lettres, il s'achève
avec des actes. On ne veut réellement une chose que
lorsqu'on la veut de tout son coeur, au point de briser
pour elle ses affections les plus chères ; de toutes ses
forces, au point d'exposer sa santé, sa fortune et sa vie.
C'est par le dévouement absolu que se prouve et que
se constitue la foi. Mais Phomme armé d'une foi pareille
pourra transporter les montagnes.
Le plus fatal ennemi de nos alpes, c'est la paresse.
L'inertie a une ivresse qui nous endort; mais le sommeil
de l'inertie, c'est la corruption et la mort. Les facultés (le
l'âme humaine sont comme les flots de l'Océan : il leur
faut, pour les conserver, le sel et l'amertume des larmes;
il leur faut les tourmentes du ciel et l'agitation des tem-
pêtes.
Lorsque, au lieu de marcher dans la carrière du pro-
grès, nous voulons nous faire porter, nous dormons dans
les bras de la mort ; c'est à nous qu'il est dit, comme au
paralytique de l'Évangile : Emportez votre lit et mar-
chez ! C'est à nous d'emporter la mort pour la précipiter
dans la vie.
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262 MYSItRES MAGIQUES.
Suivant la magnifique et terrible expression de saint
Jean, l'enfer est un feu qui dort. C'est une vie sans acti-
vité et sans progrès; c'est du soufre en stagnation :
stagnum ignis et sulphuris.
La vie qui dort est analogue à la parole oisive, et c'est
de cela que les hommes auront à rendre compte au jour
du jugement dernier.
L'intelligence parle et la matière s'agite ; elle ne se
reposera qu'après avoir pris la forme donnée par la pa-
role. Voyez le verbe chrétien mettant depuis dix-neuf
siècles le monde en travail ! Quels combats de géants !
Combien d'erreurs essayées et repoussées! Que de chris-
tianisme déçu et irrité au fond de la protestation, depuis
le seizième siècle jusqu'au dix-huitième! L'égoïsme hu-
main, désespéré de ses défaites, a ameuté tour à tour
toutes ses stupidités. On a revêtu le Sauveur du monde
de tous les haillons et de toutes les pourpres dérisoires :
après Jésus l'inquisiteur, on a fait le sans culotte Jésus.
-
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LA PUISSANCE DE LA PAROLE. 2e
L'ENFER EST LE CONFLIT DES INSTINCTS LAMIES.
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•
CHAPITRE III.
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LES INFLUENCES MYSTÉRIEUSES. 265
sonne semble être une perfection plus aimable que la
vertu même ; elle est plus gracieuse que la grâce, ses
actions sont faciles et inimitables comme la belle musique
et les beaux vers. C'est d'elle qu'une charmante mon-
daine trop amie pour être rivale disait après un bal : Il
m'a semblé voir la sainte Bible se trémousser. Voyez au
contraire cette autre femme, celle-ci affecte la dévotion
la plus rigide et se scandaliserait d'entendre chanter les
anges, mais sa parole est malveillante, son regard hau-
tain et méprisant, lorsqu'elle parle de vertu elle ferait
aimer le vice. Dieu pour elle est un mari jaloux qu'elle
se fait un grand mérite de ne pas tromper; ses maximes
sont désolantes, ses actions plus vaines que charitables,
et l'on pourrait dire après l'avoir rencontrée à l'église :
J'ai vu le diable prier Dieu.
En quittant la première on se sent plein d'amour pour
tout ce qui est beau, pour tout ce qui est bon et généreux.
On est heureux de lui avoir bien dit tout ce qu'elle vous
a inspiré de bien et d'avoir été approuvé par elle; on se
dit que la vie est bonne, puisque Dieu l'a donnée à de pa-
reilles âmes, on est plein de courage et d'espoir. L'autre
, vous laisse affaibli, rebuté ou peut-être, ce qui est pire,
excité à mal entreprendre; elle voué fait douter de l'hon-
neur, de la piété et du devoir; près d'elle on n'a échappé
à l'ennui que par la porte des mauvais désirs. On a mé-
dit pour lui plaire, on s'est amoindri pour flatter son
orgueil, on reste mécontent d'elle et de soi-même. •
Le sentiment vif et certain de ces diverses influences
• est le propre des esprits justes et des consciences déli-
cates, et c'est précisément ce que les anciens écrivains
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266 MYSTÈRES MAGIQCBS.
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LES INFLUENCES MYSTÉRIEUSES. 261
natures sublimes se surprennent dans des caprices de
vulgarité. L'homme, a dit l'abbé Gerbet, est l'ombre d'un
Dieu dans le corps d'un animal : il y a les amis de l'ange
et les complaisants de l'animal. L'ange nous attire, mais
si nous n'y prenons garde, c'est la bête qui nous emporte :
elle doit même fatalement nous emporter, quand il s'agit
de bêtises, c'est-à-dire des satisfactions de cette vie
nourrice de la mort, que dans le langage des bêtes on
appelle la vie réelle. En religion, l'Évangile est un guide
sûr, il n'en est pas de même en affaire, et bien des gens,
lorsqu'il s'agirait de régler la succession temporelle de
Jésus-Christ, s'entendraient plus volontiers avec Judas
Iscariote qu'avec saint Pierre.
On admire la probité, a dit Juvénal, et on la laisse se
morfondre. Si tel homme célèbre, par exemple, n'avait
pas mendié scandaleusement la richesse, eût-on jamais
songé à doter sa vieille muse? lui fût-il tombé des héri-
tages? La vertu prend notre admiration, notre bourse ne
lui doit donc rien, cette grande dame est assez riche sans
nous. On aime mieux donner au vice, il est si pauvre!
Je n'aime pas les mendiants et je ne donne qu'aux
pauvres honteux, disait un jour un homme d'esprit. —
Mais que leur donnez-vous, puisque vous ne les connais-
sez pas? —Je leur donne mon admiration et mon estime,
et je n'ai pas besoin de les connaître pour cela. — Com-
ment avez-vous besoin de tant d'argent, demandait-on
à un autre, vous êtes sans enfants et sans charges? —
J'ai mes pauvres honteux auxquels je ne puis m'empê-
cher de donner beaucoup. — Faites-les-moi connaître, je
leur donnerai peut-être aussi. — Oh!. vous en connaissez
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268 MYSTÈRES MAGIQUES.
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•
LES INFLUENCES MYSTÉRIEUSES. 269
grande : c'est l'assistance universelle, c'est la charité.
Nous admirons tous et nous aimons saint Vincent de
Paul, mais nous avons presque tous aussi un faible secret
pour l'habileté, la présence d'esprit et surtout l'audace de
Cartouche.
Les complices avoués de nos passions peuvent nous
dégoûter en nous humiliant; nous saurons, à nos risques
et périls, leur résister par orgueil. Mais quoi de plus
dangereux pour nous que nos complices hypocrites et
cachés? Ils nous suivent comme le chagrin, ils nous at-
tendent comme l'abîme, ils nous entourent comme le
vertige. Nous les excusons pour nous excuser, nous les
défendons pour nous défendre, nous les justifions pour
nous justifier, et nous les subissons ensuite parce qu'il le
faut, parce que nous n'avons pas la force de résister à
nos penchants, parce que nous ne le voulons pas.
Ils se sont emparés de notre ascendant, comme dit
Paracelse, et où ils voudront nous conduire, nous irons.
Ce sont nos mauvais anges, nous le savons au fond de
notre conscience; mais nous les ménageons, car nous
nous sommes faits leurs serviteurs, afin qu'ils soient aussi
les nôtres.
Nos passions, ménagées et flattées, sont devenues des
• servantes-maîtresses; et les complaisants de nos passions
sont des valets qui sont nos maîtres.
Nous respirons nos pensées et nous aspirons celles des
autres empreintes dans la lumière astrale, devenue leur
atmosphère électro-magnétique : aussi la compagnie des
méchants est-elle moins funeste aux gens de bien que
celle des êtres vulgaires, lâches et tièdes. Une forte anti-
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270 MYSTÈRES MARIOREg.
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LES INPLVENCES SCS'ItRIEUSES. /
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272 MYSTÈRES MAGIQUES.
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DES INFLUENCES MYSTÉRIEUSES. 2/3
peut-être deux corps. » Tout ce qu'il raconte, en effet,
semblerait prouver cette hypothèse. Il s'agit d'un berger
dont la forme fluidique infestait un presbytère, et qui fut
blessé à distance par les coups portés à sa larve astrale.
Nous demanderons ici à MM. de Mirville et Gougenot
Desmousseaux s'ils prennent ce berger pour le diable,
èt si, de près ou de loin, le diable tel qu'ils le conçoivent
peut être égratigné ou blessé. On ne connaissait guère
alors en Normandie les maladies magnétiques des mé-
diums, et ce malheureux somnambule, qu'il eût fallu
soigner et guérir, fut rudement maltraité et même battu,
dit-on, non pas en apparence fluidique, mais en propre
personne, par M. le curé lui-même. C'est là, conve-
nons-en, un singulier genre d'exorcisme ! ,Si réellement
ces violences ont eu lieu, et si elles sont imputables à un
ecclésiastique qu'on dit et qui peut être, à la crédulité
près, très bon et très respectable, avouons que des écri-
vains tels que MM. de Mirville et Gougenot Desmous-
seaux s'en rendent quelque peu les complices.
Les lois de la vie physique sont inexorables, et, dans
sa nature animale, l'homme naît esclave de la fatalité ;
c'est à force de luttes contre les instincts qu'il peut con-
quérir la liberté morale. Deux existences différentes sont
donc possibles pour nous sur la terre : l'une fatale, l'autre
libre. L'être fatal est le jouet ou l'instrument d'une foret
qu'Il ne dirige pas : or, quand les instruments de la fa-
talité se rencontrent et se heurtent, le plus fort brise ou
emporte le plus faible ; les êtres vraiment affranchis ne
craignent ni les envoûtements ni les influences mysté-
rieuses.
18
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MYSTÈRES MAGIQUES.
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DES EIPLUENCES MISTEDIEVSES.
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276 MYSTÈRES MAGIQUES.
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CHAPITRE IV.
MYSTÈRES DE LA PERVERSITÉ.
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278 MYSTÈRES MAGIQUES.
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MYSTÈRES DE LA PERVERSITÉ. 279
l'abandonner aux frénésies du désespoir et aux tentations
de la misère et de la faim.
Rien n'est épouvantable comme le néant ; et si l'on
pouvait jamais en formuler la conception, s'il était pos-
sible de l'admettre, l'enfer serait une espérance.
Voilà pourquoi la nature même cherche et impose
l'expiation comme un remède ; voilà pourquoi le supplice
supplie, comme l'a si bien compris ce grand catholique
qu'on nommait le comte Joseph de Maistre; voilà pour-
quoi la peine de mort est de droit naturel et ne disparaîtra
jamais des lois humaines. La tache du meurtre serait in-
délébile, si Dieu n'absolvait pas l'échafaud ; le pouvoir
divin abdiqué par la société et usurpé par les scélérats
leur appartiendrait sans conteste. L'assassinat alors se
transformerait en vertu lorsqu'il exercerait les repré-
sailles de la nature outragée. Les vengeances particu-
lières protesteraient contre l'absence de l'expiation pu?
blique, et avec les tronçons du glaive brisé de la justice,
l'anarchie se fabriquerait des poignards.
Si Dieu supprimait l'enfer, les hommes en feraient
un autre pour le braver, » nous disait un jour un bon
prêtre. Il avait raison ; et c'est pour cela que l'enfer-
tient tant à être supprimé. Émancipation! tel est le cr
de tous les vices. Émancipation du meurtre par l'aboli-
tion de la peine de mort; émancipation de la prostitution
et de l'infanticide par l'abolition du njariage; émancipa-
tion de là paresse et de la rapine par l'abolition de la
propriété Ainsi tourne le tourbillon de la perversité,
jusqu'à ce qu'il arrive à cette formule suprême et secrète :
Émancipation de la mort par l'abolition de la vie !
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280 MYSTÈRES MAGIQUES.
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MYSTÈRES DE LA PERVERSITÉ. 981
et il n'y de vrai et de sérieux au fond de tout cela que la
lutte nécessaire de l'ordre et du désordre, des instincts
et de la pensée ; le résultat de cette lutte c'est l'équilibre
dans le progrès et le diable contribue toujours, malgré
lui, à la gloire de saint Michel.
L'amour physique est la plus perverse de toutes les
passions fatales. C'est l'anarchiste par excellence ; il ne
connaît ni lois, ni devoirs, ni vérité, ni justice. Il ferait
marcher la jeune fille sur le cadavre de ses parents. C'est
une ivresse irrésistible ; c'est une folie furieuse ; c'est le
vertige de la fatalité qui cherche de nouvelles victimes ;
c'est l'ivresse anthropophage de Saturne qui veut devenir
père pour avoir des enfants à dévorer. Vaincre l'amour,
c'est triompher de la nature tout entière. Le soumettre à
la justice, c'est réhabiliter la vie en la vouant à l'immorta-
, lité ; aussi les plus grandes oeuvres de la révélation chré-
tienne sont-elles la création de la virginité volontaire et la
sanctification du mariage.
Tant que l'amour n'est qu'un désir et une jouissance, il
est mortel. Pour s'éterniser il faut qu'il devienne un sa-
crifice, car alors il devient une force et une vertu. C'est
la lutte d'Éros et d'Antéros qui fait l'équilibre du monde.
Tout ce qui •surexcite la sensibilité conduit à la dé-
pravation et au crime. Les larmes appellent le sang. Il
en est des grandes émotions comme des liqueurs fortes,
en faire un usage habituel, &est en abuser. Or, tout abus
des émotions pervertit le sens moral ; on les recherche
pour elles-mêmes, on sacrifie tout pour se les procurer.
Une femme romanesque deviendra facilement une hé-
roïne de cour d'assises, elle en arrivera peut-être à cette
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282 MYSTÈRES MAGIQUES.
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MYSTÈRES et I.A. PERVERSITÉ. 283
sonnalité s'amoindrit; ils deviennent quinteux, absurdes,
envieux, colères; ils n'admettent pas qu'un mérite, même
dans un ordre différent, puisse se produire à côté du
leur, et dès qu'ils deviennent injustes, ils se dispensent
même d'être polis. Pour échapper à cette fatalité les vrais
grands hommes s'isolent de toute camaraderie liberticide
et se sauvent par une fière impopularité des frottements
de la vile multitude : si Balzac avait été de son vivant
l'homme d'une coterie ou d'un parti, il ne serait pas
resté après sa mort le grand génie universel de notre
époque.
La lumière n'éclaire ni les choses insensibles, ni les yeux
fermés, ou du moins elle ne les'éclaire qu'au profit de ceux
qui voient. Le mot de la Genèse : Que la lumière se fasse!
est le cri de victoire de l'intelligence triomphante des té-
nèbres. Ce mot est sublime en effet parce qu'il exprime avec
simplicité la chose la plus grande et la plus merveilleuse du
monde : la création de l'intelligence par elle-même, lors-
que, convoquant ses puissances, équilibrant ses facultés,
elle dit : Je veux m'immortaliser en voyant la vérité
éternelle, que la lumière soit ! et la lumière est. La lu-
mière éternelle comme Dieu commence tous les jours
pour les yeux qui s'ouvrent. La vérité sera éternellement
l'invention et comme la création du génie : il crie : Que
la lumière soit! et lui-même il est parce qu'elle est. Il
est immortel parce qu'il la comprend éternelle. Il con-
temple la vérité comme son ouvrage parce qu'elle est sa
conquête, et l'immortalité comme son triomphe parce
qu'elle sera sa récompense et sa couronne.
mais tous les esprits ne voient pas avec justesse parce
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2811 MYSTÈRES MAGIQUES.
que tous les coeurs ne veulent pas avec justice. Il est des
âmes pour lesquelles la vraie lumière semble ne devoir
exister jamais. Elles se contentent de visions phospho-
rescentes, avortons de lumière, hallucinations de la pen-
sée, et, amoureuses de ces fantômes, elles craignent le
jour qui les mettrait en fuite parce qu'elles sentent bien
que le jour n'étant pas fait pour leurs yeux, elles retom-
beraient dans une profonde obscurité. C'est ainsi que les
fous craignent d'abord, puis calomnient, insultent, pour-
suivent et condamnent les sages. Il faut les plaindre et
leur pardonner, ils ne savent pas ce qu'ils font.
La vraie lumière repose et satisfit l'âme, l'hallucina-
tion au contraire la fatigue et la tourmente. Les satisfac-
tions de la folie ressemblent à ces rêves gastronomiques
des gens affamés qui aiguillonnent leur faim sans la ras-
sassier jamais. De là naissent les irritations et les troubles,
les découragements et les désespoirs. — La vie nous a
toujours menti, disent les disciples de Werther, c'est pour-
quoi nous voulons mourir! Pauvres enfants, ce n'est pas
la mort qu'il vous faudrait, c'est la vie. Depuis que vous
êtes an monde vous mourez tous les jours, est-ce à la
cruelle volupté du néant que vous devez demander le
remède du néant de vos voluptés? Non, la vie ne vous a
jamais trompés, car vous n'avez pas encore vécu. Ce que
vous prèniez pour la vie ce sont les hallucinations et
les rêves du premier sommeil de la mort!
Tous les grands criminels sont des hallucinés volon-
taires, et tous les hallucinés volontaires peuvent être fa-
talement conduits à devenir de grands criminels. Notre
lumière personnelle spécialisée, enfantée, déterminée par
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MYSTERES DE LA PERVERSITÉ. 285
notre affection dominante, est le germe de notre paradis
ou de notre enfer. Chacun de nous conçoit en quelque
sorte, met au monde et nourrit son bon ange ou son
mauvais démon. La conception de la vérité donne en
nous la naissance au bon génie ; la perception voulue du
mensonge est une couveuse et une éleveuse de cauche-
mars erde vampires. Chacun doit nourrir ses enfants,
et notre vie se consomme au profit de nos pensées. Heu-
reux ceux qui retrouvent l'immortalité dans les créations
de leur âme ! Malheur à ceux qui s'épuisent pour nourrir
le mensonge et engraisser la mort, car chacun jouira du
fruit de ses oeuvres.
Il est certains êtres inquiets et tourmentés dont l'in-
fluence est turbulente et la conversation fatale. Près d'eux
on se sent irrité et on les quitte avec colère ; pourtant,
par une perversité secrète, on les recherche pour af-
fronter le troublé et jouir des émotions malveillantes
qu'ils nous donnent. Ce sont les malades contagieux de
l'esprit de perversité.
L'esprit de perversité a toujours pour secret mobile la
soif de la destruction, et pour fin dernière le suicide. Le
meurtrier Éliçabide, d'après ses propres aveux, non-seu-
lement éprouvait un besoin sauvage de tuer ses parents et
ses amis, mais il eût voulu même, si cela eût été possible,
et il l'a dit en propres termes devant la cour d'assises, faire
sauter le globe comme un marron cuit. Lacenaire , qui
passait ses journées à combiner des meurtres pour avoir
le moyen de passer les nuits dans d'ignobles orgies ou
dans les frénésies du jeu, se vantait hautement d'avoir
vécu. Il appelait cela vivre ! et il chantait un hymne à
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e86 teSTiftES bucrane.
la guillotihe, qu'il appelait sa belle fiancée ! et le monde
était plein d'imbéciles qui admiraient ce scélérat Alfred
de Musset, avant de s'éteindre dans l'ivresse, a gaspillé
l'un des premiers talents de son siècle dans des chants de
froide ironie et de dégoût universel; le malheureux avait
été maléficié par le respir d'une femme proforelément
-
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MYSTÈRES DE LA PERVERSITÉ. 287
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••
288 MYSTÈRES MAGIQUES.
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QUATRIÈME PARTIE.
INTRODUCTION.
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290 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
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INTRODUCTION. 29t
qui en sont doués les ont acquises, sinon par leurs pro-
pres efforts, au moins par les oeuvres solidaire des êtres
humains auxquels leur existence est liée. C'est un secret
de la nature qui ne fait rien au hasard ; la propriété des
facultés intellectuelles plus développées comme celle de
l'argent et des terres constitue un droit imprescriptible
de transmission et d'héritage.
Oui, l'homme est appelé à achever l'oeuvre de son
Créateur, et chacun de ses instants employé par lui à se
rendre meilleur ou à se perdre, est décisif pour toute
une éternité. C'est par la conquête d'une intelligence à
jamais droite et d'une volonté à jamais juste qu'il se con-
stitue vivant pour la vie éternelle, puisque rien ne survit
à l'injustice et à l'erreur que la peine de leur désordre.
Comprendre le bien c'est le vouloir, et dans l'ordre de la
justice, vouloir c'est faire. Voilà pourquoi l'Évangile nous
dit que les hommes seront jugés selon leurs oeuvres.
Nos oeuvres nous font tellement ce que nous sommes
que notre corps même reçoit, comme nous l'avons dit, de
nos habitudes, la modification et quelquefois le change-
ment entier de sa forme.
Une forme conquise ou subie devient pour l'existence
entière une providence ou une fatalité. Ces figures
étranges que les Égyptiens donnaient aux symboles
humains de la divinité représentent les formes fatales.
Typhon, par sa gueule de crocodile est condamné à dé-
vorer sans cesse'pour remplir son ventre d'hippopotame.
Aussi est-il voué, par sa voracité et sa laideur, à la des-
truction éternelle.
L'homme peut tuer ou vivifier ses facultés par la né-
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292 LES GRANDS SECRETSPRATIQUES.
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CHAPITRE PREMIER.
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29h LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
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DE LA TRANSFORMATION, ETC. 295
en scène un maître chat qui, par ses ruses, engage un
ogre à se métamorphoser en souris; et la chose n'est pas
• plutôt faite, que la souris est croquée par le chat. Les
contes de la mère l'Oie seraient-ils , comme l'Ane d'or
d'Apulée , de véritables légendes magiques, et caille-
raient-ils, sous des apparences puériles, les formidables
secrets de la science?
On sait que les magnétiseurs donnent à l'eau pure,
par la seule imposition des mains, c'est-à-dire de leur
volonté exprimée par un signe, les propriétés et la saveur
du vin, des liqueurs et de tous les médicaments pos-
sibles.
On sait aussi que les dompteurs d'animaux féroces
subjuguent les lions en se faisant eux-mêmes mentale-
ment et magnétiquement plus forts et plus farouches
que les lions.
Jules Gérard, l'intrépide tueur des lions d'Afrique,
serait dévoré s'il avait peur. Mais, pour n'avoir pas peur
d'un lion, il faut, par un effort d'imagination et de vo-
lonté, se faire plus fort et plus sauvage que cet animal
lui-même; il faut se dire : C'est moi qui suis le lion, et
cette bête devant moi n'est qu'un chien qui doit avoir
peur.
Fourier avait rêvé les antilions ; Jules Gérard a réalisé
cette chimère du rêveur phalanstérien.
Mais pour ne pas craindre les lions, il suffit d'être un
homme de coeur et d'avoir des armes, dira-t-on.
— Non, cela ne suffit pas. Il faut savoir son lion par
coeur, pour ainsi dire, calculer les élans de l'animal, de-
viner ses ruses, déjouer ses griffes, prévoir ses mouve-
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296 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
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DE LA TRANSFORMATION, ETC. 297
d'abord que vous construisiez un lieu, que vous le rêviez,
que vous le voyiez, que vous le touchiez. Si c'est l'enfer,
il vous donne à tâter des roches brillantes, il vous fait
nager dans des ténèbres épaisses comme de la poix, il
vous met sur la langue du soufre liquide, il remplit vos
narines d'une abominable puanteur; il vous montre d'af-
freux supplices, il vous fait entendre des gémissements
surhumains; il dit à votre volonté de créer tout cela par
des exercices opiniâtres. Chacun le fait à sa manière, mais
toujours à la façon la plus papable de l'impressionner.
Ce n'est plus l'ivresse du hatchich servant la fourberie
du Vieux de la Montagne ; c'est un rêve sans sommeil,
une hallucination sans folie, une vision raisonnée et vou-
lue, une création véritable de l'intelligence et de la foi.
Désormais, en prêchant, le jésuite pourra dire : C'est ce
que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons en-
tendu de nos oreilles; ce que nos mains ont touché, c'est
cela que nous vous annonçons. Le jésuite ainsi formé
communie à un cercle de volontés exercées comme la
sienne : aussi chacun des pères est fort comme la société,
et la société est plus forte que le monde.
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CHAPITRE II.
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CORNENT ON PEUT CONSERVER LA JEUNESSE, ETC. 299
temps pour tout le monde un homme de trente-cinq ans.
Son acte de naissance dirait autre chose, s'il osait se mon-
trer; mais personne ne le croirait.
Cagliostro a toujours été vu au même âge, et préten-
dait posséder non-seulement un élixir qui rendait aux
vieillards, pour un instant, toute la vigueur de la jeu-
nesse, mais il se flattait aussi d'opérer la régénératio n i
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300 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
(t) Elle s'allie à la sainteté et la donne méme à ceux qui ne l'ont pas.
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COMMENT ON PEUT CONSERVER LA JEUNESSE, ETC. SOI
Etre saint! voilà qui est facile à dire; mais comment
se donner la foi, lorsqu'on ne croit plus? Comment re-
trouver le goût de la vertu dans un coeur affadi par le
vice ?
— Il s'agit ici d'avoir recours aux quatre verbes de la
science : savoir, oser, vouloir et se taire.
11 faut imposer silence aux dégoûts, étudier le devoir
et commencer par le pratiquer comme si on l'aimait.
Vous êtes incrédule, par exemple, et vous voudriez
vous faire chrétien.
Faites les exercices d'un chrétien. Priez régulièrement,
en vous servant des formules chrétiennes; approchez-
vous des sacrements en supposaqt la•foi, et la foi viendra.
C'est là le secret des jésuites, contenu dans les exercices
spirituels de saint Ignace.
Par des exercices analogues, un sot, s'il le voulait avec
persévérance, deviendrait un homme d'esprit.
En changeant les habitudes de l'âme, on change cer-
tainement celles du corps; nous l'avons déjà dit, et nous
avons expliqué comment.
Ce qui contribue surtout à nous vieillir en nous enlai-
dissant, ce sont les pensées haineuses et amères, ce sont
les jugements défavorables que nous portons des autres,
ce sont nos colères d'orgueil repoussé et de passions mal
satisfaites. Une philosophie bienveillante et douce nous
éviterait tous ces maux.
Si nous fermions les yeux sur les défauts du prochain,
en ne tenant compte que des bonnes qualités, nous trou-
verions du bien et de la bienveillance partout. L'homme
le plus pervers a ses bons côtés et s'adoucit lorsqu'on sait
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802 . LES GRANDS SECRETS PRATIQURS.
le prendre. Si vous n'aviez rien de commun avec les vices
des hommes, vous ne les apercevriez même pas. L'amitié
et les dévouements qu'elle inspire se trouvent jusque dans
les prisons et dans les bagnes. L'horrible Lacenaire ren-
dait fidèlement l'argent qu'on lui avait prêté, et fit plu-
sieurs fois des actes de générosité et de bienfaisance. Je
ne doute pas qu'il n'y ait eu dans la vie criminelle de Car-
touche et de Mandrin des traits de vertu à tirer les larmes
des yeux. Il n'y a jamais eu personne d'absolument mé-
chant ni d'absolument bon. « Personne n'est bon, si ce
n'est Dieu , » a dit le meilleur des maîtres.
Ce que nous prenons chez nous pour le zèle de la
.vertu n'est souvent qu'un secret amour-propre domina-
teur, une jalousie disimulée et un instinct orgueilleux
de contradiction. « Quand nous voyons des désordres
manifestes et des pécheurs scandaleux, disent les auteurs
de la théologie mystique, croyons que Dieu les soumet à
de plus grandes épreuves que nous, que certainement
ou du moins très probablement nous ne les valons pas
et que nous ferions bien pis à leur place. »
La paix! la paix! tel est le bien suprême de l'âme, et
c'est pour nous donner ce bien que le Christ est venu au
Inonde.
Gloire à Dieu dans les hauteurs, et paix sur la terre aux
hommes qui veulent le bienl ont crié les esprits du ciel
quand le Sauveur venait de naître.
Les anciens pères du christianisme comptaient un hui-
tième péché capital : c'était la tristesse.
En effet le repentir même pour le vrai chrétien n'est
pas une tristesse, c'est une consolation, c'est une joie et
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COMMENT ON PEUT CONSER,ER LÀ JEUNESSE, ETC. 303
un triomphe. Je voulais le mal et je ne le veux plus,
j'étais mort et je suis vivant. Le père de l'enfant pro-
digue a tué le veau gras parce que son fils est revenu,
que peut faire l'enfant prodigue? Pleurer, un peu de con-
fusion, ruais surtout de joie!
Il n'y a qu'une chose triste au monde, c'est la folie et
le péché. Dès que nous sommes délivrés, rions et pous-
sons des cris de joie, car nous sommes sauvés et tous
les morts qui nous aiment se réjouissent dans le ciel!
Nous portons tous en nous un principe de mort et un
principe d'immortalité. La mort c'est la bête et la bête
produit toujours la bêtise. Dieu n'aime pas les sots, car
son esprit divin se nomme l'esprit d'intelligence. La bê-
tise s'expie par la douleur et l'esclavage. Le bâton est
fait pour les bêtes.
Une souffrance est toujours un avertissement, tant pis
pour qui ne sait pas comprendre. Quand la nature tire la
corde, c'est que nous marchons de travers, quand elle
frappe, c'est que le danger presse. Malheur alors à qui
ne réfléchit pas!
Quand nous sommes mûrs pour la mort, nous quittons
la vie sans regret et rien ne nous y ferait reprendre ;
mais quand la mort est prématurée, l'âme regrette la vie,
et un thaumaturge habile pourrait la rappeler dans son
corps. Les livres sacrés nous indiquent le procédé qu'il
faut alors mettre en usage. Le prophète Élie et l'apôtre
saint Paul les ont employés avec succès. Il s'agit de ma-
gnétiser le défunt en posant les pieds sur ses pieds, les
mains sur ses mains, la bouche sur sa bouche, puis de
réunir toute sa volonté et d'appeler longuement à soi
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30h LES GRAMDS SECRETS PRATIQUES.
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COMMENT ON PEUT CONSERVER LA JEUNESSE, ETC. 305
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CHAPITRE III.
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LE GRAND ARCANE DE LA MORT. 307
nage avec lui dans un fluide nourricier et conservateur.
Alors il est libre et impassible, il vit de la vie universelle
et reçoit l'empreinte des souvenirs de la nature qui déter-
mineront plus tard la configuration de son corps et la
forme des traits de son visage. Cet iige heureux pourrait
s'appeler l'enfance de l'embryonnat..
Vient ensuite l'adolescence, la forme humaine devient
distincte et le sexe se détermine, un mouvement s'opère
dans I' oeuf maternel semblable aux vagues rêveries de
l'âge qui succède à l'enfance. Le placenta, qui est le corps
extérieur et réel du foetus, sent germer en lui quelque chose
d'inconnu qui déjà tend à s'échapper en le brisant. L'en -
fant alors entre plus distinctement dans la vie des rêves,
son cerveau renversé comme un miroir de celui de sa
mère en reproduit avec tant de force les imaginations,
qu'il en communique la forme à ses propres membres.
Sa mère est pour lui alors ce que Dieu est pour nous,
c'est une providence inconnue, invisible, à laquelle il
aspire au point de s'identifier à tout ce qu'elle admire. 11
tient à elle, il vit par elle et il ne la voit pas, il ne saurait
même la comprendre, et s'il pouvait philosopher, il nierait
peut-être l'existence personnelle et l'intelligence de cette
mère qui n'est encore pour lui qu'une prison fatale et
un appareil conservateur. Peu à peu cependant cette ser-
vitude le gêne, il s'agite, il se tourmente, il souffre, il
sent que sa vie va finir. Arrive une heure d'angoisse et
de convulsion, ses liens se détachent, il sent qu'il va tom-
ber dans le gouffre de l'inconnu. C'en est fait, il tombe,
une sensation douloureuse l'étreint, un froid étrange le
saisit, il pousse un dernier soupir qui se change en mi
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308 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
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LE GRAND ARCANE DE LA MORT. 309
rieures et de traverser lentement la mer morte, c'est-
à-dire les eaux dormantes de l'ancien chaos.
Ces âmes blessées sont les larves du second embryon-
nat, elles nourrissent leur corps aérien de la vapeur du
sang répandu et craignent la pointe des épées. Souvent
elles s'attachent aux hommes vicieux et vivent de leur
vie comme l'embryon vit au sein de la mère; elles peu-
vent alors prendre les formes les plus horribles pour re-
présenter les désirs effrénés de ceux qui les nourrissent,
et ce sont elles qui apparaissent sous des figures de dé-
mons aux misérables opérateurs des oeuvres sans nom
de la magie noire.
Ces larves craignent la lumière, surtout la lumière des
esprits. Un éclair d'intelligence suffit pour les foudroyer
et les précipiter dans cette mer morte qu'il ne faut pas
confondre avec le lac Asphaltite en Palestine. Tout ce
que nous révélons ici appartient à la tradition hypothé-
tique des voyants et ne peut s'affirmer devant la science
qu'au nom de cette philosophie exceptionnelle que Para-
celse appelait la philosophie de sagacité, philosophia
sagax.
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CHAPITRE IV.
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LE GRAND ARCANE DES ARCANES. 311 •
C'est se vouer à la plus prompte et à la plus terrible
de toutes les morts.
Malheur à qui veut trop savoir! car si la science exces-
sive et téméraire ne le tue pas, elle le rendra fou!
Manger du fruit de l'arbre de la science du bien et
du mal, c'est associer le mal au bien et les assimiler
l'un à l'autre.
C'est couvrir du masque de Typhon le visage rayon-
nant d'Osiris.
C'est soulever le voile sacré d'Isis, c'est profaner le
sanctuaire.
Le téméraire qui ose regarder le soleil sans ombre
devient aveugle et alors pour lui le soleil est noir!
Il nous est défendu d'en dire davantage, nous achè-
verons notre révélation par la figure de trois pentacles :
Ces trois étoiles en disent assez, on peut les comparer
à celle que nous avons fait dessiner en tête de notre his-
toire de la magie, et en réunissant les quatre on pourra
parvenir à entrevoir le grand arcane des arcanes.
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Al 2 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
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La mauvaise étoile
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ÉPILOGUE.
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314 LES GRANDS SECRETS PRATIQUES.
VOUS; j'ai été comme tous les hommes le jouet des pas-
sions humaines, puis je les ai vaincues ou plutôt vous les
avez vaincues en moi, et vous m'avez donné pour *m'y
reposer la paix profonde de ceux qui ne cherchent et
n'ambitionnent que vous.
J'aime l'humarjité parce que les hommes, tant qu'ils
ne sont pas insensés, ne sont jamais méchants que par
erreur ou par faiblesse. Ils aiment naturellement le bien
et c'est par cet amour que vous leur avez donné comme
un soutien au milieu de leurs épreuves qu'ils doivent être
ramenés tôt ou tard au culte de la justice par l'amour de
la vérité.
Que mes livres aillent maintenant où votre Providence
les enverra. S'ils contiennent les paroles de votre sa-
gesse, ils seront plus forts que l'oubli, si au contraire ils
ne contiennent que des erreurs, je sais du moins que
mon amour de la justice et de la vérité leur survivra, et
qu'ainsi l'immortalité ne saurait manquer de recueillir les
aspirations et les voeux de mon âme que vous avez créée
immortelle!
ELIPHAS LÉVI.
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FABLES ET SYMBOLES
AVEC LEUR EXPLICATION
PAR
ELIPHAS LEVI
Transcription Arsène Saint-Agnile (relayé par sa gente dame Andrea) pour le site : www.la-rose-bleue.org
Note : Dans l’ouvrage original les commentaires ne suivent pas les fables, mais font l’objet d’une partie distincte.
Du fait que l’ouvrage a été mis en ligne petit à petit, cet ordre n’a pas été respecté : chaque fable est directement
suivie de son commentaire.
1
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
PREFACE
fable, qu’en élevant les types de la Cigale et de la Fourmi à la hauteur du symbole, nous
n’avons pas prétendu réhabiliter la Cigale de la Fontaine, mais bien faire prévaloir les
généreuses abnégations de l’esprit enthousiaste du beau, sur les mesquines et égoïstes
prévoyances de la prudence matérielle.
Les Fables de la Fontaine représentent la philosophie des instincts. C’est le Sauve qui peut
général du vieux monde. Suivant lui, la raison du plus fort est toujours la meilleure ; mais le
bonhomme ne devine pas que le plus fort devant les lois éternelles de la Providence, c’est en
définitive le plus juste, et que l’agneau doit triompher du loup qui le dévore.
Quelle différence y’a-t-il entre l’agneau allégorique de la fable de la Fontaine et l’agneau
également allégorique qu’on figure sur nos autels ? l’un représente la faiblesse toujours
vaincue, l’autre la douceur définitivement victorieuse. L’un est une pauvre bête lâchement
opprimée, l’autre est un Homme-Dieu généreusement sacrifié ; l’un est l’esclavage sans
espérance du vieux monde, l’autre est la rédemption du monde chrétien.
La morale de la Fontaine est donc celle des instincts. Elle est essentiellement naturelle et ne
s’élève guère jusqu’aux aspirations divines. C’est, si l’on peut parler ainsi, la comédie animale
de l’humanité. Cette comédie se termine par une aspiration mélancolique à la retraite et au
recueillement dans la belle fable du Juge arbitre, de l’Hospitalier et du Solitaire. Nous
reprenons l’œuvre où il l’a laissée et les animaux allégoriques, humanisés par lui, spiritualisés
par nous, deviennent pour nous des symboles.
Ce symbolisme nous ne l’avons pas inventé, il appartient à cette ancienne et vénérable
initiation dont nous avons retrouvé les clefs enfouies et oubliées depuis des siècles. Il appartient
à Pythagore dont les admirables symboles ont été si souvent si mal compris. Ne mangez pas les
fèves, disait-il, parce que c’était avec des fèves qu’on votait alors dans les assemblées
publiques. Il voulait donc dire : n’exploitez pas vos droits d’électeurs ou de juges et ne spéculez
pas sur votre suffrage. Ne tuez pas le serpent qui est tombé dans votre cour. Quel touchant et
généreux précepte ! Ne brisez pas les couronnes. En effet, les couronnes sont des puissances,
on peut se les disputer, on peut les déplacer, mais on ne les brise pas impunément ; une nation
qui les brise doit tôt ou tard les remplacer, et le peuple sait ce qu’il en coûte.
Cette maxime symbolique veut dire aussi : respectez la gloire des morts et la royauté du
malheur.
Plusieurs de nos symboles ont été extraits par nous des évangiles apocryphes, des traditions
rabbiniques et des légendes du Talmud. Parmi les évangiles apocryphes, ceux des premiers
gnostiques sont d’admirables symboles kabbalistiques, car les grands hiérophantes du
christianisme étaient initiés à la kabbale. L’Apocalypse de saint Jean, les livres de saint Irénée,
ceux de saint Clément d’Alexandrie, ceux de saint Denys l’Aréopagite, ceux enfin du savant et
poétique Synésius le prouvent mieux que toutes nos assertions. Le Talmud, cette clef occulte de
la tradition, explique les symboles par d’autres symboles, il exagère les allégories de la Bible
pour bien faire comprendre que certains récits de ce livre divin ne doivent pas être pris à la
lettre. Ainsi la science, cet arbre dont le fruit usurpé et profané donne la mort, le serpent qui
glisse la désobéissance et l’orgueil dans le cœur de la femme, les animaux qui parlent pour
réprimander les prophètes infidèles, pour montrer que les instincts sont des guides plus sûrs que
l’intelligence dévoyée ; quelque chose de moins encore que l’animal, un débris de l’animal
mort, une mâchoire d’âne devenant tour à tour une arme victorieuse et une fontaine salutaire
dans la main de la force que Dieu guide ; tout cela n’est et ne peut être pris qu’en symbole, et
ainsi tombent d’elles-mêmes les railleries si passionnées mais trop naïves de Voltaire.
C’est donc la haute philosophie cachée dans le symbolisme des anciens que nous révélons
dans nos fables. Mais nous ne voulons pas qu’elle y reste cachée. C’est pourquoi, nous
chargeant nous-même du rôle si délicat de commentateur, nous avons joint à chaque fable une
explication pleine et entière, afin que notre livre serve d’introduction et de base à toute la
3
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
philosophie occulte dont nous nous proposons d’aplanir toutes les difficultés et de révéler tous
les mystères. Après ce livre un autre viendra que nous appellerons LA SCIENCE DES ESPRITS et
qui étonnera ceux qui ne peuvent croire au merveilleux, tout en donnant une pleine satisfaction
à l’avidité des chercheurs.
Quelques partisans aveugles des doctrines du spiritisme nous ont accusé de ne pas croire
aux esprits. C’est en publiant la Science des esprits que nous leur répondrons en leur rappelant
que la science n’exclut pas la foi quand la foi veut bien ne pas nier la science. D’autres nous ont
demandé des miracles et nous ne les renvoyons pas au prophète Jonas, comme fit un plus grand
que nous dans une circonstance pareille ; mais nous leur rappellerons que le grand initiateur des
chrétiens ferma un jour la bouche à l’esprit de dénigrement et de mensonge qui le défiait
d’éprouver sa puissance et de se précipiter du haut du temple en bas pour forcer les anges à le
soutenir, et qu’il le confondit en lui disant : Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton
Dieu ! Ce fut alors que dans le silence du désert et loin des regards jaloux du tentateur, les
anges s’approchèrent et le servirent.
4
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
LIVRE PREMIER
FABLE PREMIÈRE
LE POETE ET LA CIGALE.
LIVRE PREMIER
SYMB0LE PREMIER
LE POETE ET LA CIGALE.
Dans le symbolisme hiéroglyphique des anciens la cigale représente les aspirations vers la
divinité, elle annonce le printemps, elle tient de la sauterelle, et du scarabée qu’on voit souvent
gravés parmi les signes sacrés de I'Égypte. Anacréon l'a chantée dans une ode qui est presque
un hymne. La fourmi au contraire est un signe typhonien ; elle tient de la mouche consacrée à
Beelzebub, et cela est si vrai qu’une variété de fourmis porte des ailes. Les fourmis s’entre-
détruisent, se dévorent entre elles et piquent ceux qui les touchent. La Fontaine avait donc
raison de dire que l'avarice égoïste est le moindre défaut de la fourmi : elle en a en effet bien
d'autres. Notre fable qui place l'homme entre ces deux symboles, représente la lutte des deux
penchants opposés de la vie humaine, l'aspiration céleste et l'instinct matériel, la chanson de
l'idéal et la morsure du positif, et c'est définitivement l'idéal qui remporte tout l'avantage.
C'est en effet l'idée affranchie des intérêts saluant l'avenir, comme la cigale salue le
printemps, qui décide des intérêts mêmes. Les grands courants d'opinion sont soulevés et
conduits par les idées généreuses qui excitent l'enthousiasme. La foi est le levier d'Archimède,
lorsqu'on a un point d’appui dans le ciel, on remue et l'on déplace la terre.
La foi est donc le premier principe de la philosophie occulte que nous définirons la science
des lois et des forces exceptionnelles de la nature.
L'être est. Dans l'être est la vie; dans la vie l'intelligence, non comme accessoire, mais
comme principe.
Ceci nous mène droit à la connaissance de Dieu.
Les lois de la vie universelle sont les lois données par l’universelle.
L'intelligence particulière subit ces lois générales et en est l’esclave tant qu'elle ne les
approprie pas à ses usages particuliers.
Il est donné à l’homme un petit monde à régir par sa volonté. Si sa volonté n'est pas libre,
il subit les lois fatales qui le traitent en esclave et tendent à le résorber dans la mort, car
l'intelligence universelle travaille à détruire les esclaves et à créer des hommes libres.
Le propre de l’intelligence, dégagée des instincts, est le dévouement. Le ciel en morale,
c'est l'harmonie des sentiments généreux, et la terre ou l'enfer c’est le conflit des instincts
lâches.
Celui qui veut user en lâche de la puissance occulte sera dévoré par elle. La lumière
universelle, qui est le grand agent des prodiges, est le feu de l’enfer pour les méchants.
Nous représentons ici l'initié sous la figure d'un poète. En effet, poésie vent dire création et
l'initié est un véritable créateur. Il donne la lumière et conserve la vie à ceux mêmes qui le
persécutent, il ne se venge que par des bienfaits. Ses enchantements des chants en l'honneur de
Dieu et de la nature, et lorsqu’il a conservé la vie au profane qui le méconnaissait et voulait le
condamner à la misère et à la réprobation, il peut dire comme la cigale de notre fable :
FABLE II
Et la raison de l’opprimé
Devient tôt ou tard la meilleure.
7
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
SYMBOLE II
FABLE III
LE FAKIR ET LE BRAMIN.
SYMBOLE III
LE FAKIR ET LE BRAMIN.
FABLE IV
SYMBOLE IV
L’homme terrestre qui fuit la lumière comme le rat recommence toujours les mêmes
fautes, et il n’y a point pour lui de progrès ; la terre attire la putréfaction pour se nourrir de
fumier, et malgré les leçons de l’histoire et l’enseignement des sages, les plus grossiers appâts
allècheront toujours les instincts de la multitude ignorante. Ces instincts, il faut les réprimer par
la contrainte, il faut se rendre maître des animaux nuisibles ; l’homme seul est digne de la
liberté. Prenez donc les insensés au piège de leurs propres vices pour les mettre hors d’état de
nuire. Les anarchistes seraient trop redoutables s’ils pouvaient être disciplinés, mais
heureusement discipline et anarchie sont deux mots qui ne s’accordent pas. Le jeune homme
qui méprise les anciens et qui veut marcher seul, marche seul en effet ; il est hors de la société ;
il est hors la loi qui protège et tombe sous la loi qui réprime. Prêchez le désordre tant qu’il vous
plaira, la nature a créé une hiérarchie, et elle la maintient.
L’autorité, cette grande chose si méconnue de nos jours, est appuyée sur la sagesse et
l’intelligence, comme le Keter des Hébreux sur Chocmah et Binah. (Voy. notre Dogme et
Rituel de la Haute Magie.) L’autorité sanctionne l’honneur qui repose sur le dévouement et la
justice comme Tiphereth sur Gedulah et Geburah. L’honneur se base sur la vérité sociale qui
est l’alliance de l’ordre et du progrès, de la loi et de la liberté, du pouvoir et du devoir, et cette
vérité constitue la vie morale de l’humanité.
Ceci est l’explication et l’application philosophique des nombres sacrés de la kabbale dont
nous avons donné dans nos précédents ouvrages le sens hiératique et mystérieux.
12
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE V
Misanthropes et paresseux,
Qui rampez toujours terre à terre,
Et ne rencontrez que misère,
Turpitudes, boue et poussière,
Redressez-vous, levez les yeux :
Ce monde, que toujours votre vanité blâme,
N’est pas le trou de taupe où l’ennui vous surprend ;
Gravissez la montagne, élargissez votre âme,
Cessez d’être petits, le monde sera grand.
13
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
SYMBOLE V
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, dit le symbole d’Hermès gravé sur la table
d’émeraude. C’est ainsi que l’harmonie résulte de l’analogie des contraires. La forme est
analogue à la pensée, l’ombre à la lumière, le vêtement au corps, le fourreau au glaive, le
négatif au positif. Quand le soleil fait resplendir la cime des montagnes, l’ombre descend plus
épaisse dans les vallées, et quels seraient les honneurs de la science et du génie sans la profonde
ignorance des multitudes ? Est-ce à dire qu’il faut perpétuer cette ignorance ? Non, la nature y a
pourvu, et comme dit l’évangile de saint Jean, la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne
la comprennent pas, pourquoi ? A cause de l’obstacle. Que faire donc pour éclairer la vallée ?
Oter la montagne. C’est bien simple, mais c’est difficile. Or, c’est ici le lieu d’imiter le mot
célèbre prêté par la tradition à Mahomet : Si la montagne ne veut pas descendre, gravissons la
montagne !
Les ténèbres sont en bas, la lumière en haut et le crépuscule au milieu : à travers ces trois
atmosphères plonge et s’élève l’échelle mystérieuse de Jacob. Ceux d’en bas, qui aspirent à la
lumière d’en haut, doivent s’efforcer de monter, mais ils ne feront jamais que la zone des
ténèbres soit la zone de la lumière. Il y a des degrés d’intelligence et de vertu comme il y a des
degrés d’âge, et les partisans de l’égalité absolue voudraient que l’on traitât les enfants comme
des hommes faits. Notre devoir envers les enfants ce n’est pas de leur persuader qu’ils sont
grands, c’est de les aider à grandir.
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Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE VI
LE CHEVAL ET LE BŒUF.
SYMBOLE VI
LE CHEVAL ET LE BŒUF.
FABLE VII
L’HARMONICA ET LE ROSSIGNOL.
(A M. Alphonse de Lamartine.)
Un harmonica résonnait,
Sans jeux de mots je prends la chose,
Il prétendait donc, et pour cause,
Que le rossignol détonnait.
- Oh ! les mauvaises chansonnettes
Que celles de ce triste oiseau !
Il n’a pas ce timbre si beau,
Ces notes si claires, si nettes,
Cet accent cristallin dont je puis me vanter.
On s’endormait à l’écouter.
La nuit commençait à répandre
Son calme et ses parfums ; alors d’une voix tendre
Un oiseau préluda, puis se mit à chanter.
C’était une chanson douce, naïve et pure
Comme l’âme de la nature ;
Les pleurs venaient aux yeux, le cœur était charmé :
Tout se fondait en mélodies ;
Les âmes les plus refroidies
Se souvenaient d’avoir aimé.
L’harmonica tintait toujours avec colère,
Mais un bon vieillard le fit taire
En lui disant : - Machine à bécarre et bémol,
Tu fais du bruit sans rien comprendre ;
Le rossignol pourrait t’entendre,
Mais toi tu n’entendras jamais le rossignol.
SYMBOLE VII
L’HARMONICA ET LE ROSSIGNOL.
FABLE VIII
LE CHIEN ET LE LOUP.
SYMBOLE VIII
LE CHIEN ET LE LOUP.
Nous avons déjà représenté la tyrannie par le loup. Ici nous le prenons pour le symbole de
l’anarchie. Qu’est-ce en effet qu’un tyran ? C’est un anarchiste couronné. L’anarchiste est celui
qui prend pour la liberté l’exemption ou l’infraction du devoir. C’est celui qui méconnaît
l’autorité d’une manière absolue et universelle, même l’autorité de la vérité et de l’honneur.
C’est l’homme insociable, c’est le sauvage, c’est l’enfant révolté contre son père, c’est
l’individu qui s’isole en se concentrant dans son égoïsme et dans son orgueil. Cet homme ne
saura jamais commander, il ne saura qu’opprimer, parce qu’il n’a jamais su obéir ; il porte avec
impatience l joug du travail, il est jaloux de l’intelligence, il nie la science, il n’écoute jamais
les instructions que comme des outrages à son ignorance, et toute lumière le brûle au lieu de
l’éclairer ; il voudrait courber toutes les têtes sous le niveau de sa propre stupidité. S’il est
empereur, il peut s’appeler Caligula ; s’il est tueur de roi, il s’appellera Marat ou Fieschi.
Ce sont de pareils hommes qui nous font comprendre la valeur sociale du gendarme. C’est
contre de pareils loups que les bergers du troupeau des hommes doivent lancer leurs chiens.
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Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE IX
LA COLLINE ET LA MONTAGNE.
On y construit, on y fonde
Des palais et des autels :
Les dieux sur sa verdure attirent les mortels ;
Elle est, enfin, l’oracle et la reine du monde.
La richesse fertile y vient de toute part,
Les rois lui font la cour et laissent à l’écart
Ces grands monts éternels nourriciers des orages
Qui passent les nuages
Et que le Très-Haut seul domine d’un regard.
SYMBOLE IX
LA COLLINE ET LA MONTAGNE.
Il n’est pas de vraie puissance sans actions ; l’orgueil qui se croit au-dessus de tout le
monde est moins grand que le vrai mérite qui se met au niveau du devoir sans jamais prétendre
à s’élever au-dessus. Ce n’est point l’élévation aride des montagnes qui fait leur grandeur ;
l’Olympe est peut-être plus escarpé que le Parnasse, mais c’est le Parnasse qui fait la gloire de
l’Olympe.
Le Calvaire n’est qu’un monticule et il est mille fois plus grand que le pic de Ténériffe.
Quelle cime des Apennins ou des chaînes du Caucase s’égalera jamais à la grandeur du
Capitole ? Quel entassement de montagnes, rêvé par les Titans de la fable ou de l’histoire,
pèsera jamais sur le monde autant que la simple colline du Vatican ?
La révolution française eut aussi sa montagne sanglante et terrible qui est restée moins
grande dans la poésie de l’histoire que le mélancolique et morne rocher de Sainte-Hélène.
Dieu a foudroyé les cimes du Sinaï et du mont Horeb et il a établi son temple sur la colline
de Sion.
21
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE X
SYMBOLE X
Notre fable est une application et une explication du symbole de Pythagore : « Ne brisez
pas, ou ne déchirez pas les couronnes. »
Béranger ne réalise pas pour nous l’idéal de la perfection humaine. Le chantre de madame
Grégoire et de Lisette, le pontife grivois d’un bon dieu en bonnet de coton, n’est, on peut bien
le comprendre, ni notre modèle, ni notre héros ; mais Béranger était un homme de cœur, un
honnête homme, un vrai talent, et en prenant sa défense, nous voulons proclamer l’inviolabilité
de la gloire et des tombeaux.
23
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XI
LE PHENIX ET LA COLOMBE.
SYMBOLE XI
LE PHENIX ET LA COLOMBE.
FABLE XII
LE PEINTRE ET LE CRITIQUE.
SYMBOLE XII
LE PEINTRE ET LE CRITIQUE.
Il n’y a d’immoral que le mensonge ; le vrai est toujours moral. Ceci peut sembler un
paradoxe et c’est un axiome incontestable de la plus haute philosophie.
Nous ne prétendons pas que la peinture vraie du vice ou du crime puisse être présentée
sans danger ; mais nous affirmons que le mal qui pourrait en résulter porte avec lui son remède,
puisque le vice et le mal, lorsqu’ils sont fidèlement représentés, ne peuvent avoir qu’un attrait
fortement combattu par l’épouvante et l’horreur.
Nous ne pensons pas que personne soit jamais tenté d’imiter Néron tuant sa mère. Les
Césars de Suétone sont les damnés du plaisir, impuissants qui se tordent dans l’enfer du monde
romain, et si quelque chose nous fait adorer et même envier les douleurs du Christ sur le
calvaire, ce sont les voluptés de Tibère dans son exil de Caprée.
27
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIII
LE SOLEIL ET L’ETOILE.
(A madame la comtesse de Mniszeck).
SYMBOLE XIII
LE SOLEIL ET L’ETOILE.
Les âmes humaines ont leur lumière spéciale comme les corps. Il existe un magnétisme
rayonnant qui rend l’approche de certains êtres consolant comme la grâce céleste, ou
désespérant comme l’enfer. L’atmosphère des femmes trouble ordinairement le cœur des
hommes, mais il est des natures exceptionnelles qui tiennent de l’ange plus que de la femme et
qui vous purifient en vous approchant ; natures tellement supérieures et harmonieuses qu’elles
rendent digne d’elles l’enthousiasme respectueux qu’elles inspirent. Ces femmes sont les
preuves vivantes des vérités de la foi, car on respire dans le parfum de leur grâce, leur regard
est doux et profond comme le ciel pur ; leur voix est certainement un écho d’un monde
meilleur, et leur sourire est un parfum qui vient de Dieu.
29
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIV
LE VOYAGEUR ET LE GOURMAND.
SYMBOLE XIV
LE VOYAGEUR ET LE GOURMAND.
Si l’amour du merveilleux n’était pas chez la plupart des hommes le goût de l’absurde, il se
convertirait en amour de la nature : mais la nature est soumise à des lois, elle proportionne les
effets aux causes, et voilà ce que notre imagination déréglée ne veut pas. L’autorité de la raison
étant la plus inflexible des autorités, notre penchant à l’anarchie se fatigue de la raison, et nous
croyons plus volontiers à un Dieu capricieux qu’à un Dieu juste. Entre capricieux, en effet, on
peut s’entendre. On peut fléchir un despote par des dons ou par des bassesses ; mais la justice !
Quelque chose de flexible comme une proportion mathématique, quelle miséricorde en
espérer ? Avec elle on est forcé d’être juste, et c’est ce que nous ne voulons pas.
Dieu fait tout avec le nombre, le poids et la mesure, dit l’Ecriture sainte, et nous
comprenons mal sa bonté si nous la séparons de sa justice qui est aussi sa justesse. Nous avons
beau faire en mathématiques des erreurs plus ou moins volontaires, si nous comptons mal, la
nature compte bien, la souveraine raison ne s’émeut pas de nos folies, ce qui est injuste sera
éternellement injuste, la vérité ne transige pas avec l’erreur
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Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XV
SYMBOLE XV
Cette touchante et profonde parabole qui contient tout le génie du christianisme, est
empruntée aux légendes rabbiniques. Elle était digne de figurer dans les Evangiles et le héros
de la légende devait être le Christ lui-même. Voilà une théorie de l’amour que n’ont devinée ni
M. Michelet ni les autres écrivains de notre temps qui ont divagué sur l’amour. On pourrait dire
que l’amour, comme la lumière créatrice qui le produit, se révèle par deux forces contraires, il
est absorbant ou rayonnant. L’amour absorbant n’est que l’amour négatif ; c’est pour l’âme un
enfer lorsqu’il ne rencontre pas l’amour rayonnant, car c’est alors une nuit sans espérance et
sans étoiles, c’est une soif de Tantale, c’est la faim insatiable d’Erésichthon ; mais l’amour
rayonnant est comme le soleil, sa vie est de s’échauffer et d’éclairer, mais il rayonnerait encore
quand même il serait seul. Est-ce que le soleil s’éteint lorsqu’il est quitté par les comètes qui
viennent boire ses splendeurs et qui s’empressent ensuite de s’éloigner pour briller seules ?
L’amour rayonnant ressemble à la tendresse de la mère qui ne s’épuise jamais, soit que ses
enfants la quittent, soit qu’ils reviennent, soit que de nouveaux enfants lui soient donnés pour
partager son lait et son amour. Deux choses sont ordinairement nécessaires dans les habitudes
vulgaires pour faire du feu ; il faut du feu et il faut du bois ; il en est de même en amour, il y a
des cœurs de feu et des cœurs de bois. Les premiers aiment toujours et vivent de leur amour, les
seconds en meurent.
33
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVI
SYMBOLE XVI
FABLE XVII
PROMETHEE ET MERCURE.
SYMBOLE XVII
PROMETHEE ET MERCURE.
Et pourtant il est beau d’avoir ravi le feu du ciel, dût-on subir à travers les âges le supplice
de Prométhée !
Est-ce Prométhée qui est cloué au mont Caucase ou le mont Caucase, le berceau des
hommes, qui est cloué à Prométhée ? Si le géant se lève, n’entraînera-t-il pas le monde
suspendu à ses clous ensanglantés ?
Jupiter envoie un vautour à Prométhée et ce vautour, nourri des fortes entrailles du Titan,
devient un grand aigle qui étranglera un jour l’aigle de Jupiter.
L’humanité est figurée par Prométhée, elle est figurée aussi par ce supplicié immortel qui
étend ses bras entre le ciel et la terre, et qui fait de son gibet une échelle plongeant son pied
dans la nuit des enfers.
Quand les pontifes et les satellites de Pilate le croient mort, il sort de sa tombe, il descend
aux enfers, il en brise les portes, et il remonte à la lumière entraînant captive la vielle servitude,
comme Hercule, libérateur d’Alceste, tirait après lui avec une forte chaîne le chien à trois têtes
du Ténare.
Les noms changent suivant les temps et les contrées, mais le symbolisme est toujours le
même.
L’homme doit être esclave d’abord pour apprendre à désirer et à conquérir la liberté. Il doit
souffrir pour vaincre la souffrance, il doit faire le mal qu’il prend pour le bien, et souffrir la
peine de son erreur pour arriver à la science du bien et du mal et pour choisir librement le bien.
Mais que ce soit le mal ou le bien, il faut qu’il fasse quelque chose. La vie est à ce prix,
celui qui ne fait rien est un cadavre.
Celui qui fait le bien parce qu’il a peur d’un châtiment n’est encore qu’un vil esclave. Est-
ce que la peur est une vertu ?
Menacer un homme de cœur c’est l’engager à faire ce qu’on lui défend.
Si l’enfer devait être le partage de l’intelligence courageuse qui lutte au nom de la raison,
et si le ciel était réservé à la stupidité craintive qui obéit au nom du mystère, les gens d’honneur
et de cœur devraient tous aller en enfer et l’enfer serait alors le ciel.
37
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVIII
L’HERITAGE DU LION.
SYMBOLE XVIII
L’HERITAGE DU LION.
Les univers sont les monarchies des soleils, les soleils ont sans doute des archi-soleils pour
monarques.
La terre est une monarchie de l’homme, les facultés morales de l’homme sont la monarchie
de sa volonté, le corps humain est une monarchie : il n’a qu’une tête et qu’un cœur.
La famille est une monarchie. Si le père n’est pas un monarque, il n’est rien et la famille
n’existe plus.
Toute la force d’une société quelconque réside dans l’unité et dans la puissance de son
chef. Deux chefs, c’est la division. Un chef dont le gouvernement est contrôlé par la multitude
est un simulacre de chef, c’est la multitude qui gouverne.
Mais la multitude étant la chose gouvernable, comment peut-elle gouverner ?
Comment s’entendrait-on dans une école où chaque écolier serait le maître ?
Un maître, fût-il mauvais, vaut mieux que vingt maîtres à la fois ; et que serait-ce si, au lieu
de vingt, il y en avait vingt mille ou vingt millions ?
On dit que les rois s’en vont en Europe, mais ceux-là seuls s’en vont qui représentent le
caprice, le bon plaisir ou l’anarchie. Au-dessus des rois de hasard il y a les lois, et c’est par les
lois que doivent régner les souverains vraiment légitimes.
Donnons un nouveau sens au mot légitimité, ou plutôt rendons-lui son sens véritable. Un
roi légitime c’est celui qui règne au nom de la loi.
Un roi légitime, c’est la liberté couronnée parce qu’il est le représentant de l’ordre qui
protège la liberté.
Les républiques ne sont pas des gouvernements, ce sont des crises sociales. Quand le
pouvoir, semblable au rocher de Sisyphe, échappe aux bras qui veulent le pousser trop haut, il
retombe et roule de nouveau au bas de la montagne ; c’est ce qu’on appelle une révolution.
Mille bras alors viennent ébranler le rocher, c’est la république ; vient un plus fort qui le
soulève ; c’est l’empire : celui qui parviendra à le fixer sur le sommet de la montagne, soit sous
le nom d’empire, soit sous un autre nom, celui-là aura rétabli la royauté.
Les révolutionnaires ou les républicains sont ceux qui voudraient voir retomber le pouvoir
pour y mettre la main à leur tour, et qui veulent essayer de soulever aussi le rocher de Sisyphe.
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Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIX
L’HIRONDELLE ET LE MOINEAU.
SYMBOLE XIX
L’HIRONDELLE ET LE MOINEAU.
Nous sommes loin de conseiller ou de justifier la séparation entre époux. Le mariage est
sacré et indissoluble : les véritables époux ne se séparent jamais.
Les amourettes volages appartiennent aux mœurs de la vie animale. Un homme digne de ce
nom et une femme digne d’être une mère ne se reprennent pas après s’être donnés. L’homme
qui abandonne sa femme est un lâche. La femme qui abandonne son mari est une prostituée.
Que faire pourtant lorsqu’on s’est trompé en se croyant faits l’un pour l’autre ? Que faire
quand la vie commune est un supplice ? Il faut, tout en se séparant matériellement, rester
fidèles et dévoués l’un à l’autre. Tels sont les principes de la morale qui ne transige jamais avec
les faiblesses humaines. Les infidélités conjugales sont des chutes et des misères qui
appartiennent à l’animal ; les véritables et irréparables infidélités sont celles de l’esprit et du
cœur.
Si Desgrieux était le mari de Manon Lescaut au lieu d’être son amant, il serait sublime
lorsqu’il l’accompagne dans son exil, mais Manon Lescaut mariée serait tellement infâme
qu’elle n’oserait plus revenir à Desgrieux : il lui resterait pour triste ressource de lever la tête,
d’afficher sa honte ou de la couvrir d’hypocrisie en faisant la prude et en disant qu’elle a quitté
Desgrieux parce que c’était un abbé défroqué et un libertin.
Elle rendrait alors un véritable service au pauvre Desgrieux qui la pleurerait comme
morte,… et qui la suivrait peut-être encore en Amérique, mais repentante, rachetée par
l’expiation, purifiée enfin pour commencer une vie nouvelle dans un nouveau monde.
Si la Béjard eût quitté Molière en le calomniant et en l’outrageant, notre grand comique ne
fût peut-être pas mort si jeune et eût laissé quelques chefs-d’œuvre de plus.
41
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XX
L’AIGLE ET LE HIBOU.
SYMBOLE XX
L’AIGLE ET LE HIBOU.
FABLE XXI
LE RENARD ET LE CHACAL.
FABLE XXII
Il est des hommes qui jettent l’injure sur les tombes illustres et des couronnes aux pieds des
plus ignobles courtisanes ; des hommes qui briseraient volontiers les statuts des pères de la
patrie et qui élèvent l’impureté sur le pavois. Ne leur disons rien et laissons-les passer. Le règne
de la bête doit avoir son temps.
45
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXIII
SYMBOLE XXIII
FABLE XXIV
LE PELICAN ET LA CIGOGNE.
Un pélican célibataire
Crut entendre un écho gémir au fond d’un bois.
« Parricide, criait la voix,
Qu’as-tu fait du sang de ton père ? »
Il songea que son père, étant près de mourir,
S’était saigné pour le nourrir ;
Le remords s’empara du rêveur solitaire.
Chez la cigogne il s’en alla,
Et de ses chagrins lui parla.
La cigogne est, dit-on, l’oiseau de la famille :
Aux toits son nid porte bonheur ;
Elle attire au foyer qui brille
L’innocence et la paix du cœur.
Elle dit doucement : - Pélican, mon compère,
Prends une compagne, il est temps.
Débiteur du sang de ton père,
Tu dois le rendre à tes enfants.
SYMBOLE XXIV
LE PELICAN ET LA CIGOGNE.
FABLE XXV
SYMBOLE XXV
L’être, le mouvement perpétuel résultant des forces équilibrées, la vie et ses lois, la nature
enfin, tel est le résumé des symboles de notre premier livre. Mais la vie est intelligente, la
nature obéit à une direction suprême, nous le sentons, nous sommes forcés de le croire. Cette
direction émane d’une cause suprême, d’une cause inconnue, nous nous inclinons et nous
nommons Dieu.
Tout n’était que chaos et confusion dans nos pensées, l’affirmation et la négation se
heurtaient, le doute mortel succédait aux luttes insensées des forces sans direction ; nous avons
nommé Dieu, et la science prend un corps, la pensée humaine s’organise, le génie humain s’est
donné une tête : il a nommé Dieu !
Les hommes ne sont plus ennemis, ils ne sont plus rivaux, ils sont les enfants d’un même
père. La liberté par la loi, l’égalité par l’accomplissement du devoir constituent la fraternité. La
société devient un corps vivant et immortel car elle s’est donné une tête vivante et immortelle :
elle a nommé Dieu !
Ce Dieu nous le rêvons à notre image et l’idée que nous nous formons de lui n’est que
l’idéal humain exalté, le besoin de le mieux connaître et de l’aimer nous fait agrandir notre
idéal, le progrès commence avec la recherche de Dieu, et plus l’homme grandit, plus Dieu
s’élève.
Les peuples se font des idoles et les brisent, l’enfer se peuple de dieux tombés jusqu’à ce
que la parole du grand initiateur se fasse entendre : Dieu est esprit et il faut l’adorer dans
l’esprit de la vérité !
Le plus grand parmi les disciples du maître vient dire à son tour :
« Dans l’éternité vivante existe la parole, et la parole est en Dieu et la parole est Dieu.
Elle est la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde. »
Croyons en lui, mais ne le définissons pas. Un Dieu défini c’est un Dieu fini.
Il est au-dessus de toutes les idées, de toutes les formes, de toutes les abstractions, de tous
les nombres.
Il n’est ni le premier ni le dernier des êtres, car il est plus que tous les êtres.
Il n’est pas l’être, car l’être vient de lui.
Il n’est donc ni l’être ni un être, il est l’auteur de l’être et des êtres.
Il est tout, mais tout n’est pas lui.
Pour aller à lui, dit saint Paul, il suffit de croire qu’il est et qu’il récompense ceux qui le
cherchent.
Et où faut-il le chercher ?
- Dans la vérité et la justice, puis dans l’amour de l’humanité, dit saint Jean.
Personne, ajoute-t-il, n’a jamais vu Dieu, mais celui qui n’aime pas son frère qu’il voit,
comment aimera-t-il jamais un Dieu qu’il ne voit pas ?
Il faut aimer pour croire, la foi est la confiance de l’amour.
51
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
LIVRE II
FABLE PREMIERE
Un missionnaire autrefois,
A force de soins et de peine,
Traduisit en bon iroquois
Une fable de la Fontaine.
Un jongleur savant et profond,
Car il savait à peu près lire,
A ses concitoyens apprend pour les instruire
Ce poème qui les confond,
Une fourmi parlant à une cigale !
C’était une fourmi sans doute sans égale ;
Une déesse, un manitou !
On ne peut douter de l’histoire ;
Elle vient d’un grand saint, d’un homme en robe noire.
Voilà le peuple à moitié fou :
A la fourmi l’on dresse un temple
Paré des plus vives couleurs ;
Aux jeunes gens, aux beaux parleurs,
On la propose pour exemple.
Un voyageur passe par là ;
Il voit le nouveau culte, il rit de l’algarade,
Et jure à la sotte peuplade
Que jamais une fourmi ne parla.
- Eh quoi ! c’était une sottise
Que le saint nous avait apprise,
Dit le peuple irrité. – Non, répondit le passant,
C’est une belle fable, on me la fit apprendre
Comme à vous quand j’étais enfant.
Ce qu’elle enseigne est vrai, mais il faut la comprendre.
LIVRE II
SYMBOLE PREMIER
Sous les symboles divers de tous les âges, de tous les peuples et de tous les cultes, la même
philosophie est cachée.
Le trimourti de l’Inde, le triangle d’Hermès qui porte les noms d’Osiris, d’Isis et d’Horus,
la triade sacrée de Pythagore symbolisée dans les fables helléniques par le triple Jupiter, par la
triple Parthénie et par les trois grâces, représentent les grandes forces équilibrées de la nature.
La savante Egypte n’a pas plus adoré le chien sous la figure d’Anubis ou le chat sous le
symbole d’OElurus, que nous n’adorons la colombe qui figure le Saint-Esprit, l’agneau
hiéroglyphique du sacrifice et de la lumière, et le pain qui est le sacrement de l’universelle
charité.
Mais d’âge en âge la science s’oublie, les signes restent comme des lettres qu’on ne sait
plus lire, et l’ignorance insulte à un symbolisme matérialisé par une autre ignorance.
Lucien se moque des dieux de l’Olympe et de leurs ridicules amours, il insulte au fuseau
d’Hercule, comme Voltaire à la mâchoire d’âne de Samson et aux tartines d’Ezéchiel.
Comme si Hercule enivré par Omphale, et Samson vaincu par Dalila n’étaient pas un seul
et même symbole.
Les Juifs accusent les Egyptiens d’adorer les oignons, les Romains accusent les Juifs
d’adorer la tête d’un âne, les chrétiens accusent les Romains d’adorer tout excepté Dieu.
Dupuis accuse les chrétiens d’adorer un dieu de farine. Partout la même ignorance ou la même
mauvaise foi, et l’on retrouve partout ce même ennemi de la vraie religion que saint Jean
appelle symboliquement la bête et que nous appellerons philosophiquement la bêtise.
Faut-il pour cela proscrire le symbolisme ? Faut-il jeter au feu les fables de la Fontaine,
parce que des enfants stupides croient que réellement les bœufs et les ânes ont parlé ?
Les fables ont pour but d’instruire les enfants et non de propager le culte des ânes ou les
âneries des croyants aveugles.
Faut-il brûler les livres d’algèbre parce qu’il y a une multitude de personnes qui n’y
comprennent rien ?
Le symbolisme est une science comme l’algèbre et analogue même à l’algèbre, car, sous
des signes convenus, il représente d’une manière abstraite des idées exactes comme les
nombres et représentées même souvent par des nombres.
Le kabbaliste polonais Wronski, représentant par Fx le connu et l’inconnu, pose ainsi en
caractères algébriques le problème universel de la philosophie occulte.
Fx=A0Ω0+A1Ω1+A2Ω2+A3Ω3…
Ce qui signifie : l’être est proportionnel à l’être, ou l’infini égale toutes les qualités
possibles, ou encore, les propriétés absolues de l’être sont proportionnelles au besoin absolu de
tous les êtres, d’où l’on peut déduire cet axiome : la nécessité de l’être infini suppose le progrès
indéfini des êtres.
53
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE II
SYMBOLE II
Les mathématiques éternelles règlent la vie, mais seules elles ne sont pas la vie ; elles ont
pour contrepoids équilibrant l’amour éternel, le père de la poésie.
FABLE III
PYGMALION.
SYMBOLE III
PYGMALION.
L’amour est une toute-puissance lorsqu’il s’agit de réaliser le possible, c’est une fatalité et un
vertige mortel lorsqu’il s’obstine à la réalisation de l’absurde.
Ce que vous voulez avec amour vous le pouvez si la nature le peut, c’est-à-dire si votre
volonté n’est pas en désaccord avec l’éternelle raison.
Les transformations de la magie et de la chimie hermétique ne sont que le développement
artificiel des germes naturels. On ne fait pas de l’or, on aide la nature à en faire.
Le problème résolu par la magie d’Hermès est celui-ci :
« Accumuler et fixer dans un corps artificiel le calorique latent, de manière à changer la
polarisation moléculaire de corps naturels par leur amalgame avec le corps artificiel. »
Celui de la magie prodigieuse peut se formuler ainsi : « Déprimer ou exalter le principe des
formes de manière à en changer les apparences. »
On voit par cette définition que les prodiges de la magie fascinatrice ne sont en effet que des
prestiges.
On peut s’exalter au point de prendre une statue pour une femme. Mais on ne fera jamais en
réalité qu’une statue soit une femme, ni qu’une femme soit une statue.
On peut monter la tête d’une fille de marbre et la faire agir comme si elle aimait ; on ne lui
donnera jamais un cœur.
Jouir des illusions sans en être dupe, là est le grand arcane de la magie.
Celui qui crée l’illusion sans la subir commande au vertige et à l’enfer ; celui qui la subit est
entraîné par le vertige.
L’un est le magicien qui enchaîne le diable, l’autre est le sorcier à qui le diable finit toujours
par tourner la tête et tordre le cou.
58
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE IV
L’ENFANT ET LE CRAPAUD.
SYMBOLE IV
L’ENFANT ET LE CRAPAUD.
FABLE V
LE BONZE ET LE CHINOIS.
SYMBOLE V
LE BONZE ET LE CHINOIS.
FABLE VI
SYMBOLE VI
FABLE VII
LA BREBIS ET L’AGNEAU.
SYMBOLE VII
LA BREBIS ET L’AGNEAU.
L’amour du père et le la mère est un pardon éternel, c’est une extension de la bienveillance
divine.
Mais le pardon ne saurait être la tolérance.
Dieu pardonne toujours le mal passé, il ne tolère jamais le mal présent.
La bonté ne saurait se concilier avec la méchanceté, pas plus que la raison avec la folie.
Pourquoi enchaînerait-on encore un fou lorsqu’il est revenu à la raison ? Mais tant qu’il est
dans sa démence, comment le mettrait-on sagement en liberté ?
La justice suprême châtie sans pitié, parce qu’elle châtie par amour.
Elle est inflexible comme la main du chirurgien habile, elle ne s’arrêtera que quand le mal
sera extirpé.
Mais pour l’âme qui revient au bien cette main terrible n’a plus que des caresses comme la
vie pour les convalescents.
Au retour d’une grande maladie comme on trouve le ciel riant et pur ! Comme la verdure est
vivante ! Comme la campagne est belle ! Comme l’air est doux et parfumé ! Comme la nature
entière semble en fête !
Telles sont les joies du retour au bien : l’âme palpite sous les étreintes de Dieu, elle se sent
revêtue de grâce comme d’une robe magnifique, elle porte au doigt son pardon comme un
anneau d’or.
C’est ce que le Sauveur nous donne à comprendre dans sa belle parabole de l’enfant prodigue
qui renferme le génie du christianisme tout entier.
66
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE VIII
LE SAGE ET L’ENCHANTEUR.
SYMBOLE VIII
LE SAGE ET L’ENCHANTEUR.
Il faut se soustraire à l’action des forces fatales, il ne faut jamais les affronter ni avoir la
prétention de les détruire.
Un boulet de canon vient de mourir à vos pieds et s’avance vers vous en fouillant la terre ;
n’essayez pas de l’arrêter : détournez-vous.
Ces forces fatales sont les puissances magnétiques de la terre figurées par les deux serpents
du caducée ;
La lumière astrale nommée par les Hébreux od lorsqu’elle est active, ob lorsqu’elle est
passive et aour lorsqu’elle est équilibrée ;
Les deux serpents d’Hermès, l’un bleu et l’autre rouge, qui s’enlacent autour d’un sceptre
d’argent à tête d’or.
Ces forces sont le mouvement perpétuel de l’horloge des siècles : lorsque l’un des serpents se
resserre, l’autre se détend.
Ces forces brisent ceux qui ne savent pas les diriger. Ce sont les deux couleuvres du berceau
d’Hercule.
L’enfant en prend une de chaque main, la rouge de la main droite et la bleue de la main
gauche.
Elles meurent alors et leur puissance est passée dans le bras d’Hercule.
Que les magnétistes étudient et comprennent ce mystère.
Car pour se rendre maître de ces deux serpents, il faut les réunir autour du caducée d’Hermès
ou les séparer avec la force d’Hercule.
Mais il ne faut pas toucher avec le pied ce qu’on a vaincu avec la main. Car le pied est passif
quand la main est active. Il est au contraire actif quand la main est passive.
Si le serpent se suspend à votre main, marchez-lui sur la queue ; et s’il s’attache à votre pied,
étranglez-le avec la main.
Les serpents de feu qui tuaient les Israélites dans le désert étaient des courants déréglés de
lumière astrale, et Moïse créa une sorte de paratonnerre magnétique en faisant construire le
serpent d’airain qui se tordait autour d’une tige de fer.
Par la vibration du regard les malades communiquaient avec cet appareil et les serpents
fluidiques les quittaient pour aller se perdre sous les écailles du serpent d’airain.
Il fallait regarder le serpent d’airain, mais il ne fallait pas le toucher. Autrement une réaction
se fût opérée et l’imprudent auteur de l’attouchement fût tombé mort.
Les hommes sont des aimants spéciaux analogues mais contraires aux aimants métalliques.
Les objets consacrés par le culte sont aimantés à grands courants par la foi des fidèles, et un
sacrilége qui y porterait la main pourrait sentir sa main se paralyser, ou même il pourrait tomber
mort naturellement et sans miracles ;
Surtout s’il était animé d’un sentiment de haine, car alors il projetterait une force isolée contre
une force collective et serait infailliblement brisé.
68
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE IX
LE PRINCE ET L’ESCLAVE.
SYMBOLE IX
LE PRINCE ET L’ESCLAVE.
La vraie royauté est un dévouement, le vrai roi est celui qui se sacrifie pour son peuple. Il faut
être le roi de la royauté même, il ne faut pas en être l’esclave.
Périsse le peuple, pourvu que je garde ma couronne, dit le mauvais roi.
Périsse ma couronne, pourvu que le peuple soit sauvé, dit le bon prince.
Le roi qui n’est pas le meilleur homme de son royaume n’est pas digne de régner.
Si la grandeur imposait toujours le dévouement, l’ambition serait une vertu.
70
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE X
ULYSSE ET LA MER.
SYMBOLE X
ULYSSE ET LA MER.
Les poëmes symboliques d’Homère sont la grande épopée de l’humanité, de ses luttes et de
son initiation par la victoire sur les éléments. L’Iliade est la jeunesse de l’homme. Ce sont les
passions indomptables, ce sont les croyances rivales, ce sont les dieux qui s’entre-détruisent.
C’est Agamemnon, l’orgueil ; Achille, la colère ; Thersite, l’envie, du côté des Grec, et du
côté des Troyens, Hélène la luxure ; Pâris, la lâcheté ou la paresse. Dans ce conflit des forces
fatales Troie succombe, mais ses vainqueurs doivent périr. Ulysse seul, c’est-à-dire la prudence
unie au courage persévérant, triomphera de toutes les passions et de tous les orages.
L’Odyssée, c’est la virilité humaine, c’est l’initiation de l’homme qui se crée lui-même par
une suite non interrompue de sacrifices et d’efforts. Ulysse triomphe des Cyclopes, de Calypso
et de Circé, mais il perd successivement ses compagnons, ses richesses, ses vaisseaux, ses
vêtements même, et il arrive seul et nu dans l’île des Phéaciens.
Les Phéaciens représentent les sages. Le roi Ulysse arrive chez eux dépouillé de tout, comme
l’enfant nouveau-né entre dans la vie. C’est par son mérite seul qu’il se fera connaître et qu’il
saura conquérir et garder sa place à la table du roi Aleinoüs. Ulysse n’est jamais plus grand
qu’à ce moment où, ayant tout perdu, il sort de la mer plein de foi en son propre courage et
désespérant moins que jamais de revoir sa patrie et de remonter sur le trône de Laerte. Que lui
manque-t-il en effet pour réussir ? il sait, il veut, il ose et il se taira.
Il n’a plus rien, c’est le moment de tout faire : il porte avec lui ses dieux, sa patrie et sa
fortune. Il est plus constant que le sort, plus grand que le malheur, plus fort que la tempête et
d’une magnanimité plus immense que la mer.
Que pourrait-il craindre ? Il porte en lui la Providence et le hasard lui obéira.
71
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XI
SYMBOLE XI
Quand l’ivraie germe avec le bon grain, il ne faut pas arracher l’ivraie de peur de déraciner en
même temps le blé. Il faut attendre la moisson et alors on séparera le froment des mauvaises
herbes.
C’est ainsi qu’il ne faut pas heurter de front certaines superstitions, de peur que la religion des
âmes faibles en soit diminuée. Ainsi en combattant rigoureusement l’anthropomorphisme on
détruirait dans certains esprits toute notion de Dieu. Combien de gens matérialisent leur
croyance et se font des idoles sans le savoir ? Laissez mûrir leur intelligence, n’ôtez-pas à
l’enfance ses hochets, laissez aux poëtes leurs rêves : le temps marche, la vérité se fait jour,
l’opinion se forme, et les erreurs des nations se corrigent doucement à mesure que les
civilisations grandissent.
72
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XII
LE RENARD PREDICATEUR.
SYMBOLE XII
LE RENARD PREDICATEUR.
La figure symbolique du renard prédicateur est sculptée dans plusieurs de nos églises
gothiques. Nos pères lisaient avec plaisir le roman du renard et n’en écoutaient pas avec moins
de dévotion les prédications de leurs prêtres. Saint Louis s’opposait franchement et sans crainte
d’offenser Dieu aux prétentions temporelles des papes. Il savait distinguer le saint-siége de la
cour de Rome. Nous l’avons déjà dit, les prêtres sont des hommes et non des anges ; ils ont des
devoirs spirituels à remplir et des besoins temporels à satisfaire. Ce sont deux ordres de choses
qu’il ne faut pas confondre, et tout le mal de l’Eglise vient de ce qu’on a laissé faire trop
souvent cette confusion. Sur la terre l’Eglise est à la fois divine et humaine, c’est-à-dire
composée d’âmes et de corps. Il ne faut pas subordonner l’âme au corps, mais il ne faut pas
refuser au corps ce qui lui est nécessaire. Le mauvais prêtre exploite l’esprit au profit de la
chair, et le bon prêtre soutient la chair au profit de l’esprit ; là est toute la différence.
74
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIII
LA ROSE ET LA RONCE.
SYMBOLE XIII
LA ROSE ET LA RONCE.
On dit que la rose vit peu et pourtant la rose vit toujours. Est-ce qu’il y a des printemps sans
roses ?
Le type de la rose est immortel dans la lumière, la lumière photographie sans cesse des roses
sur des feuilles végétales composées de terre et d’eau.
Les épreuves périssent et se renouvellent, mais la rose de lumière ne meurt pas.
Il en est ainsi de toutes les belles choses ; la beauté est éternelle, mais les nuages qu’elle
colore de sa lumière peuvent se dissoudre.
La beauté est le cachet de Dieu dont la terre périssable reçoit les empreintes.
Mais l’âme ne saurait se dissoudre, et lorsqu’elle est belle, sa beauté lui reste.
L’âme se crée toujours une enveloppe digne d’elle, et quand une de ses robes s’use et se
déchire, c’est que la nature la lui reprend pour lui en donner une plus belle.
L’ombre tourne autour de la terre qui tourne et le soleil brille toujours.
Ni le jour ni le printemps ne peuvent cesser à la fois sur toute la terre.
Nous qui souffrons, soyons heureux du bonheur des autres ; nous qui sommes vieux, soyons
jeunes de la jeunesse de nos enfants.
Ainsi notre existence ne sera qu’une splendeur et qu’un sourire, la splendeur du jour sans
déclin, le sourire du printemps éternel.
76
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIV
SYMBOLE XIV
L’homme est comme un arbre qui a ses racines dans la terre et son feuillage dans le ciel.
Plus il est fortement attaché à la terre, plus il grandit, car sa vie est équilibrée.
Il développe dans le ciel la force qu’il emprunte à la terre. Tant qu’il est fidèle aux lois
conservatrices de sa double nature, il est invincible comme Antée.
Mais il ne peut vivre exclusivement ni dans la terre ni dans le ciel.
La raison est ténébreuse sans la foi : la foi est vaine sans la raison.
Notre âme est une fleur qui voudrait voler comme un oiseau, la tige qui la rattache à la terre
lui semble un lien, mais tout ce qui blesse la tige fait souffrir la fleur.
Il faut que le corps soit sain pour que l’âme soit saine ; quand le corps a la fièvre, l’âme a le
délire.
On dit que si le pape n’avait plus de domaines temporels, sa puissance spirituelle en serait
plus grande ; mais le pape, qui doit s’y connaître en fait de spiritualité, n’est pas du tout de cet
avis.
C’est comme si l’on disait que les prêtres prêcheraient bien mieux s’ils n’avaient pas de
corps.
Jésus-Christ recommande la pauvreté aux prêtres, mais un vol fait à un prêtre n’en est pas
moins un vol.
L’Evangile recommande aussi au prêtre de faire l’aumône, mais si vous lui prenez tout ce
qu’il a, que lui restera-t-il à donner ?
78
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XV
ANACREON ET LE RAISIN.
SYMBOLE XV
ANACREON ET LE RAISIN.
Autant la raison suprême est immuable et infaillible, autant les raisonnements particuliers des
hommes sont souvent absurdes et faux. La parole a autant de sens qu’il y a d’entendements
divers, et les intérêts des passions altèrent le jugement de presque tous les hommes.
Une autorité dogmatique et morale est donc absolument nécessaire pour que le progrès ne soit
pas entravé par l’anarchie.
Cette autorité a toujours existé et elle existera toujours dans le monde.
L’être existe : l’idée exacte de l’être c’est la vérité, les relations exactes entre les vérités sont
la réalité, l’expression exacte de la réalité c’est la raison, la vie raisonnable c’est la justice.
L’autorité suprême doit donc être gardienne de la justice, de la raison, de la réalité et de la
vérité.
Ce dépôt sacré est couvert d’une enveloppe conservatrice qui est le dogme.
Tant que l’enveloppe n’est pas déchirée, le dépôt reste intact.
C’est pour cela que l’autorité catholique ou universelle veille sur le dogme et doit le
conserver dans toute son intégrité.
80
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVI
L’OISEAU ET LA GRENOUILLE.
SYMBOLE XVI
L’OISEAU ET LA GRENOUILLE.
FABLE XVII
LA LOCOMOTIVE ET LE CHEVAL.
La locomotive essoufflée
Près d’un champ plein de fleurs venait de s’arrêter.
Là le cheval oisif s’indignait de rester
Parmi le vif bétail d’une ferme isolée.
Il se redresse et pousse un long hennissement,
Moqueur et saccadé comme un ricanement,
Et dit à sa rivale noire :
- C’est donc toi qui prétends me disputer ma gloire,
Machine sans âme et sans cœur !
De mes jarrets pliants as-tu donc la vigueur ?
As-tu mes pieds légers qui ne courbent pas l’herbe ?
Ton effroyable sifflement
En vain s’oppose insolemment
A mon hennissement superbe ;
Ton long cou décharné sans tête et sans regards
N’a que fumée impure au lieu des flots épars
De mon ondoyante crinière.
Du cavalier vainqueur tu n’entends pas la voix ;
Moi, de la meute en feu je comprends les abois ;
J’écoute, en frémissant, la trompette guerrière ;
Intelligent et fort, indomptable et soumis,
De mes narines enflammées
Je souffle la terreur ; j’affronte les armées,
Et je mords le poitrail des coursiers ennemis.
- Oui, tout cela me plaît, surtout en poésie,
Dit la locomotive, et j’ai bien moins que toi,
J’en conviens, une forme élégante et choisie,
Mais je marche… Cours après moi !
SYMBOLE XVII
LA LOCOMOTIVE ET LE CHEVAL.
Il est permis de trouver un cheval plus beau qu’une locomotive, mais le plus grand poëte du
monde, s’il a besoin d’arriver vite, prendra la locomotive et laissera le cheval.
Les chiffres sont rebutants pour la poésie. Les chiffres pourtant sont la forme exacte des
nombres qui mesurent et cadencent le rythme de la poésie.
Aussi la philosophie occulte, la plus poétique de toutes, est-elle par excellence la philosophie
des sciences exactes.
En rattachant aux nombres les idées absolues, elle crée les mathématiques de la pensée. Elle
fait des lettres les auxiliaires des nombres, et fait ainsi de la parole même une science profonde
comme la révélation et rigoureuse comme la géométrie, les mots s’expliquant par les lettres et
les lettres se justifiant par les nombres.
Les nombres se rapportant aux notions exactes de l’être, font des lettres l’algèbre des idées et
dégagent les inconnues par de merveilleuses équations.
Cette science sera un jour la locomotive de l’intelligence humaine, et tout ce que pourra faire
le cheval Pégase avec ses quatre pieds et ses ailes, ce sera de courir et de voler après elle sans
espoir de la devancer jamais.
84
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVIII
LE SINGE PHILOSOPHE.
SYMBOLE XVIII
LE SINGE PHILOSOPHE.
Il ne faut pas confondre le désintéressement avec le mépris de l’argent. Le premier est une
qualité des grandes âmes, le second est une sottise ou un mensonge.
C’est le prix même de l’argent qui fait la gloire de celui qui donne, car ne pas accepter ce qui
nous est dû c’est le donner.
Donner c’est agir en riche, c’est agir en roi, c’est agir en Dieu.
Mais négliger l’argent ou le gaspiller, c’est agir en brute.
L’argent en effet est le signe représentatif de la vie humaine et de toutes ses puissances.
L’argent c’est le travail, c’est la liberté, c’est la civilisation, c’est la justice, c’est le progrès.
Il faut de l’argent pour que la charité accomplisse ses œuvres, pour que Dieu ait un culte,
pour que la science vive et se répande.
Celui qui dissipe follement l’argent mérite d’avoir faim et de savoir un jour ce que coûte un
morceau de pain.
86
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIX
LE ROSSIGNOL ET L’ECHO.
(A madame de Balzac.)
SYMBOLE XIX
LE ROSSIGNOL ET L’ECHO.
Cette fable est un hommage de reconnaissance et d’admiration pour une des personnes les
plus distinguées et les meilleures de ce siècle.
87
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XX
LA CHENILLE ET LE PAPILLON.
La véritable égalité,
C’est le droit au travail par lequel on arrive ;
Mais entre le travail et l’indigence oisive,
Il n’est point de fraternité.
88
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
SYMBOLE XX
LA CHENILLE ET LE PAPILLON.
FABLE XXI
L’ESCAMOTEUR ET LE BRIGAND.
SYMBOLE XXI
L’ESCAMOTEUR ET LE BRIGAND.
FABLE XXII
SYMBOLE XXII
FABLE XXIII
LE MOINEAU DE LESBIE.
SYMBOLE XXIII
LE MOINEAU DE LESBIE.
La plus honteuse des servitudes, c’est la servitude des lâches désirs. La volupté c’est
l’esclavage, la liberté c’est la vertu.
93
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXIV
LE GEAI SATIRIQUE.
SYMBOLE XXIV
LE GEAI SATIRIQUE.
Mais de tous les lâches désirs le plus lâche est celui de rabaisser les autres lorsqu’on n’a pas
le courage de monter à leur niveau.
C’est l’envie qui ronge le cœur de tous les impuissants et qui les porte à dénigrer toutes les
puissances.
Aussi les anarchistes, lorsqu’ils arrivent au pouvoir par quelques-uns de ces soulèvements qui
font remonter la vase et la fange à la surface des eaux, sont les plus insupportables de tous les
despotes et les plus cruels de tous les tyrans.
Un roi faible nommé Louis XVI fut accusé de tyrannie et condamné à mort par des
anarchistes, au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Ses bourreaux lui succédèrent et s’appelèrent Danton, Robespierre et Marat.
94
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXV
L’AIGLE ET LE VAUTOUR.
SYMBOLE XXV
L’AIGLE ET LE VAUTOUR.
LIVRE III
FABLE PREMIERE
FABLE II
PASIPHAE ET LE TAUREAU.
FABLE III
FABLE IV
LE TONNERRE ET LE LAURIER.
FABLE V
L’ENCHANTEUR ET LA SULTANE.
FABLE VI
FABLE VII
FABLE VIII
MAHOMET ET L’ENFANT.
FABLE IX
LE MORALISTE ET LE POETE.
LE MORALISTE.
LE POETE.
LE MORALISTE.
LE POETE.
LE MORALISTE.
Travaillez à la délivrance
De ces esclaves de l’erreur.
Le travail n’est pas l’espérance,
C’est le conquérant du bonheur.
Que les réalités sévères
Remplacent vos folles chimères.
Que vous fait le vague du ciel ?
Exercez l’homme à la sagesse,
Et ne lui versez pas l’ivresse
Dans des vases frottés de miel.
LE POETE.
FABLE X
FABLE XI
LA MENDIANTE.
FABLE XII
LA MOUCHE ET L’ARAIGNEE.
FABLE XIII
LE DERVICHE ET LE JUGE.
FABLE XIV
LA RIVIERE ET LE RUISSEAU.
FABLE XV
FABLE XVI
L’ABEILLE ET LA FOURMI.
FABLE XVII
FABLE XVIII
FABLE XIX
FABLE XX
FABLE XXI
HERCULE ET ATLAS.
FABLE XXII
LE POURCEAU ET LE CHAMEAU.
FABLE XXIII
FABLE XXIV
LE LOUP ET LE BELIER.
FABLE XXV
LIVRE III
SYMBOLES
Le combat de la vie.
En apprenant à connaître la nature et à croire en Dieu dont il est l’image, l’homme a senti
naître en lui-même une magnifique ambition, il veut monter au ciel comme Prométhée avec
l’assistance de la sagesse et s’emparer du feu du ciel. C’est alors que commence pour lui le
grand combat de la vie. Toutes les faiblesses de la terre sont jalouses de sa force et veulent le
détourner ou le retenir. C’est ce que nous avons essayé de peindre dans les fables de notre
troisième livre. Ici nous cessons l’analyse de nos symboles pour en commencer la synthèse. Le
nombre trois, en effet, est celui de la fusion des éléments et de l’enfantement, soit des formes,
soit des idées. Ce n’est donc plus maintenant la pensée qui suivra pas à pas les symboles, mais
les symboles viendront à l’appui de la pensée et s’expliqueront d’eux-mêmes par les déductions
de notre philosophie.
Initié aux grands principes de l’équilibre, connaissant l’agent universel qui est la lumière
universelle ou l’éther avec ses quatre forces astrales et magnétiques, l’adepte se repose dans sa
force. Combien peu lui importent les vaines disputes des philosophes, l’échafaudage mobile des
systèmes, les naïvetés ou les témérités dogmatiques des théologiens ?
Mais cette force, il ne faut pas en laisser deviner le secret au monde ; cette force qui réside
dans l’autogénie de ses pensées, dans cette chevelure vierge qui sert d’auréole à sa tête et qu’il
ne faut pas exposer aux perfides ciseaux de Dalila.
La virilité de l’âme est aux yeux du vulgaire une indécence qu’il faut cacher. L’homme sans
préjugés passerait pour un homme sans conviction. L’homme sans colère semblerait être sans
cœur et le roquet viendrait mordre l’oreille du lion (fable I).
Socrate serait insulté par Xantippe, Minos serait trahi par Pasiphaë (fable II).
Jamais le stupide vulgaire ne comprendra la haute sagesse des mages. Orphée chante et les
singes font la grimace. Que voulez-vous ? Ils espéraient que le poëte ferait l’éloge de leur
queue (fable III). La gloire qu’on demande à la foule est une ambroisie bien amère, car elle
contient beaucoup de fiel et peu de miel, d’ailleurs les palmes immortelles sont tardives à naître
et n’ombragent guère que des cercueils. Les véritables grands hommes sont peu jaloux
d’escompter leur gloire, ils savent que si le tonnerre, comme on le dit vulgairement, épargnait
le laurier, ce serait par une sorte de complicité entre fléaux (fable IV) ; une couronne de laurier
est trop souvent une couronne de vertiges. La sève du laurier contient le plus subtil de tous les
poisons.
A l’abri de l’orgueil dans son heureuse obscurité, qui le défendra de l’amour ? la femme a
toujours été exclue de l’initiation, pourquoi ? C’est que la nature passive de la femme la rend
nécessairement passionnée. C’est qu’elle est absolue et par conséquent injuste en amour, et
qu’elle n’admire la grandeur chez l’homme que dans l’espérance d’obtenir tôt ou tard le
sacrifice de cette grandeur. On se trompe si l’on croit qu’à la bataille d’Actium la reine
Cléopâtre a eu peur. Si elle a fui, ç’a été pour entraîner à sa suite Antoine déjà triomphant et
pour se sentir préférée à l’empire du monde. Tant que la femme admire une force inconnue et
qu’elle craint de voir cette force lui échapper, elle est admirable de dévouement et de sacrifice ;
mais dès qu’elle se sent reine, elle veut plus : elle veut devenir à la fois et divinité et prêtresse,
et elle sacrifie son amant à deux insatiables idoles qu’elle cache au fond de son cœur : sa
coquetterie et sa vanité (fable V).
116
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
Nous ne voulons certes pas dire qu’il n’y ait des femmes raisonnables et sages, mais celles-là
on les aime par devoir, on les honore, on les respecte, on les respecte même trop. Il est si rare,
en effet, de voir les hommes se passionner pour la sagesse et pour la raison.
L’amour sensuel est une folie, puisque c’est une ivresse. Ne faut-il pas, en effet, être ivre ou
fou pour repeupler à plaisir les domaines de la mort ?
Aussi la débauche stérile eût-elle été un progrès si le christianisme en révélant les horizons
infinis d’une vie nouvelle, n’avait donné à l’amour la foi pour raison et l’éternité pour
espérance.
Le sage ne se préoccupe plus des intérêts qui divisent les hommes et ne prend jamais part à
ces luttes de la vanité qui amusent un monde sans convictions (fable VI). Aussi trouvera-t-il
difficilement un ami, car les petits ne prennent jamais en pitié la solitude des grandeurs (fable
VII).
Quelle consolation aura-t-il donc ? Celle d’aimer comme savent aimer les mères ; celle de
faire du bien aux petits sans rien attendre d’eux, et de se contenter de la part qu’il saura prendre
à leur bonheur. Ici nous avons placé l’admirable légende de Mahomet et du petit enfant (fable
VIII), légende qui nous révèle un Mahomet bien autre que celui de Voltaire, et qui devrait faire
appeler le chef des croyants le bon Mahomet, comme on dit le bon la Fontaine.
La bonté conduit à la piété. Le symbolisme religieux et les magiques influences du culte sont
trop nécessaires aux jeunes âmes pour que le sage travaille à les en détourner, et ne les
encourage pas au contraire à les respecter par ses discours et par son exemple. Relisez
attentivement ici la fable ou plutôt le dialogue lyrique intitulé : Le moraliste et le poëte (fable
IX).
Reconnaissant que l’ordre est le balancier du progrès, le sage ne se heurtera pas follement aux
puissances établies et les laissera tomber d’elles-mêmes si elles sont injustes, sans entreprendre
de leur donner de vaines et dangereuses leçons. Nous avons dit que les abuseurs du pouvoir
sont des anarchistes couronnés. Or, comment voulez-vous qu’un anarchiste se soumette à la
raison qui est la puissance la plus inébranlable et l’autorité la plus absolue de l’univers (fable
X) ?
Le véritable ennemi public, le monstre sans cesse renaissant qu’il faut combattre, c’est la
misère (fable XI). Or, la misère n’a pas d’autre cause que les vices des hommes ; et les
dérèglements des pauvres en creusent le gouffre avec plus d’acharnement encore que l’égoïsme
des riches. C’est le vice qui perd les grands : que ce soit la vertu qui travaille au salut des
peuples !
La vertu cependant n’est pas toujours la sagesse. On peut être un héros et parler comme un
insensé. C’est pour toi que je dis cela, noble soldat de l’Italie, qui prends des royaumes par le
seul prestige de ton nom. Tu as rappelé aux Siciliens et aux Napolitains qu’ils foulent la terre
de Mazaniello et des Vêpres… N’essaye pas de recommencer les Vêpres, car tu
recommencerais aussi et plus certainement le règne et la folie de Mazaniello (fable XII) !
Comment, toutefois, n’excuserait-on pas les imprudences d’un homme de guerre quand celui
qu’on eût pu nommer le prince de la paix, le vicaire de Jésus-Christ, saint Pierre en un mot s’est
laissé emporter jusqu’à tirer l’épée pour répandre un sang inutile ? Le motif de saint Pierre était
louable pourtant, il voulait défendre son maître, il ne ressemblait pas au derviche de notre fable
(fable XIII), qui veut attirer la vengeance de Dieu et des hommes sur un mauvais sujet qui lui a
pris tout simplement sa bourse.
Evitant ainsi tous les écueils de la bonne foi et tous les emportements de l’opinion, faisant
justice de la gauche et de la droite sans se détourner jamais ni à droite ni à gauche, le sage
poursuivra son chemin avec calme sans s’inquiéter des obstacles. Voyez l a rivière qui roule
paisiblement ses eaux, si elle rencontre un monticule, s’irritera-t-elle pour le franchir ? Non,
117
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
elle l’embrasse en passant, en fait une île que souvent elle couvrira d’arbustes et de fleurs, puis
réunit tranquillement ses bras et marche victorieuse sans avoir lutté (fable XIV).
Mais où arrivera le sage ? Sera-t-il porté au pouvoir par le suffrage des multitudes ? sera-t-il
salué comme maître des écoles publiques des hautes sciences ? Peut-être. Mais ce n’est pas sur
cela qu’il peut et qu’il doit compter. La multitude choisit toujours ceux qui la représentent le
mieux. Or, ce qui représente le mieux l’ignorance des multitudes, ce n’est pas la science (fable
XV). Si le sage devient roi, ce sera dans la république des abeilles, c’est-à-dire dans la société
invisible de ceux qui, comme les abeilles par leur miel, se révèlent seulement par des bienfaits ;
il cachera la vérité comme le miel dans ses alvéoles de cire, car il ne faut pas l’exposer aux
dédains et aux outrages de la folie. Quand l’homme arrive aux limbes de la science, quand il
commence à deviner qu’il existe une vie intellectuelle, il est tout d’abord envahi par une
immense présomption : il croit savoir tout ce qu’il pressent ; il prend ses hallucinations pour
des lumières et les rêves de son cerveau pour des systèmes qu’il doit défendre ; il se passionne
pour ces systèmes. Ne perdez pas de temps à les réfuter : opposez l’absurde à l’absurde, car le
temps n’est pas encore venu de laisser entrevoir la vérité (fable XVII).
Laissez rimer la gloire avec la victoire, ne vous préoccupez ni des grands combats ni des
disgrâces conjugales du noble sire de Framboisy, l’orgue de barbarie fera justice de toutes ces
gloires et de tous ces revers (fable XVIII). Tous les systèmes, soit politiques, soit religieux, soit
philosophiques, soit littéraires, qui n’ont pas pour base la justice et la vérité, périront comme
ces rois dont les crânes vides semblent des dômes préparés pour servir de panthéon aux vers de
la tombe (fable XIX).
Il sait, il veut, il se tait. Que lui reste-t-il à faire ? Il faut qu’il ose. Oser quoi ? Tout ce que la
science lui a fait trouver possible pour arriver à cette paix profonde qui est la récompense de
l’œuvre accomplie.
Oui, il faut oser, pour s’occuper sérieusement de cette philosophie occulte traitée avec tant de
mépris par ceux qui la nient, avec tant de haine par ceux qui l’attribuent au démon ; il faut oser,
pour commander à cette lumière vitale qui prolonge nos organes au delà même de leurs limites
visibles et qui aimante de notre vie les objets soumis à nos usages. Il faut oser, pour commander
aux fantômes de l’imagination et aux inquiétudes de l’esprit ; il faut oser pour penser autrement
que le vulgaire et pour opposer l’immuable bon sens des sages aux divagations toujours
changeantes de la foule. Dieu a mis à notre disposition la paix et le bonheur ; mais il faut oser
étendre nos mains jusqu’à ces fruits de l’arbre de vie défendus par tant de chimères et ne pas
craindre de les voler, car dès que nous les avons cueillis, la nature nous les donnera.
Souvenons-nous que le ciel souffre volontiers violence et qu’il veut être pris d’assaut (fable
XX).
Mais pas à la manière du pape Jules II, qui couvrait sa soutane blanche d’une cuirasse et
remplaçait la tiare pontificale par un casque de soudart : un pape qu’on dépouille peut crier au
voleur, mais il ne doit pas endosser la capote du gendarme. Où s’arrêterait-il, en effet, dans
cette voie, et qui l’empêcherait de descendre jusqu’à la casaque rouge du bourreau (fable
XXI) ?
Ne nous écartons pas de notre sujet. Nous parlons du sage, et nous ne parlons pas du pape.
Nous disions ce que notre sage doit oser ; nous avons dit précédemment avec quel soin il doit
dissimuler son audace. Pour le vulgaire on est un athée dès qu’on n’est pas anthropomorphite
ou idolâtre ; on est immoral dès qu’on n’a pas de fausses et bruyantes vertus ; on est fou dès
qu’on n’est pas sage à la manière de tout le monde, et Dieu sait comment tout le monde est sage
(fable XXII) !
Il doit se défier du succès et des engouements de la mode. Exploiter la bêtise humaine, c’est
souvent très lucratif, mais ce n’est jamais honorable. Eteilla n’a vu dans les sciences occultes
qu’un moyen de gagner de l’argent en disant la bonne aventure ; Eteilla n’était qu’un
118
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
saltimbanque. Il faut bien se tenir en garde contre ces cupidités vulgaires. Vous parlez de la
science devant un homme que vous croyez votre ami : prenez garde que cet homme ne
s’établisse escamoteur ou chiromancien en se disant votre disciple d’abord, puis votre émule,
puis votre maître, et que le public ne vous rende responsable des sottises qu’il débitera (fable
XIII).
Gardez-vous des envieux, et je ne parle pas ici des démocrates, bien qu’au dire de M.
Proudhon, qui doit s’y connaître, la démocratie soit l’envie. Démocratie n’est pas un mot
heureux ; j’en voudrais un qui exprimât le même sens que la belle devise qu’on attribue à M.
Guizot : Tout pour le peuple ! rien par lui ! On tentera vainement de s’écarter de cette maxime :
toujours et forcément on y reviendra (fable XXIV).
Nous arrivons à la conclusion de notre troisième livre et à notre XXVe symbole.
Il ne faut pas se résigner
Aux chaînes, lorsqu’on peut les rompre.
LORSQU’ON PEUT, entendez-vous ?
Ainsi, enfants à la lisière, vous ne pouvez pas rompre cette chaîne conservatrice. Résignez-
vous et grandissez.
Prolétaires et travailleurs, vous ne pouvez pas vous affranchir du travail, mais par le travail
vous pouvez vous affranchir de la misère. Ne vous résignez pas à la misère, mais résignez-vous
au travail.
Mais vous, hommes vicieux, que les passions tiennent attachés à leur chaîne honteuse, ne
vous résignez pas, affranchissez-vous !
La vraie liberté est celle de l’âme, et nul pouvoir humain ne saurait l’enchaîner. L’homme est
libre dès qu’il veut l’être, car Dieu même ne saurait faire violence à la volonté humaine.
Lucrèce était libre devant Tarquin et pouvait mourir pure en sacrifiant son faux honneur, celui
qui pouvait être terni par un mensonge lorsqu’elle préféra l’adultère avec la gloire d’en mourir,
et se fit ainsi la prostituée de la vengeance. Les chrétiens étaient libres devant Néron lorsqu’ils
mouraient en foule plutôt que de jurer par le génie de César, attendu que ce génie était la plus
atroce de toutes les démences. Mais Samson n’était pas libre devant Dalila, Alexandre le Grand
n’était pas libre devant la colère et l’ivresse. Regardez, voilà le maître du monde qui se cache et
qui pleure : il a tué son ami Clytus dans une orgie ; demain, dans une orgie nouvelle, il se tuera
lui-même pour devenir plus vite un dieu, et ne deviendra rien que le cadavre d’un ivrogne.
Combien de princes ont régné sans avoir jamais été libres ! Mais combien de pauvres
esclaves ont été libres dans les fers ! Esope était-il l’esclave ou le maître de Xanthus ? Epictète
ne forçait-il pas à se courber devant lui la tête orgueilleuse d’Epaphrodite ? Vous connaîtrez la
vérité, et la vérité vous affranchira, a dit le grand Maître. O la belle et vraie parole ! Est-ce que
l’intelligence éclairée par la vérité n’est pas la maîtresse du monde ? Est-ce qu’Ulysse sorti tout
nu et tout limoneux de la mer ne se fait pas reconnaître pour un roi par l’habileté et la noblesse
de son langage ? Si vous êtes les affranchis de l’intelligence, vous ne serez plus jamais les
esclaves de personne ; et que les auxiliaires de la brutalité essayent de vous faire peur et de
vous courber sous leur joug, ils verront !...
Prométhée est enchaîné sur le Caucase ; mais il n’est pas esclave, et, malgré le clou qui lui
traverse la poitrine, il insulte à la fureur de Jupiter.
Jupiter, en effet, ne résistera pas à la patience de Prométhée : le vautour immortel a pris goût
à la chair des dieux, et il dévorera un jour toute la postérité de Jupiter. Regardez Hercule et
Prométhée descendant de la montagne : ils sont appuyés l’un sur l’autre ; l’un saigne d’une
blessure incurable, et l’autre est déjà dévoré par la robe de Déjanire ; mais ils sont libres tous
deux et vont monter ensemble sur le bûcher de l’expiation pour se régénérer dans la mort !
119
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
L’homme n’a plus de maîtres lorsqu’il est maître de lui-même, et, s’il existait au monde un
peuple de sages, ce serait un peuple de rois. Alors seulement la république serait possible, parce
qu’un pareil peuple n’aurait pas besoin d’être gouverné. Mais quand je vois une populace
abrutie par l’ivresse, une bourgeoisie insouciante pour tout ce qui n’est pas bénéfice et
comptoir, une presse passionnée par intérêt et souvent menteuse par calcul, une aristocratie
enfin qui se bat pour des Rigolboches, je me demande ce que pourrait être la république de ces
gens-là, et, s’ils se plaignent des rigueurs du pouvoir, je suppose qu’ils demandent la liberté de
faire encore plus mal qu’ils ne font. C’est une belle chose que la Déclaration des droits de
l’homme, mais commencez par créer des hommes avant de leur donner des droits. Je ne crois
pas que vous preniez pour des hommes la multitude immonde qui traînait Bailly à l’échafaud en
le souffletant avec un drapeau trempé dans la boue. Si vous me demandez à quoi de pareils
hommes avaient droit, je vous répondrai qu’ils avaient droit à la mitraille du 13 vendémiaire ; et
ils l’ont rencontrée… fatalement.
Les élus, c’est-à-dire les hommes d’élite, sont et seront toujours en petit nombre. C’est
pourquoi les multitudes ne seront jamais libres : une foule abandonnée à elle-même serait un
fléau dont la nature se hâterait de débarrasser la terre. Aussi la foule finit-elle toujours par se
laisser conduire ; elle admire facilement un grand sabre, un habit rouge ou le chapeau galonné
d’un charlatan. Le sage sourit des entraînements de la foule et ne se laisse pas égarer par elle.
De toutes les chaînes, celle de l’opinion est la plus difficile à briser. Le sage la prend à la main
et ne s’y laisse pas attacher ; il ne désire plus rien, il n’ambitionne plus rien ; il possède une
richesse qui est à l’abri des révolutions et une dignité qu’aucun pouvoir ne peut lui ravir. Il est
ce qu’il y a de plus noble, de plus grand et de plus heureux sous le ciel : un homme libre !
120
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
LIVRE IV
FABLE PREMIERE
LIVRE IV
La grandeur du sage.
SYMBOLE PREMIER
SCENE PREMIERE
LE CARDINAL DE RICHELIEU ET SON PEINTRE.
LE CARDINAL.
Mon cher artiste, savez-vous qu’on commence à parler un peu d’un certain Corneille ? Que
pensez-vous de cet homme-là ?
LE PEINTRE.
Ce que j’en pense, moi, Eminence ?... Rien du tout. Cet homme-là n’est pas un peintre.
LE CARDINAL.
Heu, heu !
LE CARDINAL.
SCENE II
LE PEINTRE, CORNEILLE.
LE PEINTRE.
Savez-vous, mon pauvre monsieur Corneille, que je ne m’occuperai jamais plus de vos
intérêts ? Comment ! je vous ménage une entrevue avec Boisrobert, qui pouvait vous être si
utile, et vous ne dites rien ! Mais parlez au moins maintenant. Hein, que dites-vous du
Boisrobert ? Voilà un gaillard qui vous a positivement coupé en deux.
122
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
CORNEILLE.
Tant mieux pour moi, mon maître, car si je n’étais rien, je vais commencer à être quelque
chose. Les grammairiens ne nous disent-ils pas que deux négations valent une affirmation ?
SCENE III
UN SAVANT ET SA FEMME.
LA FEMME.
Voilà encore de tes songes creux et de tes folies. Pourquoi ne fais-tu pas plutôt un traité
d’algèbre qui puisse être accepté par le Conseil de l’instruction publique et qui nous rapporte de
l’argent ? Crois-tu qu’Isis et Osiris me donneront des crinolines ?
SCENE IV
LA FEMME DU SAVANT, UN VIEUX MATHEMATICIEN.
LA FEMME.
Décidément, mon pauvre bonhomme devient fou. J’ai envie de me jeter à l’eau, je suis
vraiment trop malheureuse.
LE VIEUX MATHEMATICIEN.
Vous jeter à l’eau serait une bêtise ; vous êtes encore jeune et belle : il vaut mieux quitter
votre mari.
LA FEMME.
LA FEMME.
Ah ! pauvre créature que je suis ! je vais certainement le quitter, et cela m’est d’autant plus
pénible que sans moi cet imbécile mourra de faim.
LE VIEUX MATHEMATICIEN.
Merci de vos bons conseils. Vous êtes pour moi plus qu’un père, vous êtes une bonne mère,
et je cours chez mon avoué.
LE VIEUX MATHEMATICIEN (se frottant les mains).
SCENE V
MM. MORIN, PIERARD ET UN ECRIVAIN RELIGIEUX.
M. MORIN.
Eliphas Lévi se moque de nous. Nous l’avons mis en demeure de faire un miracle : il n’a
pas même répondu.
M. PIERARD.
Mais voici, je crois, M. Ch… qui le connaît ; prions-le donc de lui demander un miracle.
M.CH… (l’écrivain religieux).
Il n’en fera point, j’en suis sûr ; mais je veux bien lui demander d’en faire un, je verrai ce
qu’il répondra.
SCENE VI
ELIPHAS LEVI, LA FAMILLE DE L’ECRIVAIN RELIGIEUX.
M. CH...
Mon cher sorcier, voici mon dernier mot : faites un miracle, ou je ne croirai pas en vous.
(Pendant cette conversation, la femme de l’écrivain religieux tâche de calmer une petite
fille que la dentition rend malade et qui a des convulsions.)
124
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
ELIPHAS LEVI.
Mais, mon cher monsieur, je ne vous demande pas de croire en moi ; mes livres prouvent
quelque chose ou ils ne prouvent rien : lisez-les.
L’ECRIVAIN RELIGIEUX.
Je les ai lus et je n’y ai pas trouvé… Oh ! mais, ma chère, emporte donc cette petite, ses cris
nous empêchent de nous entendre.
(Eliphas Lévi, qui va et vient dans la chambre, s’approche de l’enfant et lui touche
doucement la joue. L’enfant s’apaise tout à coup et s’endort.)
LA FEMME.
Ah ! voici la crise qui est finie ; je vais la porter dans son berceau.
ELIPHAS LEVI revenant s’asseoir.
Je serai donc forcé, mon cher monsieur, de ne pas compter sur votre adhésion ?
L’ECRIVAIN RELIGIEUX.
Sans doute, puisque vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas faire de miracles.
ELIPHAS LEVI.
Que voulez-vous, mon cher Père de l’Eglise ? tout le monde n’est pas le bon Dieu.
SCENE VII
DESBARROLES, ELIPHAS LEVI.
ELIPHAS LEVI.
Il paraît, mon cher Desbarrolles, que nous sommes brouillés, car vous ne me saluez même
plus.
DESBARROLES.
Monsieur, j’ai à vous dire que, depuis mes immenses succès, vous affectez de ne pas me
prendre au sérieux.
ELIPHAS LEVI.
C’est votre faute, mon cher voyageur en Espagne, pourquoi Alexandre Dumas et tous ceux
qui vous connaissent vous trouvent-ils si amusant ?
DESBARROLES.
Et puis je vous dirai entre nous que vous m’avez fait terriblement patauger avec vos
Séphiroth que je prenais pour des mondes semblables au nôtre et votre lumière astrale qui n’est
125
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
après tout que l’électricité ; car j’ai consulté des savants, et je suis fâché de vous le dire, mais
votre lumière astrale, ce n’est que l’électricité.
ELIPHAS LEVI.
Eh ! mon Dieu, mon cher monsieur, les ignorants peuvent bien se tromper quelquefois,
puisqu’il arrive si souvent aux savants de patauger, s’il m’est permis de vous emprunter votre
élégante expression.
DESBARROLES.
Du moment que je ne suis pas pour vous un homme sérieux, je ne vous estime plus.
ELIPHAS LEVI.
FABLE II
LE LIERRE ET LE LAURIER.
SYMBOLE II
LE LIERRE ET LE LAURIER.
Mieux vaut être un millionnaire habillé en mendiant que d’être un mendiant déguisé en
millionnaire. Ceci est évident pour tout le monde, et cependant ceci est diamétralement opposé
aux maximes communes du monde, qui avant tout, et sur toutes choses, veut paraître. Soyez
Jeannot, mais ayez des palmes vertes brodées sur le collet de votre habit, et, pour la majorité
des sots, vous voilà l’oracle du goût et l’un des princes de la littérature. Aussi Jeannot voudrait
être de l’Académie, non pas pour être savant, mais pour porter des palmes vertes et recevoir à
telle enseigne les hommages des sots ses pareils. Un voiturier italien disait un jour à l’abbé de
Lamennais qu’il voudrait bien être prince de l’Eglise pour boire, manger et ne rien faire. Et
voilà comment les petits entendent généralement les grandeurs !
Lorsque Jésus-Christ dédaignait de répondre à Hérode, qui le faisait affubler d’une robe de
fou, lequel des deux était le fou ? lequel des deux était le roi ? Mais aussi Jésus-Christ était ce
sublime révélateur des grandeurs de l’âme qui disait : Sachez bien que la royauté divine n’est
pas dans les pompes extérieures, elle est au dedans de vous : Regnum Dei intra vos est.
127
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE III
CLEANTHE ET LE PASSANT.
SYMBOLE III
CLEANTHE ET LE PASSANT.
FABLE IV
SYMBOLE IV
Se taire est toute une science. Il faut savoir se taire en parlant, c’est-à-dire penser pour soi et
parler pour les autres.
Les paroles n’ont pas le même sens pour tous : chacun entend suivant son degré
d’intelligence.
C’est pour cela que certaines vérités d’un ordre élevé seraient des mensonges pour les âmes
basses.
Ne jetez pas les perles devant les pourceaux, disait allégoriquement le Christ, car ils les
fouleraient aux pieds et ils se retourneraient contre vous pour vous mordre.
Parmi les bêtes il en est d’inoffensives et de féroces, mais les bêtes féroces de l’espèce
humaine entraînent et excitent à nuire les bêtes inoffensives.
Il ne faut pas se livrer aux bêtes. L’art de se taire c’est l’art de cacher la vérité sans mentir.
- Et comment cela ? Est-ce à l’aide des restrictions mentales ?
- Non certes, car les restrictions mentales sont de doubles mensonges. Celui qui en fait usage
ment à son prochain et se ment à soi-même pour se persuader qu’il ne ment pas.
Si le monde devait être sauvé par un mensonge, mieux vaudrait laisser périr le monde que de
mentir, a dit saint Augustin.
Mais dire la vérité lorsqu’on est sûr que cette vérité sera mal comprise c’est mentir ; voilà ce
qu’il est important de bien entendre.
Dites à des méchants que Dieu ne saurait s’irriter et qu’il pardonne toujours : ils se croiront
autorisés au mal, vous aurez nié pour eux la justice divine ; vous aurez menti.
Dites-leur que le mal absolu ne saurait exister, et que le mal relatif tourne au triomphe du bien
comme l’ombre sert à la manifestation de la lumière, ils croiront que vous faites l’apologie du
mal et ils vous jetteront la pierre afin de se donner la gloire d’être les défenseurs désintéressés
du bien.
Le silence absolu n’est pas toujours un bon moyen de se taire. Il est des circonstances où ne
rien dire c’est parler.
Il serait quelquefois plus prudent de parler pour ne rein dire.
Mais tel ne saurait être le procédé du sage, il respecte la parole et ne la profère jamais en vain.
Le grand secret c’est de deviner la langue intérieure de celui à qui l’on parle et de lui parler
cette langue en lui disant seulement ce qu’il peut supporter de la vérité.
Tout peut être dit à tous, mais la science de bien dire est l’art d’adapter l’expression aux
différents degrés de la hiérarchie des esprits.
Les choses naturelles se disent ; les choses surnaturelles se devinent.
Les choses spirituelles ne sont entendues que des gens d’esprit.
Les canards de notre fable ont tort de vouloir forcer le cygne à cancaner comme eux, et notre
cygne a raison de se taire, puisqu’il ne sait pas leur langage. Mais le sage, au lieu de rester muet
comme le cygne, doit apprendre la langue du vulgaire et parler comme tout le monde, afin de
cacher même la dignité de son silence.
130
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE V
LA COLOMBE ET LE SERPENT.
FABLE VI
L’ENFANT ET L’ABEILLE.
SYMBOLES V ET VI
Le plus précieux de tous les biens c’est la paix intérieure, et il faut la conserver à tout prix.
Pour cela il faut se convaincre que tout mal est relatif et transitoire et que le bien seul est
absolu.
Lorsqu’on met sa joie uniquement dans le bien, cette joie n’est jamais troublée, car le bien
existe toujours.
La fleur que vous aimez se fane, pourquoi pleurez-vous ? Est-ce que le printemps s’est fané
avec cette fleur ?
L’être que vous aimez ne vous aime pas, est-ce que pour cela tous les cœurs vous sont
fermés ?
Vous avez cru surprendre un oiseau dans son nid et vous avez mis la main sur un crapaud,
faut-il vous dépiter contre le pauvre crapaud et le punir sottement et cruellement de ce qu’il
n’est pas un oiseau ?
Les dépits du sot orgueil qui ne veut pas s’être trompé et les basses méchancetés de l’envie
sont les causes les plus ordinaires de nos troubles intérieurs.
Lorsqu’on se réjouit toujours du bien en se détournant simplement du mal, on est bien vite
consolé de toutes les déceptions de la vie.
Ne nous irritons pas de nos maladresses, corrigeons-nous.
Nous nous sommes piqués en cueillant une rose, faut-il jeter la rose ? Nous avons mis le doigt
sur une abeille et nous nous sentons blessés, est-ce à dire pour cela que les abeilles sont des
insectes nuisibles ?
Aimons la rose pour son parfum et pour sa beauté, mais ne touchons pas aux épines.
Aimons l’abeille pour son miel et pour sa cire, mais prenons garde à l’aiguillon.
133
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE VII
PEREGRINUS ET LUCIEN.
Autrefois un cynique en us
(Il se nommait Pérégrinus)
Annonça qu’en place publique,
Les jours de la fête olympique,
Tout vivant il se brûlerait ;
Toute la Grèce le verrait.
Grande rumeur. Le jour arrive,
Le bon peuple grec et latin
Court au bûcher comme au festin ;
On fait placer chaque convive.
Notre cynique Pérégrin
Vient donc une torche à la main,
Monte au bûcher. Chacun l’admire ;
Lucien seul se permet de rire,
Et cyniques de s’offenser.
Mais Lucien : - Laissez-moi passer,
Leur dit-il : la chemise sale
Que votre héros nous étale
Est bonne à brûler, Dieu merci,
Et la peau de son maître aussi !
Quand d’un si vilain corps le trépas nous délivre,
Et lorsqu’on est stupide à n’en jamais guérir,
Il est facile de mourir.
Le grand point, c’est d’apprendre à vivre.
FABLE VIII
HORACE ET DAVUS.
FABLE IX
SOCRATE ET L’ENFANT.
Les fables VII, VIII et IX portent avec elles leur enseignement et ne contiennent point de
symboles.
136
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE X
LILITH.
SYMBOLE X
LILITH.
Lilith est le même personnage qu’Astaroth ou Astarté. Elle a une sœur qui se nomme
Nahéma. Ce sont les démons de la stérilité et de la débauche.
Lilith est la reine des Stryges : c’est elle qui étouffe les petits enfants au berceau. C’est en son
honneur que les sorcières versent le sang des innocents, et c’est pour plaire à Nahéma qu’elles
composent des philtres infâmes avec les impuretés sans nom que leur fournissent les Incubes et
les Succubes.
Ce sont les fantômes de l’hystérie et de la nymphomanie, fantômes évoqués par les rêves
brûlants du célibat ou par la fièvre de l’orgie.
Suivant les kabbalistes hébreux, celui qui se voue à la solitude sexuelle consacre à Lilith la
postérité qu’il tue dans son germe et abandonne ses nuits désolées aux stériles embrassements
de Nahéma.
Ils disent aussi que Lilith et Nahéma corrompraient le monde par leur souffle empoisonné, si
les petits enfants qui respirent en étudiant la loi dans les écoles israélites ne purifiaient
l’atmosphère. On ne trouve que chez les Juifs ces images tout à la fois si gracieuses et si pleines
d’un sens profond. La chasteté attachée à l’enfance, l’haleine des enfants qui étudient la loi de
Dieu, ce souffle de simplicité et d’innocence purifiant l’air infecté par les passions impures, que
ces idées sont religieuses et belles ! quelle consolation pour les mères ! quelle bénédiction pour
les enfants !
Le génie d’Israël sera encore le salut du monde quand l’esprit d’intelligence aura ouvert la
porte des symboles avec les clefs de Salomon.
La méthode des rabbins kabbalistes était d’exagérer les symboles pour les expliquer ; ils
couvraient ainsi le voile d’un nouveau voile, afin de forcer le bon sens à deviner l’esprit sous
l’absurdité évidente de la lettre.
Ainsi, à ceux qui trouveront incroyable que Samson, après avoir tué mille Philistins avec une
mâchoire d’âne, ait trouvé une source d’eau dans une des dents de cette mâchoire, ils diront que
cette mâchoire d’âne était celle d’une ânesse ; que cette ânesse était celle de Balaam, dont les
ossements n’ont pas cessé de parler et de prophétiser, etc., etc.
Si on leur demande quel était le serpent qui séduisit la première femme, ils vous diront que
c’est un serpent de feu qui se replie trois fois autour du monde et qui porte sur ses écailles
changeantes les reflets de toutes les formes ; que ce serpent a été percé de deux flèches par
Michaël, le prince des Elohim, l’une traverse ses anneaux de haut en bas et l’autre de droite à
gauche ; que le serpent ainsi percé ressemble à une triple roue et tourne sans cesse sur lui-
même ; que la femme, en devenant mère, lui met le pied sur la tête et l’empêche de dévorer le
monde.
Comprenons ce symbolisme admirable, et tous les mystères de la vie nous sont expliqués, et
il n’y a plus d’obscurités pour nous dans les prophéties de saint Jean et d’Ezéchiel.
Ces mêmes rabbins disent encore que les cris des femmes qui enfantent sont recueillis par
l’ange de la miséricorde et enfermés dans une boîte d’or, et qu’au dernier jour, quand Satan
accusera la race humaine devant le tribunal de Dieu et quand les hommes n’auront plus rien à
répondre, l’ange ouvrira la boîte, il en sortira une voix plus puissante que toutes les clameurs de
l’enfer, et tous les enfants d’Adam seront sauvés par le plaidoyer sublime formé d’un seul cri :
le cri libérateur de toutes les mères !
Tous seront sauvés, c’est-à-dire tous ceux qui voudront l’être. Le bien ne se concilie jamais
avec le mal, et la liberté humaine étant inviolable, Dieu ne forcera jamais personne à se
soumettre à lui et à l’aimer. La liberté nécessite l’enfer éternel.
138
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XI
L’AURORE ET CYBELE.
FABLE XII
SYMBOLE XI et XII
Les pleurs donnent la joie, et la mort donne la vie. Heureux ceux qui pleurent, a dit le Maître,
parce qu’ils seront consolés. Heureux ceux qui meurent, parce qu’ils se reposent. Pleurer c’est
désirer ; mourir c’est avancer. Les pleurs purifient l’amour, la mort est l’absolution de la vie. La
mort essuie les pleurs, car les pleurs sont le souvenir et la mort est l’oubli. Tout ce qui est
mortel passe avec la vie mortelle ; tout ce qui est éternel renaît avec la vie nouvelle. On pleure
d’avoir ri et puis on rit d’avoir pleuré. L’hiver pleure sur les arbres morts, le printemps rit sur
les pousses nouvelles. La jeunesse éternelle de la nature est comme celle des petits enfants, un
long sourire trempé de larmes, et le sourire est si beau et si triomphant quand revient le jour,
que près de lui les larmes, comme les gouttes de rosée sur les fleurs, ne sont que les perles de la
nuit et servent d’innombrables miroirs aux regards brillants de l’aurore.
141
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIII
L’AVEUGLE ET LE SOLEIL.
SYMBOLE XIII
L’AVEUGLE ET LE SOLEIL.
FABLE XIV
LE LOUP ET LE RENARD.
SYMBOLE XIV
LE LOUP ET LE RENARD.
Après le règne de la force et celui de la ruse viendra le règne de la justice. Alors le plus habile
sera en réalité le plus homme de bien. Ce que nous disons ici du bon père jésuite n’est pas une
ironie. Les jésuites passent pour les lus habiles des prêtres, et, à ce titre, ils doivent être ou
devenir les plus honnêtes des hommes.
144
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XV
SYMBOLE XV
FABLE XVI
LE MOINE ET LA PAGODE.
SYMBOLE XVI
LE MOINE ET LA PAGODE.
Les multitudes ignorantes sont toujours idolâtres, et toutes les fois que le sacerdoce, au lieu
d’éclairer progressivement le peuple, a cherché à le maintenir dans l’idolâtrie pour exploiter ses
superstitions, le sacerdoce a encouru la déchéance. Les prêtres de l’Egypte étaient les prêtres du
vrai Dieu au temps de Joseph, puisque nous voyons dans la Bible que le patriarche employa
toute son influence à augmenter dans ce pays la puissance du sacerdoce. Ils étaient déjà
corrompus et fauteurs d’idolâtrie lorsque Moïse leur emporta leurs secrets et leurs vases sacrés
pour fonder un nouveau culte, ou plutôt pour dégager le culte ancien des voiles de la
superstition. Les prêtres juifs étaient le vrai sacerdoce de Dieu lorsque les apôtres, dociles
jusqu’à la dernière extrémité à ceux qui, suivant l’expression du Maître, étaient assis dans la
chaire de Moïse, se trouvèrent hors de la synagogue qui leur fermait violemment ses portes, et
qui, ayant ainsi expulsés la vérité et la vie, demeura fermée comme un tombeau.
Moïse n’attaqua pas les prêtres égyptiens, il emporta seulement la lumière et les laissa dans
les ténèbres. Les apôtres n’attaquèrent pas le sacerdoce judaïque, ils emportèrent avec eux la
charité et l’avenir, et laissèrent aux Hébreux un passé qui les déshéritait et un orgueil qui les
immobilisait dans la mort. Que sont devenus les grands sanctuaires de l’Egypte et ce sacerdoce
imposant qui donnait des maîtres au monde ? Que sont devenus les sacrifices d’Israël et le
temple de Salomon ? Est-ce que la religion d’Hermès et de Sésostris ne s’affirmait pas
immuable et éternelle comme les pyramides ? Est-ce que le temple de Jéhovah ne devait pas
s’élever à jamais au-dessus des autels et des trônes des nations ? Demandez maintenant aux
tourbillons de poussière que le vent chasse à travers les solitudes s’ils ne furent pas autrefois les
pierres colossales de cet éternel édifice, et pas une voix ne vous répondra.
Le vicaire de Jésus-Christ siége encore aujourd’hui au Vatican, et Saint-Pierre de Rome est la
métropole du monde. Les pouvoirs se briseraient encore s’ils se heurtaient contre cette pierre
angulaire de la civilisation moderne.
O Rome, souviens-toi de Thèbes et de Memphis ! Saint-Pierre de Rome, souviens-toi du
temple de Jérusalem !
148
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVII
LE LION ET L’HOMME.
FABLE XVIII
Un homme injuste ne saurait être un roi, on est roi pour faire justice.
Un homme vicieux ne saurait être un roi ; car un roi c’est un maître, et un homme vicieux
c’est un esclave.
Le gouvernement arbitraire, c’est-à-dire la violence de la part d’un roi, c’est une abdication
devant la justice suprême.
Le scandale, c’est-à-dire le vice impudent se montrant chez un roi, c’est une déchéance
devant la morale éternelle.
Malheur à qui résiste au roi quand il commande pour le bien et suivant la loi !
Mais trois fois malheur à qui obéit au tyran quand il commande contre la loi et pour le mal !
Il y a quelque chose de plus infâme que Néron, ce sont les sujets de Néron.
Ce sont les valets du désordre qui font les autocrates du vice.
« Sire, écrivait un honnête homme à Charles IX, parmi les hommes soumis à mon
commandement j’ai trouvé des sujets fidèles de Votre Majesté, mais je n’ai pas trouvé de
bourreaux. »
150
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XIX
FABLE XX
LE HERISSON.
SYMBOLES XIX et XX
Le sage ne met pas son bonheur dans un vase fragile. La justice et la vérité sont éternelles et
les affections fondées sur la vérité et sur la justice survivent aux objets mêmes des affections.
La foi en l’immortalité de l’âme change la mort en un paisible sommeil, et je ne dois pas
pleurer parce que mon ami, fatigué d’une journée laborieuse, s’est couché une heure avant moi.
Les plus grands chagrins des hommes viennent souvent des déceptions de leur égoïsme, ils
veulent être admirés dans leurs faiblesses : ils veulent être aimés dans leurs défauts. Chacun
rêve le dévouement des autres, mais nul ne veut se dévouer. – Votre coude me gêne. – J’en suis
fâché : reculez-vous. – Je me reculerai en effet beaucoup, je m’en vais. – Mon ami
m’abandonne ! l’ingrat ! – Si tu voulais garder ton ami, pourquoi ne retirais-tu pas ton coude ?
– Cela m’eût gêné, et celui qui veut me gêner n’est pas mon ami. C’est justement ce que ton
ami a pensé.
152
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXI
SYMBOLE XXI
La petite anecdote qui porte le titre de fable XXI n’est ni une fable ni un symbole, c’est une
simple et touchante histoire. Le prêtre qui comprenait si bien son ministère était curé de la
cathédrale de Chartres en 1836 ; il se nommait l’abbé Lecomte. S’il y avait beaucoup de pareils
curés, le monde entier serait bientôt chrétien.
L’abbé Lecomte n’était pas un curé philosophe et ne ressemblait en rien au vicaire savoyard
de Rousseau ; ce n’était ni le Jocelyn de Lamartine, ni le Gabriel d’Eugène Sue. C’était un vrai
catholique, un vrai croyant, qui prenait la morale au sérieux non moins que le dogme. Il n’était
pas tolérant, il était indulgent et charitable. Tolérance veut dire complicité négative, charité et
indulgence veulent dire patience et réparation. Un prêtre tolérant est un prêtre sans foi ; un
prêtre indulgent et charitable est un vrai prêtre.
L’Eglise n’est pas une maison de tolérance, c’est une maison d’indulgence et de charité.
La tolérance n’est pas charitable, et c’est pour cela que la charité ne doit pas être tolérante.
Le père de famille qui tolère les vices de ses enfants, le mari qui tolère les désordres de sa
femme, sont des lâches. Pardonner n’est pas tolérer.
Faire du bien à ceux qui sont hostiles à nos croyances, c’est leur prouver que nos croyances
sont salutaires, ce n’est pas tolérer leur incrédulité.
Faire du bien à ceux qui nous font du mal, ce n’est pas tolérer le mal, c’est vaincre le mal par
le bien.
Soyons envers les ennemis de la religion d’une bienveillance acharnée et d’une charité
implacable.
Voilà quelle devrait être, selon nous et selon l’Evangile, l’intolérance de l’Eglise.
154
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXII
HERCULE ET EURYSTHEE.
SYMBOLE XXII
HERCULE ET EURYSTHEE.
Le Christ, en nous ordonnant d’aimer nos ennemis, ne nous commande-t-il pas une injustice ?
Non, car nos ennemis sont nos plus grands bienfaiteurs ; ils nous corrigent, pendant que nos
amis ne sont que trop disposés à nous flatter.
Nos ennemis sont les travailleurs de notre progrès et nous leur devons le prix de nos efforts.
Ce sont les flatteurs qui perdent les artistes et les rois ; ce sont les critiques et les oppositions
qui les sauvent.
En politique comme en dynamique on ne s’appuie que sur ce qui résiste.
C’est l’obstacle qui nécessite l’effort, et c’est par l’effort qu’on prend possession de la force.
155
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXIII
LA LIONNE.
SYMBOLE XXIII
LA LIONNE.
DALILA
La haine gronde,
Et tout un monde
Veut m’écraser… Les ennemis sont là.
Tombez, cohortes !
Brisez-vous, portes !
Je te suivrai, ma belle Dalila !
FABLE XXIV
SYMBOLE XXIV
Le mal est au bien ce que l’ombre est à la lumière. La lumière sans ombre serait un
éblouissement et ne ferait apparaître aucune forme. C’est l’ombre qui rend la lumière visible.
Le mauvais ange est l’ombre du bon ange. Le diable est la caricature de Dieu.
La laideur est le repoussoir de la beauté. Le mensonge est le marchepied de la vérité. L’erreur
est le rêve de la science.
Saint Michel ne maudit pas le démon, dit l’apôtre ; il lui dit seulement : Obéis à l’ordre de
Dieu !
Saint Michel en retenant le diable du pied, l’empêche de se détruire en se précipitant dans les
abîmes du ciel, et le diable donne un point d’appui à la force de saint Michel en le repoussant
vers les cieux.
Saint Michel et Satan sont le résumé du symbolisme, comme Mithra et le taureau noir,
comme Hercule et l’hydre de Lerne, comme Bellerophon et la Chimère, comme Apollon et le
serpent sorti des fanges du déluge.
Symbolisme éternel comme la lumière et l’ombre, comme la pensée et la forme, comme la
fable et la vérité.
161
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XXV
L’ESPRIT ET LE CORPS.
SYMBOLE XXV
L’ESPRIT ET LE CORPS.
Ici se résume toute la science de notre quatrième livre. La grandeur du sage consiste dans la
parfaite modération et dans cette justesse d’esprit qui fait la justice de la vie.
Deux forces contraires, celle des aspirations et celle des besoins se disputent l’empire de
l’homme. L’harmonie résulte de l’analogie de ces contraires. Cette harmonie se produit par
l’équilibre ; tout ce qui tend à rompre cet équilibre, qui est le sceptre du libre arbitre, entraîne
l’homme à la suite de la passion fatale, soit vers la démence de l’esprit, soit vers la corruption
de la chair.
Cette modération parfaite, donnant à la vie extérieure une grande simplicité, échappe à
l’appréciation du vulgaire. La foule n’admire que les excès, elle se prosternera devant un fakir
qui passe des semaines entières sans rien manger ou qui se tient sur un seul pied pendant des
journées entières ; elle écoutera comme des oracles les divagations d’un extatique ou d’un
somnambule ; elle voudrait voir se produire des désordres dans la nature pour crier au miracle.
Il lui faut des notes fausses dans le concert de Dieu pour qu’elle croie à l’harmonie.
Le sage, au contraire, sait que les prodiges s’expliquent par les lois exceptionnelles de la
nature ou plutôt par des applications exceptionnelles des lois générales, et il croit à la sagesse
divine malgré les prétendus prodiges.
Le miracle éternel, c’est l’enchaînement harmonieux des êtres, c’est le mouvement intelligent
qui produit et renouvelle la vie, c’est la Providence arrivant toujours à ses fins, c’est la pensée
immortelle qui fait planer l’espérance sur les tombeaux.
Le miracle c’est la raison suprême qui triomphe à la fin de toutes nos folies et qui sauve la
religion malgré les croyants fanatiques et les imbéciles sectaires.
Le miracle c’est le progrès qui poursuit sa marche, c’est la vie qui fleurit toujours, c’est l’être
qui produit sans cesse et qui ne s’épuise jamais.
164
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
LIVRE V
FABLE PREMIERE
LA POULE ET LE CANARD.
FABLE II
LE VALLON ET LA RIVIERE.
FABLE III
L’OURS ET LE CHIEN.
FABLE IV
FABLE V
L’INCREDULE ET LE CHIEN.
FABLE VI
FABLE VII
LA PRUDE ET LE MOUSQUETAIRE.
FABLE VIII
FABLE IX
LA NUIT ET LE JOUR.
FABLE X
FABLE XI
LA BARBE BLEUE.
FABLE XII
NERON ET LE PHILOSOPHE.
FABLE XIII
FABLE XIV
EPICTETE ET LE RAISONNEUR.
FABLE XV
ALEXANDRE ET LE PECHEUR.
FABLE XVI
LE POETE ET LE TABLEAU.
FABLE XVII
LA DEMOISELLE ET LA FOURMI.
Imprévoyante ménagère
Pour qui tant de grains amassés ?
Travaille, mais soit moins sévère,
Et vous, demoiselles, dansez.
180
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
FABLE XVIII
De cette histoire
Tirons une moralité.
L’héroïsme toujours remporte la victoire ;
Qui peut souffrir le joug l’a trop bien mérité.
On agite encor dans notre âge,
La question de l’esclavage.
Moi, je dirais : - Frappez sans pitié ni merci
Ce troupeau de bêtes de somme :
Un homme ne saurait être un esclave, ainsi
Un esclave n’est pas un homme.
FABLE XIX
FABLE XX
FABLE XXI
LE NABAB ET LE FAKIR.
FABLE XXII
LE PROCONSUL ET LE MARTYR.
FABLE XXIII
FABLE XXIV
FABLE XXV
LIVRE V
La vie éternelle ou la paix profonde.
Le but de la philosophie occulte est de nous donner cette inaliénable sérénité de l’âme qui
est la vie du ciel et la paix profonde des élus.
Pour arriver à cette paix il faut :
I.
II.
Ne jamais se troubler par l’appréhension du mal, car le mal qui peut nous atteindre n’est
jamais plus fort que nous. Il n’y a qu’un mal réel, c’est l’injustice et nous pouvons être justes.
Les calamités étrangères à notre conscience sont des épreuves ou des bienfaits de la
Providence. Attendons-les en souriant. (IIe symbole, Le vallon et la rivière.)
III.
Travailler sans cesse à la réforme de notre caractère. Par les vices du caractère on se
tourmente soi-même et l’on tourmente les autres. Un mauvais caractère est donc une habitude
d’injustice qui mérite et entraîne toujours le trouble et la réprobation. (IIIe symbole, L’ours et le
chien.)
IV.
Ne jamais se livrer tout entier au plaisir. Le plaisir est fait pour nous, mais nous ne sommes
pas faits pour lui. (IVe symbole, Les tourterelles et le nid de fleurs.)
V.
Croire sérieusement à l’indestructibilité de tout ce qui est bien, de tout ce qui est vrai, de
tout ce qui est beau, de tout ce qui est pur. (Ve symbole, L’incrédule et le chien.)
189
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
VI.
Croire que la douleur est un travail, le travail une lutte, la lutte un progrès, le progrès la
véritable vie. (VIe symbole, Les oiseaux dans leur nid.)
VII.
VIII.
Croire à la réalité de tout ce qui est bon, même dans les formes les plus passagères de la vie.
Un verre d’eau qu’on nous présente quand nous avons soif mérite la vie éternelle, a dit le grand
initiateur, il est donc d’un prix infini, comme tout ce qui vient de Dieu. (VIIIe symbole, Le
satyre et le vieux faune.)
IX.
X.
Etre humble et ne jamais croire que nous sommes grands parce que nous avons une grande
science ou de grandes pensées. Une goutte de rosée reflète toutes les gloires d’un beau jour,
mais rien de cela ne lui appartient : il en est ainsi de notre âme. Le soleil boit la rosée et Dieu
peut retirer à lui toute notre intelligence et tout notre génie. Nous ne sommes que des miroirs
tremblants et fugitifs comme la goutte d’eau, et si la nature nous brise, aucun vide ne se fera
dans l’immensité. Le ciel n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin du ciel. (Xe
symbole, La goutte d’eau.)
XI.
Se préserver des croyances puériles qui troublent la conscience et avoir surtout en horreur
cette idée : que Dieu veut confondre la raison humaine et se trouve honoré par le préjugé de la
folie, qu’il donne comme le sphinx des énigmes à deviner et qu’il tue ou torture à jamais ceux
qui devinent et ceux qui, ne devinant pas, ne s’inquiètent pas de l’énigme, tandis que la raison
suprême qui est en Dieu veut élever jusqu’à elle la raison de l’homme par la foi en sa justesse et
en sa justice, le Dieu des sages étant la lumière des âmes généreuses et non la ténébreuse
agitation des âmes lâches et serviles. (XIe symbole, La barbe bleue.)
190
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
XII.
XIII.
Ne jamais subir l’amour. Aimer parce qu’on le doit et parce qu’on le veut. L’amour devient
une gloire lorsqu’il n’est jamais une honte. Les joies de l’amour suivent celui qui ne les achète
jamais par l’infamie. Préférer son plaisir à son honneur, c’est être un lâche. Or, par la lâcheté on
se rend indigne de l’amour même d’une courtisane. La femme méprise l’homme qu’elle avilit,
et lorsqu’elle se sent méprisable, elle estime l’homme qui la méprise. (XIIIe symbole, Ulysse et
les syrènes.)
XIV.
Ne pas laisser à la Providence le soin de faire notre travail. Ne nous plaindre jamais du mal
que nous pouvons empêcher. Songer que la lutte contre le mal est notre premier devoir et que
nous serions des sots et des impies, si nous imputions à Dieu les inconvénients qui résultent de
notre sottise ou de notre paresse. (XIVe symbole, Epictète et le raisonneur.)
XV.
Ne chercher l’infini que dans l’ordre intellectuel et moral. Le monde entier n’est pas assez
grand pour remplir notre âme, elle a soif d’une perfection infinie, et c’est ce qui prouve assez
qu’elle est immortelle. Les richesses de la terre, lorsqu’elles sont immenses, deviennent
d’immenses embarras et ne satisfont jamais leur possesseur. Les grandeurs du monde sont
souvent de grands désespoirs. Tout ce qui peut finir est déjà comme fini, et le vautour de
Prométhée revient sans cesse agrandir le vide dans le cœur de l’homme qui est cloué au rocher
du pourvoir, car, plus on est élevé au-dessus des autres, plus on est solitaire, et Dieu pèse d’un
poids infini sur l’isolement de l’orgueil. (XVe symbole, Alexandre et le pêcheur.)
XVI.
Ne pas croire aux illusions. Les réalités de Dieu étant mille fois plus belles que les rêves de
l’homme, il ne faut jamais se contenter de rêver ce qu’on peut apprécier et connaître. La
jeunesse, l’amitié, l’amour, la poésie, la gloire, tout cela est vrai, tout cela est éternellement
vrai, bien que tout cela change de zone comme le printemps. Le printemps n’est pas une
illusion pour les hirondelles ; elles ont le courage de le suivre et elles le retrouvent toujours.
(XVIe symbole, Le poëte et le tableau.)
191
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
XVII.
Faire son devoir dans le présent et ne rien craindre de l’avenir. Etre heureux quand le
bonheur se présente comme si l’on n’avait qu’un jour à vivre, pourvu que nous trouvions le
bonheur dans la satisfaction d’un besoin éternel. L’abandon à Dieu, la joie confiante au milieu
des fêtes de la nature, la gaieté qui s’enivre de lumière et de soleil, l’enthousiasme pour le beau,
le dévouement pour le bien, tout cela ne calcule pas, ne raisonne pas avec le souci du
lendemain. Heureux, dit Horace, celui qui chaque soir peut se dire : aujourd’hui j’ai vécu,
vienne demain la tempête, elle ne m’enlèvera pas la sérénité du jour qui s’achève. Vous avez
bien assez, disait le Christ, du chagrin de chaque journée, ne thésaurisez pas l’inquiétude du
lendemain ; à chaque jour suffit son mal.
Voulez-vous n’avoir rien à craindre pour demain ? Faites du bien aujourd’hui, les bonnes
actions sont la semence du bonheur. (XVIIe symbole, La demoiselle et la fourmi.)
XVIII et XIX.
Obéir à la loi, aller au-devant du devoir, mais ne souffrir jamais la servitude. La mort des
martyrs a été sublime parce qu’on voulait violenter leur conscience. On ne renonce pas à ses
croyances, à ses affections, à ses habitudes nationales, parce qu’un maître impérieux l’exige.
On peut se taire devant l’oppression, on peut renoncer à la résistance armée, mais alors on prie
et l’on meurt en embrassant l’autel de la patrie. (XVIIIe symbole, Le jeune Spartiate et son
maître. – XIXe symbole, Les loups et le troupeau.)
XX.
Ne jamais raisonner sur l’essence de Dieu. La foi en Dieu doit rendre les hommes meilleurs
et non égarer leur raison. Comment définir l’infini ? Comment expliquer ce qu’on ne saurait
comprendre ? Plus on raisonne, moins on adore. Raisonnons tant qu’il nous plaira sur le besoin
d’adorer, mais lorsque nous prononçons le nom de l’indéfinissable, que tout en nous garde un
suprême silence ! Prosternons-nous et adorons ! Ce n’est ni l’éléphant des brahmes, ni le
vieillard à trois têtes de gnostiques, ni rien de ce que l’idolâtrie des nations a consacré. Ce n’est
rien que nous puissions voir, que nous puissions toucher, que nous puissions entendre, que nous
puissions goûter, que nous puissions dire. C’est ce que nous devons adorer dans la paix
profonde de l’esprit et l’enthousiasme du cœur. (XXe symbole, Les deux paradoxes.)
XXI et XXII.
Respecter la conscience des autres et ne leur jamais imposer même la vérité. Ne pas briser
de force le joug des esclaves qui aiment leur joug. Avoir toujours du dévouement, jamais trop
de zèle. Les fous jouissent de leur folie, ce serait trop cruel de la leur ôter sans leur rendre la
raison. Il faut donc avoir patience, il faut laisser au fakir sa chaîne et au vieux monde ses idoles
en attendant que tout cela tombe de soi-même. Ne perdons pas notre temps en vains discours
pour décrier les ténèbres ; faisons briller la lumière, mais que ce ne soit pas la lumière d’une
torche qui incendie. Ne renversons plus ni la statue de Jupiter ni celle de saint Nicolas, quand
même une population imbécile adorerait saint Nicolas. Philosophes, respectez les reliques, si
vous ne voulez pas qu’on brûle vos livres. La lumière luit pour tout le monde, mais tout le
192
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
monde a le droit d’ouvrir et de fermer les yeux comme il lui plaît. (XXIe symbole, Le nabab et
le fakir. – XXIIe symbole, Le proconsul et le martyr.)
XXIII.
Ne pas accorder d’existence réelle au mal. Dieu, en effet, ne le veut pas ; la nature le
repousse, la douleur proteste contre lui. Les créatures raisonnables ne peuvent le vouloir.
L’harmonie universelle ne lui laisse pas de place. La vie triomphe sans cesse de lui comme de
la mort. Satan ne saurait donc être un roi : c’est le dernier des esclaves de la fatalité qu’il a
voulue. La réprobation éternelle du mal est dans le triomphe éternel du bien. L’ordre remédie
au désordre par le supplice, et le supplice même est un bien, puisque c’est un remède. Le mal,
d’ailleurs, se condamne et se détruit lui-même. Dieu le voue au supplice éternel. L’orgueil est
un diadème de honte, la luxure un avortement du plaisir ; l’avarice est le culte de la misère. Les
voies du mal sont larges au commencement, mais elles se rétrécissent à mesure qu’on avance et
finissent par l’étouffement, par l’écrasement prolongé de leur victime. Ce sont bientôt des
impasses où il faut périr si l’on n’a pas la vaillance et la force de se retourner. On dit, pour
prouver l’existence d’une autre vie, que les méchants peuvent être heureux en ce monde. Cela
n’est pas vrai : les méchants sont les derniers et les plus malheureux des hommes.
XXIV.
Ne pas chercher la gloire qui vient de l’estime prématurée des hommes, mais celle qui vient
de l’honneur, cette conscience de la justice et du dévouement, qui tôt ou tard produira sa
splendeur. Les hommes finissent par subir l’ascendant du génie et du talent ; mais ils le
haïssent, parce que la passion et le tourment des faibles, c’est l’envie. La gloire pour eux n’est
qu’un triomphe de l’égoïsme, parce qu’ils ne la comprennent pas autrement, égoïstes qu’ils
sont. Toujours ils nient le dévouement et vont cherchant au sacrifice des héros de l’humanité
quelque motif servile et infâme. Laissons-les dire ; ils veulent parler sans savoir et ne veulent
pas écouter. Ils couronnent volontiers la nullité qui ne leur fait pas ombrage. N’ayons pas
besoin de leurs couronnes ; il faudra bien qu’un jour ils les apportent sur nos tombeaux. Et
quand ils devraient se tromper encore de tombeaux, qu’est-ce que cela ferait à nos cadavres ?
qu’est-ce que cela ferait surtout à nos âmes, si, comme nous n’en doutons pas, nos âmes
survivent aux erreurs de la terre ? Aimons le bien pour le bien, la science pour la science, le
beau pour le beau, la vérité pour la vérité. Croyez-vous qu’Homère ait composé ses admirables
poëmes en vue de l’aumône dont il avait pourtant besoin ? Les villes de la Grèce se renvoyaient
sa misère, elles se sont disputé sa naissance et son nom, et l’on ne sait pas bien laquelle lui a
rendu les honneurs suprêmes et a mérité de posséder ses restes.
Laissons, disait le Christ, laissons les morts ensevelir les morts. Cherchons d’abord le règne
de Dieu et sa justice ; tout le reste est du superflu. (XXIVe symbole, L’académie des oiseaux. -
XXVe symbole, L’aveugle du pont des Arts).
193
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
LIVRE VI
FABLE PREMIERE
FABLE II
FABLE III
LA REINE DE SABA.
FABLE IV
MINERVE ET L’AMOUR.
FABLE V
HELENE ET PARIS.
FABLE VI
LE RAT.
FABLE VII
L’AUTRUCHE ET LA POULE.
FABLE VIII
LA TAUPE ET LE SOLEIL.
FABLE IX
LE DESERTEUR ET LE SOLDAT.
FABLE X
FABLE XI
LE PIGEON MESSAGER.
FABLE XII
LA JUSTICE ET L’AMOUR.
FABLE XIII
LE PRETRE ET LE MEDECIN.
FABLE XIV
FABLE XV
LE PECHEUR ET LA PERLE.
FABLE XVI
BACCHUS ET MINERVE.
FABLE XVII
LA BERGERE ET VENUS.
FABLE XVIII
VENUS ET ADONIS.
FABLE XIX
FABLE XX
LE LION PARRICIDE.
FABLE XXI
HYPATIE ET SYNESIUS.
FABLE XXII
FABLE XXIII
LE CHEVAL ET LE CHIEN.
FABLE XXIV
LES RICOCHETS.
FABLE XXV
LE PASSEREAU.
LIVRE VI
les probabilités, avaient fort raisonnablement bu. S’abstenir à propos de l’austérité, c’est la plus
belle et la plus rares des abstinences (fable IV).
Tout désordre est un mal, et il faut s’abstenir de ce qui le produit. Que ce désordre soit
l’extase ascétique ou l’ivresse brutale, c’est également la déraison. Mais il faut s’abstenir par
justice et non par crainte. La poltronnerie n’est jamais la vertu, et il ne faut pas confondre la
peur de Dieu avec la crainte de Dieu. Un enfant peut craindre le père qu’il aime ; mais le fils
qui a peur de son père est certainement un mauvais fils, à moins qu’il ne soit le fils d’un
détestable père.
L’audace ressemble tant au courage qu’elle excuse certaines fautes. Tout oser pour la
science, pour l’amour, pour la liberté, telle fut la grande circonstance atténuante dans le procès
de nos premiers parents. Si Adam avait eu peur de mourir avec son Eve, la race humaine
périssait dans son principe. Le premier mariage a été une sorte d’enlèvement réciproque, et les
deux époux vainqueurs des terreurs de la mort ont été les conquérants de la vie. Travaillez et
mourez, puisque vous voulez être libres, leur a dit la sagesse suprême ; mais parce que vous
avez aimé la liberté et l’amour jusqu’à la mort, vous serez affranchis par le travail et régénérés
par la tombe. La femme, en devenant mère, écrasera la tête du serpent, parce, parce que le
serpent replié sur lui-même, c’est l’égoïsme et l’envie ; mais la maternité, c’est le dévouement
et le sacrifice (fable V).
Osons surtout lorsqu’il s’agit de nous affranchir des fausses vertus du vulgaire. La vraie
sagesse ne se singularise pas par des austérités affectées ; elle n’est ni prude ni puritaine. Elle
ne tolère jamais le mal, mais elle est pleine d’indulgence pour toutes les faiblesses. Rien de
moins sages que les poseurs, rien de moins vertueux que les comédiens de la vertu. Or, par les
comédiens de la vertu nous n’entendons pas précisément les hypocrites. Les hypocrites, en
effet, sont des comédiens de mauvaise foi ; mais les poseurs se trompent souvent eux-mêmes :
on s’impose un rôle, on le prend au sérieux, on le joue devant le public, on le repasse quand on
est seul, on se croit un héros, parce qu’on violente la nature pour lui faire dire ce qu’elle ne dit
pas ; on se donne un caractère de fantaisie, et l’on néglige d’améliorer le sien. On devient
souvent le martyr de sa vanité, et l’on se drape en tombant dans un manteau imaginaire. Dans le
domaine de la science, que d’efforts perdus pour accomplir le grand œuvre sans le
consentement de la raison ! Quelles folles recherches pour arriver à produire des effets
surnaturels, comme si le monde des effets était celui des causes ! comme si dans la nature
quelque chose de surnaturel pouvait se produire ! On ne veut pas croire que les merveilles de la
nature sont mille fois plus admirables que les fictions de la bibliothèque bleue. On s’abandonne
aux expériences les plus dangereuses ou les plus puériles, et l’on blasphème la science, parce
qu’on n’arrive pas à ses résultats par des moyens qu’elle désapprouve. De combien de manières
n’a-t-on pas torturé le sel, le soufre et le mercure, pour en faire de l’or, comme si l’on faisait de
l’or ! On peut bien prendre un œuf, le faire couver par une poule jusqu’à ce qu’il en sorte un
jeune coq ; est-ce à dire pour cela que l’on a fait un coq ? C’est la nature qui fait l’or, et toute la
science d’Hermès consiste dans la sagacité qui fait choisir et disposer les matériaux mêmes de
la nature, afin qu’elle fasse son œuvre, ce qu’elle ne manque jamais de faire quand les
instruments dont elle se sert se trouvent, soit naturellement, soit artificiellement disposés
comme elle-même les dispose. Plantez le gland, et vous ferez venir le chêne. Tout le secret de
la philosophie hermétique est dans cette seule indication. Nous avons trouvé la pisciculture ;
l’hermétisme, c’est la métalliculture. Mais ferez-vous venir des carpes en semant du frai de
hareng ? ferez-vous une levrette d’une grenouille, et un éléphant d’un rat (fable VI) ? Comment
ferait-on de l’or avec du sel, du soufre et du mercure, quand bien même on y mêlerait de
l’antimoine, du vitriol, de l’arsenic, de l’orpiment et toutes les drogues des souffleurs ?
M. Louis Lucas, le savant inventeur du biomètre, a déjà démontré que, suivant les idées des
anciens, la substance est une et ne doit ses formes spéciales qu’à la diversité de ses modes de
220
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
première fois ce qu’elle a engagé pour toujours. Elle a trompé le prêtre qui a béni son mariage,
mais elle ne trompera ni le juge ni le médecin : le premier dira qu’elle est infâme, à moins que
le second ne vienne déclarer qu’elle est folle (fables XI, XII, XIII). En effet, il faut être fou
pour sortir de l’honnêteté publique, et nous devons en dire autant des hommes que des femmes.
Eût-il l’aplomb et la facilité de M. de Girardin, le savoir-faire et la ténacité de M. Mirès, la
faconde pratique et rompu à la lutte de M. Granier (de Cassagnac) ; eût-il des qualités plus
grandes et plus rares encore, l’homme qui n’a pas l’esprit d’être honnête est un sot (fable XIV).
C’est dire assez qu’il ne saurait être un sage, et que, dans les grandes œuvres de la science,
il se trompera toujours. C’est pour cela que, dans notre Dogme et rituel de haute magie, nous
avons indiqué le magnétisme humain comme l’un des principes efficients du grand œuvre.
L’homme parfaitement équilibré est, en effet, un centre équilibrant pour les choses dont il
s’occupe, et la rectitude des pensées donne l’exactitude des œuvres. Or, les opérations de la
science sont si délicates qu’elles demandent des esprits dégagés de toutes passions, de toutes
cupidités et de tous systèmes. Ceux qui, en nous lisant, auront compris qu’il faut faire des
passes magnétiques sur l’Athanor auront été plus que naïf.
Cette naïveté excessive est d’ailleurs le caractère de ceux qui cherchent uniquement dans
les sciences occultes un moyen artificiel de s’enrichir ou de satisfaire plus aisément quelque
mauvaise passion. Peut-on imaginer qu’une science qui nous rapproche de la justice éternelle
par l’initiation à la justesse universelle de la nature puisse avoir pour résultat l’injuste
dérèglement des forces divines au profit de quelques appétits luxurieux et voraces ou de
quelques haines mal assouvies ?
La pauvreté est presque toujours plus utile à l’homme que la richesse (fable XV), et
pourtant combien de fois n’avons-nous pas éprouvé cette toute-puissance de l’aimant universel
qui satisfait tous les besoins et prévient tous les désirs de l’adepte lorsqu’ils ne sont pas
déréglés ! Nous en sommes venus au point de redouter, comme dans le conte enfantin des Trois
souhaits, de laisser échapper, sans y avoir pensé, l’expression vague d’un désir. La science
nous apporte ses livres oubliés ou perdus, la terre exhume pour nous ses vieux talismans. La
richesse, les mains pleines d’or, passe devant nos et dit en souriant : Prends tout ce qu’il te
faudra. Notre demeure est un palais, notre vie une longue fête, et nous rencontrons encore des
hommes naïfs qui nous disent en hochant la tête : Prouve-nous donc par des miracles la
puissance de tes doctrines !
Nous leur avons répondu l’année dernière publiant le Sorcier de Meudon, une étude sur
Rabelais, qui est un peu notre biographie : là nous avons fait comprendre aux vrais
pantagruellistes ce que le sage auteur de la folie gargantuaine entendait par l’oracle de la dive
bouteille : TRINQUEZ ! En effet, les Elohim ont créé le monde en trinquant. L’homme et la
femme sont une bouteille et un verre qui se rapprochent pour trinquer. La lumière trinque avec
l’ombre, la mort avec la vie, et quand la science trinquera avec la foi, quand la raison trinquera
avec le dogme, la liberté avec l’autorité, le droit avec le devoir, le passé avec l’avenir, ce sera
toute une création nouvelle ! Pourquoi voulez-vous que je casse la bouteille du passé, vous qui
voulez que le verre de l’avenir ne soit pas vide ? Allons, Grégoire VII, sors de ta tombe et
trinque avec Garibaldi, car tous deux vous avez fait bonne guerre aux abus du pouvoir
temporel ! Le vieux catholicisme s’en va ; mais qui le remplacera ? Eh ! bonnes gens, ne savez-
vous pas que, depuis le commencement des choses, les jeunes remplacent les vieux ? on
demande par quoi sera remplacé ce qui s’en va ? Eh ! bon Dieu, par ce qui viendra. Après le
catholicisme aveugle nous aurons la catholicité éclairée. Dieu nous la donne ; ainsi soit-il (fable
XVI) !
Nous ressemblons tous à des boiteux mal guéris : il nous semble qu’on nous prend nos bras
lorsqu’on nous ôte nos béquilles. Hélas ! qu’allons-nous devenir ? Voilà les chapeaux-gibus qui
ne sont plus à la mode ; irons-nous désormais tête nue ? Mais comment faire lorsqu’il pleuvra ?
222
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
Soyez tranquilles, enfants, on inventera d’autres chapeaux. Quoi donc ? toujours des
chapeaux ? Eh ! sans doute ; mais que voulez-vous faire, puisqu’on a inventé déjà les
chaperons, les casquettes et les bonnets ?
Nos vieilles chimères sont pour nous des souvenirs de tendresse. Nous les avons aimées
comme on s’aime dans Florian, nous les avons pleurées et nous les pleurons comme Vénus
pleure Adonis (fables XVII et XVIII) ; mais demain Vénus sera infidèle à sa douleur :
l’émotion des larmes va la préparer à la faiblesse, et Mars héritera de la bonne fortune adultère.
Ainsi nous allons d’erreur en erreur ; la vie humaine est ainsi faite et nous ne la changerons pas.
Il y aura toujours une multitude aveugle, et les élus de la lumière seront toujours en petit
nombre. Qu’ils profitent de leur science, ceux-là ; mais surtout qu’ils sachent se taire. Qu’ils
cachent bien à la folle multitude leur mépris pour ses idoles, leur pitié pour ses craintes et ses
espérances. Aussi bien ne les comprendrait-on pas et leur prêterait-on les opinions les plus
disparates et les plus bizarres. Les sages et les fous ne parlent plus la même langue ; la vérité
ennuie, la raison endort, la vertu fait peur. Si quelqu’un sort du cercle vicieux des déceptions et
des désirs insensés, le monde ne le comprend plus ; il disparaît aux yeux de la foule ; les plus
clairvoyants peuvent le suivre encore, mais évidemment à leurs regards il s’amoindrit : c’est le
sort de tout ce qui monte (fable XIX).
Le royaume de Dieu est au dedans de vous, disait le Christ, et ce royaume c’est celui de la
conscience. Ne nous dites pas que la conscience est arbitraire ; ne nous dites pas que le méchant
peut jouir de la paix. Lacenaire nous dit qu’il sommeille comme une vierge chaste et pure, et
Lacenaire est un menteur. Il rêve de la guillotine, qu’il appelle en frémissant sa belle fiancée !
Il attend le baiser mordant du couperet, et toute sa chair maudite frissonne d’épouvante… Et
puis comme il tremble devant Dieu qu’il nie et qu’il affirme en même temps dans les
contradictions de son agonie :
Demain ! le lendemain de ton supplice tu dis que tu sauras quelque chose, ô pauvre
misérable qui prétends ne pas croire à l’immortalité de l’âme ! (fable XX).
Si le crime pouvait donner le bonheur, le crime serait la vertu, et l’on aurait raison de mal
faire… Mais que la société se rassure, le mal ne se confondra jamais avec le bien. Si tu fais le
bien, a dit l’Eternel à Caïn, le bien sera ta récompense ; mais si tu fais le mal, ton crime se
dressera immédiatement sur le seuil de ta porte comme un juge et comme un bourreau !
Le dernier triomphe du sage sur le mal se traduit par la mansuétude et le pardon. Si l’on est
malheureux de mal faire, est-ce de la haine ou de la pitié que mérite un pareil malheur ? Le
sage ne s’irrite jamais, nous l’avons déjà dit ; mais il fait plus, il rend le bien pour le mal, la
bénédiction pour l’injure, et reste inébranlable dans l’indépendance de son cœur. Le vulgaire se
met en fureur contre lui ; on le bannit, on l’emprisonne, on le persécute, on le tue, mais on ne
lui ravit pas la toute-puissance de sa paix profonde. Orphée, Pythagore, Socrate, Apollonius de
Thyane, Hypathie, sont morts glorieux comme nos saints et nos martyrs, car ils ont été, eux
aussi, les martyrs de la vérité dans l’ancien monde ; ils ont deviné l’immense pardon du Fils de
Dieu, et, dans une mort triomphante, ils ont reçu à la fois le baptême du désir et celui du sang
(fable XXI) !
Une nouvelle alliance se prépare entre la religion et l’homme : ce sera le mariage de raison
après le mariage d’amour, et de même que les irrégularités de la passion doivent disparaître
devant la sainteté du mariage (fable XXII), toutes les puériles et naïves controverses religieuses
du moyen âge feront place à cet éclat de vérité, à cette splendeur que les grands kabbalistes ont
223
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
pressentie, et dont ils ont fait briller les premières étincelles dans le Sépher Jezirah et le Sohar.
Les chrétiens arrêtés devant une porte que les Juifs seuls peuvent ouvrir leur en demanderont la
clef, et les deux peuples entreront ensemble, confondant tous leurs sanglants souvenirs dans le
même oubli, tous leurs ressentiments dans le même pardon. Quel mal sur la terre est assez
grand pour mériter un souvenir en présence du bien, et quelle erreur en s’effaçant pourra jamais
laisser une ombre sur la splendide vérité (fable XXIII) ?
Les cultes changent, et la religion est toujours la même ; les dogmes se dévorent et
s’absorbent les uns les autres, comme font les animaux qui vivent sur la terre, et le monde
magnétique n’est pas plus le domaine de l’erreur que le monde terrestre n’est l’empire de la
mort. La mort apparente alimente la vie réelle, et les controverses religieuses doivent aboutir tôt
ou tard à une grande catholicité. Alors l’humanité saura pourquoi elle a souffert,, et la vie
éternelle, en désarmant l’ange de la mort, révèlera aux nations le mystère de la douleur (fables
XXIV et XXV).
224
Eliphas Lévi – Fables et Symboles
PROPHETIES.
PROMETHEE.
PROMETHEE.
LE SPHINX.
La science fatale.
LE SPHINX.
LE CREDO PHILOSOPHIQUE.
LE LION.
LE LION.
LE TEMPLE DE L’AVENIR.
LA PROPHETIE D’ELIPHAS.
FIN.
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made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
ÉLIPHAS LÉVI
LE SORCIER
DE MEUDON
A MADAME DE BALZAC
NÉE COMTESSE ÉVELINE BZEWUSKA
ÉLIPHAS LÉVI
(Alphonse-Louis-Constant)
PRÉFACE
Aussi, avait-il pour devise cette sentence profonde qui est un des
grands arcanes de la magie et du magnétisme:
Dans le même siècle vécurent deux hommes de bien, deux grands savants
deux encyclopédies parlantes, prêtres tous deux d'ailleurs et bons
hommes au demeurant. L'un était notre Rabelais et l'autre se nommait
Guillaume Postel. Ce dernier laissa entrevoir à ses contemporains qu'il
était grand kabbaliste, sachant l'hébreu primitif, traduisant le sohar
et retrouvant la clef des choses cachées depuis le commencement du
monde.
Est-ce à dire que Rabelais, l'homme le plus docte de son temps, ignorât
la kabbale, l'astrologie, la chimie hermétique, la médecine occulte et
toutes les autres parties de la haute science des anciens mages? Vous ne
le croirez, certes, pas, si vous considérez surtout que le _Gargantua_
et le _Pantagruel_ sont livres de parfait occultisme, où sous des
symboles aussi grotesques, mais moins tristes que les diableries du
moyen âge, se cachent tous les secrets du bien penser et du bien vivre,
ce qui constitue la vraie base de la haute magie comme en conviennent
tous les grands maîtres.
Ami lecteur, à quoi tend ce préambule? c'est tout bonnement à vous dire
que l'auteur de ce petit livre, après avoir étudié à fond les sciences
de Trithème et de Postel, en a tiré ce fruit précieux et salutaire, de
comprendre, d'estimer et d'aimer par-dessus tout le sens droit de la
sagesse facile et de la bonne nature. Que les clavicules de Salomon lui
ont servi à bien apprécier Rabelais, et qu'il vous présente aujourd'hui
la légende du curé de Meudon comme l'archétype de la plus parfaite
intelligence de la vie; à cette légende se mêle et s'entortille, comme
le lierre autour de la vigne, l'histoire du brave Guilain, qui, au dire
de notre Béranger, fut ménétrier de Meudon au temps même de maître
François. Pourquoi et comment ces deux figures joyeuses sont ici
réunies, quels mystères allégoriques sont cachés sous ce rapprochement
du musicien et du curé, c'est ce que vous comprendrez facilement en
lisant le livre. Or, ébaudissez-vous, mes amours, comme disait le
joyeux maître, et croyez qu'il n'est grimoire de sorcier ni traité
de philosophie qui puisse surpasser en profondeur, en science et en
abondantes ressources, une page de Rabelais et une chanson de Béranger.
ÉLIPHAS LÉVI.
LE SORCIER DE MEUDON
PREMIÈRE PARTIE
LA BASMETTE
Or, vous saurez, si vous ne le savez déjà, que la Basmette était une
bien tranquille et plantureuse jolie petite abbaye de franciscains, dans
le fertile et dévotieux pays d'Anjou. Tranquille et insoucieuse, en
tant que les bons frères mieux affectionnaient l'oraison dite de
Saint-Pierre, qui si bien sommeillait au jardin des Olives à tout le
tracas de l'étude et à la vanité des sciences; plantureuse en bourgeons,
tant sur les vignes que sur le nez de ses moines, si bien que la
vendange et les bons franciscains semblaient fleurir à qui mieux mieux,
avec émulation de prospérité et de mérite; les frères étant riants,
vermeils et lustrés comme des raisins mûrs; et les grappes du cloître et
du clos environnant, rondelettes, rebondies, dorées au soleil et toutes
mielleuses de sucrerie aigre-douce, comme les bons moines.
Comment et par qui fut premièrement fondée cette tant sainte et béate
maison, les vieilles chartes du couvent le disent assez pour que je
me dispense de le redire; mais d'où lui venait le nom de Basmette, ou
baumette, comme qui dirait, petite baume? c'est de la légende de madame
sainte Madeleine, qui, pendant longues années, expia, par de rigoureuses
folies de saint amour, les trop douces folies d'amour profane dont un
seul mot du bon Sauveur lui avait fait sentir le déboire et l'amertume,
tant et si bien qu'elle mourut d'aimer Dieu, lorsqu'elle eut senti
l'amour des hommes trop rare et trop vite épuisé pour alimenter la
vie de son pauvre coeur. Et ce fut dans une merveilleuse grotte de la
Provence, appelée depuis la Sainte-Baume, à cause du parfum de pieuse
mélancolie et de mystérieux sacrifice que la sainte y avait laissé,
lorsque Jésus, touché enfin des longs soupirs de sa triste amante,
l'envoya quérir par les plus doux anges du ciel.
Frère Lubin était le fils aîné d'un bon fermier des environs de la
Basmette. Sa vocation religieuse était toute une légende, dont les
moines se promettaient bien d'enrichir un jour leur chronique. Sa mère
étant en travail d'enfant pour lui donner une petite soeur, s'était
trouvée réduite à l'extrémité; et, de concert avec Jean Lubin, son bon
homme, elle avait voué à saint François son premier enfant, Léandre
Lubin, âgé alors de six ans et demi.
Or, depuis douze ans déjà, le jeune Lubin était le commensal des
habitants de la Basmette. C'était un long noviciat. Mais le frère
François avait obtenu du père prieur qu'aucun novice ne ferait ses voeux
définitifs qu'il n'eût au moins ses dix-neuf ans sonnés, expression qui,
ce me semble, convient surtout aux années de cette vie claustrale, dont
tous les instants et toutes les heures se mesurent au son de la cloche.
II
MAÎTRE FRANÇOIS
Le père prieur était donc, ainsi que nous l'avons dit, en oraison de
quiétude; son menton rembourré de graisse assurant l'équilibre de sa
tête, marmotant par intervalles et babinottant des lèvres, comme s'il
eût remâché quelque réponse, à la manière des enfants qui s'endorment en
suçant une dragée: son gros bréviaire glissant peu à peu de dessus ses
genoux, comme un poupon qui s'ennuie des caresses d'une vieille femme,
et les bienheureuses besicles aussi aventurées sur le gros livre que
Dindenaut le fut plus tard en s'accrochant à la laine de son gros
bélier.
_Vanum est vobis ante lucem surgere; surgite postquam sederitis, qui
manducatis panem doloris, quùm dederit dilectis suis somnum._
Le prieur alors poussa un grand soupir, et, sans ouvrir les yeux,
renversa sa tête en arrière pour ne rien perdre, puis avec autant de
ferveur qu'un nourrisson à jeun prend et étreint la mamelle de sa
nourrice, il leva les bras et prit à deux mains le flacon, que maître
François lui abandonna, puis il but, comme on dit, à tire-larigot.
--Avalez, bon père, ce sont herbes; et grand bien vous fasse! dit le
frère François, du plus grand sérieux. La crise est passée, à ce qu'il
me paraît, et nous commençons à nous mieux porter.
--Sur ce, dit frère François, permettez-vous que je vous fasse quinaut?
Dites-moi, je vous prie, ce que c'est qu'un ivrogne?
--La chose assez d'elle-même se comprend. C'est celui qui sait trop bien
boire.
--Vous n'y êtes en aucune manière et n'y touchez pas plus qu'un rabbin à
une tranche de jambon. L'ivrogne est celui qui ne sait pas boire et qui,
de plus, est incapable de l'apprendre.
--Et comment cela? fit le père prieur en allongeant la main pour faire
signe qu'on lui rendît ses besicles, car la chose lui semblait assez
curieuse pour être contemplée à travers des lunettes.
--Non.
--En _ferio_?
--Non.
--En _baralipton_?
--Non.
--Je ne suis point marié et vous ne l'êtes point, que je sache, pourtant
mon argument cornu sera-t-il si vous voulez: cornu comme Silène et le
bon père Bacchus, cornu à la manière du pauvre diable dont Horace
parle en disant, à propos du père Liber (c'était le père général des
cordeliers du paganisme): _Addis cornua pauperi_. Ceci n'est pas matière
de bréviaire.
--Buverie, soit; mais comment prouvez-vous que l'ivrogne est celui qui
ne sait pas boire?
--Je m'accuse d'avoir raison, fit maître François avec une humilité
comique et en se frappant la poitrine.
--Jésus, mon Dieu! qui a jamais ouï pareil langage sortir de la bouche
d'un moine! mais, mon cher enfant, je vous assure que vous avez l'esprit
faux, accusez-vous-en.
--Eh bien! en cela même, mon père, pardon encore si je vous contredis,
mais ce sont plutôt les novices qui me suggèrent les pensées que voilà.
Et, par exemple, que faites-vous ici du petit frère Lubin? Ne vous
semble-t-il pas séraphique comme un démon, avec ses grands yeux malins,
son nez fripon et sa bouche narquoise? Le beau modèle d'austérité à
présenter aux femmes et aux filles! Je me donne au diable si toutes
ne le lorgnent déjà, et si les papas et les maris n'en ont une peur
mortelle! M'est avis que vous donniez à ce petit drôle un congé bien en
forme, et qu'il retourne aux champs labourer, et sous la chesnaie danser
et faire sauter Pérotte ou Mathurine. Je les vois d'ici rougir, se
jalouser et être fières! Oh! les bonnes et saintes liesses du bon Dieu!
et que tous les bons coeurs sont heureux d'être au monde! Voyez-vous
la campagne toute baignée de soleil et comme enivrée de lumière?
Entendez-vous chanter alternativement les grillons et les cornemuses?
On chante, on danse, on chuchote sous la feuillée; les vieux se
ragaillardissent et parlent de leur jeune temps; les mères rient de
tout coeur à leurs petits enfants, qui se roulent sur l'herbe ou leur
grimpent sur les épaules; les jeunes gens se cherchent et se coudoient
sans en faire semblant, et le garçon dit tout bas à la jeune fille des
petits mots qui la rendent toute heureuse et toute aise. Or, croyez-vous
que Dieu ne soit pas alors comme les mères, et ne regarde pas le bonheur
de ses enfants avec amour? Moi, je vous dis que la mère éternelle (c'est
la divine Providence que les païens appellent nature) se réjouit plus
que ses enfants quand ils se gaudissent. Voyez comme elle s'épanouit et
comme elle rit de florissante beauté et de caressante lumière! Comme sa
gaieté resplendit dans le ciel, s'épanche en fleurs et en feuillages,
brille sur les joues qu'elle colore et circule dans les verres et dans
les veines avec le bon petit vin d'Anjou! Vive Dieu! voilà à quel office
ne manquera jamais frère Lubin, et je me fais garant de sa ferveur! Vous
êtes triste, mon père, et le tableau que je vous fais vous rappelle que
nous sommes des moines.... Or bien donc, ne faisons pas aux autres ce
qu'on n'eût pas dû nous faire à nous-mêmes, et renvoyez frère Lubin!
Frère François fit un profond salut au prieur, qui n'osa pas le lui
rendre et qui était tremblant comme un écolier pris en défaut; puis un
nouveau salut à frère Paphnuce qui ne lui répondit que par une affreuse
grimace, et il se retira grave et pensif, en écoutant machinalement la
voix aigre du maître des novices qui gourmandait sans doute le pauvre
prieur aux besicles, et lui faisait comprendre la nécessité urgente
d'avancer d'une année, malgré sa promesse formelle, la profession de
frère Lubin.
III
MARJOLAINE
Cependant l'office des moines terminé, tandis que deux ou trois bonnes
vieilles achevaient leurs patenôtres, non sans remuer le menton, comme
si lui et leur nez se fussent mutuellement porté un défi, une gentille
et blonde petite jouvencelle de dix-sept ans restait aussi bien
dévotement devant sa chaise, agenouillée, et relevait de temps en temps
ses grands yeux baissés pour regarder du côté de l'autel. Elle était
rosé comme un chérubin et avait les yeux bleus et doux comme les
doit avoir la Vierge Marie elle-même; toutefois, dans cette douceur,
étincelait je ne sais quelle naïve mais toute féminine malice: telle
je me représenterais volontiers madame Eve, prête à mordre au fruit
défendu, sans croire elle-même qu'elle y touche: nature, hélas! a tant
par sa propre faiblesse de propensions au péché!
Or, si jamais péchés peuvent être mignons et jolis, tels devront être
sans contredit les tendres péchés de Marjolaine. Marjolaine est la fille
du brave Guillaume, le closier de la Chesnaie; sa mère en raffole, tant
elle la trouve gentille; et le papa, qui ne dit pas tout ce qu'il en
pense, se complaît à entendre et voir raffoler la maman. Tout le monde
s'ébaudit dans la maison au sourire de Marjolaine, et si elle a l'air de
bouder, toute la maison est chagrine. C'est sa petite moue qui fait les
nuages et ses yeux qui font le soleil; elle est reine dans la closerie:
aussi sa jupe est-elle toujours proprette et ses coiffes toujours
banchettes; sa taille fine est serrée dans un corsage de surcot bleu,
et quand, pendant la semaine, elle vient à l'église des frères, elle a
toujours l'air d'être endimanchée. Personne pourtant ne se moque d'elle;
elle est si mignonne et si gentille! et puis d'ailleurs les fillettes
des environs auraient bien tort d'être jalouses, Marjolaine ne va jamais
à la danse, Et les amoureux, déjà éconduits plus d'une fois, n'osent
déjà plus lui parler. Elle ne se plaît qu'à la messe où à vêpres, pourvu
que ce soit dans l'église des moines; et pourtant elle n'a pas la mine
triste d'une dévote ni l'oeil pudibond d'une scrupuleuse. Pourquoi
donc, non contente de l'office qui vient de finir, est-elle à genoux la
dernière, lorsque les vieilles elles-mêmes font un signe de croix et
s'en vont?
--Jeune fille, lui dit-il d'un ton assez peu caressant, il ne faut pas
rester dans l'église après l'office; allez travailler près de votre mère
afin que le démon de l'oisiveté ne vous tente pas, et priez Dieu
qu'il vous pardonne vos péchés de coquetterie tant vous êtes toujours
pomponnée et pincée comme une comtesse!
Ayant ainsi apostrophé la jeune fille, frère Paphnuce lui tourna le dos,
et elle s'en allait toute confuse, le coeur gros d'avoir été appelée
coquette; le frère Lubin se retourna pour la voir sortir, et elle aussi,
près de a porte, jeta en tapinois un regard à frère Lubin qui devint
rouge comme une fraise et qui se mit à ranger l'église, s'échauffant à
la besogne et n'avançant à rien; car deux ou trois fois commençait-il
la même chose et plus voulait-il paraître tout occupé des soins qu'il
prenait, plus on eût pu voir que sa pensée était ailleurs et que son
coeur était tout distrait et troublé. Or, cependant s'en retournait à
petits pas, cheminant vers la closerie, Marjolaine la blonde, le long
de la haie d'églantiers, effeuillant de temps en temps sans y songer la
pointe des jeunes branches et prêtant l'oreille et le coeur aux oiseaux
et à ses pensées, qui faisaient harmonieusement ensemble un concert de
mélodie et d'amour. La douce senteur des arbres fleuris et de l'herbe
verte ajoutait à la réjouissance de l'air tiède et resplendissant:
Marjolaine marcha seule ainsi jusqu'au détour du clos de Martin, à
l'avenue qui commence entre deux grands poiriers; là, bien sûre que
personne ne pouvait la voir, elle ouvrit bien vite le gros livre
d'heures et en tira, au lieu de l'image que frère Lubin était censé y
avoir remise, un petit papier soigneusement replié, qu'elle ouvrit avec
empressement et qui contenait ce qui suit:
«Frère LUBIN.»
IV
La cellule du frère médecin n'était point située comme les autres dans
l'intérieur du cloître; c'était une assez grande salle qui servait en
même temps de bibliothèque, et qui dépendait des anciens bâtiments du
prieuré; l'une des fenêtres avait été murée, parce qu'autrefois elle
servait de porte et communiquait avec le clos extérieur au moyen
d'un vieil escalier de pierre tout moussu, dont les restes branlants
subsistaient encore. La fenêtre qui restait était en ogive, et tout
ombragée de touffes de lierre qui montaient jusque-là et se balançaient
au vent. Une corniche de pierre en saillie, soutenue par une rangée
d'affreux petits marmousets accroupis et tirant la langue, passait sous
la fenêtre à trois ou quatre pieds environ, et se rattachait à l'ancien
balustre de l'escalier, dont il ne restait plus que trois ou quatre
colonnettes. De la fenêtre de maître François on pouvait voir le plus
beau paysage du beau pays d'Anjou. Le clos des moines, tout planté de
vignes, descendait en amphithéâtre et n'était séparé de la route que par
une haie d'églantiers. Plus loin s'étendaient d'immenses prairies, que
des pommiers émaillaient au printemps d'une pluie de fleurs blanches et
rosés; puis, plus loin encore, entre les touffes rembrunies des grands
arbres de la Chesnaie, on voyait au pied d'un coteau boisé, joyeuses et
bien entretenues, les maisonnettes de la closerie où nous avons laissé
Marjolaine.
--Oh! le bon moine qu'ils vont faire! s'écria-t-il. Oh! la gloire future
des cordeliers! Comme il fera croître et multiplier la sainte famille du
Seigneur! Oh! le vrai parangon des moines! et combien les femmes et les
filles se réjouiront des voeux qu'il va faire! Car, si à pas une ne
doit-il du tout appartenir, toutes, en vérité, peuvent avoir espérance
de conquérir ses bonnes grâces. Oh! comme il pratiquera bien la charité
envers le prochain, et combien d'indulgence il fera gagner aux maris
dont il confessera les femmes, et aux pères et mères dont il catéchisera
les fillettes! Dieu garde de mal ceux qui n'en diront rien et qui
voudront que pardessus tout et à propos de tout la Providence soit
bénie! Ça, voyons un peu où j'en étais de mes annotations sur les
ouvrages de Luther.
Et plus bas: «Chacun peut renverser ses propres idoles dès qu'il ne
les adore plus. Mais, si ton idole est encore un Dieu pour ton
frère, respecte le Dieu de ton frère, si tu veux qu'il respecte ton
incrédulité: et laisse-lui sa religion, pour qu'il n'attente pas à ta
vie: car l'homme doit estimer sa vie moins que ses dieux.»
Autre argument ne peut mon coeur élire, Voyant le deuil qui vous mine et
consomme: Mieux vaut de ris que larmes écrire, Pour ce que rire est le
propre de l'homme.
--Comment! vous ici, frère Lubin? Mais, petit malheureux, vos épaules
vous démangent-elles? et voulez-vous que frère Paphnuce, demain au
chapitre, vous fasse donner du _miserere_ jusqu'à _vitulos_?
--Frère Paphnuce ne me l'a pas laissé ignorer, mon pauvre petit frère
Lubin, et je vous en félicite de mon mieux; ce n'est pas ma faute si ce
n'est guère.
--Vous pouvez le croire, puisque vous ne l'avez jamais vu, dit le frère;
moi, je n'en douterais que si je le voyais.
--Eh bien! que comprendrait-il? pourvu qu'il ne puisse pas voir, comme
moi, que vous pleurez en regardant la closerie, et que vous regrettez la
charmante enfant, qui est devenue une délicieuse jeune fille...
--Mais, mon Dieu, qu'est-ce que je vous dis donc, mon frère? Mais je
vous assure bien que je ne vous ai rien dit du tout.
--Pas plus qu'à Marjolaine, n'est-ce pas?
--Oh! mais vous êtes donc sorcier! Voilà maintenant que vous savez!...
Mais au surplus, je pourrais bien vous dire que non. Comment ferais-je
pour lui parler, je ne puis la voir qu'à l'église?
--Elle est aussi bien aimable et bien jolie. C'est cela que vous diriez
d'abord, si vous l'osiez.
--Oh! pour cela, je n'en sais rien, dit le novice en prenant un air
ingénu et en baissant les yeux.
--Frère Lubin! frère Lubin! cria dans le corridor une voix trop facile à
reconnaître et trop bien connue des novices.
--Ah! mon Dieu! voilà à présent frère Paphnuce qui me cherche dans le
prieuré; s'il vient ici, je suis perdu!
--Vite, mon frère, asseyez-vous. Vous n'êtes pas bien, je vous assure;
laissez-moi tâter votre pouls. Parbleu! cela ne m'étonne pas, il faut
aller vous coucher, vous avez la fièvre.
--Frère Lubin n'est pas ici? répéta le maître des novices avec humeur.
Maître François éclata de rire et demanda à son tour:
--Non, dit sèchement le maître des novices; que je ne vous dérange pas.
Vous êtes en dehors de la règle; autant vaut vous y mettre tout à fait.
Je vais chercher frère Lubin, car il faut que je sache où il peut être
caché.
--Hélas! mon frère, ma pauvre Marjolaine est malade! Cela l'a prise au
retour de l'office; elle est pâle, elle pleure, elle veut être seule et
ne veut pas dire ce qu'elle a.
--Oh! mon frère, ce n'est pas ce que vous pensez. La pauvre enfant ne
songe pas à mal; elle ne se plaît qu'à l'église.
--Frère François! frère François! disait tout bas Lubin, caché derrière
l'appui de la croisée, ne dites rien, je vous en prie!
--Et à qui la marier, mon bon frère? La petite coquette ne veut entendre
parler de personne.
--C'est que vous ne lui parlez jamais de celui qu'elle voudrait bien.
--Oh! mon Dieu, elle aurait bien tort de croire que je la contrarierais
si elle avait une inclination, et son père veut tout ce que je veux.
Nous lui donnons peu de chose, mais c'est notre fille unique, et la
closerie est à nous: elle restera avec nous tant qu'elle voudra, et nous
la croirons toujours assez richement mariée si elle l'est selon ses
désirs.
--Voilà qui est bien et sagement pensé. En effet, une fille vendue
ne sera jamais une femme honnête, et celle qui se marie pour un écu
trompera son mari pour une pistole, en cas qu'elle soit vertueuse,
autrement ce sera pour rien.
--Ah! oui, j'aurais dit que Guillaume s'était voué à moi, et que saint
François, étant le plus raisonnable et surtout le moins compromis dans
l'affaire, c'était lui qui devait céder. Et tenez, vous parlez de Jean
Lubin; mais croyez-vous qu'il ne se repente pas à l'heure qu'il est
d'avoir mis son fils au couvent, un si bel enfant, et qui promettait
d'être à la fois si doux et si malin!
--Il est justement occupé à la vigne de Jean Lubin qui l'a prié de lui
aider comme son ami et son compère, je viens de les voir de loin en
passant près des grands poiriers.
--Eh bien! allez vite les rejoindre et menez-les avec vous à la chambre
de Marjolaine; vous approcherez tout doucement, et si les oiseaux
sont au nid vous les prendrez sans les effaroucher. A revoir, mère
Guillemette!
--Oh! mon Dieu! vous me faites peur. Mais ce n'est pas possible, et
d'ailleurs comment sauriez-vous?...
--Mais oui... mais oui. Ah! mais, qu'est-ce que c'est donc que cela?
On dirait qu'il y a quelqu'un qui lui parle par la fenêtre... Je ne
distingue pas très-bien... mais je crois voir une robe brune; c'est sans
doute la mère Barbe ou la vieille Marguerite... mais elles ont donc
sauté par-dessus la haie, puisque j'ai fermé la porte à la clef... Bon!
la voilà qui entre et la fenêtre qu'on referme. Qu'est-ce que c'est
donc? qu'est-ce que c'est donc que cela?
--Décidément, il faut que frère Lubin ait pris la fuite par-dessus les
murs! s'écria en même temps la voix de frère Paphnuce qui revenait tout
essoufflé, on ne le trouve nulle part.
--Je vais le chercher avec vous si vous le désirez, mon frère, et quant
à vous, mère Guillemette, doucement et de la prudence: vous connaissez
le mal et vous en savez le remède. Allez vite, et si vous n'arrivez pas
assez à temps pour empêcher une petite crise, faites en sorte qu'elle
tourne à bien, et votre malade est sauvée.
Or, la veille même de Saint-François, deux jours après les aventures que
nous venons de raconter, pendant que les moines chantaient en choeur
dans la crypte de la Basmette, un prisonnier pleurait et se désespérait
à vingt pieds au moins sous terre, dans une cellule des caveaux.
Dans un espace de quatre à cinq pieds carrés, assis sur une grosse
pierre que couvrait une natte terreuse et humide, plié en deux et la
tête cachée dans ses bras, qu'il appuyait sur ses genoux, le pauvre
pénitent involontaire eût ressemblé à une statue, sans le mouvement
convulsif et régulier que lui faisaient faire ses sanglots. Un peintre
espagnol eût volontiers pris modèle sur lui pour représenter le
désespoir de la damnation et l'immobilité douloureuse et tourmentée du
découragement éternel.
Et laissant retomber sa tête sur ses bras et sur ses genoux, il se prit
à pleurer si amèrement que ses larmes coulaient jusqu'à terre.
Tout à coup il lui semble qu'un bruit sourd se fait près de lui dans la
muraille: quelques fragments de salpêtre et de mousse blanche tombent
sur sa tête nue; il se relève encore une fois avec épouvante et regarde
fixement la muraille... il ne se trompe pas: une grosse pierre remue
d'elle-même et semble vouloir sortir de la place où elle est scellée. Le
novice pousse un grand cri... ô merveille! la muraille lui répond, et
une voix sortie d'entre les pierres l'appelle plusieurs fois par son
nom: frère Lubin! frère Lubin!
--Je ne suis pas plus mort que vous, lui dit la voix, plus rapprochée,
tirez à vous cette pierre qui s'ébranle, et prenez garde qu'elle ne
vous tombe sur les pieds; vous la poserez doucement à terre, et si vous
entendez venir quelqu'un à la porte de votre cachot, vous la remettrez à
sa place le plus proprement possible. Faites vite et ne craignez rien.
Frère Lubin ne se le fit pas dire deux fois, car il lui semblait bien
reconnaître cette fois la voix de celui qui lui parlait. Il se lève donc
promptement, et voyant la pierre qui sort d'elle-même de sa place,
la tire, la soutient de son mieux, car elle était lourde, et la fait
glisser jusqu'à terre. Alors par l'ouverture qui vient, de se faire, il
voit passer une tête... et cette tête n'a rien d'effrayant pour lui;
car, comme il osait à peine l'espérer, c'est celle de maître François.
--Enfin! s'écrie le frère médecin avec son accent toujours joyeux, vous
voici donc, maître renard! et ce n'est pas sans peine qu'on découvre
votre terrier! Pauvre garçon, il a bien pleuré! il est bien pâle! Mais
courage, courage! c'est demain la fête, et c'est demain que la gentille
Marjolaine s'appellera Mme Lubin.
--Que dites-vous là, mon Dieu! et par où êtes-vous venu ici? dit frère
Lubin tout effaré.
--Ça, avant que je vous réponde, donnez-moi de vos nouvelles, dit maître
François; car dans le couvent on parle diversement de votre aventure.
Je ne vous ai point revu depuis que vous avez disparu de ma fenêtre
derrière laquelle vous étiez caché. Comment donc vous a-t-on surpris,
comme on le raconte, dans la chambre de Marjolaine? Et pourquoi vous
a-t-on mis dans ce cachot, vous qui n'êtes encore qu'un novice, et qui,
par conséquent, ne pouvez être puni pour avoir enfreint vos voeux,
puisque vous n'en avez pas fait?
Si, contre toutes mes prévisions, on ne venait pas vous chercher, voici
ce que vous aurez à faire. Sachez que depuis longtemps je rêvais au
moyen de délivrer le premier malheureux que la fausse religion des
moines condamnerait au supplice de l'_in pace_, et que j'ai profité pour
cela de la liberté assez grande dont je jouis dans le couvent, grâce à
ma double réputation de prédicateur et de médecin. Or, voici ce que j'ai
trouvé.
J'ai donc commencé par jeter dans le puits tout ce que j'ai pu ramasser
de fagots, de vieilles planches et même une grosse barrique, pour être
moins en danger de m'y embourber en y descendant.
--C'est vrai, s'écria frère Lubin. Suis-je assez sot de ne pas m'en être
aperçu!
--En m'orientant bien, continua maître François, j'ai trouvé l'endroit
qu'il fallait attaquer et j'ai commencé un conduit souterrain allant du
fond du puits à l'_in pace_; et, en effet, après avoir creusé environ
deux ou trois pieds dans la terre, j'ai rencontré le tuf: c'était la
muraille de votre cachot.
--O frère François, vous êtes mon ange sauveur! Vite, il faut me tirer
d'ici... Je veux la revoir, je veux rassurer Marjolaine.
--Oh! frère François, mon père, mon sauveur, que je vous embrasse!
--O mon Dieu! que va-t-il donc m'arriver! dit frère Lubin, est-ce que
vous voulez me donner la mort!
--Il va vous arriver quelque chose de bien plus affreux que la mort, dit
le maître des novices: vous avez déjà perdu, par votre faute, le saint
habit de religion. Tenez, prenez cela, ajouta-t-il en jetant à celui qui
tenait une corde la défroque du novice, dont il fit aussitôt un paquet;
et vous, dit-il à l'autre, déployez devant ce petit malheureux sa livrée
d'ignominie... Ah! vous croyez que vous allez mourir! vous le voudriez
bien, peut-être, pour ensevelir votre honte dans le tombeau. Mais,
non, vous ne mourrez pas... On va seulement vous rendre votre vêtement
séculier, et vous laisser à vos réflexions: puissent-elles amener une
conversion salutaire! Vous renouvellerez demain votre amende honorable
devant l'autel de saint François.
VI
LE MARIAGE MIRACULEUX
Marjolaine alors courut dans les bras de sa mère, qui, posant sa lampe
sur un bahut, lui souriait avec des larmes dans les yeux, et toutes deux
se tinrent longtemps embrassées, ne pouvant faire autre chose, ni rien
trouver à se dire, mais pleurant toutes deux en silence, et goûtant je
ne sais quelle triste joie dans cet épanchement douloureux.
--Non, reste, dit Marjolaine en retenant dans ses bras l'aimable soeur
de frère Lubin, puis la prenant sur ses genoux, elle s'efforça de lui
sourire: mais elle ne pouvait s'empêcher de songer que cette enfant
serait peut-être un obstacle insurmontable à son bonheur, et des larmes
glissèrent, malgré elle, jusqu'à ses lèvres souriantes, comme parfois en
un beau jour de printemps on voit, par un caprice des nuages, tomber de
grosses gouttes de pluie sur les fleurs coquettes et resplendissantes,
qui s'épanouissent au soleil.
Tout le monde attendait sans savoir quoi, lorsque frère Paphnuce parut
accompagné d'un frère convers, qui portait une brassée de cierges en
cire jaune, On les distribua à tous les moines, puis la porte noire
de l'_in pace_ s'ouvrit, et tout le couvent, dirigé par le maître des
novices, descendit dans les caveaux en chantant d'une voix lugubre et
lente le psaume _Miserere_.
«Bon saint François, je vous prie pour mon frère, qui vous a servi
pendant douze ans, pour me conserver la vie et me faire grandir;
maintenant, c'est à mon tour, et je me donne à vous pour rendre la
liberté à mon frère! Je sais que vous êtes bon et que vous ne faites pas
mourir les enfants. Vous voulez seulement qu'ils soient bien sages et
qu'ils aiment bien le bon Dieu. Oh! je vous le promets, grand saint
François, permettez donc que mon frère soit heureux, et je vous en
remercierai tous les jours par ma piété et ma sagesse!»
Tout le monde fut attendri, excepté les moines. Les femmes pleuraient,
et Jean Lubin essuyait avec sa main ses grosses larmes aux coins de ses
yeux. Frère Paphnuce faisait une laide grimace; il imposa silence d'un
grand geste de sa main osseuse, et montrant la statue du saint patron:
Frère Lubin retint dans un de ses bras sa soeur Mariette qu'on voulait
éloigner de lui, et, se retournant du côté du peuple, il étendit son
autre main et ne dit que ce mot:
--Marjolaine!
VII
Revenus de leur première émotion, les moines ayant tant bien que mal
réussi à repousser la foule et à fermer les portes de l'église et du
couvent, s'étaient réunis au chapitre, et commençaient à comprendre dans
toute son énormité l'algarade de frère François. Le coupable était gardé
à vue dans la sacristie, où il s'était réfugié. Le père prieur, qui au
fond de son âme ne pouvait s'empêcher d'aimer le pauvre frère médecin,
paraissait consterné et essuyait de temps en temps ses petits yeux
rouges et larmoyants; seulement je ne saurais dire si l'émotion seule
rendait ses paupières humides, ou s'il fallait attribuer une grande part
de son attendrissement clignotant à l'absence de ses besicles.
Absurde, parce que ma croyance en Dieu est en moi et que vous n'en êtes
pas les juges. Les païens accusaient les premiers chrétiens d'athéisme,
parce qu'ils ne les voyaient point adorer les idoles d'or, d'argent, de
marbre, de pierre ou de bois: cependant être sans idoles, ce n'est pas
être sans Dieu: au contraire! le grand Maître n'a-t-il pas dit que Dieu
est esprit et qu'il faut l'adorer en esprit et en vérité? Or, l'esprit
de Dieu peut seul juger l'esprit de l'homme, parce que seul il Je
pénètre: et quant à la vérité, on ne la juge pas, c'est elle qui nous
jugera tous. Votre accusation est donc absurde, du moment où je veux
bien vous dire: je crois en Dieu!
--Je me recommande aux trois rois mages, reprit l'accusé, et je les prie
de répondre pour moi, eux qui lisaient l'avenir dans le ciel et qui
savaient les noms mystérieux des étoiles; eux qui, du fond de l'Orient,
saluaient l'astre nouveau dont l'influence allait changer le ciel et
la terre, et qui osèrent calculer l'horoscope d'un Dieu fait homme!
Ne connaissaient-ils pas les relations du monde visible avec le monde
invisible, eux à qui des pressentiments divins parlaient en songe? Et ne
savaient-ils pas les propriétés secrètes des métaux et la vertu mystique
des parfums, eux qui offrirent à l'enfant plus grand que Salomon de
l'or, de l'encens et de la myrrhe?
--Saint François! que dit-il là? se récria frère Paphnuce; Dieu nous
pardonne de l'avoir écouté. Écrivez, frère Pacôme, reprenez de
l'encre, si vous n'en avez plus, et écrivez, vite écrivez ses nouveaux
blasphèmes! Il ose dire que les trois mages étaient des sorciers!...
--Le crime de magie n'existe pas, répondit maître François avec dignité.
La science de la nature et de ses harmonies cachées fait partie de la
vraie théologie, et c'est pourquoi le Verbe fait homme, après avoir
appelé autour de son berceau les pauvres et les simples qu'il venait
sauver, a voulu être adoré par les mages, qui représentaient la royauté
future de la science, et qui étaient, devant le Dieu fait homme, les
ambassadeurs du monde nouveau et du règne futur de l'esprit.
répondit frère François. Il n'y a donc de mauvais désirs que ceux qui
n'ont pas pour objet un bon, chaste et légitime mariage! Tels sont les
désirs des pauvres reclus qui se repentent de l'imprudence de leurs
voeux, et c'est de ceux-là que j'ai voulu préserver l'innocence du frère
Lubin, que Dieu n'avait pas créé pour être moine, mais bien pour être
bon et honnête fermier, bien aimé de sa femme et un jour père de
famille. Croyez-vous que la chasteté puisse demeurer dans une âme
contrainte au célibat et qui sans cesse étouffe ou veut étouffer ses
désirs sans cesse renaissants, comme les entrailles de Prométhée?
N'est-ce pas dans le cloître que s'acharne après le coeur isolé et
désolé du mauvais moine le vautour implacable des passions impures? Et
j'appelle mauvais moine celui que, par un attrait supérieur, immense,
irrésistible, Dieu n'a pas à tout jamais appelé à lui et séparé du
monde; privilège seulement de quelques âmes saintement exaltées et
amoureuses de l'idéal. Or, ceux-là seulement peuvent suivre les traces
d'un Antoine, d'un Hilarion, d'un Jérôme; parce qu'un attrait puissant
les y porte, et qu'il n'est besoin pour les contraindre ni de clôtures
ni de disciplines forcées, ni de caveaux où on les enterre vivants.
Quant aux autres, je dis que ce sont les âmes les plus impures, les plus
débauchées et les plus incurables qui soient au monde. Les plus impures,
parce que leur concupiscence est désormais sans remède. Les plus
débauchées, parce que leur imagination, excitée par l'ignorance et par
la contrainte, franchit les bornes du possible et se crée tout un
enfer de débauches inouïes, extravagantes et contre nature. Les plus
incurables, parce que les remèdes ne font qu'irriter le mal. Ils pensent
à l'horreur du péché sous prétexte de s'en repentir, et ne font qu'en
stimuler les titillations implacables et en renouveler les fantastiques
orgies. Oh! malheur à l'orgueil humain, qui se fait des chaînes
éternelles en proférant les paroles de jamais et de toujours! Que de
telles expressions échappent à l'extase de l'amour divin, ce sont plutôt
des aspirations que des voeux: et si plus tard l'humilité chrétienne
reconnaît la faiblesse humaine, Dieu ne saurait nous punir d'avoir
entrevu l'éternité bienheureuse et de retomber sur la terre: mais il
nous punirait si nous nous obstinions à vouloir sur la terre même donner
une éternité à nos erreurs, car ce serait l'éternité de l'enfer!
--Sans doute, dit le père prieur: mais les Grecs sont des schismatiques!
--Ce n'est pas ce qu'ils ont fait de mieux! Eh bien! quoi! vous éclatez
de rire!...
--Oui, je ris!
--Ce n'est point précisément de savoir le grec que vous êtes accusé,
mais de vous en servir pour autoriser sans doute vos hérésies, comme
font les iconoclastes et les luthériens.
--Mais vous qui parlez d'hérésie, mon père, savez vous bien que vous
parlez grec?
--C'est vous-même qui êtes fou, dit frère Paphnuce; mais voyez ce qu'il
ose nous dire et ce que nous avons la patience d'écouter! Les mirmidons,
les géants, les soldats mangés en salade, et des gens qui en se peignant
font pleuvoir des boulets de canon! Quelles stupidités! Écrivez, frère
Pacôme, qu'il a insulté à la gravité du Chapitre, et qu'il a accusé la
sainte Inquisition d'être la fondatrice et le soutien des hérésies. Vous
voyez, mes frères, si j'avais raison de me défier de cet homme!
Les moines donnèrent alors des signes non équivoques de leur indignation
et eurent l'air d'être parfaitement convaincus de l'hérésie du frère
François.
Elle portait que les vêpres des morts seraient chantées après l'office
du jour, pour l'âme de défunt frère François, qui allait être
immédiatement, et pour jamais enseveli dans l'_in pace._
Il fut décidé que le frère médecin serait renfermé dans le même cachot,
d'où quelques heures auparavant on avait tiré frère Lubin.
--Seigneur, mon Dieu, dit-il quand il fut dans cette humble posture, je
vous confesse ma folie, et je vous demande pardon d'avoir fait ce que
vous défendez dans votre Évangile, où vous avez dit: «Ne semez pas les
perles devant les pourceaux; car ils les fouleraient aux pieds, et leur
fureur se tournant contre vous ils vous déchireraient.
Car le rire est un acte de foi: les larmes sont la pénitence du doute
ou de la fausse croyance. C'est la triste pluie qui se forme; quand
viennent à se condenser les vapeurs de l'illusion.
Depuis bien des milliers d'années, le soleil voit les malheurs du monde,
et il rit toujours au printemps.
La vigne pleure sous le fer qui la taille: mais bientôt les larmes sont
séchées quand le soleil a cicatrisé sa blessure: elle s'épanouit alors
en pampres et en grappes vermeilles, elle gonfle de joie et de franc
rire ses grappes nombreuses et arrondies, et elle verse à flots dans la
cuve l'oubli des chagrins, les franches amitiés, l'insouciance de tous
les maux, la concorde de la terre et la tranquillité du ciel!
--Ce n'est point cela qu'il fallait dire! se récriait frère Paphnuce.
--Je demande une tasse de vin frais, répondit frère François: car voici
plus d'une heure que je me dessèche la gorge à parler inutilement.
VIII
Cependant Léandre Lubin n'était pas tellement absorbé dans sa joie qu'il
en devînt ingrat envers son bienfaiteur, et qu'il oubliât le frère
médecin; il était grandement inquiet de ce qui pouvait lui être arrivé;
car il connaissait assez la rancune de Paphnuce et la faiblesse du
prieur. Il avait donc dépêché messagers sur messagers à la Basmette,
pour s'enquérir adroitement de maître François auprès du frère portier,
qui, à trois différentes fois, avait assuré ne rien savoir. Sur le
soir donc, après avoir bien dansé sur la pelouse aux fifres et aux
tambourins, tandis que les jeunes mariés, laissés un instant à
eux-mêmes, regardaient de côté et d'autre en se serrant la main sans
rien dire, et songeaient probablement à s'échapper pour aller loin de
tous les regards causer un instant encore plus à leur aise, voila qu'un
jeune garçon tout essoufflé accourut auprès de Lubin, et lui rendit
compte de tout ce qu'il venait de voir et d'entendre. En écoutant près
d'une petite fenêtre grillée qui donnait sur la chapelle souterraine,
il avait entendu chanter le _De profondis,_ puis les moines avaient dit
trois fois d'une voix éclatante: _Requiescat in pace!_ et le chant avait
semblé descendre et se perdre dans les caveaux. Quelques instants après,
il avait entendu les frères remonter, des portes s'ouvrir et se fermer,
puis la voix du prieur qui disait: «Mes frères, que cet exemple terrible
vous apprenne à respecter votre vocation et à vous défier des vanités de
la science.»
--Il faut aller tous à la Basmette redemander notre frère médecin, et,
si on nous le refuse, menacer de mettre le feu au couvent, dit l'un des
plus déterminés, à qui le vin avait un peu trop échauffé la tête.
--Doucement, bonnes gens, doucement! dit alors une voix qui fit
tressaillir tout le monde; ne vous exposez pas de la sorte à avoir
des démêlés avec la justice. La justice ne favorise déjà pas trop les
pauvres gens lorsqu'ils ont raison, mais elle les frappe sans pitié
quand ils ont tort!
--Eh quoi! dit l'ancien frère Lubin; ils ne vous ont donc pas enfermé,
comme je le croyais, dans leur vilain caveau mortuaire?
La joyeuse humeur du bon frère avait remis tout le monde en train: les
danses, les chansons et les menus propos des buveurs recommencèrent de
plus belle; mais tous se pressaient en cercle autour du frère médecin,
qui était devenu l'âme de la fête et comme le foyer de la franche
gaieté.
--Je le veux bien, dit maître François; écoutez de toutes vos oreilles:
«Il y a bien loin d'ici un beau pays qui s'appelle le royaume d'Utopie;
on y va en traversant l'Océan fantastique au-dessus de l'île Sonnante,
et en laissant à droite le pays des Papimanes, toujours gras et bénis
de Dieu, et à gauche les régions désolées de Papefiguière, où le peuple
laboure et travaille inutilement, parce que c'est toujours le diable qui
profite de la moisson.
Donc, en ce beau pays d'Utopie, qui est voisin du royaume des Lanternes,
il y eut un village qui se voua tout entier au service de Dieu, en
cas qu'il fût épargné par une maladie mortelle et très-épidémique qui
ravageait alors toutes les contrées d'alentour.
Ayant ainsi parlé aux villageois ébahis, Pantagruel leur donna une
grande montjoie d'argent pour les premiers frais de leur entreprise,
et voulut présider lui-même à la reconstruction du village; toutes les
barrières furent renversées, on arracha les haies et l'on déplanta les
échaliers, on retraça les routes, et, d'après le conseil de tous
et l'expérience des sages, on garnit de vignes les coteaux et l'on
ensemença les plaines; bientôt tout le village ne fut plus qu'une grande
maison qui ressemblait à la fois à une ferme, à un couvent et à
un château. Des cours d'eau furent dirigés où ils étaient le plus
nécessaires: on défricha, on sarcla, on replanta: tout se faisait
allègrement au bruit de la musique et des chansons, ceux qui étaient
moins forts et moins rudes travailleurs, payant ainsi leur écot en
égayant et animant les autres; les femmes et les petits enfants
travaillaient aussi chacun suivant ses forces, et c'était plaisir de les
voir, poussant de petites brouettes ou attelant des chiens à de petits
chariots, qu'ils chargeaient de mauvaises herbes ou de cailloux, dont on
débarrassait la terre. C'était le vrai tableau de l'âge d'or, et si le
père Adam fût revenu des limbes en ce moment-là, il n'eût pas regretté
le paradis terrestre.
En achevant ces paroles, maître François tendit son verre et tint tête
aux plus résolus; la nuit était avancée, les lumières s'éteignaient
lentement et les étoiles scintillaient dans le ciel pur. Les jeunes
mariés s'étaient esquivés pendant l'histoire du bon frère; quelques
groupes s'étaient enfoncés sous l'ombre des chênes et avaient disparu.
Plusieurs paysans, surtout des vieux, dormaient renversés sur l'herbe en
rêvant du pays de Thélème, et il ne se trouvait déjà plus assez de monde
pour reformer la danse; les musiciens, joueurs de tambourins et de
flûte, s'approchèrent de maître François, et, rangeant en bataille tout
ce qui restait de flacons, lui portèrent un joyeux défi. Alors verres de
tinter, vin de couler et de mousser dans les verres, et joyeux propos de
courir, jusqu'à ce que maître François, victorieux, eût couché tous ses
antagonistes par terre, non pas morts ni même précisément ivres, mais
suffisamment désaltérés et joyeusement endormis.
IX
Il fut décide tout d'une voix que frère Paphnuce serait enfermé dès
cette nuit même dans l'_in pace,_ et qu'on lui choisirait un cachot
plus imperméable que celui de maître François, mais que, pour le frère
médecin, on le laisserait aller où il voudrait et sans rien dire, pour
ne pas faire de scandale.
Mais quand le jour fut venu, on vit avec étonnement une guirlande
de feuilles de chêne entrelacée de flacons brisés, de verres encore
vermeils, de bouquets à demi flétris, de jarretières perdues à la danse,
puis quelques flûtes et quelques tambourins enlevés furtivement aux
villageois endormis sur la pelouse.
DEUXIÈME PARTIE
Le plus doux pays qui s'épanouisse sous le plus doux ciel de France,
chacun sait que c'est la Touraine; et s'il est dans tout ce florissant
jardin, nommé Touraine, un petit nid bien abrité où puissent couver
en paix et donner tranquillement la becquée à leurs petits, tous les
oiseaux de bon augure, c'est la bonne vieille petite ville de Chinon.
Assise au penchant d'un coteau tout chevelu de forêts, elle se mire dans
la Vienne qui vient lui câliner les pieds, et elle se trouve toujours
jolie malgré la vieillesse de ses murs et les rides de ses pignons, car
elle a le secret de beauté des bonnes mères, et l'amour de ses enfants
ne cesse de la rajeunir.
Qui croirait que cette bienheureuse cité soit une fille de Caïn? Rien
n'est plus vrai, pourtant, s'il faut en croire son vieux nom de Caïno et
sa légende plus vieille encore. Suivant cette légende, Caïn, repentant
et cherchant par tout le monde une terre ignorante de son crime et
un ciel qu'il pût regarder sans frayeur, ne trouva qu'en notre belle
Touraine la nature assez indulgente et le ciel assez apaisé. Aussi
s'endormit-il, pour la première fois, d'un bon sommeil sur les bords de
la Vienne, sa triste pensée se berçant aux voix mêlées de la rivière et
de la forêt qui chantaient comme deux nourrices. A son réveil il crut
se sentir pardonné, et voulut bâtir en ce lieu même une retraite pour y
mourir. C'est ainsi que Chinon prit naissance et fut comme la benoîte
abbaye où le diable se fit ermite en la personne de frère Caïn.
Or, comme toutes les villes célèbres du monde ont leurs monuments et
leurs merveilles, il serait malséant de mentionner Chinon sans parler de
la Cave peinte an cabaret de la Lamproie: c'était dans le bon temps le
vrai temple de cette divinité sereine, vermeille et folâtre, qui se
couronne de pampres, s'enlumine de lie et presse la grappe à deux mains;
là aussi, et non ailleurs, se trouvait le siège de cet oracle de la dive
bouteille dont les réponses n'étaient jamais douteuses, et dont les
pronostics étaient toujours certains. On y descendait par cent marches,
ni plus ni moins, divisées par dix, vingt, trente et quarante, selon la
tétrade de Pythagore. Au-dessus de la porte, faite en ogive et toute
festonnée de pampre et de lierre artistement ciselés dans la pierre et
peints ensuite au naturel, se voyaient trois sphères superposées, figure
pleine de mystères et de secrets horrifiques, résumant toute philosophie
et symbolisant à la fois toutes choses divines et humaines. La sphère
d'en bas était plus large, celle de dessus plus rebondie, celle d'en
haut plus petite, mais plus vivement colorée. La sphère d'en bas
communiquait avec celle du haut par l'entremise de celle du milieu.
En bas était le réservoir, tout en haut la fiole précieuse où se
recueillaient les esprits, et entre deux le savant alambic où
s'élaborait la divine liqueur. La sphère d'en bas était un tonneau,
la sphère du milieu une large et proéminente bedaine, et la sphère
supérieure enfin était la tête d'un Bacchus riant à travers les pampres
et les raisins, lesquels faisaient à son front un diadème plus divin que
les nuages et les étoiles qui pendent en touffes et en grappes sur les
noirs cheveux de Jupiter.
--C'est donc toi, lui disait-il, mon pauvre Lichepot, tu vis toujours
et tu te souviens encore de moi! oh! la bonne chienne d'amitié! Là! là!
voyons, ne meurs pas de joie, comme fit le vieux chien d'Ulysses. O, mon
mignon, mon bedon, mon grognon! ouaf! ouaf! c'est bien toujours sa voix:
seulement elle est un peu cassée! Hélas! nous sommes tous mortels, et ta
vieillesse me vieillit déjà, mon brave ami, mon pauvre nez camus! Comme
passe le temps! il me semble y être encore, à cette époque où nous
faisions ménage ensemble! j'allais te trouver dans ta niche, et tous
deux ensemble, l'un sur l'autre, nous nous roulions, sens devant
derrière, sens dessus dessous, et jamais de fâcherie! tu buvais avec
moi du lait dans mon écuelle, je trempais mon pain dans ta soupe, je
te mordais les oreilles, tu me débarbouillais n'importe où, n'importe
comment, et nous étions parfaitement contents l'un de l'autre. Oh! les
beaux jours de mon enfance, pourquoi sont-ils à tout jamais passés!
--Eh bien! qu'est-ce qu'il y a donc, et que demande cet homme? Si c'est
la charité, qu'on lui baille un morceau de pain et qu'il s'en aille,
cria du fond du cabaret la voix aigre de l'autre servante qui, en
l'absence du patron, faisait quelque peu la maîtresse.
--Merci, ma bonne, dit maître François, que nos lecteurs ont sans doute
déjà reconnu; merci de votre charité, j'y avais droit en ma qualité
de frère mendiant, quand j'étais chez les franciscains; mais je vous
avertis que, pour le moment, je sens quelque peu le fagot; ainsi placez
mieux vos aumônes.
--Allez-moi plutôt querir un pot de vin frais, et faites place pour que
j'entre et puisse m'asseoir; je suis le fils de votre maître.
Le pauvre vieux chien se rua entre elle et son jeune maître en poussant
des aboiements plaintifs; mal lui en prit, car il reçut sur la tête un
coup de la hallebarde improvisée, dont le fer arrondi ne pouvait pas lui
faire une bien profonde blessure. Toutefois, il en porta sur-le-champ la
marque, non pas sanglante, mais d'un beau noir de suie, et se retira du
combat en hurlant d'un ton de voix désespéré.
--C'est frère Jean! c'est frère Jean! répétèrent tous les buveurs.
--C'est lui! c'est parbleu bien lui! ça, que je l'étouffe une bonne fois
à force de l'embrasser!
--Pardienne! je vais t'en faire avoir des nouvelles les plus récentes,
docteur, mon mignon. Boirons-nous frais? Eh! parbleu, les belles,
qu'est-il affaire ici de balais et de poêle à frire? Il sera temps de
balayer quand nous serons partis, et pour la poêle, c'est sur un feu
clair et bien flambant qu'il faut la mettre; j'entends avec bonnes
andouillettes et menues tranches de lard pour saler la soif. Allons,
vite à l'ouvrage, notre sainte religion ne souffre point les
fainéants... surtout en matière de cuisine! En attendant, exhibez-nous
un pot du meilleur. Je viens ici de la part du révérend prieur de
Seuillé.
--Mais c'est que vous ne savez pas que maître Thomas a défendu que...
--Que! que! que! poursuivit frère Jean en poussant les deux servantes
chacune par une épaule. En cuisine et à boire! voilà le mot de passe.
--Eh! mille tonneaux! qui vous force à reconnaître autre chose que vos
jambons et vos bouteilles, et qui parle ici de maître François? Vous ne
l'avez pas reconnu, n'est-ce pas? puisque vous le mettiez à la porte;
car ainsi n'eussiez-vous pas traité le fils de la maison. Maintenant le
repoussiez-vous, parce qu'il vous est inconnu et qu'il vous semble en
assez mauvais équipage? Je le connais et je réponds pour lui. C'est
le docteur Hypothadée Rondibilis Trouillogan, théologien, médecin et
philosophe: que tout le monde boive à sa santé! Mais quoi! n'ai-je pas
en descendant ici entendu murmurer les mots de huguenot et de vache à
Colas? Croyez-moi, les enfants, quand la vache à Colas aura fait des
veaux vous pourrez les reconnaître à un certain air de famille qu'ils
auront avec vous, et libres serez-vous alors de leur tremper la queue
dans l'eau bénite pour vous en faire des goupillons dont ils vous
aspergeront en chassant les mouches. Mais, foin des hérétiques et des
buveurs d'eau! sachez tous que celui-là doit être réputé catholique et
bon chrétien qui entre à la Cave peinte, bras dessus, bras dessous avec
frère Jean des Entommures!
II
De tous les moines de Seuillé, nul n'était plus connu dans tout
Chinon que le bon frère Jean Buinard, surnommé Jean des Entommures ou
Entamures, parce qu'étant toujours le premier à l'attaque des gigots les
plus monstrueux et des plus gigantesques pâtés à tous les festins de
noces ou de baptême, on lui rapportait toujours l'honneur de l'entamure
en lui offrant le premier morceau. On prétend aussi que, dans toutes les
négociations, réconciliations et arrangements à l'amiable, nul ne savait
mieux que lui accoster les parties adverses et entamer la conversation
sur les matières épineuses; et de fait on ne pouvait lui refuser cet
avantage naturel d'être homme de bonne compagnie et de bon conseil,
sachant toujours prendre les choses du bon côté, et fraternisant
volontiers avec le menu populaire; aussi était-il vénéré jusqu'à
dix-huit lieues à la ronde par les campagnes, et tous les villageois
disaient-ils en façon de proverbe, quand ils avaient entre eux quelques
différends difficiles à bien accorder: Je m'en rapporte à frère Jean.
--Bren! bren! disait entre ses dents la grosse servante qui allait et
venait autour d'eux, la Devinière n'est pas pour toi.
Et là-dessus maître François lui raconta ce que nous avons déjà vu dans
_Rabelais à la Basmette_.
--Ce sont les patenôtres de quintessence, dit frère Jean: mais revenons
à nos moutons.--Voici qu'on nous apporte des grillades.
--Ou bien des moines enrichis: mais parlons d'autre chose. Tu veux,
n'est-ce pas, savoir des nouvelles de ton père et de ta famille, qui te
faisait tout à l'heure assez rudement accueillir?
--C'est ce que je te demande, frère Jean mon ami, par les houseaux de
saint Benoît.
--Tu sauras donc, dit frère Jean, que la maison d'ici et celle de la
Devinière sont dans le plus grand désarroi.
--Eh bien, c'est que ton pauvre père est à moitié fou.
--Il s'est donc déjà dessaisi de la moitié de son bien en faveur des
moines?
--Non, mais il compte bientôt leur donner tout s'il ne tient qu'à frère
Macé-Pelosse, et voici comment la farce se joue:
--Oui, mais qui ne perd pas d'esprit faute d'en avoir jamais été pleine.
Le drôle n'en a pas moins séduit une petite fille que convoitait frère
Macé. Le moine voudrait bien se consoler de cette déconvenue en buvant
du meilleur aux dépens du cousin Jérôme, et il voudrait souffler la
Devinière à celui qui lui a soufflé sa belle. Aussi s'est-il emparé de
l'esprit de messire Thomas, et sous le prétexte de le garder dans sa
maladie, il ne laisse pénétrer personne jusqu'à lui, attendant sans
doute que le bonhomme ait rendu l'âme pour lever le masque et exhiber un
bon testament bien en forme, où le cher neveu sera déshérité à cause
de son inconduite. Quant à ta part, on y a mis bon ordre en te faisant
prononcer tes voeux de pauvreté; mais on a peur de ton retour, car ton
père a reçu une longue lettre du prieur de la Basmette, et toutes les
mesures sont prises pour que tu ne parviennes pas jusqu'à lui, si tu
voulais le voir et lui parler, attendu que ton éloquence et ta finesse
naturelle leur sont bien connues. Et tu vois que des ordres avaient même
été donnés pour te mal accueillir ici, où les premiers venus doivent
cependant être bien reçus pour leur argent.
--Assez, frère Jean, mon compère; n'en dis pas tant, j'en comprendrais
davantage encore. Tu lui apprends sans doute tes patenôtres?
--Oh! pour cela, je n'ai pas grand'peine; c'est une fille accommodante,
et elle dit souvent amen avant que je commence l'oraison. J'en fais tout
ce que je veux, je t'assure, et au fond elle n'est pas méchante.
III
LE SEIGNEUR DE LA DEVINIÈRE
Le pont de Chinon réunit à la ville le bourg de Parillé; à un quart de
lieue de là, toujours sur la rive gauche de la Vienne, on trouve, en
passant par Vaubreton, le chemin de la Roche-Clairmaud. Des hauteurs de
la Roche-Clairmaud, on découvre le plus beau paysage qui se puisse
voir; c'est là que les plus riches campagnes de France étendent leurs
magnifiques tapis verts sur un terrain délicieusement accidenté et tout
brodé de bouquets de bois au milieu desquels s'épanouissent des bourgs
et des villages. Là, les aiguilles des clochers semblent percer la
mousse des roches et pousser comme des pariétaires; plus loin, de
petites maisons blanches s'éparpillent au penchant d'un coteau et se
rangent aux bords de la rivière comme des brebis qui descendent à
l'abreuvoir. Des cours d'eau serpentent de tous côtés, et les rivières
qui baignent ces contrées heureuses semblent vouloir y dépenser toutes
leurs eaux, comme si elles espéraient y mourir, et, de fait, nulle
part elles ne réfléchiraient le sourire d'un ciel plus doux, et les
séductions d'un climat tiède et caressant ne les endormiraient nulle
part sous des rives plus enchantées. D'un côté, c'est la Vienne qui
va se réunir à la Loire entre Claye et Mont-Soreau, non loin de l'île
bienheureuse où devait s'élever l'abbaye de Thélème; plus loin, sur la
droite et en arrière, coule tranquillement la Vède, dont le gué fut
sondé, dit-on, par les soldats de Picrochole. Au pied même de la
Roche-Clairmaud passe la petite rivière de Fresnay, qui se jette dans
la Vienne, au-dessous de Potillé et de Cinais, et qui se forme
d'une multitude de petits ruisseaux. La campagne, de ce côté, est
véritablement merveilleuse: c'est un jardin du pays des fées. Aussi
loin que le regard peut se porter, on ne voit que luxe de la nature et
délices des yeux; là aussi les clochers se multiplient et les villages
se rapprochent en signe de concorde de la terre et du ciel. C'est au
milieu de ce paradis terrestre qu'on aperçoit tout d'abord, de la
Roche-Clairmaud, les bâtiments gothiques et les tours aiguës de l'abbaye
de Seuillé, tout entourée de vignobles et de champs, plantés de pommiers
et de poiriers, qui s'étendent, comme nous l'avons dit, jusqu'au clos de
la Devinière.
Frère Macé était un petit moine sec et brun, aux yeux sournois, à la
peau luisante et bise; ses grosses et flasques paupières embéguinaient
de leur mieux ses regards perçants et rancuniers: il plissait
habituellement ses lèvres, comme pour rapetisser la fente démesurée de
sa bouche et protéger l'incognito d'un râtelier dégarni et déchaussé;
car bien rarement les cafards sont-ils porteurs de belles dents, à
cause des exhalaisons fortes de leur vie intérieure, qui consiste assez
souvent en un mauvais estomac et en un foie engorgé et malade. Frère
Macé avait, de plus, la tenue modeste et les mains jointes dans les
manches de sa cuculle d'un beau drap fin et mal brossé; un chapelet de
Jérusalem était passé dans son étroite ceinture de cuir, et faisait
tinter, au moindre mouvement qu'il faisait, toute une grappe de têtes de
mort, de reliquaires et de médailles miraculeuses. Il tenait ouvert sur
ses genoux un gros et gras bouquin relié en parchemin jaune, c'était la
fleur des exemples; il venait de faire au vieux Thomas sa petite lecture
du matin, et il en était au commentaire.
Dieu n'a pas épargné son propre fils; il l'a abandonné au supplice
quoique innocent, et nous aurions pitié de nos enfants coupables!
Eh! que nous importent les fruits impurs de la chair et du sang! Nos
enfants, ce sont nos bonnes oeuvres, nos mortifications, nos aumônes à
l'Église et nos incessantes prières. Quant à ceux dont la naissance
doit nous faire rougir en nous rappelant des instants de concupiscence
satisfaite, nous devons leur laisser de bons exemples à suivre: voilà
tout l'héritage d'un chrétien. Mais pour cet argent mal acquis, pour
cette richesse d'iniquité, prenons garde qu'elle ne crie contre nous
après notre mort en perpétuant nos désordres; sanctifions cet argent
afin qu'il ne périsse pas avec nous; suspendons aux colonnes du temple
de Dieu les dépouilles de Bélial; mourons pauvres pour expier le crime
d'avoir vécu riches, et laissons à nos enfants et à nos hoirs la
pauvreté chrétienne comme le plus grand de tous les trésors.
Frère Macé s'arrêta un peu pour souffler au bout de cette lourde
période, et, roulant les yeux de côté, il épiait sur les traits du père
Thomas l'effet de sa pieuse harangue.
Vous aurez commis quelque péché d'orgueil contre Dieu, dit sèchement le
frère Macé; c'est pourquoi votre âme est malade. Faites un bon examen
de conscience et renoncez à votre propre jugement. Accusez-vous d'avoir
raisonné comme un hérétique, et frappez-vous humblement la poitrine en
disant trois fois: C'est ma faute.
En ce moment on frappait assez fort à la porte de la chambre.
Frère Macé s'était levé, et courait vers la porte qui s'ouvrit avant
qu'il eût le temps de la retenir.... Mais il se rassura en voyant
apparaître la face vermeille de frère Jean.
On sait que les bigots pardonnent bien plus volontiers à leurs confrères
la goinfrerie que l'intelligence. Or, frère Jean qui avait des vices et
de l'esprit, ne laissait paraître que ses vices en présence des autres
moines, aussi n'était-il pas regardé par eux comme un homme dangereux;
il se moquait bien un peu quelquefois des pratiques de la religion, mais
comme il avait soin de ménager les gens d'église et qu'il se montrait
fort zélé pour la richesse du couvent et le bon entretien de la vigne,
on l'aimait mieux ainsi que s'il eût été vertueux et raisonneur.
D'ailleurs, il se confessait régulièrement, et s'il ne disait pas
fidèlement ses heures, il passait du moins pour les dire. Il évitait
d'ailleurs les esclandres, ne se brouillait jamais avec les pères ni
avec les maris, ménageait la chèvre et le chou, et n'avait jamais eu
d'enfants; c'était donc un excellent moine dans l'opinion même de frère
Macé.
--Je vais vous faire donner cela, dit le vieux Thomas, mettez-vous à la
fenêtre et appelez le métayer.
--Du tout! du tout! dit frère Macé, frère Jean n'a pas besoin de
boire; qu'il dise tierce, cela le rafraîchira. Tenez, voulez-vous mon
bréviaire?
--Pardieu! dit tout bas frère Jean, quand le roi sera une bête il te
prendra pour son premier ministre.
--Je dis que le règne de la bête ne viendra pas tant que Dieu aura
d'aussi bons ministres.
--C'est bien! c'est bien! maître frère Jean, vous êtes un flatteur. Je
vous laisse donc ici; veillez bien à ce que le malade ne voie personne,
c'est nécessaire pour sa santé. Faites-vous apporter un peu de vin, si
bon vous semble, et usez-en modérément. Je ne fais qu'aller et revenir.
--Allez, à votre aise, dit frère Jean, ne suis-je pas fait pour
attendre?
--À revoir, maître Thomas; chassez avec soin vos mauvaises pensées, et
que je vous trouve repentant à mon retour.
--Va, va, dit frère Jean en refermant la porte sur les talons du frère
Macé, je travaillerai mieux que toi à la conversion du bonhomme... Ah!
continua-t-il en bâillant de toute sa force et en étendant ses bras, en
voilà un qui est ennuyeux!
--C'est bien vrai ce que vous dites là, répondit alors le vieux Thomas
qui avait entendu cette dernière exclamation. Décidément, frère Macé
m'obsède. C'est un saint homme, sans doute, et je le révère; mais il ne
sait que me gronder comme un enfant, au lieu d'éclaircir mes doutes. Eh!
par Bacchus... non, je me trompe, je voulais dire par saint Benoît, j'ai
soixante-deux ans passés. Je suis malade, c'est vrai: mais je ne suis
pas un imbécile. Je connais mon catéchisme aussi bien que personne, et
l'on ne m'en fera pas accroire! Tenez, frère Jean, je ne sais si vous
pensez comme moi, mais il me semble que le révérend frère Macé n'est pas
aussi savant qu'on pourrait bien le croire: qu'en dites-vous? exprimez
franchement votre pensée, je ne le lui répéterai pas.
--Qu'il soit savant ou non savant, c'est ce que je ne vous dirai pas, et
pour cause. Votre fils, maître François, s'y connaîtrait mieux que moi,
sans doute, mais vous avez juré de ne plus le voir, et c'est un vilain
jurement que vous avez fait là.
--Ah! ne m'en parlez pas, frère Jean, ne m'en parlez pas: je suis assez
tourmenté à son sujet. Hier soir le métayer avait emporté mon diurnal
pour en nettoyer les fermoirs: quand il me l'a remis et que je l'ai
ouvert, il en est tombé une lettre dont je ne reconnaissais pas d'abord
l'écriture. Cette lettre m'a bien donné à penser.
--Si elle vient de lui, je ne sais trop comment, dit le malade, car
le métayer m'a juré, par tous les saints, que personne autre que lui
n'avait touché au livre, et que d'ailleurs, excepté frère Macé et vous,
que nous voyons presque tous les jours, personne n'est venu à la maison;
cela me confond, en vérité: et je suis presque tenté de croire que mon
malheureux fils est devenu sorcier, comme les moines de la Basmette l'en
accusent.
--N'en croyez rien, dit frère Jean. Ce serait plutôt un miracle du ciel
pour faire éclater l'innocence d'un bon religieux qu'on calomnie.
--Croyez-vous cela, frère Jean? Mais vous savez bien que François est
un écervelé qui ne peut rester nulle part. Lors de ses démêlés avec les
moines de Fontenay-le-Comte, n'ai-je pas cru bonnement qu'ils étaient
jaloux de lui à cause de ses grandes études? Frère Macé m'a bien
fait changer d'avis; il connaît un peu les religieux de Fontenay, et
d'ailleurs il pose en principe une maxime fort sage: c'est qu'un moine
a toujours tort lorsqu'il ne s'accorde pas avec ses supérieurs. Enfin,
n'importe; j'ai cru que mon vaurien avait raison, et j'ai fait exprès le
voyage de la Basmette pour m'assurer qu'il y serait bien. Lui-même m'a
écrit qu'il y jouissait d'une grande liberté, et qu'il était au mieux
avec le prieur... et puis voilà que j'apprends des algarades, des
profanations, des impiétés!
--Non! non! non! cria le vieux avec colère, après avoir essuyé une larme
au coin de son oeil, je le pleure, mais je le maudis. Je ne l'écouterai
point, il m'a assez empoisonné l'esprit de sa lettre pernicieuse. Si
notre bras droit nous est un sujet de scandale, l'Écriture dit qu'il
faut nous le couper; qu'il soit innocent, je le souhaite pour lui; mais
ses supérieurs le condamnent. Arrière! loin de moi l'hérétique, je lui
dis Raca!
--Celui qui dit à son frère Raca sera condamné par le jugement, dit
frère Jean.
--Eh! non, ce n'est pas cela, vous citez mal l'Évangile. D'ailleurs, ce
qu'on ne doit pas dire à son frère, on peut bien le dire à son fils...
Aïe! aïe! voilà un accès de goutte qui me prend! Ah! pendard de fils!
ah! vaurien! je te renie! je te déshérite! je déshérite tout le monde!
Aïe! aïe! miséricorde! mon Dieu! _confiteor_! j'ai péché! Ah! chienne
de lettre! maudite lettre! je vais te jeter au feu. Au secours! on me
tenaille, on me mord, on me brûle!
--Je citais mal l'Évangile, en effet, dit frère Jean; il y a: «Celui qui
dira: vous êtes, fou sera condamné à la gêne et au feu. C'est sans doute
pour cela que vous brûlez la lettre. Vous agissez mal envers ce pauvre
maître François, et voilà que le bon Dieu vous punit.
--Maître Rondibilis-Panurgius-Alcofribas.
--Vous allez me faire des affaires avec le frère Macé, dit Jean Buinard
en se grattant l'oreille. Il m'a défendu de vous laisser seul et de
laisser entrer personne. Vous savez bien qu'il vous garde à vue, pour
qu'on ne vienne pas vous détourner de vos bonnes dispositions pour le
couvent.
--J'y vais donc, dit frère Jean; aussi bien m'eût-il été pénible de
laisser partir ce fameux docteur sans le revoir. Mais si frère Macé
revient pendant que je n'y serai pas?...
L'ORDONNANCE D'ALCOFRIBAS
Depuis le matin, maître François attendait frère Jean dans une cabane à
demi cachée dans un massif de verdure, au pied de la Roche-Clairmaud.
Cette cabane était celle d'une pauvre orpheline, la fille de Jacques
Deschamps, le manouvrier mort à la peine. On la nommait Violette, à
cause de sa modestie, et peut-être aussi parce qu'elle était bonne
et jolie comme les petites fleurs de mars. Elle semblait aussi tout
parfumer autour d'elle de simplicité et de fraîcheur, vivant seule et
cachée, fleurissant en secret sous la feuillée, au pied de la montagne,
pleurant à la rosée d'amour, et baissant doucement la tête. Pauvre
petite Violette Deschamps!
Maître François, revêtu d'une ample robe noire, la tête enfoncée dans
une profonde calotte à la Louis XI, et la moitié des traits cachés par
une barbe blanche postiche, avait d'abord fait grand'peur à la pauvre
abandonnée; mais il lui avait parlé si doucement à travers la cloison en
lui disant qu'il était un médecin et un vieillard; ses paroles étaient
à la fois si bienveillantes et si bien dites, que Violette entr'ouvrit
doucement la porte.
--Qu'est-ce que c'est que d'être infidèle? dit la jeune mère, on aime
ou l'on n'aime pas; et quand on aime, c'est pour la vie. J'ai fait une
chute comme en peuvent faire ceux qui marchent en dormant, voilà tout.
Je ne reproche rien à personne, car c'est moi qui me suis blessée...
Parlons d'autre chose, monsieur le docteur: je suis mère et je voudrais
nourrir mon enfant; mais je crains que la langueur qui me consume ne
tarisse bientôt mon lait. Que faut-il faire? que m'ordonnez-vous?
--Je vous salue, vous, qui êtes bénie entre les femmes; le Seigneur est
avec vous, et le fruit de votre sein est béni.
--Vous avez raison, lui dit simplement Violette; le bon Dieu est dans le
coeur des femmes lorsqu'elles regardent leur premier enfant. J'aurais
bien voulu rester vierge toujours comme Marie; mais, que Notre-Dame me
le pardonne, je me trouve encore plus heureuse d'être mère quand je
regarde mon pauvre cher petit Jésus.
--Pauvre mère! disait tout bas le frère médecin, comme elle est loin de
cet animal de Jérôme! Mais le sentiment chez elle est trop exalté;
elle mourra d'amour maternel; son enfant lui sucera l'âme. Comment le
cabaretier de la Lamproie l'eût-il comprise? elle ne se connaît pas
elle-même, et je l'observe comme un phénomène de l'ordre moral. Telles
ne sont pas en vérité les femmes ordinaires, et c'est un bonheur pour
les ménages, car les hommes seraient à refondre, et pas une épouse
peut-être ne daignerait détourner les yeux de dessus son premier enfant
pour reconnaître son mari. Le monde ressemblerait à la république des
abeilles; les femmes gouverneraient tout, et les pauvres frelons de
maris seraient chassés à coups d'aiguilles et de fuseaux. Le sceptre
alors ne dégénérerait jamais en quenouille; mais la quenouille
s'érigerait en sceptre. Pauvre Violette Deschamps, tu n'es pas de ce
monde-ci; et quand ton fils n'aura plus besoin de toi, ta vie se perdra
dans la sienne! Je ne veux pas te croire sage; car je ne rirais plus, et
voilà déjà que je pleure. Je te prends pour un paradoxe: je le vois et
je n'y crois pas.
--Dormez, lui dit-il en lui passant la main devant les yeux; dormez,
apaisez-vous, soyez calme, rafraîchissez votre sang, pour que le lait du
cher petit soit doux et pur. Nous songerons à votre enfant et à vous;
vivez pour lui, et laissez reposer votre âme, nous allons travailler
pour vous.
--Ah! fit Violette avec douceur, j'en suis fâchée, car il a été bon pour
moi.
--Le seigneur de la Devinière est mon père, dit maître François en ôtant
un instant sa calotte et sa longue barbe qu'il remit aussitôt; ou du
moins il était mon père. Je sais qu'il a été rigoureux pour vous
comme pour moi. Je veux qu'il cesse de reconnaître son fils, et qu'il
reconnaisse le vôtre; je l'adopte déjà en son nom, ce cher petit! Mais
quoi! il nous fait la grimace! il pleure, il refuse de téter! Allons, je
crois que vous allez le mettre dans de nouveaux langes, et je sors assez
à propos, Croyez-moi, chère enfant, vivez sur la terre, puisqu'il le
faut et sachez bien que les poupons ne vivent pas seulement d'amour
maternel. Vous avez un brave coeur dont je comprends bien toute la
fierté, et je vous félicite de ce que le malheur ne vous abaisse pas.
Vous souffrez cependant, et vous êtes en langueur: c'est du regret pour
le passé, de la dignité blessée pour le présent et de l'inquiétude pour
l'avenir. Reposez-vous sur nous, tout s'arrangera, et si vous croyez une
bonne fois que votre enfant sera heureux, vous ne serez pas fâchée de
l'avoir mis au monde. Il vous tiendra lieu de tout, et vous serez fière
s'il profite de vos soins. A revoir bientôt; je vous laisse, faites la
toilette du poupon.
--Je pense comme toi, frère Jean, et cesse encore une fois de me dire
_vous_. Je veux prendre tout en risée, mais on rit quelquefois aux
larmes, et je crois que je viens de pleurer.
--Arrêtez, dit frère Jean. Ne faites point venir les diables avant que
nous ne soyons dans la chambre du bonhomme, car s'ils doivent entrer
avec nous, il ne voudra jamais nous faire ouvrir la porte.
--Va, et que le ciel te confonde! tes bêtes ont plus d'esprit que toi.
Décidément il faudra que frère Macé me trouve quelque valet intelligent;
je suis trop isolé ici. On m'enferme avec ce butor, on veut me faire
mourir plus vite.... Entrez, frère Jean, entrez, monsieur le médecin,
et pardonnez si je ne me lève pas; vous voyez que ce coussin et ces
chiffons me tiennent par la jambe.
Avant d'entrer, maître François avait placé en équilibre sur son nez
une large paire de lunettes vertes pour déguiser ses yeux. Il entra
lentement et sans parler, prit le bras du malade, lui tâta le pouls,
fit deux ou trois grimaces, haussa les épaules autant de fois, leva les
doigts comme s'il écrivait en l'air, versa du contenu du pot à tisane
dans le creux de sa main, le flaira, le goûta, jeta le reste en faisant
une nouvelle grimace plus expressive que les autres; puis, faisant signe
à frère Jean, qui se tenait le menton pour ne pas rire, de lui avancer
un fauteuil, il s'approcha d'une table, s'assit, posa les deux coudes
sur la table, prit sa tête dans ses deux mains, et parut méditer
profondément.
--Frère Jean, mon ami, dit tout bas le goutteux au moine qui s'était
rapproché de lui, je me repens, ou peu s'en faut, d'avoir fait venir ce
païen. M'est avis qu'il est en commerce avec le diable. Avez-vous vu
comme sans rien dire il a deviné ma maladie et l'ânerie du médecin de
Seuillé? O le savant homme! mais je crains qu'il n'y ait péché de
le consulter; j'ai peur qu'il ne m'en dise trop, et je tremble de
l'interroger.
--C'est ce qui prouve son grand savoir: un ignorant aurait parlé tout
d'abord. Mais croyez-vous qu'il n'ait rien dit? N'avez-vous pas vu
flamboyer ses lunettes, et sa grande moustache se mouvoir pendant qu'il
me tâtait le pouls? Ses doigts m'ont comme brûlé la main. Ce doit être
le diable ou l'un de ses émissaires. Je voudrais bien lui dire de s'en
aller. Arrière, Satanas! Sainte Brigitte, priez pour nous!
Cependant, voici le docteur qui se lève, fait deux ou trois tours par la
chambre, puis d'une voix magistrale:
--Qu'on emporte ces drogues, dit-il en montrant les tisanes, qu'on tire
ces rideaux et qu'on laisse le soleil entrer.
--Faites apporter du linge blanc, du vin dans des flacons bien clairs et
bien brillants, et des fleurs pour cette cheminée.
Cependant, par les soins de frère Jean, la chambre du malade avait pris
un nouvel aspect; une nappe blanche avait été étendue sur la table,
des flacons brillants comme des rubis ajoutaient à l'éclat du linge la
gaieté de leur reflet vermeil.
--Il faut bien fêter, votre guérison, dit le docteur, et rajeunir un peu
cet appartement dont je vais rajeunir le maître.
Le vieux Rabelais avait en effet les yeux plus brillants que de coutume,
son front semblait se dérider, et le reflet des flacons posés sur la
table auprès de lui semblaient enluminer ses joues.
--Eh bien! vous devez savoir que le petit Franciot est devenu un mauvais
sujet et un drôle que je ne reverrai jamais... et voilà ce qui me mettra
bientôt en terre.... Aïe! aïe! je crois que ma goutte me reprend.
--Non, ce ne sera pas votre fils qui vous mettra en terre. Les moines de
Seuillé ne veulent pas qu'il accomplisse ce devoir, dit le docteur en
faisant semblant de lire la destinée dans la main gauche du malade.
--Ce n'est toujours pas dans mon intérêt, dit le moine. Mais en vérité,
c'est qu'il m'est pénible de voir que frère Macé voudrait vous enterrer
vivant. Moi je vous aime mieux que votre héritage.
--Vous avez donc fait votre testament? dit le docteur à maître Thomas.
La mort, selon vous, ne venait donc pas assez vite? Vous l'appeliez de
toutes les manières: cette chambre transformée en tombeau, ces médecines
à faire vomir Satanas, votre confesseur toujours pendu à vos côtés comme
un chapelet de sottise, et votre testament déjà remis peut-être entre
les pattes de ce bon raminagrobis!...
--Non, pas encore, il est ici, dit le malade; mais j'ai promis sur le
saint Évangile que je le lui remettrai quand il viendra me le demander.
--Je le promets, car déjà il me semble que vous m'avez fait un grand
bien.
--Pourquoi de confesseur?
--Eh bien! voulez-vous que je vous envoie un de mes grands amis qui
voyage avec moi et qui se trouve en ce moment à Chinon? C'est le
révérend père Hypothadée, professeur en théologie, qui se rend à Rome
pour éclairer la conscience du pape, et matagraboliser la réconciliation
des papefigues.
--Je le veux bien voir, et recommandé par vous il ne peut être qu'un
savant homme.... Oh! si mon fripon de fils avait voulu étudier!
--Comment! votre fils n'étudiait pas! Mais j'avais entendu dire que les
moines de la Basmette l'avaient chassé à cause de son grand savoir.
--N'en croyez rien, docteur; il s'est enfui après avoir commis des
sacrilèges, et s'il est devenu savant, c'est dans la science des
ivrognes. Qu'on ne me parle jamais de lui!
--Ne m'avez-vous pas dit que vous vous en rapporteriez à mon docteur
Hypothadée? Je vais le chercher et je le ramène. Je me charge aussi de
vous trouver une garde-malade. J'espère que vous serez content de mon
choix.
--Ne craignez rien, dit frère Jean, je l'ai fait envoyer par le prieur
au château du seigneur de Basché, sur un faux avis que le seigneur était
malade et voulait se confesser à frère Pelosse. Je crois qu'il sera bien
reçu; car vous connaissez le seigneur de Basché?
--Oui, oui, dit frère François, celui qui daube si bien sur les
chicaneaux. Gare aux épaules de frère Macé.
--A lui le soin de ses épaules; à vous le soin du bonhomme. Mais comment
ramèneras-tu le docteur Hypothadée?
--Je l'enverrai seul. Frère Jean, mon bel ami, tu aurais dû le deviner.
LA QUENOUILLE DE PÉNÉLOPE
Nous avons déjà reconnu ce fripon de neveu qui tenait alors pour son
oncle le cabaret de la Lamproie, ou plutôt qui le laissait gérer par
cette grosse servante aux mains rouges, devenue maîtresse chez lui, au
grand profit de frère Jean.
--Rien, sur mon honneur! Mais j'ai fait, je crois, quelque chose à
une petite qu'il protégeait sans l'avoir jamais vue, bien qu'elle fût
presque notre voisine. Mais vous devez bien savoir tout cela,
docteur, puisque vous avez passé quelques instants chez elle, à la
Roche-Clairmaud, avant de venir voir mon oncle. Tout se sait bien vite
dans la campagne.
--Je suis allé en effet ce matin chez une belle jeune femme qui vient de
mettre au monde, il y a un mois à peine, un enfant beau comme un Cupidon
et vermeil comme un Bacchus. Est-ce vous qui en êtes le père?
--Bon! ce n'est pas moi qui l'ai séduite. Je ne m'en flatte pas, et je
la crois plus séduisante que moi de toutes manières. Quant à la tromper,
je m'en suis bien gardé, et si je ne lui convenais pas, c'était
elle-même qui se trompait. Ai-je pris un nez de carton pour aller la
voir? ai-je exagéré l'élégance de mes braguettes? lui ai-je proposé de
brûler ensemble des cierges devant sainte Nytouche? Point. J'ai voulu
faire avec elle un transon de chère-lie. Mais je n'ai jamais pu lui
égayer le coeur. En se laissant embrasser elle pleurait. Le soir, quand
j'étais près d'elle et que je voulais batifoler, elle me faisait taire
et passait des heures à regarder les étoiles en me serrant la main,
tandis que de l'autre j'étouffais sur ma bouche des bâillements
démesurés. En honneur, elle est bien gentille, mais elle est aussi par
trop ennuyeuse.
---Non, sans doute, mais c'est bien votre faute si vous l'avez
abandonnée après l'avoir rendue mère.
--Eh bien, c'est ce qui vous trompe encore: je ne l'ai pas abandonnée;
c'est elle qui ne veut plus me voir.
--En vérité, dit à part lui maître François, ce garçon-là n'est pas si
bête qu'on avait bien voulu me le dire.
--On vous a dit que j'étais bête, dit Jérôme qui avait entendu cette
réflexion faite à demi-voix. Qui vous a dit cela, Violette, peut-être?
Si c'est elle, je le lui pardonne; elle m'a vu bien bête en effet quand
je roucoulais l'amour à ses genoux comme une tourterelle malade; et
puis, quand j'allais la voir, j'avais toujours peur de sentir le vin, et
je ne buvais pas. Or, quand je n'ai pas bu, je suis sot comme une cruche
qui a perdu son anse. Mais, à propos de cruche, parlons de mon oncle,
s'il vous plaît.
--Quand je viens de boire! Ah! voilà le grand mot lâché! Je vois bien
qu'ils vous ont fait mon portrait, et que vous en savez long de nos
affaires. Ainsi, à les entendre, je bois! tandis que je pousse la
délicatesse jusqu'à me refuser, à la Cave peinte, une seule bouteille du
vin de mon oncle!...
--C'est bien ce qu'on m'a dit. Mais on prétend aussi que vous êtes moins
scrupuleux hors du logis, et que pour une bouteille que vous vendez chez
vous, vous en buvez cinq dans les cabarets des environs.
--Cinq! oh! les calomniateurs! je ne procède jamais que par trois, six,
neuf et douze; ce sont des nombres sacrés, comme dit Paracelse.
--Sans doute, et je voudrais bien être aussi grand clerc que vous, ne
fût-ce que pour savoir si mon cher oncle penserait déjà à faire un mot
de testament.
--Quoi?
--Que je l'épouserai si mon oncle lui donne une bonne part de son bien.
--Vous serez hébergé tant qu'il vous plaira à la Lamproie, vous y serez
comme chez vous, et eussiez-vous aussi peu d'argent qu'il y en a pour
l'heure dans mes grègues et dans ma gibecière, on se tiendra pour bien
payé et très-honoré quand il vous plaira de partir.
--Je pars ce soir même, dit le docteur, et c'est messire Jean Buinard
qui s'est chargé de mes dépens.
En effet, la jeune mère était assise devant sa porte, son petit enfant
dormait couché sur ses genoux, abrité du soleil par un petit lange
bien blanc. Elle filait avec précaution sa quenouille, en chantant à
demi-voix un Noël dont le refrain était:
Dormez, mignon,
Dormez, gentil
Petit poupon.
--Eh bien! dit le docteur, nous devenons donc moins sauvage? nous
prenons un peu de soleil, et nous ne cachons plus le petit Jésus que
voilà au fond de notre maisonnette.
--Non, dit Violette avec douceur, je sais bien maintenant que personne
ne veut me le prendre. J'avais peur dans les premiers jours qu'un
homme ne prétendit être le père de mon enfant, ce qui eût été un grand
mensonge, car c'est le bon Dieu qui m'a donné mon enfant à la suite d'un
beau rêve que j'ai fait. Je suis encore ce que j'étais avant, puisque je
n'ai pas aimé d'homme, et qu'aucun homme ne m'a aimée! Tout ce qui est
resté vrai de mon joli songe d'amour, c'est toi, mon bel enfant chéri!
et Violette effleura de ses lèvres le front paisible de son enfant.
--Ma chère Violette, dit maître François un peu ému, ne seriez-vous pas
bien aise de donner un nom à ce petit ange?
--Je vois que vous ne pardonnez pas à celui qui vous a trompée. Mais
s'il était repentant, et qu'il voulût vous épouser, le refuseriez-vous?
--Imbécile! dit maître François, vous avez tout gâté; qui vous priait de
venir ici?
--Eh bien! tant pis! disait Jérôme: il faut que je lui parle. Et il
frappait en appelant: Violette! ma chère petite Violette!
--Violette, ma pauvre Violette, j'ai bien des torts envers toi, mais je
veux tout réparer. Je reconnaîtrai ton enfant.
Violette ouvrit tout à coup la porte, mais elle ne tenait plus son
enfant; elle l'avait déposé sur son lit et avait fermé les rideaux.
--Mais enfin, comment pourrez-vous élever cet enfant, si vous n'avez pas
un mari? Et comment ferez-vous pour que votre fils ne soit pas toute sa
vie... un bâtard?
--Un bâtard! dit la jeune femme avec hauteur. Les bâtards sont les
enfants qui font rougir leurs mères, les enfants des femmes qui se sont
vendues à des hommes qu'elles n'aimaient pas! Les bâtards, ce sont
les enfants qui font horreur à leurs mères elles-mêmes. Le mien est
légitime, car je l'aime et j'en suis fière! J'ai eu assez d'amour pour
justifier et ennoblir sa naissance. Cet amour, je le donnais à qui ne
pouvait le recevoir ni même le comprendre; il m'est donc resté tout
entier! J'aimerai mon enfant pour deux. J'ai sans doute un amant ou un
mari quelque part, dans le ciel peut-être: je ne sais, mais je sens
qu'il existe, puisque j'aime de tant d'amour! C'est à celui-là
qu'appartient l'âme qui est sortie de mon âme, c'est lui qui adoptera
cet enfant de moi toute seule, cet enfant qui m'est venu comme je
m'oubliais en songeant à mon véritable bien-aimé. Vous riez, monsieur
Jérôme, et vous ne comprenez rien à ce que je dis. Vous voyez bien que
vous n'êtes pas le père de mon enfant, et que je n'ai jamais pu être
rien pour vous?
--La pauvre petite a la fièvre, dit tout bas Jérôme au docteur; c'est
une suite de ses couches probablement, car avant elle était loin de
parler ainsi. C'était une jeune fillette toute douce et toute timide.
--Oh! que cela ne vous inquiète pas, lorsque je perds un jour à visiter
des malades ou à pleurer, je regagne en veillant la nuit ce que j'ai
perdu le jour.
--Voilà pourquoi vous êtes souffrante, chère enfant, vous usez le fil
d'or des Parques sur la quenouille de Pénélope. Laissez-moi vous parler
en père; je suis prêtre et j'en ai le droit; je suis médecin et vous
m'avez consulté; je suis homme enfin, et vous m'avez tout ému; aussi,
devant vous seule, et pour la seule fois de ma vie peut-être, je dépose
le masque de plaisanterie et de risée que je me suis fait pour dérober
la franchise de mon visage à la malveillance des hommes; plus tard nous
nous connaîtrons peut-être mieux, et si je ne puis alors vous faire rire
avec moi, je viendrai pleurer avez vous. Je vais revenir déguisé en
théologien, et j'aurai bien du malheur si vous ne riez pas un peu de mon
costume et de ma tournure. Je vous dirai, en cheminant avec vous vers la
Devinière, pourquoi je suis forcé de faire cette mascarade. C'est pur
devoir d'amour filial.
--Eh bien! donc, je vais vous attendre, dit Violette, et j'irai avec
vous où vous me conduirez.
VI
Une heure ne s'était pas écoulée que maître François ayant changé de
barbe, s'étant coiffé d'un chaperon quelque peu gras et remplaçant ses
lunettes par un garde-vue de taffetas, vêtu, comme Janotus de Bragmardo,
d'un liripipion à l'anticque, portant sous le bras un gros et gras
in-folio qui plus fort sentait, mais non mieux que roses, arriva
chez Violette Deschamps et lui expliqua de son mieux le personnage
d'Hypothadée, qu'il allait faire près du vieux Thomas. La confiance
s'était déjà établie entre elle et lui, car les âmes au-dessus du
vulgaire se comprennent dès qu'elles se rencontrent. La jeune femme
expliqua à l'homme d'esprit pourquoi elle se tenait habituellement
renfermée, ne parlant à personne, parce que personne ne parlait comme
elle. Maître François apprit alors que le pauvre manouvrier Deschamps
n'était pas né dans ces belles campagnes de la Touraine, et que son
langage et ses manières vulgaires avec les profanes cachaient dans
l'intimité de ses entretiens avec sa fille la plus parfaite distinction;
mais qu'il l'avait toujours instruite à ne tenir aucun compte de ce qui
était dans le monde, se préoccupant seulement de ce qui devait être.
Violette n'en savait pas davantage, et son père avait sans doute un
secret qu'il avait emporté en mourant.
--Je crois le deviner, dit maître François; c'était sans doute un de ces
hommes que l'esprit d'avenir tourmente, et qui ont peur d'eux-mêmes.
Mais pourquoi, lui qui savait si bien prendre l'apparence des idées
communes, ne vous apprenait-il pas à vivre au milieu de ce monde?
--Il le voulait, dit Violette, mais j'aimais mieux les idées de mon
père; et puis il ne croyait sans doute pas mourir si tôt.
Le révérend père Hypothadée fut donc reçu par frère Jean, qui le
conduisit à la chambre du malade; quant à Violette, on la fit asseoir
dans une chambre du rez-de-chaussée, en attendant que le vieux Thomas
voulût la voir. Le métayer Guillaume ne comprenait rien à tout cela,
et se demandait si on allait remettre son propriétaire en nourrice.
Toutefois, il ne disait rien, pensant que tout se faisait d'accord
avec les moines de Seuillé, puisque frère Jean des Entommures semblait
diriger toute l'affaire. Il prenait donc tout en patience, et profitait
de l'ordre qu'il avait reçu d'exhiber du vin de la cave et de remplir
les flacons du meilleur, pour goûter un peu si le piot se conservait
bien et ne sentait pas le moisi.
--Dieu nous protège, frère Jean, mon grand ami, dit l'ex-apothicaire,
en essuyant au coin de son oeil une larme de gaieté; je vois bien
maintenant que le docteur, votre ami, est un grand homme, et qu'il ne
guérit pas ses malades par des balivernes; je crois que les bons pères
de Seuillé ne vendangeront pas encore cette année dans le clos de la
Devinière. Buvez à ma santé, mon bon frère; si j'osais, j'en boirais une
goutte: mais, à propos de goutte, je ne veux pas fâcher la mienne. Elle
passera, mon gros ami, elle passera, notre père en Dieu, et alors nous
ferons chère-lie! frère Macé n'en aura rien. Mais voilà bien longtemps
que le docteur Alcofribas tarde à revenir; n'aurait-il plus trouvé à
Chinon le révérend Hypothadée?
--Je crois plutôt qu'il est fatigué, et qu'il se repose: voilà bien du
chemin qu'il fait aujourd'hui. Ou bien, peut-être, il aura été arrêté
à Chinon par quelque autre goutteux de bon aloi. Il faut bien partager
avec ses frères les ressources que Dieu nous envoie, et vous êtes trop
bon chrétien pour vouloir du soulagement pour vous seul. Mais je crois
que le voici; ne bougez, je vais lui ouvrir.
--Puisse le bon Dieu, notre Seigneur, ne point vous pardonner vos péchés
à une si dure condition, dit en saluant Hypothadée.
--Monsieur notre maître, reprit le bonhomme Rabelais, je vous ai fait
mander pour que vous me tiriez de toute perplexité d'esprit; afin que
la nature opère sans obstacle pour ma guérison, selon le bon vouloir de
notre docteur Rondibilis. Et d'abord, dites-moi si vous ne pensez pas
que du bien amassé pendant toute la vie d'un homme lui soit une lourde
charge à sa mort?
--Lisez saint Paul, il vous dira que la pauvreté volontaire n'est rien
sans la charité qui la vivifie.
--C'est bien pour cela que j'ai résolu de faire la charité de tous mes
biens aux pauvres moines de Seuillé.
--Pourquoi donc?
--Vous voulez vous sauver par la pauvreté en risquant de perdre les bons
moines par la richesse.
--Que dites-vous donc à votre tour, mon père? Quoi! l'argent appartient
au diable! Mais n'est-ce pas l'argent qui paye la pompe des églises
et les sacrements qu'on y donne? car s'il est défendu de vendre les
sacrements, on les donne gratuitement à ceux qui font volontairement
quelque aumône à la sainte Église. Or, afin que les fidèles ne soient
pas embarrassés, les tarifs sont fixés d'avance, et tout se fait pour la
gloire de Dieu.
--Vous dites bien, maître Hypothadée; oh! que vous dites bien! Partant,
vais-je donner certainement tout mon argent aux bons moines, puisque
l'argent n'est que fumier de Satanas: la question n'était que de savoir
si, pour mon salut, volontiers ils se feraient les palefreniers du
diable. Frère Macé m'a déjà rassuré sur ce point.
--Un débauché!
--Ah bien, oui! il ne lui manquerait plus que de vouloir les épouser.
--Il ne lui manquerait que cela pour être excusable, n'est-ce pas? En
effet, le mariage répare l'offense faite à Dieu et aux parents.
--A laquelle vous avez servi de père; on m'a raconté cette histoire.
Mais est-il bien vrai que vous ne l'ayez jamais vue?
--Qui?
--Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés, disent les patenôtres.
--Mon bien est à moi, monsieur notre maître, et j'en puis faire ce qui
me plaît, dit ici le vieux Thomas impatienté.
--Fort bien, messire; voilà qui est parlé. Et si tous les pénitents
disaient de même, point ne serait besoin de tant de docteurs pour
diriger les consciences. Je fais ce que bon me semble; voilà qui répond
à tout en matière de morale. Le bon Dieu ne dirait pas mieux. Vous
n'aviez pas besoin, en ce cas, de nous faire venir; je vais, s'il vous
plaît, retourner à Chinon et je vous renverrai le médecin.
--Ne vous fâchez pas, voyons: je veux faire de ce qui est à moi le
meilleur usage possible; et puisque tout nous vient de Dieu, c'est à
Dieu que je voudrais rendre ce qui m'est venu de lui. Je sens bien
que lui seul est le grand propriétaire, et que nous sommes ses petits
fermiers. Quand nous mourons il nous fait rendre gorge, et nous
n'emportons rien qu'un vieux drap, quand notre héritier nous le donne.
Cela est bien triste, docteur!
--Est-ce donc qu'à votre avis, notre maître, tous les riches sont des
voleurs?
--Oh non! car vous savez qu'il en entre dans le royaume du ciel autant
qu'il passe de chameaux par le trou d'une aiguille. Ceci est parole
d'Évangile.
--Ou le garder.
--Je dirais que c'est un mauvais coeur, mais il serait dans son droit.
--Ah mon Dieu! vous me faites peur! mais je dirais que c'est une bête
féroce, qu'il faut l'enchaîner et le pendre.
--Fort bien. Il faudrait pendre alors avec l'assassin celui qui l'aurait
exaspéré et provoqué un crime; mais le malheureux affamé serait déjà
mort et se soucierait peu de la potence; resterait, monsieur, le beau
mangeur qui aurait de l'argent pour se payer une corde neuve. Il aurait
bien mieux fait de donner du pain à son frère.
--Il me semble, dit le père Thomas, que je vois la béate Vierge Marie
venir elle-même à mon secours, et que pour remuer mes coussins, elle a
donné son fils à garder à M. saint Joseph.
--Je conviens avec vous que frère Pelosse n'est pas beau, et je vois
que vous le connaissez. Mais, grand Dieu! j'y pense; il va revenir! Que
dira-t-il? Voilà de belles équipées! Comment l'empêcher de rentrer et
lui expliquer pourquoi le docteur Alcofribas... Mais frère Jean s'en
chargera, n'est-ce pas, frère Jean? Et vous, monsieur notre maître
Hypothadée, vous qui avez une langue dorée, je compte sur vous pour
l'apaiser. Tenez, prenez cette clef, ouvrez ce tiroir, prenez dans le
coin à droite un paquet de parchemin, c'est mon testament. J'ai juré
de le lui remettre; nous le lui donnerons quand il viendra, et il
consentira volontiers à tout.
VII
LA VENDANGE DU DIABLE
--Grand saint Benoît! dit frère Jean, qui s'était mis à la fenêtre;
c'est frère Macé Pelosse assailli par une légion de diables; ils
le poursuivent dans le clos comme ceux du mystère de la tentation
pourchassent le compagnon de saint Antoine.
--Frère Jean, mon ami, disait le vieux Thomas, maître Hypothadée, mon
père spirituel, voyez ici mon gros livre d'heures, apportez-le-moi,
fermez bien la porte, restez près de moi, et récitons ensemble
alternativement les Psaumes de la pénitence.
--Si vous vouliez vous dévouer à ma place et répondre pour moi aux
mauvais esprits, ils trouveraient à qui parler, et ils seraient obligés
de s'enfuir dans la mer Morte. Car jamais n'oseraient-ils assaillir un
si saint personnage!
Tandis que frère Jean abattait ainsi les puissances de l'enfer, le vieux
goutteux, tout tremblant, disait aux faux docteur Hypothadée:
--Dites vite, et que ces diables s'en aillent. Ah! mon Dieu, j'entends
des cris et des lamentations; ils tordent sans doute le cou à frère Jean
et à frère Macé.
--Prenez ce petit enfant dans vos bras; vous croyez, n'est-ce pas, à la
vertu de l'innocence contre l'enfer?
--Volontiers.
--Voilà, dit-il, comment le bon Dieu se fait voir aux hommes; adorez le
frère nouveau-né du Sauveur.
En ce moment le bruit avait cessé dans le clos, tous les diables étaient
en fuite, et frère Jean s'occupait à faire bassiner avec de l'eau-de-vie
les contusions de frère Macé, auquel, pour certaines raisons, il fallait
aussi faire changer la chemise et les chausses.
--Vous voyez, lui dit le docteur, qu'il vient de sauver votre vigne, et
que les diables n'y sont plus. Maudiriez-vous votre neveu, s'il vous
avait rendu un tel service avec une pareille innocence?
--Je vous approuve, dit Hypothadée, faites vite, car les diables
reviendraient peut-être. Écrivons en deux mots votre volonté, pour
mettre tous vos biens sous la sauvegarde de la sainte enfance. Tenez,
voici du vélin et de l'encre; moi je ferai l'acte de baptême.
--De Dieu, dit gravement Hypothadée. De Dieu, qui vient de l'adopter par
le baptême, et de maître Thomas Rabelais, qui l'adopte par religion,
et pour sanctifier sa vie, en élevant un enfant de Dieu, qui a reçu le
baptême entre ses bras. Tenez, voici l'acte, signez.
--C'est que les diables ne sont peut-être pas encore bien éloignés, ou
peut-être le gardent-ils en otage.
--Le verrou est-il mis? dit-il d'une voix effarée. N'ouvrez pas, ce sont
eux.
--Mais ouvrez donc! êtes-vous morts? criait à son tour frère Jean de sa
voix naturelle.
--Ah! c'est notre ami frère Jean, dit Hypothadée. Nous sommes en paix
avec Dieu et avec les hommes. Maintenant nous pouvons ouvrir.
VII
--Von, von, vrelon, von, von, bredouillait frère Macé, voulant parler et
craignant de cracher ses dents.
--Dieu nous soit en aide, dit maître François; tenez buvez ce verre
devin frais, notre frère, cela vous raffermira le coeur et vous déliera
peut-être la langue. Mais frère Macé ayant aperçu Violette et son
enfant, fit mine de vouloir sortir, et, comme personne ne le retenait,
il revint sur ses pas, se laissa tomber lourdement dans un fauteuil avec
des soupirs à ébranler les solives, joignit les mains en levant vers le
ciel des regards désespérés, et regarda maître Thomas avec fureur.
--Eh! non, disait maître François, frère Macé est bon chrétien, il a
renoncé à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres; il a fait voeu et le
fait encore de chasteté, d'obéissance et de pauvreté; n'est-il pas vrai,
monsieur mon frère?
--Oh bien, dit le révérend Hypothadée, je vois que nous nous entendons
et que vous êtes bon chrétien. Je vous le fais dire, pour rassurer
maître Thomas auquel votre aventure d'aujourd'hui avec les diables
semble avoir causé des scrupules. Moi, je ne doute pas de vous, car je
vous connais de réputation et je suis sur que ce que je viens de dire
sur les deux Testaments, vous seriez prêt à le signer.
--De mon sang, grogna frère Macé en cherchant une seconde fois la salive
rouge de ses gencives.
--Je le crois certes de tout mon coeur; mais nous le prouverons à ceux
qui pourraient en douter, afin que cette affaire de diablerie qui va
faire bruit dans le pays, ne cause à personne de scandale, en faisant à
tort suspecter la foi d'un très-vénérable religieux, Or, sus! voici ce
que j'écris et ce que vous allez signer:
«Moi, frère Macé Pelosse» (et à mesure que maître François prononçait
ces paroles, il les écrivait sur le revers même du parchemin que le
vieux Rabelais venait de signer) «religieux et procurateur de l'abbaye
de Seuillé, afin que personne ne suspecte mes intentions, déclare en
présence de..., etc. (ici étaient nommées les personnes présentes), que
je crois à l'existence de deux testaments, l'Ancien et le Nouveau: je
reconnais que l'Ancien était une figure et contenait des promesses et
des menaces d'un père qui voulait ramener ses enfants; je crois que le
Nouveau Testament a abrogé l'Ancien, et a rendu à l'enfant de l'homme
pécheur, lavé par le baptême des péchés de son père, tous les droits à
l'héritage du père de famille, en le faisant membre de la société des
chrétiens et de la sainte Église catholique, apostolique et romaine,
dans la foi de laquelle je veux vivre et mourir.»
Le vieux Thomas, qui avait compris tout cet apologue, ne put se retenir
de rire.
--Vous ne l'êtes pas seul, dit frère Jean en faisant mine de se boucher
le nez, et c'est moi-même qui me serai trompé, quand j'ai cru tout à
l'heure vous avoir fait changer de linge.
Que fit alors maître Thomas? justement ce qu'avait fait bien avant lui
le père de l'enfant prodigue. Il pleura de joie, ouvrit ses bras, et
embrassa tendrement son fils. Tous les assistants étaient émus de cette
scène comme il convenait de l'être; frère Jean pleurait en riant et
se versait un grand verre de vin, lorsqu'un nouveau personnage qu'on
n'attendait pas se précipita dans la chambre; et resta tout ébahi
et comme pétrifié devant ce groupe de reconnaissance mutuelle, de
paternelle joie et de réjouissance filiale.
IX
--Et moi donc? et moi? cria Jérôme. M'est avis que j'arrive à propos, et
puisque l'on s'embrasse ici, point n'ai-je besoin de pleurer longtemps
mes péchés et de crier miséricorde. Ah! sainte bouteille! comme le
docteur est rajeuni! Enchanté de vous voir, cousin; je ne vous aurais
pas reconnu. Eh bien! mon oncle, à mon tour maintenant! Ne voulez-vous
pas m'embrasser?
--En vérité, mon oncle, je n'ai pas d'autre désir; et elle peut vous
dire que je lui ai offert de l'épouser; elle m'a refusé avec mépris: que
voulez-vous que je lui dise?
--Je n'ai rien à pardonner à monsieur, dit Violette; s'il croit faire
quelque chose pour moi en m'épousant, j'ai le droit de le remercier et
de ne pas accepter ce qu'il regarderait comme un bienfait. J'aime à
donner plus que je ne reçois, et je n'accepterai jamais la main d'un
homme à qui je ne pourrais pas donner mon coeur en échange. Le monde
dira que je suis déshonorée parce que je ne rachèterai pas son estime au
prix de la mienne, mais j'en crois plus ma conscience que le monde, et
je me chagrinerai peu d'être déshonorée pour lui si je suis honorée par
elle.
--Entends-tu, vaurien, comme elle parle? Mais c'est donc une fée ou une
princesse déguisée que ce trésor de petite femme-là! Imbécile! qui avait
trouvé une si jolie bague à son doigt et qui l'a perdue!
--Et c'est ce que j'ai fait, dit maître François: Violette m'a répondu
que si vous étiez malheureux et abandonné de tout le monde, elle se
dévouerait encore à vous.
--Tu as dit... Vous avez dit cela, mademoiselle Violette? Oh! tenez,
croyez-moi si vous voulez, je suis mauvais sujet, c'est possible; mais
je n'ai pas un mauvais coeur!... Pourquoi ne voulez-vous pas vous
appeler Mme Rabelais? vous savez bien comme le monde est bête. Si ce
n'est pas pour moi, faites cela du moins pour vous. Je vous laisserai
tranquille tant que vous voudrez, et je n'entrerai même jamais chez vous
si vous ne me le permettez pas... Tenez, voyez-vous... bon... voilà
maintenant que les larmes me viennent aux yeux... je suis donc bête
aussi, moi? Eh bien, tant pis: j'ai le temps d'être un chenapan, je veux
être honnête aujourd'hui... Voyez-vous, il faut que je vous le dise...
j'avais d'abord des idées intéressées en vous parlant de mariage; car
vraiment je suis un cuistre et je n'ai jamais su ce que vous valiez...
Eh bien! tenez aujourd'hui, Violette, rien que de vous voir si douce et
si belle, avec ce pauvre chérubin qui devait m'appeler son père...
cela me bouleverse tout le coeur... Faites de moi ce que vous voudrez,
Violette, et que mon oncle vous donne tout; vous en méritez encore
davantage! si vous voulez mon nom, je vous le donnerai; mais vous serez
libre de me jeter à la porte comme un chien crotté, si je ne répare
pas par ma conduite tous mes torts envers vous... Violette, votre main
seulement en signe de pardon, et qu'il me soit permis d'être père au
moins une fois et d'embrasser notre cher enfant.
--Eh bien, c'est cela, dit le vieux Thomas, corrige-toi, mon garçon, et
nous verrons plus tard. Mme Violette n'a pas besoin de toi, d'ailleurs,
pour donner un nom à son poupon: il s'appelle François-Thomas Rabelais,
entends-tu? et si tu n'es pas digne de lui servir de père, c'est moi qui
veux être le sien. Tâche de bien faire à la Lamproie, surveille un
peu plus ta pharmacie; mais sache bien que tout cela appartient à Mme
Violette, qui t'y donnera part si tu deviens sage. Fais en sorte, enfin,
qu'elle puisse encore t'aimer. Car pour lui donner un mari en peinture,
merci pour elle, mon gros; le mariage donne toujours des droits, et
plutôt que de la fiancer à un coureur et à un ivrogne, je l'épouserais
plutôt moi-même.
--Je crois, en vérité, que j'y danserai aussi, dit le père Rabelais,
tant je suis regaillardi en me retrouvant en famille. Oh! mes vauriens
d'enfants! Mon Franciot! ma belle petite Violette, que j'aimerais tant
depuis longtemps, si je l'avais connue plus tôt! et toi mon poupon
nouveau-né! Vous voilà tous vermeils, bien portants et le sourire sur
les lèvres; comment serais-je encore malade? Nous n'allons plus nous
quitter, n'est-ce pas? C'est pourtant ce pauvre François qui nous a tous
rendus heureux! Et moi qui écoutais les rapports de ces faux moines de
la Basmette! Voyez comme il a grandi, le vaurien; et comme il a l'air
malin! Il me ressemble un peu, n'est-ce pas, mais il ressemble davantage
à sa mère. Savez-vous qu'il est médecin comme saint Thomas, et
théologien comme Hypocrate... Non... si fait... Je ne sais plus ce que
je dis et j'embrouille tout, tant que je suis joyeux! Embrasse-moi
encore mon grand enfant.
--J'y compte bien, dit maître François: donnez-moi tous votre amitié.
Quant à rester ici, ce n'est point possible; je suis connu dans le pays,
non pas de figure, mais de nom, les moines pourraient m'y poursuivre.
D'ailleurs je suis médecin sans avoir pris mes degrés, et je ne veux pas
qu'un âne approuvé par quelque faculté peu difficile vienne me traiter
de charlatan. Je pars demain pour Montpellier, où j'espère que je ferai
honneur à ma famille et à mon nom. Si vous voulez me prouver votre bon
vouloir, accordez-moi seulement à perpétuité une petite place à la Cave
peinte et ici, à la Devinière; mais conservez-moi toujours une bouteille
du meilleur et du plus frais.
--Elle en fera, dit frère Jean; elle réconciliera les parents divisés
d'intérêt, elle rajeunira les vieillards, gaudira et regaillardira
l'humeur des goutteux, rapprochera les amoureux, voire même en
viendra-t-elle peut-être jusqu'à ressusciter les morts! Elle consolera
les veufs et sera la femme des célibataires; mais c'est le clos du père
Thomas qui fournira la dot.
LE MÉNÉTRIER DE MEUDON
C'était le plus beau pied de vigne qu'on eût vu depuis Noé, tordu,
noueux et vigoureux comme les membres du vieil Atlas; il semblait se
pressurer lui-même pour gonfler plus abondamment ses raisins; adossé au
vieux mur noirâtre et moussu que décoraient encore çà et là quelques
débris de colonnettes, il pliait sous ses branches puissamment attachées
et déployées en éventail, ombragées à peine par quelques feuilles
éclaircies; jaunes comme l'or ou rouges comme le vin, ses grappes
pleines, rebondies et pressées les unes contre les autres, ressemblaient
au sein de la nature avec ses innombrables mamelles. Les unes à demi
cachées sous ce qui restait de feuilles, étaient fraîches, dodues
et fleuries, d'autres moins honteuses et plus aventurées au soleil,
dégageaient leurs grains brunis et à demi fendus où brillait un jus plus
doux et plus blond que le miel. Elles semblaient sucrées à l'oeil, et
rien qu'à les voir on les savourait en idée.
Auprès de cette vigne, sous un berceau formé par des branches de lilas
et des touffes de lierre, une table était dressée. Sur cette table, on
voyait encore une assiette de fruits, un hanap du bon vieux temps et une
grande pinte à demi pleine de cidre, car le bon curé réservait presque
toujours son vin pour ses malades; puis un écritoire, des feuilles
éparses et un assez gros cahier sur lequel, ont eût pu lire en belle et
grande écriture:
A peine ce nouveau venu eut envisagé maître François qui avait relevé
la tête en le voyant entrer, qu'il courut à lui les bras ouverts avec
l'impétuosité d'un coup de vent: c'est lui, enfin! je le retrouve!
mon père! mon ami, mon sauveur, maître François. Eh quoi! vous ne
reconnaissez pas votre ancien protégé! au fait il y a dix ans au moins
que vous ne m'avez vu. Mais je vous reconnais bien moi! vous n'avez
guère changé; aussi pourquoi changer lorsqu'on est bien...
Guilain, après avoir repris son bien de vive force et avoir appuyé, pour
châtiment, un bon gros baiser sur la joue rose du petit paladin, revint
avec son violon s'asseoir près de maître François.
Pendant ce temps, frère Jean ou dom Buinard, car c'était bien notre
ancien ami qui était devenu le majordome du curé de Meudon, frère Jean
était descendu à la cave et en avait rapporté une grande pinte de vin
frais.
--Permettez que d'abord nous parlions de vous, dit Guilain. Cher bon
maître, vous qu'on a tant persécuté, et que je retrouve heureux autant
que j'en puis croire les apparences. On m'a déjà bien parlé de vous,
car depuis longtemps je vous cherche. Je suis allé à votre poursuite,
à Montpellier, à Rome et ailleurs. Partout les honnêtes gens vous
aimaient, les cafards vous disaient sorcier et le menu populaire faisait
des contes à n'en plus finir.
--Par la dive bouteille, dit Rabelais, je vais donc bientôt être saint,
puisque les bons me canonisent, les diables enragent, et les bonnes
femmes font ma légende.
--Puis, que vous avez été reçu docteur par acclamation (que n'étais-je
là pour crier plus haut que les autres!) ensuite que la faculté vous a
chargé de ses affaires et s'en est bien trouvée (de cela je ne doute
pas); mais on ajoute que vous vous êtes déguisé en marchand d'orviétan,
et que par une série de farces dignes tout au plus d'un bateleur, vous
avez obtenu pour elle tout ce que vous avez voulu de M. le chancelier
Duprat.
--Le marchand d'orviétan est de trop, dit Rabelais, mais pour le vrai
de l'aventure je t'en ferai lire le récit dans mon _Histoire de
Pantagruel_.
--De tout ce qui précède, à part la farce que vous désavouez, rien ne
m'étonne. Voici maintenant le côté absurde de la légende.
--On m'a dit que votre grande réputation de médecin s'étant répandue
partout, un gentilhomme de la cour, dont la fille avait les pâles
couleurs, vous fit venir en désespoir de cause après avoir consulté tous
vos confrères. Ils s'accordaient tous à ordonner une potion apéritive,
mais pas un n'en avait su donner convenablement la formule. Ce que
sachant, vous fîtes mettre un chaudron sur le feu avec de l'eau, dans
laquelle vous fîtes infuser et bouillir toutes les vieilles clefs de la
maison, assurant que rien n'est apéritif comme les clefs puisqu'elles
ouvrent toutes les portes. Puis, que vous fîtes réduire cette infâme
décoction de rouille, que vous la fîtes sérieusement prendre à la pauvre
jeune malade, et, pour que l'histoire soit complète, on ajoute qu'elle
fut guérie.
--Et c'est cela, demanda Rabelais, que tu n'as jamais voulu croire?
--Guilain, mon ami, parlons d'âneries tant qu'il te plaira devant frère
Jean qui n'est pas un âne, devant frère Jean qui pouvait être un gros
prieur, voir même un abbé mitré, et qui s'est pris d'amitié pour moi
au point de vouloir être mon bon et fidèle serviteur; mais devant les
autres, jamais: il ne faut point parler de corde dans la maison des
pendus.
--Je veux dire que l'histoire est vraie, complètement vraie, plus vraie
que le reste. La jeune fille fut guérie, non pas parce que les clefs
sont apéritives, mais parce qu'elles sont en fer. Or, le sang de la
pauvre enfant était débile et malade parce qu'il lui manquait du fer.
--Du fer dans le sang! se récria Guilain; mais je croyais que toutes les
maladies du sang se guérissaient seulement par la vertu des simples.
--Ce sont les simples qui font courir ce bruit-là, dit Rabelais. Mais la
vérité est que les corps s'alimentent du moins parfait, et se guérissent
par le plus parfait, en nature. Ainsi les végétaux se nourrissent de
la terre, moins parfaite qu'ils ne sont, et se guérissent par les
substances animales; ainsi les animaux, et surtout le plus parfait de
tous, qui est l'homme, se nourrissent de végétaux, et doivent chercher
leur guérison dans la nature minérale, plus parfaite et plus durable
dans la série des corps formés par les influences du soleil. Fallait-il
dire à ces bonnes gens que, chez leur fille, les débilités de Vénus
avaient besoin de l'influence de Mars, et que chez elle la lymphe, ou
l'eau mercurielle de la vie, avait besoin de la copulation du soufre
lumineux, dont la chaleur se concentre surtout dans le fer? C'eût
été parler en alchimiste et l'on m'eût dénoncé infailliblement comme
nécromancien et sorcier.
--Cela est vrai, continua Rabelais; mais les grands, lorsqu'ils honorent
les petits de leur amitié, leur font aussi l'honneur de croire qu'ils
n'ont jamais besoin de rien. Poursuivons. J'arrive à Lyon, et je me
repose dans une hôtellerie; là, grand embarras pour payer. Je n'avais
pour toute fortune que le manuscrit de la chronique gargantuine,
l'ébauche de mon _Gargantua_.
--Oui, morte pour moi, bien morte, car elle ne m'aime plus. Elle a tout
oublié, elle m'a quitté en me prêtant des torts chimériques. Mais, quand
une femme renonce aux devoirs du mariage, elle ne renonce pas pour cela
au chaperon que lui prête le nom de l'époux; et lorsque ces dames se
sont montrées lâches et cruelles, c'est nous tout naturellement qui
devons en être responsables.
Il y eut ici un silence de quelques instants. Une larme roulait dans les
yeux de Guilain, et Rabelais baissait les yeux d'un air peiné, n'osant
l'interroger davantage.
--On a quelque raison de vous croire sorcier, cher maître, car vous
devinez à merveille. C'est votre cousine qui m'a reçu avec bonté quand
je lui ai dit combien je vous aimais. Nous avons parlé de vous avec
admiration, avec respect... et puis je l'ai quittée pour continuer mes
recherches. Pourquoi l'aurais-je vue davantage? Elle est mariée, elle
est mère et elle comprend le devoir bien mieux que le sentiment et le
plaisir.
--C'est très-bien, dit maître François, mais c'est comme cela qu'on
devient fou.
J'avais à peine fini, qu'une belle et riante jeune fille, aux tresses
noires, abondantes et brillantes, comme les gros raisins du Midi, vint
à moi avec ses deux mains brunes toutes pleines des fruits que j'avais
chantés. «Tenez, dit-elle dans le patois si doux de la Provence, vous
les avez bien méritées.» Les enfants, de leur côté, ces jolis petits
comédiens de la nature, mettaient en scène ma chanson et dansaient de
toutes leurs forces avec des cerises dans les cheveux; des garçons
montaient sur les arbres et cueillaient à pleines mains les grosses
perles rubicondes du cerisier; les fillettes tendaient leurs robes pour
les recevoir, sans se trop soucier de montrer un peu leurs genoux.
Annette, malgré ma recommandation, prenait une cerise entre ses lèvres
et semblait défier les moineaux; mais son ami Colin ne leur laissait
pas le temps d'approcher et tâchait de mordre au fruit défendu. Le tout
finit par une danse générale, et, quand je voulus partir, on me mit sur
la tête une couronne de feuilles de cerisier enrichie de grosses touffes
des plus belles cerises du pays. Jamais saint Jean ne fut, que je sache,
aussi joyeusement fêté.
--Guilain, mon ami, dit Rabelais, tu n'es pas curé comme moi, mais je te
trouves passé maître en dévotion bien entendue et en bonne théologie.
Or çà, maître Guilain, puisque nous voilà réunis, je ne veux plus que tu
quittes mon presbytère, à moins que grande envie ne te prenne d'ailler
ailleurs, car le règlement de ma maison est celui de l'abbaye de
Thélème: «Fais ce que voudras.» Bien entendu aussi que je n'y reçois
seulement que les personnes de bon vouloir. Je comprends que tu ne
veuilles plus être appelé frère Lubin, ce nom-là t'a porté malheur. Il
sent le froc, comme disait ta charmante ennemie; rassure-toi, je ne te
parlerai plus d'elle ni des moines de la Basmette; mais tu dois avoir
besoin de repos. Un dernier verre de ce vieux vin et rentrons, il
commence à se faire tard.
LE PRÔNE DE RABELAIS
Rabelais était beau à voir en chaire, il avait une de ces figures qui
attirent le respect et la sympathie de tous lorsqu'elles paraissent
au milieu des assemblées, une double lumière intérieure semblait
l'éclairer: celle d'un bon esprit et d'un bon coeur.
«Le monde dit ordinairement que quand le diable fut devenu vieux il se
fit ermite, d'où vient le proverbe. Onc ne l'ai pu savoir, faute d'avoir
à qui me bien informer et du pourquoi et du comment, tout ce que
je sais, c'est que j'ai connu des ermites qui, en se faisant vieux
devenaient diables.
«Point n'en fut-il ainsi du séraphique père saint François dont nous
faisons aujourd'hui la fête. Aussi ne restait-il point solitaire et
reclus, ce qui est contre le voeu de nature. Il n'est pas bon que
l'homme soit seul dit la _Genèse_. Mais il se mêlait à la foule des
pauvres gens, les instruisant, les consolant et leur donnant de
vaillants exemples de courage dans la pauvreté.
Soyez béni par mon frère le soleil, parce qu'il est rayonnant et
splendide, mais aussi parce qu'il est doux et indulgent: il modère
l'éclat de ses rayons pour ne pas brûler la pauvre petite herbe qui
fleurit, il donne sa lumière aux méchants pour leur montrer la route du
bien et les inviter au repentir; il regarde en pitié les frères qui se
haïssent et leur distribue également sa lumière comme s'il déchirait en
deux, pour le leur partager, son riche manteau de drap d'or.
Soyez béni, mon Dieu, par ma soeur la lune, parce qu'elle est vigilante
et silencieuse comme une pieuse femme à son foyer, ne conseillant ni la
guerre ni la haine, mais remettant dans la route le pèlerin attardé et
réjouissant sur la mer le coeur du pauvre matelot!
Soyez béni, mon Dieu, par mon frère le feu, non parce qu'il brûle, mais
parce qu'il réchauffe les mains des pauvres vieillards.
Soyez béni par ma soeur l'eau, qui lave les plaies du pauvre blessé,
et qui semble pleurer en disant: Hélas! comment les hommes peuvent-ils
navrer et déchirer leurs frères les hommes!
Soyez béni, Seigneur, par tout ce qui bon, par les mémoires qui oublient
les injures, par les coeurs qui aiment et qui pardonnent, par les mains
qui jettent le glaive et qui s'étendent pour s'unir, par les ennemis qui
se souviennent qu'ils sont frères, que le sang du Sauveur a coulé pour
eux tous, et qui rougissent de leurs fureurs et qui se rapprochent
doucement les uns des autres, qui s'étonnent enfin de se regarder avec
malveillance, qui étendent leurs bras les uns vers les autres, non plus
pour se battre, mais pour s'embrasser.... O Dieu, soyez béni! soyez
béni!»
«O bonnes gens, que je vois si bien quand j'ai chaussé mes besicles, que
n'avons-nous maintenant un saint François dont la guitare soit assez
puissante pour toucher l'oreille dure des luthéristes, des calvinistes,
des casuistes et des sorbonistes! Oh! Janotus de Bragmardo, toi qui es
né pour être un homme et qui devrais apprendre de saint François que les
baudets même sont tes frères, quel cantique nouveau te décidera et te
fera humblement prier pour ton frère égaré Mélanchton? Se battre à
propos d'Évangile n'est-ce pas folie furieuse, quand l'Évangile ne veut,
n'enseigne et ne montre que charité!
III
LE ROI DU RIGODON
--Comment le sais-tu?
--Tais-toi, parlons plus bas.--Tu sais bien ce que disent les révérends
pères, c'est à savoir que notre curé sent le fagot.
--Allons, allons, que grognez-vous là, les vieilles, pendant que tout le
village est en danse? Voyez-vous se trémousser toute cette jeunesse? ne
la croirait-on pas endiablée?
--Vous avez bien trouvé le mot, c'est bien endiablée qu'il faut dire.
Rabelais avait fait apporter une pièce de vin de sa cave, et dom Buinard
distribuait les brocs.
Guilain avait préludé sur un air simple et doux, un peu triste même
comme la campagne en automne, puis son archet s'était animé, l'automne
se refaisait un printemps à force de raisins, les vendangeurs
chantaient, la cuve débordait, les visages s'enluminaient, puis on
entendait crier le pressoir et la vendange bouillonner. Ce n'étaient
que chansons de buveurs tâtant le vin nouveau; c'étaient les muses
barbouillées de lie. Puis l'ivresse devenait lucide, l'oracle de la dive
bouteille faisait entendre son dernier mot: trinquez! Guilain alors est
la sibylle sur le trépied, son visage pâle s'illumine, il prophétise, il
chante... et voici à peu près la chanson qu'il improvisa:
LA CHANSON DE GUILAIN
Le système du monde,
Je vais vous l'expliquer:
C'est une table ronde,
Où l'on vient pour trinquer.
IV
--Oh! oh! Guilain, dit le curé, ceci est un paquet à ton adresse. Que
vas-tu répondre au sire de Ronsard?
--Je lui répondrai, dit Guilain, qu'on peut être grandement poëte sans
être grandement charitable; mais que c'est dommage, car la poésie,
suivant moi, étant la musique des bons coeurs, il est triste de séparer
ainsi la musique de la chanson.
--Je ne croyais pas, grommela Ronsard entre ses dents, qu'on vînt chez
les duchesses pour être affronté par les manants. Puis s'étant levé, il
salua profondément et sortit.
--Bien mieux que cela, madame, il fait danser les mauvaises langues.
Quant au grimoire, je n'en connais d'autre que le livre de la nature, et
j'avoue que je le déchiffre un peu.
--Le livre de la nature est bon, reprit la duchesse, mais nos docteurs
prétendent que celui des Évangiles est meilleur. Êtes-vous bon chrétien,
Guilain? Je sais que vous allez à la messe et je vous y ai vu; mais
allez-vous aussi à confesse?
--Madame, dit Guilain, voici monsieur mon maître et mon curé. C'est à
lui de vous répondre.
--Oh! vous êtes charmant, dit la duchesse, et vous prévenez mon désir.
Je brûlais de vous entendre faire parler votre merveilleux instrument.
LA CONFESSION DE GUILAIN
--C'est étrange, dit la duchesse quand Guilain eut fini, cela ressemble
aux idées de Clément Marot, mais ce n'est pas de son langage. Il y a là
une muse inculte, et vraiment gauloise, qui promet beaucoup. Quant à
votre dévotion, elle doit être catholique; car il me semble qu'elle
effaroucherait bien fort la rigidité de messieurs les huguenots. Mais
qu'en pense notre curé?
--Je pense, dit Rabelais, que Guilain est un assez mauvais pénitent,
et qu'il exagère quelque peu ce que Ronsard, dans son langage à moitié
latin, pourrait appeler _la tolérance_ de son pasteur.
--Le mot me plaît, dit Mme de Guise, mais croyez-bien qu'il ne sera
jamais inventé par Ronsard. Or, croyez-vous, maître Rabelais, vous, si
indulgent et si bon, que votre _tolérance_ puisse être exagérée?
--Vous avez conquis votre pardon, dit Mme de Guise, et nous ne le dirons
pas à M. Pierre de Ronsard. Or ça, Guilain, voulez-vous nous faire un
plaisir en échange de notre indulgence?
--Oh! pour cela non, madame, se récria maître François. Guilain est mon
ami, presque mon enfant, et s'il veut se noyer pour vous plaire, je ne
saurais l'en empêcher; mais ce ne sera pas moi, s'il vous plaît, qui le
jetterai à la rivière.
--Oh! oh! mon, fils et mon ami dit Rabelais, ce sera chose bonne à voir,
car alors les petits enfants nouveau-nés gagneront eux-mêmes leur pain,
ou celui de leur nourrice, ce qui est tout un, et ne saliront plus leurs
langes. Tu supprimeras du même coup l'ignorance, la bêtise, le mauvais
vouloir, la paresse, qui sont autant de sources de misère; car je ne
suppose pas que tu veuilles faire travailler les honnêtes gens pour
nourrir gratuitement les truands et les ribotteurs, leur travail
d'ailleurs n'y suffirait pas; tu peupleras d'abord la terre de
prud'hommes et de gens de bien, puis tu laisseras les choses aller
d'elles-mêmes, et pas ne sera besoin je te le jure, que le roi de
France veuille s'en mêler. La grande Thélème universelle se bâtira par
enchantement, pendant que tu joueras de ton violon avec un flacon de vin
frais auprès de toi, pour te rafraîchir de temps en temps...
--Vous avez l'air de vous moquer, mon maître, mais cette abbaye de
Thélème, n'est-ce pas vous, qui l'avez inventée? N'en donniez-vous pas
l'idée aux paysans de la Basmette, le soir même de mon mariage?
--Guilain, mon ami, je vais te lire un vieux conte qui m'a tant réjoui
quand je l'ai entendu, que je l'ai mis par écrit afin de ne pas
l'oublier.
Dans un voyage que j'ai fait avec quelques amis autrefois en Italie,
je me trouvai logé chez un bonhomme de curé qui aimait extrêmement à
rapporter quelques historiettes. J'ai retenu celle-ci, qui m'a paru
digne d'être mise au jour, et comme elle ne roule que sur la _misère_,
dont il nous avait rompu la tête auparavant que de nous la raconter, je
la rapporterai telle qu'il nous l'a donnée pour lors, ainsi que vous
allez la lire.
Vous allez peut-être croire, nous dit-il, messieurs, que ce que je vais
vous dire est un conte fait à plaisir, car quoiqu'on parle tant du
pauvre _Misère_, on ne sait guère au juste son histoire: mais je vous
proteste, foi d'honnête homme, que rien n'est plus sincère, ni plus
véritable, et je doute même, dans tous le voyage que vous allez faire,
que vous appreniez rien de plus sérieux.
--Il me semble, reprit Paul, que sur la droite voici une grande maison
qui paraît appartenir à quelque riche bourgeois, nous pourrions lui
faire la prière, si c'est sa volonté, de nous vouloir bien retirer pour
cette nuit.
--J'y consens de tout mon coeur, dit Pierre; mais il me paraît, sauf
votre meilleur avis, qu'il serait bon auparavant que d'entrer chez lui,
de nous informer dans le voisinage, quelle sorte d'homme c'est que le
maître de ce logis, s'il a du bien et est aisé; car on s'y trompe assez
souvent, avec toutes les belles maisons qui paraissent à nos yeux, nous
trouvons pour l'ordinaire que ceux qui semblent en être les maîtres les
doivent, et n'ont pas quelquefois un liard dessus à y prendre; pour bien
connaître un homme et juger pertinemment de ses biens et facultés, il
faut le voir mort; mais si nous attendions après cela pour souper, nous
pourrions bien dire notre _Benedicite_ et nos _Grâces_ dans le même
moment.
--Cela n'est que trop commun, répondit Paul, mais la pluie continue
toujours, je vais demander à une bonne femme qui lave du linge dans ce
fossé, ce qu'il en est.
--Eh bien! bonne mère, lui dit Paul, s'approchant d'elle, il pleut bien
fort aujourd'hui.
--De l'argent, dit Paul: Hélas! vous êtes bien heureuse si vous n'en
avez point, et que vous puissiez vous en passer.
--Vous aimez à plaisanter, bonne femme, lui dit Paul; mais vous ne savez
pas que l'argent est ordinairement la perte de grand nombre d'âmes,
et qu'il serait à souhaiter pour bien des gens qu'ils n'en maniassent
jamais.
--Pour moi, lui dit-elle, je ne fais pas de pareils souhaits, j'en manie
si peu, que je n'ai pas seulement le temps de regarder une pièce comme
elle est faite.
--Ma foi tant mieux vous-même, lui répondit-elle. Voilà une plaisante
manière de parler: si vous avez envie de vous moquer de moi, vous pouvez
passer votre chemin, aussi bien voilà votre camarade qui se morfond en
vous attendant.
--Nous nous réchaufferons tantôt, reprit Paul. Mais, bonne mère, ne vous
fâchez point, je vous prie, je n'ai pas intention de vous rien dire qui
vous fasse de la peine, et vous ne me connaissez pas, à ce que je vois.
--Cet homme est donc bien difficile à contenter, lui demanda Pierre?
--Oh! monsieur, s'écria-t-elle, c'est bien le plus ladre vilain qui soit
sur la terre. Si vous le connaissiez... c'est un homme à se faire fesser
pour une baïoque[2].
--Comment! dit Pierre, n'est-ce pas celui qui demeure à cette belle
maison qu'on découvre d'ici?
--Adieu, lui dit Pierre, le temps qu'il fait ne nous permet pas de
causer davantage.
--Vous prenez bien de la peine, leur dit-il, mes bonnes gens, mais c'est
du temps perdu, mon maître ne loge jamais personne.
--Je le crois, dit Paul; mais faites-nous l'amitié, par grâce, d'aller
lui dire que nous souhaiterions bien avoir l'honneur de le saluer.
--Qui sont ces gens-là? dit Richard à son valet d'une voix assez élevée.
--Hélas! monsieur, dit-il d'un air pitoyable, par le mauvais temps qu'il
fait, ce serait une grande charité que de vouloir bien nous donner, s'il
vous plaît, un pauvre petit endroit pour reposer deux ou trois heures.
--Volontiers, répondit Paul; allez faire à votre aise vos affaires, nous
vous attendons ici. La bonne femme étant entrée chez M. Richard, et
ayant remis son linge dans le grenier, revint trouver nos deux voyageurs
qui exerçaient toute leur vertu pour ne pas s'impatienter.
Ayant de la lumière ils entrèrent dans la maison; mais tout y était sens
dessus dessous, l'on n'y connaissait rien au monde. Le maître de ce
logis logeait seul. C'était un grand homme maigre et pâle, qui semblait
sortir d'un sépulcre.
--Il n'importe, dit Pierre, pourvu que nous soyons à couvert, c'est tout
ce que nous souhaitons.
L'accident qui lui était survenu n'était pas bien considérable; mais
comme on dit, il n'est pas difficile de ruiner un pauvre homme. Dans sa
cour, où l'on pouvait entrer facilement, n'y ayant qu'une haie à sauter,
il avait un assez beau poirier, dont le fruit était excellent, et qui
fournissait seul presque la moitié de la subsistance de ce bonhomme.
Un de ses voisins qui avait guetté le quart d'heure qu'il n'était pas à
la maison, lui avait enlevé toutes ses plus belles poires, si bien
que cela l'avait tellement chagriné par la grosse perte que cela lui
causait, qu'après avoir juré contre le voleur, il s'était de dépit allé
coucher sans souper. Sans cette aventure, il courait encore le même
risque, puisque dans toute la journée il n'avait pas pu trouver un seul
morceau de pain par toute la ville.
--Hélas! monsieur, vous me ferez bien plaisir: pour moi, dit le bon
Misère, il semble que mes prières ont bien peu de crédit, puisque
quoique je les renouvelle souvent, je ne puis sortir du fâcheux état
auquel vous me voyez réduit.
--Le Seigneur éprouve quelque fois les justes, lui dit Pierre, en
l'interrompant; mais, mon ami, continua-t-il, si vous aviez quelque
chose à demander à Dieu, de quoi s'agirait-il? Que souhaiteriez-vous?
--Voilà se borner à peu de chose, dit Pierre: mais enfin cela vous
contentera donc?
--Ah! drôle, je vous tiens, commença à lui dire Misère d'un ton tout à
fait joyeux. Ciel! dit-il en lui-même, quels gens sont venus loger chez
moi cette nuit! Oh, pour le coup, continua-t-il en parlant toujours à
son voleur, vous aurez tout le temps, notre ami, de cueillir mes poires;
mais je vous proteste que vous les payerez bien cher, par le tourment
que je vais vous faire souffrir. En premier lieu, je veux que toute la
ville vous voie en cet état, et ensuite je ferai un bon feu sous mon
poirier pour vous fumer comme un jambon de Mayence.
--Je le crois bien, lui répondit l'autre, mais tandis que je te tiens il
faut que je te fasse bien payer le tort que tu m'as fait.
--Non, lui dit Misère, point de quartier; j'ai bien besoin d'argent,
mais je n'en veux point; je ne demande que la vengeance et te punir,
puisque j'en suis le maître; je vais, dit-il en le quittant, toujours
chercher du bois de tous côtés et ensuite tu apprendras de mes
nouvelles; ne perds pas patience, Car tu as tout le temps de faire des
réflexions sur ton aventure. Ah! ah! gaillard, continua-t-il, vous aimez
les poires mures? on vous en gardera.
Misère s'en étant allé et laissé le pauvre diable sur son arbre, où il
se donnait tous les mouvements du monde et faisait toutes sortes
de contorsions pour en sortir sans y pouvoir parvenir, il se mit à
lamenter, et cria si fort qu'on l'entendit d'une maison voisine. On
vint au secours, croyant que dans cet endroit écarté ce pouvait être
quelqu'un qu'on assassinait. Deux hommes étant accourus du côté où ils
entendaient qu'on se plaignait, furent bien surpris de voir celui-ci
monté sur l'arbre du bonhomme Misère, et qui n'en pouvait descendre.
--Hé, que diable fais-tu là, compère? lui dit un de ses voisins, et que
ne descends-tu?
--Tu te trompes, lui dit l'autre, Misère est un très honnête homme, il
n'est pas riche, mais il n'est assurément pas sorcier: autrement nous
le verrions dans un autre état que celui auquel il est depuis tant
d'années. Peut-être que c'est par permission de Dieu que tu es demeuré
branché de la sorte pour a voir voulu lui voler ses poires. Quoi qu'il
en soit, la charité chrétienne nous oblige à te soulager.
Disant cela, ils montèrent, l'un à une branche, l'autre à une autre, et
se mirent en devoir de débarrasser leur voisin, mais ils n'en purent
jamais venir a bout; ils lui eussent plutôt arraché tous les membres
l'un près l'autre que de le tirer de là. Après toutes sortes d'efforts
inutiles:
Ils se mirent en effet en devoir de sauter en bas, mais quelle fut leur
surprise pour ces pauvres gens de voir qu'ils ne pouvaient non plus
remuer que leur voisin!
--Ah! ah! dit-il, la foire sera bonne, à ce que je vois, puisque voici
tant de marchands qui s'assemblent. Hé! que veniez vous faire ici, mes
amis, commença à demander Misère aux deux derniers venus? Est-ce que
vous ne pouviez pas me demander des poires, sans venir de la sorte me
les dérober?
--Si ce que vous me dites là est vrai, reprit Misère, vous ne tenez à
rien sur cet arbre, vous en pouvez descendre quand il vous plaira, la
punition n'est que pour les voleurs.
Et en même temps leur ayant dit qu'ils pouvaient tous deux descendre,
ils le firent promptement sans se faire prier, et ils ne savaient que
penser de l'autorité qu'avait Misère sur cet arbre.
--Il n'en est pas quitte, leur répondit-il, vous voyez bien par
expérience qu'il est convaincu du vol de mes poires, puisqu'il ne peut
pas descendre de dessus l'arbre, comme vous venez de faire; et il
restera tant que je l'ordonnerai, pour me venger du tort que ce larron
m'a fait depuis tant d'années que je n'en ai pu recueillir un seul
quarteron.
--Vous êtes trop bon chrétien, M. Misère, reprirent les deux voisins,
pour pousser les choses à une telle extrémité; nous vous demandons sa
grâce pour cette fois; vous perdriez en un moment votre honneur, qui est
si bien établi de tous côtés, depuis tant d'années que votre famille
demeure en cette paroisse; faites trêve à votre juste ressentiment, et
lui pardonnez selon votre bon coeur, à notre prière; au bout du compte,
quand vous le ferez souffrir davantage, en serez-vous plus riche?
--Ce ne sont pas les biens ni les richesses, reprit Misère, qui ont
jamais eu aucun pouvoir sur moi: je sais bien que ce que vous me dites
est véritable; mais est-il juste qu'il ait profité de mon bien, sans que
j'y trouve au moins quelque petite récompense?
--Je payerai tout ce que vous voudrez, s'écria le voleur de poires; mais
au nom de Dieu, faites-moi descendre, je souffre toutes les misères du
monde.
--C'en est assez, lui dit Misère; descendez, voisin, vous êtes libre;
mais n'y retournez plus, s'il vous plaît.
Le pauvre homme avait tous les membres si engourdis qu'il fallut que
Misère, tout cassé qu'il était, l'aidât à descendre avec une échelle,
les autres n'ayant jamais voulu approcher de l'arbre, tant ils lui
portaient de respect, craignant encore quelque nouvelle aventure.
Le pauvre homme s'estimait bien récompensé d'avoir logé chez lui deux
inconnus, qui lui avaient procuré un si grand avantage. Il faut convenir
que dans le fond il s'agissait de bien peu de chose; mais quand on
obtient ce qu'on désire au monde, cela se peut compter pour beaucoup.
Misère, content de sa destinée telle qu'elle était, coulait sa vie
toujours assez pauvrement; mais il avait l'esprit content, puisqu'il
jouissait en paix du petit revenu de son poirier, et que c'était à quoi
il avait pu borner toute sa petite fortune.
Cependant l'âge le gagnait, étant bien éloigné d'avoir toutes ses aises,
il souffrait bien plus qu'un autre; mais sa patience s'étant rendue la
maîtresse de toutes ses actions, une certaine joie secrète de se voir
absolument maître de son poirier, lui tenait lieu de tout. Un certain
jour qu'il y pensait le moins, étant assez tranquille dans sa petite
maison, il entendit frapper à sa porte, il fut si peu que rien étonné
de recevoir cette visite, à laquelle il s'attendait bien; mais qu'il
ne croyait pas si proche: c'était la Mort qui faisait sa ronde dans le
monde, et qui venait lui annoncer que son heure approchait: qu'elle
allait le délivrer de tous les malheurs qui accompagnent ordinairement
cette vie.
--Quoi! lui dit-elle, tu ne me crains point, moi qui fait trembler d'un
seul regard tout ce qu'il y a de plus puissant sur la terre, depuis le
berger jusqu'au monarque?
--Non, lui dit-il, vous ne me faites aucune peur: et quel plaisir ai-je
dans cette vie? quels engagements m'y voyez-vous pour n'en pas sortir
avec plaisir? Je n'ai ni femme ni enfants (j'ai toujours eu assez
d'autres maux sans ceux-là); je n'ai pas un pouce de terre vaillant,
excepté cette petite chaumière et mon poirier qui est lui seul mon père
nourricier, par ces beaux fruits que vous voyez qu'il me rapporte tous
les ans, et dont il est encore à présent tout chargé. Si quelque chose
dans ce monde était capable de me faire de la peine, je n'en aurais
point d'autre qu'une certaine attache que j'ai à cet arbre depuis
plusieurs années qu'il me nourrit; mais comme il faut prendre son parti
avec vous, et que la réplique n'est point de saison, quand vous
voulez qu'on vous suive; tout ce que je désire et que je vous prie
de m'accorder avant que je meure, c'est que je mange encore en votre
présence une de mes poires; après cela je ne vous demande plus rien.
--La demande est trop raisonnable, lui dit la Mort, pour te la refuser;
va toi-même choisir la poire que tu veux manger, j'y consens.
La Mort ayant monté sur l'arbre, cueillit la poire que Misère désirait
avec tant d'ardeur, mais elle fut bien étourdie lorsque voulant
descendre, cela se trouva tout à fait impossible.
--Sans doute, lui dit-elle, mais que veut dire que je ne peux pas en
descendre?
--Oh! bon homme, quoi! vous osez vous jouer à moi, qui fais trembler
toute la terre? A quoi vous exposez-vous?
--J'en suis fâché, lui dit Misère; mais à quoi vous exposez-vous
vous-même, de venir troubler le repos d'un malheureux qui ne vous fait
aucun tort. Tout le monde entier n'est-il pas assez grand pour exercer
votre empire, votre rage et toutes vos fureurs, sans venir dans une
misérable chaumière arracher la vie à un homme qui ne vous a jamais fait
aucun mal? Que ne vous promenez-vous dans le vaste univers, au milieu de
tant de grandes villes et de si beaux palais? vous trouverez de belles
matières pour exercer votre barbarie. Quelle pensée fantasque vous avait
pris aujourd'hui de penser à moi? Vous avez, continua-t-il, tout le
temps d'y faire réflexion; et puisque je vous ai à présent sous ma loi,
que je vais faire du bien au pauvre monde que vous tenez en esclavage
depuis tant de siècles! Non, sans miracle, vous ne sortirez point d'ici
que je ne le veuille.
La Mort ne s'était jamais trouvée à une telle fête, et connut bien qu'il
y avait dans cet arbre quelque chose de surnaturel.
--Je m'aperçois, reprit la Mort, que je suis entrée dans une fâcheuse
maison pour moi. Enfin, bonhomme, je commence a m'ennuyer ici: j'ai des
affaires aux quatre coins du monde et il faut qu'elles soient terminées
avant que le soleil soit couché; voulez-vous arrêter le cours de la
nature? Si une fois je sors de cette place, vous pourrez bien vous en
repentir.
VI
GUILAIN A LA COUR
Rabelais était parti depuis deux jours, quand Mme de Guise fit dire à
Guilain de se tenir prêt à la suivre, et que le soir même il serait
présenté au roi. Elle lui envoyait en môme temps un beau pourpoint de
velours noir fait à sa taille ou à peu près, une fraise bien empesée, et
tout ce qu'il fallait pour lui donner l'air d'un apprenti gentilhomme.
Guilain sentit qu'il serait ridicule sous cet accoutrement; mais
pouvait-il aller au Louvre vêtu en paysan? D'ailleurs, il ne voulait pas
désobliger sa protectrice.
Il fut introduit suivant l'ordre qui en avait été donné aux gardes
et aux huissiers; mais les valets ne purent se tenir de rire en le
regardant passer.
Guilain, qui dans sa vie avait peu fréquenté les dames du grand monde
et celles qui servent aux hommes du grand monde, se trouva un peu
décontenancé. Le rouge lui monta au visage. Cette timidité ne déplut
pas; mais elle fit circuler les bons mots et les sourires.
--Ça, dit le roi, maître Guilain, on nous dit que vous êtes grand
ménétrier, chansonnier bizarre et un peu sorcier par surcroît. Nous ne
vous dénoncerons pas aux gens d'église, et vous allez nous montrer votre
savoir-faire, car tel est notre bon plaisir.
--Je te reconnais.
LE CRAPAUD
--Et il n'y a que les crapauds qui puissent les payer de retour,
répondit fièrement marjolaine.
--Ce ménétrier que je soupçonne d'être huguenot, dit tout bas un autre
bel esprit parlant à l'oreille de son voisin, mais assez haut pour être
entendu de tout le monde, ce ménétrier vient de dire que le crapaud est
un roi proscrit, ou cela ne veut rien dire, ou il prétendrait insinuer
par là que les rois sont des crapauds non proscrits. Ce qui serait une
grande insolence et une grosse injure.
--Madame, dit le roi, vous n'êtes pas clémente envers notre cher docteur
Rabelais. Les indulgences du saint-siége ont effacé toutes ses folies
de jeunesse. Ne parlons donc plus, s'il vous plaît, des scandales de la
Basmette et du mariage de frère Lubin.
--Je pense qu'une comédie sacrilége n'est pas un mariage, dit le roi.
Puis saluant le roi, il reprit son violon et sortit comme un fou sans
que personne songeât à lui disputer le passage.
VII
--Sans doute, pensait-il, le soleil, trahi par la lune, qui l'aura renié
et dédaigné à la face de toutes les étoiles, aura trouvé en s'arrachant
le coeur le courage de lui dire: «Vous n'avez jamais été ma femme! vous
n'êtes qu'une coureuse de nuit, qui avez rencontré ma lumière et l'avez
reflétée par hasard, puis vous m'avez quitté dans l'espoir qu'une comète
plus riche que moi vous éclabousserait d'or avec sa queue...» Oh! pauvre
soleil, s'écria-t-il tout haut, que tu as dû souffrir en lui disant de
si tristes choses!
Puis, Guilain, qui avait toujours la fièvre, se prit à faire une belle
morale au soleil.
Et Guilain se mit à jouer des choses tour à tour tristes et gaies, des
pleurs à faire rire et des rires à faire pleurer.... c'était sa fièvre
de la nuit qui passait dans son violon. Le cortège arriva ainsi devant
l'église et dut traverser le cimetière où l'on achevait de rendre les
derniers devoirs à un trépassé.
Dansez donc,
Trémoussez-vous donc.
Voici le roi du rigodon.
Dansez donc,
Trémoussez-vous donc,
Voici le roi du rigodon.
Dansez donc,
Trémoussez-vous donc,
Voici le roi du rigodon.
VIII
LA RÉSURRECTION
--Que fais-tu donc là, frère Jean, dit en entrant maître François qui
arrivait de Touraine. Hé! qu'est-ce que je vois? Guilain, mon pauvre
Guilain, mon ami Guilain serait mort! Le deuil me poursuit donc? Et de
quoi me sert d'être un habile médecin, si tous les miens s'en vont sans
que je puisse les arrêter? Or ça, frère Jean, cesse ta prière et lâche
un peu cette bouteille; ouvre ces fenêtres, donne de l'air ici. De quoi
Guilain est-il mort? Comment a-t-il été malade. Malheureux! tu as bu,
tu ne sais que répondre; tu t'es enivré pendant que ce pauvre homme
mourait!...
Alors une femme en deuil suivie d'un charmant jeune garçon entra dans la
chambre mortuaire. Elle voulait renvoyer son fils, mais il la supplia du
regard et il resta.
Cette femme c'était notre chère Violette; des années avaient passé sur
sa tête sans changer la douce sérénité de son visage; la beauté de
l'âme, qui fait le charme de la physionomie, avait remplacé sur sa noble
figure les attraits fugitifs de la jeunesse.
--Parce que je veux que vous soyez heureux Guilain; parce que je veux
bien vous entendre dire que vous m'aimez.
--Mais vous êtes mariée, Violette?
IX
LE GRAND PEUT-ÊTRE
--Je n'ai rien à moi, avait-il dit, car les biens d'un prêtre sont aux
pauvres. Ce qu'il dépense pour son entretien, il le leur emprunte. Je
leur dois donc beaucoup, et ne pouvant les payer, je leur abandonne du
moins tout ce qui me reste.
--Je suis frère Paphnuce de la Basmette que vous avez fait mettre en
prison.
--On m'y a mis à cause de vous et j'en suis sorti par miracle.
--Si cela est, dit maître François, vous me permettrez de n'en rien
dire.
--Sa monture? que voulez-vous dire? Est-ce à son crucifiement que vous
pensez?
--Il a le délire dit Paphnuce, d'une voix funèbre. Je suis venu trop
tard. Eh bien, que la justice du ciel ait son cours, j'abandonne cet
impénitent à lui-même.
--Qu'est-ce que j'entends? dit Rabelais; fi, qu'il est laid le gros
vilain pleurard! il est moins amusant que frère Paphnuce. Est-ce
ainsi, lourdaud, que tu me réconfortes et que tu me réjouis l'esprit à
l'instant de mon dernier passage? que ne prends-tu en main un flacon?
que ne bois-tu à mon heureuse délivrance? crois-tu qu'il ne me serait
pas meilleur, voir ta grosse face enluminée, rire à la bouteille, que se
distiller tout en larmes?
--Ainsi, cher maître, dit Guilain, vous pardonnez à tous vos ennemis?
--Pardonner! qui? moi? jamais! reprit Rabelais, en élevant la voix, puis
plus doucement:
Eh! mon pauvre Guilain, à qui veux-tu que je pardonne? personne ne m'a
jamais offensé; ceux qui ont mal fait contre moi, ne savaient ce
qu'ils faisaient et souvent même croyaient bien faire. Je dois les en
remercier; ils m'ont exercé à patience.
--Guilain, vous vous trompez, dit alors une voix de femme, qui fit
tressaillir tout le monde. C'était la religieuse hospitalière, qui,
jusque-là, était restée silencieuse au chevet du lit, priant et disant
son chapelet. Alors elle releva son voile:
--C'est à notre bon pasteur de nous bénir tous dit soeur Marie en
s'agenouillant.
La vie, ici bas, me semble une école où nous apprenons à vivre; j'en
conclus que nous devons vivre ailleurs. Ce ne sont ici qu'essais et jeux
d'enfants. C'est une farce théâtrale qui précède le grand mystère... eh
bien, mes enfants, à revoir ailleurs, et souvenez-vous un peu de moi.
Et maintenant:
TIREZ LE RIDEAU, LA FARCE EST JOUÉE.
FIN
TABLE
DÉDICACE
PRÉFACE
PREMIÈRE PARTIE
I. La Basmette.
II. Maître François.
III. Marjolaine.
IV. La charité de frère Lubin.
V. La vigile de saint François.
VI. Le mariage miraculeux.
VII. Les juges sans jugement.
VIII. Le soir des noces.
IX. Le dernier chapitre et le plus court.
DEUXIÈME PARTIE
I. Le cabaret de Lamproie.
II. Les patenôtres de frère Jean.
III. Le seigneur de la Devinière.
IV. L'ordonnance d'Alcofribas.
V. La quenouille de Pénélope.
VI. Les sentences d'Hypothadée.
VII. La vengeance du diable.
VIII. L'ancien et le nouveau testament.
IX. La dot de la dive bouteille.
TROISIÈME PARTIE
LE MÉNÉTRIER DE MEUDON
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LA SCIENCE
DES ESPRITS
RÉVÉLATION DU DOGME SECRET DES KABBALISTES
ESPRIT OCCULTE DES ÉVANGILES
APPRÉCIATION DES DOCTRINES ET DES
PHÉNOMÈNES SPIRITES
ÉLIPHAS LÉVI
2.3% inaccuracies
PARIS
1885
PRÉFACE.
30 La synthèse physique,
C'est—à—dire une croyance, une idée et une
force.
Nous ne donnons pas ces explications pour
M. de Mirville , qui ne saurait être naïf de bonne
foi, et qui a un parti pris de ne pas nous compren-
dre et de nous injurier quand même.
Ce sont là, nous le savons, les procédés de l'é-
cole à laquelle il appartient.
Nous donnons cette explication pour ceux de
nos lecteurs qui ne cherchent que la vérité, et
nous commençons notre livre.
LA
PREMIÈRE PARTIE
E S P R I T S RÉ EL S
INTRODUCTION
telle;
i
-6
monde.
Ailleurs, cet apôtre écrit qu'il n'ose visiter ses
fidèles, parce qu'un prélat orgueilleux, nommé
Diotrephes, les empêche de le recevoir.
Sachez, disait saint Paul, que déjà. le mystère
d'iniquité s'accomplit, en sorte que celui qui tient
maintenant tiendra jusqu'à sa mort, puis se ma-
nifestera le fils de l'iniquité qui s'élève au-dessus
de tout ce qui est divin, au point de s'asseoir dans
le temple de Dieu et de se montrer lui-même
comme étant Dieu, jusqu'à ce que le Seigneur le
détruise par lesprit de sa parole et par la lumière
éclatante de son second avénement.
Jésus était un vrai prophète et un vrai sage,
disent les Musulmans , mais ses disciples sont
devenus insensés et l'ont adoré comme un Dieu.
Cependant, Juifs et Musulmans se trompent,
nous n'adorons pas Jésus comme un Dieu diffé-
rent de Dieu seul. Nous disons avec le Michael des
Hébreux : Quis ut Deus? Nous disons avec les
croyants de l'islam : Il n'y a pas d'autre dieu que
Dieu; mais ce Dieu unique, indicible, universel,
— 48 —
nous l'adorons manifestant la perfection humaine
en Jésus—Christ. Nous croyons à une alliance
intime de la divinité avec l'humanité, d'où résulte,
pour employer le langage des théologiens, non la
confusion, mais la communication des idiomes,
Dieu adoptant pour les guérir les faiblesses de
l'humanité et revêtant cette humanité qu'il élève
jusqu'à lui de sa force et de ses splendeurs. Toute
âme douée du sens intérieur qui adore, tout coeur
souffrant du besoin d'aimer jusqu'à l'infini sen-
tira que, dans cette conception sublime et dans
celle-là seulement, l'idéal religieux se détermine
et s'accomplit, que tous les rêves dogmatiques et
symboliques n'ont pu être que la recherche et
l'enfantement de cette synthèse, à la fois divine
et humaine, que Dieu en nous et nous en Dieu
avec Jésus—Christ et par Jésus—Christ, c'est la
paix, c'est la foi, c'est l'espérance, c'est la charité
sur la terre, c'est dans le ciel l'éternité de la vie
et du bonheur. Voilà pourquoi aucune religion
ne remplacera jamais le christianisme dans le
monde. Que pourrait-on ajouter à l'infini ? Quelle
idée serait plus grandiose et plus consolante à la
fois que celle de l'homme Dieu établissant par
son exemple la grande loi du dévouement qui
- 47 -
réalise les sacrifices, et consacrant ainsi pour ja-
mais l'alliance et comme l'identification de Dieu
avec l'humanité ?
Les anciens croyaient que toute vérité n'est
pas bonne à dire à tous, du moins de la même
manière, et ils cachaient la science sous les voiles
de l'allégorie. C'est ainsi que les mythologies se
sont formées. Ceux qui s'ennuient des symboles
mythologiques doivent renoncer à la science du
vieux monde dont les monuments sont tous plus
ou moins mythologiques.
Notre siècle qui, contre toute évidence, n'ad-
met pas en principe l'inégalité des intelligences,
déteste la mythologie. On cherche, maintenant,
des faits historiques et positifs jusque dans les
théogonies de Sanchoniaton et d'Hésiode. Ce
qu'on ne comprend pas, on le traite d'absurdités
et de bêtise, et c'est ainsi que M. Renan, mutilant
et estropiant les textes de la légende évangé-
lique, a inventé sa prétendue Vie de Jésus.
Le Jésus de M. Renan, espèce de pastoureau
enthousiaste et livré à je ne sais quel onanisme
intellectuel, à moitié fou et à moitié fourbe, fai-
sant bon marché de tout, pourvu qu'on l'adore,
est, malgré toute la douce poésie dont l'entou-
- 48 -
rent les réminiscences vraiment chrétiennes de
l'auteur, un être ridicule et odieux. Il n'en est
pas ainsi du vrai Jésus de la légende évangé-
lique.
Comment, d'ailleurs, M. Renan, qui est, dit-on,
un hébraïsant distingué, a-t-il ignoré ou négligé
• le Stpher Toldos Jeschu, les traditions talmudi-
ques et les évangiles apocryphes?
C'est que le génie symbolique faisait horreur à
son imagination froide et positive. C'est qu'il
voulait plaire aux ignorants dont la paresse intel-
lectuelle repousse tout ce qui demande du travail
pour être compris. C'est qu'il lui fallait un succès
de vogue, et il faut convenir qu'il a parfaitement
réussi.
Mais, arriver à plaire, ce n'est pas arriver à
bien faire. Faites donc, pour réfuter M. Renan,
quelque chose qui se fasse lire comme son livre,
nous disait un grand artiste, qui, en cette cir-
constance, n'était pas peut-être un grand criti-
que. Nous ne pouvons, au nom de la science,
accepter ce défi. En disant la vérité on ne se fera
pas lire aussi universellement ni aussi avide-
ment tout à coup, mais on se fera lire par des
lecteurs plus distingués, et plus longtemps.
— 49 --
L'Évangile est un livre symbolique, ce qui ne
prouve pas que Jésus n'ait pas existé Rousseau
disait que l'inventeur d'une pareille histoire serait
plus étonnant que le héros. Nous acceptons plei-
nement cette parole. Le Jésus, assez grand par
l'intelligence et par le coeur pour créer cette ad-
mirable légende, est supérieur à celui qu'adore
sottement, ou que nie plus sottement encore le
vulgaire ; il est vraiment l'incarnation toujours
vivante du Verbe de vérité, et nous le saluons Fils
de Dieu dans tout le resplendissement et dans
toute l'énergie du terme.
Jusqu'à présent on n'a vu, de l'Évangile, que
la lettre qui tue et l'écorce qui se dessèche; nous
venons en révéler l'esprit et la vie. Mes paroles,
disait Jésus, sont esprit et vie, et, pour les com-
prendre, la matière et la chair ne servent de rien.
Mais, pour expliquer ce texte sacré, quelles
sont nos autorités?
La science et la raison.
— Mais la foi les a expliqués autrement.
— La foi aveugle, oui ; la foi éclairée, non.
— Mais Dieu seul peut éclairer la foi.
— Oui, par la raison et par la science qui sont
aussi filles de Dieu.
4
Cela dit. commençons notre êtude.
Christ veut dire oint ou sacré, c'est-à-dire
prêtre et roi.
Le christianisme, c'est la religion hiérarchique
des âmes et la monarchie du dévouement le plus
parfait.
Le christianisme primitif des apôtres de Jésus
était une doctrine secrète ayant ses signes, ses
symboles et ses différents degrés d'initiation.
Pour les saints ou élus le dogme chrétien était
une haute et profonde sagesse; pour les simples
catéchumènes, c'était une merveilleuse et obscure
révélation. Nous savons que le Maitre ne s'expri-
mait jamais qu'en paraboles et cachait la vérité
sous le voile transparent des images, afin de pro-
téger la science nouvelle contre les blasphèmes
de l'ignorance et 1,es profanations de la méchan-
ceté: « Ne jetez pas vos perles devant les pour-
ceaux, disait-il à ses disciples, — de peur qu'ils
ne les foulent aux pieds et que, se tournant contre
vous, ils ne vous dévorent.>) Aussi, Jésus ne mit-
il rien par écrit et laissa-t-il à ses apôtres ses tra-
ditions et sa méthode d'enseignement.
Or, voici quel était le fond du dogme chré-
tien:
4
— âl —
L'intelligence est éternelle ; elle est expansive
parce qu'elle est vivante. La vie de l'intelligence,
son expansion, c'est la parole, le Verbe ; le Verbe
est donc éternel comme l'intelligence, et ce qui
est éternel, c'est Dieu.
Le Verbe se manifeste par l'action créatrice qui
produit la forme, il s'est revêtu • de la forme
humaine, et la chair devenue le vêtement du
Verbe a été le Verbe même quand elle en a
été l'expression exacte : ainsi le Verbe s'est fait
chair.
Le Verbe parfait, c'est l'unité divine, exprimée
dans la vie humaine. L'homme véritable, c'est
notre Seigneur, le chef dont tous les fidèles sont
les membres. L'humanité, constituée sur une
échelle hiérarchique et progressive, a pour chef
celui qui est Dieu, parce qu'il est en même temps
le meilleur des hommes, celui qui est mont pour
les autres afin de revivre dans tous. Nous ne
sommes donc tous qu'un même corps dont l'âme
doit être celle de Jésus—Christ, notre prototype et
notre modèle, le Verbe fait chair, l'Homme-Dieu.
Tout doit donc en principe être commun entre
nous comme entre les membres d'un même corps;
mais, en fait, chaque membre doit se contenter du
— 5e —
rang qu'il occupe, et l'ordre hiérarchique est sacré
comme la volonté de Dieu.
Le Christ, en révélant la loi d'unité, qui est la
loi d'amour, a armé l'esprit de puissance pour
vaincre l'égoïsme de la chair, qui est la division
et la mort, et il institua un signe nommé Com—
munion, pour l'opposer à l'égoïsme, qui est l'es-
prit de division et de partage.
Or, la communion n'était autre chose que la
charité figurée par une table commune, et comme
le Christ avait livré sa chair à la douleur et à la
mort pour léguer à ses fidèles le pain fraternel
auquel il attachait dans l'avenir sa pensée persé—
vérante et sa vie nouvelle, il leur disait : Mangez-
en tous, ceci est ma chair ! comme il disait du
vin de la fraternité : Buvez en tous, ceci est mon
sang, car je le répandrai tout entier pour vous
assurer à jamais la réalité de ce signe.
La communion, c'était donc la fraternité divine
et humaine, et par conséquent aussi la liberté ;
car où peut être l'oppresseur parmi des frères dont
le père est Dieu même?
Le christianisme était donc le changement le
plus radical et venait bouleverser le vieux monde.
Cela explique assez la nécessité des mystères, car
- 53 -
le monde, il y a dix-huit cents ans, devait être
encore moins disposé qu'aujourd'hui à se laisser
détruire : il avait plus longtemps à vivre.
Toutefois, le Christ ne voulait accomplir de
révolutions que par la force morale, sachant bien
qu'il n'y a que celle—là qui ne soit point aveugle :
il avait planté le grain de sénevé, et il disait à ses
disciples d'attendre l'arbre ; il avait caché le levain
dans la pâte et il voulait qu'on la laissât fermenter.
La vie du Christ était toute dans sa doctrine, et,
pour ses disciples surtout, son existence devait
être toute morale. Ce qu'il disait, il le faisait dans
le domaine de l'esprit ; c'est pourquoi les livres
évangéliques contiennent le dogme et la morale
en paraboles, et souvent le Maître lui—même est
le sujet des récits allégoriques de ses apôtres.
Nous avons à chercher les preuves de ceci dans
les évangiles apocryphes seulement, des raisons
de haute convenance nous empêchant d'aborder
les évangiles consacrés. Nous n'approuvons ni ne
blâmons, toutefois, les travaux du docteur Strauss,
n'étant pas juges en Israël.
Commençons par le récit de quelques légendes
empruntées à ces anciens livres trop peu étudiés
de nos jours.
- S4 -
PREMIERE LÉGENDE.
COMMENT UNE FEMME PLEURAIT DE NITRE DOM MÈRE ET
COMMENT ELLE BUT UNE FILLE QUI DEVINT Lk MÈRE DE
DIEU.
Il y avait une femme nommée Hanna.h qui
était stérile parce que son époux s'était éloigné
d'elle.
Cette femme était donc triste et désolée comme
la Synagogue lorsqu'elle attendait le Messie.
Vint le temps des nouvelles pâques et elle n'osa
se revêtir de ses habits de fête, parce qu'elle n'é-
tait pas mère et que ses servantes mêmes lui re-
prochaient d'être stérile.
Elle s'en alla donc et se laissa tomber sous un
laurier.
C'était du temps que Rome venait de sou--
mettre le monde.
Et sur les branches de ce laurier elle vit un
nid de moineaux, et elle pleura amèrement en ré-
pétant :
Je ne suis point mère.
Alors l'Esprit du Seigneur lui parla et lui dit :
Je suis touché de ta doulete, et je te ramènerai
ton époux ;
Car mon oreille est toujours inclinée vers les
lèvres de ceux qui pleurent.
Tu dis : Je n'ai point mis un homme au monde,
et moi je te promets quelque chose de plus
heureux : car tu enfànteras la fetüme sans
péché ;
Celle à qui je dirai, par la bouche de l'hurna-
nité : Vous êtes ma mère I
La Synagogue enfantera l'Église d'où sortira le
principe de l'esociation catholique ; la servitude
engendrera la liberté; la femme esclave mettra au
monde la femme pure et libre.
A ces paroles Hannah sentit ses larmes s'arrê-
ter : elle se leva et elle courut, car elle pressentait
que son époux n'était pas loin.
Elle le rencontra qui ramenait son troupeau
et qui revenait des champs en disant : Je dormirai
cette nuit dans ma maison.
Et elle l'embrassa, puis elle lui dit : Demain,
j'aurai cessé .d'être stérile.
11 lui fut fait selon ce qu'elle avait cru, et après
le terme accompli elle devint mère.
Mais ses compagnes, qui la félicitaient, lui di-.
rent, comme pour tempérer sa joie : Ce n'est
qu'une fille.
— Qu'elle soit nommée Marie, répondit Han-
n ah, et que le monde espère, car ma fille aura un
fils :
Marie sera mère de Dieu.
Ses compagnes ne comprirent pas ce qu'elle
voulait leur dire«, mais elles enveloppèrent l'en-
fant dans des linges blancs et la posèrent dans
son berceau neuf, en admirant combien elle était
belle.
Quand la petite fille Marie eut trois ans, ses
parents la portèrent au temple, et, comme ils l'a-
vaient posée à terre, elle monta toute seule les
degrés de l'autel.
Ainsi, dans un âge si tendre, sa religion fut
déjà libre et ses croyances ne lui furent point
imposées.
Elle resta dans le temple jusqu'à l'âge de qua-
torze ans et se prit d'amour pour la beauté éter-
nelle. C'est pourquoi elle dit : Je suis la servante
du Seigneur.
C'est pourquoi elle ne fut jamais servante d'un
homme.
- 57 -
L'esprit d'amour alors n'était point encore
descendu sur la terre, et la génération était re-
gardée comme une souillure. L'homme était en-
fant de la chair, et le christianisme ne l'avait pas
fait encore enfant de Dieu.
DEUXIÈME LÉGENDE.
TROISIÈME LÉGENDE.
QUATRIÈME LÉGENDE.
CINQUIÈ ME LÉ GENDE.
SIXIÈME LÉGENDE.
SEPTIÈME LÉGENDE.
LE PALMIER DU DÉSERT.
HUITIÈME LÉGENDE.
NEUVIÈME LÉGENDE.
DIXIÈME LÉGENDE.
oNziPmn LÉGENDE.
II
III
DOUZIÈME LÉGENDE
TREIZIÈME LÉGENDE.
jugés.
Et nous disons : Opérez la transformation de la
pénalité en hygiène morale, relevez celui qui tombe
et ne le frappez pas ; donnez aux maladies morales
des soins moraux, et non des châtiments impies ;
ne tournez pas dans un cercle sanglant en punis-
sant le. meurtre par le meurtre, car en agissant
ainsi vous donnez une sorte de raison aux assas-
sins et vous perpétuez une guerre de cannibales.
Si vous voulez que l'homicide soit vraiment un
crime, faites qu'il ne soit jamais un droit, et sou-
- 89 -
venez-vous de ce condamné, qui disait : En assas-
sinant, j'ai joué ma tête ; vous gagnez, je paie :
nous sommes quittes.
Et dans sa pensée, il ajoutait : Nous sommes
égaux.
Le Christ a dit : Cherchez d'abord le règne de
Dieu et sa justice, et le reste vous sera ajouté par
surcrott
Et nous disons : Le règne de Dieu, ce n'est pas
le règne de la famine pour Lazare et des orgies
du mauvais riche. Le règne de Dieu, c'est le soleil
pour tous, et la terre pour tous, c'est la fraternité
du travail, c'est la prostitution rendue impossible
par le respect de la femme, c'est l'échelle sociale
accessible dans tous ses degrés au travail et au
mérite de tous. C'est le travail pour tous ; c'est
la famille pour tous, c'est la propriété pour tous,
c'est la royauté de la raison, c'est le sacerdoce de
l'amour, c'est la communion de chacun à tous et
de tous à chacun, c'est l'unité divine et humaine,
Dieu vivant dans l'humanité, le Christ ressuscité
et vivant dans le grand corps du peuple chré-
tien, la liberté progressive et soumise à l'ordre,
l'égalité relative dans l'ordre de la hiérar-
chie, et la fraternité distribuant tout à tous,
— on
selon les lois de l'harmonie, qui est l'éterrtelle
sagesse.
QUATORZIÈME LÉGENDE.
SEIZIÈME LÉGENDE.
DIX-SEPTIÈME LÉGENDE.
LE JUGEMENT DE JÉSUS.
..
rien contre lé changement des idées, et pie les
signes religieux les mieux protégés par' le pouvoir•
tombent d'eux-mêmes et s'inclinent devant les
symboles proscrits que le progrès révèle, protestent
contre le jugement des hommes et sympathisent
avec l'agonie des martyrs.
Jésus fut donc interrogé en secret par Pilate,
puis il fut ramené devant les Juifs, et ses accusa-
teurs furent entendus ; c'étaient, comme on sait,
les princes des prêtres, les anciens du peuple, les
pharisiens', les scribes et les docteurs, c'est-à-dire
tout ce qu'il y avait de considérable et de respecté
dans la nation juive.
Pilate demanda s'il n'y avait pas aussi quelques
témoins à décharge. D'abord, il se fit un grand
silence' , car les rares amis de Jésus avaient peur.
Enfin Zachée, le publicain, éleva timidement
la voix pour dire que Jésus avait bu et mangé
dans sa Maison, puis lui avait touché le coeur par
la sagesse de ses discours. Les rires et les huées de
la foule ne le laissèrent pas achever, car les pu-
blicains étaient regardés comme des hommes in-
fâmes, et les pharisiens firent valoir le témoignage
de Zachée comme une preuve de plus coutre Jésus.
100
• e•
Après Zachée, ce fut une femme toute éplorée
qui se jeta aux pieds du proconsul; on ne lui laissa
pas même proférer une seule parole : un cri de
réprobation s'éleva de toute la foule: C'est Magde-
leine la prostituée, c'est celle qui répand sur les
pieds de ce vagabond les parfums précieux qu'elle
paie de sa personne ; elle est digne de lui, et il
n'est pas indigne d'elle ! Anathème sur les infâ-
mes!
Cependant, l'aveugle de Jéricho venait de per-
cer la foule et criait en étendant les mains pour se
faire écouter : J'étais né aveugle, et Jésus m'a
rendu la vue !
— C'est un raca ! crièrent les prêtres; ne l'é-
coutez pas, il ne mérite aucune croyance : nous
l'avons chassé de la Synagogue.
— J'étais mort, et il m'a ressuscité, dit alors
un homme de Béthanie nommé Lazare.
— Pilate et les Romains se mirent à rire : les
Juifs sadducéens poussèrent des cris sauvages, et
Lazare fut chassé par les licteurs.
Alors une dame riche et considérée s'avança
et dit : Je suis veuve, je me nomme Séraphia, et
j'étais affligée d'un flux de sang qui me faisait
lentement mourir.
--
Un jour, Jésus passait, accompagné d'une foule
de pauvres qu'il instruisait, de femmes du peuple
qu'il consolait, et de malades qu'il avait guéris.
Je m'approchai de lui sans rien dire, et je tou-
chai seulement la frange de son vêtement : alors,
je fus frappée de vénération et d'épouvante, car
je me sentais guérie.
A ces paroles, les Juifs commencèrent à mur-
murer; toutefois ils contenaient leurs clameurs,
parce que Séraphia était riche et généralement
respectée.
Pilate alors prit la parole et dit : Faites retirer
cette dame, elle ne peut être admise à témoigner
dans cette affaire, car, selon vos lois, qui sont celles
de tout l'Orient, le témoignage d'une femme est
nul en justice.
Après Séraphia, personne n'osa plus élever la
voix en faveur de Jésus ; ceux qu'on regardait
comme les honnêtes gens l'accusaient, et il n'avait
pour le défendre que des personnes sans aveu,
des gens suspects de lèpre ou de débauche, de la
populace et des femmes.
Il fut donc condamné, et l'on ne trouva pas
d'expression pour résumer ses crimes ; on écrivit
par dérision : C'est le roi des Juifs.
— in(2
t-
Séraphia, qui fut depuis nommée V,éronique,
voyant que son témoignage n'avait pu sauver son
Sauveur, alla en pleurant l'attendre au passage
lorsqu'il sortait de la ville, chargé de sa croix, et
malgré les cris des bourreaux et les bourrades des
soldats, elle. s'approcha ,çle lui et lui essuya le vi–
sage avec un linge fin qui garda r empreinte san–
glante des traits de Jésus.
Et les' martyrs des premiers siècles n'eurent
point d'autre image de leur maitre que les traces
de sang qui marquaient la place des traits de Jésus
sur le linge de Séraphia.
DIX-HUITIÈME LÉGENDE.
PIERRE ET JEAN.
DIX-NEUVIÈME LÉGENDE.
LA VISION WAASWERUS.
VINGTIÈME LÉGENDE.
LE RÈGNE DU MESSIE.
ESPRITSHYPOTHÉTIQUES
ou
THÉ ORIES DES KABBALISTES SUR LES ANGES, LES DÉ -
MONS, ET LES ÂMES DES MORTS.
'0
CHAPITRE ler
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
DE LA HIÉRA,RCHIE ET DE LtA CLASSIFICATION DES
ESPRITS.
CHAPITRE IV.
4
Cm arbore peccati Deus creavit seculum.
L'arbre du péché a été l'instrument de la création
du monde.
e
Paradisus est arbor Sephiricus. In medio magnus Adam
est Tiphereth.
Le paradis, c'est l'arbre Séphirique ; le grand Adam qu.
est au milieu est Tiphereth.
•e -rt•
— 1 53 —
générale en cinq séries de dix sciences particu-
lières formant ensemble la science générale et
universelle. Lorsqu'on a parcouru toutes ces
séries, on entre dans la jubilation du vrai savoir,
figurée par le grand jubilé qui a lieu tous les cin-
quante ans.
111
Abraham semper vert itur ad austrum.
Abraham se tourne toujours vers le vent du midi.
za
Omnes ante Mosem per unicornem prophetaverunt.
Tous les prophètes qui sont venus avant Moïse n'ont juré
que par la licorne.
*0
Pcenitentia non est verbum.
Se repentir, ce n'est pas agir.
*8
Vice ceternitatis sunt triginta duo.
Il y a trente-deux voies qui conduisent à l'Éternel.
*4
Justi aquce, Deus mare.
Les justes sont les eaux, Dieu est la mer.
*à
Angeli apparentiarum sont volatiles cceli et animantia.
tes oiseaux du ciel et les animaux de la terre sont les
anges de la forme extérieure.
»Ii4
»9
*fi
»9
Absconde faciem tuam et ora.
Voile ta face pour prier.
se
Nulla res spiritualis descendit sine indumento.
L'esprit ne descend jamais sans vêtement.
811
Extrinsecus timor est interior amore, sed intrinsecus
superior.
Extérieurement la crainte est inférieure à l'amour, mais
intérieurement l'amour est inférieur à la crainte.
se
Nases discernit proprietates.
Le nez discerne les propriétés.
84
Sa
36
31
CHAPITRE I".
CHAPITRE II.
(suite du précédent)
CHAPITRE III.
ET APPARITIONS.
CHAPITRE IV,
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VII.
CHAPITRE I . er
Il se nomme
1
- 280 -
les yeux, le marbre pleure. Pure imagination, di-
rez-vous : oui , souvent , mais pas toujours ; et la
preuve en est que les tables remuent et parlent
réellement. On ne sait pas encore de quelles for-
ces peut disposer l'aimantation humaine; et quand
les prodiges de la foi deviendront les conquêtes de
la science, l'homme, élevé au-dessus de toutes les
superstitions, aura pris sa place dans l'univers ;
il comprendra qu'il est né pour commander à la
nature, et qu'il est ici-bas le plénipotentiaire de
Dieu.
La photographie est, certes, une des plus belles
et des plus curieuses découvertes de ce siècle :
mais, dans ce bon temps d'autrefois, que regret-
tent si sincèrement MM. Veuillot et de Mirville ,
l'inventeur de cette belle chose n'eût-il pas été
accusé de magie, et les masses ignorantes n'eus-
sent-elles pas été persuadées que ces peintures
instantanées et merveilleuses étaient l'ouvrage des
malins esprits ? Qu'eût-on pensé alors du stéréos-
cope, cette double lorgnette qui donne du relief à
un reflet et change un fantôme en statue ? Un
voyageur emporte les Alpes dans sa poche; on
met le dôme de Saint-Pierre de Rome dans un
étui. Joignez le microscope au stéréoscope , et
— 281
vous verrez se dresser entre vos mains, dans toute
leur effrayante hauteur, les colosses des Pyrami-
des, que vous pourrez contempler à votre aise à
travers le trou d'une aiguille !... Voyons, notre.
cher monsieur de Mirville, est—ce que votre dia-
ble ne s'en mêle pas vraiment un peu? Non,
n'est—ce pas ? Mais, quant à la photographie
mentale des tables parlantes, c'est bien autre
chose : oui, c'est autre chose, en effet ; mais
c'est une autre chose tout à fait analogue à la
première.
De même que la photographie solaire repro—
duit avec une fidélité désespérante les taches el
les verrues d'un visage, la photographie astrale
reproduit le néant des vaines conversations, la
témérité des conjectures et les faux pas des sot—
tes pensées. On conne les prétendues révéla—
fions de Victor Rennequin; le medium Rose nous
affirme qu'Esc,ousse et Lebras ont été Roméo et
Juliette, et rencontre dans Saturne l'infortuné
Lesurques, qui est devenu jardinier. Ceci nous
rappelle un couplet d'une chanson amphigou—
rique de Vadé
La reine Clénpatre
Rôtissait dans snn âtre
— t82 —
Des marrons
Que Caron
Jette aux poules.
Tandis que Zorobabel.
Faisait cuire, en Israël,
Des moules.
CHAPITRE II.
:p—
Pé—
:nes qui
, que vous
• diable pout
• dieu de la rai—
. a folie! Rentrez én
Salut à ma patrie!
t
• — 342 —
derne n'a plus la clef, et nous croyons avoir bien•
mérité de la science et de la raison.
Avec le secours de ces puissantes lumières,
nous expliquons les phénomènes étranges que
les demi-savants trouvent si commode de nier, et
qui pourtant les écrasent de leur évidence. Oui,
les statues tressaillent, les marbres pleurent, les
pains sacrés s'injectent de sang; oui, une main a
pu sortir de la muraille pour terrifier par. une
inscription menaçante le banquet impie de Bal-
thazar. Nous avons vu, entendu et touché de
semblables prodiges; aussi ne dirons-nous pas
que nous y croyons, puisque nous savons de
science certaine que cela est.
Le miracle n'est pas un fait contraire aux lois
de la nature; autrement il ne saurait être sans
que la nature fût boulevérsée. Mais c'est un fait
exceptionnel et en dehors des habitudes de la
nature, si l'on veut nous permettre de parler
ainsi. Le miracle en un mot, comme tout ce qui
existe, ne peut exister sans raison; il ne prouve
donc rien contre la raison, et c'est ce que notre
livre doit établir clairement, ainsi que nos autres
ouvrages.
Cette vérité une fois reconnue, la superstition
-- 313 -
devient impossible; le fanatisme s'en va, la vraie
religion emprunte tout son éclat à la raison su-
prême et dédaigne de vains prestiges. La foi ne
trouble plus les âmes; elle les soutient et les
console pendant que la science les éclaire. L'hu-
manité sort de l'enfance; elle repousse en sou-
riant et replonge dans leurs ténèbres les reve-
nants et les vampires. Les forces secrètes de la
nature deviennent les conquêtes de l'intelligence;
le symbolisme s'éclaire de lui-même, les allégo-
ries parlent, l'histoire se dégage des nuages de la
fable. C'est ainsi, disent nos prophètes, qu'un
jour le Fils de l'Homme, abaissant les nuées du
ciel, paraîtra dans toute la gloire et dans toute la
simplicité de son humanité sainte, et, ouvrant le
livre des consciences, jugera les vivants et les
morts.
L'auteur de ce livre ne craint pas d'avouer
qu'il a eu lui-même 'les plus étonnantes et les
plus formidables visions : il a vu et touché les
démons et les anges comme les faisaient voir et
toucher à leurs adeptes Maxime d'Éphèse et
Schrcepfer de Leipsick. Il a pu comparer les hal-
lucinations de la veille avec les illusions des
songes, et de tout cela il a conclu que la raison
— 114 —
dirigeant la foi et la foi soutenant la raison sont
les seules lumières véritables de nos âmes, que
tout le reste n'est que fatigue vaine du cerveau,
aberration des sens et délires de la pensée. Il
n'écrit donc pas seulement ce qu'il suppose, il
enseigne hardiment ce qu'il sait.
Aussi son livre est-il intitulé : La science des
Esprits, et non pas Conjectures ou Essais sur les
esprits.
C'est après être descendu de gouffre en gouffre
et d'épouvante en épouvante jusqu'au fond du
septième cercle de l'abtme, c'est après avoir tra-
versé dans toute sa longueur l'ombre de la cité
dolente, que le Dante, en se retournant et en pre-
nant, si je puis parler ainsi, le diable à rebrousse-
poil, remonte victorieux et consolé vers la lumière.
Nous avons fait le même voyage, et nous nous
présentons au monde la sécurité sur le front et la
paix dans le coeur. Nous venons dire tranquille-
ment aux hommes que l'enfer, que le démon,
que le gouffre sans espérance, que les chimères,.
les satyres, les goules, les péchés personnifiés, le
dragon à trois têtes et tout le reste de la fantas-
magorie ténébreuse n'est qu'un cauchemar de la
folie, mais que Dieu seul vivant, seul réel, seul
- 315 -
présent partout, remplit sans y laisser de vides,
remplit, dis-je, l'immensité sans bornes des splen-
deurs et des consolations étçrnelles de la souve-
raine raison.
DIA LOGUE
ENTRE
LE LECTEUR ET L'AUTEUR.
LE LECTEUR.
LE LECTEUR.
L'unaus.
Je suis trop poli pour lui répondre que les siens
sont pitoyables.
LE LECTEUR.
P L A N E T M A TÉ R I A U X .
PRÉFACE.
1. Répartition.
2. Déchéance.
3. Providence.
4. Prière.
5. Hiérarchie des êtres, relativement au mal.
La matière n'est rien que la preuve de l'esprit.
6. Efficacité de la prière; liberté humaine.
APPLIQUÉS A LA RELIGION.
DÉMONSTRATION PRÉLIMINAIRE. •
PREMIÈRE DÉMONSTRATION.
DEUXIÈME DÉMONSTRATION.
TROISIÈME DÉMONSTRATION.
RAISON.
LES MIRACLES.
•••• 11.1,1•1
LE PÉCH ORIGINEL.
É Injustice apparente. — Les innocents
condamnés pour le coupable.
L'INCARNATION Dieu s'apaisant soi-même en se sa-
ET crifiant à soi-même; virginité ma-
SiESCONSÉQUENCES, térielle de Marie.
LA DAMNATION Du plus grand nombre des hommes,
TERNELLE ION
.
rendant presque inutile toute
conomie du salut.
DOUBLE MYSTÈRE.
AUTRE OBJECTION.
QUESTION.
la vraie Eglise? e
Quelle est la force la plus irrésistible, la vérité rd
la plus irréfragable, la divinité la plus évidente du '-'
christianisme ?
Qu'est-ce que le devoir, et qui peut le rendre
plus nécessaire à notre âme que le droit?
j
Quel est l'accord de l'autorité et de la liberté?
Quelle est la paix religieuse?
380 —
Quel est l'accord de la science et de la foi?
Quelle doit être la fin de toutes les hérésies?
Quelle est la marque de la prédestination?
Qu'est-ce que la vie éternelle?
Quelle est la raison de l'infaillibilité du Saint- 5
Siége?
Quelle est la conciliation des contradictions ap-
parentes?
Quelle force vaincra les moqueries de Voltaire ..›1
et les argumenta de l'École?
• SECONDE PARTIE.
L ESPRIT DE CHARITÉ. -- PLAN D'UN TRAITÉ
'
A FAIRE.
INTRODUCTION.
Première partie.
' Notions essentielles et absolues.
Linz t. LÀ variez Distinction nécessaire.
ET LA FOI. L'esprit et le cœur.
L'arbre de science et l'arbre de vie.
, Caïn et Abel.
LIVRE H. LE DROIT ESati et Jacob.
ET LE DEVOIR. i Saül et David.
La parabole de l'Enfant prodigue.
i Loi naturelle, beauté et bonté de
Dieu.
Loi anciénne, unité et force de
Dieu.
1
c d
o tee.AL"",
„, ',/:',,„.;
Loi chrétienne d b16'
LITRE m. Economia
DES ARES.
——
L'esprit de charité traversant les
âges.
Réponse à toutes les objections contre
la foi.
LIVRE IV. L'ESPRIT Explication claire et universelle des
DECEÂRITÉ. points essentiels de la doctrine.
La catholicité nécessaire.
Récapitulation et synthèse univer-
selle en deux mots qui n'en font
qu'un, l'esprit de charité.
Vaincre la grossièreté dans la recherche des
satisfactions naturelles, c'est l'ce uvre d'une bonne
éducation.
Vaincre les attraits du plaisir et le sacrifier au
devoir, c'est tout le mérite de l'honneur.
Vaincre l'appréhension de la douleur et même
de la mort pour obéir à l'honneur, c'est l'hé-
roïsme, c'est la perfection humaine. On arrive
à cette perfection par une éducation progressive
de la volonté. L'ascétisme était l'apprentissage du
martyre : on ne meurt pas comme Curtius lors-
qu'on a vécu comme Natta. - Pour tendre ainsi
à la perfection, il faut l'aimer. — L'amour de
la perfection, c'est l'esprit de charité.
Les expiations sont les reprises d'une éducation
manquée; heureux qui sait les reconnaître et les
accepter !
- 353 -
Expier, c'est manger après le dessert le sel
qu'on avait négligé de mêler à ses aliments.
Un homme bien élevé n'est ni débauché, ni
ivrogne, ni glouton.
Un homme d'honneur pratique sévèrement la
morale humaine; un chrétien seul professe le
renoncement et la charité. qui est l'héroïsme de
toutes les vertus.
L'homme sortant des mains de la nature n'est
pas bon, comme l'a prétendu Rousseau, il a l'ins—
tinct de l'égoïsme, et ses passions, en se déve—
loppant, en feront bientôt une bête féroce. La
société, en lui faisant craindre ses châtiments, lui
apprendra plutôt l'hypocrisie et la lâcheté, qu'elle
ne parviendra à le former à la vertu, si la religion
n'intervient; et c'est ce qui arrive pour tous les
hommes vraiment vertueux. Le sentiment de
l'honneur et du devoir est un sentiment religieux.
Sans une foi réelle au principe même de l'hon-
neur et du devoir, il suffirait de paraltre hon-
nête et d'éluder la loi pour vivre tranquille, et
il n'y aurait de vertueux que les niais. C'est en
ce sens qu'il n'y a réellement pas de probité sans
religion.
23
— »54 —
L'amour du beau, du bon, de l'honnête, est
naturel; mais, c'est un attrait qui doit être déve-
loppé par l'éducation et vivifié par la foi reli-
gieuse.
DE LA NATIVITÉ DE KM«.
UN MIRACLE.
AUTRE MIRACLE.
AUTRE MIRACLE.
AUTRE MIRACLE.
- 410 -
camus.
MIRACLE.
Il
LE PHILOSOPHE DÉCOURAGÉ.
HI
LE POÈTE MOURANT.
IV
LE NOUVEAU NICODÈME.
V
LE TOMBEAU DE SAINT JEAN.
VI
VII
LÀ DERNIÈRE VISION.
FIN.
LE
GRAND ARCANE ou
OCCULTIS E M DÉ VOILÉ
ÉLIPHAS
LÉVI
PARIS
CIIAMUEL, ÉDITEUR
5, rue de Savoie, 5
1898
INTRODUCTION
LIVRE PREMIER
Le mystère hiératique ou les documents tradi-
tionnels de la haute initiation.
LIVRE SECOND
Le mystère royal ou l'art de se faire servir par
les puissances.
LIVRE• TROISIÈME
Le mystère sacerdotal ou l'art de se faire servir
par les esprits.
ELIPHAS LÉVI.
Septembre 1868
LIVRE SECOND
CHAPITRE I
LE MAGNÉTISME
2
CHAPITRE H
LE MAL
Les
hommes sont plus solidaires dans le mal
qu'ils ne le supposent. Ce sont les
d'hou qui font les Veuillot. Les allumeurs des
bûchers de Constance ont dû répondre devant
Dieu des massacres do Jean Zisca. Les pro-
testants sont responsables des massacres do
la Saint-Barthélemy, puisqu'ils avaient égorgé
des catholiques. C'est peut-être en réalité
Marat qui a tué Robespierre, comme c'est
Charlotte Corday qui a fait exécuter ses amis
les Girondins. Madame Dubarry, traînée à la
boucherie nationale comme une tête de bétail
beuglante et rétive, ne s'imaginait saris doute
pas qu'elle avait à expier le supplice de Louis
XV• Car souvent nos plus grands crimes
sent ceux que nous ne comprenons pas.
Lorsque Marat disait que c'est un devoir
d'humanité de verser un peu de sang pour
empêcher une effusion de sang plus grande,
il empruntait cette maxime, devinez à qui ?
— Au doux et pieux Fénelon.
Dernièrement on a publié des lettres iné-
dites de Madame Elisabeth, et, dans une de ces
lettres, l'angélique princesse déclare que tout
LA SOLIDARITÉ DANS LE ifIAL 39
est perdu si le roi n'a pas le courage de faire
tomber trois têtes. Lesquelles ? Elle ne le dit
pas, peut-être celles de Philippe d'Orléans,
de Lafayette et de Mirabeau! un prince de sa
famille, un honnête homme et un grand
homme. Peu importe qui d'ailleurs, la douce
princesse voulait trois têtes. Plus tard Marat
en demandait trois cent mille ; entre l'ange
et le démon il n'y avait qu'une différence de
quelques zéros.
CHAPITRE IV
LA DOUBLE CHAINE
Messie de la
Renaissance. Le rire c'est l'indulgence, le
rire c'est la philosophie. Le ciel s'apaise
quand il rit, et le grand Arcane de la toute
puissance divine n'est rien qu'un sourire
éternel
CHAPITRE VI
LE GRAND SECRET
Sagesse, moralité, vertus : mots respecta-
bles, mais vagues sur lesquels on dispute de:
puis des siècles sans être parvenu à s'enfeu=
dre
Je veux être sage, mais serai-je bien sûr
de ma sagesse tant que je pourrai croire que
les fous sont plus heureux ou même plus
joyeux que moi?
Il faut avoir des moeurs, mais nous sommes
tous un peu comme les enfants ; les moralités
nous endorment. C'est qu'on • nous fait de
-
5
CHAPITRE VII
certainement
une action magnétique sur notre globe et sur
les diverses organisations des êtres vivants
qui l'habitent.
Nous buvons tous les arômes du ciel mêlés
à l'esprit de la terre et nés sous l'influence
de diverses étoiles, nous avons tous une pré-
férence pour une force caractérisée par une
forme, pour un génie et pour une couleur.
La Pythonisse de Delphes, assise sur un
trépied au-dessus d'une crevasse de la terre
aspirait le fluide astral par les parties sexuelles,
tombait en démence ou en somnambulisme
et proférait des paroles incohérentes qui
étaient parfois des oracles. Toutes les natures
nerveuses livrées aux désordres des passions
ressemblent à la Pythonisse et aspirent le Py-
thon, c'est-à-dire l'esprit mauvais et fatal do
la terre, puis elles projettent avec force le
fluide qui les a pénétrées, aspirent ensuite
avec une force égale le fluide vital des titres.
êtres pour l'absorber, exerçant ainsi tour à
tour, la puissance mauvaise du Jettatore et
du vampire.
Si les malades atteints de cet aspir et de ce
LES ÉMANATIONS ASTRALES 79
respir délétères les prennent pour une puis-
sance et veulent on augmenter l'ascension et
la projection, ils manifestent leurs désirs par
des cérémonies qui s'appellent évocations,
. envoûtement, et deviennent le qn'on appe-
lait autrefois des nécromants et des sorciers.
Tout appel à une intelligence inconnue et
étrangère, dont l'existence ne nous est pas
démontrée et qui a pour but de substituer sa
direction à celle de notre raison 'et de notre
libre arbitre, peut être considéré comme un
suicide intellectuel, car c'est un appel à la
folie.
Tout ce qui abandonne une volonté à des
forces mystérieuses, tout ce qui fait parler en
nous d'autres voix que celles de la conscience
et de la raison, appartient à l'aliénation men-
tale.
Les fous sont des visionnaires statiques.
Une vision lorsqu'on est éveillé est un accès
de folie. L'art des évocations c'est l'art de se
procurer une Jolie factice dont on provoque
les accès.
Toute vision est de la nature du rêva. C'est
80 LU ORIND IROSE
une fiction de notre démence. C'est un %nage
de nos imaginations déréglées projeté dans
la lumière astrale ; c'est nous-mêmes qui nous
apparaissons à nous-mêmes déguisés en fan-
tômes, en cadavres ou en démons.
Les fous, dans le cercle de leur attraction et
de leur projection magnétique, semblent f':'re
extravaguer la nature : les meubles craquent
et se déplacent, les corps légers sont attirés
ou lancés à distance. Les aliénistes le savent
bien, niais ils craignent d'en convenir, parce
que la science officielle n'a pas encore admis
que les êtres humains soient des aimants et que
ces aimants puissent être déréglés et faussés.
L'abbé Vianney, curé d'Ars, se croyait sans
cesse turlupiné par le démon ; et Berbiguier
de Terre-neuve-du-Thym se munissait de
longues épingles pour enfiler les farfadets..
Or, le point d'appui existe dans la résis-
tance que leur oppose le progrès indiscipliné.
Dans la démocratie ce qui rend impossible
l'organisation d'une armée c'est que chaque
soldat veut être général. Il n'y a qu'un géné-
ral chez les Iésuitès.
LES ÉMANATIONS ASTRALES 81
nient donné,
disposer de la toute puissance même
temporelle de l'Eglise soutenue par les armes
de la France, comme il a bien paru lors du
baptême et de l'enlèvement du juif Mortara.
Toute la civilisation de l'Europe, au xix°
siècle, a protesté contre cet acte, et l'a subi
parce qu'une servante dévote l'avait voulu.
Mais la terre envoyait pour auxiliaire à cette
fille les émanations spectrales des siècles de
Saint Dominique et de Torquemada; Saint
Ghisleri priait pour elle. L'ombre du grand
roi révocateur de l'édit de Nantes, lui ' faisait
un signe d'approbation, et le monde clérical
tout entier était prêt à la soutenir.
Jeanne d'Arc, qui fut brûlée comme sor-
cière, avait, en effet, attiré en elle, l'esprit de
la France héroïque, et le répandait d'une ma-
nière merveilleuse en électrisant notre armée,
et en faisant fuir les Anglais. Un pape l'a réha-
bilitée ; c'est trop peu, il fallait la canoniser.;
Si cette thaumaturge n'était pas une sorcière,
c'était évidemment une sainte. Qu'est-ce
qu'un sorcier après tout? C'est un thauma-
turge que le pape n'approuve pas.
LES ÉMANATIONS ASTRALES
dans la mort.
CHAPITRE IX
LE SACRIFICE MAGIQUE
« Démontrer
l'existence de Satan c'est téta-
« Mir un des dogmes fondamentaux qui
« servent de base au Christianisme et sans le-
« quel il n'est qu'un mot. »
(Lettre du père Ventura au chevalier Gou-
gonot Desmousseaux en tête du livre La Ma-
pic au XLVe sièck.)
Ainsi, après que Proud'hon n'a pas craint
do dire : Dieu c'est le mal, un prêtre, qui passe
pour instruit, complète la pensée de l'athée
en disant : le Christianisme c'est Satan. Et il
dit cela avec candeur croyant défendre la re-
ligion qu'il calomnie d'une si épouvantable
manière, tant la simonie et les intérêts maté-
riels ont plongé certains membres du clergé
dans le Christianisme noir, celui de Gilles de
Laval et du grimoire d'Honorius. C'est pour-
tant ce même père qui disait au Pape : Pour
une motte do terre, ne compromettons pas le
royaume du ciel. Le père Ventura était per-
sonnellement un honnête homme et chez lui
le vrai chrétien l'emportait parfois surie moine
et sur le prêtre.
Concentrer sur un point convenu et ratta-
I4E SACRIFICE MAGIQUE D3
cher à un signe toutes les aspirations vers le
bien, c'est avoir assez de foi pour réaliser Dieu
dans ce signe. Tel est le miracle permanent
qui s'accomplit tous les jours sur les autels du
vrai Christianisme.
Le mème signe, profané et consacré au mal,
doit réaliser le mal de la mémé manière, et si
le juste après la communion peut dire : Ce
n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui
vit en moi, ou en d'autres termes : je ne suis
plus moi, je suis Jésus-Christ, j9 suis Dieu ;
guigne le communiant indigne peut dire avec
non moins de certitude et de vérité : je ne suis
plus moi, je suis Satan.
Créer Satanet se faire Satan, tel est le grand
arcane de la magie noire, et c'est ce que les
sorciers complices du seigneur de Raiz
croyaient accomplir pour lui et accompEs-
salent, en effet, jusqu'à un certain point, en
(lisant la messe du diable.
L'homme se fût-il jamais exposé à créerle
diable, s'il n'avait jamais eu la témérité de vou-
loir créer Dieu en lui donnant un corps ? .
N'avons-nous pas dit qu'un Dieu corporel pro-
94 IBAND ARCANE
jette
nécessairement une ombre et que cette
ombre c'est Sa tan ? Oui, nous l'avons dit, nous
ne dirons jamais le contraire. Mais si le corps
de Dieu est fictif, son ombre ne saurait être
réelle.
Le corps divin n'est qu'une apparence, un
voila, un nuage : Jésus l'a réalisé par la foi.
Adorons la lumière et ne donnons pas de réa-
lité à l'ombre puisque ce n'est pas elle qui est
l'objet de notre foi I La nature a voulu et elle
veut toujours qu'il y ait une religion sur la
terre. La religion germe, fleurit et se déve-
loppe dans l'homme, elle est le fruit de ses
aspirations et de ses désirs; elle doit être réglée
par la souveraine raison. Mais les aspirations
de l'homme vers l'infini, ses désirs du bien
éternel et sa raison surtout, viennent de Dieu !
CHAPITRE X •
LES ÉVOCATIONS
II if,'
9A tir GRAND Ârtnalsit
Pour voir le diable il faut se grimer en
diable, puis se regarder dans un miroir, voilà
l'arcane dans sa simplicité et tel qu'on pour-
rait le dire à un enfant. Ajoutons pour les
hommes, que dans le mystère des sorciers,
la grimace diabolique s'imprime à l'âme par
le médiateur astral, et que le miroir ce sont
les ténnres animées par le vertige.
Toute évocation sera vaine si le sorcier ne
commence par damner son âme en sacrifiant
pour jamais sa liberté et sa raison. On doit
facilement le comprendre. Pour créer en
nous la bête il faut tuer l'homme, et c'est ce
qui était représenté par le sacrifice préalable
d'un enfant et mieux encore par la profanation
(l'une hostie. L'homme qui se décide à une
évocation est un misérable que la raison gêne
et qui veut agrandir en soi-même l'appétit
bestial afin d'y créer un foyer magnétique
doué d'une influence fatale. Il veut devenir
lui-même déraison et fatalité; il veut être un
aimant déréglé et mauvais afin d'attirer à lui
les vices et l'or qui les alimente. C'est le plus
épouvantable crime que l'imagination puisse
LES EVOGATIONS 99
LES ARCANES
DE L'ANNEAU DE SALOMON
Cherchez dans le tombeau de Salomon c'est,
à-dire dans les cryptes de la philosophie
occulte non pas son anneau, mais sa science.
A l'aide de la science et d'une persévérante
volonté, vous arrivez à posséder le suprême
arcane de la sagesse qui est la domination
libre sur le mouvement équilibré . Vous pou-
vez alors vous procurer l'anneau en le fai-
sant fabriquer par un orfèvre, auquel vous
n'aurez pas besoin de recommander le secret.
Car no sachant pas lui-même ce qu'il fait, il
ne pourra le révéler aux autres.
Voici la recette de l'Anneau :
• Prenez et incorporez ensemble une petite
mes ; tenez il
y en a là dans votre jardin. Ne pourrait-on y
joindre un peu de lard fumé La soupe n'en
sera que meilleure. Les enfants accroupis
devant l'âtre regardent avec ébahissement. La
marmite bout. Allons, taillez du pain et
approchez cette terrine. Hein quel fumet !
couvrez et laissez tremper. Quant au caillou
enveloppez-le avec soin, nous vous le laissons
pour votre peine, il ne s'use jamais et peut
servir toujours. Maintenant, goutez la soupe !
Eh bien, qu'en dites vous 2— Oh, elle est
excellente ! disent les petits paysans en
battant des mains. C'était, en effet, une bonne
soupe aux choux et au lard que les enfants
n'auraient jamais su offrir à leurs hotes sans
la merveille du caillou.
LE SECRET TERRIBLE
nous savons
c'est quand ce monde ci, les. Templiers
furent brûlés.
La doctrine secrète de Jésus était celle-ci :
Dieu avait été considéré comme un maitre
et le• prince de ce monde était le mal ; moi
qui suis le fils de Dieu, je vous le dis : Ne
cherchons pas Dieu dans l'espace, il est dans.
nos consciences et dans nos coeurs. Mon père
et moi nous ne sommes qu'un et je veux que
vous et moi nous ne soyons qu'un. Aimons-
nous les uns les autres comme des frères.
N'ayons tous qu'un coeur et qu'une âme. La loi
religieuse est faite pour l'homme, et l'homme,
n'est pas fait pour la loi. Les prescriptions.
légales sont soumises au libre arbitre de
notre raison unie à la foi . Croyez au bien et
le mal ne pourra rien sur vous.
Quand vous serez assemblés en mon nom,
mon esprit sera au milieu de vous.- Personne
parmi vous ne doit se croire le maitre des
autres, mais tous doivent respecter la décision
de l'assemblée. Tout homme doit être jugé
selon ses oeuvres, et mesuré suivantla mesure
qu'il s'est faite. La conscience de chaque.
LE SECRET TERRIBLE 123
homme constitue sa foi, et la foi de l'homme
c'est la puissance de Dieu en lui.
Si vous êtes maître de vous-même la na-
ture vous obéira et vous gouvernerez les au-
tres. La foi (les justes est plus inébranlable
• que les portes de l'enfer et leur espérance ne
sera jamais confondue.
Je suis vous, et vous moi, dans l'esprit de
• charité qui est le nôtre, et qui est Dieu. Croyez
• cela et votre verbe sera créateur. Croyez cela
et vous ferez des miracles. Le monde vous
persécutera et vous ferez la conquête du
monde.
Les bons sont ceux qui pratiquent la cha-
rité et ceux qui assistent les malheureux ; les
méchants sont les coeurs sans pitié et ces der-
niers seront éternellement réprouvés par
l'humanité et parla raison.
Les vielles sociétés fondées sur le men-
songe périront; un jour le fils de l'homme
trônera sur les nuées du ciel qui sont les té'
nèbres de l'idolâtrie et il portera un jugement
définitif sur les vivants et sur les morts.
Désirez la lumière car elle se fera. Aspirez
I4 LE GRAND ARCANE
L'ENCHAINEMENT DU DIABLE
I
Tous les êtres vivant sous une forme sont
polarisés pour aspirer et respirer la vie uni-
verselle.
II
Les forces magnétiques dans les trois règnes
sont faites pour s'équilibrer par la puissance
des contraires.
III
L'électricité n'est que la chaleur spéciale
qui produit la circulation du magnétisme.
156 • LE GRAND ARCANE
1V
Les médicaments ne guérissent pas les
maladies par l'action propre de leur substance;
mais par leurs propriétés magnétiques.
V
Toute plante est sympathique à un animal
et antipathique à l'animal contraire. Tout ani-
mal est sympathique à un homme et anti-
pathique à un autre. La présence d'un animal
peut changer le caractère d'une maladie.
Plus d'une vieille fille deviendrait folle si elle
n'avait pas un chat, et sera presque raison-
nable si, avec la possession d'un chat, elle
fait concilier celle d'uh chien.
VI
Il n'est pas une plante, pas un insecte, pas
un caillou qui ne cache une vertu magnétique
et qui ne puisse servir, soit à la bonne, soit à
la mauvaise influence de la • volonté hu-
maine.
L'ENCIIAINEMENT DU DIABLE 157
VII
L'homme a la puissance naturelle de sou-
lager ses semblables, par la volonté, par la
parole, par le regard et par les signes. Pour
exercer cette puissance, il faut la connaître et
te y croire.
Ix
Toute détermination à l'action est une pro-
jection magnétique. Tout consentement à
une action est une attraction de magnétisme.
158 LE GRAND ARCANE
Tout acte
consenti est un pacte. Tout pacte est une
obligation libre d'abord, fatale ensuite.
X
Pour agir sur les autres sans se lier soi-
même, il faut être dans cette indépendance
parfaite qui appartient à Dieu seul. L'homme
peut-il être Dieu ? — Oui, par participation !
XI
Exercer une grande puissance sans être
parfaitement libre, c'est se vouer à une grande
fatalité. C'est pour cela qu'un sorcier, ne peut
guère se repentir et qu'il est nécessairement
damné.
XII
La puissance du mage et celle du sorcier
sont la même; seulement le mage se tient à
J'arbre lorsqu'il coupe la branche, et le sorcier
est suspendu à la branche même qu'il veut
couper.
XIII
Disposer des forces exceptionnelles de la
L'ENCEIUNEMENT DIT DIABLE 159
nature, c'est se mettre hors la loi. C'est par
.conséquent se soumettre au martyre si l'on
est juste, et on ne l'est pas, à un légitime
supplice.
XIV
De par le roi défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu.
contre le
mal? soyez la personnification du bien.
Voulez-vous vaincre l'anarchie ? soyez le
bras de l'autorité, Voulez-vous enchainer
Satan? soyez la puissance de Dieu.
Or la puissance de Dieu se manifeste dans
l'humanité par deux forces : la foi collective
et l'incontestable raison.
Il y a donc deux sortes d'exorcismes infail-
libles, ceux de la raison et ceux de la foi. La
loi commande aux fantômes dont elle est la
reine parce qu'elle est leur mère, et ils s'éloi-
gnent pour un temps. La raison souffle sur
eux au nom de la science et ils diparaissent
pour toujours.
CHAPITRE 1V
LE SURNATUREL ET LE DIVIN
bon curé et
écrit son Paniag•uel. Un jour que Jean de
la Fontaine avait mis ses bas à l'envers, il
demandait sérieusement si saint Augustin
avait autant d'esprit que Rabelais. Retournez
vos bas, bon La Fontaine, et gardez- vous à
l'avenir de faire de semblables questions;
peut-être M. de Fontenelle est-il assez fin
pour vous comprendre, mais il n'est
certainement pas assez hardi pour vous ré-
pondre.
Tout ce qu'on prend pour Dieu n'est pas
Dieu et tout ce qu'on prend pour diable n'est
pas le diable.
Ce qui est divin échappe à l'appréciation de
l'homme et surtout de l'homme vulgaire. Le
beau est toujours simple, le vrai semble ordi-
naire et le juste passe inaperçu parce qu'il ne
choque personne. L'ordre n'est jamais remar-
qué; c'est le désordre qui attire l'attention
parce qu'il est encombrant et criard. Les
enfants sont pour la plupart insensibles à
l'harmonie, ils préfèrent le tumulte et le bruit;
c'est ainsi que, dans la vie, bien des gens
cherchent le drame et le roman. Ils
LE SURNATUREL ET LE DIVIN 169 •
dédaignent le beau soleil et rêvent les splen-
deurs de la foudre, ils ne s'imaginent la
vertu qu'avec la ciguë et Caton eût vécu libre;
mais s'ils eussent été de vrais sages le monde
les eût-il connus?
Saint Martin ne le croyait pas, lui qui don-
nait le nom de philosophes inconnus aux ini-
tiés à la vrai sagesse. Se taire est une des
. grandes lois de l'occultisme. Or se taire c'est
se cacher. Dieu c'est la toute-puissance qui se
cache et Satan, c'est l'impuissance vaniteuse
qui cherche toujours à se montrer.
CHAPITRE V
science soit
rendue au clergé, que l'étude approfondie
de la nature redresse et dirige l'exégèse. Que
les prêtres soient des hommes mûrs et
éprouvés par les luttes de la vie. Que les
évêques soient supérieurs aux prêtres On
sagesse et en vertu. Que le pape soit le plus
savant et le plus sage des évêques, quo les
prêtres soient élus par le poulie, les évêques
par les prêtres et le pape par les évêques.
Qu'il y ait pour le sacerdoce une initiation
progressive. Que les sciences occultes soient
étudiées par les aspirants au saint ministère,
et surtout cette grande Kabbale judaïque qui
est la clef de tous les symboles. Alors seule-
ment la vraie religion universelle sera révélée,
et la catholicité de tous les âges et de tous
les peuples remplacera ce catholicisme ab-
surde et haineux, ennemi du progrès et de la
liberté, qui lutte encore dans le monde contre
la vérité et la justice, mais dont le règne est
passé pour toujours.
Dans l'Église actuelle comme dans le
judaïsme du temps de Jésus-Christ, l'ivraie
se trouve mêlée avec le bon grain, et de peur
LES BITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS 179
d'arracher le froment on n'ose pas toucher à
l'ivraie. L'Église expie ses propres anathèmes,
elle est maudite parce qu'elle a maudit. Le
glaïve qu'elle a tiré s'est retourné contre
elle, comme le maître l'avait prédit.
Les malédictions appartiennent à l'enfer
et les anathèmes sont les actes de la papauté
de Satan. Il faut les renvoyer au grimoire
• d'Honorius. La véritable Église de Dieu prie
• pour les pécheurs et n'a garde de lis maudire.
On blâme les pères qui maudissent leurs
enfants, mais jamais on n'a pu admettre
qu'une mère ait maudit les siens. Les rites de
l'excommunication usités dans les temps
barbares étaient ceux des envoûtements, de .
DE LA DIVINATION
LE POINT ÉQUILIBRANT
leurs
oeuvres, ne sauraient donc être infaillibles
dans leurs paroles.
Le même Jésus-Christ, d'ailleurs, ne gué-
rissait-il pas les malades le jour du Sabbat au.
de mourir.
Le fakir chrétien, non seulement ne descend
pas mais il se cache le visage pour ne pas la
voir. La pauvre femme s'éteint dans les
larmes en appelant son fils et le saint la
laisse mourir. Si l'on nous racontait une mi_
pareille chose de Cartouche ou de Schin-
derhannes, nous trouverions qu'on surcharge
à plaisir le tableau de leurs forfaits. Il est
vrai que Cartouche et Schinderhannes n'étaient
pas des saints : ce n'étaient que de simples
brigands.
0 bêtise, bêtise, bêtise humaine !
Les désordres dans l'ordre moral produi-
sent les désordres dans l'ordre physique, et
c'est ce que le vulgaire appelle des miracles.
11 faut être Balaam pour entendre parler une
ânesse : l'imagination des sots est la nourrice
• des prodiges. Quand un homme a bu avec
excès il croit que les autres chancellent et que
la nature se dérange pour le laisser passer.
Vous donc qui visez à l'extraordinaire, vous
qui voulez faire des prodiges, soyéz des gens
extravagants. La sagesse n'est jamais remar-
quée parce qu'elle est toujours dans l'ordre,
LES POINTS EXTRÊMES 221
dans le calme, dans l'harmonie et dans la paix.
Tous les vices ont leurs immortels qui, à
force d'excès, ont illustré leur infàmie. L'or-
gueil, c'est Alexandre si ce n'est Diogène ou
Erostrate ; la colère, c'est Achille ; l'envie,
c'est Caïn ou Thersite ; la luxure, c'est Messa-
line; la gourmandise, Vittellius ; la paresse,
Sardanapale ; l'avarice, le roi Midas. Opposez
• à ces héros ridicules d'autres héros qui, par
• des moyens contraires, arrivent exactement
aux mêmes fins : saint François, le Diogène
chrétien qui, à force d'humilité, se fait passer
pour l'égal de Jésus-Christ ; saint Grégoire VII,
dont les emportements bouleversent l'Europe
et compromettent la papauté ; saint Bernard,.
le livide persécuteur d'Abailard dont la gloire
éclypsait la sienne ; saint Antoine, dont l'ima-
gination impure 'surpassait les orgies de Ti-
bère ou de Trimalcyon ; les affamés du désert,
toujours livrés aux rêves faméliques de Tan-
tale, et ces pauvres moines, toujours si avides
d'argent. Les extrêmes se touchent, comme
nous l'avons dit, et ce qui n'est pas la sagesse
ne saurait être la vertu. Les points extrêmes
222 LE GRAND ARCANE
qu'un qui
serait bien dupé sil n'existait pas de
récompenses éternelles ! » Eh qeoi ? Eût-il
donc cessé de faire le bien s'il n'avait plus
espéré de récompense ? La nature se plai-
gnait-elle au fond de sa conscience? Se sen-
tait-il injuste envers elle ?
La vie d'un vrai sage ne porte-t-elle pas sa.
récompense on elle-même ? L'éternité bien-
heureuse ne commence-t-elle pas pour lui sur
la terre ? la véritable sagesse est-elle jamais
un rôle de dupe ? Brave homme, si vous avez
dit cela c'est que vous sentiez de l'exagération
dans votre zèle. C'est que votre coeur avait à
regretter d'honnêtes réjouissances perdues.
C'est que la mère nature se plaignait de vous
comme d'un fils ingrat. Heureux les coeurs à
qui la nature ne reproche rien I Heureux les
yeux qui, partout, cherchent la ;beauté ! Heu-
reuses les mains qui savent répandre toujours
et les bienfaits et les caresses ! Heureux les
hommes qui, ayant à choisir entre deux vins,
préfèrent le meilleur et sont souvent plus heu-
reux de l'offrir à d'autres que de le boire !
Heureux les visages gilteieux &int les lèvres
LES POINTS EXTRÊMES 225
sont pleines de sourires et de baisers ! Ceux-là
ne seront jamais dupes, car, après l'espérance
d'aimer, ce qu'il y a de meilleur au monde
c'est le souvenir d'avoir aimé; et ces choses,
seules, méritent d'être immortelles, dont le
souvenir peut être toujours un bonheur !
f5
CHAPITRE IX
LE MOUVEMENT PERPÉTUEL
LE MAGNÉTISME DU MAL
savons trop
que Dieu ne sauve pas la mouche innocente,
dont un cruel et stupide enfant arrache les
pattes et les ailes, et que la providence
n'intervient pas en faveur de la fourmilière
dont un passant détruit et saccage les édifices
à coups de pied.
Parce que les organes d'un ciron échap-
pent à l'analyse de l'homme, l'homme se croit
le droit de supposer que, devant la nature
éternelle, son existence, à lui, est beaucoup
plus précieuse que celle d'un ciron ! Hélas !
le Camoëns avait probablement plus de génie
que l'eggrégore Adamastor ; mais, le géant
Adamastor, couronné de nuages, ayant les
vagues pour ceinture, et les ouragans pour
manteau, pouvait-il deviner les poésies du
Camoëns ?
L'huître, nous paraît bonne à manger, nous
supposons qu'elle n'a pas conscience d'elle-
même, que, par conséquent elle ne souffre
pas, et, sans le moindre regret, nous la dévo-
rons toute vivante. Nous jetons, tout vivants,
l'écrevisse, le homard et la langouste dans
l'en bouillante parce que, étant cuits de cette
LE MAGNÊTISME DU !t'AI. 257
façon, ils ont une chair plus ferme et un goût
plus savoureux.
Par quelle loi terrible Dieu abandonne-t-il
ainsi le faible au fort, et le petit au grand,
sans que l'ogre ait, lui-même, l'idée des tor-
tures qu'il fait subir à l'être chétif qu'il dé-
vore ?
Et, qui nous assure que quelqu'un prendra
• • notre défense contre les êtres plus forts et
aussi avides que nous? Les astrès agissent et .
derme et
s'occuperaient uniquement de leurs haines et
de leurs amours. .Notre soleil, dont les taches
sont un commencement de refroidisssement,
est entraîné lentement, mais fa- taloment,
vers la constellation d'Hercule. Un jour il
manquera de lumière et de chaleur car los
astres vieillissent et doivent mourir connue
nous. Il n'aura plus alors la force don epousser
les planètes qui iront, avec impétuosité, se
briser sur lui et ce sera la fin de notre univers.
Mais un nouvel univers se formera avec les
débris de celui-ci. Une nouvelle création sor-
tira du chaos et nous renaîtrons, dans une
espèce nouvelle, capables de Bitter avec plus
d'avantage contre la stupide grandeur des
Eggrégores, et il en sera ainsi jusqu'à ce que
le grand Adam soit reconstitué. Cet esprit des
esprits, cette forme des formes, ce géant col-
lectif qui résument la création tout entière.
Cet Adam qui, suivant les kabbalistes, cache
le soleil derrière son talon, cache des étoiles
dans les touffes de sa larbe,- et, lorqu'il veut
marcher, touche, d'IM pied, l'Orient, et de
-
l'autre l'Occident.
LE MAGNETISME DU MAL 261
Les
Eggrél.),Pores sont les Enaciin do la Bible ou
plutôt, suivant le livre d'Hénoch, ils en sont
les pères. Ce sont les Titans (le la Fable et on
les retrouve dans toutes les traditions
•
religieuses.
Co sont eux qui on se battant lancent les
aérolithes dans l'espace, voyagent à cheval
sur les comètes et fout pleuvoir des étoiles
• filantes et dos bolides enflammés. L'air devient
• malsain, les eaux se corrompeùt, la terré
tremble et les volcans éclatent avec fureur •
lorsqu'ils sont irrités ou malades. Parfois
pendant les nuits d'été, les habitants attardés
des vallées du midi voient avec épouvante la
forme colossale d'un homme immobile qui
est assis sur le plateau des montagnes et qui
baigne ses pieds dans quelque lac solitaire ;
ils passent en faisant le signe de la croix et
s'imaginent avoir vu Satan lorsqu'ils ont
rencontré seulement l'ombre pensive d'un
éggrégore.
Ces éggrégores s'il fallait admettre leur
existence seraient.les`-agents plastiques de
Dieu, les rouages vivants de la machine créa-
282 LE GRAND ARCANE
L'AMOUR FATAL
d'amour,
c'est quelque chose de semblable au rut des
animaux. Les libertins et les libertines sont
des brutes.
L'amour donne à l'âme humaine l'intuition
de l'absolu parce que lui-même il est absolu
ou il n'est pas. L'amour qui se réveille dans
une grande âme, c'est l'éternité qui se révèle.
Dans la femme qu'il aime l'homme voit et
adore la divinité maternelle et il donne à
jamais son coeur à la vierge qu'il aspire à
décorer de la dignité de mère.
La femme dans l'homme qu'elle aime adore
la divinité féconde qui doit créer en elle
l'objet de tous ses voeux, le but de sa vie, la
couronne de toutes ses ambitions : l'enfant !
Ces deux âmes alors n'en font plus qu'une
(lui doit se compléter par une troisième. C'est
l'homme unique en trois amours comme Dieu
est en trois personnes.
Notre intelligence est faite pour la vérité et
notre coeur pour l'amour. C'est pour cela que
saint Augustin dit avec raison en s'adressant
à Dieu : Tu nous as fait pour toi, Seigneur et
notre coeur est tourmenté jusqu'à ce qu'il ait
L'AMOUR FATAL 279
trouvé son repos en toi. Or Dieu qui est infini
ne peut être aimé de l'homme que par inter-
médiaire. Il se fait aimer par l'homme dans
la femme et dans l'homme par la femme.
C'est pourquoi l'honneur et le bonheur d'être
aimés nous imposent une grandeur et une
bonté divine.
Aimer c'est percevoir l'infini dans le fini.
C'est avoir trouvé Dieu dans la créature. Etre
aimé c'est représenter Dieu, c'est être son
plénipotentiaire près d'une âme pour lui
donner le paradis sur la terre.
Les âmes vivent de vérité et d'amour, sans
amour et sans vérité elles souffrent et dépé-
rissent comme des corps privés de lumière et
. de. chaleur.
Qu'est-ce que la vérité ? demandait dédai-
gneusement à Jésus-Christ le représentant de
Tibère et Tibère lui-même eut pu demander
avec un dédain plus insolent et une ironie '
s plus amère : Qu'est-ce que l'amour ?
La fureur de ne pouvoir rien comprendre
et rien croire, la rage de ne pouvoir aimer,
voilà le véritable enfer et combien d'hommes,
280 Le GRAND ARCANE
de l'amour
qu'il viendra avec l'intime et la famille, mais
l'amour n'obéit pas toujours aux
convenances sociales et celui qui se marie sans
mour épouse souvent une probabilité
d'adultère.
La femme qui aime et qui épouse l'homme
qu'elle n'aime pas, fait un acte coutre nature.
Julia de Umar est inexcusable, et son mari
un personnage impossible, même dans le ro-
man ; Saint-Preux devrait mépriser ce couple
impossible. Une fille qui s'est donnée et qui
se reprend, déshonore son premier amour ;
on convient tacitement qu'elle a donné des
arrhes à l'adultère. Il est un être devant qui,
une femme digne de ce nom, ne doit jamais
se résigner à rougir, c'est l'homme qu'elle a
trouvé digne de son premier amour.
*
LA FASCINATION
ils jurent
contre l'averse de mitraille comme s'il
s'agissait d'un simple mauvais temps et
tombent tout d'une pièce en jetant par la
bouche de Cambronne un défi grivois à la
mort.
Il existe un magnétisme animal mais au
dessus de celui-là qui est purement physique
il faut compter le magnétisme humain qui est
le vrai magnétisme moral. Les âmes sont
polarisées comme les corps et le magnétisme
spirituel ou humain est ce que nous appelons
la force de fascination.
Le rayonnement d'une grande pensée ou
d'une puissante imagination chez l'homme
détermine un tourbillon attractif qui donne
bientôt des planètes au soleil intellectuel,
aux planètes, dés satellites. Un grand
homme dans le del de la pensée, c'est le foyer
d'un univers.
Les êtres incomplets qui n'ont pas le
bonheur de subir une fascination intelligente
tombent eux-mêmes sous l'empire des fasci-
nations fatales ; ainsi se produisent les
passions vertigineuses et les hallucinations de
LA FASCINATION 321
l'amour-propre chez les imbéciles et chez les
fous.
Il y a des fascinations lumineuses et des
fascinations noires. Les Thugs de l'Inde sont
amoureux de la mort. Marat et Laconaire
ont eu des séides. Nous avons déjà dit quo le
diable est la caricature de Dieu.
Définissons-donc maintenant la fascination.
C'est le magnétisme de l'imagination et de la
pensée. C'est la domination qu'exerce une
volonté forte sur une volonté faible en
produisant l'exaltation des èonceptions ima-
ginaires et influençant le jugement chez des
êtres qui ne sont pas encore parvenus à
l'équilibre de la raison.
L'homme équilibré est celui qui peut dire :
je sais ce qui est, je crois à ce qui doit être
et je ne nie rien de ce qui peut être. Le
fasciné dira : Je crois ce que les personnes en
qui je crois m'ont dit de croire ; en d'autres
termes je crois parce qu'il me plait de croire.
Je crois parce que j'aime certaines personnes
et certaines choses (ici peuvent se placer
certaines phrases toujours touchantes et qui
2!
322 LE GRAND ARCANE
ne prouvent
jamais rien. La foi des aïeux ! La croix de ma
mère!) En d'autres termes le premier
pourra dire je crois par raison et le second je
crois par fascination.
Croire sur la foi des autres, cela peut être
permis et cela doit être même recommandé
à des enfants. Si vous me dites que Bossuet,
Pascal, Fénélon étaient de grands hommes et
qu'ils ont cru à d'évidentes absurdités, je vous
répondrai que j'ai de la peine à l'admettre,
mais enfin cela fut-il vrai, cela prouverait
seulement qu'en cette circonstance ces grands
hommes ont agi comme des enfants.
Pascal dit-on croyait voir toujours un gouf-
fre ouvert auprès de lui. Il me semble que
sans manquer de respect au génie de Pascal
on peut ne pas croire à son gouffre, l'homme
fasciné perd son libre arbitre et tombe entiè-
rement sous la domination du fascinateur. Sa
raison qu'il peut garder entière pour certai-
nes choses indifférentes se change absolument
en folie dès que vous tentez de l'éclairer sur
les choses qu'on lui suggère, il ne voit plus,
il n'entend plus que par les yeux et les oreilles
LA FASCINATION 323
de ceux qui le dominent ; faites lui toucher
la vérité, il vous soutiendra que ce qu'il tou-
che n'existe pas. Il croit au contraire voir et
toucher l'impossible qu'on lui affirme. Saint
Ignace a composé des exercices spirituels
pour cultiver ce genre de fascination chez ses
disciples. Il veut que tous les jours dans le
silence et dans l'obscurité le novice de la
Compagnie de Jésus exerce son imagination
à créer la figure sensible des mystères qu'il
cherche . à voir et qu'il voit en effet dans un
rêve volontaire et éveillé que l'affaiblissement
de son cerveau peut rendre d'une réalité
épouvantable tous les cauchemars de St An-
toine et toutes les horreurs de l'enfer. Dans
de semblables exercices le coeur s'endurcit et
s'atrophie de terreur, la raison vacille et
s'éteint. Ignace a détruit l'homme mais il a
fait un jésuite et le monde entier va être moins
fort que ce redoutable androïde.
Rien n'est implacable comme une machine.
.
bornée pour
tout ce qui e rattache à la science. Le zouave
Jacob est un fascinateur naïf qui croit à la
coopération des esprits. L'habile prestidigitateur
Robert Houdin joint la fascination à la
prestesse. Un grand seigneur que nous
connaissons, lui ayant un jour demandé des
leçons de magie blanche ; Robert Houdin lui
enseigna certaines choses, mais il en réserva
d'autres qu'il déclara ne pouvoir enseigner.
Ce sont des choses inexplicables pour moi-
même, dit-il, et qui tiennent à ma nature per-
sonnelle, si je vous les disais vous n'en sauriez
guère davantage et je ne pourrais jamâis vous
mettre en état de les exercer.
C'est pour me servir de l'expression vul-
gaire l'art ou la faculté de jeter de la poudre
aux yeux. On voit que toutes les magies ont
leurs arcanes indicibles même la magie blan-
che de Robert Houdin.
Nous avons dit que c'est un acte de haute
philantropie de fasciner les imbéciles pour
leur faire accepter la vérité comme si c'était
un mensonge et la justice comme si c'était la
partialité et le privilège de déplacer les égoïs-
LA FASCINATION 339
mes et les convoitises en faisant espérer à
ceux qui se sacrifient ici bas un héritage im-
mense et exclusif dans le ciel.
Mais nous devons dire aussi que tous ceux
qui se croient dignes de porter le nom
d'hommes doivent tout en respectant l'erreur
des enfants et des faibles employer tous les
efforts de leur raison et de leur intelligence
pour échapper eux-mêmes à la fascination.
Il est cruel d'être désillusionné quand rien
ne remplace l'illusion et quand les mirages
disparus et les feux follets éteints laissent
l'âme dans les ténèbres.
Il vaut mieux croire des absurdités que de
ne croire à rien, il vaut mieux encore être
une dupe qu'un cadavre. Ma% la sagesse con-
siste précisément en une science assez solide
et en une foi assez raisonnable pour exclure
le doute. Le doute en effet est le tâtonnement
de l'ignorance. Le sage sait certaines choses ;
ce qu'il sait le conduit à supposer l'existence
de ce qu'il ne sait pas. Cette supposition, c'est
la foi qui n'a pas moins de certitude que la
science quand elle a pour objet des hypothèses
310 LE GRAND ARCANE
Il est des
oiseaux dont la nature est telle qu'ils ne
peuvent supporter l'hiver : il leur faut un
printemps éternel et pour eux seuls, le
printemps ne cesse jamais sur la terre. Ce
sont les hirondelles et vous savez comment
elles font pour que ce prodige s'accomplisse
naturellement en leur faveur. Quand la belle
saison finit elles s'envolent vers la belle saison
qui commence et quand le printemps n'est
plus où elles sont, elles s'en vont où est le
printemps.
CHAPITRE XIV
L'INTELLIGENCE NOIRE
du trône et
proclamera ses droits augmentés de
prétentions nouvelles en face d'une spoliation
imminente. Les évêques seront grands alors
comme ces marins du Vengeur qui, sur un
vaisseau prêt à sombrer s'irritaient au lieu de
se rendre et tiraient leur dernière bordée on
clouant leur pavillon au dernier tronçon de
leur grand mât.
lls savent bien d'ailleurs qu'une transaction
les perdrait à jamais et que la flamme des
autels s'éteindrait le jour même où les autels
cesseraient d'être dans l'ombre. Quand le
voile du temple se déchire, les dieux s'en vont
et ils reviennent quand de nouvelles brode-
ries dogmatiques ont épaissi un nouveau
voile.
La nuit recule sans cesse devant le jour,
mais c'est pour envahir de l'autre côté de
l'hémisphère les régions que le soleil aban-
donne. Il faut des ténèbres, il faut des mys,
tères impénétrables à cette intelligence noire
qui croit à l'absurde et contrebalance le
despotisme de la raison bornée par les audaces
incommensurables de la foi. Le jour circons-
23
351 L GRAND ARCANE
crit les horizons et fait voir les limites du
monde, c'est la nuit surtout, la nuit sans bor-
nes avec son ' immense brouillard d'étoiles
• qui nous fait concevoir le sentiment de l'in-
fini.
Etudiez l'enfant, c'est l'homme sortant des
mains de la nature pour parler le langage de
Rousseau et voyez quelles sont les dispositions
de son esprit. Les réalités l'ennuient, les fic-
tions l'exaltent, il comprend tout, excepté les
mathématiques, il croit plutôt aux fables qu'à
l'histoire. C'est qu'il y a de l'infini , dans le
premier sourire de la vie, c'est que l'avenir
nous apparaît si merveilleux au début de
l'existence qu'on rêve naturellement de géants
et de fées au milieu de tant de miracles. C'est
que le sens poétique, le plus divin des sens
de l'homme, fui présente tout d'abord le
monde comme un nuage du ciel. Ce sens est
une douce folie souvent plus sage que la rai-
son, si je puis parler de la sorte parce que
notre raison à nous a toujours pour étroites
limites les barrières que la science essaie len-
tement de reculer tandis que la poésie saute
ensTELLumucE NOIRE 355
les yeux fermés dans l'infini et y jette à pro-
fusion toutes les étoiles de nos rêves.
L'oeuvre de l'Eglise est de contenir dans de
justes limites les croyances de la folie enfan-
tine. Les fous sont des croyants indisciplinés
et les croyants fidèles sont des fous qui
reconnaissent l'autorité de la sagesse repré-
sentée par la hiérarchie.
Que la hiérarchie devienne réelle, que les
conducteurs des aveugles ne soient plus des
aveugles eux-mêmes et l'Eglise sauvera la
société en reprenant elle-même pour ne plus
les perdre jamais ses grandes vertus et sa
puissance.
La science elle-même a besoin de la nuit
pour observer la multitude des astres. Le
soleil nous cache les soleils, la nuit nous les
montre et ils semblent fleurir dans le ciel
obscur comme les inspirations surhumaines
apparaissent dans les ténèbres de la foi. Les
ailes des anges se montrent blanches pendant
la nuit ; pendant le jour elles sont noires.
Le dogme n'est pas déraisonnable, il est
extra-raisonnable ou supra-raisonnable et a
LE GRAND ARCANE
LE GRAND ARCANE
L'AGONIE DE SALOMON
LE MAGNÉTISME DU BIEN
.`,,/,1/14;S.
FIN ----
Le livre des Sages
- Eliphas Levi -
(Première Partie)
Préface
Ce livre contient les principes et les éléments de cette troisième révélation que le
comte Joseph de Maistre disait être nécessaire au monde. Cette troisième
révélation ne peut être que l'explication et la synthèse des deux autres. Elle doit
concilier la Science et le Dogme; l'autorité et la liberté, la raison et la foi. Nous
avons préparé le grain et d'autres feront les semailles. Celui qui a écrit ces
pages est loin de se croire un prophète. Il voit la vérité et il l'écrit. Son autorité
c'est l'évidence et sa force c'est la raison. Il parle pour les sages et il s'attend à
la dérision et au dédain des fous. Il écrit pour les forts et ne sera pas lu par les
faibles à qui l'on fera peur de ses doctrines.
Ce livres est en deux parties. La première contient des dialogues résumant toute
la polémique religieuse et philosophique du siècle présent. La seconde contient
des définitions et des aphorismes. Il n'y a ici, ni fleurs de rhétorique, ni phrases.
Deux choses éternelles ont seules préoccupé l'auteur : la justice et la vérité.
Le Clérical : Vos prétendues sciences viennent de l'enfer et vos raisons sont des
blasphèmes.
Eliphas Levi : Je ne sais si votre ignorance vient du ciel; mais vos raisons à vous
ressemblent fort à des injures.
Le Clérical : J'appelle les choses par leur nom, tant pis pour vous si ces noms
doivent vous paraître injurieux. Comment, vous qui êtes sorti de l'Eglise, vous
qui d'aidez l'impiété à saper dans sa base son édifice éternel, vous avez le fol
orgueil de croire qu'elle chancelle sous les coups de vos semblables, et pour
comble d'outrages, vous étendez pour la soutenir votre main sacrilège. Ne
craignez-vous pas le sort d'Oza, que Dieu frappa de mort parce que, dans une
intention meilleure que la vôtre et avec des mains peut-être plus pures, il voulut
soutenir l'arche sainte ?
Eliphas Levi : Je vous arrête ici, Monsieur, vous citez la Bible sans la
comprendre, j'aimerais mieux à votre place la comprendre sans la citer. La mort
d'Oza, dont vous me parlez ici, ressemble un peu à la fin tragique des quarante
deux enfants dévorés par des ours pour avoir ri de ce que le prophète Elisée
était chauve. Heureusement dit Voltaire à ce propos, il n'y a pas d'ours en
Palestine.
Le Clérical : Alors la bible est un tissu de contes ridicules, et vous vous en
moquez comme Voltaire.
Eliphas Levi : La Bible est un livre Hiératique, c'est-à-dire sacré; elle est écrite en
style sacerdotal, avec un mélange continuel d'histoires et d'allégories.
Eliphas Levi : Je suis de l'Église et je n'ai jamais rien dit, ni rien écrit de contraire
à son enseignement.
Eliphas Levi : Que veut dire le mot catholique ? Ne veut-il pas dire universel ?
Je crois au dogme universel et je me garde des aberrations de toutes les sectes
particulières. Je les supporte pourtant, dans l'espérance que le progrès
s'accomplira et que tous les hommes se réuniront dans la foi aux vérités
fondamentales, ce qui s'est déjà accompli dans cette société déjà répandue par
tout le monde, qu'on nomme la Franc-Maçonnerie.
Eliphas Levi : Oui, je sais cela, et depuis ce temps j'ai cessé d'être franc-maçon
parce que les francs-maçons excommuniés par le Pape ne croyaient plus devoir
tolérer le catholicisme, je me suis donc séparé d'eux pour garder ma liberté de
conscience et pour ne pas m'associer à leur représailles peut-être excusables,
sinon légitimes mais certainement inconséquentes, car l'essence de la
maçonnerie, qui est la tolérance de tous les cultes.
Le Clérical : C'est pour cela que vous avez le diable au corps, car certainement
de pareilles doctrines font de vous un excommunié.
Eliphas Levi : Si j'avais le diable, ce serait vous qui me l'auriez donné et certes je
ne serais pas assez méchant pour vous le rendre; je le traiterais comme les
marchands traitent les pièces fausses qu'ils clouent sur leur comptoir pour les
retirer de la circulation.
Eliphas Levi : (riant) Vous en savez long sur mon compte ! Et vous en dites des
choses dont je suis loin de me douter, je ne suis pas si savant et je ne vous dirai
pas ce que vous êtes : je vous ferai observer seulement que ce que vous dites
n'est ni charitable ni poli.
Eliphas Levi : C'est M. de Mirville qui vous a dit cela. Mais je répondrai lui
comme à vous par ces deux vers de notre bon et grand La Fontaine : « Rien
n'est plus dangereux qu'un imprudent ami, mieux vaudrait un sage ennemi ».
Le Philosophe : Cela ne prouve rien en faveur de votre rêve qui est l'accord
impossible entre la religion et la science, entre l'autorité dogmatique et la liberté
d'examen.
Le Philosophe : Parce que la religion c'est le rêve qui veut faire la loi à la raison;
c'est l'absurde qui s'impose avec l'obstination de la folie; c'est l'orgueil de
l'ignorance qui, pour se croire surnaturelle, invente des vertus contre nature;
c'est Alexandre VI mis à la place de Dieu; c'est la clef du ciel remise dans les
mains sanglantes des inquisiteurs.
Eliphas Levi : Non, la religion n'est rien de tout cela, la religion c'est la foi,
l'espérance et la charité.
Eliphas Levi : La foi c'est l'affirmation de ce qui doit être et l'aspiration confiante à
ce qu'il est bon d'espérer.
Le Philosophe : Sortons des nuages s'il vous plait. Vous vous dites catholique or
savez-vous ce que c'est qu'un catholique ?
Eliphas Levi : Catholique veut dire universel, un catholique c'est celui qui se
rattache aux croyances universelles, c'est-à-dire à la religion unique dont le fond
se trouve dans les dogmes de tous les peuples et de tous les temps.
Le Philosophe : Non pas, puisque nous parlons religion, vous savez bien que
suivant un père de l'Église fort autorisé, l'objet de la croyance c'est l'absurde.
Eliphas Levi : L'infini n'est-il pas absurde ? Et pourtant la science est forcée d'y
croire. Le rapprochement éternel de deux lignes qui ne se toucheront jamais
n'est-il pas absurde, et cependant la géométrie est forcée de l'admettre. Il y a
des absurdités de deux sortes : les unes ne sont qu'apparentes, ce sont celles
qui viennent du défaut de notre intelligence. Les autres sont évidentes : ce sont
les affirmations contraires à des vérités démontrées; or la religion ne nous
engage pas à accepter celles-là.
Eliphas Levi : Laissons de côté mes intérêts personnels; je n'en ai et je n'en veux
avoir d'autres que ceux de la vérité.
Tous les sectaires affirment que Dieu leur a parlé, mais vous savez bien que
Dieu ne parle jamais que par la bouche de ses prêtres qui se maudissent les uns
les autres et ne s'accorderont jamais.
Le Philosophe : Ne le dîtes pas, on s'en aperçoit assez; c'est chez eux que vous
avez appris les conciliations Jésuitiques et les assertions doublées d'arrières
pensées.
Le Philosophe : J'entends, et vous croyez qu'il faut cacher votre pensée, mais il y
aurait un moyen bien simple de la cacher : ce serait de ne pas écrire.
Eliphas Levi : Vos croyances, Monsieur, sont les miennes; il ne s'agit que de
nous entendre; et d'abord qu'est-ce que la nature selon vous ?
Eliphas Levi : Cela est vrai, il appartient à la foi, mais la science ne peut s'en
passer.
Le Philosophe : C'est ce que je nie.
Eliphas Levi : J'affirme que la foi existe et qu'elle est dans la nature de l'homme.
J'affirme que la foi est raisonnable puisque la science est bornée. J'affirme enfin,
aussi, que la foi est nécessaire parce que, comme vous, je crois au progrès.
Sans la foi, la science ne conduit qu'au doute absolu et au dégoût de toutes
choses. Sans la foi, la vie n'est qu'un rêve qui va finir sans réveil dans le néant.
Sans la foi, les affections sont vaines, l'honneur n'est qu'un leurre, la vertu un
mensonge et la morale une déception. Sans la foi, la science n'est qu'un
immense ennui parce qu'elle est sans espérance. Sans la foi, la liberté n'est que
le despotisme des richesses, l'égalité est impossible et la fraternité n'est qu'un
mot.
Le Philosophe : Mais si ce qui est évident pour vous ne l'est pas pour moi ?
Eliphas Levi : Je vous tendrai la main et nous nous séparerons bons amis.
Eliphas Levi : Oui, à Dieu. Puisque vous prétendez n'y pas croire tout en
l'invoquant sans y penser.
Le Panthéiste : Il est impossible de concevoir un Dieu qui soit autre chose que
l'universalité des êtres.
Eliphas Levi : Fort bien. Vous êtes un disciple de Spinoza et je vais vous dire
tout d'abord qu'il n'a pas existé et qu'il n'existe pas d'autre Spinoza que la
collection des œuvres de ce philosophe.
Le Panthéiste : Ceci est une mauvaise plaisanterie. Nous savons bien que ce
sont des hommes qui font les livres et que les in-folio ne gravitent d'eux-mêmes
dans l'espace, mais il en est autrement pour les mondes, la loi fatale du
mouvement équilibre les produit et peut les détruire dans les révolutions
nécessaires de l'univers éternel.
Eliphas Levi : Ainsi notre univers est fatal, il est par conséquent aveugle et sourd
comme la fatalité. Comment donc peut-il nous donner l'intelligence qu'il n'a pas
?
Le Panthéiste : L'univers est intelligent et c'est pour cela que je l'appelle Dieu.
Eliphas Levi : Croyez-vous que dans l'homme ce soit le corps qui produise le
phénomène de la pensée ?
Le Panthéiste : Oh, doucement, vous voulez dire que notre âme joue du cerveau,
comme d'un instrument, mais cet instrument tout le monde en joue, et les
anatomistes seuls en connaissent le mécanisme. L'enfant qui commence à
penser ne sait pas même qu'il a un cerveau et ne songe pas à en utiliser les
fibres et les replis. Le cerveau fonctionne donc de lui-même sous la double
impulsion de la nature et de la vie.
Eliphas Levi : Le bons sens le plus vulgaire nous assure pourtant que notre
cerveau est quelque chose, mais que ce n'est pas quelqu'un. C'est quelque
chose, dont quelqu'un a déterminé la forme et l'usage, et s'il existe des
instruments qui paraissent jouer tout seuls, ces instruments n'en révèlent pas
moins l'existence d'un mécanicien habile et d'une musique que l'instrument
n'invente pas.
Vous considérez Dieu comme l'âme de l'univers, âme distincte du corps, dites-
vous, mais pourtant inséparable ajouterai-je, puisque Dieu ne peut pas mourir.
Sans le phénomène de la mort qui laisse le corps inerte et glacé, l'homme serait
indivisible et l'on ne distinguerait pas son âme de son corps. Ce n'est pas, en
effet, l'âme seule qui vit, c'est l'homme tout entier et la pensée est la lumière de
la vie.
Eliphas Levi : Je vous ai laissé parler et je pense comme vous sur plusieurs
points, mais je n'admettrai jamais que Dieu soit l'univers, parce que cela me
rejetterait dans l'idolâtrie des siècles ignorants où l'on adorait le soleil et la lune;
tout est de Dieu, certainement, mais tout n'est pas Dieu et la liberté humaine ne
doit pas se laisser absorber par la grande fatalité divine que vous semblez
admettre.
Si tout était Dieu, l'homme ne serait responsable de rien et la morale serait une
chimère. Quelle idée alors nous donneraient de la sagesse divine, les erreurs et
les sottises humaines ! Dieu serait ridicule quand nous serions absurdes. Dieu
lui-même serait l'auteur du mal et se nierait ainsi lui-même ou, plutôt, le mot dieu
n'aurait plus de sens raisonnable; laissons au Dieu Pan des anciens ses flûtes et
ses cornes. Quand Jésus mourant sur la croix eut proclamé l'inviolabilité de la
conscience humaine et la liberté de la foi confirmée par le droit au martyr, un
pilote mystérieux nommé Thamus, cria aux îles de la mer que le grand Pan était
mort et l'on entendit des voix confuses qui pleuraient le géant de la mythologie
antique. Dieu, dans l'humanité, venait de triompher de la fatalité et de la mort et
l'humanité devenait divine, non plus par usurpation sacrilège ou par confusion
des natures, mais par une sublime alliance.
Le Christianisme a été une maladie de l'esprit humain et peu s'en est fallu que
notre pauvre terre ne devint un habitacle de fous; la démence de la foi aveugle
mise au-dessus de la science et de la raison, la douleur préférée au plaisir, la
misère à la richesse, le célibat contre nature tarissant les sources de la
fécondité, le fanatisme féroce s'imposant par le fer et par le feu, l'autocratie des
prêtres, l'abrutissement des hommes, la misère des peuples, voilà le
Christianisme. Il est jugé par ses propres œuvres.
Pour ce qui est de Néron et des autres persécuteurs, ils sont universellement
condamnés par la conscience humaine, la vérité ne doit pas s'imposer par la
crainte, elle doit se prouver par la raison, même les païens, les juifs et les
chrétiens ont tous été également fanatiques et, de victimes qu'ils étaient d'abord,
ils sont devenus bourreaux dès qu'ils ont pu l'être avec impunité. Néron n'est
pas plus affreux que St-Dominique, Torquemada vaut Domitien et il y a encore
des gens qui regrettent les dragonnades; vous savez, d'ailleurs, la maxime
célèbre attribuée au roi Louis-Philippe : la responsabilité n'est quelque chose que
quand on ne réussit pas.
Eliphas Levi : J'accepte cette maxime. Qu'est-ce en effet, qu'une chose réussie
? C'est une chose bien faite.
Bien faire, c'est réussir, et celui qui ne réussit pas est plus ou moins responsable
de sa maladresse. Les choses, en effet, sont tellement ordonnées par la
sagesse suprême que le mal ne saurait avoir un succès réel et durable, et que le
bien, malgré tous les retards et tous les obstacles, arrive toujours à son but.
Vous me parlez du mal qui s'est produit à propos du Christianisme. Ce mal est
en partie passé et ce qui en reste passera. Mais le bien est resté et restera.
Ce n'est pas au nom de Torquemada, mais au nom de Vincent de Paul que les
sœurs de la Charité prennent soin des pauvres orphelins, Alexandre VI n'a
jamais publié de constitution apostolique justifiant l'empoisonnement et l'inceste.
La religion est sainte, vous dis-je, ce sont les hommes qui sont mauvais.
Le poison des Borgia était une peine bien douce comparée aux supplices de
l'enfer, et qui sait si cet indulgent vicaire de J.C. n'attachait pas des pardons pour
l'autre monde à ses flacons de vin de Syracuse. On dit qu'il empoisonnait les
hosties; c'était une manière de les indulgencier pour la bonne mort, n'était-il pas
le maître des maîtres, et le roi des rois ? N'était-il pas infaillible ? Ce qui veut
dire impeccable. Ah, ne nous parlez pas de vos pernicieuses croyances; elles
conduisent à l'apothéose d'un nouveau Néron, pourvu qu'au lieu de la couronne
des Césars il ait porté la tiare des pontifes; n'avez-vous pas canonisé le hideux
et sanglant Ghisleri ?
Votre Veuillot ne verse t-il pas encore des larmes de crocodile sur l'abolition des
auto-da-fé ? Oh, si ces gens-là ressaisissaient un instant le pouvoir, comme ils
nous rejetteraient tous avec nos enfants et nos femmes sous les roues du char
vermoulu qui traîne encore leur impitoyable Jaggrenat.
Ne vous dites plus catholique, vous qui êtes un libre penseur, ou prenez garde
que la sainte inquisition de Rome ne vous demande compte de vous œuvres.
Sortez de ce Vatican, d'où les dieux sont partis depuis longtemps, d'ou les rats
mêmes commencent à s'enfuir et sur lequel planent, depuis la victoire de
Mentana, des nuées de corbeaux et de vautours.
Le Panthéiste : Vous en êtes encore là et vous ne croyez pas que l'Évangile est
dépassé depuis longtemps par le bon sens et par la science. Il y a de bonnes
choses dans l'Évangile, je le sais, c'est le bon grain mêlé à l'ivraie, mails il y a
aussi des enseignements barbares et des doctrines déplorables : ainsi
pardonner à ses ennemis afin que Dieu les punisse davantage, de ne pas
résister au mal, haïr son père et sa mère, se haïr soi-même, ce qui donne un
sens étrange au précepte d'aimer le prochain comme soi-même, encourager la
paresse par l'aumône et l'injustice par l'abandon volontaire de tout ce qu'on veut
vous dérober, préférer l'isolement stérile à la vie de famille, haïr le monde et se
faire haïr de lui; or, le monde dans le sens de l'Évangile, c'est la société des
hommes. Tuer devant le roi, c'est-à-dire devant Dieu ceux qui ne veulent pas
que sont fils, c'est-à-dire Jésus-Christ, représenté par le Pape, règne sur eux,
adjurer sa raison, briser ses affections, adorer l'humiliation et la douleur, voilà le
fond de ces Évangiles tant vantés; le reste, c'est-à-dire les préceptes vraiment
moraux, appartient à la philosophie de tous les siècles.
Eliphas Levi : Fort bien, alors tout est Dieu, je suis Dieu, vous êtes Dieu, la bêtise
est Dieu, le crime est Dieu, mais il s'ensuit même selon vous que Veuillot est
Dieu, que le cléricalisme est Dieu, et que le Pape est Dieu.
Eliphas Levi : Dans l'absolu, sans doute, mais il a dans le relatif une existence
trop réelle puisqu'il agit contre le bien. Or cette action selon vous vient-elle de
Dieu ?
Le Panthéiste : Oui, comme votre ombre vient de votre corps et comme les
maladies viennent de la santé.
Eliphas Levi : Alors votre Dieu est malade quand les hommes font le mal et
lorsqu'ils disent des mensonges, c'est l'esprit de Dieu qui leur prête son ombre.
Eliphas Levi : Mais alors il n'y a plus de coupables. Tous les hommes sont
innocents, les anges des ténèbres sont les serviteurs du masque divin, la
pénalité est une injustice, la morale est un piège tendu aux faibles pour en faire
les esclaves des forts, les méchants sont les plus puissants auxiliaires de la
vertu et le juste leur doit ses couronnes. Ne sentez-vous pas Monsieur, qu'une
doctrine si monstrueuse est subversive de tout ordre et que, par conséquent elle
est contraire à toute vérité, car l'ordre est à la vérité comme le désordre est au
mensonge.
Le Panthéiste : Ce que vous dites tient à votre système d'occultisme, mais au
fond vous pensez comme moi.
L'Israélite : J'ai entendu votre conversation avec cet athée et je vois avec plaisir
que vous faites bon marché des erreurs du Christianisme.
Eliphas Levi : Oui sans doute, mais c'est pour en défendre les vérités avec plus
d'énergie.
Eliphas Levi : Les mêmes que celles de la religion de Moïse, plus les sacrements
efficaces avec la foi, l'espérance et la charité.
L'Israélite : Plus aussi l'idolâtrie, c'est-à-dire le culte qui est dû à Dieu seul, rendu
à un homme et même à un morceau de pain. Le prêtre mis à la place de Dieu
même, et condamnant à l'enfer les Israélites, c'est-à-dire les seuls adorateurs du
vrai Dieu et les héritiers de sa promesse.
Eliphas Levi : Non, enfants de vos pères nous ne mettons rien à la place de Dieu
même. Comme vous, nous croyons que sa divinité est unique, immuable,
spirituelle et nous ne confondons pas Dieu avec ses créatures. Nous adorons
Dieu dans l'humanité de Jésus-Christ et non cette humanité à la place de Dieu.
Il y a entre vous et nous un malentendu qui dure depuis des siècles et qui a fait
couler bien du sang et bien des larmes.
Les prétendus chrétiens qui vous ont persécutés étaient des fanatiques et des
impies indignes de l'esprit de ce Jésus qui a pardonné en mourant à ceux qui le
crucifiaient et qui a dit : Pardonnez-leur mon Père, car ils ne savent ce qu'ils font.
Notre dogme d'ailleurs ne commence pas à Jésus-Christ, il est contenu tout
entier dans les mystères de la kabbale, dont la tradition remonte jusqu'au
Patriarche Abraham. Notre homme-Dieu, c'est le type humain et divin du Zohar
réalisé dans un homme vivant. Notre verbe incarné appelé logos par Platon et
par St-Jean l'évangéliste, ce qui veut dire, raison manifestée par la parole,
s'appelle chocmah dans la doctrine des Séphiroths.
L'Israélite : Je vous arrête ici et je vous déclare que chez nous la kabbale ne fait
pas autorité. Nous ne la reconnaissons plus, parce qu'elle a été profanée et
défigurée par les samaritains et les gnostiques orientaux. Maïmonides, l'une des
plus grandes lumières de la synagogue, regarde la kabbale comme inutile et
dangereuse; il ne veut pas qu'on s'en occupe et veut que l'on s'en tienne au
symbole dont il a lui-même formulé les treize articles, du Sepher Torah, aux
prophètes et au Talmud.
Eliphas Levi : Oui, mais le Sepher Torah, les prophètes et le Talmud sont
inintelligibles sans la kabbale. Je dirai plus : ces livres sacrés sont la kabbale
elle-même, écrite en hiéroglyphes hiératiques, c'est-à-dire en images
allégoriques. L'écriture est un livre fermé sans la tradition qui l'explique et la
tradition c'est la kabbale.
Eliphas Levi : Dites que le Talmud est le voile de la tradition, la tradition c'est le
Zohar.
Eliphas Levi : Oui, si vous voulez avoir la patience de m'entendre, car il faudrait
raisonner longtemps, citer et comparer des auteurs, apprécier ce qu'en ont dit M.
Franck et M. Drach, deux savants hébraïsants qui ne sont pas d'accord,
expliquer la genèse et Ezéchiel, chercher dans ce dernier la clé de l'apocalypse
de St-Jean, analyser la Mishna et voir en quoi elle diffère essentiellement des
deux ghémarah, appliquer aux sept premiers chapitres de la Genèse les clés
alphabétiques et immuables du Sepher Jezirah, revenir au livre dogmatique du
Zohar, étudier à fond la Siplora Dzenionta avec les explications du grand et du
petit Synode. Tout cela prends du temps que je vous consacrerais volontiers si
j'espérais vous êtres utile, et demanderait une attention longue et soutenue que
vous ne m'accorderiez certainement pas.
L'Israélite : Pourquoi ?
Eliphas Levi : Parce que je ne suis pas un rabbin, ni même un Israélite, du moins
à ce que vous croyez.
Eliphas Levi : Vous voyez bien qu'il est inutile que je vous parle plus longtemps,
car vous ne m'écouteriez avec une défiance qui s'augmenterait avec la force
même de mes raisons. Vous êtes encore trop Juif, venez me voir quand vous
douterez de votre religion et je vous montrerai la nôtre.
Le Protestant : Monsieur, vous avez écrit ceci dans un de vos livres : Je suis plus
catholique que le Pape, plus protestant que Luther. Quel peut-être le sens de
ces étranges paroles ?
Eliphas Levi : Cela veut dire que je regarde comme admissibles à la communion
universelle tous ceux que le Pape excommunie et que je proteste contre les
fantaisies dogmatiques de votre maître, Martin Luther.
Eliphas Levi : Au contraire, je voudrais fondre toutes les sectes dans une
fraternelle unité.
Eliphas Levi : Parce que c'est la seule qui soit incontestablement dogmatique et
réellement thaumaturgique, parce que la religion romaine, c'est la magie
hiérarchiquement constituée qui réprouve et doit réprouver les sorciers comme
des concurrents sans diplôme, parce que les prêtres catholiques sont seuls de
véritables enchanteurs, évoquant Dieu même, et le forçant à descendre sur leurs
autels rendant l'innocence aux coupables, effaçant d'un mot les sentences de
mort éternelle, ouvrant et fermant à leur gré le ciel, disposant de l'éternité.
Trouvez-moi des magiciens plus puissants que ceux-là et j'irai leur soumettre
mes recherches et ma science.
Le Protestant : Ces choses que vous admirez dans l'Église catholique sont
précisément celles qui nous la rendent abominables; ses prêtres ne sont pour
nous que les enchanteurs de Pharaon et plutôt que d'habiter avec eux, nous
aimons mieux souffrir avec Israël dans le désert.
Eliphas Levi : Avez-vous la baguette de Moïse ? Je crains bien qu'un beau jour
vous ne vous trouviez sans Dieu et que, par lassitude d'une religion sans
efficacité, vous ne dansiez comme tant d'autres autour du veau d'or. Voyez où
en est l'Angleterre, elle s'ennuie mortellement au milieu de ses richesses et le
paupérisme la ronge, l'Allemagne a beau s'étendre, elle ne convertira jamais
l'univers entier au culte de la choucroute et de la bière; sa philosophie
nébuleuse, en passant par Kant et par Hegel, est arrivée à une désespérante
obscurité. Partout, dans les pays protestants, la vie est âmes se ralentit et tous
les soins de l'homme se reportent aux choses purement temporelles. Bien boire,
bien manger, c'est quelque chose certainement, mais l'homme ne vit pas
seulement de pain comme l'a si bien dit notre grand maître.
Eliphas Levi : Oui, vous les avez et vous les faites traduire dans toutes les
langues pour faire lire à des sauvages, ce que les plus savants d'entre vous,
comprennent mal ou ne comprennent pas du tout. La Bible ! Cette Babel de
l'antiquité orientale, ce livre sur lequel ont pâli les érudits de tant de siècles, cette
encyclopédie ténébreuse qu'un de nos grands poètes appelle avec raison une
mer terrible, toute semée d'écueils.
Voilà ce que vous mettez entre les mains des ignorants et des idiots, en leur
disant : tiens voilà la parole de Dieu, c'est à toi de comprendre, de juger et de te
faire une règle de conscience ! Aussi que d'interprétations diverses et plus
absurdes les unes que les autres ! Le protestantisme est comme une grande
maison d'aliénés, pleine de cabanons qu'on appelle des sectes, les uns sont des
trembleurs, les autres sont des danseurs, plusieurs sont épileptiques, d'autres
sont immobiles est taciturnes, et pourtant c'est au nom de la raison que vous
faites appel au libre examen. Mais qu'est-ce que la liberté sans lois, n'est-ce pas
la même chose que la raison sans autorité, cette rivale impuissante de l'autorité
sans raison ?
Le Protestant : Puisque Dieu a parlé dans la Bible, il doit vouloir être compris et
nous inspirer lui-même le véritable sens de ses paroles.
Eliphas Levi : Si Dieu est tenu de vous inspirer, vous n'avez plus besoin de la
Bible. Vous êtes tous des prophètes et vos rêves sont toute la loi.
Eliphas Levi : La Bible a un sens caché dont la science traditionnelle chez les
Hébreux se nomma la kabbale. Cette science était connue de l'apôtre St-Jean et
des pères les plus savants de la primitive Église, je ne l'ai pas inventé et je
n'enseigne rien qui vienne de moi, c'est ce qui fait ma force et ma confiance,
c'est ce qui me donne le droit d'en appeler des catholiques mal éclairés aux
catholiques mieux instruits. Me prouverez-vous que j'ai tort ?
Le Protestant : Non, parce que je ne puis vous suivre dans vos recherches, mais
je garderai mes convictions.
Le Médecin : Oh, je ne veux pas vous comparer à Basile, bien que vous ne
puissiez vous empêcher de travailler un peu pour lui.
Le Médecin : Oh, vous le savez bien, vous qui êtes un libre penseur et vous
voulez que les dogmes absurdes soient respectés pour la plus grande joie de
Basile.
Eliphas Levi : Je ne pense pas que Basile soit grand partisan des dogmes
expliqués par la philosophie.
Le Médecin : Et Basile a raison, car un dogme expliqué est un dogme mort, on
n'étudie l'anatomie que sur les cadavres, on ne dissèque pas les vivants.
Eliphas Levi : Votre comparaison cloche docteur, car les dogmes sont de l'esprit
et l'esprit ne saurait mourir pour être disséqué comme les corps. Trouver le mot
de l'énigme ce n'est pas en supprimer le texte souvent ingénieux. Est-ce donc
détruire que d'éclairer ?
Le Médecin : Quand le sphinx est deviné, le sphinx est mort; introduire une
lumière dans une lanterne de papier brouillard, c'est mettre le feu à la lanterne.
Un mystère expliqué n'est plus un mystère, la foi, c'est le rêve de l'ignorance;
quand la science vient, l'esprit s'éveille et le rêve n'excite plus; rêver tout éveillé,
c'est être fou et c'est là que vous voulez nous conduire; or, comme il me semble
que vous êtes de très bonne foi, je doute de votre santé et je viens tâter le pouls.
Le Médecin : Non, certes, je n'y crois pas, je l'ai étudié et j'ai la prétention de la
connaître.
Eliphas Levi : Mais quand on sait on ne croit plus, donc vous n'avez jamais rien
cru, vous ne croyez rien et vous ne croirez jamais rien; si cela est vrai, je vous
plains, docteur, car vous n'aimerez jamais, et vous n'avez jamais aimé.
Eliphas Levi : Oui, vous savez et vous saviez tout cela, mais rien de tout cela ne
vous était démontré, et ne peut vous être démontré encore. N'aviez-vous pas pu
être changé en nourrice ? Votre femme et vos enfants ... vous croyez et vous
avez raison de croire à la fidélité de l'une et à la légitimité des autres, mais tout
cela, docteur, ce n'est pas de la science, c'est de la foi.
Qu'est-ce qu'un fou en effet ? C'est un homme qui croit aux hallucinations de
son cerveau plus qu'au bon sens de tout le monde, c'est un croyant extravagant
et entêté qui agit d'après ce qu'il imagine et non en conséquence de ce qu'il voit;
je vous défie de ne pas reconnaître dans ce portrait les prétendus saints de votre
Église catholique.
Le Médecin : Oh, pour celui là ! Vous savez ce qu'on en a dit avec beaucoup de
finesse : c'était un brave homme, à qui l'on a fait bien du tort en le canonisant.
Eliphas Levi : Vous êtes intraitable, mais essayons d'un autre raisonnement :
admettez-vous que le sentiment religieux existe chez les hommes et qu'il soit un
fait psychologique avec lequel la science doit compter ?
L'homme atteint, de ce mal, prend les moyens les plus directement opposés à la
fin qu'il se propose, il veut être immortel et se fait mourir tous les jours; il veut
être l'objet des prédilections de Dieu et se rend haïssable et insupportable aux
hommes, même les plus imparfaits.
Il blâme, gêne et tourmente les autres sous prétexte de les aimer; au fond il
n'aime que ses croyances, il n'admet pas qu'on les discute, la contradiction sur
ce sujet le rend furieux, il fuit ceux qui voudraient le désabuser et les prend en
horreur comme les aliénés font pour les médecins.
Eliphas Levi : Avez-vous tout dit ? Ne me parlerez-vous pas un peu aussi des
meurtres commis sous prétexte de la religion, des autodafés et de la St-
Barthélémy ? Je sais tout cela aussi bien que vous, vous affectez comme le font
toujours les adversaires des croyants, de confondre la religion avec la
superstition et le fanatisme que tous les honnêtes gens ont en horreur.
Eliphas Levi : C'était des hommes d'un autre siècle, les temps changent et les
mœurs aussi.
Eliphas Levi : Vous avez tort de dire embaumer, votre expression me rappelle les
parfums de Rome de ce très odorant M. Veuillot, si vous avez lu mes livres vous
devez savoir que je pense comme vous sur le pharisaïsme ancien et moderne,
sur la fausse théologie et cetera, mais tout cela n'est pas la véritable religion.
Le Médecin : C'est comme si vous disiez que rien de ce qui se fait, se combine et
se prépare dans tous les cabinets de l'Europe, n'est la véritable politique.
Le Médecin : Alors c'est entendu, il n'y a de politique que celle que vous rêvez, il
n'y a de religion que votre mysticisme personnel, vous broyez du bleu pour
enluminer les nuages qui ne vous paraissent pas d'une bonne couleur. Tenez, je
regrette de vous avoir tant fait parler, cela vous échauffe et ne vous vaut rien;
laissez un peu dormir votre fatras de sciences occultes, ne restez pas seul,
prenez de l'exercice, mettez-vous à un régime rafraîchissant et surtout ne fumez
pas trop.
Eliphas Levi : (en riant) Merci de votre ordonnance docteur, je crois que vos
conseils sont bons et je voudrais vous faire à mon tour quelque prescriptions
hygiéniques. Malheureusement, je vous regarde comme incurable.
Le Médecin : Pourquoi ?
Eliphas Levi : Ah, pas le moins du monde, vous n'êtes pas malade mais il vous
manque un sens, vous voyez très bien, mais vous ne voyez que d'un œil, tout
cela au moral, bien entendu.
Le Médecin : L'œil qui me manque serait-il par hasard celui que Victor
Considérant voulait mettre au bout d'une queue ?
Le Savant : J'accepte vos théories religieuses qui sont à peu près celles de MM.
Emile Burnouf et Vacherot; je ne confonds pas l'exaltation religieuse qui produit
le fanatisme avec le sentiment religieux qui peut parfaitement s'accorder avec la
science et avec la raison, je trouve comme vous qu'il y a dans le mot catholicité
une promesse d'avenir qui veut dire synthèse et solidarité universelles mais il me
paraît évident que cette grande et dernière transformation religieuse ne pourra
s'accomplir qu'en dehors du catholicisme officiel comme le christianisme n'a pu
se manifester et triompher qu'en dehors de la synagogue.
Eliphas Levi : Je ne le suppose pas non plus, mais je ne vois pas que toutes les
lois de la nature nous soient connues, ni que celles mêmes qui nous sont
connues aient été encore suffisamment étudiées, surtout dans leurs applications
exceptionnelles, tant que des faits certains et incontestables n'auront pas été
expliqués, la science n'aura pas dit son dernier mot.
Eliphas Levi : Ainsi selon vous les phénomènes électriques n'étaient pas des
faits certains et incontestables, avant que la science eût reconnu l'existence de
l'électricité ?
Le Savant : Non, sans doute, car ils n'appartenaient pas encore à la science qui
seule donne la certitude; on devait les étudier avec prudence, mais on n'avait
pas le droit de les affirmer positivement.
Eliphas Levi : Et bien, accordez-moi ceci pour les sciences occultes qu'on doive
les étudier avec prudence, car je doute comme vous qu'elles puissent jamais
s'affirmer positivement; les sciences occultes sont une religion et la religion ne
doit jamais se confondre avec la philosophie.
Le Savant : Dites alors que vous êtes un mystique et ne prenez pas le titre de
savant.
Eliphas Levi : C'est un titre qu'on m'a donné quelquefois, mais je ne l'ai jamais
pris et je n'y prétends pas encore, je suis raisonnable et c'est une qualité qui
s'accorde rarement avec le mysticisme; appelez-moi toutefois mystique si bon
semble, puisque j'écris sur les mystères de la nature; je ne m'en fâcherai pas,
j'aime et j'estime trop la science pour vouloir jamais me brouiller avec ceux qui la
représentent et l'honorent.
Eliphas Levi : Ces promesses étaient mutuelles mon père et ce n’est pas moi qui
me suis retiré de l’Église, c’est elle qui s’est retirée de moi sans avoir autre chose
à me reprocher que mon grand amour de la vérité et de la justice.
Eliphas Levi : L’Église ne peut pas enseigner une autre doctrine que celle de
l’Évangile, elle ne peut rien commander qui soit contraire à la morale, je suis
donc d’accord avec elle. Abandonné par ceux qui devaient me protéger et me
conduire, je suis rentré dans la vie laïque et j’en ai subi toutes les conséquences,
mais d’esprit et de cœur je reste attaché à l’Église.
Le Prêtre : Pouvez-vous dire une chose semblable quand tout le monde sait que
vous êtes professeur de kabbale et de Magie, choses que l’Église à en horreur !
Quand vous osez expliquer philosophiquement nos saints mystères et faire du
sauveur du monde lui-même une sorte de personnage fictif et mythologique
semblable à Osiris et à Chrisna.
Eliphas Levi : Ils sont alors sans danger pour elles, mais ils peuvent désarmer
les ennemis du Christianisme en leur montrant la raison voilée où ils croyaient
voir la folie, j’aime l’Église comme on aime une vieille mère décrépie et tombée
en enfance, je la vois affaiblie par l’âge, et je ne crains pas qu’elle meurt, parce
que je crois à sa transfiguration prochaine.
Elle a entassé autour d’elle tout le bois mort des antiques préjugés et sur ce
bûcher elle va se consumer comme Hercule ou comme le phénix de la fable pour
renaître immortelle, le prochain concile sera une palingénésie, ce sera une
oraison funèbre et une apothéose, la fin de l’Église romaine et le commencement
de la catholicité universelle.
Le Prêtre : L’Église sera ce qu’elle est ou elle ne sera plus, mais Dieu lui a
promis l’éternité.
Eliphas Levi : Dieu seul est éternel, la lettre tue et meurt et c’est l’esprit qui
vivifie. La synagogue aussi ne s’affirmait-elle pas immortelle ? Le temple de
Jérusalem ne devait-il pas durer autant que le soleil ? La loi de Moïse n’était-elle
pas parfaite et immuable ? Hélas, mon père, quand les aveugles se font les
conducteurs des aveugles, ils tombent avec eux dans le précipice, c’est un plus
sage que moi qui l’a dit.
Le Prêtre : Vous voyez bien que, comme les matérialistes et les athées, vous
croyez à la destruction prochaine et nécessaire de l’Église.
Eliphas Levi : Non, mon père, je crois à sa naissance prochaine, car jusqu’à
présent elle n’a pas été dégagée de l’arrière (laix)? des institutions et des
préjugés du vieux monde, sa conception est immaculée, mais les travaux de
l’enfantement auront été longs et pénibles, il lui faut la lumière, il lui faut la raison,
il lui faut la science de la nature, qui est la loi même de Dieu et pour qu’elle ait
tout cela, il faut qu’elle se dégage des traditions du pharisaïsme moderne et des
ténèbres de la fausse théologie, il faut qu’elle soit visitée par l’esprit
d’intelligence, par l’esprit de science, par l’esprit de bon conseil que vous
invoquez dans votre liturgie. Veni creator spiritus !
Eliphas Levi : C’est celui des mages qui sont venus de l’Orient conduit par une
étoile. Ne jugez pas, ô mon père, ce que vous ne connaissez pas et si vous
voulez me critiquer raisonnablement, lisez d’abord mes livres.
Le Prêtre : Je parle seulement de vos livres, quant à vous, c’est l’enfer qui vous
brûlera.
Le Prêtre : Puisque vous prenez le bien pour le mal et le mal pour le bien, je
vous laisse à votre endurcissement.
Eliphas Levi : Et moi, puisque je ne puis vous éclairer, je suis bien forcé de vous
laisser à votre aveuglement volontaire.
Ceux qui ont vécu parmi nous y vivent encore, mais seulement par les souvenirs,
qu’ils ont laissés et qui sont encore leurs souvenirs; ils ne peuvent nous parler
que notre langage et nous ne comprendrions pas celui du ciel. Je ne pense pas
non plus que les immortels en soient réduits à nous parler autrement que par la
communication intime des pensées : dégagés de la matière inerte et pesante; ils
s’adressent à ce qu’il y a en nous de plus subtil et de plus pur, ils n’ont pas
besoin de se mêler aux vapeurs plus épaisses de l’antre de Trophonius ni aux
vapeurs plus malsaines encore des femmes hystériques ou de ces hommes
enclins à la catalepsie, que vous appelez des médiums. Si des êtres ayant
l’apparence de l’intelligence se communiquaient à nous par de tels moyens ce ne
pourraient être que des larves impures ou des ébauches spirituelles bien
inférieures à l’humanité.
Je ne vous parlerai pas des nombreux cas d’aliénation mentale déterminés par
les pratiques du spiritisme, car bous me répondriez, avec raison, que les
religions en général et en particulier la religion catholique en ont produit peut-être
un plus grand nombre, mais je vous ferai remarquer que vos évocations ne sont
qu’un retour aux anciens oracles du paganisme que, depuis dix-huit siècles, le
génie du Christianisme avait fait taire dans le monde entier. Or, cette
exhumation du passé ne saurait avoir les caractères du progrès auquel nous
croyons tous, autant vaudrait essayer, comme dans un conte d’Edgar Poe, de
galvaniser les momies; le Christianisme, étant de toutes les religions la plus
spiritualiste, devait faciliter et rendre plus fréquentes les communications des
esprits d’outre-tombe avec des vivants et c’est ce qu’il a fait par la communion
des saints et l’unité des trois Églises, l’Église triomphante, l’Église militante et
l’Église souffrante. Alors ont cessé les prestiges des démons, c’est-à-dire des
esprits inconnus et équivoques qui se manifestaient par des convulsions et se
plaisent dans les vapeurs. Quand l’humanité manque de religion, elle a le délire
comme un affamé qui manque de pain, et voilà pourquoi maintenant que la foi
est presque éteinte dans le monde, les fantômes recommencent à parler.
Le Spirite : Les esprits que vous qualifiez de fantômes prêchent comme vous la
charité, la religion universelle et le salut de tous les hommes.
Eliphas Levi : Ce sont des idées qui sont dans l’air si je puis m’exprimer ainsi,
mais prêchent-ils l’organisation de la charité, forment-ils des sœurs de charité
qu’on puisse opposer à celles de St-Vincent de Paul ? Remplacent-ils la
hiérarchie catholique par une hiérarchie nouvelle ? Vos somnambules sont-elles
des saintes et vos médiums des apôtres ? Avez-vous des sacrements qui
donnent la grâce et font toucher et goûter Dieu ? Vous êtes des visionnaires
comme les gnostiques, comme les illuminés, comme les convulsionnaires qui
n’ont rien prouvé et rien fondé, vous prenez des phénomènes naturels pour des
miracles, vous consultez des oracles de hasard et bous écoutez les voix de
l’écho, sans tenir compte de la tradition, de la transmission légitime des pouvoirs
et de l’autorité apostolique.
Le Spirite : Tout cela appartient au passé et vous-même n’y croyez plus, vous
souriez en songeant aux inquisiteurs qui ont condamné Galilée et vous avez
également en horreur St-Pie V et Torquemada.
Eliphas Levi : Ce que ces gens-là ont fait de mal était loin d’être conforme à la
doctrine des apôtres. Est-ce parce qu’il peut arriver à un chirurgien maladroit de
couper l’artère d’un malade en voulant le saigner, qu’il faut condamner et
proscrire la chirurgie ? La religion des pères de l’Église n’est pas celle de
Torquemada et le bon St-François de Sales n’eût pas condamné Galilée.
Oui, certes, je crois à la charité universelle, oui j’espère le salut de tous les
hommes, parce que je révère le dogme universel et parce que le Sauveur du
monde a donné son sang pour tous les hommes. Je crois à la vérité de la foi des
saints et au triomphe de la patience des martyrs, parce que tant de vertus ne
peuvent avoir été vaines, parce qu’une si héroïque espérance ne peut avoir été
trompeuse, je crois que nos enfants, lorsqu’ils font leur première communion
dans toute la pureté de leur cœur et dans toute la ferveur de leur innocence
reçoivent réellement ce que nulle autre religion ne saurait leur donner. Devant
les prodiges toujours renaissants de la charité, mon cœur se prosterne et adore.
Oui je crois en Dieu qui fait couler les larmes de St-Augustin et les torrents
d’éloquence de St-Jean Chrysostome et de Bossuet. Je crois au Dieu de St-
Vincent de Paul et de Fénelon, au Dieu des sacrements efficaces de la
communion des saints et de la vénérable hiérarchie, je crois en un mot au dieu
de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, malgré les scandales de Rome
et le sang qui tache encore le glaive de St-Pierre. St-Pierre cloué la tête en bas
sur la croix qu’il n’a pas su tenir droite, expiera son reniement et son
comportement sacrilège, mais la doctrine du Sauveur triomphera malgré les
successeurs de Caïphe et les imitateurs de Judas, voilà ma foi et mon
espérance.
Le Spirite : Est-ce aussi votre charité ? Il me semble que pour un fidèle enfant
du Pape vous traitez votre père assez mal, que vous en vouez beaucoup à ce
pauvre M. Veuillot et que vous vous souciez assez peu du domaine temporel de
la Sainte Église. En tout cela, selon moi, vous avez raison, mais vous obéissez
comme nous à une inspiration indépendante et particulière, vous croyez à votre
propre esprit et vous êtes plus exposé à vous égarer que nous qui ajoutons foi à
des communications miraculeuses de l’autre monde.
Eliphas Levi : Oui, dans le genre de ceux qu’écrivent vos tables parlantes.
Eliphas Levi : Ah miséricorde ! Et qu’Allen Kardec nous soit en aide, voilà que
vous devenez médium versificateur.
Le Spirite : Non, parlons sérieusement, vous affectez de nous prendre pour des
fous et nous sommes plus raisonnables que vous, je vous vous en donner une
preuve. Vous admettez la hiérarchie et par conséquent l’autorité de l’Église
catholique romaine, ce qui ne vous empêche pas de croire diamétralement le
contraire de ce qu’elle enseigne.
Eliphas Levi : L’harmonie résulte de l’analogie des contraires. Toute lumière qui
manifeste une forme doit nécessairement projeter une ombre, je crois à l’ombre
parce que je crois à la lumière. La liturgie catholique n’applique-t-elle pas à
l’Église cette parole de l’épouse du cantique : je me suis assise à l’ombre de
l’arbre que j’aimais et j’en ai savouré les fruits; ne dit-elle pas dans son office :
Seigneur protège nous par l’ombre de tes ailes ? La nuée qui guidait les
Hébreux n’était-elle pas lumineuse d’un coté et ténébreuse de l’autre ? Et
lorsque Dieu se laissa voir c’est-à-dire comprendre à Moïse sous l’emblème de
la forme humaine, ne lui dit-il pas : je passerai devant toi et alors tu te voileras la
face, puis quand j’aurai passé tu regarderas et tu verras ce qui est derrière moi,
c’est-à-dire mon ombre. Ne comprenez-vous pas cette tête de lumière et cette
tête d’ombre qui sont le reflet l’une de l’autre, dans les magnifiques symboles du
Zohar et qui expliquent tous les mystères de la religion universelle ?
Eliphas Levi : Si vous compreniez, vous ne seriez plus un spirite, vous seriez un
initié, donc au lieu de consulter des tables où il ne peut se trouver d’autres
esprits que l’esprit de bois, priez l’esprit d’intelligence pour qu’il vous ouvre
l’entendement et étudiez la kabbale.
L’Initié : Parce que les clefs de St-Pierre ne sont plus celles de la science. Parce
que la hiérarchie dans cette Église est artificielle et non réelle. Parce qu’elle est
despotique et non fraternelle, parce qu’elle est matérielle et non spirituelle.
Parce que les conducteurs des aveugles sont aveugles eux-mêmes. Parce que
la foi aveugle du troupeau n’est justifiée que par la foi éclairée et par la science
du pasteur. Parce qu’elle (L’Église romaine) sacrifie trop évidemment ses
intérêts spirituels à ses intérêts temporels. Parce qu’elle abjure publiquement
l’esprit de charité en autorisant ou même en tolérant des polémistes, tels que
Louis Veuillot et autres diseurs d’injures. D’où je conclus que ce corps
ecclésiastique n’a plus la science suffisante et qu’il est également dépourvu de
religion et de foi.
L’Initié : Alors il faut faire comme Oedipe, il faut forcer le monstre à se précipiter
dans l’abîme.
Eliphas Levi : La raison sans foi ne conseille pas le dévouement et n’admet pas
le sacrifice. L’homme est égoïste par raison, il n’est grand et généreux que par
croyance.
Eliphas Levi : Cela était bon à dire au temps de Jean-Jacques Rousseau et ferait
rire aujourd’hui de pitié les disciples de Proudhon. Il n’y a plus maintenant de
milieu logique entre ces deux termes : athéisme ou religion révélée. Or, vous
savez bien qu’il existe une révélation, vous à qui l’on a montré sur quelle pierre
vivante est posée la citadelle de la Thèbes invisible, vous qui comprenez les
symboles de la nouvelle Jérusalem.
L’Initié : Oui, je sais qu’il existe une révélation dont l’Église romaine a toujours
persécuté les fidèles.
Eliphas Levi : Dites les infidèles, c’est-à-dire les indiscrets et les profanateurs du
symbolisme occulte.
Est-ce que vous croyez que le monde, j’entends le monde intelligent et éclairé
par la science, reviendra jamais au dieu de l’enfer pour les multitudes et du ciel
pour un petit nombre de privilégiés ignares, au dieu qui proscrit la raison, la
science et la liberté ? Ne sentez-vous pas que le vrai Dieu doit-être d’accord
avec la nature qui est sa loi et avec l’humanité qui est sa fille ? Le Dieu de
Moïse était-il juste lorsqu’il favorisait un seul peuple en voulant les autres nations
à l’anathème et le Dieu des Chrétiens ne damne-t-il pas encore la majorité des
habitants de l’univers ? Quelle monstrueuse invention que cet enfer ouvrant la
gueule immense et engloutissant le fleuve presque entier des générations
successives et cela par le caprice d’un dieu qui s’est fait crucifier pour racheter
les hommes ! C’est est fait, vous dis-je, c’est est fait de ces croyances
barbares… Elles ne règneront plus sur nous, car elles sont mortes à jamais.
Vous voulez peut-être pour accomplir je ne sais quel rêve filial les ensevelir
(convertir) avec honneur, mais prenez garde, la terre est mouvante autour de la
fosse qu’elles se sont creusées et vous pourriez y tomber avec elles !
Eliphas Levi : Je ne crains pas la mort car mon espérance est pleine
d’immortalité, et tant que Dieu ne m’aura pas révélé un dogme nouveau, je
tiendrai à celui de l’Église en me dégageant des ombres de la lettre et en faisant
appel à la lumière de l’esprit.
Nous croyons en Dieu, principe de tout être, de tout bien et de toute justice,
inséparable de la nature qui est sa loi et qui se révèle par l’intelligence et
l’amour.
Nous croyons en l’humanité, fille de Dieu dont tous les membres sont solidaires
les uns les autres, en sorte que tous doivent concourir aux salut de chacun et
chacun au salut de tous. Nous croyons que pour servir Dieu, il faut servir
l’humanité. Nous croyons à la réparation du mal et au triomphe du bien dans la
vie éternelle.
Eliphas Levi : Amen ! Ceci est le pur esprit de l’Évangile et ce n’est pas un
dogme nouveau; c’est le résumé de tous les dogmes. C’est la synthèse
dogmatique de la religion éternelle mais je prétends que je pourrais au besoin
démontrer que ce symbole explique tous les autres sans les détruire et
deviendra un jour celui de la catholicité vraiment humanitaire et universelle.
Résumé Général
Par définitions et par aphorismes
Chapitre I - La Religion
I. Le paradis de l'âme, c'est la raison satisfaite; son enfer, c'est la folie irritée.
II. Le Dieu de raison est lui-même raison lumineuse des choses. Le Dieu de la
folie est la déraison obscure des rêves.
III. Dire que Dieu se révèle à la folie pour confondre la raison, c'est comme si l'on
disait que le soleil se révèle à la nuit pour confondre la lumière.
IV. Dieu se révèle par des lois et dans des lois qui ne changent jamais. Il est
implacable parce qu'il n'est jamais irrité. Il ne saurait pardonner parce que
jamais il ne se venge.
V. Le mal n'est que l'avortement du bien. On peut mourir des suites d'une fausse
couche et si la femme l'a provoquée par des imprudences, elle en est bien assez
punie.
VI. Le diable, c'est la folie attribuée à Dieu. C'est Dieu qui semble s'affirmer
méchant par un plénipotentiaire issu des cauchemars de la folie humaine.
XI. Dieu, c'est le grand silence de l'infini. Tout le monde parle de lui et parle pour
lui et rien de ce qu'on dit ne le représente aussi bien que son silence et son
calme éternel.
XII. La loi est rigoureuse, elle est nécessaire, elle ne peut pas être autrement
qu'elle n'est étant donnés les phénomènes de l'être et de la vie. Or, l'être est, et
pour lui assigner une cause, il est inutile d'imaginer un autre être. Mais il faut lui
reconnaître une raison et cette raison c'est ce que nous appelons Dieu.
XIII. Tous les maux de l'âme humaine viennent de la crainte et du désir. Les
menaces et les promesses sont les grands moyens de corrompre et d'abrutir les
hommes. Le dogme, qui fait espérer le privilège et qui menace d'un sentiment
exorbitant, monstrueux et sans fin les multitudes ignorantes, n'est ni divin, ni
humain, ni raisonnable, ni civilisateur.
XIV. Depuis le règne de Constantin jusqu'à nos jours, le Christianisme officiel n'a
été qu'un essai de plus en plus malheureux de concilier les lumières du
Christianisme avec les ténèbres de l'ancien monde.
XV. L'Évangile n'est pas le jour, c'est une belle nuit pleine de lueurs
crépusculaires, étincelant d'étoiles.
XVI. Dieu c'est l'esprit, et ceux qui l'adoreront désormais doivent l'adorer dans
l'esprit et dans la vérité. Voilà une étoile fixe qui, en s'approchant, devient un
soleil. Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font, voilà l'humanité
réelle qui se montre plus grande que la divinité fictive. Vous n'avez qu'un Maître
qui est Dieu et vous êtes tous frères; ceci est une comète qui menace les prêtres
et les rois du vieux monde. Que celui qui est sans pêché jette à cette femme la
première pierre; ceci est la lueur crépusculaire du soleil de justice. Jésus ne se
donne pas lui-même comme étant l'esprit de vérité; il annonce seulement que cet
esprit viendra.
XVIII. Dans Eden fructifient deux arbres; l'arbre de science et l'arbre de vie;
l'arbre de science, c'est la raison et l'arbre de vie, c'est l'amour qui produit la foi.
La foi sans raison, c'est la folie créatrice de l'enfer, c'est l'anéantissement de
l'esprit.
XIX. L'arbre de vie qui est celui de la foi, n'a qu'une racine et qu'une tige. Il a ses
printemps et ses hivers. Il a des feuilles et des fleurs qui tombent. Ne dites pas
que l'arbre est mort lorsqu'il se dépouille; il reverdira au printemps. Ne cherchez
pas à le couper parce que ses fleurs sont flétries, attendez qu'il donne ses fruits.
XX. En dehors des mathématiques pures tout n'est vrai que proportionnellement,
relativement et progressivement.
XXI. Discuter contre les fous, c'est insensé; les contrarier ou se moquer d'eux,
c'est inhumain; il faut seulement les empêcher de nuire.
XXIII. Proclamer hautement la raison au milieu des fous, c'est faire un acte de
folie. Avoir raison contre tout le monde, c'est avoir tort devant la société; voilà
qui justifie la rétraction de Galilée.
Chapitre II - La morale
II. La peine n'est pas une vengeance, c'est un remède. L'expiation n'est pas une
servitude, c'est un traitement.
III. La peine du pêché, c'est la mort. Elle est le remède aux misères humaines
qui sont le péché de la nature.
IV. La vie est éternelle. La mort qui, dans son idéal, est la négation de la vie ne
peut donc être qu'apparente et transitoire.
VIII. La mort étant plus forte peine et tous la subissant sans l'avoir également
méritée, il y a réversibilité du mérite des uns sur le démérite des autres.
IX. Qui paie ses dettes s'enrichit; qui paie celles des autres s'ennoblit.
XI. Faire le mal c'est un malheur et une honte et la bonté suprême doit aux
méchants des moyens de réparation : puisqu'elle est toute puissante.
XII Personne n'a le droit de punir, c'est la loi seule qui punit.
XIII. Le diable est le bâtard du dieu vengeur. Le rédempteur est le fils légitime du
dieu juste.
XIV. La morale est essentielle, absolue, universelle, naturelle; mais elle n'est pas
indépendante car elle dépend de la loi.
XV. Une Société qui, pour se conserver en est réduite à se couper un membre
est une Société gangrenée. Mais l'humanité qui est immortelle n'admet pas de
retranchements.
XVI. Dieu étant la vie réelle du grand corps de l'humanité, si la majorité des
hommes pouvait être damnée, on pourrait dire que Dieu c'est l'enfer.
XVII. Si un seul homme pouvait être réprouvé sans remède et sans espoir, la
rédemption serait un mensonge et la création une monstrueuse injustice.
XVIII. Aimez-vous les uns les autres, cela ne voulait pas dire : excommuniez-
vous et damnez-vous les uns les autres.
XX. Faites aux autres, non pas ce que vous voudriez qu'on vous fit, mais ce que
vous devez vouloir qu'on vous fasse et ne leur faites pas ce qu'il serait injuste de
vous faire.
XIX. L'humanité dirigée par la justice et la justice tempérée par l'humanité, voilà
la morale tout entière.
II. C'est comme un balancier soumis au mouvement qui frappe les médailles
admirables quand la matière se présente bien, qui donne des ébauches
baveuses et difformes quand la matière se présente mal.
VII. L'infini incréé et le fini infiniment crée sont comme les lignes asymptotes qui
s'approchent éternellement sans pouvoir jamais se toucher.
VIII. L'infini agissant dans le fini agit nécessairement d'une manière toujours
relativement finie, c'est-à-dire imparfaite, mais toujours absolument parfaite dans
les rapports du fini avec l'infini.
IX. La nature ne met jamais en jeu que les forces nécessaires pour vaincre
proportionnellement la résistance.
XIII. Dans toute la nature la perfection à l'état latent, c'est la pensée de Dieu. La
nature est une horloge que Dieu a montée.
XIV. Elle peut avancer ou retarder par la fatalité de ses rouages matériels mais
elle ne s'arrête jamais parce que son mouvement est le génie de l'horloger
suprême.
XVI. La nature serait imparfaite et par conséquent indigne de Dieu si elle était
stationnaire. Mais son imperfection même nécessite le progrès et le progrès est
la condition nécessaire de la vie éternelle.
XVII. La vie est comme une roue qui tourne. Lorsqu'on arrive en haut, à moins
qu'on ne se détache de la roue pour s'élancer dans l'espace il faut
nécessairement retourner en bas.
XVIII. La vie est collective pour les êtres imparfaits : elle devient progressivement
personnelle par le perfectionnement.
XIX. Le feu éternel où sont rejetés les imparfaits, c'est la vie collective et
inférieurement progressive.
XX. Quand l'être imparfait s'affirme comme fini, il se croit parfait parce qu'il sent
vivre en lui le principe éternel de la perfection progressive.
XXI. Tout être imparfait meurt de son imperfection parce que cette imperfection
atteste le besoin impérieux et fatal d'une perfection plus grande.
XXIII. Quand l'homme vieillit, il perd ses dents, ses yeux se voilent, ses pieds et
ses mains s'engourdissent. C'est la nature qui lui ôte les moyens de se
conserver. Quand les pouvoirs doivent tomber, les gouvernants sont frappés
d'incapacité et de démence. Ils repoussent les hommes de talent et n'écoutent
que les mauvais conseils. Louis XVI regardait comme ses seuls amis ceux qui le
poussaient à sa perte. Rome a condamné Lamennais et repousse de toutes ses
forces l'éloquence de l'évêque Dupanloup, la science et le courage du père
Gratry, etc. ... Mais elle favorise, encourage et approuve Louis Veuillot.
XXIV. La mort n'anéantit que l'imparfait; c'est comme un bain de feu qui sépare
de son alliage le métal pur. C'est pour cela que le sauveur du monde donne le
nom de feu éternel à ces limbes de la vie où l'imperfection nécessite toujours la
mort.
XXV. Le fini se détache de l'infini comme par amputation. Les limites du fini sont
comme une plaie que la nature se hâte de cicatriser. Ainsi se forment les
écorces qui sont la substance matérielle des mondes. Il se forme aussi des
écorces sur les croyances finies. Ce sont les dogmes matérialisés et les
superstitions qui veulent s'immobiliser.
XXVI. Depuis cent cinquante mille ans et plus les races humaines se succèdent
sur la terre. Ces races ont essentiellement différé les unes des autres, et ont
péri par leurs imperfections.
XXIX. Ceux-là seront responsables parce qu'ils seront libres et Dieu n'aura plus
besoin de mourir.
XXX. La nature est lente à opérer les transformations qui substituent des races
nouvelles à d'autres races. Les peuples naissent, grandissent et vieillissent. La
décadence de Rome ressemblait à la nôtre mais la race humaine n'a pas
changé. La majorité des hommes manque de logique et de justice, et pourtant
nous en sommes encore à vouloir le gouvernement des majorités.
XXXI. La nature est aristocrate et monarchique. Les univers n'ont qu'un soleil,
l'homme n'a qu'une tête et le lion est toujours le roi du désert.
XXXV. L'homme ne peut rien quand il est seul. Les grandes forces humaines ce
sont les forces collectives. Mais ces forces pour être entières doivent être
monarchiques c'est-à-dire dominées par l'impulsion et la direction d'un seul. Un
homme seul, fût-il un homme de génie, est une tête sans corps. Une multitude
non dirigée par une autorité infaillible et unique, c'est un corps sans tête.
XXXVI. C'est la confiance des écoliers qui fait l'autorité du maître. Si un écolier
doute de l'infaillibilité du maître, il ne doit plus venir à l'école. C'est la confiance
aveugle des soldats qui fait la force du général. Un soldat qui croit que son
général se trompe est à la veille de déserter. Les soldats obéissants sont la
force des armées; les soldats raisonneurs et réfractaires en sont la faiblesse.
Pour être maître, il faut savoir se faire obéir. Et pour cela il faut magnétiser les
multitudes.
Chapitre IV - Le Magnétisme
I. Le magnétisme chez l'homme est un rayonnement et une attraction physique
déterminée à une direction par la force morale.
II. Tous les êtres rayonnent les uns vers les autres et s'attirent ou se repoussent
les uns les autres avec une force qui peut être augmentée, diminuée et dirigée
par la science.
III. Le magnétisme universel n'a encore été examiné par la science que dans ses
manifestations astrales et métalliques.
IV. Par la science, on compose des aimants métalliques artificiels plus forts que
les aimants naturels.
VIII. On magnétise les pairs avec la droite et les impairs avec la gauche.
X. Les aimants observés par la science ont deux pôles et un centre. L'aimant
humain représenté par l'étoile du pentagramme a autant de pôles que de
centres. Les deux pôles de la tête sont les deux pieds; les deux pôles de la main
droite sont la main gauche et le pied gauche; les deux pôles de la main gauche
sont la main droite et le pied droit; les deux pôles du pied droit sont la tête et la
main gauche; les deux pôles du pied gauche sont la tête et la main droite.
XI. L'aimant humain est double dans chaque sujet; masculin c'est-à-dire
rayonnant à droite et féminin c'est-à-dire absorbant à gauche, avec des nuances
et des irrégularités causées par la différence des habitudes et des caractères.
XII. Les sujets chez lesquels prédomine le magnétisme rayonnant sont des
magnétiseurs. Ceux chez qui abonde le magnétisme absorbant sont des sujets
magnétiques.
XIII. Les magnétiseurs, lorsqu'on ne sait pas leur résister, peuvent être des
fascinateurs et les sujets magnétiques, lorsqu'on ne les domine pas, deviennent
facilement des vampires parmi les vivants.
XIV. Les femmes rayonnantes sont les inspiratrices ou les fléaux des hommes
faibles et les femmes absorbantes sont les Dalilas des hommes forts.
XV. Un homme et une femme supérieurs ne s'accordent jamais ensemble.
Victor Hugo et Georges Sand eussent fait très mauvais ménage et d'un essai de
rapprochement entre Benjamin Constant et Mme. de Staël est né le triste et beau
roman d'Adolphe. Pour aimer Lélia, il faut être Sténio et résigner à la mort de
l'esprit et du cœur.
XVI. J-J. Rousseau obéissait à cette loi magnétique lorsqu'il épousait Thérèse
Levasseur. Thérèse fut longtemps pour lui une compagne douce et dévouée;
mais il lui laissa voir de telles faiblesses qu'elle se crut supérieure à lui et devint
acariâtre. Lorsqu'elle le crut tout à fait fou elle lui préféra un valet. Si l'on veut
rester le maître avec les faibles il ne faut jamais faiblir devant eux.
XVII. Deux personnes forment une force, trois forment un groupe, quatre forment
un cercle. Dans la scène symbolique de la transfiguration, Jésus au centre est
polarisé dans le ciel par Moïse et Élie, et sur la terre St-Pierre au centre est
polarisé par St-Jacques et St-Jean. Deux groupes réunis forment un cercle
parfait.
XVIII. Douze hommes actifs et déterminés à donner leur vie pour propager l'idée
d'un maître peuvent changer la face du monde; les apôtres l'ont bien prouvé et
ils ont fait des miracles.
XIX. Il faut des compères aux escamoteurs et des croyants aux prophètes. Sans
cela rien ne réussit.
XX. Les sorciers eux-mêmes font réellement des prodiges lorsqu'ils sont aidés
par la crédulité des imbéciles.
XXI. Mais je vous dis en vérité, thaumaturges petits ou grands, que vous soyez
prophètes, escamoteurs ou sorciers, ne prêtez jamais au ridicule. Rien ne brise
les cercles magnétiques comme un éclat de rire.
XXII. Un prophète qu'on tue ressuscite le troisième jour; mais un prophète dont
on a ri n'est plus qu'un fou ou un jongleur.
XXVIII. La raison étant la borne contre laquelle se brisent fatalement toutes les
aspirations de la folie humaine, la grande majorité des hommes fuit et déteste la
raison. On les passionne furieusement et on les attache invinciblement en
divinisant pour eux la folie parce qu'ils trouvent dans ce sacrilège l'apothéose de
leurs désirs.
XXIX. Un homme sans passion n'est jamais magnétiseur parce qu'il n'est pas un
foyer d'ivresse; il peut calmer, il n'excite pas. Les vrais apôtres de la raison n'ont
jamais fait de prosélytes; l'avantage qu'ils ont sur les autres c'est que s'ils
n'entrainent personne, personne aussi ne les entraine.
XXX. Mettre une immense folie au service d'une grande raison en cachant la
raison et en décorant la folie, voilà le secret du succès et de l'entrainement des
multitudes.
XXXI. Les sages qui meurent pour la raison lèguent leur science à la folie. Il faut
vivre pour la raison en se servant de la folie : Hoc est arcanum magnum.
XXXIII. Toutes les religions humaines ont un côté vrai et un côté faux. C'est par
leur côté faux seulement et toujours qu'elles inspirent le fanatisme.
XXXIV. Pour faire accepter aux hommes une vérité de plus, il faut l'envelopper
de nouveaux mensonges. Ces voiles successifs sont ce qu'on appelle les
révélations. Les révélations successives sont et doivent être une succession de
mensonges puisque la vérité ne change pas. Dire que Dieu s'est fait Juif avec
Moïse, puis chrétien avec Jésus-Christ, puis musulman avec Mahomet... ce n'est
point parler sérieusement.
XXXV. Les courants magnétiques vont d'un pôle à l'autre en passant par le
centre, sans s'y arrêter jamais. La réaction est toujours proportionnelle à l'action,
mais parfois la réaction gagne en durée ce qu'elle perd en intensité. Après une
année de fol amour on peut se haïr froidement pendant vingt ans.
XL. Ce qui rayonne de nous, sous l'empire de notre volonté, revient à nous sous
l'empire de la fatalité. Si c'est la lumière de vie elle nous immortalisera; si c'est le
phosphore de la mort il nous fera mourir... peut-être pour jamais !
Chapitre V - La Mort
II. C'est un bain dans l'oubli. C'est la fontaine de Jouvence où se plongent d'un
côté les vieillards et d'où sortent de l'autre les petits enfants.
III. La mort c'est la transfiguration des vivants. Les cadavres sont les feuilles
mortes de l'arbre de vie qui aura encore toutes ses feuilles au printemps. La
résurrection des hommes ressemble éternellement à celle des feuilles.
IV. Les formes périssables sont déterminées par des types immortels.
V. Tous ceux qui ont vécu sur la terre y vivent encore dans les empreintes
nouvelles de leurs types, mais les âmes qui ont dépassé leur type reçoivent
ailleurs une forme nouvelle déterminée par un type plus parfait et s'élevant
toujours sur l'échelle des mondes. Les mauvaises empreintes sont brisées et
leur matière retourne à la masse commune.
VI. Nos âmes sont comme une musique dont nos corps sont les instruments; la
musique reste sans l'instrument mais elle ne peut se faire entendre. Sans un
médiateur matériel, l'immatériel est inconcevable et insaisissable.
VIII. Le pêché originel pour lequel Jésus-Christ répond c'est l'innocence rendue à
tous les hommes. La responsabilité devant Dieu suppose la perfection et
l'homme parfait est impeccable.
IX. Les évocations sont les condensations du souvenir; c'est la coloration imagée
des ombres. Évoquer ici-bas ceux qui n'y sont plus c'est faire ressortir leurs
types de l'imagination de la nature.
XI. Le souvenir éternel ne conserve que les choses impérissables. Tout ce qui
passe dans le temps appartient de droit à l'oubli.
XII. La conservation des cadavres est une résistance aux lois de la nature. C'est
un outrage à la pudeur de la mort qui cache ses œuvres de destruction comme
nous devons cacher celles de la génération. Conserver les cadavres, c'est créer
des fantômes dans l'imagination de la terre. Les spectres du cauchemar, de
l'hallucination et de la peur ne sont que des photographies errantes des cadavres
conservés.
XIII. Ce sont les cadavres conservés ou mal détruits qui répandent sur les
vivants le choléra, la peste, les maladies contagieuses, la tristesse, le
scepticisme et le dégoût de la vie. La mort s'exhale de la mort. Les cimetières
empoisonnent l'atmosphère des villes et les miasmes des cadavres rendent les
enfants rachitiques jusque dans le sein de leur mère.
XV. Le Talmud dit que les âmes de ceux qui n'auront pas cru à l'immortalité ne
seront pas immortelles. C'est la foi seule qui donne l'immortalité personnelle; la
science et la raison n'affirment que l'immortalité collective.
XVII. Le péché mortel est le suicide de l'âme. Ce suicide aurait lieu si l'homme
se donnait au mal avec toute la plénitude de sa raison, une connaissance
parfaite du bien et du mal et une entière liberté; ce qui paraît impossible en fait,
mais ce qui est possible en droit puisque l'essence de la personnalité
indépendante c'est une liberté limitée : Dieu n'impose rien à l'homme, pas même
l'être. L'homme a le droit de se soustraire à la bonté même de Dieu et le dogme
de l'enfer éternel n'est que l'affirmation de la liberté éternelle.
XVIII. Dieu ne précipite personne dans l'enfer. Ce sont les hommes qui peuvent
y aller librement, définitivement et de leur choix.
XIX. Ceux qui sont dans l'enfer, c'est-à-dire dans les ténèbres du mal et les
supplices du châtiment nécessaire, sans l'avoir absolument voulu, sont appelés à
en sortir, et cet enfer n'est pour eux que le purgatoire.
XX. Le réprouvé complet, absolu et sans retour, c'est Satan qui est un être de
raison, mais une hypothèse nécessaire.
XXI. Satan est le dernier mot de la création. C'est le fini, infiniment émancipé. Il
a voulu être semblable à Dieu dont il est le contraire. Dieu c'est l'hypothèse
nécessaire de la raison, Satan, c'est l'hypothèse nécessaire de la déraison
s'affirmant comme liberté.
XXII. Pour être immortel dans le bien, il faut s'identifier avec Dieu. Pour être
immortel dans le mal, il faut s'identifier avec Satan. Tels sont les deux pôles du
monde des âmes, entre ces deux pôles végètent et meurent sans souvenir les
animaux et les hommes inutiles.
Chapitre VI - Satan
II. C'est le type opposé au type divin et c'est dans notre imagination le repoussoir
nécessaire. C'est l'ombre factice qui nous rend visible la lumière infinie de Dieu.
III. Si Satan était une personne réelle, il y aurait deux dieux et la croyance des
Manichéens serait une vérité.
IV. Satan est la fiction de l'absolu dans le mal, fiction nécessaire pour
l'affirmation intégrale de la liberté humaine qui, au moyen de cet absolu fictif,
semble balancer la toute-puissance même de Dieu. C'est le plus hardi et peut-
être le plus sublime des rêves de l'orgueil humain.
V. Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal, dit le serpent
allégorique de la Bible. En effet, ériger le mal en science, c'est créer un dieu du
mal et si un esprit peut résister éternellement à Dieu, il y a non plus un dieu,
mais des dieux.
VI. Pour résister à l'infini, il faut une force infinie. Or, deux forces infinies
opposées l'une à l'autre s'annuleront réciproquement. Si la résistance de Satan
est possible, la puissance de Dieu n'est plus. Dieu et le diable se détruisent l'un
l'autre et l'homme reste seul.
VII. Il reste seul avec le fantôme de ses dieux, le sphinx hybride, le taureau ailé
qui balance dans sa main d'homme un glaive dont les éclairs alternés renvoient
l'imagination humaine d'une erreur à l'autre et du despotisme de la lumière au
despotisme des ténèbres.
VIII. L'histoire des malheurs du monde, c'est l'époque de la lutte des dieux, la
lutte qui n'est pas finie, puisque le monde chrétien adore encore un dieu du
diable et redoute un diable de dieu.
XII. Il faut pour cela exagérer en soi-même, outre toute mesure, la perversité et
la démence par les actes les plus criminels et les plus insensés.
XIII. Le résultat de cette opération est la mort de l'âme par la folie et souvent la
mort même du corps foudroyé par une congestion cérébrale.
XIV. Le diable demande toujours et ne donne jamais rien.
XV. Saint-Jean l'appelle la bête parce que son essence est la bêtise humaine.
I. Liberté, égalité, fraternité ! dit la démocratie moderne. Oui, liberté pour les
sages, égalité entre les hommes parvenus au même degré de la hiérarchie
humaine et fraternité pour les gens de bien. Mais servitude nécessaire pour les
insensés, hiérarchie pour l'humanité entière et guerre entre les égoïstes et les
méchants, voilà les lois de la nature.
II. L'humanité est placée sur une échelle immense dont le pied plonge dans les
ténèbres et dont le sommet se cache dans la lumière. Entre ces deux extrêmes
il y a des degrés innombrables.
III. Aux hommes de lumière les paroles claires, aux hommes de ténèbres les
paroles obscures et aux intermédiaires la discussion éternelle des paroles
douteuses.
IV. Les hommes d'en haut sont les voyants; les hommes d'en bas sont les
croyants; les hommes du milieu sont les systématiques et les douteurs.
V. Les voyants sont les sages, les croyants aveugles sont les fous et les
douteurs ne sont rien, mais ils balancent entre la sagesse et la folie, tantôt
montant, tantôt descendant et ne se trouvant bien nulle part.
VI. Il faut la vérité aux sages, il faut le doute au raisonneurs, il faut les fables aux
fous et aux enfants. Contez une fable à un sage, il y verra une vérité. Dites une
vérité à un raisonneur, il la révoquera en doute, dites une vérité à un fou, il la
prendra pour une fable.
VII. Il ne faut donc pas parler à tous les hommes de la même manière.
VIII. Voilà pourquoi les dogmes religieux doivent être obscurs et même absurdes
en apparence. La religion des sages, c'est la haute philosophie et la religion
proprement dite remplace pour les fous la philosophie dont ils sont incapables.
Quant aux douteurs, ils n'ont ni la philosophie ni religion. Une religion dont les
formules seraient raisonnables, serait inutile aux sages et méprisée par les fous.
La religion la meilleure, c'est-à-dire la mieux appropriée aux besoins de la bêtise
humaine, doit donc être la plus obscure et la plus absurde de toutes et c'est ce
qui fait la supériorité incontestable du catholicisme romain.
IX. Pour les sages, cette religion sublime est une sœur de charité. Pour les fous,
c'est l'infaillibilité personnelle du Pape. Pour les raisonneurs, c'est une bêtise...
plus forte cependant et plus victorieuse que leur prétendue raison.
X. On ne donne pas de la religion aux fous avec des raisons et des vertus; il leur
faut des formules inintelligibles et des pratiques minutieuses qui les occupent
sans qu'ils aient besoin de penser. On ne peut même leur laisser accepter la
raison que sous le masque du mystère et de la folie. Si Moïse n'eût sagement
démontré aux juifs que la propreté est nécessaire à la santé, les juifs seraient
restés couverts de vermine et de lèpre. Au lieu de cela, il leur a prescrit des
ablutions légales à certaines heures et avec certaines cérémonies. Il leur a
laissé croire que Dieu s'occupait de leurs vêtements et de leur vaisselle. Il faut
purifier les vases, briser les pots de terre qui ont été imprégnés d'un air vicié, ou
qui ont trop longtemps servi, ne pas s'approcher d'une femme pendant ses
infirmités régulières, etc, etc. Tout cela uniquement parce que Dieu l'ordonne et
que telles doivent être les pratiques de son peuple privilégié. Les rabbins ont
encore enchéri sur Moïse et ont donné aux observances légales un caractère de
tyrannie et d'absurdité qui est la force même du judaïsme et qui l'a fait se
conserver à travers les âges malgré les persécutions du fanatisme et les progrès
de la philosophie. Voilà ce que devraient comprendre les libres penseurs.
XI. Quand le pape Pie IX, pour avoir essayé de concilier la foi et le progrès, la
religion et la liberté, se vit chassé de la ville et de son siège par les compagnons
de Garibaldi et les agitateurs de Mazzini, il vit qu'il avait fait fausse route. Il
comprit que si l'autorité ecclésiastique faillissait, c'est qu'elle manquait
d'absolutisme, que si la foi se relâchait, c'est qu'elle avait besoin de plus
profonds mystères et de plus inextricables absurdités. Alors, il canonisa Saint
Labbre, proclama l'Immaculée Conception et publia le syllabus. Le génie
sacerdotal reconnut alors en lui son vrai maître et les évêques rassemblés à
Rome furent disposés à le proclamer infaillible.
XII. Ce qu'il faut à l'Église, ce ne sont pas des hommes de génie, ce sont des
directeurs habiles et surtout des saints, c'est-à-dire des magnétiseurs
enthousiastes et obéissants. Les hommes de génie n'ont jamais été des
catholiques purs. Bossuet était gallican, Fénélon quiétiste, Pascal janséniste,
Chateaubriand romantique, Lamennais socialiste et maintenant encore ceux qui
troublent l'Église sont des hommes de talent, M. Dupanloup, l'évêque
Strossmayer, le père Gratry, le père Hyacinthe, tous ces hommes remarquables
qui ont le génie de leur siècle et n'ont pas celui du sacerdoce.
XIV. On parle de religion naturelle; mais la plus naturelle des religions, c'est la
plus absurde, puisqu'il est très naturel que les hommes tombent dans l'absurde
quand ils veulent formuler l'inconnu.
XV. Parlez de sagesse à des enfants, ils feront la mine et penseront à
Croquemitaine, mais racontez-leur Peau d'Âne et vous verrez comme ils vous
écouteront.
XVI. Vous dites que les enfants grandiront. Sans doute, mais il y aura alors
d'autres enfants.
XVII. Ne raisonnez pas sur les couleurs avec les aveugles, mais conduisez-les
et ne fermez pas les yeux pour vous laisser conduire par eux. Les oracles qu'on
reçoit les yeux fermés sont ceux des rêves, ou du mensonge. Chez les Hébreux,
quand on voulait faire parler Dieu, on tirait au sort, procédé simple mais naïf.
Chez les Chrétiens, on a mis d'abord les réponses de Dieu à la majorité des voix
dans les conciles sans trop réfléchir au petit nombre des élus et au grand
nombre des fous. Puis on en est venu à faire dépendre l'oracle de Dieu du bon
plaisir du Pape. Le concile de Nicée a décidé que le fils de Dieu est
consubstantiel à son père, lequel est, suivant l'expression de l'évangile,
supersubstantiel, c'est-à-dire au-dessus de toute substance. Le concile
d'Éphèse a déclaré que Dieu, l'Éternel, a une femme pour mère. Le Pape Pie IX
a voulu que cette femme ait été conçue sans péché, ce qui fait dépendre le
péché originel du caprice de Dieu, puisqu'il peut en exempter qui bon lui semble.
Mettre aux voix une formule obscure et contradictoire, n'est-ce pas encore tirer
au sort pour un oracle ? Autant vaut la décision du Pape que celle d'un concile,
quand il s'agit de la substance de Dieu ou de l'immaculation de la Vierge. Et s'il
s'agit de savoir utrum chimoera in vacuum bombinans possit comedere
sucundas intentiones, si le Pape dit oui, je ne me sentirai pas de force à dire non,
rien ne me prouvera que c'était oui qu'il fallait dire. Mais que pour de pareils
questions les princes et les peuples puissent s'armer les uns contre les autres,
c'est ce qu'il ne faudra plus souffrir dès que les hommes seront arrivés à avoir un
peu de raison.
XVIII. L'infini étant une absurdité qui s'affirme invinciblement devant la science, il
faut des formules absurdes pour entretenir chez l'homme qui ne raisonne pas le
grand rêve de l'infini.
XIX. Étant donné une quantité d'hommes sérieux qui tiennent absolument à
savoir s'il faut appeler blanche ou noire, ronde ou carrée, un entité abstraite
impalpable et invisible, lequel vaut mieux : tirer au sort, mettre la chose aux voix,
ou s'en rapporter au président de l'assemblée, en supposant que ce qu'il dira
sera incontestable ? Les trois procédés sont fous mais les dernier est encore le
moins déraisonnable : car on peut piper les dés, on peut acheter des voix, mais
on est sûr que le Pape agira toujours dans son propre intérêt qui est celui du
catholicisme romain.
I. Une femme un jour parut sur une place d'Alexandrie. D'une main elle tenait
une torche allumée et de l'autre une cruche d'eau. Avec cette torche, s'écrie-t-
elle je veux incendier le ciel; avec cette eau je veux éteindre l'enfer pour dissiper
tous les fantômes qui me cachent mon Dieu et ne plus croire qu'en lui seul !
II. Nous ne pouvons pas comprendre Dieu. Nous pouvons à peine savoir ce que
nous disons lorsque nous bégayons son nom; mais nous sentons en nous un
besoin impérieux, invincible, absolu de croire en lui et de l'aimer !
III. Peut-on aimer sérieusement, peut-on aimer longtemps ce qui n'est pas ? Eh
bien l'amour de Dieu est le seul qui dure autant que la vie et qui se sent assez
puissant et assez croyant pour créer la vie éternelle !
IV. Oh oui il est ! Il est bien plus évidemment que nous ne sommes car nous
l'aimons plus que la vie ! Il est meilleur que toutes les bontés humaines, car
nous l'aimons mieux que nos pères et nos mères ! Il est plus beau que toutes
les beautés mortelles car nous l'aimons plus que nos femmes et nos filles !
V. Nos âmes ont faim de divinité, elles ont soif de l'infini et nous sentons nos
cœurs grandir jusqu'à l'immensité dans le rêve du sacrifice éternel.
VI. Tout est de son être, tout vit de sa vie. Tout rayonne de sa lumière; tout rit et
chante de sa joie ! Il est en nous, il est autour de nous, il nous touche, il nous
parle, il pleure dans nos larmes, il nous fortifie dans nos douleurs, il oublie nos
erreurs et se souvient de nos bons désirs; tout ce qu'on aime de beau, tout ce
qu'on désire de bien, tout ce qu'on admire de grand, tout ce qu'on exalte de
sublime... C'est lui ! C'est lui ! C'est lui !
Il est dans tout, tout entier partout sans qu'il puisse être divisé ou contenu. Il
n'est rien de ce que nous pouvons voir, toucher, montrer, mesurer, définir. Il est
tout ce que nous pouvons désirer, admirer, vénérer, aimer.
Il n'est pas l'être, il est le principe de l'être, il n'est pas la vie, il est le père de la
vie; il est plus vrai que la vérité, plus immense que l'immensité, meilleur que la
bonté, plus beau que la beauté. Toute substance vient de lui mais lui-même n'a
pas de substance. En lui tout est loi sans être contrainte, tout est liberté sans
antinomie et sans antagonisme; sa volonté est immuable et n'est pas enchaînée;
il peut tout ce qu'il veut et ne peut vouloir que le bien. C'est l'affirmation éternelle
du vrai, du beau, du bien et du juste. C'est l'inaltérable sérénité d'un soleil sans
déclin. Jamais il n'interrompt le cours de ses lois; il n'agit sur l'homme que par la
nature; il ne s'irrite ni ne s'apaise et nous ne le prions que pour nous apprendre
et nous exercer à désirer le bien !
VII. Que peut-on dire lorsqu'on essaie de parler de lui sinon des incohérences et
des absurdités ? N'est-il pas l'infini indivisible, le tout sans parties, l'existant sans
substance ? Dogmes humains, paroles de délire, soyez oubliés. Dieu serait fini
s'il pouvait être défini; ne parlons plus de lui, vivons à jamais dans son amour.
Symboles, images, allégories, légendes, vous êtes les rêves de son ombre...
l'amour est la réalité de sa lumière.
VIII. Aimons la vérité, aimons la raison, aimons la justice et nous aimerons Dieu
et nous lui rendrons le vrai culte qu'il demande. Aimons tout ce qu'il a créé, tout
ce qu'il anime, tout ce qu'il aime et nous le sentirons vivre en nous.
IX. Communions à lui, communions les uns aux autres, communions. Voilà le
dernier mot de la foi universelle. Communions, dis-je et non plus excommunions
!
X. Celui qui excommunie s'excommunie. Celui qui maudit se maudit. Celui qui
réprouve se réprouve. La damnation seule est damnée.
XI. Nous avons le Coran disent les partisans de l'Islamisme; à quoi bon le Coran,
disent les chrétiens puisque nous avons l'Évangile ? À quoi bon l'Évangile,
disent les Hébreux, nous avons le Sepher Thora. Et moi je dis : à quoi bon le
Sepher Thora puisque nous avons Dieu ?
Mais ces livres sacrés sont comme les voiles de diverses couleurs qui étaient
superposées sur le tabernacle. Vive Dieu dans le Coran ! Vive Dieu dans
l'Évangile ! Vive Dieu dans le Sepher Thora ! Mais par-dessus tout, vive Dieu
dans le cœur des justes ! Vive Dieu dans la justice et dans la charité, vive Dieu
dans la solidarité et la fraternité universelles !
XII. Aimer Dieu, c'est voir Dieu. Dieu n'est visible que pour l'amour et cet amour
est la récompense des cœurs purs. On le sent éternel; on le sent infini. On ne
définit rien, on ne cherche rien, on ne doute de rien, on ne craint rien, on ne
désire rien, on l'aime.
XIV. L'amour divin est le père des vrais miracles : il transforme la nature, il donne
à la douleur un attrait plus grand que celui du plaisir, il monte et grandit sur les
obstacles, il crée un monde fermé à la science et à la philosophie, il est la
splendeur derrière le voile, il est la réalité qui nous envahit tout à coup et qui
vous fixe dans une conviction plus inébranlable que toutes les certitudes
humaines.
XV. Sans l'amour divin on ne peut aimer les hommes : les hommes sans père
n'ont pas de frères. L'homme est un monstre pour l'homme sans Dieu.
XVI. Avec l'amour divin l'éternité bienheureuse commence : nous sommes dans
la gloire, nous sommes dans le ciel, nous demeurons dans l'infini.
XVII. Qu'il me couvre de la pourpre de Salomon ou des ulcères de Job, je lui dirai
: je t'aime. S'il me dit : je te chasse de ma présence, je répondrai : je t'aime et ta
présence me suivra. S'il dit je te réprouve je répondrai je te choisis ! Et s'il veut
tonner mon amour prendra des ailes pour s'élever plus haut que le nuage et
marchera sur la tempête.
XVIII. C'est que je ne crois pas au dieu des hommes, je crois au Dieu de Dieu
même ! Je crois à cet amour surnaturel qui est la toute puissance de Dieu vivant
à jamais dans mon cœur !
XIX. Je le bénirai dans les villes et dans les campagnes, dans les déserts et sur
les mers ! Je le prierai dans les églises au bruit mystérieux des orgues, je le
proclamerai dans les synagogues aux éclats du Zohar, je me prosternerai devant
lui dans les mosquées à l'appel monotone du Muezzin... Mais mieux que tout
cela et suivant la parole du grand maître, je me retirerai dans ma chambre et je
le prierai dans mon cœur.
XX. Je me retirerai dans une solitude mais je n'y resterai pas enfermé. Dieu est-
il donc avec moi seul ? N'est-il pas vivant dans la nature entière ? La beauté ne
s'épanouit-elle pas dans les fleurs, dans les enfants et dans les femmes ? Ne
sent-on pas au milieu des faiblesses et des agitations des hommes la force qui
les domine et qui les mène ? Je ne fuirai donc pas les hommes puisque leurs
vanités m'ennuient; je serais égoïste et je me tromperais en disant que j'aime
Dieu.
J'aimerai tes enfants, ô mon père, surtout lorsqu'ils seront malades et sembleront
délaissés de toi; car alors je penserai que c'est à moi que tu les confies. Je
pleurerai avec ceux qui pleurent, je rirai avec ceux qui rient, je chanterai avec
ceux qui chantent. Les caresses d'un enfant me feront tressaillir de joie et le
sourire d'une femme me fera rêver à ton amour. Car il n'y a point de maudits ni
de bâtards dans ta famille. Tu as tout créé dans ta sagesse et tu conduiras tout
à bien par ta bonté.
Tout amour vient de toi et retourne à toi. La femme est la ménagère de ta grâce
et le vin qui réjouit le cœur de l'homme est l'auxiliaire de ton esprit. Loin de moi
ceux qui te calomnient et qui donnent ton nom à d'exécrables images. Qu'on
oublie à jamais ce cauchemar de l'antique barbarie, ce bourreau de ses
créatures qui les entassent dans un immense pourrissoir où il les conserve
vivantes en les salant avec du feu !
Qu'on méprise à jamais ce maître capricieux comme une courtisane romaine qui
choisit les uns et réprouve les autres, qui s'irrite à jamais pour un oubli, qui se
sacrifie à soi-même son propre fils en faveur de ceux contre lesquels il ne lui
plaît pas de s'irriter et qui n'en devient que plus impitoyable pour tous les autres !
Vieilles idoles, vieilles erreurs, nuages difformes de la nuit des anciens âges, le
soleil se lève, ses rayons nous percent de tous côtés comme des flèches d'or.
Repliez-vous du côté de la nuit, nuage d'hiver, le printemps souffle, dissipiez-
vous, passez, passez !
XXI. L'homme n'est pas, il n'a jamais été, il ne sera jamais infaillible quelles que
soient ses prétentions et ses dignités sacerdotales. Il n'y a d'infaillible que
l'amour suprême uni à l'absolue raison.
XXII. La raison sans amour manque de justesse dans l'ordre moral parce qu'elle
manque de justice. L'amour sans raison conduit fatalement à la folie. Ayons
donc foi en l'amour inséparable de la raison.
XXIII. Avec cette foi, si vous savez, si vous voulez, si vous osez et si vous avez
l'art de vous taire vous serez plus forts que le monde et le ciel et la terre
accompliront vos volontés. Vous ferez suivant la promesse du Christ, tous les
miracles qu'il a faits et même de plus grands encore.
Le mal disparaîtra devant vous et la douleur se changera en consolations
divines. Vous sentirez en vous la vie éternelle et vous n'appréhenderez plus la
mort. Rien ne vous manquera, vous n'aurez plus de déception dans la vie. Ceux
qui voudront nous nuire se nuiront à eux-mêmes et vous feront du bien. Vous
aurez la richesse pour auxiliaire, la pauvreté pour sauvegarde et pour amie, mais
la hideuse misère n'approchera jamais de vous.
Les esprits du ciel vous accompagneront et vous serviront. La Providence
accomplira et préviendra même tous vos désirs. Votre souffle purifiera l'air, votre
parole répandra la joie dans les âmes, votre contact rendra la santé aux
malades, si vous tombez vous ne vous blesserez point et si l'on vient vous faire
du mal, le mal retournera sur celui qui l'aura voulu.
Chapitre IX - La Science
I. L'absolu indéfini c'est l'être et l'absolu défini c'est le savoir. L'être inconscient
ne s'affirme pas, il est affirmé par la conscience d'un autre être. L'être qui
s'affirme c'est l'être qui sait. Le savoir absolu est identique à l'absolue entité de
l'être. L'être moral est proportionnel au savoir. Plus on sait, plus on est et plus
on est plus on mérite et plus on doit.
II. La science est le point fixe autour duquel l'amour c'est-à-dire la foi doit faire
circuler la raison.
III. La science est le principe de sagesse; elle s'élève du fait à la loi et ne connaît
rien au-dessus; mais elle s'incline alors devant la foi qui voyant combien la loi est
bonne en conclut qu'elle est voulue par une volonté sage.
IV. La foi qui précède la science ne peut être que provisoire à moins qu'elle ne
soit insensée.
VII. La science affirme l'infini, brise toutes les chaînes et renverse toutes les
prisons de la pensée. Elle abaisse le ciel jusqu'à nous et ouvre à nos âmes des
horizons illimités, elle analyse les soleils, elle voit partout fourmiller les astres sur
nos têtes, à côtés et sous nos pieds, elle étend partout la lumière et la vie et ne
laisse plus de place ni pour la mort, ni pour l'enfer.
VIII. La science dissipe les terreurs de l'inconnu, nous délivre de nos préjugés,
donne une règle certaine à nos désirs et une carrière infinie à notre activité
stimulée par de légitimes espérances.
XII. Le tombeau ! Cette porte qui en s'ouvrant de notre coté ne nous laisse rien
voir de ce qu'il y a au-delà, cette porte attire mon désir de l'inconnu. Là, je le
sens, là ne s'arrête pas la science; c'est le seuil du sanctuaire où se cache
l'absolu; c'est l'entrée d'une science nouvelle !
XIII. Savoir c'est avoir, savoir c'est être, savoir c'est vivre ! Croire, espérer, aimer
qu'est ce que cela si l'on ne sait ni ce qu'on croit ni ce qu'on espère, ni ce qu'on
aime ?
XV. La science veut la religion parce qu'elle sait que la religion est nécessaire.
Elle veut une religion efficace c'est-à-dire créatrice et réalisatrice de la foi. Elle
veut une religion hiérarchique parce que la hiérarchie est la loi universelle de la
nature. Elle veut une religion monarchique parce qu'il ne peut y avoir qu'un Dieu
et que la monarchie réglée par les lois est le gouvernement le plus simple, le
plus fort et le plus parfait. La science veut donc la religion telle qu'elle est
préparée dans l'Église catholique, apostolique, et jusqu'à présent romaine. Les
pasteurs ignorants de cette Église ont beau vouloir marcher à reculons, la terre
tourne quoi qu'en aient dit les juges de Galilée et elle les emporte en avant.
XVI. Pendant dix-huit siècles et demi, ils se sont déclarés infaillibles, d'une
infaillibilité divine, miraculeuse, indéfectible ; et cette puissance que la raison
absolue peut seule avoir, ils viennent de l'abdiquer spontanément, librement. Ils
ont fait cela dis-je, eux, et non par la révélation; ils ont fait cela, après
délibération, discussion et à la majorité des voix comme se font les lois
humaines. Maintenant c'est le Pape seul qui est infaillible de leur infaillibilité à
eux et non plus celle de Dieu. Le miracle a cessé, la convention disciplinaire lui
succède.
N'est-ce pas là cet immense évènement dans l'ordre religieux vers lequel,
suivant Joseph de Maistre, nous marchions avec une vitesse accélérée ? Vous
voyez bien qu'elle aussi, elle marche cette Église soi-disant retardataire. Vive
donc la nouvelle infaillibilité du souverain pontife ! Est-ce que le dogme n'est pas
constitué ? Est-ce que les bases de la foi peuvent être remises en question ? Et
ne suffit-il pas pour imposer silence aux théologâtres disputeurs de la voix du
pasteur suprême ? Vienne un Pape homme de science et de génie et par son
infaillibilité personnelle, il pourra régénérer l'Église, supprimer les abus, ôter toute
raison d'être au protestantisme, réunir tous les croyants, abolir tous les
anathèmes, bénir même les Bouddhistes et les Musulmans, ce qui serait à
jamais impossible s'il avait besoin pour cela de l'assentiment d'un concile.
XVII. Tout dogme qui devient nécessaire doit par le fait même de sa nécessité
être considéré comme révélé de Dieu puisque Dieu c'est la Providence, puisque
la loi religieuse est faite pour l'homme et non l'homme pour cette loi, puisque
toute révélation vient de l'inspiration des hommes qui croient et font croire aux
autres ce que la piété leur suggère. Car c'est ainsi que la science peut
comprendre et expliquer la foi.
XXII. L'homme infaillible est celui qui affirme ce qui lui est démontré, admet
l'hypothèse nécessaire, examine les hypothèses probables, tolère les
hypothèses douteuses et rejette les hypothèses absurdes : celui qui règle sa
croyance d'après des lois et non suivant des opinions. Celui qui tire toujours le
bien du mal pardonne, console, ne s'irrite jamais et ne désire rien avec
emportement. De celui-là on peut dire ce qu'on a dit de Dieu même : il est
patient parce qu'il est éternel.
XXIII. La science ne voit que des phénomènes où l'ignorance voit des miracles.
Elle étudie les merveilles de la nature et les trouve plus grandes que les
prétendus prodiges. Elle reconnaît les lois suprêmes et n'admet point de
caprices divins. Elle sait que dans l'univers la matière obéit à la force, la force à
la loi et que la loi est immuable comme Dieu.
XXV. L'Église ne peut rien décider qui soit contraire à la science et par
conséquent à la raison car son jugement alors serait celui d'un tribunal
incompétent.
XXIII. La Bible nous dit que ce qui a perdu l'homme, c'est la science du bien et
du mal. En effet, une pareille science s'annule d'elle-même en affirmant
simultanément les deux contraires les plus inconciliables que puisse concevoir la
pensée humaine. C'est comme si on disait : la science de ce qui est vrai et de ce
qui n'est pas, la science de la vérité et de l'erreur. Le néant et l'erreur peuvent-ils
être l'objet d'une science ? Existe-il une science de la maladresse et de la
sottise ? La science du mal, c'est la création du diable, c'est l'affirmation de
l'enfer éternel, c'est la négation de tout ce que peut affirmer la science : c'est
l'ignorance érigée en principe, c'est la royauté la mort.
XXIV. Les théologiens et les casuistes sont les Normands du pommier d'Ève et
en ont semé les pépins; ils l'ont replanté, greffé et multiplié, ils en récoltent les
fruits et en font du cidre qu'ils laissent vieillir dans des barriques à fermoir qu'on
appelle des in-folio.
XXV. La seule vraie science qui est la science du bien exclut l'ignorance qui fait
commettre le mal. Voilà le pommier d'Éden singulièrement émondé.
XXVII. Offenser Dieu, c'est se heurter contre la raison suprême. Or, la raison
suprême brise sans colère et sans pitié tout ce qui s'oppose à elle, car elle fait la
loi et elle est elle-même la loi.
XXX. Si, jusqu'à présent dans le monde, les méchants ont paru plus forts que les
bons, c'est que les méchants savent faire le mal et que les bons ne savent pas
faire le bien.
XXXI. C'est que les méchants observent et agissent tandis que les bons se
contentent de croire et de prier. Ce sont des dupes qui se prennent pour des
martyres.
XXXII. La vraie religion est inséparable de la vraie science. Il faut savoir croire
avec raison.
Chapitre X - L'action
X. La mort apparente, c'est une action particulière qui cesse et qui disparaît dans
l'action universelle.
XI. La mort, c'est l'océan de la vie dans lequel retombent tour à tour les gouttes
d'eau devenues plus lourdes que le nuage. Puis le soleil fera relever un nouveau
nuage sur la mer et les gouttes d'eau flotteront encore dans le ciel avec leur robe
de vapeur.
XII. Devons-nous donc mourir mille fois ? Non ! Pas même une fois ! Car la
mort est la chimère des vivants qui ont peur d'elle. La mort n'existe que dans la
crainte de la mort et cette crainte, nous l'oublions quand nous voyons que la mort
n'est pas. L'Éternité ne se souvient que de la vie.
XIII. Agir contre l'action universelle, c'est vouloir se briser. Agir avec l'action
universelle, c'est exercer la puissance divine; ici se trouve suffisamment indiqué
le grand arcane de la haute magie.
XIV. Les actions de l'homme modifient l'homme. Nous sommes tous les fils de
nos œuvres.
XV. La substance inerte nommée matière est le point d'appui du levier moral; elle
repousse et reflète en quelque manière l'action qu'elle subit, elle s'imprègne de la
volonté de l'homme et peut devenir par l'influence magnétique, soit un
médicament, soit un poison.
XVI. Le vin versé par les sages réjouit et fortifie; le vin des insensés enivre et
donne le vertige.
XVII. La matière est ce que les sages veulent qu'elle soit. Ainsi s'explique le
mystère de la transsubstantiation.
XVIII. La foi qui transporte les montagnes n'est autre chose que la coalition des
volontés actives pour la réalisation d'un rêve ou d'une utopie.
XX. Les grandes religions produisent de grands peuples, parce qu'elles forment
de grandes forces collectives et inspirent de grandes actions.
XXI. Il n'y a point de héros dans la solitude. Des actes sublimes sont toujours
déterminés par l'enthousiasme de plusieurs. Les grands crimes sont également
le résultat d'une perversité collective. Le diable, dans l'Écriture, s'appelle légion
et le bien triomphant s'appelle le Dieu des armées.
XXIII. Les faibles parlent et n'agissent pas, les forts agissent et se taisent.
XXIV. On a parlé d'une épée dont la poignée est à Rome et dont la pointe se fait
sentir partout. Si cette épée existe, celui qui l'a forgé était un habile armurier;
tâchez d'en faire une pareille.
XXV. Weishaupt l'a essayé, mais son œuvre n'a jamais été durable, parce que
les disciples ne disaient ni la messe, ni le bréviaire, ni le chapelet tous les jours.
XXVI. Qu'un Chrétien cesse de pratiquer il ne croira pas longtemps, mais si un
incrédule commence par pratiquer bientôt il croira. Car la volonté ne peut pas
longtemps être séparée des actes.
XXVIII. La religion et la magie font également des miracles, mais le dieu de l'une
est le diable de l'autre et réciproquement.
XXIX. Mettez du blanc sur dur noir, le blanc deviendra une splendeur; mettez du
noir sur du blanc, le noir deviendra une profondeur. Mêlez ensemble le blanc et
le noir, vous obtiendrez une nuance terne et désagréable qu'on appelle le gris.
XXX. Dans le monde divin, il y a les anges blancs et des anges noirs, mais il n'y
a pas d'anges gris. Dans le monde intellectuel, il y a l'absolu affirmatif et l'absolu
négatif, mais le doute n'existe pas. Dans le monde moral, il y a le bien et le mal,
mais il n'y a pas de milieu. Dans le monde de l'action, toute activité est la vie,
mais l'inaction est la mort. Jésus accepte le chaud et le froid, mais il vomit ce qui
est tiède.
I. Toute force veut une impulsion, nécessite une action et s'appuie sur une
résistance.
III. Toute action répétée détermine la force; la force continue, quelque minime
qu'elle soit, triomphe de toute inertie.
IV. Les actes les plus indifférents en apparence, dirigés par une intention et
répétés avec persistance font triompher cette intention. C'est pour cela que
toutes les grandes religions ont multiplié leurs pratiques et attachent la plus
grande importance à ces pratiques. Un coup de pioche asséné par Hercule ne
percerait pas la masse d'un rocher, mais une goutte d'eau qui tombe à même
place, d'heure en heure, finit par trouer une voûte immense de pierre.
VII. Toute force veut une faiblesse, s'exerce sur une faiblesse et triomphe par
une faiblesse.
VIII. La plus grandes des faiblesses humaines, c'est l'amour, et c'est pour lui que
la force humaine a fait ses plus grands miracles.
X. Moi qui écris ces lignes, je me sacrifie depuis quarante ans à des travaux
ingrats parce que je crois à leur utilité, comme si tout ce que je pense et tout ce
que j'écris n'avait pas été pensé et écrit inutilement par d'autres.
XI. Si l'homme n'avait pas un grain de folie, il ne ferait usage de sa raison que
pour s'éloigner de toutes les peines et se défier de tous les plaisirs; mais alors il
ne vivrait pas, il végéterait enfermé dans sa carapace comme un mollusque.
XIII. Salomon dit : sur toutes les femmes, je n'en ai pas trouvé une. À cela la
froide raison répondrait : prenons-les toutes pour ce qu'elles valent. Mais la
douce folie d'amour proteste et dit : si nous avons mal choisi, choisissons
encore, puis la sagesse ajoute : vivons de nos rêves, n'en mourons pas.
XIV. Il en est de même des religions. Sur toutes, pas une n'est raisonnable,
disait Voltaire. Je le crois bien. Est-ce que les femmes sont raisonnables ? La
religion est la femme de notre esprit. On ne peut pas être à la fois de toutes les
religions et notre âme a besoin d'en pratiquer une.
XV. Alors, si l'on veut un culte efficace il faut être magicien ou catholique, ce qui
est au fond la même chose, car la religion catholique c'est la magie régularisée
et vulgarisée.
XVI. Quelle est la force qui nous fait désirer une femme ? La passion. Et bien,
la religion catholique seule est une religion passionnée. Elle est insensée et par
cela même invincible pour la raison, jalouse, exclusive, et pour cela même
entraînante. Elle seule fait des miracles et nous fait toucher Dieu !
XVII. Mais la religion et la femme préférée sont comme le sphinx; il faut deviner
leur énigme ou périr; il faut les posséder et n'en pas être les esclaves, il faut en
comprendre et non en subir les mystères. Il faut s'en rendre maître enfin comme
Ulysse s'est rendu maître de Circée ! Qui habit aures audiendi audiat.
XVIII. Pour le sage, les prêtres sont les ministres, c'est-à-dire les serviteurs de la
religion; ils n'en sont ni les arbitres ni les maîtres.
XIX. Notre conscience peut avoir besoin d'être éclairée, mais elle ne doit être
dirigée que par la raison unie à la foi.
XX. Il faut prendre conseil d'un homme éclairé et désintéressé, d'un homme libre
et prudent. Ce qui, vu l'organisation actuelle du clergé ne se trouve guère parmi
les prêtres. Quoi de plus insensé lorsqu'on voit mal, que de prendre pour guide
un aveugle, uniquement parce qu'il est tonsuré et qu'il porte un surplis blanc sur
une robe noire.
XXI. La religion sanctionne le devoir. Mais elle n'est pas plus un devoir que
l'amour. Elle est un secours offert à notre faiblesse. Elle est un besoin de l'âme.
Elle est un entraînement du cœur ou elle n'est rien.
XXII. Elle peut aller au-delà de la raison mais jamais contre la raison; plus loin
que la science mais jamais malgré la science. Autrement elle se détruit elle-
même en se prouvant évidemment fausse. Alors, elle n'est plus une auxiliaire de
la force, elle devient une maladie de l'esprit et une faiblesse de l'âme.
XXIII. Pour que les contraires s'affirment soit simultanément, soit séparément et
alternativement, il faut de toute nécessité qu'ils ne soient pas contradictoires.
XXIV. Quand l'enthousiasme nous emporte plus loin que la raison, il semble nier
la raison, mais quand la raison vient à son tour corriger les erreurs de la foi, elle
semble repousser la foi. L'une et l'autre cependant nous portent tour à tour dans
le progrès, comme dans la marche on s'appuie alternativement sur les deux
jambes.
XXV. L'homme qui marche ne s'appuie jamais que sur un pied à la fois. Celui
qui pose en même temps les deux pieds à terre ne marche plus. Mais l'erreur de
beaucoup d'hommes, c'est de vouloir se servir exclusivement de la raison ou de
la foi et de ressembler ainsi à un enfant qui ne voudrait marcher qu'à cloche-
pied.
XXVII. Lorsqu'on a un pied sur lequel on ne peut s'appuyer sans tomber, il faut le
couper, dit Jésus-Christ. Le remède est violent et Jésus-Christ disait cela sans
doute parce que de son temps on n'avait pas encore inventé l'orthopédie. Mais
on n'a que trop suivi son conseil et c'est pour cela que l'Église boite du côté de la
raison et que la philosophie boite du côté de la foi.
XXVIII. Lier ensemble les deux jambes, ce serait n'en faire qu'une et cela
rendrait la marche impossible. Pour que les jambes se prêtent un mutuel
secours, il faut qu'elles soient dégagées et absolument libres l'une de l'autre, il
en est de même de la raison et de la foi. Imposer des croyances à la raison et
demander à la foi des démonstrations scientifiques c'est paralyser l'une par
l'autre. Lorsqu'on a une jambe qui gêne l'autre, on est bancal et le grand
problème de nos jours c'est de trouver l'orthopédie des âmes. Pour ceux qui ont
compris mes livres, j'ai peut-être le droit de dire : Eureka ! Établir que la solution
d'un problème est nécessaire, c'est prouver qu'elle est possible, et prouver
qu'elle est possible c'est la donner.
XXIX. Concilier la foi avec la raison, c'est croire que le dogme universel sous ses
formes diverses, est l'expression progressive des aspirations humaines vers la
divinité ; aspirations qui ne sont ni fictives dans leurs sources ni arbitraires dans
leurs formes, aspirations qui viennent de dieu comme toutes les forces de la
nature. Qu'ainsi le dogme est révélé et se révèle toujours. Mais que les
symboles ne sont pas des définitions scientifiques, les allégories des histoires,
les sacrements des opérations physiques et que les absurdités évidentes de la
forme, devant les appréciations rationnelles, prouvent qu'il faut chercher ailleurs
et plus haut les réalités cachées sous ce mystérieux enseignement.
II. Toutes les souffrances de nos cœurs viennent de ce que nous aimons pour
recevoir et non pour donner, pour posséder et non pour améliorer, pour absorber
et non pour immortaliser.
III. Pour être heureux, il ne faut rien convoiter, rien désirer avec entêtement mais
il faut acquiescer à la loi, vouloir le bien et espérer la justice.
IV. Il ne faut s'identifier à rien de ce qui se corrompt; s'attacher à rien de ce qui
passe, laisser absorber sa vie par rien de ce qui meurt.
VI. Il faut aimer l'amitié dans notre ami, la jeunesse et la grâce dans notre amie.
Il faut admirer dans les fleurs le printemps qui les renouvelle et ne pas s'étonner
de voir des fleurs qui se flétrissent et des mortels qui changent.
VII. Il faut boire le vin quand il est bon et le jeter quand il est gâté.
IX. Il faut donner de bon cœur à celui qui la trouvera, la pièce d'or qu'on a perdu.
X. Si nous voyons mourir l'arbre qui nous avons planté, chauffons-nous avec le
bois mort et plantons mieux un autre arbre.
XI. Ne murmurons jamais quand nous avons ce que nous avons choisi.
XII. Quand notre sort n'est pas de notre choix, tirons-en le meilleur parti possible
et attendons en travaillant.
XIII. Cherchons le vrai avec simplicité sans nous passionner pour une idée ou
pour une croyance.
XV. Ne nous indignons jamais, rien ne mérite notre indignation et rien ne nous
donne le droit de nous indigner. Les crimes sont des catastrophes et les
méchants des malades qu'il faut éviter sans les haïr.
XVII. Aimons toujours. L'amour est immortel, son objet ne saurait mourir, mais
les amours de la terre ne continuent que sur la terre. L'être aimé qui meurt à la
vie individuelle, vit encore et plus que jamais dans la vie collective et c'est lui
encore que nous aimons dans l'objet d'un nouvel amour.
XVIII. Pauvre mari qui pleure et qui croit que ta femme est morte, elle va revenir,
attends-la, elle est allée changer de robe.
XIX. Nous, ce sont les autres, et les autres, c'est encore nous.
XX. Il est très peu d'hommes et de femmes qu'on regrette après vingt ans et
qu'on voulut alors ressusciter pour les reprendre.
XXI. De même que très rarement, lorsqu'on a eu dans sa jeunesse une passion
malheureuse, on regrette vingt ans après de n'avoir pas épousé la personne
qu'on désirait alors avec tant d'ardeur.
XXII. Les éternités de l'amour sexuel sont des éternités de sept à dix ans.
XXIII. Dans l'autre vie tout cela sera oublié et l'on se retrempera dans la fraîcheur
d'une vie nouvelle et dans la chaste ignorance du berceau.
XXV. Celui-là n'aurait jamais de peines morales qui aurait la puissance d'oublier.
XXVI. Le seul qu'on ne puisse et qu'on ne doit jamais oublier c'est Dieu, puisqu'il
est nécessairement et absolument présent à toutes nos existences successives.
XXVII. Et dans tout ce que nous aimons, nous cherchons uniquement un charme
qui vient de lui, qui reste en lui et que nous retrouvons toujours.
XXVIII. Il y a, sur les êtres qui nous sont sympathiques, un certain signe que
nous reconnaissons comme une signature de famille et dans toutes ces
transformations nous retrouvons toujours les nôtres.
XXIX. Mais ce signe peut s'effacer sur tel ou telle et après une révolution
d'existence, nous ne nous souvenons pas plus de celui-là ou de celle-là que s'il
n'avait jamais existé pour nous.
XXX. Ne regrettons donc jamais personne. Nous retrouverons toujours ceux que
nous devons toujours aimer.
XXXI. Jamais de vrais amis ne sont réellement séparés. Dieu remplit toutes les
distances et ne laisse pas de vide entre les cœurs.
XXXIII. Un proverbe vulgaire dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Cela
n'est pas vrai. Le ciel est étoilé de bonnes intentions qui ont produit sur la terre
des actions maladroites et l'enfer et pavé de mauvaises intentions qui voulaient
remplir le ciel de fausses vertus.
XXXIV. Dans l'évangile, le retour au bien est préféré à l'innocence et cela est
juste, car la vie est un combat et l'innocence n'est pas une victoire.
XXXV. Dieu donne à chacun dans cette vie un animal à dompter. Les plus
favorisés sont ceux qui luttent contre un lion, quelle gloire auront ceux qui
n'auront dompté qu'un agneau ?
XXXIX. Dieu est avec les justes et dans les justes, dans les sages et avec les
sages. La religion est l'échelle d'or que Jacob a vu en songe et qui fait
communiquer le ciel avec la terre; mais les bronzes, les marabouts, les brames,
les fakirs, les rabbins, les ulémas et les moines veulent en faire la tour de Babel
qui met la confusion dans les idées, rend les paroles inintelligibles et divise les
nations.
C'est le sacerdoce qui est le ver rongeur de l'arbre des croyances universelles.
Aussi le Christ s'était-il donné pour mission de détruire le sacerdoce et de le
remplacer par le presbytérat, c'est-à-dire par la liberté organisée sous la
présidence des anciens.
Le sacerdoce caste, le sacerdoce profession lucrative, le sacerdoce autocrate
des consciences, le sacerdoce usurpateur des choses temporelles, voilà ce que
le christianisme devait détruire : et voilà ce que les hommes ont effrontément
rétabli en Son nom. C'est pour cela que le socialisme a remplacé le
christianisme. C'est un nom nouveau représentant la même idée Or, le
socialisme accompli sera le Messianisme, mais ce nom inintelligible pour le
vulgaire est sacré pour les élus, c'est-à-dire les initiés.
L'exclusivisme religieux c'est la c'est la concurrence des boutiques sacerdotales
chacun dit : Prenez mon onguent, celui de mes concurrents est un poison.
Marchants d'eau de Cologne, c'est moi qui suis le vrai Jean-Marie Farina. Jésus
a vainement essayé de chasser les boutiquiers du temple ; il n'y a pas réussi. Il
les a, un jour très illégalement et très imprudemment dérangés, mais justice a
été faite : on a crucifié le perturbateur et l'ordre a été rétabli.
Tant que la religion sera l'occasion d'un commerce quelconque, il n'y aura pas de
religion sérieuse. La liberté commerciale est un principe, et cette liberté a,
jusqu'à présent, autorisé l'exploitation de la crédulité des imbéciles. Tous ceux
qui se font payer pour quelque chose vendent quelque chose, tous ceux qui
vendent quelque chose sont des marchands. Le sacerdoce est un commerce, le
presbytérat serait une fonction respectable parce qu'elle saurait être rétribuée.
Quand St-Paul a dit : il faut que le prêtre vive de l'autel, il a confondu le
presbytérat avec le sacerdoce. Le sacerdoce ancien tuait pour manger ; le
presbytérat de Jésus-Christ se fait tuer pour que les autres mangent. Tout prêtre
qui vit de l'autel mange la chair des pauvres et boit le sang du peuple. Or, Jésus
a donné aux pauvres et au peuple sa propre chair à manger et son sang à boire.
C'est pour cela que le règne temporel de Rome est fini et que son règne spirituel
a dû finir par l'usurpation de la divinité et le ridicule plus insupportable que la
mort.
XL. Cependant les magnificences du culte catholique ne doivent pas plus finir
que les beautés de la mythologie antique et les splendeurs du Panthéon de
Phydias. Marie est immortelle autant que la Vénus Uranie dont l'image trouvée à
Milo indique une lyre qui lui manque avec ses deux bras. Retrouvons la lyre de
la Vénus éternelle et nous rendrons à l'Église catholique la science de son
dogme et les harmonies de son culte.
Postface
Eliphas Levi
Ce 20 Décembre 1870
LES PARADOXES
DE
LA HAUTE SCIENCE
PAR L'AUTORITE
15
La Religion, c'est la poésie collective des grandes âmes chez les Ultramontains. Les uns et les autres ont fait de
ses fictions sont plus vraies que la Vérité, plus vastes que Dieu un personnage qu'ils ont doué de leurs propres carac-
l'Infini, plus durables que l'Eternité. En d'autres termes, tères distinctifs et de leurs propres défauts. (1)
elles sont essentiellement paradoxales.
Tout homme adore le Dieu qu'il s'est créé à lui-même,
C'est le rêve de l'Infini dans l'Inconnu, du possible dans
à sa propre image, ou qu'il a permis à certaines autorités
l'impossible, du défini dans l'indéfinissable, du progrès dans
de lui imposer, malgré que celles-ci aient plus ou moins
l'immuable, de l'Etre absolu dans le Non-Etre.
intérêt à maintenir leurs fidèles dans l'ignorance et la
C'est le raisonnement ultime de l'Absurde qui s'affirme
faiblesse. Adorer dans la crainte et le tremblement, c'est
pour nier le Doute, la science de la Sottise, l'embrassement
presque haïr, quoique la crainte masque la haine. Adorer
de la Folie et de la Connaissance. Ce sont les cris de l'aigle
sans peur, c'est aimer.
qui plane au-dessus des nuages, le rugissement du lion de
l'Apocalypse qui a pris des ailes et s'envole ; c'est le mugis- La vrai piété, fondement de toute religion, est l'exalta-
sement du taureau sous le glaive du sacrificateur, et le tion de l'amour ; car l'amour élevé au plus haut point n'ad-
gémissement sans fin de l'Humanité au seuil de la tombe. met plus la possibilité de la limite ; l'impossible est son
Pour l'homme, Dieu est et ne peut être que l'idéal de
l'homme. En soi Dieu est l'Inconnu, mais, dans sa révé-
(1) Dans une revue de Wilson - « Chapitres sur l'Evolution » - dans « La
lation à la fois divine et humaine, il est l'homme paradoxal, Connaissance », 23 février 1883, on lit le passage suivant qui montre
le substanciel sans substance, le personnel sans définition, comment la science occidentale glisse lentement vers le point occupé
durant des milliers d'années par les Occultistes : « De très bonne
l'immuable qui se transforme, sans avoir de forme, l'omni- heure on a vu que la Théorie (de l'évolution) était accréditée par la
potent luttant sans cesse contre la faiblesse de l'homme, la majorité ; il était déjà admis que l'homme ne pouvait pas, rationnel-
lement, être exclus de la Loi de 1'Evolution. Ceux qui lui attribuaient
sérénité qui tonne, la Miséricorde qui damne, la Bonté une origine plus noble, au-dessus de la poussière terrestre, furent
infinie qui torture, l'Eternité qui périt. C'est la contradiction contristés, Ils s'élevèrent contre une doctrine selon laquelle l'homme,
au lieu d'avoir été créé et mis en principe un peu au-dessous des anges,
sans fin, l'abîme du coeur humain, monde au service d'une ne s'était en réalité élevé qu'un peu au-dessus des animaux sauvages -
idole insatiable et terrifiante ; c'est la cruauté de Néron au lieu d'avoir été fait à l'image de Dieu, devait plutôt être regardé
la politique de Tibère buvant le sang de Jésus-Christ (1) ; comme ayant imaginé Dieu à sa propre image. Il est vrai que la nou-
velle doctrine présentait l'homme comme s'étant élevé, ce qui impli-
c'est un Pape-Empereur, ou un Empereur-anti-Pape ; c'est quait l'idée qu'il était apte à s'élever encore plus haut, tandis que
le Roi des Rois, le Pontife des Pontifes, le bourreau des l'autre, la doctrine ancienne, le montrait misérablement déchu, après
avoir été presqu'un ange, tout à fait semblable à Dieu, devenu
bourreaux, le médecin des médecins, le libérateur des affran- soudain - (à la suite d'une légère tentation offerte par un reptile
chis, le maître inflexible des esclaves. plutôt suspect) - assez coupable pour mériter la mort, - laquelle ne
faisait pas auparavant partie du plan divin - et n'être plus qu'une
Partout Dieu est l'idéal de ceux qui l'adorent dans leur créature infortunée, trompeuse, pardessus tout désespérément
méchante... » Tant et si bien que, somme toute, le nouvel enseignement
ignorance ; il est féroce parmi les sauvages ; enclin à toutes était plus réjouissant, sans parler des espérances et des craintes
les passions humaines chez les Grecs, despote oriental pour d'ordre religieux qui ne font pas partie de notre présent objet.
Note du traducteur anglais.
(1) Idéal occidental du Bien. E.O.
les Juifs, jaloux et intransigeant comme un prêtre du célibat
16 17
rêve ; le miracle devient pour lui la réalité. A quoi bon une condamne à l'Enfer ; pourquoi les sauverais-je du
religion qui ne donnerait pas l'Infini ? Qu'est-ce que le bûcher ? » - Arrière, misérable assassin ! Crois-tu donc que
Protestantisme avec son sacrement sans réalité ? (1) - C'est Dieu se fit homme pour que l'homme se transformât en
triste comme un flambeau éteint, comme une église en Tigre ? Tu crois avoir conçu avec un amour infini, et vois
ruines ! tu génères la haine. Tu as pensé te nourrir du Ciel, et
tu vomis l'Enfer. Tu as mangé la chair du Christ, non pas
comme un Chrétien, mais comme un cannibale.
Comment le pain consacré par la parole peut-il repré- Communiant sacrilège, tais-toi et purifie ta bouche, car
senter Jésus-Christ s'il n'est pas J. C. lui-même ? Quelle tes lèvres sont dégoûtantes de sang.
folie si le Christ n'est pas la divinité ? Quel culte étrange
ce serait, en vérité, de mâcher une bouchée de pain, pour
qui, hélas ! ne peut sentir le miracle nécessaire. On peut
aimer jusqu'à la mort, jusqu'à l'oubli de soi-même, Il est évident que la religion ne doit pas être tenue pour
jusqu'à la folie... un être humain, mais peut-on responsable des crimes commis en son nom par la politique
l'immortaliser, le diviniser par la Foi, en le faisant divin et, des époques barbares. Bien des hérétiques ont été en même
en s'immortalisant soi-même avec lui ? Peut-on se temps des agents de sédition et des conspirateurs. Le mas-
l'incorporer, le manger... et sentir qu'il est plus que sacre de la St Barthélémi fut, au demeurant, une ruse de
jamais vivant, qu'il vit en nous et hors de nous, qu'il nous guerre cruelle dont la perfidie s'explique peut-être par la
nécessité de faire avorter un complot non moins perfide.
absorbe comme nous l'absorbons par notre communion avec
C'est d'ailleurs ainsi que la Reine-Mère et Charles IX tentè-
son être immense et son éternel amour ? Hélas ! nous sentons
qu'il n'est ni grand, ni éternel ! Pourquoi donc n'est-il pas rent de justifier leur acte. Ce qui est certain, c'est que,
durant cette période, les deux partis en présence étaient
Dieu ? Pourquoi ? Parce que Dieu seul est Dieu. Et c'est
capables de tout forfait. Par contre, qui pourrait jamais
ainsi qu'il vient à nous sous les espèces et apparences du
justifier l'Inquisition ? - « Dieu s'est fait homme » - peut-on
pain ! Nous le voyons, nous le touchons, nous le gouttons, répondre - et « cette grande parole a été comprise par Pie V
nous le mangeons !... et son Eternité frissonne au-dedans de en un sens terrible, et par St Vincent de Paul en un sens
notre chair mortelle. Le sang qui afflue à notre coeur est Son adorable ». - Oui - mais est-ce que vraiment Dieu se serait
sang. Notre sein se soulève et c'est Lui qui respire. Ah ! ces repenti d'avoir fait l'homme, tel que l'affirme la Bible ?
Protestants avec leur bouché' de pain et leur gorgée de Cruelle exagération de l'iniquité humaine ! On la suppose si
vin, quel beau Sacrement n'ont-ils pas là ! - Certes, le énorme qu'elle a pu faire douter Dieu un instant de son
poète énamouré d'idéal sourit à une réalité ridicule, mais oeuvre. L'homme va jusqu'à se diviniser même dans ses
le croyant fanatique s'exaspère. La raison nous dit de crimes et dans ses rêves d'opposition à l'Eternel. C'est
l'irréductible révolte des damnés, et par suite, la haine cruel-
plaindre les protestants. « Non » réplique la Foi furieuse
lement impuissante d'un Dieu à jamais incapable de pardon.
« Il faut les punir ! le Dieu que je Eh bien, même cela est sublime dans son horreur, et le dog-
me catholique reste admirable même dans ses plus formi-
dables profondeurs, pour les âmes qui en comprennent la
(1) C'est-à-dire dans lequel le pain et le vin ne sont pas supposés être réel-
lement transformés en la chair et le sang du Christ, tel que cela est
poésie sans tomber victimes de ses séductions et de ses pré-
enseigné dans l'Eglise Romaine.
Note du traducteur anglais. sens en moi s'irrite et les
1g 19
ventions. - « Dieu semble se repentir d'avoir fait l'homme, Femme idéale, la Femme-type, la Femme collective est vrai-
parceque, de temps à autre, l'homme se repent d'avoir fait un ment la Mère de Dieu. (1)
Dieu ». - Les fictions divines se succèdent l'une l'autre comme
les époques. Jupiter détrône Saturne, et le Jésus-Christ des Il y a rédemption - c'est-à-dire solidarité parmi les
Papes règne à la place du Jéhovah des Juifs. Le Jésus de hommes les bons souffrent pour les méchants, et les justes
St Dominique n'en est pas moins le Fils du Dieu cruel de paient les dettes des pécheurs (2). Ainsi tout est vrai dans les
Moïse. Mais les Bêtes féroces de Daniel et de l'Apocalypse dogmes de la religion dès qu'on possède la clef de l'énigme.
doivent nécessairement disparaître pour faire place à la Le Catholicisme est le sphinx des temps modernes. Placez-
Colombe et à l'Agneau. Dieu ne sera vraiment « fait homme » vous sous ses pattes, sans deviner ses énigmes, il vous
que lorsqu'il aura porté tous les hommes à être aussi bons dévorera ; devinez-les sans vous rendre maître de lui, ou
qu'un Dieu devrait l'être. (1) ne les devinez qu'à demi, et, comme Œdipe, vous êtes voué
au malheur et à un aveuglement volontaire.
20 21
Un catholique intelligent ne doit pas se retirer de son Arlequin sont Catholiques.
Eglise ; il doit y rester (1), sage parmi les ignorants, libre
parmi les esclaves, pour éclairer les premiers et affranchir La philosophie est ou athée ou chrétienne ; la poésie
les derniers. Car, je le répète une fois de plus, il n'y a pas de est catholique ; la sécheresse égoïste et mercantile est pro-
vraie religion hors du giron de la Catholicité. (2) testante.
La raison d'une religion est d'être irrationnelle ! La C'est pourquoi la France est voltairienne tout en restant
nature est d'être surnaturelle. Dieu est supersubstantiel. catholique, tandis que les Anglais, les Prussiens et MXXX sont
Protestants.
L'espace et la substance universelle sont l'Infini dans
lequel Dieu réside, car Il est la connaissance et la Puissance
« Oui, Messieurs de la Hiérarchie Ecclésiastique » - dit
de l'Infini (3). L'Infini, c'est l'absurdité inévitable qui s'im-
le catholique Galilée - « La terre est immobile - si tel est
pose à la science. Dieu est l'explication paradoxale de l'ab-
votre bon plaisir ; c'est le soleil qui tourne. J'en dirai plus
surde qui s'impose à la Foi.
encore, si vous le désirez ; je dirai que la terre est plate, et
le firmament fait de cristal. Dieu veuille que vos crânes
La Science et la Foi pourraient et devraient se contre-
soient formés de la même matière ; cela permettrait à un
balancer l'une l'autre, en vue de produire l'équilibre. Elles
père de lumière de pénétrer jusqu'à vos respectables cer-
ne peuvent jamais s'amalgamer.
velles ! Vous êtes l'autorité devant qui la Science doit s'incli-
Le Père éternel est Juif ; le Dieu de Bonté est Chrétien. ner ; elle peut même aller jusqu'à vous saluer chaque fois
La divinité de Jésus-Christ, le Pape et le Diable sont catho- qu'elle vous rencontre, car c'est elle qui demeure, et c'est
liques ; mais la Charité qui est catholique aussi et, en vous qui passez. Vos successeurs seront sans doute forcés à
quelque sorte prééminente, supprimera le Diable et conver- leur tour de s'incliner devant elle et de vivre en paix avec
tira les idolâtres de la Papauté. Le péché originel est juif ; elle ». Rabelais, ni moins savant ni moins bon catholique que
le pardon est Chrétien ; les Sacrements sont Catholiques. Galilée, écrivit la phrase suivante dans le Prologue du 4e livre
Le fanatisme est d'origine juive ; le bon-sens est chrétien ; de son « Gargantua » « Si dans ma vie, mes écrits, mes
la simplicité et l'intelligence sont catholiques ; la folie discours - plus encore, dans mes pensées - je découvrais la
prétentieuse est protestante ; mais M. Prudhomme est moindre trace d'hérésie, j'entasserais, de mes propres mains
protestant et qui pis est Fr.'. M.'. alors que Don Juan, Vol- du bois sec, et y mettrais le feu pour être brûlé moi-même
sur le bûcher ». Voyez-vous ici Rabelais, devenu Inquisiteur,
se brûlant lui-même, Rabelais incriminé d'hérésie.
(1) Et c'est pourquoi Eliphas Lévi s'en retira. Sans doute par amour du
paradoxe ? E.O.
Cela rappelle Dieu, ordonnant la mort de Dieu afin
(2) Pur jeu de mots : Catholique signifie Universel.
d'apaiser Dieu. C'est inexplicable - comme tout mystère doit
(3) Notre doctrine : l'Espace et l'Universel Swabharat (Matière). La Force l'être - mais ce n'en est que plus essentiellement catholique.
y est incluse ; elle se manifeste sous la forme de cette Trinité, un
Dieu pour les ignorants et les aveugles. E.O.
taire, le premier Napoléon, Veuillot, Polichinelle, Pierrot et
22 23
Rien n'excite plus l'imagination que le mystère, et, une Dieu ? Quel astrologue ou quel devin pourrait avoir conçu
fois l'imagination excitée, elle électrise et multiplie la Vo- l'idée de dire à l'empereur Tibère : « A l'heure présente, un Juif
lonté au décuple. Les Sages sont appelés à gouverner le de Galilée, proscrit par son propre peuple, renié par ses
amis, condamné par l'un de nos Préfets, meurt dans la
monde ; mais en attendant, ce sont les fous qui le boule-
torture. Après sa mort, il détrônera les Césars, et ceux qui
versent et le métamorphosent. prendront la succession de son inconcevable dynastie
régneront dans Rome à votre place. Toux les Dieux de
C'est pourquoi la Folie est considérée comme d'essence l'Empire et du Monde entier tomberont devant son image ;
divine par les peuples orientaux. L'homme de génie est en l'instrument de son supplice deviendra le symbole du salut
réalité un fou aux yeux du vulgaire. Par le fait, il y a peut- ». - Quelle folie serait le Christianisme s'il n'était pas
être réellement en lui quelque grain de folie puisque, très surhumain ! - Quelle Foi terrible - celle de Jésus-Christ -
souvent, il dédaigne le sens commun pour obéir au sens su- s'il n'était pas Dieu ! (1) Concevez-vous une maladie mentale,
blime. assez contagieuse pour propager son délire dans presque
toute l'Humanité à travers une longue suite de siècles ? Quel
déluge de sang n'a pas fait couler celui qui a aboli les
Moïse rêve de la Terre Promise, et se fait suivre à tra- sacrifices sanglants ! Quelles haines implacables, quelles
vers le désert par une horde de bergers et d'esclaves qui vengeances atroces, quelles guerres, quels massacres, n'ont
murmurent, se révoltent, s'entre-tuent et meurent de fatigue pas été excités au nom de Celui qui préchait le pardon ! Mais
et de faim, durant quarante ans. Moïse n'atteindra jamais Jésus-Christ était plus qu'un homme, il était une idée ;
la Palestine ; il mourra, perdu sur la montagne ; mais sa plus qu'une idée, un principe. « Je suis un Principe »
pensée aura plané aux cieux et il aura doté le monde d'un disait-il de lui-même.
Dieu unique et d'un code universel. De l'ombre de Moïse
dont le corps sera resté sans sépulture sortira la gloire Dieu s'est fait homme, et ainsi le culte de l'Humanité
incommensurable de Jéhovah. Il a créé un Peuple et a est proclamé par toute la Terre. - « Emmanuel, Dieu est en
commencé un Livre ; un Peuple bravement médiocre en sa nous !, disaient, en s'embrassant, les Frères de la Rose-Croix,
ténacité : un peuple à la fois superbe et servile ; un livre initiés aux mystères de l'Homme-Dieu ». (2)
plein d'ombre et de lumière, de grandeur et d'absurdité, sur-
Sûrement le Fils de l'Homme est en même temps l'uni-
humain par tous ses côtés. Ce peuple et ce livre résisteront à
toute force, à toute science, à toutes les combinaisons poli-
tiques, à toutes les critiques des nations, dans la suite des (1) « Maintenant la Vierge revient et avec elle l'âge d'or ; maintenant un
siècles qui se succéderont. C'est de ce Livre que la civili- rejeton nouveau nous est envoyé du ciel. O I Chaste Lucina, rend grâce
à l'enfant qui vient de naître, car le Serpent mourra » (4' Eglogue
sation tirera son culte ; de ce peuple que les Rois emprun- de Virgile) Virgile mourût le 22 7bre 19 a.J.C. Etait-il un prophète ?
teront leurs trésors... Et qui donc osera, maintenant juger E.O.
l'Homme de la Mer Rouge et du Mont Horeb ? Quel philo- (2) « L'Homme est Dieu et Fils de Dieu, et il n'y a pas d'autre Dieu que
sophe rationaliste peut penser que ce fut une Sage ; mais l'Homme » (serment des Rosicruciens) E.O.
qui donc parmi ceux capables d'apprécier ce qui est grand,
oserait l'appeler un Fou ? Parlerons-nous maintenant de 25
Jésus-Christ ? Ici nous nous inclinerons bien bas devant celui
nu aux hommes, parce que l'homme tonnait l'homme. Dieu chants sacrés les secrets intimes du sanctuaire ; mais ceux-
ne nous est plus invisible quand nous voyons notre là mêmes qui redisent ces mots mystérieux n'en saisissent
prochain. Il est le bienfaiteur qui nous vient en aide, et le pas le vrai sens dans leur coeur qui se consume peut-être
pauvre homme que nous assistons ; Il est le malade qui sous les cendres, ils s'accusent d'un désir - comme si ce
souffre et le médecin qui guérit ; Il est celui qui pleure, et désir était une honte - et d'un regret comme si ce regret était
l'ami, et la Femme ! Oh, combien le Christianisme l'a relevée I une infidélité ! Donc la Religion est l'exaltation de l'homme
Quelle assomption glorieuse est la sienne ! La Femme, c'est et l'assomption de la Femme, La compréhension de la Reli-
la mère de Dieu puisque Dieu s'est fait homme ! - Vierge, gion est l'émancipation de l'esprit, et la Bible des Hiéro-
nous pouvons l'aimer avec toutes nos aspirations vers phantes est la Bible de la Liberté. Croire sans savoir c'est
l'Infini ; Mère, ce n'est plus assez de l'aimer, nous devons de la faiblesse ; croire parce qu'on sait, c'est de la puissance.
l'adorer comme on adore la grâce de la Providence. La Loi du
pardon est sur ses lèvres ; elle est la paix et la miséricorde,
la Nature et la Vie. Elle est la soumission dans la Liberté, et
la Liberté qui obéit. Elle est tout ce que nous avons le devoir
d'aimer. Récitez en son honneur les litanies de la Vierge-Mère :
« Je vous salue Porte du Ciel, Tour d'Ivoire, sanctuaire d'or,
rose mystérieuse, vase sacré de dévotion, vase d'honneur, vase
admirable, calice d'amour, coupe des Saints Désirs, étoile
du matin, arche d'alliance,... (2) Oh ! Quels cris d'amour
poussent vers Toi, sans les comprendre, ces martyrs,
condamnés volontaires à l'éternel veuvage ! Oh ! Soupirs
désespérés de tous ces Tantales assoiffés d'un breuvage qui
toujours se dérobe, affamés de fruits interdits à leurs lèvres
! Rêveurs sublimes, ils renoncent à la Femme pour gagner
le Ciel, comme si le Ciel était quelque chose sans la Femme,
comme si la Femme n'était pas la Reine du Ciel ! « Oh !
péché
29
« La Loi a été faite pour l'homme et non l'homme pour « Aimez et faites ce que vous désirez » (1). L'homme libre
la Loi » a dit encore le Divin Maître, La Liberté est le but de ne peut désirer que ce qui est bien, car tous les méchants
l'existence humaine ; ce n'est que dans la Liberté que le sont des esclaves.
droit et le devoir de l'homme se concilient ; c'est en cela
que consistent sa personnalité et son autonomie. Cela seul Suivant l'esprit de nos symboles (catholiques), la liberté
peut le rendre apte à l'immortalité, et digne de la posséder. de l'homme est le Grand oeuvre de Dieu ; c'est pour cela
qu'il permet qu'un enfer se creuse, et que l'ombre hideuse
L'oeuvre de la Vie est de nous affranchir de l'esclavage du Démon se dresse jusqu'au Ciel même. C'est pour cela
des passions, de la tyrannie des Préjugés, des erreurs de qu'Il préfère les souffrances de l'Humanité maudite à la
l'ignorance, des angoisses de la crainte, et des anxiétés du royale quiétude de la Divinité. Dieu aspire à la Croix du mal-
désir. faiteur et veut conquérir par la souffrance le droit de par-
donner à la rébellion, afin de n'être pas un despote qui abuse
C'est la question d'être ou de ne pas être. L'homme libre de son omnipotence. La femme a été audacieuse ; elle a
seulement est un homme ; les esclaves ne sont que des ani- désiré savoir ; l'homme a été sublime : il a osé aimer ; et
maux ou des enfants. Dieu qui les châtie, tout en les admirant, semble être devenu
jaloux de la patience de ses enfants.
« Lueur du Soleil qui a irradié la Lumière la plus splendide devant (1) Mais il ajouta : « pourvu que vous ne fassiez rien de contraire aux
Thèbes aux sept portes, tu as enfin resplendi, ô oeil du Jour d'Or ! commandements de l'Eglise ». Note E.O.
» « Antigone » de Sophocle. E.O.
St Augustin résuma toute la Loi en cette belle phrase :
30 31
Un jour viendra où la mort seule mourra. Seules les lument libre dans l'homme. En dehors de la conscience, où
malédictions seront damnées, et, par l'esprit de Lumière trouverait-on la réalisation intégrale de cet idéal - la Liberté ?
qui veut que tous les hommes soient sauvés, tous
arriveront à la connaissance de la Vérité. Dieu, après avoir
rendu tous les êtres humains responsables en masse de la
faute d'un seul, peut bien leur pardonner à tous en vertu
Dès le berceau, l'homme est assujetti au joug des néces-
des mérites d'un seul. Dieu fera triompher le Bien, et le Mal
sités tyranniques, et, bon gré mal gré, sa vie durant, il est
sera détruit. Le temps viendra où l'on comprendra qu'il ne obligé de porter cette lourde chaîne d'obligations multiples
peut y avoir de vraie religion sans Liberté, ni la vraie Liberté que la Société et la Nature prennent à tâche mutuellement
sans Religion. Mais à l'heure présente la Religion et la de lui imposer. La Vérité et la Justice sont des maîtresses
Liberté semblent s'exclure mutuellement, et lutter l'une austères. L'Amour est un despote souvent cruel. Pour qui
contre l'autre. De même que la Religion, la Liberté a ses n'est pas riche, il y a les nécessités journalières de l'exis-
martyrs, et elle se lèvera contre l'autorité tant que l'Eglise tence : il n'y a pas d'alternative entre le joug du travail
niera les droits de la Liberté. « Devons-nous concéder aux et l'Ergastule de la misère. Ceux qu'on dit les Maîtres et les
hommes la liberté de conscience ? » demandèrent nos Heureux de ce monde ont d'autres ennemis et d'autres
chaînes. Cela est si vrai qu'Alexandre le Grand en vint jus-
Docteurs à l'Eglise, et Rome répondit par la négation. Cela
qu'à envier le cynisme - demi-folie et demi-indifférence - de
signifie simplement que l'Eglise ne renonce pas à la Direction
Diogène. Mais Diogène comme Alexandre n'étaient que les
de ceux qui l'écoutent. La Liberté ne se donne pas ; il faut deux extrêmes de la vanité paradoxale ; tous les deux, escla-
s'en saisir ; ou plutôt c'est la Nature qui nous l'octroie au ves de leur orgueil, n'étaient pas des hommes libres. La
moyen de la Science. Demander si l'on doit accorder la Liberté, c'est la pleine jouissance de tous les droits qui ne
liberté de conscience aux hommes - aux vrais hommes - contrarient pas un devoir. C'est par l'accomplissement du
c'est comme si l'on demandait : « Doit-on leur reconnaître devoir que les droits sont acquis et sauvegardés. L'homme a
une tête et un coeur ? » - Est-ce que Galilée ne savait pas le droit de faire son devoir parce qu'il est forcé de sauve-
que la Terre tourne - même après qu'il eût rétracté ses garder ses droits. L'abnégation de soi-même n'est que le
savantes démonstrations ! - Est-ce que la civilisation devoir porté jusqu'au sublime, et c'est en même temps le
plus sublime de tous les droits. Un homme peut se dévouer
retournera en arrière parce qu'il y a un Syllabus ? - Si le
à un autre homme, mais cela ne veut pas dire qu'il s'en
Pape nous défendait de marcher en avant, nous saluerions
rend esclave ; il peut engager sa liberté, mais il ne peut pas
le Pape et continuerions toujours notre route. Si le Saint l'aliéner sans commettre une sorte de suicide moral. Un
Père désire se faire entendre de nous, qu'il se mette lui-même homme peut vouer sa vie au triomphe d'une idée, mais ce
en marche à son tour. Il est grand temps cille le Pasteur se tout en se réservant le droit à l'expansion mentale et au
lève quand son troupeau s'en va. Ecoutez ! Quelqu'un dira dévouement à un autre objet s'il en jugeait un plus digne.
: « Votre titre de catholique ne vous permet pas de parler Le voeu perpétuel est l'affirmation de l'absolu dans le relatif,
ainsi » - Soit. Si l'autorité légitime m'impose le silence, je de la connaissance dans l'ignorance, de l'Immuable dans le
fermerai la bouche, mais... la Terre tourne ! transitoire, de la contradiction en toutes choses. C'est donc
un engagement nul et non avenu en soi, parce qu'il est témé-
La conscience est inviolable parce qu'elle est divine ;
c'est en vérité la seule chose qui soit essentiellement et abso-
32 33
raire et absurde : s'en repentir et s'en dégager - quant on tolérer par le Pape. La Fontaine était marié et ne vivait pas
s'est rendu compte de sa folie - c'est plus qu'un droit, c'est avec sa femme ; mais quels magiciens du style étaient ces
un devoir. hommes ! Quels apôtres de la pure et franche Vérité !
L'oeuvre de Rabelais est, pour autant dire, la Bible du bon-
Il est vrai que l'Eglise dont les décisions en matière de sens et de l'indifectible gaieté ; celle de La Fontaine est
Foi font autorité et doivent être respectées par tous les Ca- l'Evangile de la nature. Rabelais disait la messe, et si La
tholiques, approuve les voeux perpétuels ; mais c'est seule- Fontaine avait vécu à son époque, il n'aurait assurément
ment lorsqu'ils résultent d'une grâce supernaturelle. (1) De pas manqué d'y assister en lisant les prophéties de Baruch.
tels voeux sont nuls par devant la Nature mais dans l'ordre
surnaturel ils sont sacrés et inviolables. (2) On doit faire ce qu'on veut, quand on veut faire ce qu'on
doit. Telle est la Loi de la Liberté ! En d'autres termes, tout
Le mariage, lui aussi, est un engagement perpétuel que homme a le droit de faire son devoir, mais le premier devoir
la nature ne ratifie pas toujours. Il suit de là tout à la fois de l'homme est indiqué par le premier commandement du
les justes mais inutiles sévérités de la morale, et la dépra- Décalogue : « Tu n'adoreras qu'un seul Dieu et n'obéiras
vation des moeurs. De là nait le perpétuel contraste des lar- qu'à Lui seul. » - Et Jésus amplifiant ce précepte jusqu'à
mes et du sang de la tragédie conjugale, et l'intarissable l'expliquer de façon tant soit peu paradoxale n'a pas hésité
gaieté des romans et des comédies. Moïse est terrible à ajouter : « Vous ne donnerez à personne en ce monde le
quand il descend du Sinaï le front orné de cornes... Mais nom de Maître ou de Père, car Dieu seul est votre Maître
pourquoi des cornes ? - « Parce qu'il était marié » - pourrait et votre Père. » (1) Saint Jean, le confident intime des pen-
répondre, sans rougir, quelque loustic facétieux (3) et « parce sées de Jésus, nous dit que Dieu est le Verbe - ou la Raison
que, durant 40 nuits, il avait déserté la couche conjugale - et que « le Verbe était Dieu ». C'est pourquoi nous n'avons
». Les vieilles plaisanteries ne respectent rien. et ne devons avoir - pour Maître que la Raison, c'est-à-dire
le Verbe qui parle. « Car, ajoute St Jean, le Verbe est cette
Les deux plus grands libres penseurs que le monde a vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce
produits ont été Rabelais et La Fontaine, maîtres passés monde »... Et Jésus dit - parlant de lui-même : « Je suis le
en l'art des gauloiseries et, au demeurant, excellents catho- Principe qui parle ». (2)
liques, exempts de tout soupçon d'hérésie. Rabelais avait
Or, tout homme qui parle selon la raison peut dire :
36 37
des formes les plus gracieuses et charmantes de la Religion fants au massacre ; des bourreaux las de tuer jetaient bas
Universelle ? leurs haches et demandaient la mort. « Enlevez vos colle-
rettes » écrivait Certullion aux femmes chrétiennes « et dé-
J'adore en vérité la Majesté Divine quand je me trouve gagez votre cou pour faire place au sabre du bourreau ».
en face du Jupiter de Phidias, la Beauté immortelle dabs la Des enfants jouaient au martyre et l'on en vit un qui faisait
Vénus de Milo, la divinité de l'homme dans le Christ de rougir à blanc des morceaux de fer pour se les appliquer sur
Michel-Ange, le Rêve Céleste dans le Paradis de Fra Ange- la main. La cruauté romaine provoqua une réaction, et le
lico. goût de la torture, comme exhibition, créa le désir de l'expé-
rimenter comme sensation nouvelle.
Mais si, pour me forcer à adorer l'un ou l'autre de ces
chefs d'oeuvre, vous me montrez des échafauds ou des bû- Polineatus et Nearchus, interrompant une cérémonie
chers en flammes... je méprise l'exécuteur et tourne le dos religieuse et renversant les autels de leurs dieux sous les
aux idoles. Oh ! folie de la tyrannie humaine ! yeux du peuple saisi d'horreur, vous semblent-ils avoir agi
comme des êtres raisonnables ? Alors, quoi ? St Paul n'avait-
En France, dans ce pays par excellence dont le nom
il pas prédit la folie de la croix, et Jésus lui-même n'a-t-il pas
même signifie Liberté, on a dressé de échafauds devant
causé du scandale dans le temple de Jérusalem ? « Il était
l'idole de la Liberté, Pourtant Robespierre et Marat ont
Dieu » me direz-vous. Soit, mais humainement parlant, sa
maudit les Inquisiteurs, comme les Inquisiteurs avaient
conduite était extrêmement irrégulière et imprudente. Vous
maudit Néron et Dioclétien. Marat et Robespierre ont été
seriez bien de mon avis sur ce point si vous l'osiez. Est-il
maudits à leur tour par des assassins ultérieurs et la Liberté
légal - sous prétexte qu'on est Dieu - d'être moins prudent
reste un Paradoxe purulent, une Idole avide de sacrifices.
qu'un homme ordinaire, un homme sage ? Voilà ce qu'on
Jusqu'à présent le monde a présenté l'aspect d'une vaste est enclin à se demander, alors même qu'on n'en aurait pas
maison de fous. Parmi ceux-ci un grand nombre en a saisi le droit, et si tant est qu'on accepte les Evangiles à titre
un en lui disant : « adore ma pantoufle... ou je te brûle ! ». historique. Mais ils sont plus qu'historiques, les Evangiles :
Si l'homme tombé en leurs griffes était malin, il faisait mine ce sont des prétextes et des symboles. Dieu désapprouve le
d'adorer la pantoufle - peut-être même que, ce faisant, il trafic des choses saintes ; Il ne veut pas de marchands dans
n'était ni hypocrite ni idolâtre (1). La vraie victime, c'est son temple, et les vendeurs doivent être chassés à coups de
l'être sans malice qui prend la chose au sérieux, résiste fouet. On doit renverser leurs boutiques et fouler aux pieds
tristement et devient un martyr. leur argent. C'est là tout ce que la légende (ou, si vous le
préférez, le St Evangile) rapporte sur les vendeurs chassés
La lassitude qui toujours succède à la débauche, porte du temple. Ici je salue et me tiens coi. (1)
l'homme à la folie du suicide, et les orgies de la décadence
devaient fatalement aboutir à l'épidémie du Martyre. En (1) L'Eglise de Rome, au lieu de cannoniser comme elle l'aurait dû, le
ce temps-là, de jeunes vierges s'en allaient vers le bûcher pauvre Eliphas Lévi (l'abbé Louis Constant), l'interdit et le persécuta
jusqu'à sa mort. « Il est dangereux de laisser les choses inachevées »
avoua l'homme à son lit de mort.
(1) Seulement un digne fils de Loyola. E.O.
comme à un bal ; des mères obstinées tramaient leurs en-
38 39
Les libres-penseurs doivent finalement se rendre compte de Chanaan et le troupeau immense des nations qu'il espère
que, s'ils ne veulent pas avoir à lutter sans cesse contre l'une réunir en un seul troupeau. Ainsi celui qui donne du pain
des plus énergiques forces de la nature humaine (le besoin au pauvre le donne à Dieu ; celui qui console un affligé con-
irrésistible de croire en quelque chose d'infini et d'adorer sole Dieu ; celui qui bénit un infidèle bénit Dieu ; celui qui
ce quelque chose) il leur faut avoir foi dans l'Humanité, une fait tort à son prochain fait tort à Dieu ; celui qui maudit
Humanité plus grande que Nature, sous certains rapports, son prochain maudit Dieu, et celui qui tue un homme com-
afin de monter toujours vers elle, de se purifier en elle, de met un déicide. Qu'est-ce que Jésus aurait pensé du Prêtre
vaincre et de régner par elle. et du Lévite sans pitié excommuniant et condamnant à mort,
comme schismatique, le bon Samaritain ou l'homme blessé
Voltaire ne désirait pas détruire la Religion ; il désirait de Jéricho, pour avoir reçu avec reconnaissance le secours
seulement la réduire à un pur déisme. Sa devise était « Dieu et les soins d'un « Infidèle » ? Quelle aurait été sa sentence
et Liberté ». Lui qui se croyait un poète et qui pourtant n'en- contre ces Inquisiteurs qui ont emprisonné, torturé et brûlé
tendait rien au grand poème épique des Symboles, qui, Dieu vivant ? Mais le Dieu de ces hommes était le Diable, et
s'élançant des Forces fatales pour arriver à l'intelligence et leur religion était celle de l'Anté-Christ. L'homme n'a pas le
à la Liberté, foule aux pieds les soleils, le Feu sacré de Zo- droit de tuer un autre homme, sauf le cas de légitime défense
roastre, permet à Prométhée de ravir Ce Feu en dépit des L'exécution d'un criminel est une infortune de guerre. (1)
charmes de Jupiter, adore la Force qu'il enchaine aux pieds Dans une Société non encore Chrétienne mais celui qui est
de la Beauté, traverse le domaine presqu'illimité des rêves exécuté et qui accepte l'expiation devient à nos yeux le Père
glorieux, et finit par se synthétiser en la réalité de l'Homme. du Bon laron mourant ur la croix aux côtés du Sauveur,
Dieu n'est plus le géant invisible, fantasque, solitaire, caché et nous devons voir en lui Dieu se séparant de la Brute. Le
dans les profondeurs insondables des cieux. Il est parmi crime n'est pas un acte humain. Le sacrifice est divin dès
nous ; il est en nous ; il est né de la Femme ; c'est un enfan-
(1) « Excepté le cas de légitime défense » non pas même alors, car il y
telet dont nous entendons les vagissements de nouveau-né ; aurait toujours différence entre les deux adversaires. E.O. La diffé-
c'est un adolescent qui pense et qui aime, un banni, un rence consiste en ce que l'un cherche à tuer, violant ainsi le droit de
proscrit qui lutte et qui souffre, un libre-penseur qui pro- son prochain à la vie, et ce par agression et non en se défendant pour
sauvegarder son propre droit à l'existence ; tandis que l'autre, s'il
teste, un réformateur qui chasse du Saint Lieu tous ceux qui enfreint également le droit qu'à son voisin de tuer, ne le fait qu'en
vendent ou qui achètent. C'est un maudit qui bénit et qui vue de sa propre sécurité et de son droit imprescriptible à la vie. Il
se relève d'entre les morts. C'est l'homme pur qui pardonne y a une énorme différence entre ces deux cas, différence qu'aucun
sophisme ne peut effacer. Les deux parties peuvent avoir tort, c'est
à la femme adultère, le médecin qui guérit... mais c'est aussi vrai, mais, même dans ce cas, (point de droit controversé par les plus
l'homme malade qui espère, le paralytique qui se lève et grands moralistes de tous les temps) il y a une énorme différence
marche, l'aveugle qui ouvre les yeux à la Lumière. « Les de criminalité entre les deux cas. E.O. condamne intégralement le
suicide - et il a raison - ; mais permettre à un homme de vous tuer,
autres sont moi » dit le Seigneur, « et celui qui me voit, voit c'est-à-dire de laisser vous tuer quand vous pouvez l'en empêcher en le
aussi mon Père. Tout ce qui est fait au plus petit d'entre tuant lui-même, cela me parait équivaloir à une sorte de suicide par
ceux-ci, est fait comme à moi-même, et Dieu est en moi com- intention et par objet. Note du traducteur anglais.
me je suis en Lui »... Jésus parle-t-il uniquement du Peuple
choisi dans la race bénie d'Abraham ? Non, car il bénit éga.
lement le bon Samaritain, le centurion de Rome, la femme
40 41
qu'il est volontaire « Homo sum humani a me nil alienum
puto » « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne
peut m'être étranger ». Voilà ce que Dieu a dit au monde
dans l'Esprit de la Révélation Chrétienne. Cherchons Dieu
dans la Nature ; adorons-le en Esprit et en Vérité ; aimons-
le et servons-le dans l'Humanité. C'est cela que consiste la
Religion éternelle et définitive. (I) Et quand le chef de la
Famille humaine sera entré dans cette voie, nous serons à
même de dire avec Voltaire : « Dieu, c'est la Liberté... » car
alors l'homme comprendra Dieu et sera digne d'être libre.
(1) Seulement, quoi que nous fassions, appelons les choses par leur
vrai nom : « pas de demi-inconnues ». E.O.
PARADOXE III
42 43
Aimer, c'est vivre ; aimer, c'est savoir ; aimer, c'est avoir ne punit.
la capacité ; aimer, c'est prier, c'est être l'Homme-Dieu. La
femme a osé se perdre pour cueillir la divinité et l'offrir à Et puis, l'Amour lui-même n'est-il pas sa propre récom-
l'homme ; et l'Homme qui n'avait pas soif de divinité - puis- pense ? Celui qui aime n'a-t-il pas trouvé la Clef du Paradis ?
qu'il possédait la Femme - prit la chose comme toute simple Pour Ste Thérèse le criterium de l'Enfer était l'impossibilité
de suivre sa compagne dans la Mort. C'est là que commence d'aimer ; cela lui semblait si terrible, qu'elle plaignait Satan.
l'Incarnation de Dieu. Eve a forcé Dieu de se faire Honime, « Le malheureux ! » avait-elle coutume de dire « il ne peut
car elle était devenue mère. plus aimer ! ». La Femme plaignant le Démon... Quelle ré-
forme du christianisme ! Quand le monde aura appris à
aimer, il sera sauvé (1). L'homme qui sait vraiment aimer
La Mort et l'Enfer s'étaient dressés, terribles d'une attire à lui toutes les âmes.
menace éternelle, et un instant d'amour les avait vaincus,
« L'amour est plus fort que la mort » chante le Cantique des Convoiter n'est pas aimer. Exiger n'est pas aimer. Asser-
Cantiques. Il est plus inaccessible que l'enfer. L'amour, c'est vir n'est pas aimer. La jalousie, c'est l'égoïsme sous le mas-
le Feu éternel qu'aucun déluge ne peut éteindre. Pour un peu que de l'Amour.
d'amour, donnez tout ce que vous possédez, tout ce que vous
espérez, tout ce qui vous est précieux, tout ce que vous êtes, Le désir excessif engendre le dégoût ; l'exigence s'attire
votre sang, votre coeur, votre vie, votre âme et vous l'aurez un refus mérité ; la tyrannie excite la rébellion chez les forts
acheté pour rien ! Celui qui sauverait son âme en lui sacri- et la trahison chez les faibles.
fiant l'amour, perdrait son âme ; et celui qui perdrait son
âme par amour, la sauverait. La jalousie est odieuse et ridicule ; haïr le coeur qui ne
vous aime plus, n'est-ce point le punir de vous avoir jamais
« Il sera beaucoup pardonné au coeur qui a beaucoup aimé ? La fureur jalouse, c'est de l'ingratitude furieuse.
aimé » et c'est Jésus lui-même qui avait dit cela. Il avait pour
compagne et amie la Magdeleine, et c'est à la femme de Sa- Mais il y a une jalousie sublime qui n'est que le zèle de
marie, une pécheresse, qu'il demanda l'eau pour étancher l'amour, et qui, pour l'honneur même de l'amour, désire
sa soif. Il pardonna à la femme adultère et dit que les cour- l'honneur du bien-aimé. Car le bien-aimé ne cesse jamais
tisanes entreraient au Ciel « avant les pharisiens et les Doc-
teurs de la Loi, parce que les fautes de l'amour sont plus
(1) Ce qui revient à dire Quand l'amour égoïste aura cédé le pas à l'amour
excusables que celles de l'orgueil » et qu'il « est préférable du prochain - de tous les prochains. E.O.
de mal aimer que de ne pas aimer du tout ». Il y a, dans plusieurs passages de ce discours, un fâcheuse confusion
apparente entre l'amour émanant de l'esprit et celui né de la chair ;
entre le divin et le terrestre ; entre l'amour animal fait d'égoïsme, et
En morale absolue, le Bien est Amour, le Mal est Haine. celui qui est la forme la plus élevée de l'altruisme. Mais cette confu-
L'amour doit être aimé ; c'est la haine seule qu'on doit haïr. sion est plus apparente que réelle, comme on le verra plus loin.
« Une seule phrase haineuse mérite l'Enfer » dit l'Evangile Note du traducteur anglais.
par conséquent un seul mot d'amour mérite doublement le
Ciel, car l'amour récompense plus libéralement que la haine
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d'être l'idéal suprême de l'âme, le mirage de l'Absolu. Les Haine ; cette ombre lui est nécessaire pour faire valoir sa
affections, les fantaisies passagères ne sont pas l'Amour, splendeur. La beauté est son sourire, le bonheur sa joie, la
L'amour vrai, c'est la compréhension de Dieu dans l'Hom- difformité son chagrin, la souffrance sa preuve.
me ; c'est l'essence de la Religion, de l'Honneur, de l'Amitié
et du Mariage. La guerre est sa fièvre chaude, les passions sont ses
maladies, la sagesse est son triomphe et son repos.
L'amour est non-seulement immortel, mais c'est lui qui
rend l'âme immortelle, Il ne vieillit ni ne change ; mais il Il est aveugle, mais il porte un flambeau ; c'est Lucifer
est des coeurs qui s'en détournent, comme la Terre se dé- - à la fois ange et démon - ; c'est la damnation et le salut.
tourne du Soleil quand elle aspire à dormir - et c'est alors
que le froid de la nuit semble tomber sur l'âme.
C'est Eros contrebalancé par Antéros ; c'est St Michel
dressé sur Satan comme sur un piédestal.
L'amour est le principe de vie sur le plan physique. Sur
le plan spirituel ou métaphysique, il est le principe d'immor- Le grand arcane de la Magie, c'est le mystère de l'amour.
talité. En remontant à l'origine des choses, et en partant de
là pour se répandre sur tous les êtres, l'amour s'appelle L'amour fait mourir des anges et donne l'immortalité
Piété, Charité et Bonté. Quant il impose le respect par de- à des démons. Il change en femme les sylphes, les ondines,
voir, il prend le nom d'honneur. I1 est le grand ressort de les gnomes, et fait rentrer en terre les egrégores.
l'individualité humaine.
C'est l'amour qui a promis Pandore à Prométhée ; c'est
L'amour est manifestement immortel, car il ne cède pour Pandore que le coeur de Prométhée renait sans cesse
rien à la Mort ; il la brave, la méprise et en fait souvent sa sous les serres du vautour, et c'est pour Prométhée que
félicité et sa gloire. Qu'est-ce qu'un martyr, sinon un témoin Pandore garde toujours l'espérance. Le ciel est le cantique
qui affirme l'éternité de la vie en dépit des tortures et de la de l'amour satisfait, l'enfer un rugissement d'amour déçu.
Mort. Mais, comme l'a dit un grand poète, les ombres de l'Enfer
sont des ténèbres visibles puisqu'il y reste toujours quelque
clarté dans la nuit.
L'amour s'affirme de lui-même, absolument. La crainte
n'existe pas où il y a amour ; celui-ci s'impose à la vie, lui
donne ses ordres et ne peut en recevoir d'elle. Chez l'homme, Si l'Enfer n'avait pas dans l'amour une raison valable
l'amour doit être libre. Dans la nature il n'est que le fruit du d'existence, ce serait le crime de Dieu.
destin - fruit fatal. Il possède deux forces contraires - com-
me l'aimant - il attire et repousse, il crée et détruit. C'est le L'Enfer est le laboratoire de la Rédemption, et il est
frère de la Mort, mais un frère ainé. C'est le Dieu dont le éternel afin que l'oeuvre réparatrice soit, elle aussi, éter-
prêtre est la Mort, le Dieu qui revêt la Mort de sa propre nelle. Car Dieu a toujours été et sera toujours ce qu'Il est. La
beauté, tandis que la Mort lui fait hommage de ses éternels souffrance éternelle est le cri de l'éternelle parturition.
sacrifices.
L'amour a une ombre que les hommes appellent la
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Deux femmes se tiennent au pied de la croix du Sau- les caractères en sont typiques. Agamemnon et les deux Ajax
veur, dans les tableaux évangéliques. L'une, debout et voi- incarnent la triple auréole de la Puissance, de la valeur, et
lée, immobile et pâle comme une statue de marbre, dans la de la rébellion. Achille est la fureur ; Paris le plaisir ;
majesté de sa douleur, est la Vierge Immaculée, la Mère Nestor, l'expérience qui parle ; Ulysse, l'intelligence qui
qui conçut sans péché. L'autre, prostrée et gémissante, les agit. Les travaux de ce dernier représentent les épreuves
cheveux épars, les vêtements en désordre, les yeux rougis de l'Initiation et, en ce sens, correspondent aux travaux
par les larmes, le sein palpitant de sanglots, c'est la péche- d'Hercule. Mais Hercule succombe à un amour fatal et
resse, Marie-Magdeleine, répudiée par le monde, bénie par meurt victime de Déjanire.
Celui qui meurt. Aux côtés du Christ, deux hommes se tor-
dent dans la suprême agonie, deux malfaiteurs, l'un repen-
Ulysse jouit de la possession de Calypso, et de Circé,
tant, l'autre endurci.
sans leur permettre de le posséder ; il aime ce qu'il doit
et veut aimer - sa patrie et son épouse - et cet unique amour
Jésus dit à l'un d'eux : « Je te pardonne... » ; mais il ne le fait passer partout victorieux.
dit pas à l'autre : « Je te condamne... » Jésus souffrit en
silence avec lui et pour lui. L'amour est la plus grande force de l'homme, quand il
n'en est pas la plus insigne faiblesse. Il affaiblit l'homme
La damnation irrévocable, c'est la réprobation éternelle égoïste et fortifie celui qui se dévoue avec abnégation. Her-
qu'entraine la haine ; c'est l'irrémédiable souffrance de l'être cule, aux pieds d'Omphale, paie cher les joies voluptueuses
qui jamais n'aimera. dont il se rend l'esclave. Samson paie de ses yeux, de son
honneur, de sa liberté, les baisers perfides de Dalilah. Orphée
L'amour involontaire n'est pas un sentiment ne doit pas regarder Eurydice s'il veut l'arracher à l'étreinte
particulier à l'Humanité ; c'est l'instinct, propre à toute la de l'Enfer ; mais il cède à son désir de contempler plus
tôt la beauté après laquelle il soupire... il se retourne, et tout
Nature : l'animal ne choisit pas l'attrait auquel il cède ; seul
est perdu - il ne la verra jamais plus !
l'homme tient dans sa main la pomme d'or que le Ciel
destine à la plus belle. Si l'homme était plus sage, il
choisirait Minerve ; s'il était puissant, Junon serait sa Ce qui est certain, c'est que le véritable amour ne s'atta-
favorite ; mais si la satisfaction des sens lui suffit, c'est à che pas à la beauté physique qui est éphémère ; pour lui,
Vénus qu'il offrira la pomme. la beauté est éternelle et ne saurait lui échapper puisque
c'est lui-même, dans sa force, qui la crée. Le sage n'aime pas
C'est ce que fit Paris, le poltron. Agamemnon aurait une femme parce qu'elle est belle : il la trouve belle parce
choisi Junon ; il fut assassiné par Clytemnestre. Ulysse n'ad- qu'il l'aime et parce qu'il a de bonnes raisons pour l'aimer.
mira que Minerve, aussi eut-il Pénélope pour épouse, et
triompha-t-il des Sirènes, de Calypso, de Circé, etc... Il L'amour bestial est le mauvais augure. L'amour humain
s'échappa des mains de Polyphème, de la colère de Nep- est une providence. Ulysse, dans les bras de Calypso et de
tune..., écrasa sous ses pieds ennemis et rivaux, et finalement Circé, n'était pas infidèle à Pénélope, parce qu'il n'avait
reconquis sa couche nuptiale et son trône.
Les poèmes d'Homère sont des enseignements divins ;
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qu'une seule pensée : savoir par quel moyen leur échapper
pour rejoindre sa femme. Il ne péchait que contre les déli-
catesses de l'amour, et de cela il dut être puni par le fils de
Circé.
(1) De tels êtres peuvent être rares ; mais l'occultisme sait, et le monde
ressent, les effets de la méchanceté de ces malheureux. Note du tra-
ducteur anglais.
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L'ignorance est la cause première de toutes les fautes, Justice. C'est par pure ignorance qu'un homme est
de tous les crimes, de tous les maux qui s'acharnent sur orgueilleux, puisqu'il s'imagine s'attirer des hommages alors
l'Humanité. Ce fut l'ignorance qui inventa les Dieux capri- qu'il se rend ridicule et méprisable ; c'est encore par
cieux et colères ; c'est elle qui attribua généreusement à ignorance qu'il est avare, puisqu'il se rend ainsi esclave de
Dieu les pires passions de l'homme ; elle qui fit sortir du ce qui est fait pour le servir. C'est par ignorance qu'un
Principe Intelligent des choses une Personnalité distincte, homme se livre à la débauche, puisqu'il fait un abus
définie et infinie, confrontant ainsi ensemble les conceptions mortel de ce qui se rapporte à la vie et à la propagation de
les plus contradictoires, car, du moment qu'une personna- l'espèce. Les hommes se haïssent mutuellement, eux qui
lité devient « définie et distincte », il n'est plus possible de devraient s'entr'aimer ; ils s'isolent au lieu de s'entr'aider,
la concevoir comme étant « infinie ». se divisent au lieu de s'associer, se corrompent
réciproquement au lieu de s'amender, détruisent au lieu de
conserver, et s'affaiblissent dans leur égoïsme au lieu de
C'est par ignorance que les Hommes ont persisté à se se fortifier par la Charité universelle ; tout cela par pure
contraindre réciproquement tantôt à se soumettre à une Foi ignorance.
sans raison, tantôt à s'appuyer sur la raison sans la Foi, se
persécutant, entre temps, les uns les autres et se portant,
tour à tour, aux pôles extrêmes de la Folie. L'homme recherche instinctivement ce qu'il croit être le
Bien, et si, presque toujours, il se trompe sottement, cruel-
C'est par ignorance des lois de la Nature que les hom- lement, c'est parce qu'il ne sait pas. Les despotes du Vieux
mes ont ajouté foi à la légende de l'arrêt du Soleil dans monde ne savaient pas que les abus du pouvoirs impliquent
sa course, aux ânes qui parlent, aux mâchoires d'ânes trans- forcément la chutte de ce même pouvoir, et, qu'en creusant
formées en sources jaillissantes, à tout un monde d'absur- la terre pour y cacher leurs victimes, ils creusaient leurs pro-
dités et de chimères de ce genre. pres tombeaux. Les révolutionnaires de tous les temps n'ont
pas su que l'anarchie étant le conflit de toutes les convoi-
tises et le règne fatal de la violence, elle substitue la Force
C'est l'ignorance qui fait éclater Trimalcyon à table au Droit, et donne au plus audacieux criminel accès à la
et rend fou St Antoine dans son désert ; car l'homme tend dictature.
toujours à se plonger dans des vices, ou à gravir des hau-
teurs de vertus disproportionnés à son être. C'est par igno-
rance que Tibère se livre, à Caprée, à des plaisirs sensuels Les Inquisiteurs ne savaient pas qu'au nom de l'Eglise
plus douloureux que des tortures, et que mille fois par c'est Jésus-Christ qu'ils brûlaient, qu'au nom du Saint Of-
joui il se sentait près de mourir dans le dégoût de son fice ils brûlaient l'Evangile, et que les cendres de leur auto-
pouvoir impérial et l'agonie de ses jouissances. Les dafés marquaient leurs fronts' au fer rouge du chiffre de
ignorants ont empoisonné Socrate, crucifié Jésus-Christ, Caïn.
torturé les Martyrs, brûlé les hérétiques, massacré les
prêtres, renversé puis relevé alternativement les plus Voltaire ne savait pas, lorsqu'il par lait pour Dieu et la
-
monstrueuses idoles, prêché, les uns la tyrannie, les autres Liberté que dans les esprits étroits du vulgaire la liberté al-
la licence ; renié, les uns toute autorité, les autres toute lait détrôner Dieu. Il ne savait pas que dans les obscurs fon-
liberté. En somme, tous ont ignoré la Raison, la Vérité et la
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dements des symboles une lumière sublime se cache, que heureux.
la Bible est une tour de Babel au sommet de laquelle repose
l'Arche Sainte ; et il ne songea pas un instant que ses écrits Aimer, c'est obéir ; savoir comment aimer, c'est gouver-
préparaient des matériaux aux forces impies de Chaumette ner.
et aux Paradoxes de Proudhon. Rousseau ne savait pas que,
parmi les fils bâtards de son fier génie inquiet, il aurait un Parler, c'est faire du bruit ; savoir comment parler, c'est
jour à compter les Robespierre et les Marat. Pascal connais- faire de la mélodie.
sait mal les mathématiques puisqu'il croyait aux Jansénis-
tes... alors que l'exactitude des proportions et l'équilibre se Chercher, c'est se tourmenter ; savoir comment cher-
manifestant partout dans la nature de l'Univers, comment cher, c'est trouver.
ce géomètre inconsidéré pouvait-il supposer l'injustice en
Dieu ? User, c'est souvent abuser ; savoir comment user, c'est
jouir.
Si les moines du Moyen Age avaient été mieux versés en
Pratiquer la Magie, c'est être charlatan ; connaître la
physiologie, et en médecine, ils auraient su que la solitude
Magie, c'est être un sage.
porte à la folie, les veilles nocturnes à l'inflammation du
sang, le jeûne à l'anémie cérébrale, et que le célibat obliga-
toire provoque des crises de frénésie anormale. (1) Croire sans savoir, c'est être un imbécile. Savoir sans
croire, c'est être un fou : le vrai savoir comporte en soi
Si Bossuet et Newton avaient connu la Kabbale, ils la Foi. (1)
n'auraient pas entrepris d'expliquer l'Apocalypse, alors qu'ils
L'homme qui sait n'a plus aucune raison de douter ;
n'y comprenaient rien.
quand l'esprit ne doute plus, la volonté cesse l'hésiter, et
Si Napoléon III avait connu les mathématiques, il n'au- l'homme atteint à ce qu'il veut.
rait pas attaqué la Prusse.
A cette question : « Pourquoi Dieu nous a-t-il créé » ?
Le Catholicisme répond : pour l'aimer, le connaître, le servir
Personne ne se trompe soi-même sciemment ; celui qui
rejette la Vérité ne sait pas que c'est la Vérité qu'il rejette. et gagner ainsi la vie éternelle.
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et dans l'Humanité. Nous sommes au monde pour appren- d'interdiction ceux qui ne savent pas utiliser convenablement
dre, c'est-à-dire pour savoir. Apprendre toutes choses, c'est leur fortune. L'abus naît de l'ignorance plus ou moins volon-
connaître Dieu de plus en plus. La vraie théologie c'est la taire où l'on se trouve de savoir comment jouir de ce qu'on
science universelle. Nous sommes au monde pour servir a. Celui qui sait comment acquérir et conserver a le droit
l'Humanité, ce qui équivaut à servir Dieu (1), en lui consa- d'user ; mais nul n'a le droit d'abuser. La propriété est
crant librement notre activité. Et c'est ainsi que nous avan- sacrée en tant que garantie des droits de l'individu, car elle
çons sur la voie du Progrès Universel. représente le droit au travail et constitue le pouvoir de
donner, de prêter, etc... ce qui fait partie de la dignité de
Nul ne gagne la vie éternelle par ses propres mérites ; l'homme ; mais cette propriété est limitée par le devoir
cette vie s'impose à nous, et, si nous ne savons pas comment social, chacun se devant à tous, et tous à chacun, selon les
en jouir, il nous faut quand même l'accepter. La connais- prescriptions de l'ordre, de la justice et de la Loi. Ignorer
sance est le premier pouvoir de l'Univers intelligent. Dieu ces choses, c'est se montrer susceptible d'accepter comme
est le Maître de la connaissance infinie. Celui qui sait devient une vérité ce paradoxe de Proudhon : « La propriété, c'est
naturellement le Maitre de celui qui ne sait pas. Il est néces- le vol ! » L'ignorance est la mère de toutes les révolutions,
saire de savoir pour être. Celui qui ne sait pas comment être parce qu'elle est la cause de toutes les injustices.
riche, n'est pas riche ; celui qui ne sait pas comment être
bon, n'est pas bon. La connaissance est toujours proportion-
Quand un homme sait, il devient maître de tous ceux qui
née à l'être qui l'a acquise, et, en philosophie - comme Kant
ne savent pas. L'étude est l'échelle du Mérite et du Pouvoir.
le fait remarquer - l'être est identique à la connaissance.
La première parmi les études nécessaires est celle de sol-
même. Puis vient l'étude des sciences exactes (1), celle de
(1) Quel ridicule « supernuméraire » serait un tel Dieu par devant un jury
la Nature, et enfin de l'Histoire. Ces études préliminaires
de bon sens et de logique ! Néanmoins quelques uns des hommes
les plus censés de refusent à abolir cette fiction, E.O. fournissent des éléments de la Philosophie laquelle doit
Or, parmi nos sujets Figiens, les juges, les gouverneurs, les vaisseaux ensuite se parfaire par la science des Religions.
,mêmes et tous représentants de notre bonne reine sont reçus avec
respect et amour. C'est en son nom que la justice est rendue d'homme
à homme ; son nom seul protège contre les attaques des nations Un mage ne saurait être un ignorant. Magie signifie
étrangères ; elle est connue de ses sujets par ses seules images - majorité, et par majorité on entend émancipation par la
portraits plus ou moins fantaisistes - ou par les efforts produits par connaissance. Le mot latin magister qui veut dire maître est
et en son nom. Ces Fijiens ne peuvent la servir que par leur loyauté dérivé - de même que le mot magistrat - des mots magie et
de citoyens dans leurs rapports réciproques. C'est en somme une mage.
« supernuméraire » ridicule que cette reine Victoria actuelle ; et cepen-
dant quelques uns des plus raisonnables Fijiens ne consentiraient pas Magie signifie plus, major, plus grand - en un mot, magie
à abandonner cette fiction... Bien au contraire, ils penseraient qu'un
homme serait bien mal avisé de la considérer comme un mythe. Note implique l'idée de supériorité. C'est pour cette raison que
du traducteur anglais.
Je ne vois pas trop ce que l'auteur de la traduction anglaise a entendu
prouver par cet exemple de Fijiens, etc... Je l'ai traduit à mon tour, ( ) C'est-à-dire des sciences occultes. E.O.
fidèlement, sans chercher à comprendre. Note du traducteur français.
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la légende chrétienne de l'Epiphanie confond les Magi (ou pourceaux, de crainte qu'ils ne se tournent contre vous et
Mages) avec les Rois (1), et les fait venir à la crêche du ne vous déchirent. « La science occulte a donc une raison
Sauveur des hommes, guidés par l'étoile mystérieuse de pour rester secrète, et cette raison est déclarée - voire même
Salomon. Jésus dans son berceau est salué Prince des sanctionnée - par une autorité à la fois divine et humaine.
Mages ; ceux-ci lui offrent l'encens de Saba, l'or d'Ophir et
la myrrhe de Memphis, parce qu'il est venu pour consacrer Jésus mit-il lui-même en pratique son propre précepte ?
à nouveau le feu du Zoroastre, rénover les trésors symboli- Les perles de sa doctrine ne furent-elles pas piétinées par
ques d'Hiram, rassembler une fois de plus les membres les brutes obscènes qui ont déchiré et continuent à se re-
épars d'Osiris et les lier ensemble avec les bandelettes paître du Maître ? Celui-ci ne répondra pas à notre ques-
d'Hermès. tion ; mais, au risque de notre repos, de notre réputation et,
si besoin est, de notre vie même, nous nous sommes toujours
Les Mages, guidés par l'étoile des Sabbéens, vinrent pour efforcés, et nous nous efforcerons toujours jusqu'à la fin,
honorer l'enfance de l'Initiation chrétienne ; puis, afin de de sauver de l'auge des porcs les perles du Saint Evangile.
déjouer les projets cruels d'Hérode, ils s'en retournèrent Les sciences occultes ne sont pas davantage sciences auto-
chez eux par un autre chemin. Quel est ce chemin ? C'est risées que la religion des initiés n'est la religion des croyants
celui de l'occultisme. Les puissances de ce monde l'ignorent ; en général. Les premières vont sans cesse de l'avant, devi-
mais il est connu des Initiés Johannites, Adamiramites, Illu- nant ce qui n'est pas encore défini. Elles ne bravent pas
minés et Rosicruciens. (2) l'anathème, mais continuent à avancer, sans y prendre garde,
car nul anathème ne peut les atteindre. é e qui est certain,
Il nous faut savoir pour vouloir avec raison, et, quand c'est qu'il existe, dans la nature et dans l'homme, des forces
nous voulons avec raison, c'est notre droit et notre devoir qui, jusqu'à présent, ont échappé au contrôle des autorités
d'oser. Mais tant que nous ne sommes pas à l'abri d'attaques les plus savantes. Le Magnétisme est encore un problème
perverses et stupides, nous devons garder sous silence ce que les Académiciens se refusent à résoudre. La Kabbale
que nous osons. est inconnue aux rabbins du second Talmud ; le nom même
de la Magie appelle le sourire sur les lèvres de nos profes-
Nous pouvons, mais nous ne devons pas toujours faire seurs de Physique, et il reste bien entendu qu'un homme qui,
montre de ce que nous savons. Nous devons être libres de nos jours, s'occuperait de philosophie hermétique, ferait
d'avouer nos croyances, mais le Christ ne nous le conseillait preuve d'un esprit singulièrement détraqué. Trismégiste,
Orphée, Pythagore, Apollonius, Porphyre, Parcelse, Tri-
thème, Pompanatius, Vaneni, Giordano Bruno et tant d'au-
(1) Dans l'un des livres secrets de Mérope - livre antérieur au Christia- tres étaient-ils donc tous fous ?
nisme - on montre trois mages à la recherche de la sagesse perdue
de Zoroastre, dans le but de sauver le monde de la Maya - ignorance.
Une étoile leur apparaît, étoile à six pointes, qui les guide vers la Le Comte Joseph de Maistre, ce farouche ultramontain,
caverne où est enfoui le Livre de Zaratushta - Livre de Sagesse. E.O. n'en jugeait pas ainsi ; lui qui reconnaissait la nécessité
(2) Connu aussi d'autres sectes, associations ou Fraternités encore plus d'une manifestation nouvelle et tournait les yeux, malgré lui,
importantes et dont les noms n'ont jamais été divulgués au monde.
Note du traducteur anglais.
pas quand il disait : « Ne jetez pas vos perles devant les
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vers les sanctuaires de l'occultisme. Toutes les religions et
mais la doctrine ne meurt jamais, et malgré qu'elle dispa-
toutes les sciences se rapportent à une connaissance unique,
raisse pour un temps, il lui faut toujours reparaître. C'est
toujours cachée aux yeux du vulgaire, et qui se transmet
pourquoi les légendes, plus véridiques que l'Histoire quand
d'âge en âge, d'initié à initié, sous le voile des fables et des
on sait les interpréter, nous disent qu'Enoch et Elie conti-
symboles. Cette science conserve pour un monde à venir les nuent à vivre dans le Ciel et redescendront un jour sur la
secrets d'un monde déjà disparu. Les Gymnosophistes la terre. C'est pourquoi Jésus se relève d'entre les morts et que
contemplaient sur les rives du Gange ; Zoroastre et Hermès Si Jean ne devait pas mourir. Ces formes de langage sont
l'ont conservée en Orient ; Moïse la transmit aux Hébreux ; l'essence de l'occultisme ; elles montrent la Vérité tout en
Orphée en révéla les mystères à la Grèce ; Pythagore et Pla- la voilant. Ce que l'Initié dit est vrai, mais ce que le profane
ton la devinèrent presque. On l'appelait la science sacerdo- comprend est faux, parce que cette fausseté est faite à son
tale ou royale, parce qu'elle élevait ses initiés au rang de intention. La Vérité est comme la Liberté et la Vertu ; elle
Rois et de Pontifes. Elle est dépeint ê dans la Bible sous ne s'abandonne pas d'elle-même ; il faut la rechercher et la
les traits du personnage mystérieux appelé Melchisédec, conquérir.
le roi de la Paix, le prêtre éternel qui n'avait ni père, ni mère,
ni généalogie, et ne tenait que de lui-même - comme la Vérité,
On dit qu'à la Mort du Christ le voile du temple se
Les Initiés chrétiens ont prétendu que le Christ pouvait bien
déchira ; cela signifie que la science occulte ne résidait plus
être ce même Melchisédec, et Jésus semble avoir adopté lui-
là ; elle était toujours vivante, mais c'était au pied de la
même cette version allégorique quand il dit qu'il existait
croix du Maître qui s'en était allé qu'on pouvait désormais
avant Abraham, et que celui-ci le salua en se réjouissant « de
la trouver. Un apôtre celui qu'on représente toujours jeune,
voir sa Lumière ». Cette science des prêtres et des Rois était
devint le second fils de Marie et médita un livre dont son
appelée, à cause de cela, le Royaume très Saint, le Royaume
Evangile n'est que le reflet et qui était destiné à n'être jamais
céleste, le Royaume de Dieu, où tous ne peuvent entrer et
compris de l'Eglise orthodoxe des non-initiés. L'apocalypse
qui n'est accessible qu'aux intelligences d'élite. C'est pour
de St Jean est un voile nouveau, plus épais que celui de
cela que selon l'Evangile, « il y a peu d'élus ». Cette science
Moïse, mais enrichi de broderies grandioses et splendides.
se cache parce qu'elle est persécutée (1) Zoroastre fut
Ce voile s'étend devant le sanctuaire de la Vérité éternelle
brûlé (2), Osiris mis en pièces, Orphée déchiré par les Bac-
au grand désespoir des usurpateurs du Sacerdoce et de la
chantes, Pythagore assassiné, Socrate, le Maître de Platon,
Royauté.
empoisonné, les grands prophètes mis à mort de diverses
manières, Jésus crucifié, ses apôtres voués au martyre ;
L'Apocalypse est absolument inintelligible pour qui n'est
pas « Initié », car c'est livre de la Kabbale.
(1) Par l'ignorance et la folie humaine. E.O.
(2) Je ne sache pas qu'Eliphas Lévi ait quelque autorité valable pour Nous avons expliqué dans de précédents ouvrages ce
lancer cette affirmation. On dit généralement que Zoroastre mourut à qu'est la Kabbale, et nous avons suffisamment indiqué pour
un âge avancé, vers l'an 313 avant J,C. ; quelques uns cependant
les lecteurs intelligents la clef des secrets renfermés dans
prétendent qu'il fut massacré un an plus tard, lors de la persécution
d'Arjasp. Note du traducteur anglais. c livre sublime. L'auteur de l'Apocalypse n'a pas écrit pour
de simples lecteurs, mais pour ceux qui savent, et il répète
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souvent : « C'est ici qu'est la science ; que celui qui a la à tous la philanthropie universelle et soutenait la Loi de
connaissance calcule et trouve le nombre ». Sa philosophie Moïse tout en combattant l'influence brutale d'un sacerdoce
est celle du Verbe, ce qui signifie que c'est celle de la Raison hypocrite et infatué de lui-même. Quant à sa doctrine se-
qui parle. crète, il ne la révéla qu'à son apôtre bien-aimé qui devait la
revérifier après la Mort du Maître. Cette doctrine d'ailleurs
Jésus, comme tous les grands Hiérophantes, avait une
n'était pas nouvelle. Un grand Juif, un Initié, Ezéchiel, l'avait
doctrine publique, et une autre secrète (1). Sa doctrine pu-
esquissée avant St Jean : Dieu dans l'Humanité et dans la
blique ne différait du judaisme que par la morale. Il
Nature, 1'Eglise universelle du juste, l'affranchissement pro-
préchait
gressif de l'homme, l'assomption de la femme qu'on doit
aimer comme vierge, adorer comme mère ; la destruction
(1) Mais il l'a préchée un siècle avant sa naissance. E.O. du despotisme sacerdotal et royal, le règne de la Vérité et
Me permettrai-je d'expliquer que nombre des plus éminents occul- de la Justice, l'union de la science et de la Foi, l'annihilation
tistes tiennent le Christ de l'Evangile pour un pur idéal, une fiction
basée sur un nommé Jésus qui vient longtemps avant l'ère chrétienne. ultime des trois hideux fantômes - le Diable, la Mort et
Ce Jésus ou Jeshu-ben-Panthera, vécut de 120 à 170 ans avant 3.-C. l'Enfer - que St Jean jette à bas et ensevelit à jamais dans
C'était le disciple du Rabbin Joachim-ben-Perachia, son grand-oncle,
avec lequel il s'enfuit à Alexandrie durant la persécution des Juifs,
par Alexandre Janneus. Là, il fut initié aux Mystères Egyptiens, c'est- suite de la note précédente.
à-dire à la Magie. A son retour en Palestine, ce Jeshu fut accusé et fondé par Hillel 40 ans av. 3.-C. édité et augmenté jusque vers le com-
convaincu d'hérésie et de sorcellerie. (C'était sans nul doute un adepte). mencement du 3' siècle de notre ère à Tibéria, sur les bords de la mer
Il fut pendu sur l'arbre d'infamie (la croix romaine) aux portes de la de Galilée, centre même des agissements bibliques des Apôtres et des
ville de Lud ou Lydda. Cet homme était un type historique : sa vie miracles du Christ. Le Mishma contient sans interruption les récits
comme sa mort sont dument établies. Le fait qu'on serait en quelque des faits et gestes de hérétiques et autres rebelles contre l'autorité du
droit d'admettre que le Christ évangélique n'est qu'un mythe idéal Sunhedrim israèlite ; c'est en quelque sorte le Journal des oeuvres de
basé sur ce personnage Jeshu, c'est qu'il n'y a rien (ou presque rien) la Synagogue et une histoire des Pharisiens de l'époque - ceux-là même
d'écrit sur lui de son temps par des historiens contemporains dignes qu'on accuse d'avoir mis Jésus à mort. Comment est-il possible, se
de foi. Le seul passage qui, dans Josephe, se rapporte à Jésus-Christ, demande-t-on, que, si les récits des Evangiles sont vrais et que les
est reconnu maintenant par tous les partis comme une pure invention. événements relatés aient réellement eu lieu à l'époque indiquée, ce
Ce qui est certain, c'est que Josephe n'a fait nulle part mention du « Journal » n'en ait pas tenu compte (même si les Rabbins tenaient
Christ, alors que si les récits des Evangiles avaient été véridiques, il Jésus pour un imposteur) car cette chronique très documentée avait
n'aurait pas manqué de le faire. Bien plus, Philo Judoeus, le plus précisément pour objectif principal de faire connaître toutes les héré-
savant des historiens de l'époque, contemporain du Jésus des Evan- sies, schismes, et autres faits généralement quelconques intéressant
giles, homme dont la naissance précéda celle du Christ de 10 à 15 la religon orthodoxe juive ? On comprendra maintenant ce que E.O.
années et dont la mort fut postérieure d'autant au crucifiement ; qui entend quand il dit dans sa note (1) « Jésus prêcha cent ans avant
durant sa longue carrière, fit maintes fois le voyage d'Alexandrie à sa naissance ». Note du traducteur anglais.
Jérusalem où il devait se trouver peu de temps après le drame du Pendant que le commun des mortels, la masse du vulgaire était con-
Golgotha ; qui décrivit par le menu les diverses sectes religieuses, vaincue de l'influence des deux lumières (mar-oth, lumière, soleil et
sociétés et corporations de Palestine, prenant grand soin de n'en omet- lune, de Mairo, briller ; Maria - le Seigneur) sur les êtres vivants sur la
tre aucune, même les plus insignifiantes, il est inadmissible, dis-je, Terre, les Initiés savaient ce qu'étaient ces lumières, Osiris et Isis s'ap-
qu'un tel homme n'entendait jamais parler du Christ, de son cruci- pelaient Apollon et Diane en Occident, et, lorsque les évêques chrétiens
fiement, ni de tous les autres faits relatés dans les Evangiles. Ce qui se mirent en devoir d'arranger, d'accomoder les choses selon leur
est certain, c'est que, dans ses écrits, il n'y a fait aucune allusion. On nouvelle conception de la doctrine, ils rejetèrent Appolon et Diane,
se demande également - au cas où il serait avéré que le Christ a vécu Balder et Fraia, pour inventer Christ et Maria. J.A.H. s'interprètent,
à l'époque qu'on indique - comment il se fait qu'aucune alusion ne d'après les Kabbalistes, en J (Père), A.H. (mère), comprenant J, le
soit faite par rapport à son existence dans le Mishma. Le Mishma fut
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un lac de feu et de soufre ; la fondation définitive sur terre PARADOXE V
d'une Jérusalem nouvelle, cité qui n'aura plus besoin de
temple puisqu'elle-même est un temple où l'on ne voit ni
prêtres ni rois, cité idéale et cependant réalisable, où la
Liberté, l'Egalité, la Fraternité pourraient régner ; cité des LA RAISON EST DIEU
Elus, des Sages, des Justes ; cité fermée à la vile multitude ;
cité archétype de la civilisation humaine, terre promise à
tous, mais accessible seulement au petit nombre des Elus,
non par privilège, mais par mérite, non par le caprice d'une
idole autocrate, mais par la Justice de Dieu.
Tel est l'idéal de la connaissance. Ceci devrait occuper la première place dans ces pages,
car cela existe avant toutes choses : cela existe per se ; même
pour ceux qui ne le comprennent pas, cela existe comme
suite de la note précédente. le soleil pour les aveugles. Mais pour le voir, le sentir, le
mâle, et H, la femelle. Jah est Adam, Evah est Eve - ensemble c'est
l'Androgyne (mâle et femelle) qu'Il créa... Genèse et Kabbale, « Par comprendre, il faut que l'homme possède la faculté de com-
une vierge, l'Eva (H) connut la Mort. C'était nécessaire que ce fut par préhension, et c'est là son triomphe, le résultat final de tout
une vierge, mais plus nécessaire encore que, d'une vierge, sortit la Vie »
dit le rusé Cyrille. Hiersol XII.VI. Les alchimistes appellent la Vierge le travail de sa pensée et de toutes les aspirations de sa Foi.
Akasa. Toute la vie passe par Akasa pour se répandre sur la terre.
Donc, la venue du Christ sur la terre, par Marie (Mar, la Vierge) « Dans le Principe est la Raison, et la Raison est en
s'écriant Evoe Bakke (Bacchus) : toi seul est digne de la Vierge 1 » Dieu, et Dieu est la Raison ». (1) « Tout est fait par elle, et,
(Enéide VII, 389). sans elle, rien n'a été fait. C'est la vraie lumière qui nous
C'est sur la terre d'Asie, sortant les enseignements des Initiés orien-
taux, que deux conceptions naquirent et déterminèrent en grande
partie les convictions religieuses des Chrétiens : (1). La doctrine d'une
existence, Parabrahm, notre propre Vie, principe unique, primordial de (1) Dans notre version on lit ; « Au commencement était le Verbe, etc.., »
l'Univers. (II). La doctrine de la Lumière (Akasa avec ses sept prin- mais ni l'une ni l'autre version ne rend de façon adéquate le sens
cipes) qui devint le Logos des Chrétiens ; car le « son » émane d'Akasa. occulte de ce passage. L'apXn est l'émanation primordiale que l'Un
La Vie primordiale se manifeste par son intelligence, le Logos ou produit inconsciemment, le commencement de toutes choses. Le Aeyos
Sagesse, 7' Principe considéré comme le principe mâle primordial, est la Loi de l'évolution, la raison de toutes choses et leurs inter-
Dans cette conception la Sagesse s'identifie à Purucha, premier mâle relations complexes : la Parole, la Force ou énergie qui partout et
divin des Hindous. L'Ancien Testament se sert du mot « Sagesse ». en tous temps règlent tout qui est en même temps le grand ressort
L'Esprit et le Verbe sont des expressions synonymes. Les deux « exis- de l'Univers. Note du traducteur anglais.
tences ›> ou « Lumières » étaient dénommés Ages avant J.-C. - Père et
Fils. Sabda « son » ou « Verbe », est un terme constamment employé
dans notre Philosophie de Mimansa. Comparé au grec Logos, « l'éter-
nité du son » - dogme de Mimansa, s'accorde avec nous quant aux
vérités éternelles occultes. Pour les Hindous non-initiés, l'éternité de
Sabda démontre l'éternité des Védas. « La Sagesse éternelle » - Lia
ckakama lia Kadama - des Hébreux, c'est-à-dire de la Kabbale hé-
braïque, unie à l'âme du Messie : Sair ampin « est en réalité l'âme du
Messie unie au Logos éternel. » Kabbale III, 241, Jezira. E.O.
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éclaire dès notre naissance ; elle brille même dans les ténè- donc pas alors de la raison que je dois me méfier, mais de
bres, mais la ténèbre ne la renferme pas, (ne se referme pas mon propre jugement. Dans ce cas, je me tournerais volon-
sur elle) ». Ces paroles sont le parfait oracle de la Raison ; ce tiers vers ceux qui en savent plus que moi, quoique il me
sont elles - comme chacun sait - qu'on peut lire au début de faille même alors avoir quelque raison de croire en leur
l'Evangile de St Jean. supériorité.
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gie aux excréments et excrémations ; en philosophie on pour- Si ceux qui croient à des Religions exclusives me disent
rait dire - quelque peu paradoxiquement - que la matière est que Dieu s'est révélé lui-même et qu'il a parlé, je réponds
l'excrétion de la pensée. Les matérialistes méritent bien que je ne crois pas cela, je le sais. Je sais que Dieu se révèle
l'hommage de cette définition quelque peu grossière et car- au coeur de l'homme dans les beautés de la Nature ; je sais
navalesque, eux qui prétendent que la pensée est l'excrétion qu'il a parlé par la bouche de tous les Sages, et au fond du
de la matière cérébrale, sans se rendre compte que cet admi- coeur de tous les Justes. Je lis ses paroles dans les Hymnes
rable instrument passif des oeuvres de l'âme humaine est de Cléante et d'Orphée, comme dans les psaumes de David.
le chef-d'œuvre d'une pensée qui n'est pas la nôtre. J'admire les pages grandioses des Vedas et du Koran, et
je trouve la légende de Krishma aussi touchante qu'un Évan-
gile. Mais je deviens colère contre Jupiter torturant Promé-
Si je pouvais définir Dieu d'une manière positive et thée et servant de prétexte à la mort de Socrate. Je frissonne
certaine, je cesserais immédiatement de croire en Dieu. Je quand j'entends le Christ - dans les derniers sanglots de
pourrais savoir ce qu'il est ; mais étant incapable de savoir son agonie - reprocher à Jehovah de l'avoir abandonné, et
cela, je crois simplement qu'il existe, parce qu'il m'est im- je me voile la face quand Alexandre VI prétend représenter
possible de ne pas concevoir une pensée dirigeante dans la Jésus-Christ. Les bourreaux et les tortionnaires de la cons-
substance éternellement vivante qui peuple l'Espace in- cience humaine me sont aussi odieux sous le règne de Pie VI
que sous celui de Néron. La vraie religion chrétienne, c'est
fini. (1)
l'humanité surhumaine dans la force du pardon et dans le
sacrifice de soi-même à autrui,
(1) Dans cette substance-là même, dans chacun de ses atomes, mais non
pas en dehors d'elle. Il n'y a point de divinité extra-cosmique. Toute
matière est Dieu, et Dieu est matière, ou bien il n'y a pas de Dieu. E.O.
Cela me parait soulever une question « Quelqu'un est-il sorti du Les Dieux auxquels on sacrifie des hommes ne sont
Cosmos pour voir ? E.O. peut, il est vrai, répondre que le Cosmos est que des démons, et la Raison devrait répudier à jamais les
infini et qu'il ne peut y avoir rien en dehors de ce qui est infini, ou- cultes de ces démons et ce Diable-idole devenu ridicule à
bliant ainsi, me semble-t-il, que tout ce qui peut être infini par rapport
à ce que le Cosmos renferme de conditionné, peut cependant laisser force d'être monstrueux. Ceux qui croient au Diable lui
place à un au-delà dans ce qu'il contient de non-conditionné. E.O. admet rendent hommage par leur culte même pour son créateur
une 4 dimension dans l'espace et affirme - comme on le verra plus et complice. Nous l'avons dit, le Dieu du Diable qui réprouve
loin et comme je le crois en m'appuyant sur de bonnes raisons - qu'il
reste encore à découvrir les 5', 6' et 7' dimensions de l'espace. Cepen- le Diable et lui permet néanmoins de travailler à notre per-
dant il veut insister sur le point que les conceptions de l'intelligence
conditionnées dans le cosmos (je lui abandonne les esprits
planétaires) et que nous ne pouvons nous figurer autrement Suite de la note précédente.
qu'infinies, sont en réalité absolues. Je conviens qu'elles sont pour de bonnes raisons qui lui sont propres. Donc, à mon avis, l'asser-
nécessairement relatives et que le fait que les intelligences tion : « ou Dieu est matière » (au sens de substance inconsciente et
conditionnées les plus élevées dans l'Univers les croient infinies ne inintelligente) « ou il n'est pas de Dieu », m'apparait tout à la fois
pouvant y rencontrer autre chose que des Lois, ne prouve en aucune téméraire et anti-philosophique. Je comprends parfaitement qu'on se
façon que, pour une intelligence encore plus haute et non-conditionnée, refuse à le reconnaitre ou à croire ce dont il n'existe aucune certi-
il n'existe pas quelque chose en dehors de cette infinité et dans ce tude et qu'aucun témoignage autorisé ne sanctionne, mais il me parait
quelque chose, l'intelligence dont les lois connues représentent la que c'est tout différent du fait de nier l'existence de cette chose,
Volonté. Bien plus, je prétends que cette intelligence peut être au négation qui implique la prétention ridicule à l'omni-science.
dedans du cosmos et le pénétrer tout en étant inconnaissable à Note du traducteur anglais.
toutes les intelligences qui en émanent, et ce
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dition est une invention odieuse de la méchanceté et de la hommes.
lâcheté humaines. Un Dieu du Diable, à rebours, deviendrait
un Diable de Dieu. Néanmoins il n'existe pas de fiction qui ne serve de
voileou de masque à quelque réalité. « Croquemitaine »
Ainsi parle la raison ; mais la superstition persiste existe, et le pauvre enfant ne tarde pas à le connaître sous
à lui imposer silence, et c'est pourquoi bien des gens - assez l'espèce de quelque pédant sourcilleux, à la voix rude, muni
excusables d'ailleurs - abandonnent les autres à leurs super- d'une férule dont il se sert plus ou moins à propos.
stitions, à leur Dieu et à leur Diable, se contentant désormais
eux-mêmes de ne croire à rien. Plus tard on lui parlera de Dieu et du Diable, en des
termes tels qu'il lui sera facile de confondre l'un avec l'autre
La superstition aurait pourtant sa raison d'être, dans
Continuera-t-il à être content de l'épilogue du drame de Poli-
les infinités de l'intellect humain. Le sacerdoce a réussi à la
chinelle ? Punch-Polichinelle le faisait rire ; le Diable veut
convertir en une force en l'assujettissant à une obéissance
le faire pleurer ; n'en arrivera-t-il pas à désirer que Polichi-
aveugle. Enlevez toute superstition des âmes étroites et
nelle - si souvent emporté par le Diable - puisse, à son
ardentes, et vous y faites entrer à la place le fanatisme et
tour, emporter le Diable ? Ce serait là une question de
l'impiété. On est bien obligé de maitriser les fous au moyen
tempérament et d'audace.
de leur propre folie (1), puisqu'ils ne veulent pas être sages.
Nous enseignons la morale à nos enfants en leur contant
Les anciens Hiérophantes ont toujours prétendu que
des histoires, et les nourrices ont grand soin de ne pas les
ce serait le plus grand des crimes d'admettre la multitude
désabuser quand ils sont effrayés de « Croquemitaine ». Cer-
aux initiations, parce que ce serait déchainer les loups, leur
taines mères plus réalistes effraient, il est vrai, leurs babies
ouvrir les bergeries, ouvrir les cages des fauves et jeter les
par le loup ou le sergent de ville ; mais, comme ni loup ni
hommes les uns contre les autres en une guerre fratricide
sergent de ville ne peuvent être partout, le petit, convaincu,
sous prétexte d'égalité.
finalement, de leur absence, ne fera plus que rire de la me-
nace tandis que « Croquemitaine » qui n'a jamais été nulle
part, n'est pas mis en doute et, comme le Diable, est supposé Jésus-Christ ordonnait à ses disciples de ne pas jeter
présent partout. L'enfant est donc d'autant plus enclin à y des perles devant des pourceaux. Jusqu'à présent les Francs.
croire que c'est une fiction, une invention poétique, un conte, Maçons continuent de jurer qu'ils garderont jusqu'à la mort
quelque chose en un mot qui s'empare de l'imagination : or, des secrets... qu'ils ne possèdent déjà plus. L'égalité entre
l'imagination déjà si puissante chez l'homme, devient su- les hommes ne peut exister que par des grades hiérarchi-
prême dans les enfants. ques ; elle ne peut jamais être absolue parce que la Nature
s'y oppose. Il faut qu'il y ait des grands et des petits pour
« Croquemitaine » est le Diable des tout-petits tout com- que les hommes puissent s'entr'aider mutuellement et avoir
besoin les uns des autres. Rien n'est plus difficile pour le
commun des mortels que de vivre selon les lois de la Raison
(1) Je dois dire que l'auteur met son précepte admirablement en pratique ; et de faire le bien pour l'amour du Bien. Leur motif est
tandis qu'il se rit des sots du bout des lèvres, il fortifie leur folie
de toute sa bouche grande ouverte. E.O.
me le Diable du Moyen-Age était le « Croquemitaine » des
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presque toujours ou le désir ou la peur, et ils sont dirigés porta au premier rang.
par l'espérance ou la crainte. Néanmoins ils ont besoin
d'être réfrénés pour les empêcher de tomber dans l'inertie La Révolution Française offrit au Monde un spectacle
ou le désordre. Ils marchent mieux quand ils sont en troupe aussi étrange que ridicule quand elle institua le culte de la
et chargés ; le moine et le soldat se plaisent sous une dis- Raison personnifiée par une ballerine. On aurait pu croire
cipline de fer ; c'est dans les austérités et le silence que que la nation tenait à se ridiculiser et à prôner aux autres
l'inconstance de la femme disparait. Tel homme supportera peuples que la raison des Français n'est rien n'oins, et
courageusement la vie d'un Trappiste, qui, s'il n'aspirait toujours, que de la folie.
au ciel et ne craignait l'enfer, serait un voleur. En vaut-il Puis vint Robespierre qui, pour détrôner cette indécente
mieux ? Non, peut-être ; mais assurément il est moins Raison, inventa son « Etre Suprême ». Mais l'opinion pu-
dangereux pour la Société. C'est très joli de dire la vérité blique se refusa à ratifier la substitution ; elle se souvint
aux gens, le malheur est qu'ils ne la comprendront pas avant de Dieu et se rendit compte que la Révolution changeait de
de l'avoir eux-mêmes recherchée et presque trouvée. Le terrain. Bonaparte qui suivit comprit que la Religion n'était
monde au temps de Tibère avait besoin d'expiations et d'aus- pas morte, mais à son point de vue, la religion ne pouvait
térités. Le siècle des Platoniciens, des Stoïciens, de Sénèque être que catholique ou, en d'autres termes, autoritaire ; il
et d'Epictète, devait forcément embrasser la Morale chré- rouvrit les églises, essaya de mettre la main sur le Pape, mais
tienne. Virgile semble chanter près de la crèche de l'Homme- le Pape lui glissa entre les doigts... comme le monde.
Dieu, et les livres Sibyllins promirent le Christ à la terre ;
C'est que la raison de la Religion est supérieure à celle
Luther ne s'est pas levé contre Rome de son propre des Politiques, parce que c'est dans la Religion seule que
mouvement ; il fut soulevé et porté en avant par un courant le Droit prend la direction du pouvoir. Pour qu'un droit soit
qui passait sur toute l'Europe, Ce n'est pas Voltaire qui fit inviolable, il faut qu'il soit reconnu divin. Le droit et le
le 18 siècle, mais bien le 18e siècle qui fit Voltaire. Le règne
e
devoir sont au-dessus de l'homme ; Dieu conserve le pre-
de Mme de Maintenon et les scandales du Jansénisme mier devant lui et impose l'autre : Dieu est la Raison Su
avaient dégoûté et fatigué la France au suprême degré ; les prême.
oraisons funêbres de Bossuet semblent avoir été prononcées
Un corps ne peut vivre sans une tête, et la tête du corps
sur le cercueil de la Monarchie chrétienne, et puis suivirent
social, c'est Dieu. lin corps peut changer, se transformer,
des cardinaux comme Bernel et Dubois ! Voltaire se raillait
mais il ne peut pas mourir si sa tête est immortelle. Dieu,
de tout et faisait rire. Rousseau professait cependant qu'il
c'est la Vérité et la Justice qui ne changent jamais et c'est
y avait quelque chose là ; on l'admirait tout en le persé-
pour cela que l'Etat devrait céder sur les questions d'ordre
cutant, parce qu'on sentait bien au fond du tueur que le
religieux. L'Eglise est le prototype de la Patrie universelle,
monde partageait quelque peu sa manière de penser. Les
et l'union du monde chrétien (1) est quelque chose de plus
Révolutionnaires dépassèrent Rousseau et le bon sens du
pays prit parti pour Châteaubriand tout en applaudissant
aux railleries voltairiennes de Béranger. Ce sont les progrès (1) Mais quand et où une telle union a-t-elle jamais existé ? Note du
traducteur anglais.
qui mettent en avant les grands hommes et c'est bien à
tort que le monde attribue à ceux-ci le mouvement qui les
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grand que l'unité de l'Allemagne ou de l'Italie. La force orgueil - comme si l'homme était né infaillible - et ne doive
morale est supérieure à la force physique, et le pouvoir spi- pas, jour par jour, s'instruire et se perfectionner. « Quand
rituel tient la haute main sur le pouvoir temporel. Si St j'étais un enfant, dit St Paul, je pensais, je parlais, j'agissais
Pierre n'avait jamais tiré son épée, Jésus ne lui aurait jamais comme un enfant. Mais quand j'arrivai à l'âge d'homme, je
dit : « Quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et mis de côté toutes les choses ressortissant de l'enfance... »
d'autres viendront pour y mettre des liens et te conduire là L'apôtre proclame ici la loi du progrès et l'applique même
ou tu ne voudrais pas aller ». Le roi d'Italie a arraché Rome à l'Eglise ; c'est pourtant ce que les théologiens se refusent
au Saint Père, parce que St Pierre trancha _par la force de obstinément à comprendre.
son épée l'oreille de Malchus. Malchus gu Male signifie
le Roi en hébreu. Nous devons nous méfier des préjugés dévots autant
que des préjugés impies. La vrai piété est essentiellement
indépendante, mais elle se soumet raisonnablement à des
Quoi qu'il en soit, la capitale du monde chrétien ne
lois, des règles, des coutumes, toutes et quantes fois elle
devrait pas appartenir exclusivement à l'Italie. Le repré-
ne peut espérer - et souvent même qand elle n'espère pas -
sentant suprême de l'Humanité divine devrait être un prêtre
les changer.
pour bénir et un roi pour pardonner. C'est du moins ce que
la Raison nous dit et si le Pape croit qu'un père de famille
doit être infaillible vis-à-vis de ses enfants, que le chef de la Jésus ne voulait pas qu'on arrachât l'ivraie qui se trouvait
Religion ne doit avoir aucunement à faire avec l'irreligion, mélé au froment de crainte qu'en même temps on ne déra-
que la liberté de conscience ne doit pas être tolérée ; s'il se cinât le bon grain. « Attendez le temps de la moisson » dit-
croit lui-même obligé à tourner la Société sans dessus des- il « et alors le vent séparera le froment des mauvaises
sous ; si, en un mot, il proteste contre chaque chose et graines ». Il y a des temps propices aux résumés et aux
contre tout ce qui lui semble contraire au dogme, de quel synthèses ; alors la critique s'opère et doit faire la
droit mettrait-on donc la question de côté, le Pape a mille distinction entre le vrai et le faux. Nous sommes à l'une de
fois raison ! (1) ces époques où les préjugés ne doivent plus être maniés
doucement. Nous ne devons cependant pas nous montrer
trop durs envers
Immédiatement après les passions les plus grands enne-
ceux qui y restent attachés ; montrons leur doucement,
mis de la raison humaine sont les préjugés. Nous n'exa-
-
74 75
l'esprit ; ils naissent de l'éducation, de l'ignorance, ou de la losophie hermétique peut y ajouter encore d'autres victimes.
paresse intellectuelle ; les intérêts de la situation qu'on oc- Les plus célèbres praticiens de ces sciences ont eu leurs
cupe, de la réputation ou de l'état de fortune. Nous croyons moments d'aberration. Pythagore se souvenait d'avoir été
spontanément à la vérité de ce qui nous plait et plus encore Euphorbe ; Apollonius de Thyane fut cause qu'un vieux
à ce qui nous flatte ; les meilleurs sentiments portés à mendiant fut lapidé à mort pour arrêter les ravages de la
peste ; Paracelse croyait qu'il avait un esprit familier caché
l'excès, deviennent des sources de préjugés : l'amour de la
dans la poignée de sa longue épée (1), Cardan se laissa
famille engendre l'orgueil et l'intolérance de caste ; l'amour
mourir de faim pour donner raison à l'astrologie ; Duchen-
de son pays devient arrogance nationale ; on en arrive à
teau qui remania et compléta le calendrier magique de Ty-
penser qu'il sied d'être Français ou Anglais plutôt que d'être cho-Brahe, mourut aussi misérablement en essayant une
hommes tout simplement. Les siècles qui se succèdent se expérience extravagante ; Cagliostro se compromit avec
méprisent et se condamnent réciproquement ; les Chrétiens une bande de filous dans l'affaire du « collier de la Reine »
sont des « chiens » pour les « croyants » de Mahomet ; les et s'en alla mourir dans les donjons de Rome, On ne peut
Juifs sont des êtres obscènes aux yeux des Chrétiens ; les pas impunément jeter les yeux sur l'intérieur de l'arche ;
Protestants sont des Hérétiques, les Catholiques des Papis- ceux qui s'y aventurent risquent d'être frappés par la foudre
tes... où sont donc les hommes raisonnables ? comme Mazda. Je ne parle pas de la peur, de l'envie, de la
haine du vulgaire qui, partout et toujours, poursuivent
La Raison est comme la Vérité : elle choque lorsqu'elle l'Initié qui ne sait pas cacher sa science. Les vrais Sages
se montre nue. Avoir trop raison, c'est déjà avoir tort. La échappent à ce danger (2). L'abbé Trithème vécut et mourut
Raison doit persuader et non s'imposer. Elle a peu d'auto- paisiblement alors qu'Agrippa, son disciple imprudent, ter
rité sur les enfants et, presque toujours, déplait aux femmes. mina prématurément dans un hôpital une vie d'inquiétude
et de tourments. Agrippa, à son lit de mort, maudit la Scien-
C'est une Puissance, mais une puissance occulte ; elle ce, comme Brutus, à Philippas, avait maudit la Vertu ; mais
devrait gouverner sans montrer la main qui tient les rênes en dépit du désespoir de Brutus, la Vertu est plus qu'un vain
du gouvernement (1). Pour se dévouer sans danger à l'étude mot et, en dépit du découragement d'Agrippa, la Science (3)
est une Vérité.
des sciences occultes et surtout aux expériences qui en con-
firment les théories, il est besoin d'un esprit très fort et
ferme. Le magnétisme, la divination, le spiritualisme (2) ont
(1) L'auteur exerce là, comme à son ordinaire, son goût de se gausser du
(1) E. L. semble n'établir qu'une faible distinction entre l'occultisme et le public. Il est parfaitement conscient que tous ces prétendus traits de
Jésuitisme. E.O. Naturellement puisque lui-même, comme tant d'autres folie ont une signification occulte.
occultistes, s'avouait quelque peu « Jésuite », lorsqu'il avait affaire à Note du traducteur anglais.
de non-initiés. (2) Je suis heureux qu'E. L. admette ce principe. E.O. Quel principe ?
Note du traducteur anglais. Celui de la Dissimulation ? Je crains fort que ce soit là un principe
que tout le monde n'est que trop enclin à admettre. Note du traducteur
(2) Je rappelle ici que les Anglais ont coutume de confondre le « spiri- anglais.
tualisme » avec le « spiritisme », ce qui n'est pas du tout la même (3) Naturellement l'auteur entend par là la Science occulte.
chose. Je suppose - sans pouvoir m'en convaincre - que le texte du Note du traducteur anglais.
manuscrit d'Eliphas Lévi portait « spiritisme ».
Note du traducteur français.
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peuplé et continuent à peupler les Maisons de fous. La phi-
Au temps présent les sciences occultes sont à peine nous ; comment donc supposer qu'ils doivent y revenir (1) ?
étudiées, sauf par de présomptueux ignorants ou des savants
excentriques ; les femmes - il va sans dire - leur offrent le
terrain de culture nécessaire, sous forme de crises hysté- Mais alors on dira : Quel peut donc bien être l'emploi
de la Magie ? Elle rend les hommes plus aptes à comprendre
riques et de somnanbulisme suspect. Les gens sont surtout
la vérité et à désirer le Bien d'une façon plus saine et plus
avides de prodiges : caresser les dés de la Fortune, battre efficace. Elle aide à guérir des âmes et à fortifier des corps ;
les cartes de la destinée, posséder des philtres et des amu- elle ne donne pas le moyen de faire le mal impunément, mais
lettes pour ensorceller les ennemis, et endormir les maris elle élève l'homme au-dessus des appétits brutaux et le rend
jaloux ; découvrir la panacée universelle de tous les vices - invulnérable aux affres du désir et de la crainte. Tout cela
non pour les réformer, mais au contraire pour les préserver constitue un centre divinement radiat, devant qui les fan-
des deux grands maux auxquels ils succombent : la lassi- tômes, les ténèbres se retirent ; car la Magie sait, veut et
tude et la déception - autant de moyens pour voyager en conserve sa paix. C'est la vraie Magie, et non pas celle des
vitesse sur la grand'route de l'aliénation mentale. nécromans et des enchanteurs, mais celle des Initiés et des
Mages. La vraie Magie est une force scientifique mise au
service de la Raison (2). La fausse Magie est une force aveu-
Si le bouillant Achille d'Homère avait été tout entier gle ajoutée aux bévues et aux désordres de la Folie.
invulnérable, ce n'aurait été qu'un lâche assassin ; de mê-
me l'homme qui serait sûr de toujours gagner au jeu, cau-
sant une ruine générale, devrait être marqué au fer rouge
comme un escroc. Celui qui, par un seul acte de sa volonté,
répand sur autrui la maladie ou la mort serait une pesti-
lence publique dont la Société aurait le droit de se débar-
rasser ; obtenir l'amour autrement que par des moyens
naturels, c'est commettre une sorte de viol ; évoquer des
ombres ; c'est appeler sur soi les Ténèbres éternelles (1).
Pour avoir affaire aux démons, il faut être démon soi-même. (1) Tout cela est vrai en un sens ; mais, comme E. L. le savait bien,
Le Diable, c'est l'Esprit du Mal, le courant fatal des Volontés ce n'est pas toute la Vérité. Note du traducteur anglais.
égarées et mauvaises ; entrer dans ce courant, c'est se plon-
(2) La ténèbre ou le Mal, comme il est dit dans le Codex nazaréen, n'est
ger dans l'abîme, d'autant plus sûrement que l'Esprit du que l'affaiblissement graduel de la Lumière pléromatique ou Akasique
Mal ne répond qu'aux curiosités téméraires et malsaines. (caligo ubi exstiterat etiam exstitisse decrementum et detrimentum).
Les visions sont des phénomènes naturels inhérents à l'état Le sorcier se sert des principes les plus grossiers de l'Akasa, ceux qui
d'ivresse ou de délire. Voir des esprits ; Quelle chimère ! sont physiquement les plus potentiels. Le plénome des auteurs chré-
tiens-grecs est notre Akasa. L'air l'Ether est le Plérame, c'est-à-dire
c'est comme si l'on prétendait toucher la musique et mettre
l'Espace rempli de toute Eternité par l'Etre Un'> (Onomasticon 13) To
la pensée en bouteille. Si l'esprit des morts s'en est allé plan pleroma ton aionôn universum pleroma aconum » (Irénée 1. 1.
p. 15). En lui réside charnellement tout le Plérome » (version anglaise).
Car en lui demeure la plénitude corporelle de la divinité » (collas, 2.9.).
E.O.
(1) Très juste. E.O.
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loin de nous, c'est parce qu'ils ne pouvaient plus vivre parmi
PARADOXE VI
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la complice du désespoir. C'est elle qui dore l'auréole des l'Histoire. Qui saura jamais la mesure exacte de la valeur
Saints et bronze les cornes du Diable. Elle guérit et elle tue ; d'Alexandre le Grand ou de Napoléon I ? Marat et Napo-
elle sauve les uns et damne les autres ; elle est chaste comme léon étaient deux hommes de petite taille, énergiques et
la Vierge et impudique comme Messaline. Elle crée l'enthou- avides de renommée ; l'un désirait affranchir le monde ;
l'autre se proposait de l'asservir. Le premier ne voulait qu'un
siasme et élargit ainsi - presqu'au-delà des limites du pos-
mince ruisselet de sang, le deuxième en fit couler des fleu-
sible - l'empire de la volonté. Elle crée la croyance au bon-
ves et, par surcroit, nous valut deux invasions, le règne de
heur, et le donne pour tout le temps que dure le rêve. son neveu, et d'écrasantes catastrophes. L'un est honni et
exécré, l'autre adoré. Pour le premier les gémonies, pour
L'imagination est la lentille cristalline de l'oeil de notre
le second l'arc de triomphe et la colonne ; ce sont deux exa-
esprit ; elle réfléchit les rayons lumineux de nos pensées gérations, l'une d'infamie, l'autre de gloire.
et magnifie les images de toutes nos perceptions. Notre
rayon visuel est si restreint que pour voir juste dans l'étroi- Et cela vient de ce que Marat - plus sincère et plus
tesse de ce monde, il nous faut voir plus grand que nature. désintéressé au fond du coeur que Napoléon I - n'était qu'un
Les gens dépourvus d'imagination ne font jamais rien de
tribun rageur et vociférant, tandis que Napoléon était un
grand, parce que tout leur apparait sous des proportions
homme de génie, ce qui veut dire un despote de l'imagi-
réduites.
nation humaine. C'est aussi parce que la poésie des nations
préfère de splendides crimes à des vertus médiocres, et que
L'astronome contemple l'univers et s'imagine l'Infini.
le masque de Marat est une grimace qui provoquerait le
Le croyant contemple la Nature et s'imagine Dieu, En vérité,
rire s'il n'inspirait l'horreur, tandis que la médaille de Na-
l'imagination est plus grande que la Pensée. La science est
inondée par la Foi, et, sans la Foi, la Science resterait poléon porte en soi une majesté qui s'impose au culte de
incertaine. l'avenir. Ce sont des raisons concluantes.
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leurs magnifiques cathédrales où les gargouilles, les encor- divin. En latin, on appelle « Divinus » l'homme qui devine,
bellements, les ornements finement sculptés témoignent des ce qui veut dire l'homme divin, et le poète se dit « Nates »,
pures lignes ogivales et participent de la placidité des Saints. c'est-à-dire prophète. La Foi n'a pour objet que les « divina-
,Ces grands artistes avaient deviné l'énigme du Bien et du tions » de ceux qui imaginent les vérités éternelles. Moïse
Mal ; ils comprenaient la Lumière et ses ombres. imagina Jéhovah, et le nuage s'étendit sur le tabernacle.
Salomon imagina le temple universel et ce temple, succes-
C'est l'Imagination qui oeuvre des miracles ; par un acte sivement détruit par les Assyriens et les Romains, est tou-
de leur imagination, de petits paysans sont cause que des jours debout, sous le nom de St Pierre de Rome. Alexandre
églises s'édifient, que les populations entières s'émeuvent... imagina l'unité des nations ; elle se réalisa presque sous
témoin les pélerinages de Lourdes et de la Saiette. Par ima- Auguste et, de nouveau, plus tard, fut imaginée par Pierre le
gination, Josué arrêta le Soleil et fit' tomber les murs de Grand et Napoléon I dont l'antagonisme maintient encore
Jéricho au son de ses trompettes guerrières. l'équilibre du monde. L'imagination est l'éternel entre-deux
qui sépare les amours légères. C'est par l'imagination qu'on
C'est par l'imagination que le pain devient Dieu, et que s'empare généralement des femmes nerveuses. Il est sou-
le vin du calice se change en sang immortel. Or, nous ne vent suffisant pour un homme d'être étrange - voire même
prétendons pas - comme bien on pense - que cela n'a pas horrible - pour se faire aimer. Le Marquis de Sade, Mira-
lieu : cela est tel que nous nous l'imaginons, sur la Parole beau, Marat ont tous été aimés, et, avant eux, Cartouche et
et sur la Foi de Jésus-Christ (1). L'imagination guérit les Mandrin. Il y eut des femmes du monde pour tomber amou-
malades et fait la fortune des médecins célèbres. Elle créa reuses de Lacenaire, et l'on m'a assuré que Troppman, dans
l'Homéopathie dont tous les fervents ont obtenu de bons sa prison, recevait nombre de déclarations d'amour. Les
résultats : elle fait parler les tables et dicte aux médiums, Don Juans, les Lovelaces, doivent le plus clair de leur succès
pêle-mêle, des pages savantes ou des inepties de la plus à leur mauvaise réputation ; les seigneurs Barbe-Bleue
grossière ignorance, des prières ou des imprécations. Elle ne manquent jamais de victimes, et c'est surtout lorsque
met les cornes au front de Moïse, comme à celui des maris les poignards des Lanciottas sont levés sur elles que les
trompés, faisant ressembler le premier au Diable, et les Françaises de Rimini aiment à goûter au fruit défendu. Ce
derniers tantôt furieux comme des taureaux ou doux et qui excite le plus puissamment l'imagination et, conséquem-
patients comme des boeufs. Elle amplifie la Sagesse, exagère ment, exacerbe le désir, c'est la conscience du danger. C'est
la Folie, demande trop à la Vérité et fait paraitre l'erreur pourquoi le Dieu de la Bible, désirant que la Femme devint
plausible. Il n'y a pourtant là ni erreur ni tromperie dans Mère, lui défendit, sous peine des plus terribles châtiments
l'imagination : tout ce qu'elle affirme est vrai, en tant que de toucher au fruit qui la ferait céder à l'amour (1).
poésie, et la poésie peut-elle jamais se tromper ? Elle crée
ce qu'elle invente, et ce qui est créé existe. Imaginer une
(1) Cela n'est point le sens de la légende citée. E L. le savait bien, sans
doute, mais il semble constamment craindre d'avoir parlé trop ouver-
(1) L'une des grimaces caractéristiques de notre auteur ; il les croyait sans tement quelque part, et éprouve le besoin - ou - le devoir - d'égarer son
doute « spirituelles », quoiqu'elles n'en imposassent à personne, mais lecteur en le lançant sur une fausse piste. Note du traducteur anglais.
qui exaspéraient le commun de ses lecteurs par leur mauvaise foi
n'ayant d'égal que le mauvais goût. Note du traducteur anglais.
Vérité, c'est la deviner ; deviner, c'est exercer un Pouvoir
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Le fait que c'est seulement lorsqu'ils se virent voués à viner, traduire ou expliquer les idées d'un autre. C'est ainsi
la Mort que l'homme et la femme songèrent à se reproduire, que le cerveau de l'un devient pour l'autre un livre ouvert
à se donner des successeurs. La Mort laboure le terrain de qu'il peut lire tout entier couramment. Les merveilles du
somnambulisme lucide n'ont pas d'autre cause et sont expli-
l'Amour et l'Amour y sème le grain qui est destiné à grossir
quées par une série de mirages et de visions réflexes. La
la moisson de la Mort. Il est défendu, sous peine de mort,
Lumière intérieure comporte la même relation - quant à la
d'entrer dans la vie, puisque tous ceux qui naissent sont
Lumière extérieure - que l'électricité négative en comporte
destinés à mourir. C'est ce qui est entendu par « péché
par rapport à l'électricité positive, et c'est pour cela que les
originel », dont nous ne pouvons être coupables qu'en la
fantômes apparaissent spécialement la nuit (1), et que les
personne de nos ascendants, en remontant tout le long de sorciers réclament l'obscurité pour faire leurs prétendus
l'arbre généalogique jusqu'au premier générateur. Le péché miracles. C'est encore pour cette raison que les « esprits » et
de la naissance est la conséquence du péché d'amour, que la mediums ne peuvent produire leurs phénomènes particu-
nature a toujours l'air de défendre à l'Humanité, afin de liers devant toute sorte de personnes ; ils ont besoin d'un
stimuler l'appétance qu'elle en a. L'Imagination est le Pégase petit cercle sympathique, prédisposé à recevoir l'influence
des poètes, l'Hippogriffe des Palatins, l'aigle de Ganymède, contagieuse de cette phosphorescence interne qui fait voir
et la tourterelle d'Anacréon. C'est le char de feu d'Elie, et et sentir à ce seul milieu ce qui, pour d'autres, ne serait ni
l'ange qui emporte les prophètes en les tenant par les che- visible, ni sensible. Alors lentement, progressivement on est
pénétré par la vie du rêve (1). Les meubles s'agitent, les plu-
veux. C'est le chérubin aux tenailles incandescantes qui
mes se mettent à écrire sans qu'on les touche ; des gens sont
cautérise le lèvres tremblantes et bégaiyantes d'Hai, le
soulevés de terre et restent suspendus en l'air... Les réalités
Prothée mystérieux qui a besoin d'être fortement comprimé deviennent folles, et les folles idées semblent réelles ; les
dans les limites de la raison pour l'obliger à revêtir une voyants et les voyantes sont insensibles à la douleur physi-
forme humaine et à dire la Vérité. que. Les convulsionnaires de St Médard suppliaient qu'on
les flagellât avec des bâtons de bois ou des barres de fer ;
des somnambules goûtent dans de l'eau pure tous les arômes
De même qu'il existe une chaleur latente déterminant que le magnétisme veut bien imaginer. Les morts apparais-
la polarisation moléculaire des corps, de même il y a une
(1) Partiellement seulement pour cette raison-là. Il y a bon nombre d'au-
lumière latente qui se manifeste de soi-même par une sorte tres raisons : les conditions magnétiques terrestres diffèrent grande-
de phosphorescence intérieure. C'est cette lumière qui illu- ment durant le jour et durant la nuit. L'énergie physique est à son
mine et colore les fantômes de nos visions et de nos rêves, jusant » pendant la nuit et, plus les pouvoirs physiques sont vigou-
reux, moins il y a de latitude pour les perceptions psychiques. Il y
et nous fait voir - en l'absence de toute lumière externe -
a en outre bien d'autres facteurs. Note du traducteur anglais.
de si prodigieux tableaux photographiques. C'est au moyen
(1) Il parait qu'E. L. savait fort peu de choses sur ce sujet. Il pensait
de cela que nous lisons dans la mémoire de la Nature, ou
sans doute que tout phénomène est forcément subjectif. Note du
dans le réservoir général des impressions et des formes, traducteur anglais.
les germes rudimentaires du Futur inscrits dans les archives
du passé. Le somnambulisme est un état d'immersion de la
pensée dans la Lumière invisible aux yeux à l'état de veille.
Dans ce bain universel qui réfléchit tous les pressentiments
et toutes les souvenances, le esprits se rencontrent, des
intelligences s'entre-pénètrent ; et c'est ainsi qu'on peut de-
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sent ; des mains sans corps viennent vous toucher... Mais, ches des hommes de science, mais en aucun cas, ils ne peu-
qu'un homme sain se présente, ou quelqu'un qui ne soit pas vent démontrer l'intervention d'êtres surnaturels (1).
sympathique au cercle, aussitôt les oracles se taisent, les
mains disparaissent, les meubles cessent leur danse, tout En fait, Dieu est seul surnaturel en ce sens qu'il est le
rentre dans l'ordre naturel (2), et les membres du cercle sont Maître de la Nature. Tout ce qui n'est pas Dieu tombe néces-
aussi maussades que des dormeurs trop brusquement tirés sairement dans le domaine du naturel (2).
de leur sommeil. Cette lumière de rêves que nous pourrions
appeler Lumière obscure ou noire, existe indépendamment Il nous faudrait ignorer tout à la fois et les lois de la
du soleil et des étoiles, comme existe celles des Lucioles, Nature et les règles de l'exégèse pour accepter littéralement
vers luisants et feux follets. Elle ne se confond jamais avec et dans leur signification naturelle les expressions dogma-
la Lumière visible extérieure, mais peut laisser son empreinte tiques et sacramentelles des Ecritures et des Conciles. Ainsi,
sur le cerveau, empreinte transitoire chez les hallucinés, la Foi nous enseigne que dans le Sacrement de l'Eucharistie
durable chez les déments. Les organismes nerveux, bourrés il y a transsubstantiation. Est-ce que cette transsubstantia-
(saturés) de lumière noire deviennent des aimants mal ré- tion est naturelle ? Evidemment non : elle est mystérieuse
glés et, de temps à autre, produisent sur des objets inertes, et Sacramentelle. On peut substituer une substance à une
des attractions ou des pressions dont les effets paraissent mais une substance ne devient pas une autre substance ;
merveilleux, surtout quand ils sont amplifiés et multipliés - c'est toujours la même amalgamée ou modifiée selon le cas.
comme cela arrive presque toujours - par l'imagination obli- La chimie décompose et recompose les corps, mais elle ne
geante des spectateurs. La crédulité se prête volontiers aux change pas une chose en une autre chose, car, dans ce cas,
miracles. Les esprits faibles sont naturellement portés vers les deux choses existeraient, et n'existeraient pas en même
le merveilleux et il est assez difficile de les détromper, quand temps.
ils persistent à vouloir être trompés.
Pour changer littéralement et totalement de l'eau en
Il n'y a jamais eu de miracle fait- pour le triomphe
de la Science ou de la Raison. Il ne s'en est jamais produit
en présence de gens sages et instruits. Des phénomènes (1) Tout cela, quoique littéralement vrai, est grossièrement déloyal. En
étranges - réduits à leur plus simple expression - peuvent tant que Kabbaliste, E. L. connaissait tout ce qui concerne les Lié-
mentais et les Elémentaires. Il est certain que ceux-là ne sont pas
surnaturels puisqu'ils relèvent de la Nature, de sorte que ce qu'il
avance ici est vrai quant à la lettre, mais faux quant à l'esprit, car
(2) Tout cela est. évidemment une généralisation trop hâtée, fondée sur
il savait bien que tous ses lecteurs considéraient ces entités-là comme
une documentation insuffisante. Tout cela peut arriver, ou ne le peut
surnaturelles et, d'après son dire, comprendraient qu'il niait leur
pas ; cela dépend de la force magnétique (j'emploie ce terme faute
existence. Il en est de même des miracles ; ceux-là ne sont, naturel-
d'un meilleur) du cercle et de l'intrus, y compris, dans le cercle, les
lement, que les effets de lois naturelles encore inconnues, si bien que,
influences qui peuvent y avoir été attirées, Nombre de tels intrus,
là aussi, ce qu'il en dit est vrai à la lettre mais faux en esprit parce
profondément sceptiques et hostiles envers ceux qu'ils tenaient pour
que cela porte le lecteur à conclure qu'E. L. niait la possibilité de
des dupeurs et des dupes, ont dû constater que leur présence et même
ce qu'on appelle « Miracle ». Note du traducteur anglais.
leur volonté étaient tout à fait impuissantes à entraver le cours et le
progrès du phénomène.
(2) Trompe rie et présomption, et l'auteur le savait. E.O.
Note du traducteur anglais.
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Un bon sens imperturbable uni à une puissante imagi-
nation, voilà ce qu'on appelle génie. L'homme qui possède
ces deux forces peut se rendre entièrement indépendant et
exercer à volonté une influence réelle sur le commun des
mortels. Il se créera - selon son bon plaisir - des serviteurs
et des amis, à moins toutefois qu'il ne rende son génie tribu-
taire de quelque faiblesse secrète. Il est possible de posséder
un bon sens dogmatique, sans avoir pour cela un bon sensPARADOXE VII
pratique. Les grands hommes sont souvent leurs propres
dupes : ils aiment la gloire, comme Orphée aimait sa com-
pagne ; ils vont la cherchant partout - même aux Enfers - et
se retournent au moment fatal... pourLA VOLONTE ACCOMPLIT TOUT
voir si Eurydice les suit. La vraie gloire
CE QU'ELLE NE DESIRE PAS
est ce que nul ne peut nous ravir ; elle
consiste dans le mérite et non dans les applaudissements
de la foule (1) ; elle ne craint pas les caprices du Destin,
parce qu'elle ne doit rien au hasard. Elle n'aime ni le tu-
multe des multitudes ni le bruit ; c'est dans le silence de
la Terre qu'on jouit de la paix céleste (2).
(1) ... le mérite est l'océan, Dieu ne craint rien ; il sait que le Mal ne peut pas triom-
La renommée n'est que le bruit qui mugit dans les bas-fonds.
Note du traducteur anglais. pher, et il ne désire rien, parce qu'il sait que le Bien s'accom-
plira de soi-même. Mais il veut que la Vérité soit, parce
( 2 ) La conviction de l'aptitude particulière à chacun de mieux reconnaître qu'elle est vraie, et que la Justice soit rendue, parce que c'est
sa propre nature et ses aptitudes. Le pouvoir a ses illusions. Que
chacun accomplisse sa mission. E.O. juste.
92 93
La Magie doit vouloir tout ce que le Mage veut. Il veut sans penser que la richesse engendre la satiété et le dégoût
la beauté dans la nature, parce qu'il en jouit dans sa pléni- des plaisirs, et que trop souvent les honneurs sont achetés
tude et n'en abuse jamais. Il veut que les Printemps se au prix de la bassesse. Aussi quelles déceptions attendent
renouvellent toujours chargés de fleurs, que les roses s'épa- ces hommes ! L'avare thésaurise la misère, le luxurieux dé-
nouissent en leur beauté, que les enfants soient heureux et prave ses sens et tue son coeur ; quant à l'ambitieux qui
les femmes aimées. (1) songe à escalader le Capitole, il ne rencontre que la roche
Tarpéienne. L'avare souffre de la faim et de la soif, comme
Il veut que les hommes s'entr'aident, pour encourager Tantale ; le voluptueux tourne sous la roue d'Ixion, l'ambi-
les femmes et secourir les vieux. Il veut que le Bien éternel tieux roule éternellement le rocher de Sisyphe... Leur vie
triomphe sur le mal transitoire, et il prend part patiem- est un Enfer, leur fin un désespoir.
ment, paisiblement, à l'oeuvre de la Société et de la Nature.
Le Mage - ou, si vous le préférez, le Sage - accueille le
Il veut l'ordre, la raison, la bonté, l'amour, et, en vue
de ce qu'il veut, il travaille de toutes ses forces. C'est ainsi
plaisir, accepte les richesses, mérite les honneurs ; mais il
qu'il gagne l'immortalité et le bonheur. ne se rend jamais esclave d'aucun d'eux. Il sait être pauvre,
se restreindre, souffrir ; il supporte volontiers qu'on oublie,
Ne désirant rien, il est riche ; ne craignant rien, il est parce que son bonheur qui est sa propriété n'espère rien et
libre ; ne demandant que ce qu'il doit demander, il est heu- ne craint rien des caprices de la Fortune.
reux. Un poète a dit de Dieu « Pour lui, vouloir, c'est créer ; Il peut aimer sans être payé de retour. Il peut créer
exister, c'est produire. On peut en dire autant du Mage des trésors impérissables et s'élever au-dessus du niveau des
désirer le Bien, c'est déjà faire le Bien : aucune existence honneurs, dons aléatoires. Il possède ce qu'il désire en jouis-
n'est stérile.
sant d'une paix profonde et ne regrette rien de ce qui doit
avoir une fin. Mais il se souvient avec joie de tout ce qui
Job, étendu sur son fumier, faisait une oeuvre sublime : lui a été bon. Son espoir est déjà une certitude (I). Il sait
il donnait au monde la Patience. que le Bien éternel et le mal transitoire. Le mage peut
goûter les charmes de la solitude, mais il ne fuit pas la so-
Toute souffrance est une parturition : la pauvreté en- ciété des hommes. Il est enfant avec les enfants, gai avec la
fante les richesses ; la maladie, la santé ; la captivité, l'af-
franchissement ; la punition, l'expiation et le pardon ; les
larmes sont des semences de joies. La Mort nourrit la Vie. (1) Il n'en sait rien du tout ; ce qu'il sait, il le dit, à savoir que le Bien
Pour qui sait et aime, tout est espoir et bonheur. et le Mal sont tous les deux éternels, parce que tous les deux des
fictions de l'imagination humaine. Or, l'humanité, ou Dieu dans la
Nature, est éternelle. E.O.
Fortune, honneurs et plaisirs, voilà ce à quoi la majorité J'ose prétendre que ceci prête à mésinterprétation au sens absolu,
des hommes aspirent, sans penser jamais que les plaisirs transcendant ; le Bien et le Mal peuvent être tous les deux fictifs,
mais relativement à des existence conditionnées à tous les degrés, le
Bien et le Mal sont réelà.
(1) Je me permets de douter du dernier point : le « mage » - à moins que
ce ne soit un Français - n'a besoin de rien de ce genre. £.0.
sont la ruine, tout à la fois, de la fortune et de l'honneur ;
94 95
jeunesse, grave avec les vieux, patient avec les sots, heureux rités endurcissent le coeur aussi certainement que les orgies
avec les sages. de débauche.
Il sourit avec tous ceux qui sourient, il pleure avec L'homme parfaitement équilibré peut marcher ou cou-
tous ceux qui pleurent. Il prend sa part à toutes les fêtes, rir sans crainte de tomber, Il faut être quelqu'un pour méri-
sympathise à tous les deuils, applaudit à tout effort de ter de vivre ; on est quelqu'un pour faire quelque chose.
l'esprit, est indulgent pour toutes les faiblesses. N'offensant Nous n'existons qu'en vue d'agir ; nous pensons pour par-
jamais personne, il n'a jamais à solliciter de pardon, ni à ler. La Raison, elle aussi, est le Verbe ; mais le Verbe n'est
pardonner lui-même car il ne se sent jamais offensé. Il prend pas seulement la Parole, il est la vie et l'action. Nous som-
en pitié ceux qui le méconnaissent et attend l'occasion de mes forts pour travailler ; nous sommes instruits pour ensei-
leur faire quelque bien. C'est à force de bonté qu'il aime à gner ; nous sommes médecins pour guérir les malades.
se venger des ingrats. Etant prêt lui-même à se dépouiller « Nous n'allumons pas une lampe pour la cacher sous le
de tout, il reçoit avec plaisir et gratitude tout ce qu'on lui boisseau » dit le Christ. La lumière doit être placée sur un
offre. Il s'appuie affectueusement sur tous les bras qui se chandelier. Chacun se dit à tous, comme tous se doivent à
tendent vers lui aux heures difficiles et ne prend pas pour de chacun en particulier.
la vertu la fierté chagrine de Rousseau. Il pense rendre
service aux autres en les mettant à même de faire quelque Nous ne devons pas cacher le talent d'or ; nous devons
bien, et il ne répond jamais par un refus, soit qu'on lui offre le porter en banque afin qu'il fructifie. Vivre, c'est aimer,
ou qu'on lui demande. et aimer c'est faire le Bien. Nous devrions désirer le progrès
de l'Humanité, la prospérité de notre pays, l'honneur de
notre famille, la conservation du Monde, L'homme qui ne
Ne pensez-vous pas qu'un homme de ce caractère est s'intéresse à personne est un homme déjà mort qui devrait
plus grand qu'un roi, plus riche qu'un millionnaire, plus être oublié.
heureux qu'un Faublas ou un Sardanapale ? Heureux celui
qui comprendra cette grandeur, appréciera cette richesse et
saura goûter cette joie et ces plaisirs ! Il ne désirera rien de « Si quelqu'un désire me suivre » dit le Christ, « qu'il
plus et aura tout ce dont il a besoin. La perfection, c'est renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et marche sur mes
l'équilibre ; les excès de privations sont aussi dangereux traces ». Renoncer à soi-même, c'est sortir de l'égoïsme pour
que les excès de jouissances. Les macérations ont leur côté - entrer dans la charité. La vraie vie de l'homme n'est pas en
d'épicurisme malsain. Les Fakirs aiment à s'étioler et à soi, mais en autrui. Porter sa croix, c'est supporter coura-
s'éteindre dans l'extase de leur orgueil. Les Pénitents, bour- geusement les douleurs et les épreuves de la vie. Tous les
reaux de leurs popres corps et de leurs âmes, sentent triom- sages ont eu leurs croix à porter. Jésus, avant de monter au
pher en eux la cruauté du Dieu qu'ils croient venger. Les calvaire, eut l'ingratitude des Juifs et la sottise de ses dis-
brûleurs d'hommes sont ceux qui se soumettent au plus ciples. Socrate eut Xantippe, Platon eut Diogène. La philo-
dures disciplines .Le Pape Pie V était un ascète, et le terrible sophie doit s'apprendre dans le livre de Job. « Heureux ceux
St Dominique était un pénitant rigoureux, sans pitié pour qui pleurent » a dit le Maître ; mais plus heureux - disons-
lui-même. Le fanatique capable de se tuer pour son Dieu est
tout aussi capable de tuer son prochain ; les orgies d'austé-
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nous - ceux qui savent souffrir sans pleurer. Fénelon, dans bue ; l'avare retient et met sous séquestre. La fortune de
ses « Dialogues sur les Morts », trouve Héraclite plus hu- l'homme économe est vivante, celle de l'avare est morte.
main que Démocrite. Rabelais n'est pas de cet avis : les ani- L'homme économe laboure, l'avare enfouit. La fortune de
maux pleurent, l'homme seul sait rire ; le rire est donc plus l'homme économe est utile à tout le monde, celle de l'avare
est inutile aux autres et à lui-même. L'un use, l'autre abuse.
humain que les larmes ; il est la consolation de l'homme, et
L'un cueille, l'autre monopolise ; les possessions de l'un
Homère n'hésite pas à en faire le privilège des Dieux. Le sont sa propriété, celles de l'autre sont le fruit de rapines
héros scandinave avait pour épitaphe : « Il rit et mourut ». et de recel de biens volés.
Il y a, il est vrai, le bon et le mauvais rire ; mais c'est
le bon qui est le vrai. L'autre n'est que le gloussement du Il est certain que l'homme n'a pas le droit de vivre uni-
dindon ou la grimace du singe, Les hommes bons et intelli- quement pour soi ; sa règle de conduite ne peut pas être son
gents savent rire ; les méchants et les sots ne peuvent que propre caprice. Enfant de la nature, il doit en respecter
ricaner, Le rire franc est le fruit de cette joie qu'une bonne les Lois ; membre de la Société, il doit en accepter les de-
conscience peut seule produire. « On juge l'arbre par ses voirs. Sa volonté peut le faire souverain, mais à la seule
fruits » dit l'Evangile. « On ne récolte pas de raisin sur des condition que cette souveraineté soit constitutionnelle.
ronces ». Commencez par prendre la résolution d'être réel- Toutes les volontés désordonnées sont naufragées d'avance
lement bon, et tout ce que vous ferez sera bon. Le Bien, le et mises en pièces. Tout caprice est une folle dépense de vie
Beau, le Vrai - vertu, honnêteté, Justice - sont choses insé- et un pas vers la Mort.
parables d'où sort le vrai bonheur, car le résultat en est la
Paix, c'est-à-dire tranquillité dans l'ordre éternel. Pour vouloir efficacement, il faut vouloir avec correc-
tion et justice ; et, pour vouloir correctement, il faut juger
Pour que la Volonté soit puissante, il lui faut être persé- sainement des choses et ne pas se laisser aller et égarer par
vérante et calme. « Dieu ne balance pas » dit la Bible, et les préjugés ou la passion.
nous ne pouvons jamais avancer si nous nous arrêtons con-
tinuellement en chemin et retournons sur nos pas. Quand L'opinion du commun des mortels n'est pas la règle de
on a semé le bon grain, il ne faut plus remuer le terrain qui conduite du Sage. Il ne l'attaque pas ouvertement, mais il
l'a reçu, mais il ne faut pas non plus cesser encore d'arroser ne s'y conforme point.
ce qui a été semé. Alors le germe sortira de terre et la plante
poussera d'elle-même. Quand on a mis le levain dans le
Il y a au fond de toutes les opinions populaires quelque
Pétrin, il faut le laisser travailler. Le plus petit effort, cons-
vérité méconnue. Avoir le pouvoir et la jouissance, voilà ce
tamment répété, vient à bout de tous les obstacles. Nous qui fascine et attire les hommes. En réalité, avoir le pouvoir
devons persévérer avec une inlassable patience. Les hommes et trouver le bonheur en soi, voilà ce qui constitue la pléni-
les plus forts sont ceux qui ne se surexcitent point et n'agis- tude de la vie humaine. En quoi donc les fous diffèrent-ils
sent qu'à propos, avec modération et jugement. C'est le des Sages ? En ce que les premiers prennent les moyens
travail et l'économie qui créent et augmentent la fortune ; pour la fin, et qu'il en résulte que le plus grand bien devient
il ne faut cependant pas confondre l'économie avec l'ava pour
rice. La fortune de l'homme économe dépense et se distri-
eux le pire des maux. Posséder toutes choses - sauf l'intel- Raison veut, Dieu le veut. L'être raisonnable participe de
ligence et la Raison - quel luxe de misère ! Avoir tout pouvoir la royauté divine. Il veut, parce que la Raison veut, et sa
de faire le Mal - quel horrible sort ! Se complaire dans volonté est invincible. Il peut dire comme le Christ : « Je
l'abus - quel suicide ! Est-ce qu'un lâche est un guerrier
suis le Principe qui parle ». Il peut avoir des adversaires, des
valeureux parce qu'il trame un grand sabre ? Est-ce qu'un
porc est un homme parce qu'il mange des truffes dans un contradicteurs, des oppresseurs... il n'a point de maître sur
plat d'or ? Peut-on être fier de commander aux autres quand terre et ses égaux sont au Ciel. Le soleil qui brille sur un
on n'est pas maître de soi-même ? ... Alexandre le Grand, insecte n'est pas moins splendide que celui qui prête à la
vainqueur des Indous et des Perses, fut incapable de vaincre lune son éclat, et un mendiant dans son bon droit est supé-
sa propre intempérance ; maître du monde, il s'abandonna rieur à un prince dans son tort.
dans son ivresse à un accès de fureur et tua son ami Clytus.
Il semblait sur le point de faire éclater un univers trop Diogène préférait avec raison un rayon de son soleil à
étroit pour le contenir, et il crève d'un trop plein de vin
l'ombre d'Alexandre ; le cynique se posait en cela l'égal
dans une orgie frénétique. Cet homme tantôt Dieu, tantôt
brute, cet homme qui avait fait trembler les nations devant du conquérant dont il limitait la puissance par son propre
sa folie ambitieuse meurt dans une crise de delirium tre- droit à ne pas être gêné.
mens. Il meurt jeune, comme toutes les espérances exa- Ne rien désirer, ne rien craindre, vouloir fortement et
gérées, et l'avortement de cette existence gigantesque est une
tare sur sa gloire. Quel néant après tant de grandeur ! Quelle patiemment ce qui est juste, c'est être plus grand et plus
vaine renommée flotte et s'évapore autour de ce petit cada- fort que tous les maîtres de la Terre.
vre ! et n'était-ce pas à lui que Jésus pensait quand il dit :
« Que sert-il à l'homme de gagner l'univers quand il vient à
perdre son âme ? » La grenouille de la fable se gonfle pour
essayer de devenir monstrueuse ; elle finit par crever. De
même, dénué de raison, parvenait à s'agrandir outre mesure,
que deviendrait-il sinon une gigantesque déraison, une folie
énorme, une ombre plus épaisse que la plus petite étincelle
de raison aurait d'autant plus de mal à percer.
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RECAPITULATION SYNTHETIQUE
MAGIE ET MAGISME
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Mage) n'exerçant pas la Magie n'est que quelqu'un qui sait. sorcier. Il a étudié la Kabbale et les doctrines magiques des
L'auteur du présent ouvrage est un Mage qui ne pratique sanctuaires antiques ; il sent qu'il les comprend ; il y croit
pas la Magie ; c'est un homme d'études et non un homme à sincèrement et les admire. C'est, à ses yeux, la Science la plus
phénomènes. (1) Il prétend n'être ni magicien ni Mage, et il noble et la plus vraie que le Monde possède et il regrette
profondément qu'elle soit si peu connue. C'est pour cela qu'il
cherche à le mieux faire connaitre, ne prenant pour lui que
(1) On peut se demander si ce n'est pas là la meilleure, la plus sage et la le titre de Professeur de la Haute Science. La science du
plus sûre des positions pour lui. En admettant qu'en se vouant aux
sciences physiques occultes, on puisse obtenir deux dons suprêmes -
magisme est contenue dans les livres de la Kabbale, dans
l'un consistant en la conservation de la mémoire individuelle à travers les symboles de l'Egypte et de l'Inde (1), dans les livres
toutes les vies futures sur cette planète et les autres de notre cycle d'Hermès Trismégiste, dans les oracles de Zoroastre et les
formant un circuit complet - en d'autres termes gagnant une quasi
immoralité de la personnalité ; et, secondement, le pouvoir de gou- écrits de quelques grands hommes du Moyen Age, tels que
verner et de diriger notre propre vie future après la mort, au lieu Dante, Paracelse, Tritheme, Guillaume Postel, Pompo-
d'être emporté dans le tourbillon et entrainé malgré soi, pendant qu'on naceus, Robert Fludd, etc...
est encore à l'étal passif sous la loi des affinités. Il est pourtant à
tout le moins incertain de savoir si ces dons supérieurs (que deux pour
cent à peine des adeptes acquièrent) sont, oui ou non, profitables à Les oeuvres de la Magie sont la divination ou prescience,
l'homme à la longue. Ce qui est évident, c'est que pour y atteindre, il la Thaumaturgie ou emploi de pouvoirs exceptionnels, et la
faut pour les hommes de notre race mener une existence tout à fait
exceptionnelle. Cela peu t être un sublime égoïsme, mais l'égoïsme n'en Théurgie ou pouvoir sur les visions et les esprits.
est pas moins la conditions requise pour l'obtention de ces dons suprê-
mes. On peut du moins se demander si une vie d'active bienfaisance et On peut deviner ou prédire, soit par observation et in-
d'altruisme parmi nos frères n'est pas, à la longue, plus productrice de
bonheur. Dans un univers gouverné par une justice mathématique, nous duction de la Sagesse, soit par les intuitions de l'extase, du
pourrions nous contenter d'abandonner le soin de notre futur aux Lois sommeil, des calculs de la Science, ou par les visions de
éternelles, et il me semble que l'immortalisation d'une personnalité
nécessairement imparfaite est un bien plutôt douteux. Quant aux
l'enthousiasme qui est une sorte d'intoxication. C'est si vrai
autres pouvoirs dépendant de la manipulation de l'essence astrale, que Paracelse l'appelle ebriecatum » ou espèce d'ébriété.
malgré qu'ils soient incontestablement susceptibles d'exercer une Les états qui ont rapport au somnambulisme, à l'exaltation,
influence bénéfique en de rares exceptions, ils me semblent un objectif
à peine digne de l'Homme divin. Une certaine connaissance théorique hallucination, intoxication, soit du fait de l'alcool ou de
des Physiques de l'Occultisme se développe dans l'esprit à mesure drogues spéciales, en un mot, à toute classe de folie artifi-
qu'il progresse dans la métaphysique des « Hautes Sciences », mais, cielle ou accidentelle durant laquelle la phosphorescence
à mon humble avis, c'est à la compréhension parfaite de ces der-
nières que nous devons appliquer le meilleur de nos efforts. Nous ne cérébrale et accrue et surexcitée, sont dangereux et con-
devrions pas perdre notre temps à la recherche du ou des pouvoirs _; traires à la nature. Il est donc mauvais de tenter de les pro-
nous ne devrions lever aucun regard avide même sur les deux facultés
suprêmes, mais nous contenter de si bien travailler à purifier notre
nature et à nous imprégner d'amour actif pour tout, de façon à assurer
l'évolution de notre personnalité supérieure et à connaître l'unité (1) Et surtout dans la littérature ancienne, sacrée de l'Inde. Mais E.O. n'a
infinie et tout ce qui par là même fait partie de nous-mêmes pour jamais étudié le Bhagavad Gîta ni d'autres incarnations pareilles de la
devenir l'intuition nécessaire de notre personnalité nouvelle. C'est en vie spirituelle dans la chair ; autrement il aurait été un bien plus
cela qu'on est « un vrai Magiste qui ne pratique point la Magie », et vrai Magiste
c'est, à mon sens, le plus noble quoique peut-être le moins attrayant. Note du traducteur anglafs.
Note du traducteur anglais.
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ne peut que hausser les épaules quand on le prend pour un
duire parce qu'ils troublent l'équilibre nerveux et mènent sorcières de Macbeth l'amenèrent au régicide en lui persua-
presqu'infailliblement à la frénésie, à la catalepsie, à la folie. dant qu'il serait roi. Les prophéties semblent attirer le Mal
et provoquent souvent un crime. Les Juifs croyaient que la
La divination, la prédiction par pure sagacité demandent gloire de Dieu dépendait tout entière de la conservation de
une connaissance approfondie des lois de la nature, une leur temple ; prédire la destruction de celui-ci était donc
observation constante des phénomènes et de leur corréla- un blasphème. Jésus osa le faire, et les Juifs qui, la veille
tion ; le discernement des Esprits par la science des signes, encore, étendaient leurs manteaux sous ses pieds et cou-
la nature exacte des analogies, et le calcul - qu'il soit intégral vraient sa voie de branches de palmiers et de fleurs, se
ou différentiel - des chances et des probabilités. Il est utile mirent à crier tout d'une voix : « Qu'il soit crucifié I » Mais
de deviner et de prévoir mais nous ne devons pas nous per- ce n'était pas pour eux que le Sauveur avait fait cette pré-
mettre de nous mêler de faire des prédictions. Un prophète diction ; c'était pour le petit cercle de ses disciples fidèles et
intéressé en la matière est toujours un faux prophète, parce de ses apôtres ; malheureusement elle devint publique et
que le désir trouble la sagacité. Un prophète désintéressé, ce servit de prétexte au meurtre juridique du meilleur et du
qui veut dire un vrai prophète, se fait toujours des ennemis, plus divin d'entre les hommes. (1)
parce qu'il y a toujours en ce monde plus de mal que de
bien à prédire. Les sciences occultes devraient toujours être S'il nous est possible de prédire avec certitude exac-
tenues cachées. Les Initiés qui parlent sont des profanes ; tement l'époque où les éclipses doivent se produire et le
et celui qui ne sait pas garder le silence ne sait rien. (1) retour des comètes, pourquoi ne pourrions-nous pas prédire
les périodes de grandeur et de décadence des empires ?
Noé prévit le déluge, mais prit grand soin de ne pas Etant donné la nature d'un germe, ne savons-nous pas quelle
le révéler. Il retint sa langue et construisit son arche. Joseph espèce d'arbre doit en sortir ? Connaissant le moteur, la
prévit les sept années de famine et prit ses mesures pour charge et les obstacles, ne pouvons-nous pas évaluer la durée
assurer au roi et aux prêtres toutes les richesses de l'Egypte. et l'étendue de la motion ? Lisez le livre : « Pronosticatio
Jonas prédit la destruction de Ninive et s'enfuit désespéré eximie doctris Teophrasti Paracelsi » et vous serez stupéfait
parce que sa prédiction ne se réalisa pas. Les premiers chré- des choses que ce grand homme était capable de prévoir en
tiens prédirent l'incendie de Rome et Néron, avec quelque combinant les calculs de la science avec les intuitions de sa
merveilleuse sagacité I On peut prédire avec certitude en
s'aidant des calculs de la science, et avec incertitude quand
(1) « Faites silence, vous tous qui entrez ici », tel est le commandement
qui, de tout temps, a été gravé au-dessus des portes de l'occultisme. on ne s'appuie pas que sur sa nature sensitive, impression-
« Gopaniyum Arayahnema ». « Gardez le secret avec le plus grand nable ou sur l'intuition magnétique. Il en est de même des
soin » répètent à l'envie tous les anciens écrivains Ariens qui ont
traité du Psychisme. Mais tout efficace que cette injonction au secret
ait été dans le passé, il ne faut pas oublier que l'évolution ne s'endort
jamais et que la roue tourne toujours. Une race nouvelle et supérieure (1) Tout ce paragraphe est de pur sophisme et manque - en une certaine
commence à briller à l'horizon, et ce qui, pour une race, est du plus mesure - de sincérité. Il ne traite pas des « choses qui se rapportent
haut secret, intolérable à la masse, devient pour la race suivante, des à Dieu » mais bien de celles qui se rapportent à l'homme. Ce n'est pas
,
vérités intuitives, sinon encore assimilables et palpables. Note du de l'occultisme mais de l'Eliphas Léviisme. Note du traducteur anglais.
traducteur anglais.
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miracles. Ceux-ci sont des phénomènes stupéfiants, parce dans sa putréfaction semblable à Lazare, et ordonne qu'elle
qu'ils sont anormaux et produits en conséquence de quelques soit délivrée de ses bandelettes et de son linceul. Tels sont
lois naturelles jusqu'à ce jour inconnues. Lorsque l'élec- les vrais miracles du Christ ; mais si, on lui demande des
tricité était encore un mystère pour la masse, les phéno- prodiges, il répond : « Cette génération vicieuse et adultère
mènes électriques étaient des miracles. Les phénomènes ma- désire des miracles, mais il ne lui en sera pas donné d'autre
gnétiques étonnent actuellement les adeptes du spiritisme, que celui du Prophète Jonas ». Le Maître nous donne à
parce que la science n'a pas encore reconnu et déterminé
entendre par là que les miracles de la Bible sont aussi des
officiellement les forces du magnétisme humain - lequel est
allégories : Jonas sortant vivant du corps du poisson qui
distinct, à notre point de vue, du magnétisme animal. On ne
sait pas encore jusqu'à quel point la volonté de l'homme et l'avait avalé, c'est l'Humanité qui se régénère. Jésus donna
son imagination sont des pouvoirs. Ce qui est évident, c'est sa doctrine aux Juifs et l'exemple de ses vertus, comme mi-
que, dans certains cas, la nature leur obéit : le malade recou- racles incontestables.
vre soudain la santé, des objets inertes changent de place
Jésus aurait certes pu guérir les malades ; après lui,
sans aucun motif apparent, des formes invisibles et palpables
sont produites ; et les causes de tout cela est, pour les uns Vespasien, Apollonius, Gassner, Mesmer et le zouave Jacob
Dieu, pour les autres le Diable, sans que ni les uns ni les ont aussi opéré des guérisons. Des gens malades ont égale-
autres ne réfléchissent que Dieu est trop grand pour condes- ment recouvré la santé à Lourdes, comme à la tombe du
cendre à se faire le complice ou l'instigateur de tours de diacre Paris ; mais de telles cures ne sont point des mira-
conjuration ; et que le Diable - s'il existe comme la légende cles : elles sont le résultat naturel d'une certaine exaltation
nous le représente - serait trop intelligent et trop fier pour dans la Foi. Jésus-Christ le reconnut lui-même ainsi quand,
consentir à être ridiculisé. répondant à quelqu'un qui lui demandait « Pouvez-vous me
guérir » il dit : « Oui, si vous pouvez croire car tout est
possible à qui a la Foi. »
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Tout homme a un centre (focus) magnétique qui est Dieu et pour manifester Dieu que l'infini monte et descend.
attractif et radiant. Cette attraction et cette projection sont A chaque échelon, l'esprit qui monte est égal à celui qui des-
ce qu'on dénomme en magie l'inspiration et la respiration. cend et peut le prendre par la main ; mais il lui faut cepen-
Le Bien inspire et respire le Bien, l'homme méchant attire dant suivre celui qui le précède et qui monte devant lui.
et respire le mal. Celui qui est bon peut guérir le corps, parce C'est une Loi que ceux qui font des évocations devraient
qu'il rend l'âme meilleure ; les mauvais font du mal tant au bien méditer sérieusement.
corps qu'à l'âme. Il arrive souvent que les méchants attirent
les bons pour les corrompre, et que les bons attirent à eux Monter éternellement, monter sans cesse, monter tou-
les méchants en vue de les transformer et de les rendre bons, jours, tel est l'espoir des Elus ; descendre éternellement,
et c'est ainsi que parfois les méchants semblent prospérer, c'est la menace qui pèse sur les Réprouvés..
tandis que les bons sont victimes de leurs propres vertus.
Mais ils se trompent grossièrement ceux qui s'imaginent Les hommes invoquent les Esprits supérieurs, mais ils
que Tibère était plus heureux à Caprée que Marie au pied ne peuvent évoquer que les inférieurs. Quand on invoque
de la croix de son fils... Et pourtant de quels plaisirs Tibère un esprit supérieur, celui-ci vous attire vers le haut. L'esprit
était-il privé ; quelle souffrance était épargnée à Marie ? inférieur qu'on évoque vous entraine en bas (1).
Heureuse mère ! (1) Misérable empereur ! disons-nous. Le
miel se change en fiel dans la bouche des méchants, et le Invoquer, c'est prier ; évoquer est un sacrilège, excepté
fiel devint miel dans la bouche du Juste. L'innocent sacrifié lorsqu'il s'agit d'une dévotion toujours très dangereuse. Mais
est déifié par son supplice même ; le coupable triomphant les mortels téméraires qui se plongent dans les évocations
est marqué au fer rouge et brûlé par son diadème. Abordons ne pensent nullement à faire monter avec eux l'esprit qu'ils
maintenant aux dangereux rivages de la Magie toute encer- appellent ; ils désirent s'appuyer sur lui au contraire pour
clée de ténèbres. Touchons aux conversations avec l'autre faire leur ascension et doivent nécessairement perdre l'équi-
monde, au contact avec l'invisible, à la Théurgie, en un mot, libre puisqu'ils s'appuient sur ce qui descend. L'Esprit qui
et à l'évocation des esprits. descend est une charge pour qui veut le relever, et, néces-
sairement il entraine vers le bas celui qui s'abandonne à
Tout nous prouve qu'il y a - en dehors de l'homme - lui ! Renoncer à la Raison pour suivre les inspirations d'un
d'autres être intelligents. La hiérarchie des esprits doit être fantôme, c'est se plonger dans l'abîme de la Folie.
aussi infinie que celle des corps. L'échelle mystérieuse de
Jacob est le symbole biblique de cette hiérarchie montante La grande époque de la Théurgie fut celle qui suivit la
et descendante. Dieu se repose sur cette échelle, ou plutôt il chute des anciens dieux. Maxime d'Ephèse avait coutume
la soutient. On peut dire que cette échelle est en lui, ou de les invoquer devant Julien, parce que les hommes avaient
cessé de les invoquer ; ils étaient tombés au-dessous du ni-
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veau de la raison chez le commun du peuple. Aussi appa- pour les savants matérialistes qui ne croient pas à une autre
rurent-ils à Julien, pauvres et décrépits. Julien, encore fas- vie ; mais ils n'en sont pas moins obligés, en dépit de toute
ciné par la Magie du Passé, désira prendre sur son dos ces évidence, de nier le phénomène du magnétisme et du spiri-
immortels infirmes - comme Enée prit son père pour le tisme ; ils ne peuvent donc être sincères - les vrais savants
sauver du carnage de Troie - mais le Philosophe arrogant sont ceux qui croient.
tomba sous le fardeau de ses dieux.
Le danger, c'est de croire sans savoir ; car, alors, on
« Nous ne pouvons contempler les Dieux sans mourir » croit à l'absurde, c'est-à-dire à l'impossible. Le vieux Français
est l'un des plus terribles axiomes de la Théurgie ancienne avait un mot pour exprimer la croyance téméraire c'était le
car les Dieux sont des Immortels, et, pour les voir, il nous verbe « cuyder » d'où est dérivé outrecuidance, ce qui signi-
faut passer hors de notre sphère dans la leur et entrer la fie une confiance ridicule et présomptueuse.
vie immatérielle, et, si cela est possible sans passer par la
mort, ce ne peut être que d'une manière fictive et imaginaire, La Théurgie est un rêve, poussé jusqu'au réalisme le
ou par une illusion ressemblant à un rêve. Nous devons donc plus terrifiant chez un homme qui se croit éveillé. On y
conclure que toute apparition à laquelle nous survivons ne parvient en affaiblissant et en surexcitant tout à la fois le
peut être qu'un rêve, car, quand la vision d'un autre monde cerveau par des jeûnes, des méditations et des veillées.
est réelle, c'est que le voyant meurt, ou que plutôt il est L'ascétisme est le père des cauchemars et le créateur des
déjà mort quand il la voit. (1) démons les plus informes et grotesques. Paracelse pensait
que des « larves » réelles pouvaient être engendrées par les
illusions nocturnes des célibataires (1). Les anciens croyaient
(1) L'auteur fait ici allusion à l'état de transe volontaire ou Samadhi, pro- à l'existence des « Daimons », sortes de génie maliceux qui
curée selon les règles de la science occulte. La transe médiumnique
est une sorte d'épilepsie. E.O.
Sur ce point je me soumets si les mots sont pris dans leur sens strict Suite de la note de la page précédente.
« Samadhi » la différence réelle consiste en ce qu'une transe mediu-
mistique est généralement l'effet d'un organisme anormal et quasi dégoût qui persiste chez l'adepte pendant un temps plus ou moins
défectueux qui y succombe soudain sans la préparation essentielle long après le réveil. Ces deux genres de transes sont également épilep-
nécessaire à la rendre inoffensive pour la santé, et sans la préparation tiformes ; l'une semi-volontaire, l'autre entièrement voulue ; l'une sans
mentale sauvegardant le libre exercice de l'âme et de la volonté. Cet et l'autre avec l'entrainement physique préliminaire, nécessaire à
état est souvent partiel, hors de tout contrôle, tandis que Samadhi rendre les tissus cérébraux aptes à supporter avec innocuité la sujé-
provient d'une longue et soigneuse série de préparations pour le tion de conditions anormales.
développement de facultés anormales dans un organisme normal, et Note du traducteur anglais.
est précédé par un entraînement gradué qui protège la constitution_ (1) Ceci, tout en étant vrai, est un équivoque : sans doute les Elémentaires
physique et habitue l'esprit et la volonté au libre exercice dans des et les Elémentals sont du ressort de la Kamuloka et ne sont donc pas,
conditions qui, autrement, les déformeraient, ou stupéfieraient entiè- à proprement parler, des apparitions de l'autre monde ; mais le public
rement. Dans ce cas la transe est toute sous contrôle. les croit et en parle comme si ces entités comparativement immaté-
Ajoutez à ce qui précède que, par sa nature, la transe médiumnique rielles appartenaient à l'autre monde ; c'est ce qui fait une fois de
naturelle ne peut pas durer plusieurs jours sans amener la mort, plus que le sens exact du passage varie avec ce que l'auteur savait
tandis que l'autre, la transe volontaire, peut durer des mois sans le être vrai.
moindre inconvénient pour la santé, sauf (si nous prenons cela pour Note du traducteur anglais.
un inconvénient) un dégoût déterminé pour la vie terrestre charnelle.
Ce que nous venons d'écrire n'a assurément aucun sens
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peuplaient l'atmosphère. St Paul parait les admettre quand il et justice. Ces quatre figures hiéroglyphiques sont restées
parle des Puissances de l'air contre lesquelles nous avons à dans la symbologie chrétienne : on les a faites les insignes
lutter. Les Kabbalistes peuplaient les quatre éléments de des quatre Evangélistes.
leurs sylphes, ondines, gnomes et salamandres. De jeunes
vierges du Moyen Age, prédisposées à l'hystérie, avaient L'Eglise Catholique a condamné les briseurs d'images -
l'habitude de voir, près des fontaines, des « dames blanches » iconoclastes, elle savait pourtant bien que les images ne
leur apparaitre ; en ce temps-là, on appelait ces fantômes sont que des idoles, et que ce mot, en grec, signifie rien
des Fées ; de nos jours, quand le même phénomène se répète, autre qu'image. Or, les païens ne croyaient pas plus que la
le peuple est persuadé que la Ste Vierge s'est montrée à la statue de Jupiter est Jupiter lui-même, que nous ne croyons
Terre, et l'on fonde des églises, on organise des pélerinages, que l'image de la Vierge est la Vierge en personne. Ils
ce qui rapporte toujours beaucoup d'argent en dépit du croyaient - comme nous le croyons - en la manifestation
déclin de la Foi. Nous ne devons pas, en matière de religion, possible de la Divinité par ces images ; ils avaient, comme
insister pour éclairer trop tôt la multitude. Il est des gens nous, des statues qui pleuraient, qui remuaient les yeux
qui cesseraient de croire en Dieu s'ils ne croyaient plus à et chantaient au lever du soleil. Nous avons, comme eux,
N.D. de Lourdes (1). Laissons la consolation du rêve à ceux notre mythologie, et la « Légende dorée » pourrait faire la
qui ignorent encore comment appliquer à leur maux le suite des Métamorphoses d'Ovide. Rien ne se détruit dans
remède de la Raison. L'illusion vaut mieux que le désespoir la Révélation universelle ; tout se transforme et se continue.
; il est préférable de faire du bien au moyen d'une incom- Dieu se manifeste et se montre dans le génie humain, par
préhension que de faire du mal par la faiblesse d'une raison des approximations successives, et des changements progres-
rebelle, et l'anémie de la conscience. sifs. Dieu est toujours l'idéal de la perfection humaine qui
Quand Moïse fit construire l'arche d'alliance, il faisait croît en grandeur à mesure que l'homme s'élève. Dieu n'a
une concession à l'idolatrie de la populace juive, et, plus pas parlé une fois pour se tenir coi le reste du temps. Il
tard, les veaux d'or de Samarie ne furent que les contre- parle, comme il crée, toujours.
façons des « Chérubins » de l'arche. Or, ces « Chérubins »
étaient des Sphinx à double tête. Il y avait deux Chérubins Torquemada et Fénelon étaient tous les deux des Chré-
et quatre têtes - l'une d'un enfant, l'autre d'un taureau, la tiens et des Catholiques ; et pourtant le Dieu de Fénelon
ne ressemble en rien à celui de Torquemada. St François de
troisième d'un lion, la quatrième d'un aigle ; réminiscence
Sales et le Père Garassus ne parlent pas de Dieu de la
des Dieux égyptiens : Horus, Apis, Celurus, et Hermomphta, même manière, et le Catholicisme de Mgr Dupanloup res-
symboles des quatre éléments et signes des quatre points semble à peine à celui de Louis Veuillot. Les Protestants
cardinaux du ciel (2). Ils servaient aussi d'emblèmes pour ont nivelé toutes choses. Ils ont délibérément nié tout ce
qu'ils ne pouvaient pas comprendre, et encore compren-
(1) Sophisme. E.O. J'y suis d'accord ; mais tant qu'à la religion, si nous nent-ils à peine ce qu'ils affirment. Mais la Révélation ne
lui substituons « l'occultisme », mon ami, E.0., considèrera apparem- bat pas en retraite ; elle ne s'appauvrit pas, et ajoute au
ment alors que le sophisme disparait. Note du traducteur anglais. contraire toujours quelque chose aux trésors mystérieux
(2) Plus la nature quaternaire de l'homme ; les trois paires et l'enveloppe
extérieure charnelle, ou tout autre quadrinôme universel analogue.
Note du traducteur anglais.
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les quatres vertus cardinales - prudence, tempérance, force
de son dogme. Les Rabbins, pour jeter quelque lumière sur s'émancipent d'eux-mêmes. S'il n'y avait jamais eu de ber-
les obscurités de la Bible, doublent les ténèbres du Talmud, gers, il n'y aurait pas eu de troupeaux domestiques. Si les
et ]es époques chrétiennes ont donné - comme suite et com- chiens étaient libres, c'est-à-dire sauvages, il faudrait en faire
mentaires des récits incroyables des Evangiles - les légendes la chasse comme des loups. En réalité, la masse du vulgaire
impossibles de la vie des Saints. A ceux qui nient l'infailli- se compose ou de moutons ou de loups. La servitude seule
bilité de l'Eglise, nour répondons par l'infaillibilité du Pape. les sauve.
On rend toujours l'énigme plus compliquée pour empêcher
les sots de la deviner. Or, tout dogme est une énigme philo- Le grand secret de la Franc-Maçonnerie n'est rien autre
sophique. La Trinité - ou trois en un - signifie Unité. L'incar- que la Science de la Nature. Il y a longtemps que ce secret
nation - ou Dieu fait homme - signifie l'Humanité. La Ré- a été divulgué ; mais les gens n'en continuent pas moins à
demption - ou tout perdu par un seul et sauvé par un seul - jurer qu'ils le garderont éternellement, rendant ainsi hom-
indique notre dépendance mutuelle, la solidarité de la race. mage à l'éternel principe de l'occultisme.
des nations en créant le Droit universel. C'est devant la gers, et les troupeaux se sont enfuis. La vraie Eglise doit
seule Humanité, et non devant la nature, que les hommes être une, et ne pas se diviser en nombreuses sectes. Elle
sont égaux ; et c'est par leur mutuelle dépendance ou soli- doit être sainte et non pas hypocrite ni avide. Elle doit être
darité qu'ils prouvent leur fraternité. Hélas ! Combien de universelle, et non restreinte à un cercle privilégié qui re-
siècles doivent encore s'écouler avant que ces vérités, tou- pousse la majeure partie de l'Humanité. En un mot, elle
tes simples qu'elles sont, soient comprises ! Le Catholicisme doit se rattacher à un centre commun qui, dans ce monde
est de l'occultisme officiel, et repose entièrement sur le romain, pouvait être Rome, mais qui n'est pas plus irrévo-
mystère. Le secret des sanctuaires a été profané, mais n'a cablement Rome que Jérusalem. « L'Esprit se porte où il
pas été expliqué. veut » dit le Maître et là où est le corps, les aigles se ras-
sembleront ». L'Eglise Catholique devrait être la Maison-
Mère de toutes les indulgences. Elle ne tolère pas seule-
Œdipe pensa tuer le Sphinx, et la peste envahit Thèbes. ment, elle absout. Elle devrait excommunier les haines reli-
Les frères hostiles continuent à se battre et à s'entretuer. gieuses et bénir même ses enfants égarés. C'est par la Foi
Les grands Symboles du Passé sont les Prophéties du Futur. Catholique que tous les croyants sincères - peu importe le
Mystères et Miracles telle doit être la Religion des masses culte qu'ils professent - appartiennent à l'âme de l'Eglise
auxquelles il est essentiel de faire sentir vivement ce qu'elles pourvu qu'ils pratiquent la morale naturelle et cherchent
ne comprennent pas, afin qu'elles se laissent conduire. Voilà la vérité dans la sincérité de leur coeur. Qu'un Pape paraisse
le secret des sanctuaires et les magistes de tous les temps qui ose proclamer hautement ces vérités consolantes, et
l'ont compris. Les faibles ne peuvent rester unis que sous
la surveillance et la responsabilité des forts : les forts
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invite tous les peuples de la Terre à fêter un Jubilée univer- c'est donc une Vérité ; mais le Catholicisme est une partie,
sel, et une ère nouvelle s'ouvrira pour la Religion chrétienne. par conséquent une chose fausse. Quand les abus auront ces-
sé, la protestation n'aura plus sa raison d'être, et quand la
« Gloire à Dieu dans tout ce qui est grand, et paix sur Catholicité aura été établie par toute la Terre, il n'y aura
la Terre aux hommes de bonne volonté ! » C'est par ce cri plus de Catholicisme à Rome.
d'amour universel que le génie des Evangiles annonce, au
temps passé, la naissance du Sauveur du Monde. En attendant, comme l'on ne peut pas vivre convena-
blement sans religion, et qu'il est aussi impossible qu'ab-
L'Eglise officielle représente l'Eglise Occulte, comme surde de se tenir seul dans une religion (le mot même « reli-
dans la Société les castes représentent la Hiérarchie natu- gion » signifiant une chose qui lie les hommes entre eux)
relle : les Prêtres, la Noblesse, le Peuple, ce sont les hom- chacun peut et doit suivre les us et coutumes du culte dans
mes de dévotion ; ceux qui sont supérieurs en intelligence, lequel il est né. Toutes les religions ont un côté respectable
et ceux qui sont inférieurs. Les vrais prêtres de l'Humanité et un côté défectueux. (1) Ne continuons pas à briser réci-
sont les philanthropes sincères ; les vrais rois sont les hom- proquement nos idoles, mais tâchons de guider doucement
mes de génie ; les vrais nobles sont les hommes d'intelligence les hommes hors de l'idolatrie. Il faut apprendre à supporter
et de sentiments élevés. La masse du vulgaire, c'est le trou- patiemment dans les églises catholiques, le bruit des offices,
peau innombrable des ignorants volontaires et des poltrons. la hallebarde du Suisse, ... il faut apprendre à se fatiguer
Un simple soldat loyal à son drapeau est sûrement plus avec gravité et respect dans les temples protestants et à
grand qu'un maréchal de France qui trahit son pays. Un hon- garder son sérieux dans la Synagogue et la Mosquée en
nête chiffonnier est plus noble qu'un Prince vicieux. Des dépit des têtes voilées des Rabbins et des contorsions des
hommes éminents dans tous les genres sont sortis du peu- Derviches. Tout cela doit avoir son temps.
ple ; des rois et des reines ont été vus se vautrant dans la
fange. Tout homme intelligent et vertueux doit mériter d'être Une Religion passe, mais la Religion reste et demeure.
admis à la plus haute initiation ; les profanes sont ou des Un homme meurt mais l'Humanité ne meurt point ; une
sots ou des coquins. femme cesse d'être aimée ou de pouvoir l'être, mais la femme
mérite toujours le respect et l'amour. Une rose se flétrit trop
L'Initié est un homme d'aucun parti ; il ne désire que vite : mais la rose est une fleur impérissable qui s'épanouit
l'union, l'indulgence réciproque et la paix. Il n'a pas d'opi-
nion car la Vérité n'est pas une opinion ; pour lui toutes (1) En d'autres ternies, nous devons, par notre silence, consentir, et
les hostilités sont des erreurs et toutes les haines des cri- même ajouter de la vitalité à ce que nous tenons pour faux. Il y a
mes. une énorme différence entre la tolérance et la douceur pour ce qui
nous semble des erreurs chez autrui et la timidité débonnaire qui
recule de montrer par son exemple qu'il sait que ce sont des erreurs.
E. L. prévoit le règne de la Vérité ; mais si les hommes suivaient son
En face des abus de l'Eglise Romaine, la protestation avis et que pour l'amour de la « convenance » ils s'inclinaient sans
est un droit et conséquemment un vérité ; mais le Protes- cesse devant l'erreur, comment cet usurpateur pourrait-il être détrôné,
tantisme est une secte, donc une erreur. La catholicité, c'est- comment le faux serait-ii vaincu et le vrai triomphant. Note du tra-
à-dire l'universalité, est ce qui distingue la Religion vraie ; ducteur anglais,
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à chaque printemps nouveau. Usons les religions pour En religion, expliquer, c'est profaner ; rendre plus obscur,
l'amour de la Religion ; aimons les hommes pour l'amour c'est révéler.
de l'Humanité, et les femmes pour l'amour de la femme.
Cherchons la rose parmi les roses, et nous ne rencontrerons La Science et la Religion sont comme le jour et la nuit.
jamais les déceptions ni le désespoir. Si la raison est le Soleil, la Foi est la Lune (1). En l'absence
du Soleil la Lune est la souveraine du firmament. N'oublions
Mais, parce que nous sommes des hommes, nous ne pas cependant que c'est au soleil qu'elle emprunte tous ses
devons pas forcer les enfants à être, eux aussi, prématuré- rayons, et que la vraie Foi ne peut jamais être absurde, quoi
ment des hommes. Nous ne devons pas les frapper quand qu'elle le paraisse.
ils tombent, ni les rudoyer quand ils ne comprennent pas
les choses qui sont au-dessus de leur âge. Nous ne devons La science n'a-t-elle pas aussi ses mystères ? Echappez-
pas les priver de leurs « polichinelles » ni de leurs poupées ; vous, si vous le pouvez, du labyrinthe de l'Infini. Est-ce que
ils les adorent aujourd'hui ; plus tard ils les briseront : les molécules invisibles existent réellement ? Essayez de
Maman leur en donnera d'autres, et papa n'aura rien à dire. concevoir la substance sans étendue ? (2) Si, au contraire,
Les Livres Sacrés de tous les peuples et de tous les temps la matière est indéfiniment divisible, un grain de poussière
ont été des collections de légendes ; ce sont des livres et des peut, dans l'infinité du temps, par l'infinité du nombre de
images faits pour l'instruction des enfants. Ce sont en géné- ses parties, égaler l'infinité de l'espace. (3) Absurdités de
ral des oeuvres collectives résumant toute la connaissance et tous les côtés ! Consultez Marphurius ; il veut expliquer que
toutes les plus hautes aspirations d'un peuple et d'une l'évolution polychronique des concepts analytiques, dans le
époque. Ils sont sacrés, comme devraient l'être des monu- Relatif, est égal à l'isochronisme du concept synthétique dans
ments, et dignes de respect comme est le souvenir des ancê- l'absolu, et il conclut de là que le synchrétisme de l'abstrait
tres. L'esprit divin les a sûrement inspirés, inspirés à des
hommes et non à des Dieux. Ils révèlent Dieu comme l'arbre
qui croît révèle la semence placée dans la terre d'où il est (1) Ces figures poétiques ne font qu'égarer : la science réelle et la Religion
sorti, ou comme le bourgeon qui se gonfle révèle les feuilles ne font qu'un ; ce sont tout au plus deux aspects de la Vérité éter-
nelle ; formes allotropiques de la même constante vérité. Note du
qui y sont cachées. Cette double comparaison est empruntée traducteur anglais.
à Jésus-Christ lui-même.
(2) Cette chose n'existe pas ; il n'y a que le néant, c'est-à-dire rien, qui
soit sans étendue. L'étendue de ce que nous appelons les choses imma-
Nous avons dit que les absurdités du dogme sont énig- térielles peut être au-delà de notre connaissance ; mais tout a une
matiques ; elles sont encore plus systématiques. Les grands étendue ; l'étendue est l'essence de la substance ; toutes les deux
existent et remplissent l'espace. Note du traducteur anglais.
Initiés du monde ancien n'expliquaient jamais leurs sym-
boles autrement que par des symboles plus obscurs encore. (3) Naturellement tout ceci est du barbotage ; les atomes indivisibles
existent. Vous pouvez dire que l'esprit peut les diviser mentalement,
Dieu veut être deviné, parce que la Divination est divine, mais si vous vouliez pratiquer cette division la molécule retournerait
comme d'ailleurs le mot l'indique suffisamment. L'énigme dans le non manifesté. L'auteur confond aussi la matière qui est
du Sphynx est l'épreuve de tous les Néophytes, et le chien transitoire, concrète et manifestée, avec la substance qui est la base
éternelle, abstraite, non-manifestée de cette même matière. Note du
tricéphale veille toujours à l'entrée de la crypte des mystères. traducteur anglais.
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est analogue au synchrétisme du concret. Cabricius arcitu- les êtres vivants ; elle meurt pour revivre, et rachète chaque
rane Les mystères de la Foi sont empruntés, pour la ma- matin notre hémisphère de l'esclavage de la nuit. Dupuis
jeure partie, aux mystères de la science. La Lumière, par en concluait que Jésus-Christ était le Soleil. Belle décou-
exemple, n'est-elle pas une en trois rayons de couleurs diffé- verte en vérité ! C'est comme si l'on professait qu'une map-
rentes ? Dans sa triplicité, elle est bleue, jaune et rouge ; pemonde en carton était réellement l'Univers.
dans son unité, li est blanche. Cette trinité donne sept nuan-
ces de couleurs ; ici nous tenons le septénaire sacré (1). Suite de la note de la page précédente.
avec ses sept étages, figures symboliques des cercles concentriques des
sept sphères.
Les modernes se rient de l'ignorance des anciens qui ne connaissaient
(1) Le Septénaire est sacré non pas pour une, mais pour mille raisons.
que sept planètes et n'ont jamais compris que ce chiffre limité signi-
Prenez sept pièces de monnaie ou disques exactement de la même
grandeur ; placez en un au centre et vous trouverez que les six qui
fiait réellement. Ils n'ont pas non plus accordé la moindre attention
du fait que les hommes qui - il y a plus de 2000 ans - présentaient
restent, quand on les a disposés alentour comme une ceinture, occu-
Callisthènes et ses observations météorologiques remontant à plus de
peront toute la circonférence, l'un touchant exactement son voisin et
1900 en arrière de leur temps, ne pouvaient pas ignorer l'existence
celui du centre. Ajoutez, avec des disques similaires, une même cein-
d'autres planètes. Puis qu'est-ce que Sabaoth et pourquoi devrait-il
ture en dehors de la première, une 3' après celle-ci, puis une 4' et ainsi
de suite. Augmentez la démonstration tant que vous voudrez, vous
être regardé comme un Créateur ? Combien y a-t-il de Chrétiens qui
verrez que chaque ceinture successive ne comportera que six disques
soupçonnent Sabaoth d'être le nombre démiurgique sept, d'accord
de plus que la précédente, avec celui du centre comme 7'. Les ceintures
avec les Phéniciens qui, plus tard, devinrent les Israélites ? (Lisez
en contiendront 6, 12, 18, 24, 30 et ainsi de suite ; ces nombres étant Lydus de Mens IV, 38, 74, 98 p. 112). Cherchez Sabaoth, Adonaios dans
les termes d'une progression arithmétique dont l'augmentation va par les « Livres Sybillins » Galleus 278. Le démiurge est Jao présidant sur
6. Vous pourriez aller ainsi, élargissant la circonférence, jusqu'à cou- les sept cercles des sept Ghibers, les sept esprits du feu, la Lumière
vrir tout le désert de Gobi, mais vous ne pourrez pas ajouter plus de astrale, Fohah, les sept Gabborim ou Kabiris, les sept étoiles errantes,
six pièces au nombre du cercle précédent. Cela peut paraître enfantin et ce sont ces errants qui, sous le nom collectif de Kabar Ziv (ou
mais nous convions tous les mathématiciens occidentaux à nous en vie ou lumière puissante) comme point central émanant et permettant
expliquer le pourquoi. C'est pourtant sur ce principe que l'univers est de s'amasser à leur entour les sept Démons.
construit, dans ses manifestations à la fois concrètes et abstraites. Comparez :
Pythagore parle du Dodécahedron comme étant « divin » - car le Les noms des sept Daemons Les noms des sept Skandhas ou
premier cercle, 1 6, est le cercle central, l'un abstrait de la nature imposteurs dans le Codex na- Principes :
in abscondito, et le plus occulte. Il se compose de l'un, point central, zaréen :
et des six, nombre de la perfection, d'après les Kabbalistes, ayant cette 1. Sol. 7. Esprit de réflexion de la vie une,
perfection en soi, sans partage, et qui en ajoutant sa moitié, son tiers 2 . Esprit (Saint Esprit) astre 6. L'âme spirituelle (femelle).
et son sixième (un, deux et trois) devient parfait. C'est pourquoi ce Vénus ou Lebbat Amameh, 5. L'âme animale.
chiffre est appelé « le signe du Monde », car en six tours le groupe
des mondes atteint à sa perfection et, durant le 7', jouit de la félicité.
3 . Nebu (Mercure). 4. La Kama Rupa, le plus dange-
C'est dans ce 7' tour ou ronde que ni la nature ni les êtres ne tra- 4 . Sin Luna, appelée aussi Shu- reux et le plus traître des prin-
vaillent plus, mais se préparent à la perfection pour le Nirvana. Pour - rH et Siro. cipes.
les Chrétiens et les Juifs Kabbalistes, ce sont là les six jours de la 5 . Kiun (Kivan) Saturne. 3. L'âme de la Vie, Linga Sarira.
création, puis le Sabbath.
6 . Bel, Jupiter, qui soutient la 2. Le principe vital.
Vie. 1. Le corps grossier ou forme ma-
7. Nerin, Mars - le fils de l'hom- térielle - per se - un animal très
Sept est appelé par Pythagore « le véhicule de la vie », etc... En un me qui dépouille ses frères. féroce et sauvage.
mot, sept est le symbole du temps. On l'appelle aussi « Excoria-
Les Saboeans honoraient les sept fils de Sabus. Les « sept Esprits de
teur ».
Dieu » dont il est question dans la « Révélation » signifient simplement
parfait ; de même pour les sept étoiles, le sept lampes, etc...
E.O.
Et les « plans » chaldéens des sept sphères, et les « Birs Nimrud » 123
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La Lumière produit des formes ; elle est incarnate dans
La Religion est une force qui échappe aux impies et dans leurs yeux ; elle les fascine et les poursuit. Si tous les
contre laquelle ils se brisent. Polichinelle ne réussira jamais aveugles pouvaient se coaliser pour exterminer ceux qui
à tuer le Diable, car le Diable est la caricature de Dieu et voient clair, arriveraient-ils, même alors, à éteindre le Soleil ?
cette caricature appartient à ceux qui l'ont faite. Elle reste La multitude est aveugle et sotte ; les voyants et les sages
doivent la conduire. Mais, lorsque ceux dont le devoir est de
guider les aveugles, deviennent aveugles à leur tour ; quand
Suite de la note de la page précédente.
Quant à ce qui regarde le petit problème qu'E.O. convie les mathé- les gardiens des fous deviennent fous eux-mêmes, il en résulte
maticiens occidentaux à résoudre, il est assez simple. Il n'y a là des chutes et d'effroyables désordres. C'est là l'histoire de
aucun mystère ; c'est la conséquence nécessaire des hypothèses pré-
toutes les révolutions. L'emploi de la force brutale pour
sentées au début. D'abord l'hypothèse exposée dans la description -
en langage mathématique - de la figure que nous nommons un cercle, réprimer les désordres, provoque d'inévitables et terribles
l'égalité de tous les rayons, et en second lieu, l'hypothèse que nous réactions, quand la force ne s'appuie pas sur la Justice et
ne devons employer que des cercles égaux. La preuve est trop longue
à développer ici, mais le tout procède des faits géométriques bien
connus qu'où deux cercles touchent la ligne joignant leurs centres
Suite de la note de la page précédente.
passe par le point de contact. Donc, là où trois cercles touchent les
trois lignes qui joignent leurs centres il se forme un triangle équilatéral petit monde, nous avons des exemples de la prédilection constante de
et équiangulaire. De plus, les angles intérieurs d'un triangle sont collec- la nature pour certains nombres. C'est ainsi que trois et ses multiples
tivement égaux à la moitié de l'extension angulaire autour du point, régissent la floraison des endogens et 4 et 5, celle de tous les exogens.
et chaque angle d'un triangle équilatéral est égal à un sixième de On peut citer des milliers d'autres exemples, si bien que le rejet en
celui-ci. Conséquemment, six triangles - et pas plus - peuvent rayonner bloc des vues occultes sur l'univers, en raison de leur symétrie, qu'on
d'un point donné. Malgré que la première ceinture puisse paraître se hâte trop de déclarer hors nature - c'est-à-dire artificielles et fausses
circulaire, la seconde et les suivantes ne peuvent être construites selon - n'est pas garanti même par notre peu de science. Quant au 3 et au
les termes du problème posé - sauf comme hexagones, lorsque les 7 - ce dernier ressortissant nécessairement du premier - puisque 7
propriétés (et ceci est encore le résultat d'une hypothèse de construc- est le nombre le plus grand de trois choses prises ensemble : 1, 2 ou 3.
tion) - du triangle équilatéral entrent de nouveau en jeu. Cela est Pour les s e p t D é m o n s i m p o s t e u r s , d'aucuns les ont pris comme
ainsi parfaitement démontrable non comme une matière à mystère, représentant le cycle de nécessité, lequel, selon eux, commence avec
mais comme le résultat qui découle nécessairement de ce qui a été Mars, passe par Jupiter et Saturne pour aboutir à la Terre, et de là
adopté en principe : s'il y a n ceintures, la hème doit contenir six n gagne le soleil en passant par Mercure et Vénus, Or, malgré que la
disques ou cercles. Confrérie du Thibet nous dit que l'homme doit passer d'abord par
Mercure, ils nous disent aussi que la planète sur laquelle l'Humanité
vivait immédiatement avant de se montrer sur la Terre, était Mars ; de
Il semble inutile de controverser avec des adeptes orientaux. A partir
plus leur rapport sur les mondes qui forment notre cycle de nécessité
du temps des Gymnasophistes qui enseignèrent Pythagore, ils ont
diffère absolument de ce qui est dit plus haut. Cependant, malgré que
toujours - verbalement du moins - confondu les choses et leurs sym-
ceux-ci prétendent que Saturne - et non pas Mars - était la planète
boles. 1I n'y a rien de sacré dans le nombre sept ; c'est une mnémo-
d'où nous sommes venus ici, il ne s'en suit pas que la planète appelée
technie applicable à des combinaisons cachées, etc..., lesquelles com-
par nous Saturne soit réellement celle qui est entendue par eux, ou
binaisons, etc... peuvent être, ou ne pas être, sacrées. Quant au
que d'autres planètes à qui les occultistes ont attaché des signes et
symbole 7 ou au mot sept, il n'y a rien de sacré ni dans l'un ni dans des noms en usage chez les astronomes d'antan, sont réellement les
l'autre. La sainteté - s'il en existe là - appartient aux mystères que ce planètes visées. Au contraire, on peut généralement admettre comme
nombre rappelle et d'aucune façon au nombre lui-même. Si notre règle que lorsque l'occultisme dit une chose elle en entend une autre.
langue avait appelé 6 + 1 cochon et s'en était servi pour désigner cet Les mots, comme le nom des planètes, des pierres précieuses, des
animal (comme symbole), le cochon serait-il donc devenu aussi
sacré que sept et 7 ? D'autre part, et pour ceux qui ridiculisent et minéraux des plantes, etc... avaient toujours une double signification,
,
rejettent les faits reconnus par les Occultistes sous prétexte que l'une palpable, évidente qui, si elle est admise, égare tout à fait celui
d'après ceux-ci l'univers est construit sur un système numérique et qui n'est pas initié, l'autre; toute artificielle, qui présente la fait réel
que tout se divise par tiers et par septièmes, il serait utile aux seuls Initiés.
d'indiquer que, même dans notre
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la Vérité ; car alors, elle devient fatale et contre-balance mais de nos jours, l'Allemagne oppose les Mathématiques à
nécessairement l'action par la réaction. La guerre autorise la ruée enthousiaste des croyances et agrandit jour par jour
les représailles, parce que, pendant la guerre, selon le dire son échiquier. L'empereur - un des deux piliers du monde -
cynique d'un grand diplomate allemand, « c'est la force qui est maintenant de nouveau debout, mais ce n'est plus un
fait le droit ». A la vérité, tout despotisme, qu'il vienne des Romain. Rome d'un côté - et de l'autre la terre - la balance
rois ou de la populace, est la guerre : l'autorité des Lois et n'est plus égale ; nous devrions nécessairement demander un
l'empire de la Justice, c'est la paix. L'unité sociale est le Pape cosmopolite, puisque nous avons un Empereur uni-
but et la fin de toute civilisation et de toute politique trans- versel. La Haute Magie est tout à la fois une religion et une
cendante, fin à laquelle, depuis le temps de Nemrod, tous science. Elle seule harmonise les contraires en expliquant les
les grands conquérants et profonds hommes d'Etat ont lois de l'équilibre et des analogies ; elle seule peut faire les
tendu leurs efforts. Les Assyriens, les Mèdes, les Perses, les Souverains Pontifes infaillibles et les Monarques absolus.
Grecs, les Romains, tous cherchèrent à absorber le monde. L'art sacerdotal est aussi l'art royal, et le comte Joseph de
Bacchus, Hercule, Alexandre, César, Pierre le Grand, Napo- Maistre ne se trompait pas quand, désespérant des croyances
léon, n'eurent pas d'autre rêve ; les Papes pensèrent le réa- éteintes et des pouvoirs affaiblis, il tourna ses regards, mal-
liser sous le nom de religion, et c'était là une grande idée ; gré lui, vers les sanctuaires de l'occultisme. C'est de là que
sortira le Salut, et déjà il se révèle aux intelligences les plus
Suite de la note de la page précédente. averties.
C'est ce qui a apporté le plus de discrédit à l'occultisme, et, je le main-
tiens avec force et raison, c'est ce qui doit engendrer le plus d'incré- La Franc-Maçonnerie qui a tant épouvanté la cour de
dulité ou de mépris à son égard, de par le monde, aussi longtemps que Rome n'est pas aussi terrible qu'on le pense ; elle a perdu
ce système prévaudra. Mais les Adeptes de toutes les Ecoles ont tou-
jours été si étroitement liés par des voeux et des situations (spirituelles ses anciennes lumières, mais elle a conservé ses symboles et
qu'il n'est jamais possible à un homme de méconnaitre) provenant ses rites qui appartiennent à la philosophie occulte. Elle
d'initiations successives, qu'ils ne peuvent pas, en bien des cas, parler
autrement qu'à phrases équivoques aux non-initiés. Ceux-là, à leur continue à donner les titres et les rubans des Rose-Croix ;
tour, au fur et à mesure qu'ils progressent, deviennent par la force des mais les vrais Rosicruciens ne sont plus dans ses Loges ; ils
lois de l'association à laquelle ils appartiennent, également des sont redevenus ce qu'ils étaient à leur origine - des Philo-
bouches closes et des esprits enchaînés sur bien des points ; le
seul espoir qui reste au monde du dehors, c'est que le développement
sophes Inconnus. Martinez de Pasqually et Saint-Martin ont
graduel des races d'élite sur terre, lesquelles, sans passer par ces des successeurs qui ne se rencontrent pas en assemblées ré-
Ecoles, travaillent à conquérir la connaissance par elle-même, libérées gulières. On dit que leur loge est dans la grande Pyramide
de lois, de règles, de conditions devenues rapidement autant
d'anachronismes et donnent librement à tous ce qu'elles thésaurisent, d'Egypte - expression allégorique et mystique que les naïfs
Les auteurs de la Voie Parfaite ont déjà fait, en un sens, un premier et les ignorants sont libres de prendre à la lettre.
et grand pas.
Naturellement, sur bien des points, (voir les faits cités dans notre
Il y a une chose plus incontestablement infaillible que
introduction) les adeptes peuvent parler plus librement, et quelques le Pape, ce sont les Mathématiques. Des vérités rigoureu-
uns d'entre eux sont, de nos jours, portés à parler, comme ils l'ont sement démontrées obligent l'esprit à des suppositions que
d'ailleurs toujours été ; mais il reste, m'a-t-on dit, les lois les plus
hautes et les plus importantes, qu'ils ne peuvent et ne veulent pas
nous nous permettons d'appeler des hypothèses nécessaires,
enfreindre, sauf pour ceux qui ayant été initiés, sont restés à Ces hypothèses - si j'ose m'exprimer ainsi - sont les objets
jamais sous le voeu de ne rien révéler à un profane quelconque. Note
du traducteur anglais.
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scientifiques de la Foi. Mais l'imagination exaltée par le vérités scientifiques spéciales qu'elle jugerait, dans le mo-
besoin infini de croire et d'aimer, tire sans cesse de cet ob- ment, préjudiciable à la Foi. Au temps de Galilée les gens
jectif rationnel des déductions paradoxales. Or, pour plier croyaient généralement que la popularisation du système
sous le joug la licence et les fantaisies mystiques, il faut une de Copernic démentirait la Bible ; forcés plus tard d'ad-
autorité touchant d'un côté la Raison et de l'autre le Mysti- mettre ce système parce que l'exactitude en fut démontrée,
cisme ; cette autorité, dogmatiquement infaillible, n'a pas il leur devint naturellement nécessaire de trouver le moyen
besoin de l'être scientifiquement, d'ailleurs elle ne le pour- de concilier les deux points de vue. La terre tourne - voilà
rait pas. La science et la Foi sont les deux colonnes du le fait - mais l'Eglise est infaillible, même quand elle déclare
Temple, qui en supportent le Portique. Si elles étaient toutes que ce n'est plus elle qui est infaillible mais notre St Père
les deux du même côté, l'édifice tomberait de l'autre. C'est le Pape. (1) Ceci n'est pas dit ironiquement ; le Pape est
leur séparation et leur parallélisme qui devraient éternel- infaillible parce qu'il est nécessaire qu'il le soit, et il l'est
lement en maintenir l'équilibre. (1) réellement pour tous ceux qui le croient, puisque son inf ail-
libilité ne s'étend qu'aux matières de Foi.
La compréhension de ce principe mettrait fin à une
L'oeuvre de la Science consiste à détacher la Foi de la
mésinterprétation qui dure depuis trop longtemps et procu-
lettre et à l'attacher à l'Esprit ; au fur et à mesure que la
rerait la paix à bien des âmes. A la vérité il ne peut subsister
science s'élève, la Foi est exaltée.
aucun antagonisme réel entre la science et la Foi. Tout ce
qui a été démontré devient anattaquable, et il est impossible L'Evangile éternel est comme le nuage qui marchait de-
de continuer à croire à ce qu'on sait être faux. Galilée savait vant les Juifs pour les guider à travers le désert ; il a un
que la terre tourne ; mais il savait aussi que l'autorité de côté obscur et l'autre de lumière ; le côté obscur est celui
l'Eglise est inattaquable parce que l'Eglise est nécessaire. de son mystère, le côté lumineux celui de sa raison. L'ombre
L'Eglise n'a aucune autorité en matière de science, mais elle s'étend sur la lettre, la Lumière émane de l'Esprit.
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Il faut apprendre ou cesser de croire. Cesser de croire avons-nous de définir la Lumière, quand nous pouvons la
est plus facile, mais pour l'âme cesser de croire c'est cesser voir ? Que nous sert-il de prouver la vie quand nous sommes
d'aimer, et cesser d'aimer c'est cesser de vivre. vivants ? Quand St Paul fut converti, disent les Actes des
Les fanatiques sont malades, mais ils vivent. Les indif- Apôtres, il sentit comme si des écailles lui étaient tombées
férents sont morts, des yeux, Les écailles qui couvrent les yeux de notre âme
sont les vaines présomptions d'une théologie téméraire
Les croyances aveugles n'améliorent pas l'Humanité ; ei les sophismes malsains d'une fausse philosophie. Les
elles peuvent la retenir par la crainte ou la stimuler par Initiés sont les Voyants et, pour la pensée, voir c'est savoir,
l'espoir, mais ni la crainte ni l'espérance ne sont des ver- savoir c'est vouloir, vouloir c'est oser ; mais pour oser avec
tus. (1) succès, il nous faut vouloir et savoir être silencieux.
« Ne soyez jamais zélés » dit Talleyrand, et ce même
Un chien peut mettre un frein à son appétit par peur
diplomate certifiait que la parole avait été donnée à l'homme
du fouet, mais il n'en reste pas moins avide ; il ne fait
pour déguiser sa pensée. Cette momerie politique n'est point
qu'ajouter la lâcheté à l'avidité. Ainsi en est-il de nous : pour
de notre goût ; nous ne disons pas « déguiser », nous disons
croire à une bonne intention il faut savoir. On a dit qu'un
recouvrez et voilez chastement cette Vierge que nous nom-
peu de science détache de Dieu et que beaucoup de science
mons la Pensée, car notre Pensée n'est plus une pensée de
y ramène ; ce dire doit être expliqué par le fait que les débuts
fausseté et d'intérêt personnel ; le voile du sanctuaire n'est
dans la science et la philosophie commencent par détacher
pas comme le rideau d'un théâtre ; il lui arrive parfois de
l'homme du Dieu des Sots, tandis que beaucoup de science
se déchirer, mais il ne se relève jamais. (1)
et de philosophie le portent vers le Dieu du Sage.
Le Mage n'a que faire de formuler sa Foi et Dieu (2) ;
il sent en soi-même le pouvoir suprême du vrai Dieu qui suite de la note précédente.
part, abscondito ou non, n'a cru bon de se faire connaitre nulle part
dans le monde manifesté et ne peut donc (si un tel être existe) obliger
les hommes à croire en Lui. Mais il y a Mages et Mages, et il en est
(1) On voit que par la Foi l'auteur entend les enseignements de l'autorité qui disent, admettant tout cela : « Nous croyons cependant par une
(c'est-à-dire de ceux qui présumablement en savent plus que nous- intuition plus élevée, que l'infini de toutes les existences contingentes
même en la matière) sur les points ou sujets sur lesquels nous ne n'est pas tout et qu'il y a une volonté consciente et intelligente à
possédons aucune connaissance, parce que une quantité de celle-ci l'origine de ces lois manifestées que seules nous pouvons connaitre,
varie constamment avec les progrès du monde et des individus, pour nous créatures de manifestation. Ceci est naturellement matière de Foi
n'appartenant point à l'occultisme proprement mais ressortissant de
disparaitre finalement dans le sanctuaire de l'occultisme où tous les l'occultisme transcendant. L'autre, l'occultisme vulgaire est ou athée
mystères - ceux du moins de l'univers conditionné - sont expliqués. ou agnostique. Note du traducteur anglais.
(2) Le Mage n'a même pas besoin de croire en Dieu. E.O. C'est bien cela,
il n'a pas besoin. L'occultisme ne s'occupe que de l'univers contingent (1) Il ne se relève jamais, mais, comme une race succède à une autre, un
qui est infini en tout ce qu'il comporte de conditionné. Supposez qu'il circuit à un autre, le voile s'éthérialise de plus en plus, destiné qu'il
n'y ait dans cet univers que des Lois sans Dieu, c'est-à-dire sans qu'une est à disparaitre entièrement devant le voile de la nuit cosmique qui
volonté consciente, intelligente source de ces lois, s'y rencontre. Le recouvre un plus haut mystère et un sanctuaire intérieur soit tiré
Mage alors serait en droit de dire : je me contente de l'univers mani- autour de nous et nous enveloppe. Note du traducteur anglais.
festé et contingent et ne crois pas en un Dieu qui, s'il existe quelque
131
130
l'anime, le soutient, le fortifie et le console. Quel besoin
L'Initié évite avec soin toute excentricité ; il pense comme Les croyances et les opinions ne se peuvent démontrer ;
les plus éclairés et parle comme la multitude. S'il explore les hommes les choisissent par goût ou les acceptent par
les chemins de traverse, c'est seulement en vue de gagner politique.
plus sûrement et plus rapidement la grand'route. Il sait
que les pensées vraies sont comme de l'eau courante. Celles VI
du Passé se jettent dans le présent, et, courent en avant vers Les opinions utiles devraient être encouragées et les
le futur, sans avoir besoin de remonter vers leur source pour dangereuses ou nocives réprimées. C'est ce qui explique la
les rencontrer. L'Initié se laisse aller tranquillement au lutte nécessaire entre les conservateurs et les innovateurs.
courant mais il se tient toujours au milieu pour ne jamais Seulement les conservateurs deviennent des persécuteurs
risquer de se meurtrir contre les rocs qui hérissent ses
bords.
quand ils croient - ou affectent de croire - dangereux ce qui
n'est qu'évidemment utile. (1)
I (1) Très faible ! Qui doit être juge ? Ce que vous trouvez utile, je tiens
que c'est nocif et vice versa.
-
L'Homme a deux moyens d'acquérir la certitude - les (2) Notre auteur empruntant les idées de Pythagore parle souvent des
Mathématiques et le sens commun. mathématiques comme si c'était une sorte d'existence surhumaine, des
choses - comme il dit - existant par elles-mêmes, ou soi-existantes. Mais
que sont elles réellement ? Simplement, logiquement, les déductions
Il d'hypothèses rigidement limitées. Dire que leurs résultats sont certains,
c'est simplement répéter avec Olivier Wendall Holmes « La logique,
Il peut y avoir des Vérités qui dépassent le bon sens, il c'est la logique, c'est tout ce que je dis », Etant donné les choses sus-
dites comme certaines, prouvées et définies, les déductions logiques
n'y en a pas qui contredisent les mathématiques. doivent en être vraies. Les mathématiques sont des créations de
l'esprit humain, et dépendent des interprétations, valeurs et limites
que celui-ci donne à certains symboles. Il n'y a là rien de mystérieux
III ni de surhumain. Changez la balance d'équation du décimal au duodé-
cimal, et les diverses « lois éternelles » du premier disparaissent par
« Celui qui, en dehors des Mathématiques pures pro- rapport au dernier. Passez aux calculs différentiels ou calculs de l'infi-
nonce le mot impossible, manque de prudence » (Arago), ce nité dans lesquels vous introduisez des hypothèses non rigidement
limitées, et vous arrivez du coup - parmi quelques vérités - à des
qui veut dire qu'en dehors des Mathématiques pures il quantités de solutions tout à fait hypothétiques. Dire qu'aucune vo-
n'existe pas de certitude complète, universelle et absolue. lonté ne crée les mathématiques et qu'aucun pouvoir ne les limite,
c'est absurde. Elles ont été créées par la Volonté qui engendre leurs
hypothèses fondamentales, et c'est par là qu'elles sont rigoureusement
IV limitées.
132 133
les lois éternelles que nul homme ne peut enfreindre et l'Homme Dieu mourut sur la croix, c'est-à-dire sur l'X éter-
-
136 1 37
XXV Il est impossible d'aimer le Mal pour lui-même, sachant
Les meilleures choses, quand elles sont corrompues, ce qu'il est, et lorsqu'il ne présente aucune apparence de
deviennent plus nocives que les mauvaises. Quoi de plus Bien.
vulnérable que le Sacerdoce ; et pourtant quoi de plus mépri-
sable qu'un mauvais prêtre ? Les devoirs du sacerdoce sont Ce que nous appelons Mal existe comme l'ombre néces-
si sublimes et si au-dessus de la nature humaine que tout saire à la manifestation de la Lumière. Le Mal métaphysique
prête qui n'est pas un saint est mauvais. Ceci explique le est une erreur ; le Mal physique est une souffrance ; mais
discrédit qui atteint le sacerdoce aux époques où le senti- l'erreur est excusable quand elle est involontaire. Savoir
ment religieux est faible. Les Evangiles nous disent que le
pertinemment que nous nous trompons et persister dans
Christ rencontra un bon larron, mais ils disent nulle part
notre erreur, ce n'est plus se tromper soi-même, mais cher-
qu'il trouva un bon prêtre.
cher à tromper les autres. Quant à la souffrance physique,
elle est un préservateur contre les abus des plaisirs et leur
XXVI
est en même temps un remède. Elle exerce la patience du
Le bon prêtre, c'est le sacrifice personnel incarné ; il
est la Philanthropie portée à un idéal divin ; le mauvais Sage, admoneste le sans-souci, châtie le méchant. C'est donc
prêtre qui n'est pas un saint est mauvais. Ceci explique le plutôt un bien qu'un mal.
pour ses marmites.
Suite de la note de la page précédente.
XXVII le fruit de Lois immuables. Or, une de ces lois est l'évolution. A un
Tout ce qui fait du bien est bon ; tout ce qui fait du mal certain degré de celle-ci, les êtres conscients sont développés, et alors
commence pour eux, par suite de leur transgression involontaire - parce
est mauvais. qu'ignorante - des lois de physique qui régissent l'univers, les maux
physiques, la souffrance corporelle, etc... Au degré ultérieur d'évolu-
XXVIII tion, c'est l'intelligence et la responsabilité morales qui sont dévelop-
Tout ce qui nous plait nous semble bon, et tout ce qui pées, et alors le mal moral commence par la transgression des lois
morales de l'univers, transgression accomplie par des êtres évolués qui
nous gêne ou nous afflige nous semble mauvais. Mais nous
ont développé en soi une volonté et un sens moral leur étant propres.
nous trompons souvent nous-mêmes, et ces erreurs sont les Il n'y a pas à essayer de nier cette réalité - quo ad nous - du mal ;
circonstances atténuantes du péché. mais là est le résultat inévitable de la violation des lois immuables
de la Nature. Il est parfaitement admis que les énergies récupérantes
X XI X (Loi de reconstruction de l'efficient par l'effet) de la nature font
sortir le bien du mal (souvent peut-être toujours dans la longue
Le mal n'a pas d'existence réelle, ou, pour mieux dire, course) tout comme le corps en putréfaction devient un agent de ferti-
le mal n'existe pas d'une manière absolue. Ce qui ne devrait lité ; mais le mal n'en reste pas moins par rapport à nos sens, aussi
pas être n'est pas : cela est certain et incontestable. (1) réel que l'est l'odeur répugnante de la putréfaction. Il est probable
que c'est principalement la réalité du mal qui incite une partie des
Occultistes à dire non seulement « nous ne trouvons pas de Dieu dans
l'univers », mais encore à affirmer qu'il n'en existe pas en dehors et
(1) Ce n'est ni certain ni contestable : tout le paragraphe traite d'une qu'il n'y a aucune volonté consciente et intelligente comme source
façon peu satisfaisante et sophistique de l'énigme éternelle - l'origine de ces Lois connaissables. Car, prétendent-ils, s'il y avait un Dieu,
du Mal. On peut dire, en un sens, que le Mal est l'ombre nécessaire c'est Lui qui serait responsable de tout le Mal commis ; et conséquem-
pour mettre le bien en lumière mais pour nous l'obscurité est réelle
tout de même ainsi en est-il du Mal. L'explication de l'occultiste est
que le Mal n'est que la transgression des lois naturelles ; l'univers étant
139
138
XXX
XXXI été dupé, à moins que vous n'ayez été halluciné.
(1) Il est assez malaisé de comprendre ce qu'on entend par là. Il est cer-
tain que les lois de la mathématique démontrent que deux ne peuvent (2) Ceci qui était assez raisonnable il y a quelque vingt ans est devenu
tenir la place d'un. Cependant, sans aucun sortilège, l'occultiste double caduque : nombre de savants ont, ces temps derniers, constaté et
ou décuple des choses malgré que votre sens d'observation ait été attesté ces phénomènes. Note du traducteur anglais.
parfait et sans que vous ayez été ni dupé ni halluciné. Note du tra-
ducteur anglais. 141
140
sûr ou bien que vous avez mal observé ou que vous avez
XX XVII Nous devons chercher l'esprit des dogmes, tout en ac-
ceptant la lettre dans son intégrité, telle que le Sphinx sacer-
Le mot magnétisme exprime l'action et non pas la nature
dotal nous l'a transmise. Cette lettre est évidemment ab-
du grand agent universel qui sert de médiateur entre la
surde, afin que nous cherchions au-delà et plus haut. Il est
pensée et la vie. Cet agent est la Lumière infinie, ou plutôt -
certain que pour agir il faut commencer par être, que pour
car la Lumière n'est en soi qu'un phénomène - c'est le Porte-
pécher, il faut avoir une conscience, et qu'en conséquence on
Lumière, le grand Lucifer de la Nature, le médiateur entre ne peut naître coupable. On ne peut pas non plus faire quel-
la matière et l'esprit (1), que les ignorants et les imposteurs que chose de rien, ni Dieu être un hOmme, pas plus qu'un
appellent le Diable, et qui est la première créature de Dieu. homme peut être Dieu ; Dieu ne peut ni souffrir ni mourir,
et la femme qui donne naissance à un enfant ne peut pas être
XX XVIII Vierge, etc... etc... Donc personne ne peut soutenir sérieu-
sement le contraire de ces vérités si palpables et évidentes,
Quoi de plus absurde et de plus impie que de donner sans nous avertir qu'il y a là un mystère, c'est-à-dire un sens
au diable, c'est-à-dire au Mal personnifié, le nom de Lucifer caché qui doit être extrait et compris, sous peine de devenir
qui signifie Porte-Lumière ? Le Lucifer intellectuel est soit un incroyant soit un sot.
l'esprit d'intelligence et d'amour ; c'est le Paraclet, le St
Esprit et le lucifer physique est le grand agent du magné-
tisme universel. XLI
142 143
Gourmandise. Il n'est jamais rassasié de la chair de ses XLII
victimes ; sous l'antique Loi il demandait des holocaustes
St Vincent de Lérins dit que ce qui appartient seul au
de taureaux ; sous la Loi nouvelle il renifle l'odeur des vic-
dogme vraiment Catholique ou Universel est ce qui a été
times humaines brûlant dans les auto-dafés.
admis en tous temps, en tous lieux et par tout le monde. (1)
Luxure. Il lui faut des vierges - comme au Minotaure. Ceci simplifierait merveilleusement la symbologie et agran-
Il a ses sérails où languissent d'amoureuses demoiselles et dirait prodigieusement le champ de l'Eglise.
des moines torturés par d'obscènes cauchemars. Il a inventé
le célibat pour créer des fantômes, plus indécents que tou- XLIII
tes les orgies romaines et tous les rêves anormaux.
On a coutume de répondre à ceux qui critiquent les
Colère. Le sujet principal des Livres Sacrés et de la enseignements des théologiens : êtes-vous d'un esprit plus
collection des sermons, est la grande colère de Dieu. La fu- fort que St Augustin ? Avez-vous plus de génie que Bossuet
reur déchaine la peste, et, dans sa rage implacable, il creuse ou plus d'intelligence que Fénelon ? Ces questions sont très
un Enfer pour toute l'Eternité. ridicules quand elles portent sur un point de sens commun.
Je suis certes bien moins fort en mathématiques que Pascal
Paresse. Après une éternité de repos, il travaille durant et pourtant, si j'avais vécu le temps de ce grand homme et
six jours (1). Ce travail consistait à donner chaque jour un que je l'eusses entendu dire ou laissé dire devant moi que
ordre et, après avoir donné ces six ordres, il sentit la néces- deux et deux font cinq, j'aurais considéré sa grande autorité
sité de se reposer. Or, combien St Jean avait tort, lors- comme nulle et aurais continué à croire - ou plutôt à savoir -
qu'après avoir représenté le Mal sous la forme d'un que deux et deux font quatre.
monstre à sept têtes, il nous dit que les hommes se
protesternèrent devant cette Bête (2) et l'adorèrent. XLIV
Les grands savants qui se sont tus, comme ceux qui ont
St Jean ajoute que les anti-chrétiens doivent animer parlé d'une certaine manière, ont eu assurément de bonnes
cette image, la faire parler, et que le monde se prosternera
raisons, leur étant propres, pour se taire ou pour parler. Les
devant ce simulacre vivant de la folie humaine. Prenons
bien garde de penser que cela puisse jamais se réaliser en hautes vérités ne sont pas faites pour les âmes basses ; il
la personne d'un Souverain Pontife du Catholicisme ; il est leur faut des contes, comme aux enfants, et des menaces
sans nul doute question ici de quelque Anti-Pape ou peut- pour les lâches ; il faut qu'il y ait des absurdités pour la
être du Grand Lama du Thibet. folie et des mystères pour la crédulité. Nous ne pouvons
regarder le soleil qu'à travers un verre noirci ; si nous vou-
lions le regarder directement, il nous semblerait noir et
(1) Naturellement ces six jours représentent inter aria les six cycles oeu- nous aveuglerait. Dieu est pour nous comme un soleil ; nous
vrant - ou circuits de l'homme, le 7e étant le cycle du repos. Note du
traducteur anglais.
(2) Interprétation correcte. Il n'y a pas plus de Dieu personnel dans les le « quod semper ubique et ab omnibus »,
idées de Jean que dans nos propres cerveaux. E.O.
(I) Il faut aller en arrière bien plus loin que St Vincent pour trouver
144 145
devons cheminer, dans sa lumière avec les yeux baissés ; si a duré pour des millions d'années qui, devant Lui, ne furent
l'on essayait de le regarder en face, la vue s'étendrait. La qu'un instant. La Genèse n'est pas l'histoire naturelle de
science la plus dangereuse et la plus triste est la théologie, l'homme, c'est le prologue de son épopée religieuse. Le
parce qu'elle se prétend à tort une science de Dieu, alors couple primitif, c'est l'unité humaine établie dans la pre-
qu'elle est plutôt une science née de la sottise de l'homme, mière famille de croyants. Quand Dieu fit passer sur le
lorsqu'il cherche à expliquer le mystère insondable de la visage de l'homme un souffle d'immortalité, l'homme avait
divinité. déjà un visage. Qu'était-il donc alors, sinon une sorte d'ani-
mal anthropoïde ? Certes l'homme ne descend pas du singe ;
XLV mais il se pourrait peut-être que le singe et l'homme descen-
dissent du même animal primitif. La théorie de Darwin ne
La Lumière de Dieu brille en chacun de nous ; c'est
notre conscience. Faire le Bien auquel celle-ci nous incite contredit pas la Bible ; il lui restitue son caractère du Lion
et éviter le Mal contre lequel nous met en garde, tels sont symbolique, exclusivement religieux ; la grande semaine
nos devoirs envers Dieu. de la Création est une série d'époques « géologiques » (1)
et l'on dit que Dieu se reposa quand l'homme commença à
XLVI comprendre que l'univers marche de soi-même. (2)
Dieu sème l'idée dans l'Infini, et les rayons des Soleils
font naître le germe des Planètes. Les animaux sont issus XLVII
de la terre comme les arbres, mais, pas plus que ceux-ci ne
Le surnaturel est l'éternel paradoxe du désir illimité.
sont nés tout formés et de toute leur taille ; les espèces ont
L'homme aspire à s'assimiler à Dieu, et il le fait par la Com-
leurs périodes embryoniques, tout comme des individus, et
munion Catholique. A juger du point de vue rationaliste,
chacun selon son espèce. S'imaginer que Dieu a tout d'abord
et, considéré d'une façon purement naturelle, cette com-
modelé une statue d'argile pour ensuite souffler dessus en
munion est une colossale extravagance. Selon la communion
vue d'en faire un homme, c'est croire un conte en tout sem-
catholique on consomme l'esprit d'un Dieu et le corps d'un
blable à ce qu'on raconte aux petites filles sur les bébés
homme ! Manger un esprit et, de plus, un Esprit infini !
qu'on trouve sous un plant de chou. Est-ce que Dieu serait
Quelle folie ! Manger le corps d'un homme ! Quelle abo-
nié ou seulement diminué si l'on cessait de le considérer
mination ! Théophagie et anthropophagie ! Quels titres à
comme un statuaire ? C'est la nature qui crée toutes choses
l'immortalité ! Et pourtant qu'est-ce qui peut être plus beau,
progressivement et lentement par degrés, opérant toujours
plus consolant, plus réellement divin que la communion ca-
par les fonctions équilibrées des forces inhérentes à la subs-
tance ; mais c'est le verbe divin qui guide ces forces vers
l'idéal de la Forme. La nature exécute, elle n'invente pas.
(1) Ou plus exactement des cycles de développement partant soit du zéro
Les pensées qui se rapportent à la matière ne proviennent à l'homme-singe, ou de l'homme-singe au Nirvana. Note du Traducteur
que de la Matière, quoique la Matière ne pense pas. A partir anglais.
du développement de la première cellule vivante jusqu'au (2) Très ingénieux... Note du traducteur anglais.
perfectionnement de la forme humaine Dieu a dit à toutes
les forces de la Nature : « Faisons un homme » et son « Fiat »
146 147
tholique ? (1) Le besoin religieux, inné chez l'homme, ne XLIX
trouvera jamais satisfaction plus complète, et combien
vivement nous sentons que cela est vrai, quand nous y D'après les Pères de l'Eglise, l'ancienne Loi n'était que
croyons. Dans une certaine mesure la Foi croit ce qu'elle l'image, l'ombre de la Loi nouvelle. Les étonnantes histoires
invente et affirme ; l'espoir dans le surhumain ne trompe de la Bible ne sont que des images (ils ne disent pas des
jamais, et l'amour du divin ne connait pas de déception. La allégories, le mot aurait été dangereux), des images du
première communion est le couronnement de la royauté dogme nouveau inauguré par Jésus-Christ, et la base de ce
humaine, c'est l'inauguration du côté sérieux de la vie, c'est dogme est que Dieu est personnellement uni à l'Humanité ;
l'apothéose et la transfiguration de l'enfance, c'est la plus
que nous devons aimer et servir Dieu dans l'homme, en un
pure de toutes les joies et le plus vrai de tous les bonheurs.
mot nous aimer les uns les autres, ce qui résume toute la
XLVIII Loi et les Prophètes. Il n'y a donc rien dans la Bible qui
ne soit conforme aux Evangiles, et l'esprit des Evangiles est
Il y a donc quelque chose à expliquer, quelque chose
l'esprit de Charité.
qui est au-dessus de la Nature et de la Raison, à justifier
et à satisfaire dans les plus hautes aspirations de l'une et
de l'autre. De ce point de vue le surnaturel apparait naturel, L
et la formule paradoxale des hypothèses nécessaires devient
parfaitement raisonnable. C'est l'esprit humain qui construit
S'aimer les uns les autres et ne pas abaisser, maudire,
l'impossible dans le but d'atteindre à l'Infini.
excommunier, persécuter, brûler son prochain. S'aimer les
uns les autres et conséquemment s'assister, se consoler, se
soutenir, se bénir l'un l'autre. La Charité c'est l'Humanité
douée d'un Principe divin ; c'est la solidarité enrichie d'ab-
négation ; c'est l'esprit des Saints et, par conséquent, c'est le
véritable esprit de l'Eglise catholique, c'est-à-dire univer-
selle. Ceux qui ont un esprit contraire à celui là n'appar-
tiennent pas à l'Eglise.
(1) C'est très bien quand les prêtres sont tous des adeptes des plus hauts
mystères occultes, comme Eliphas Lévi ne cesse de répéter qu'ils
devraient l'être tous, et quand les doctrines sont celles de la sagesse
ou religion éternelle. Note du traducteur anglais.
148 149
même (1). Il existe en ce moment une nouvelle secte protes- culte délivré des intérêts matériels ne sera plus un objet
tante qui s'intitule « Vieux catholiques », tout comme si un d'entreprise mercantile. Cela sera parce que cela doit être, et
enfant nouveau-né pouvait se dire vieux parce qu'il a un l'on découvrira alors que dans les dogmes chrétiens, il y
grand-père ? Mais les ancêtres de ces Protestants ridicules a - de même qu'en les premières parties de la Bible - des
n'étaient point de vieux catholiques ; ils seraient morts mille
images et des ombres de la religion de l'avenir, celle qui
fois plutôt que de se séparer de la Hiérarchie et de l'autorité.
Leurs ancêtres à ceux-ci sont les hérétiques de tous les déjà existe et pourrait se dénommer Messianisme, Para-
temps, et leur grand-ancêtre a nom Satan, l'irréductible cletisme, ou mieux encore catholicisme absolu. Cette Reli-
vieux catholique. (2) gion-là sera la Lumière de tous les esprits et la vie éternelle
de toutes les âmes. (1)
LI
(2) Voilà qui est très consistant avec tout ce qu'il a dit précédemment. Note du traducteur anglais.
Est-ce là sa charité à lui ? E.O.
151
150
res de la Raison avec les obscurités de la Foi, et quand le
LE GRAND SECRET
153
que ceux de la Sagesse, parce que celle-ci ne cherche pas à et c'est elle qui produit toutes les fantasmagories du spiri-
en produire, mais tend, au contraire, naturellement à en tisme.
éviter l'occasion. On dit que le Diable opère des miracles ;
en fait il n'y a peut-être que lui à en opérer dans le sens que Nous admettons que ce nom « Lumière astrale » ne
les masses ignorantes donnent à ce mot. Toute chose qui s'applique qu'imparfaitement à l'âme de la Terre. Le pouvoir
tend à écarter l'homme de la Science et de la Raison est instinctif de notre planète ne se manifeste en effet que par
assurément l'oeuvre d'un principe de Mal. électricité négative et magnétisme ; l'électricité positive, la
chaleur et la lumière viennent de l'influence du Soleil. L'âme
Le Soleil est intelligent (1), mais non pas la terre ; celle-
de la Terre s'irradie spécialement durant la nuit. La lumière
ci ne produirait rien sans le Soleil et le travail de l'homme.
restreint et repousse ses effluves. C'est surtout à minuit,
Le Soleil est son générateur, l'homme sera son « accou-
à la saison des longues nuits hivernales que les fantômes
cheur », et c'est à son corps défendant, avec répugnance,
apparaissent de préférence. (1)
qu'elle se soumet aux caresses de son époux et aux soins
de son médecin. Les animaux mal organisés, les fauves, les
Un homme n'est pas un saint par la simple raison qu'il
insectes nuisibles, les plantes parasites et vénéneuses, les
a des visions ; mais on peut avoir des visions et être tout
avortons, ]es monstres, les fléaux, sont les fruits de sa gros-
de même un Saint ; seulement ces visions chez les Saints ne
sièreté. Elle résiste tant qu'elle peut et sa résistance n'est
laissent pas de revêtir toujours quelque chose de ridicule ou
pas un crime : elle n'est que la créature de la Loi et sert de
de hideux. Ste Thérèse était tourmentée par le sang et croyait
contre-poids à l'activité du Soleil. Selon la tradition hiéra-
voir des murailles vivantes, qui s'entrechoquaient et un
tique, l'homme, ce fils unique de Dieu, devrait commander à
chérubin armé d'un arc qui tirait dessus. Marie Alacoque
la Terre, mais, ayant enfreint la loi de Dieu, il a cessé d'être
voyait J.-C. s'ouvrir la poitrine et exhiber un coeur palpitant
libre, et les esclaves sont tous égaux par devant l'esclavage.
et saignant. Martin de Gallardon voyait un ange sous la
L'âme de la Terre est hostile à l'Homme (2) parce qu'elle
livrée d'un laquais ; les enfants de la Saiette ornaient leur
sent qu'il a perdu le droit de lui commander ; elle lui
Vierge d'un immense chapeau de paysanne, d'un tablier
résiste et le trompe ; c'est elle qui forge les rêves, les cau-
jaune, avec des roses piquées dans ses pieds. Bernadette
chemars, les visions, les hallucinations... Elle est favorisée
Soubirous voyait N.D. de Lourdes habillée comme une fil-
en cela par le fanatisme, la débauche, l'ivrognerie et tous
lette prête à faire sa première communion, avec un petit
les désordres nerveux ; les fous, les femmes hystériques,
tablier bleu et des roses jaunes, les tiges plantées dans ses
les cataleptiques et les somnambules, sont tous aussi sous
pieds nus. Berbignier vit Jésus-Christ dans le milieu de plu-
sieurs bobèches plates ; cette vision de bobèches se renou-
(1) Ceci est un sacrifice de la Vérité à la littérature. E.O. vela à Pontmain où l'on vit quatre bougies fixées au mur du
Et la plus grande partie du reste de ce paragraphe est pure sottise.
Note du traducteur anglais.
(2) Pourquoi dit-il la Terre au lieu de son satellite ? Notez que, lorsque (1) Parce qu'on ne sent pas la lune durant le jour comme cela arrive la
l'auteur fait allusion à l'âme de la Terre, il entend toujours dire nuit. E.O.
l a L u n e E.O.
155
154
156 157
Paradis, la Terre est l'Enfer. Bien plus, les théologiens qui l'épreuve l'entendement humain. La sélection divine, c'est-
croient à un Enfer localisé, ne lui trouvent d'autre place à-dire le salut final, uni à la réprobation probable du plus
que dans le centre de la terre ; c'est là qu'ils le situent, ce grand nombre ; la porte étroite, la régénération ou trans-
qui semble affirmer la matérialité du Mal. formation morale, la résurrection ou transformation future
de l'homme qui est maintenant, en un être plus parfait.
La terre est paresseuse parce qu'elle est lourde et maté- Ainsi, ce que l'on pensait devoir ébranler la Foi ne fait que
rielle, et comme la paresse produit l'inanition, la terre en- la corroborer, ce que l'on pensait de nature à renverser la
gendre des espèces imparfaites réduites à se dévorer mutuel- Religion la rétablit. Les paradoxes affirmés par Darwin
lement les unes les autres. Elle aime à produire des êtres qui expliquent les oracles de Jésus-Christ, et nous croyons avec
s'entretuent, parce qu'elle s'engraisse des cadavres de ses d'autant plus d'assurance que nous connaissons mieux ce
enfants. La guerre est la raison d'être inévitable de l'exis- que nous devons croire. Les vérités finiront tôt ou tard à
tence terrestre et le triomphe appartient toujours au plus conquérir l'opinion publique, et celle-ci, quand elle s'appuie
fort. La force ne procède pas du droit ; elle le constitue ; sur la Vérité, se revêt toujours d'autorité ? On commence
ce que Darwin appelle « sélection naturelle » c'est le triom- par condamner Galilée ; plus tard on est bien forcé d'admet-
phe de la Force. tre ses affirmations, et l'Eglise n'en est pas moins infaillible,
parce que l'autorité est chose nécessaire. Or, quand l'Eglise
transmet son autorité au Pape, le Pape devient infaillible
Pourquoi y a-t-il des avortons dans la Nature ? Pourquoi par une infaillibilité autoritaire, mais non miraculeuse ; une
tant de dessins imparfaits si le Pouvoir créateur est omni- autorité peut être transmise, un miracle ne le peut pas. Le
potent ? Parce que toute la Force a la résistance comme désir de religion est le premier besoin de l'âme humaine ;
frein, parce que l'inertie lutte contre le mouvement, parce il existe au même rang que l'amour et dans l'amour même.
que l'ombre doit équilibrer la lumière. Tout est prévu par « Il existe » dit M. Tyndall, l'un des savants les plus en
l'Intelligence universelle souveraine et la Providence de vue d'Angleterre. « D'autres choses tissées dans les fibres
Dieu n'est pas une invention personnelle directe. Dans la intimes de l'homme, telles que les sentiments de vénération,
genèse Dieu ne crée pas les animaux, il dit à la terre de les de respect, d'admiration, et non pas seulement d'amour se-
produire (1). Dieu a fécondé la terre, la Nature, et celle-ci xuel dont nous venons de parler, mais l'amour du Beau dans
est devenue mère produisant, sans aide, par elle-même. Mais la Nature, au physique et au moral ; l'amour de la poésie
elle ménage ses efforts et simplifie ses grands travaux ; elle et les arts ; mais il y a aussi ce sentiment profond qui,
produit la vie et celle-ci, à son tour, travaille à différencier depuis l'aurore des siècles, probablement bien avant
les formes, selon des conditions circonscrites. Un effort en- qui, depuis l'aurore des siècles, probablement bien avant
gendre un autre effort ou d'autres efforts ; une forme génère l'ère d'aucune histoire, s'est incorporé dans toutes les reli-
d'autres formes, et le progrès n'est possible que par la loi gions du monde. Vous pouvez rire de ces religions, mais en
de transformation. Ces mystères de la Nature démontrent tout cas vous ne pouvez rire qu'à certaines particularités
,
158 159
l'homme. Le problème des problèmes à l'heure présente est nation est archidoxale dans la création et la réalisation de
de donner une satisfaction raisonnable à ce sentiment ». (1) ses paradoxes.
Nous croyons pour notre part avoir suffisamment clai- La volonté se rue sur l'archidoxe, ne s'arrête pas devant
i ement expliqué ou indiqué la solution de ce grand problè- le paradoxe. La Raison absolue est, comme la divinité, l'ar-
me de façon à permettre à des écrivains plus compétents que chidoxe suprême de l'entendement, ce qui, lorsqu'il s'agit
nous, de le découvrir et de le livrer avec plus de chances de l'esprit est l'absolu en Raison non-conditionnée ; l'absolu
de succès aux aspirations légitimes du Monde. L'Esprit d'In- pour le coeur est la perfection infinie. De plus, le Beau étant
telligence viendra, comme le Christ nous l'a promis, et il le reflet du vrai, la Beauté infinie ne peut exister que dans
nous enseignera toute vérité. la personnification idéale de la vérité et de l'amour. Cette
personnification réalisée dans l'homme est le Christianisme ;
Les doctrines de la Haute Science que les anciens appe- réalisée dans la Société en un tout, ce sera la catholicité.
laient Magie, n'étant plus reconnus de nos jours par la
Science officielle ne peuvent lui être présentées que sous Celui qui a dit : « Je crois parce que c'est absurde » nous
forme de paradoxes, mot qui signifie les choses au-dessus donna, sous une forme paradoxale, la formule de l'Archi-
de la raison.
doxe, et, par le fait, soit au-dessus ou au-dessous de la Rai-
son, on ne peut rencontrer que l'absurde. Seulement, l'absur-
Paracelse dont le nom est synonyme d'élévation de pen- dité qui gît au-dessous, est sottise ou folie, tandis que ce
sée en quelque sorte paradoxale, désignait ces choses par qui flotte au-dessus est enthousiasme ou abnégation. Au-
le terme archidoxes, c'est-à-dire ce qui est ultra- raisonnable dessous de la raison des multitudes, il y a le matérialisme ;
ou plus que raisonnable. (2) au-dessus de la Raison des savants, il y a Dieu. Credo quia
absurdum. Complétons maintenant nos paradoxes magiques
Dieu est le grand archidoxe de l'Univers. La Religion est par ce dernier que nous appellerons l'Evangile de la Science.
archidoxale quand elle parait paradoxale. La liberté est le
Paradoxe ou l'Archidoxe de l'Humanité divine. Evangile de la Science ! Quelle absurdité ! Comme si la
Science pouvait avoir un Evangile, une Bible, un Koran, un
La raison absolue, la connaissance absolue, l'amour Zendaves ta ou Vedas ! Tous ces livres sacrés relèvent exclu-
absolu, sont autant d'archidoxes du génie humain. L'imagi- sivement de la religion et des Prêtres de ces diverses formes
de culte ; la Science ne s'en occupe que pour s'assurer de
leur antiquité, de leur authenticité, et de leur influence sur
(1) Je me borne à traduire ce qu'E. L. présentait comme citation de Tyn-
dall. Je ne cite pas l'original. Note du traducteur anglais. l'histoire des nations.
(2) Ceci n'est certainement pas ce qu'E. L. entendait : doxa est une doc- Il n'y a pas d'autre Evangile vrai que celui de Jésus-
trine ou opinion philosophique, archi un préfixe qui signifie excel-
lence, priorité ou supériorité, et on entend par Archidoxes des doc-
Christ ; il est vrai, cependant, qu'il existe des Evangiles apo-
trines très élevées, soit fondamentales ou ultra-excellentes. Note du cryphes. Ce serait un anachronisme d'écrire à l'époque ac-
traducteur anglais. tuelle un Evangile apocryphe ; et ce serait folie et impiété
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de chercher à donner tout autre Evangile dogmatique autre ce qui était petit sera grand, et ce qui était malade ira
que celui de Jésus-Christ, mieux. (1)
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