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PRESSES UNIVERSITAIRES DE REIMS Université de Reims Champagne-Ardenne La Littérature Frangaise sous l’Occupat (852 pages - 120 F) Ee PAVERAE Te wn Mars nf cof Laie cre lan FCS Pere Seem rr cP Gece UANCIER, Hast Foch capt dee tne Routes TORQUE Poa de aac nao acs Yes DERRECITE {we frpne dan From isn ven 360944); Waace BABILAS ‘Eitnecnt mate, Ren GANGUILG, ann de como ek soso itveaaues inact een not Meabed FLUCCE Cl ‘eed ot prdacon tee popes de ewenan ee) singed CALSTEN Og {Eke ia cemer tte asd t Pa seu Ferpaon Perk ‘pos uthdae fuga us ecapaton thease TARCARD. Lemp Sef Gal ‘Renta Cherlone Cry e Bs Roce te FUCIS La ance le ‘Besitumtet Fare Stn near ban fee elm Pn reason; Crd LOMEAUE Pom ou Cores” Un en sana 1 err Salon pr ford Pp Pn Seam COMMANDES + Commandes & adressor & Prosses Universitaires de Reims - 23; Boulard - 51097 Reims Cedex. Paiement : ~ par chéque bancaie & 'ordre de Monsieur I'Agert Comptatle ~ par cheque postal libellé a l'ordre de Monsieur I’Agent Cony ble de l'Université de Reims Champagne-Ardenne, ©.C.P. 2700: N Chalons-sur-Mame. CONDILLAC, INVENTEUR D'UN NOUVEAU MATERIALISME, ‘On peut certainement, & chaque époque, repérer un réseau vonceptuel susceptible de définir ce qui constitue la figure vontemporaine du matérialisme. Que Condillac ait ou non parti- tipé a la figure représentative du matérialisme des Lumiéres est line affaire de spécialistes. Je serais tenté de croire que ses ennemis n’avaient pas tort et gue le prudent abbé était bien un es philosophes les plus dangereux auxquels les idéalistes alent femaisou afar, 1 inventcur del sensation transformée (dont lc systéme a recu une appréciation mitigée de ses contemporains { qui n'a 6t6 une référence philosophique essentielle qu’avec les \lcologues) est souvent jugé comme un penseur mineur. Je crois jue cette évaluation provient de ce quill a été Pun des premiers }) avoir modifié le programme classique des empiristes en ouvrant wine nouvelle voie de recherche, et que cette ouverture s'est ‘yperée alors que Pon n’avait guére les moyens de Meffectuer \criablement ou d’en formuler correctement les implication Les conditions épistémologiques ont changé, ct il me semble que Yon peut réévaluer apport considérable du philosophe & la lumigre du développement du cognitivisme, Les empiristes s’efforcent de ramener le contenu des connais- sunces aux sensations originaires. Condillae va plus loin : connai- Ire c'est sentir, la sensation est Ie sol de toute connaissance, son ‘operation fondamentale et indépassable. A partir de Ia, on doit pore « eager » (étagement sc traduit par une genesc) toutes les opérations cognitives en fonction de différents systémes, de plus en plus compliqués, disons, jusqu’aux mathématiques abs- ites (voir La Langue des calculs, 1780 ; et notre édition, P.ULL., Villeneuve d’Aseq, 1982). C’est cette idée (qui implique hon seulement une genise des connaissances, mais aussi, une ers des faculs) qu et apparus absurde aux contemporains. n'y @ aucune raison qu'elle le soit pour nous. Nous construisons, ‘en effet, des architectures de ce type : nous avons des machines, qui codent certaines opérations élémentaires, nous leurs donnons ‘ertaines instructions dans un langage Ly, qu'un assembleur (ra- ERIALISME 155, 154 SYLVAIN AUROUX CONDILLAC ET LE MAT! duit dans la machine, puis nous pouvons construire des langay de plus en plus évolués, L, ..., L,, reliés par des compilateury On sait que l'une des innovations de Condillac( que les many Whypothase : les deux derniers systémes sont en quelque sorte Bes Foites noes, traditionnels de philosophie consid@rent comme une curiosité statue peu ridicule) a &6 de vouloir décrire (et expliquer aénétigh eoprit corps ment) les opérations copnitives de Fétre humain en ‘suppor - une statue douge de la faculté de sentir. Cela supposait [_ méwoire] coneci fap. percept. toutes les opérations cog ramenées quelques opérations élémentaires et qu’on puisse | décrite, ainsi que Condillac le fait dans le Traits des Seneat (1754). Il rompt par la, avec la théorie millénaire des facul de Tame, sans pour autant défendre ce que serait un m strictement matérialiste/mécaniste des activités cognitives rédh tes a des processus cérébraux. Nous pouvons tracuire cela, disant qu’il est le premier théoricien des automates abstraits, nous n/avons d’idée véritable que depuis Turing. Par auton abstrait, fentends la représentation d’une struc“ure suscepti effectuer un certain nombre d’opérations (en Poccurrence traitement de l'information), sans que cette repnésentation compagne d'une quelconque représentation de ce qu'elle étre réellement pour fonctionner. La statue de Condillac a as & proprement parler une machine de Turing (un automal abstrait a états finis, équivalent & une structure mathématique) Cest une structure plus complexe, quelque chose comme machines théoriques qu’imaginent les connexionistes pour 2 Quer apprentissage, sans avoir au préalable & coder les repr tations, On peut exprimer la chose de la fagon suivante : aptitude cognitive évoluée (par exemple, calculer) est anak a la possession d'un logiciel, mais le probleme c'est de ment comment le logiciel peut apparaitre spontanément dans un tain type de machine. Dans le Traité des sensations (que je considérerai, pour Ii tant, dans Pétat de sa premigre publication, cest-a-dire aucune consideration sur le langage) on postule trois system celui de esprit, celui du corps (qui comprend un systeme mote) et un appareil perceptif), autrement dit la statve, et celui monde. Chaque systéme (excepté le premier) posséde une tecture qui tui est propre, sur laquelle nous n'avons pas A [a rare monde externe Chaque systéme peut également générer des séquences d’évé- Homents qui obéissent & des régularités (autrement dit nimporte iwelle information ne pénétre pas n’importe quand dans la sta- ue). Ces systémes évoluent et sont reliés entre eux. En particu- -xiste une liaison préconstruite qui fait que lorsque certains, Minits de environnement affectent l'appareil perceptit, alors il se Produit dans la statue une sensation d'un certain type. Une temation est un événement dans Ia patie centrale de a state, (e que Von peut appeler son champ de conscience, quelque chose vomme la téte de lecture dune machine de Turing. Cet événe- tuent S, provient de T'un des cing sens : V(ision), O(dorat), Moucher), A(udition), G(ustation). C'est la seule hypothése de Ae type que Condillac juge nécessaire de faire. Il fait, par ailleurs autres hypotheses {a statue est un systéme évolutif, qui poste une histoire, aguelle est une suite non finie d’états'H,, ..., H,, cette suite est June fonction du temps et des evenements du monde qui provo- quent des sensations, L’état initial de cette histoire H, est vide. (tite double hypathese defini Tempirisme de Condilse La statue va trier les sensations par apes, est 2dre pur sequences finies d’états non-historiques * E,, Il faut au moins cas Sa tt ci ix Wc ees Sacer Se eee 1, On trowwera oes idées exposées de manigee accessible cans Vartile de B. Descles « Langage et Cognition », K.5.5.1. (Revue de Tassoctation Cy ‘ienne de Semiotique), voi. VIN-I2 (1988), p. 1-25. 156 SYLVAIN AUROUX CONDILLAC ET LE MATERIALISME 157 supposer deux états non-historiques distincts : 'un corres au plaisir (E.P.) et l'autre a la douleur (E.D.). Ce sont données de la connexion entre le cor2s et Vesprit : certain sensations sont liées au plaisir, Ces deux états sont associés & quantités, ce qu’on peut se représenter par une fonction 1 valeur sur ensemble des réels, Cette fonction a deax propriétés 4) lorsque I (E.P.) croit et dépasse un certain seuil, alors | (ED. rend une valeur non nulle ; it) lorsque I (E.D.) décroit jt qu’a devenir nulle, alors I (E.P.) prend une valeur non null — Tout est sensation, Particulier les états non-histor On veut dire par a, trivialement, que, pour Ia statue, dans l'état E.D., lorsqu’elle a la sensation S,, revient a avoir sensation S,, en méme temps que la sensation de Pétat de leur, Sj (E.D.). De la méme facon, il peut y avoir la sensa Sq de l'état E,, c’est-a-dire de la sensation de l'état S (E), leque! la statue était en percevant la sensation §;, Les sensati sont associées & des intensités, une plus ou moins grande viv cité, ce que Ton peut représenter par une fonction V av: sur l'ensemble des réels. L'intensité de la sensation ne seml Pas étre la méme chose que la grandeur du plaisir et de douleur. C’est un point sur lequel Condillac nest pas clair, Le probleme que le philosophe se propose de résoudre done se traduire dans notre terminologie de la fagon suivante comment s‘enchainent les états historiques et se constituent sequences d’étais non-historiques, de fazon & donner lieu opérations cognitive etd des Guts avancts de connaissance exemple, la physique newtonienne) ,Supposons que l'état historique H,, soit immédiatement dun état H,. Le champ de conscience de la statue est dans I’ E, avec la sensation S,. En fait, il n'y a en tout et pour tout Si, ce qu’on pourrait traduire en disant H, = E; = S, Condil = beaucoup plus Poétique ca admettant que la sensation mn est leur de rose, il dit gueston est Vodeur de ro lit simplement que la statue t Par la méme occasion se trouve définie une opérati Phoulté mystéricuse. Tout changement d’état entraine, ensuite, {Wp changement d'état historique, parce qu’apparait la mémoire. ste que la memoire ? Cest abstraitement, la capacité de fentir une sensation passée. Cela suppose la conservation en ‘lehors du champ de conscience, c'est pourquoi il faut supposer jeux ¢léments dans la statue, la mémoire et le champ de tonscience. La mémoire, pour Condillac, n'est qu'une fagon de entir, généralement moins vive. Elle est aussi plus que cela : wwe cause de sensation. La statue peut avoir des sensations sans t \une information lui vienne du monde externe : cette sensation jovient de la mémoire, elle est la sensation déja advenue, mais Muiblie. Ce qui fait que la statue change d'état historique, c'est apacité de conservation (sur laquelle Condillac n’a aucune icoric). Tout accés & la mémoire se fait par une sensation : « la inemoire est [...] une suite d'idées, qui forment une espéce de Sluine. Cest cette liaison qui fournit les moyens de passer d'une hee a-une autre, et de se rappeler les plus éloignées », Le champ de conscience peut étre occupé par deux sensations, ‘est ce que Condillac nomme la comparaison : « comparer n'est wutie chose que donner en méme temps son attention a deux ees » (Le Roy I, 226). On peut traduire cela en disant que la Mutuc est dans un état non-historique E.C.,. Soit . Les sensations peuvent étre des souvenirs. Le philosophe )postule que la comparaison produit immanquablement le juge- pent : un jugemeat n'est (-} que la perception d'un rapport fitre deux idées que Pon compare » (ibid.). Comparer et juger sont pour nous des opérations. Comment nous représenter cela, 4 restant au plus prés de ce que dit le philosophe ? Supposons nous nous représentions une séquence d’états, par des suites ‘tre crochets composées de la facon suivante : on a d’abord le figne d'un état, celui dans lequel se trouve la statue, puis le éontenu du champ de conscience, enfin le signe d'un autre état ‘On passe d'une formule a autre, lorsque le dernier état de ta [premidre ‘ormule est le premier état de la formule suivante. On sit done se représenter Ie jugement qui aboutit 8 la perception Wun rapport entre deux perceptions de la fagon suivante IN < EC, 8, 8), Edy > fo E> wou 3. « [-.] ily a deux termes dans le plait Le le ies dans le ius faible est od Ia sens ammenes ave Ke moi de foc 1 pis fort et of saan ne aR SS aréable ;cest tat I plus voisin de Ia douleur: « En diminuant [la douleur| ne tend pas comme le plaisir ‘out sentiment ; le moment qui la termi ‘artble» (LER joaiseniment ‘Qui Ia termine est (..) toujours agréable » (Le On doit concevoir cette séquence comme aléatoire : ccla Algpend de ce que la statue pergoit. Le stade suivant introduit P'un dies éléments fondamentaux du systeme de Condillac, lhabitude : % A mesure que les comparaisons et les jugements se répetent, fiotre statue les fait avec plus de facilité. Elle contracte done 158 SYLVAIN AUROUX CONDILLAC ET LE MATERIALISME 159 Thabitude de comparer et de juger. Il sutfira par conséquent lui faire sentir d'autres odeurs, pour lui faire faire de nouvel Comparaisons, porter de nouveaux jugements et contracter nouvelles habitudes » (ibid. Trivialement, cela signifie que la répétition de séquen comme [1] stabilisera une sorte de schéma de la suite de séquet ces, qui sera tel qu’avec n'importe quelles sensations alors suite ‘du’ méme type se réalisera. On peut considérer que jugement est une « faculté », puisque comme séquence stabil Etats il représente un pouvoir de traitement, mais il n'est Une entité mystéricuse préexistant dans organisation d’un transcendant nécessairement la matiére. La suite des stats hist iciels (Cest-A-dire linguistiques) sont nécessaires pour décom- poser les opérations de T'ame, et que le jugement peut étre sonsidéré comme perception ou comme affirmation, lesquelles he sont de la part de lesprit qu’une méme opération. La these Ale Videntité entre perception et affirmation (C'est elle qui pose ‘les problémes aux interprétes) est d’autant plus obscure que jenctiquement la premiére apparait avant autre. n'y a dans Pesprit que des idées : — arbre — et — grand . selon exemple de Pauteur. Je perois qu'un arbre est grand il j'ai la perception de ces deux idées ; la perception est ment interne & esprit. Il y a affirmation quand « T'idée de \leur convient & T'idée darbre indépendamment de notre st “ette gens : m ception » ; une proposition signifie que la grandeur appartient abilisés. Cette ger ee came ernaeal toe wet fecllement arbre. Autrement dit l'affirmation est une opéra- 3 lion référemielle qui renvoie au monde externe. Elle est rendue possible spar le langage, qui permet d’analyser la perception : * Vallirmation est, en quelque sorte, moins dans votre esprit que Alons les mots qui’ prononcent les rapports que vous percevez » (il. Le Roy, t. I, p. 437-438). On n’est pas trés loin de Hobbes. chapitre’xur de la premiére partie, consacrée au verbe, jeprendra la méme analyse et les mémes exemples (ibid... p. 456) Le verbe substantif é#re y est crédité de trois fonctions : une Jonction assertive qui tient & sa prononciation et d’od découle la elcrenciation externe, une fonction cohésive et une fonction éyistentielle, Les deux demniéres sont confondues, car le verbe exprime la coexistence dans Pesprit du sujet et de Vattribut ; il en résulte que la fonction existentielle n’est pas référentielle ; elle sorrespond a ce que le grammairien Beauzée nommait existence Intellectuelle (« I! ne faut pas confondre le verbe substantif avec lp verbe érre pris dans le sens d'exister », cest-A-dire qui prédique existence réelle, cf. Le Roy, t. I, p. 457). La fonction cohésive 41 la fonction assertive sont distinctes, comme le montre la sonception de la négation : « lorsqu’on a dit que le verbe signifie J coexistence, une proposition est affirmative. si elle affirme que lo sujet et Vattribut coexistent ; et elle est négative, sielle affirme 4wils ne coexistent pas » (ibid., p. 456). Loriginalité de Condillac consiste & soutenir non pas la concep- tion scion laquelle le verbe substantf signifie Vacte de Pesprit {West Paffirmation, mais que affirmation réside dans la pronon- tation du verbe substantif. Autrement dit, il n'y a pas d’acte de Vosprit qui soit une affirmation, c'est un acte de langage, qui jjoute rien au contenu représentatif de la perception, il en W@sulte un embryon de théorie illocutoire, qu'on repére par exem- trice mystérieuse et donnée d’avance (comme lest, par exem| activité synthétique de Tentendement chez Kant). Mon but n'est pas de décrire totalement la démarche Condillac, ni d’évalucr s'il a rempli son programme, voire me Sil lui est possible de le remplir. Je voulais simplement indigu une direction. Le systéme ne serait pas complet sans le rdle langage dans les activités cognitives. Sans langage, il n'y pour 'homme ni connaissance un peu abstraite, ni liberté, encore, c'est une conception qui a été mal comprise et réduite & un nominalisme tival a Nous avons déja vu comment le langage (cf. notre an avec la compilation et les assembleurs) est explication et réalité méme de certaines activités intellectuelles. Hy a daval encore, ce qui nous éloigne, au reste, quelque peu des automi cognitivistes. Parmi toutes les théories classiues, celle de Co! lac est particuli¢rement intéressante, parce que détivant langage du langage d'action, elle définit le langage comme acte avant méme de le définir comme une representation, conséquences de cette position deviennent essentielles avec nominalisme de la seconde philosophie, inaugurée dans la Gr ‘maire (1775). Le chapitre IV de la premiere dartie, en particul a fait buter les interpretes *. Condillac y montre’ que les sig 5. Voir par excmple $. Auroux, La Sémioique des eneyclopdises Payot, 179). ic 8 dnt espns nc me parse {cs t les heitations de JC. Pariene, qui rempéchent de tes0udse [ag dans son article, « Sur la theorie du verbe chez Coadillc », Candide ef problemes du langage (J. Sgard, dit.) (Geneve, Slatkine, 1983). 257274, 160 SYLVAIN AUROUX CONDILLAC ET LE MATERIALISME 161 ple dans le traitement des modalités de phrase. « Je fais aftirm fais commande » (Le Roy, t. I, p. 472). Dans la derniére pl «« affirmation disparait, et In coexistence de Lattribut avec sujet, n'est plus énoncée que comme pouvant ou devant étre suite de mon commandement — cet accessoire, substitu premier, a fait donner & cette forme le nom de mode impéralil (ibid.). 1 convient cependant d'analyser plus précisément ¢ actes de langage. Pour Condillac parler consiste a faire avec les mots autre cho que simplement représenter ou communiquer ses idées, Il vient meme a définir les classes de mots a partir de ce qu’on p faire avec chacune : «Tl ne faut que des substantifs pour nommer tous les obj dont nous pouvons parler ; il ne faut que des adjectifs pour exprimer toutes les qualités ; il ne faut que des prépositions pol cen indiquer les rapports ; enfin, il ne faut que le seul verbe ét pour prononcer tous nos jugements [souligné par moi, $.A,] La distinction entre indiquer et prononcer est particulidre importante ; elle éclaire la relation privilégi¢e que le lan dans la seconde philosophie de Condillac, posstde avec la renciation, L’opposition apparait dans la Grammaire & propos des prépositions, qui ne font qu'indiquer les termes du rappol qu’elles expriment. Condillac réinterpréte la théorie de Beau selon laquelle les prépositions signifient un rapport avec « aby traction des termes antécédents et conséquents », théorie gommait totalement la référenciation. Mais ropposi tout thématisée dans la Langue des Caiculs (éd. pasthume, 179 ‘On peut exprimer la différence entre deux nombres de d maniétes (Pp. 139-140) en la prononcant (je dis — huit —) ou Vindiquant (je dis — seize moins huit —). Dans cet exemple, référence de ce qu'on prononce coincide avec celle de ce qui indique ; mais en algébre on ne saurait prononcer, on ne p quiindiquer, car les signes sont indéterminés (p. 295) et m' done pas de signification. Parce quill est action, le lan déborde ce que esprit seul peut représenter, c’est-A-dire pera voir ; il permet de penser ce qui n’a pas d’idée et n’est pas men nommable, par exemple, les nombres irrationnels qui exiger de recourir & Vinfini ou la valeur d'une variable lorsqu’ demeure indéterminée. Pour évaluer cette théorie des actes linguistiques, il faut 6 demment la confronter a la question des performetifs. On trou dans le Dictionnaire des synonymes (rédigé a Paris entre 1758 1/07) des définitions claires pour les verbes performatits + Denommer est nommer quelqu’un par son nom dans un acte » (uit, Nomumer). « On demande en adressant la parole pour obte~ Wt une réponse » (art. Demander). La promesse est un « acte fy discours par lequel on assure qu’on fera une chose » (art. Promesse). Juger sgnifie notamment « faire un jugement ». Cer {wns verbes peuvent désigner deux actes linguistiques différents : nommer c'est donner un nom 2 une chose ou dire celui qu'elle 4» (att. Nommer). Ce que nous avons appelé « verbes performa- Wily» sont des verbes qui signifient une action accomplie en Parlant. Condillac y est sans doute plus sensible qu’un autre & Iynse de la place des actes linguistiques dans sa dernigre théoric ile la connaissance. Mais il ne s'intéresse jamais 3 leur valeur jioprement performative ; jamais il ne note que si je dis x, alors Juis ce que signifie x. Les verbes performatifs sont appréhendés Jr ft quilssgifient un ace Hinguistique, jamais. par eur lnnetion dans les énoncés performatifs. Cela est particuliérement Visi de « prononcer » ; le Dictionnaire des synonymes, probable- ent rédigé avant que le théme ne devienne central dans Ia Grammaire, renvoie ce mot a « articuler » et « déclamer » (voir Pariente, art. cité, p. 260), autrement dit & la sermo corporis de (iccron et & son origine thétorique. Si Vacte linguistique qui fonsiste & prononeer est la clé de voiite de la théorie cognitive, Vnoncé performaiif « je prononce » n’a pas de statut dans 1a \coric linguistique. Ilya la une situation générale pour la pensée sassique. Je crois que cette situation historique est un argument supplé- Jnentaire pour ceux (par exemple Ducrot) qui soutiennent que J présence d’un verbe performatif n'est ni nécessaire ni suffisante Wu formulation cron énoncé pertormatit. La performativité side dans la sui-référence de certains énoncés, non dans le sens \los performatifs. Or la sui-référence est le phénoméne dont la tonception sépare la grammaite classique et Tes theories moder fos de l'énonciation. On le voit par exemple sur le traitement les pronoms persennels : si la sui-référence était envisagée, on {ve pourrait mettre sur le méme plan les deux premieres personnes {la troisitme. On le voit chez Condillac dans la constitution des Joperes temporels. Certes « époque actuelle [...] est le moment (hi: nous parlons » (Le Roy, t. 1, p. 468), mais « si nous voulions Je boner & cet instant, il nous échapperait & mesure que nous ppatlons » (ibid., p. 477). Le présent se dissout selon les vieux aradoxes, parce qu’il est recherché dans le temps objectif, pour Weguet'énonce nest qu'un Evenement qui sévanout interpre 162 SYLVAIN AUROUX tation objective est toujours préférée au retour sur soi. Al Condillac considére-t-il 'impératif comme un futur, parce qu ne peut obir« que postérieurement au commandement »( P. 272). Cela est encore plus apparent dans la definition Indexicaux : « ici se dit d'un lieu of Yon est, ou d'un te présent, par opposition a un licu ou un temps éloigné » (Di Syn.). Dans la conception du langage comme traduction de pensée, qui reste le ccur de la pensée classique — méme Condillac la déborde avec les signes ambigus ou ceux qui ne f¢ qu'indiquer — la sui-référence est inconcevable. Signifier c etre le signe d'une idée. « Je » peut bien étre apprcherdé relation avec T'acte de parole, sa signification sera « celui parle » et non « la personne qui dit “je” ». Les classiques n' pas su formuler le caractére absolument singulie> et indépas de Vici et maintenant que définit en s‘auto-signifiant Pacte parole. Hegel aura beau jeu (au début de la Phenom de Esprit) de ctitiquer la certitude sensible & partir de I’ superficielle (et fausse) que les indexicaux ne peuvent avoir stable qu'un sens universe! : « En disant ceci, icf. maintenant, ‘un étre singulier je dis tous les ceci, les ici, les maintenant, étres singuliers. De méme lorsque je dis moi, ce moi singuli je dis en général tous les moi» (Phénoménologie de I (1807), trad. Hyppolite, 1939, p. 90). Le philosophe idéaliste tire simplement les conséquencesd! théorie de la signification, que méme les sensualistes n'oat su amender. Mais il est (conceptuellement) bier. au-dessous possibilités théoriques ouvertes par Condillac. Pour le se liste, en effet, ce n'est pas la question de la généralité qui importante, c'est qu'il faille prononcer, dire je, c'est-a-dire ger dans le monde par une action corporelle. Sans le 60 n'y aurait pas de langage, c’est-i-dire d'acte de parole, et ce dernier, il n'y aurait pas daffirmation, c’est-a-dire pas vrai et de'faux, done pas de connaissance, Le singularité indépassable, en prononcant — moi —, je ne dis pas en gén tous les moi. Je ne puis dire que mon moi, c’est aux autres de dire le leur, ils n’ont qu’a parler. Enraciner la spiritualité fa plus haute dans le co une théorie génétique de Pesprit (on dirait sans employant le terme classique d'entendement) qui dépende une réalité transcendante mais de l'histoire réelle de Vint tion des hommes entre eux et avec le monde, cest assuré tre matérialiste. En rattachant Pesprit au langage de la extraordinairement nouvelle que l'on a vue, on dépasse du CONDILLAC ET LE MATERIALISME 163 soup le matérialisme mécaniste qui verrait dans ‘esprit une cer- nine complexion d'atomes corporels. Sans doute Pontologie de Condillac était-elle dualiste (Dieu et esprit existent comme enti- {0s distinetes de la matigre), mais la méthodologie de sa théorie {ie Ventendement ne l’était certainement pas : elle n’a nul besoin {Je supposer un fantéme dans Ia machine. SYLVAIN AUROUX CN.RS., Paris

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