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(es testes sont tt de recent Repsie raat ox tng cole (oma denotes ius de Michel Bator © bes Eton de Mit 960, pour le pit ‘tome records» cs tebenton& Hoa ot tons de Vy 190% pour es ues chaps LE ROMAN COMME RECHERCHE Le roman est une forme particulidee du récit, Celui-ci est un phénoméne qui dépasse considérablee mont Jo domaine do la listérature ; il est un des consti- ‘tuants essentiels de notre appréhension de ka aéalité. Jusqu’a notes mort, et depuis que nous comprenons des paroles, nous sommes perpétuellement entounss de récits, dant notre famille tout dabord, puis & l'école, pis & travora Joa roncontres ot lea lectures. Los autres, pour nous, oe n'eet pas seulement ¢° que nous en avons vu de nos yeux, mais ce quiils nous ont raconté d’eux. fou ce que d'autres nows on ont uvonts ; ce n’est pas seulement coux que nous avons ‘vos, mais aussi tous ceux dont on nous a parlé. Geci n'est pas soulomont vrai des hammes, mais dos choses mudines, des liowx, par exemple, ot je ne suis pat Jos plus variées, depuis la tradition farailiale, es rensci- ‘gnements que 'on a0 donno & table sur ce qué I'on @ fait Te matin, jusqu’a Finformation journalistique ow Pour ‘yrage historique. Chacune de ces formes nous relie & un secteur particulicr do la réalité. Essais sur le roman ‘Tous ets réste véridiques ont un eoractire en eom- run, c'est quils sont toujours en principe vérifiables, Je dois pouvoir recouper co que m’a dit un tel par des renseignements yenus d'um autre informateur, et cect fndéBaiment ; sinon, je me trouve devant une erreur ‘ow une fiction. ‘Au milica de tous ces récts grave auxquels se cons- ‘tue en grande partie notre monde quotidien, it peut y ‘en avoir qui sont délibérément inventés. Si, pour éviter cute méprise, on donne aux événements racontés des caractéristiques qui les distinguent demblée de ocux auxquels nous avons Phebitude dassister, nous nous trouvons devant une littérature fantastique, mythes, contes, ete. Le romancies, lui, nous présente des événee rmonts comblables aux événements quotidiens, il veut leur donner le plus possible 'apparence de la réalité ce qui peut aller jusqu'a la mystification (Defoe). ‘Mais ce que nous raconte le romancier est invérifiable ct, par cooséquent, ee qu'il nous en dit doit sulfire & hui donner cette apparence de réalité, Si je rencontre un ‘ami et quill m'annonce une nouvelle surprenante, pour temporter ma eréance ila toujours la ressourer de me dire aque tole ot tels ont oux aussi 6té témains, que jo n'ai qu’ aller verifier, Au contrare, & partir du moment of, tun éerivain met sur la couverture de son livre le mot roman, il déclare qu'il est vain de chercher ce genre de confirmation, Clest par ce qu'il nous en dit et par TA seulement que les personages doivent emporter Ia conviction, vivre, et ela, méme s'ils ont existé en fait, Timaginons que nous découvrions un épistoier du xix® sidele déclarant & som correspondant. quill a tr¥s Dien eonnu le Pére Goriot, que celuici n'était pas du tout comme Bolzac nous Fa dépeint, que, notamment, Le roman comme recherche 9 a tele ot elle page, ily a do grossitres erseurs3 cela n’aurait évidemmont aucune iroportance pour nous. Le Pére Goriot est ce que Dalzae nous en dit (et e que Pon peut en dire partir de Ii); je peux estimer que Balzac fo trompe dans ses jugements par rapport som propre personnage, que celU-si li Seppe, mais pour justitier ‘mon attitude, il feudra que je mvappuie aur les phrases ‘mes do von texte; ne pais invoquer autre témoin. Alors que le récit véridique & toujours Tappuiy la ressouree d'une. évidence extérieure, Te roman doit sufi & suseiter oo dont il nous onteetiont, C'est powr- ‘Tuoi est le domaine phénoménologique par excellence, Te liew par excellenes ob étutoe de quelle fagon la réalite nous apperaft ou peut nous apparaltres c'est pourquoi Je roman est le laboratoire du réeit, Le travail sur la forme dans le roman rev8t dis Tors ‘une importance de premior plan. En effet, peu & peu, en devenant publics et histo- riques les récits véridiques se Gxent, ordonnent, et #6 réduisent, selon certains prineipes (eeux-1 mimes de cce qu'est aujounbui Ie rozan « traditionael, le roman qui ne se pose pas de question). A lappréhension pri- ative s'en substitue une autre ineomparablement moins riche, éliminant systématiquement certains aspects ; lle recouvre peu A pou Pexpérience réolle, s° fait passer pour celle-i, aboutissant ainsi 8 une mystification géné- Talisée. exploration de formes romanesques diflé 10 Exsaia eur le roman rentes révéle ce qu'il y a de contingent dans celle & Taquelle nous sommes babitués, 1a démasque, nous en Aslivre, nows permet de retrouver au-deld de ce réoit ixé tout ce qu'il eamoutle ou qu'il tait, tout e2 récit fondamontal dang lequol baigne notro vie ontiére. Diautre part, il est évident que la forme étant un principe de choix (ct le style & ect égard apparait comme tun des aspocte do In forms, étant Ja fagon dont Io détail mfme du langage se lic, co qui préside au choix de tet rot ou de telie tournure plutdt que de telle autre), des formes nouvelles révéloront dans Ia réalité des chosos nouvelles, et cevi, natusellement, d'autant plus que leur ohérence interne sora plus afliemée par rapport aux autres formes, d'autant plus qu’elles seront plus rigou- Inyersement, & dos réalités différentes correspondent des formes de evcit dillérentes, On, il est clair que le monde dans Iequel nous vivons s0 transforme avee une grande rapidité. Les techniques traditionnelles du récit sont incapables W'intégrer tous les nouveaux rapports ainsi curvenus. Il en réeulto un perpétuel malaize ; il nous est impossible Wordonner dans notre eonscienee, ‘toutes les informations qui Tassallent, parce quo nous munquons des outils adéquat La recherche de nouvelles formes romanesques dont lo pouvoir dintégration soit plus grand, joue done wn triple rile par rapport & la eonseicnes que nous avons du réel, de dénonciation, d'exploration et d'adaptation, Le rowaneier qui so rofuso & oo travail, ne bouleversant pas d'habitudes, n’exigeant de son Tecteur aueuz elfort Particulier, ne obligeant point & ee retour sur soi-méme, ‘cette mive en question de positions depuis longtemps facquises, a certes, un sucets plus facile, mais il se fait Le roman come recherche uu lice de ce profond malaise, de cette nuit dans laquelle now: nous débattons, Il rend plus raides encore leg rélexes de la conscience, plus difleile son éyeil, i contribue & son étoullement, si bien que, méme #il a des intentions généreuzes, son quvro en fin de compte cest_un poison, Linyention formelle dans Je roman, bien loin de s'eppocor au réalisme commo T'imagine trop souvent une critique 8 courte vue, est la condition sine gua non dun réalisme plus ponssé. Mois la relation du roman & la réalité qui nous entoare ne se réduit pas an fait que ce qu'il nous déerit se pré- sente comme un fragment iusoire do eelle-c, fragment bien isolé, bien maniable, qu'il est done possible d’étur ddier de pris. La différence entre les événements du roman ot ceux de la vie, oe n'est pas seulement qu’il ‘nous est possible de verifier les uns, tandis que les autres, rnont ne pouvons les atteindse qu’a travers le texte qui leg suscite. Is sont aussi, pour prendre Fexpression cour ante, plus « intéressants » que les réels. L'émergoneo de cea Retions correspond a un besoin, remplit une fonc- tion, Les personnages imaginaires comblent des vides de Ia réalité et nous éclairent sur celle-ei. ‘Noa seulement Ja eréation mais Ja lecture aus roman est une sorte de réve éyeillé. Hest done toujours sible d'une psychanalyse an sens large. D'autre part, si jo voux expliquer une théorie queleonque, psycholo- 2 Kosai ser le roman gique, soviologique, morale ou autre, il mest souvent commode de prenidee un exemple inventé. Les persone nnages du roman vont jouer ce role & merveille ct ors pertonnages je los reconnaftrai dans mes amis et eon Imaissances, j'luciderai la conduite de ceux-ei en me Dasant sur Ies oventures do ccuxla, cto, Cette application du roman a la réalité ext Pune extréme complenitg, et son « réalisano x, 10 fait, quil se présente comme fragment ilusoire du quotidiea, n’en st qu'un aspect particulier, eelui qui nous permet de Fisolee comme genre littérair, ‘Fappelle « symbolisme » dium roman Fensemtle des relations de ee qu'il nous décrit avec la réalité ott nous ‘Ces rolations ne sont pas les mémes selon les womans, ct i me semble que la tache estentille du critique est ae los débrouilor, do lee deloisie afin que Yon puisse extraize de chaque wuvze particuliére tout soa ense gocment. ‘Mais, puisque dans la création romanesque, et dans cette reoréation qutest la lecture attentive, nows experie ‘mentons un sysitme complexe do relations do signilica- ons trie variés, si le romancier cherehe & nous faire ppart sincBremont de son expérienes, si son réalismo est 2 poussé, sila forma quil emploie est suffiamment intégrante, il est nécessairemeat amené & faire Stat de ‘es divers types de relations & T'ntérieur méme de son ceuvre. Lo symbolisme oxterno du roman tend & 66 reiléchir dans un symbolisme interne, eertaines pacties jouant, par rapport & Fensemble, Ie méme rile. que eeluisel par rapport & la réalité. Le roman comme recherche 3 Cette relation générale de Ie x xélité » derive parle oman i la réalité qui nous entour, il va do soi que eet tlle qui détermine ee que Fon appélle couranmeat son theme om ach sujet, celui apparaiseant comme sno xéponse & une eertaine situation de la conseience, Mais ce thime, 6 sujet, nou Pavons vu, ne peut se sépazer do la fapan dont i xt présenté, do la forme cous laquelle A vexprime. A une nouvelle Situation, & une nouvelle, conscience de co quest Te roman, des relations quill ‘niretint ayee la rélit, do eon statu, correspondent dles sujets nouveaux, correspondent done der formes nouvelles A quelque nivea que ct aoit; langage, style, technique, Comportion, structure. laversement, Je sccherche de formes nouvelles, révdant de nouveaux fujets, réele dos relations nouvelles. ‘A partir d'un certain degré de réllexon,ralisme,for- rmalisme et symbolisme dans Ie. roman’ apparaissent ‘commo constituant une indissodiable unité, Le roman tend naturellement et il doit tendre & sa propre élicidation ; mais nous savons bien qu'll existe oe situations earaeidrstes yar une ineapauité de se relléchit, qui ne subsistent que par Fillusion qu'lles ntreticnnent a leur sujet, ct cst lles que corres: ppondent ces couvzes & Valdreur desquolles cette unité he peut apparaitre, c:s attitudes de romanciers qui $0 refstont & einterroger sur la nature de leur teavail et la ‘alidité des formes qu'il emploieat, de ces formes qui no pourracat se wiléchieaans révéler immédiatement ui Exeais our to roman leur inadéquation, leur mensonge, de ees formes qui nous donnent une image de la réalité en contradiction flagrante avee cette réalité qui leur 2 donné nsissance et 1 sagt de tairo. Tl y ali des impostures que Te ori- tique se doit de dénoncer, car do telles quvres, malgrs Teurs charmes et leurs mérites, entreticanent et obscur- cissont 'ombre, maintiennont In conssienee dans sos contradictions, “dans son aveuglement risquant de amener aux plus fatals désondres. Tl résulte de tout cect que toute véritable transfor ration de la forme romanesque, toute féeonide recherche dans co domaine, no pout quo se situerI'int6riour duno trausformation de la notion mtiie de roman, qui évolue ‘trés lentement mais inévitablemont (toutes les grandes euvres romanesques du xx? sidele sont Ia pour Tattester) vers une espiee nouvelle de pocsie & la fois épique et Gidactiquo, 4 intérieur d’une transformation de la notion méme do littérature qui se ret 4 apparaitre non plas comme simple délassenent ou luxe, mais dans son role essentiel A Vintérieur du fonetionnement social, ct comme expé rioaco méthodique. 13985)

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