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Lao da 1 mars 1957 n‘auorsant, aux termes des alinas 2¢1 3 de Vranicle 41, d'une pam, gue les «copies ou reproductions strietement reserwées 2 Pusage privé da copste et non destinges & une uiistion ute par, qe ls analyses et les courtes citations dans tun but exemple etdilustraton, «toute représentaion ov reproduction integral, ou partielle, faite sans le consentement de auteur on de ses ayants doit ov ayanis cause, est ilcite» (Alinéa I de article 40), Cite repeésetation ct reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerat done une contrefagon sancionnée pales Articles 425 er suivants du Code péval © Librairie Philosophique J. VRIN, 1997 ISBN 2-7116-1324-0 Printed in France SENS ET INTENTION DE LA PHENOMENOLOGIE DE L’ESPRIT* Fort étrange est le statut de la Phénoménologie de esprit dans le destin du hégélianisme: elle n'a &tre comme introduction au Syst#me que dans le non-étre de celui-ci. Cela est vrai, assurément, de la ception méme du hégétianisme. La France, par exemple, diécouvre au XIX: sigele, par les traductions de Vera, auteur de 1 Encyclopédie, mais elle ignore la Phénoménologie inversement, lorsque, au XX siécle, Wahl, Kojéve et Hyppolite célebrent le texte de 1807, c'est pour opposer, comme modele dun philosopher vivant sur la vie inguitte de la conscience la plus concrete, & la philo sophie scolastique du Systeme mort de I' Encyclopédie Mais lexclusion réciproque factuelle du Systéme et de son introduction phénoménologique marque 63 T'élaboration méme du hégélianisme. Si Hegel publie la Phénoménologie en la présentant et justifiant en 1807 comme introduction au Systéme encore & venir. la réalisation encyclopédique de ee Systéme, dix ans plus * Cette étude a été publige en allemand dans fe Wiener Jahrbuch fir’ Philosophie, XXVIL/1995, Vienne, Wilh Bravmaller 8/ Bernard Bourgeois lard, dés 1817, disqualifie cette introduction désormais jugée comme telle inadéquate. Cependant, la disqualification de la Phénoménologie comme introduction au Systeme ne signifie pas la disqualification de toute introduction: ! Encyclopédie ‘ouvre, en effet, sa premitre partie, la "Science de la logique™, par un Concept préliminaire ‘que Hegel substitue, en guise de nouvelle introduction au Systéme, a introduction phénoménologique. A mi- chemin, entre 1807 et 1817, en 1812 précisément, lorsqu’it publie & part la premiére partie du Syst¢me proprement dit ~ La Science de la logique ~ il évoque Pune et autre voie d'acces & celui-ci, leurs poriées leurs inconvénients respectifs. Son choix ultérieur du Vorbegriff. plus simple en son contenu et moins astreignant en sa forme, atleste que, & ses yeux, la valeur introductive ~ pédagogique comme on I'a dit ~ de la Phénoménologie n°était pas lige & ce par quoi elle excédait le Vorbegriff ainsi capable de la concurrencer victorieusement, c’est-a-dire & son contenu total scienti- fiquement enchainé, qui présentait I’élévation nécessaire de la conscience d’abord purement naturelle, et progres. sivement développée en toutes ses figures, au savoir absolu finalement atteint. Asi le destin post-phénom nologique de introduction & la Science éclaire-t-il rétrospectivement l'intention qui a été celle de Hegel écrivant 'ouvrage paru en 1807 et, indirectement, le sens qu'il convient d'attribuer au contenu de cet C'est un leitmotiv du commentaire hégélianisant que affirmation du caractére pédagogique de la Phénomeé- Sens et intention | nologie. Ainsi, dans Pouvrage qu’il a consaeré a celle-c Jean Hyppolite ta considére comme l'accomplissement spéculatit du mouvement pédagogique qui a marqué XVII sitcle: “le probleme que se pose la Phénomeé- rnologie .. et... le probleme de l'éducation de individu singulier qui doit nécessairement se former au savoir en prenant conscience de ce que Hegel nomme sa substance. Crest une tiche proprement pédagogique qui n’est pas sans rapport avee celle que se proposait déja Rousseau dans I Emile". La pédagogie phénoménologique consis- terait & fournir au lecteur une “échelle " lui permettant de s’élever au point de vue du savoir absolu, pour aulant qu’il lui est montré qu’en s‘affirmant lui ‘meme tel qu'il est, en son savoir encore naturel, il ne peut pas ne pas aflirmer le savoir absolu comme ce dont vil, sans en avoir conscience, le savoir naturel, La valeur pédagogique de la Phénoménologie reposerait. de la sorte, sur Fassimilation par le lecteur ~ devenant ainsi semblable a ce qu'il lit ~ du contenu de Fouvrage sur le cheminement nécessaire, vers la conscience spéculative, de la conscience naturelle comme conscience qui serait 2 la fois la conscience dont parle la Phénoménologie et a conscience & laquelle elle parle. De Ia viendrait que Hegel ait pu présenter l'ouvrag comme n’étant ni seulement un “acheminement “subjectif” au savoir absolu, ni seulement une “fondation ” objective de celui-c. La Phénoménologie n'est-elle pas, en effet identiquement Vun et autre alors accomplis en leur unité concrete originale? ~ Une fondation qui. pour reprendre les termes de "Introduction de la Science de la Logique de 1812, “justifie”, “prouve” ou “déduit” le concept de Ia ILI. HYPPOLITE, Genése er sructure esprit, Pass, bier, 1986p. 16 La Phénoménalogie de 10/ Bernard Bourgeois science, mais, précisément, et tel est bien son effet, en acheminant ou conduisant la conscience, non encore spéculative, de son lecteur, & ce concept: la déduction en question consiste, en effet, a faire apparaitre la conscience non spéculative ou naturelle comme ne pouvant elle-méme pleinement étre que si elle s‘avoue conscience spéculative en libérant en elle le savoir absolu comme élément ou concept général de la science. = Un acheminement du lecteur au savoir absolu qui, inversement, fonde laffirmation de celui-ci, puisque sa Force persuasive repose sur la nécessité dévoilée, dans le contenu lu, du passage de la conscience naturelle au savoir scientifique: l'acheminement du lecteur, de la conscience naturelle présente, est Ieffet de la fondation de ce qu'il lit ~I'élévation nécessaire, au savoir scienti- fique, de la conscience naturelle, passé fondation qui a elle-méme pour fin cet acheminement en lequel elle répete son contenu. La finalité pédagogique de la Phénoménologie exploite-t-elle un tel rapport de répétition pratique, par la conscience & laquelle elle parle, du mouvement théoriquement nécessaire de la conscience dont elle parle? Mais, d’abord, la conscience dont parle Hegel esteelle bien Ia conscience naturelle prise en son mouvement originel restitué dans sa nécessité propre, la conscience naturelle premiére ? Et la conscience & laquelle il parle est-elle bien la conscience présente prise elle-méme en sa naturalité, a conscience seconde naturelle? De qui parle done le phénoménologue, et & gui parle-til done’? Quel est bien derechef, en vérité le sens ct Intention du discours phénoménologique ? On n'a guére mis en question que le contenu de la Phénoménologie était le mouvement originel de esprit humain en général s’élevant, en son processus ~ pour Sens et intention {1 une part historique — de culture, au savoir absolu; il est vrai que, selon Hegel, “le chemin de la conscience naturelle qui exerce sa poussée en direction du savoir vai. le chemin de I'dme qui parcourt la série de s configurations en tant que stations qui lui sont fixées davance par sa nature", est bien celui de I*individu tuniversel”, de “l'esprit conscient de lui-méme, & consi dérer dans sa formation & Ja culture”?. Le probleme qu’on s’est souvent posé a concerné, bien plutdt, la nature de ce processus culturel de lesprit du monde. R. Haym, par exemple, y voyait un processus double. ambigu, mélant en lui “une histoire transcendantale psychologique de la conscience” et “histoire culturelle du monde", “une psychologie dérangée et embrouillée par 'histoire et une histoire disloguée par la psycho: logie™. Certes, on a fait observer que les évoc historiques avaient souvent, dans la Phénoménologie, un simple sens d'illustration de processus constitutifs de la conscience comme telle el conditionnant par 14 soure historicté (c'est Ia le cas des passages sur le toicisme, le scepticisme, la conscience malheureuse, dans le chapitre sur la conscience de soi); et que. lors méme qu’elles exposaient - surtout & partir du chapitre VI consacré & esprit” = des processus portant les “figures d’un monde”, elles en prenaient trés & leur aise avec l'histoire effective de ces figures. Mais, que Hegel ait voulu, & travers ces développements, présenter le mouvement propre ~ genése transcendantale ou devenir historique de la conscience humaine en sa formation originelle, en 1. ci-dessous, p. 189 2CF,cidestous p45. SRL HAYM, Hegel und seine Zeit, Helin, 1857. p 12/ Bernard Bourgeois son éducation premiére, cela semblait généralement tout a fait hors de doute, En est-il bien ainsi? Tl saute aux yeux, d'abord, que le mouvement de esprit universel en direction du savoir absolu n'est pas déterminé en son contenu par sa référence & lui-méme, et qu'il n'a pas sa mesure, quant & I'importance de telle ou telle de ses étapes, en lui-méme, - L'ampleur disproportionnée des développements consacrés, par exemple, dans le chapitre “Certitude et vérité de la raison ", & la | problématique des sciences de la nature et de I’ame, ou, la fin du chapitre “L'esprit’, a la certitude morale et & la belle ame, c’est-i-dire & des phénomenes culturels contemporains de Hegel, manifeste que I"intérét que esprit porte & son advenir est un intérét essentiellement présent, qui préside ainsi & la détermination, déja au ‘moins formelle, quantitative, du mouvement de l'esprit du monde en marche vers la Scientificté. Ce mouvement est done exposé par Hegel & travers son appréciation ou valorisation rétrospective, non & travers la sienne propre. ~ Mais une telle dé-réalisation du processus de culture de I’esprit universel va encore plus loin, en ce sens que Ta présentation des étapes, de toutes les étapes, de son cheminement vers la science est déterminée, en son content, qualitativement, par référence & esprit présent en tant qu'il est & éduquer, c’est-i-dire qu’ill int6resse prioritairement le phénoménologue. Hegel distingue bien, assurément, ce qui est pour la conscience dont il parle et ce qui est en soi ou pour nous, armés du savoir phénoménologique, mais le “pour elle” de cette conscience est dé défini par le “pour nous”, En ffet, c"est toujours I'aspect négatif, auro-négateur, dialectique, du développement de chaque figure de la conscience, qui est souligné dans son exposition, e”est-a- Sens et intention | 13 dire cela méme qui l’arrache a elle-méme et la approche de I’esprit présent & conduire au terme de sa culture. Bien loin de s‘attarder sur ce qui peut fixer 8 elle-méme, en telle ou telle de ses figures, la conscience qui est son objet, a savoir sur Ia phase positive de sa croissance et formation, le phénoménologue aborde 3 chaque fois son étude en dégageant immédiatement la contradiction contenue en soi dans le concept qu'elle a du vrai; il continue en analysant la réalisation de cette contradiction & travers lexpérience méme qu’en fait, de fagon immanente, ladite conscience. Ainsi, qu'il s'agisse de la certitude sensible, de la perception, de I’enten- dement, etc., aussi bien I"“en-soi"ou le “pour-nous” (le concept) que le “pour-elle"(I'expérience du concept) de Ta conscience sont saisis selon leur cOté négatif ov dialectique, c"est-d-dire par ce qui motive son désaisis- sement de soi ou son aliénation culturelle & achever présentement. ~ Mais Vintervention de I'esprit présent. fen quéte de sa culture accomplie, dans le mouvement immanent de la conscience universelle originelle ne se borne pas 8 limiter ou réduire ~ intervention purement négative — le contenu exploré en celle-ci. Elle s'amplitie positivement jusqu’a loger dans ce mouvement dit immanent un contenu qui ne peut lui appartenir en tant qu'elle est prise dans la figure méme od Mon veut pourtant, a chaque fois, l'appréhender. Donnons un exemple, Ie premier méme qui se présente 2 nous, celui de la figure immédiate de la conscience naturelle, & savoir de la certitude sensible. ~ ‘Aprés que le phénoménologue a montré par une analyse directe, qu'il a conduite en son nom propre, le caractere contradictoire de cette certitude sensible, il “laisse” se déployer l'expérience qu'elle ne peut pas ne pas Faire dune telle contradiction qui 1a pousse, en tant que 14/ Bernard Bourgeois conscience, a se dépasser comme conscience purement sensible. Or, la dialectique développant cette expérience ne peut étre celle de la conscience sensible prise en elle- méme, & son propre niveau, en son sens originel. Car cette dialectique fait se succéder deux grandes étapes dont ta premiére ne peut avoir son lieu que dans une figure de la conscience qui soit postérieure & la certitude sensible. Alors, la conscience compare plusieurs certi- tudes sensibles, qu'elle a done au lieu de, simplement, les éire (ici, c'est un arbre, mais ici, est aussi une maison; maintenant, c‘est le jour, mais maintenant, c'est aussi la nuit, ete.) Cependant, la conscience ne peut avoir des certitudes sensibles que si elle n'est pas pure certitude sensible, mais aussi déja synthése perceptive des ularités ; sans parler du fait qu'elle est déja saisie comme conscience parlante maitrisant son content: singulier par Vuniversalité du mot. C'est seulement dans Ja seconde étape présentée que le phénoménologue entre vraiment dans la conscience en tant que pure certitude sensible, dans la conscience qui est certitude sensible, Pur mouvement immanent @indication sensible d'un ceci. On voit bien, sur cet exemple inaugural et rototypique, que le parcours phénoménologique n'est aucunement le parcours réel de la conscience naturelle originelle, qui, comme telle, s*éduquerait & travers lépreuve de sa contradiction; le premier est plutot inversion du second. En vérité, Mexpérience décrite nn’a pas pour sujet la conscience d’abord purement sensible qui s'éléverait originellement par cette expérience au-dessus d’elle-méme, mais la conscience ga plus que sensible qui peut alors s‘enfoncer rérro spectivement dans sa dimension strictement sensible, lune conscience déja cultivée qui ressaisit et se Sens et intention | 1S confirme sa vérité en comprenant, & partir d’elle-méme. Ja contradiction de son moment sensible. Hegel thématise !ui-méme explicitement ce sens du parcours phénoménologique, notamment dans le cchapitre V ("Certitude et vérité de la raison”), au début de la section sur “T'effectuation de la conscience de soi rationnelle par elle-méme”. Il dit alors préférable de lire ce parcours comme la reconquéte réflexive, morale. A travers les moments de I'individualisme pratique (“le plaisir et la nécessité”, “Ia loi du coeur et le délire de 1a présomption”, “la vertu et le cours du monde"..), de la vérité éthique de I’esprit ainsi présupposé ou anticipé plutot que comme I'accession progressive naive 2 cette Vérité d’abord ignorée. Le développement phénomé: nologique des figures de la conscience naturelle -vant 2a culture se veut done, plutdt que le parcours initial de cette conscience, la répétition rétrospective. consciente et comprise, dun el parcours. Et, dans la mesure o la conscience décrite en son mouvement est saisie & partir de l'avenir de ce mouvement, c’est-2-dire es figures d’elle-méme déja réalisées dans la conscience du lecteur de la Phénoménologie, la relation entre la conscience non (encore) cultivée dont parle Hegel et la conscience (dja) cultivée & laquelle il parle s“inverse. La seconde n’a pas 2 se laisser conquérir péd ‘quement par la premigre, puisque la premiére n'est que I fe scientifique que la seconde fait delle Dans sa Préface, la Phénoménologie s’assigne bien comme but une telle reconquete scientifique de soi par la conscience & laquelle elle s'adresse. Certes, le mouvement total de esprit universel poursuivant son processus de culture doit étre exposé “dans son 16 / Bernard Bourgeois extension détaillée et sa nécessité”, et Ie lecteur doit “supporter la longueur de ce chemin” et “séjourner"? dans la détermination totale de chacune de ses étapes. Mais la science phénoménologique sait que le passé transcendantal ou empirique de la conscience du lecteur est présent en celle-ci comme une “propriété” déja acquise devenue ainsi sa substance, sa nature inorga- nique. bref: son Soi lui-méme:;c"est ce Soi qu'il lui faut par conséquent seulement réactiver, ache plus aisée que celle de l'assimilation d’un contenu étranger. Ce sont, ailleurs, les exigences dune telle reprise de ce qui a déja &é acquis qui commandent la présentation du contenu. phénoménologique: on comprend par fa la Jongueur relative des passages consacrés aux moments récents de la culture (les sciences de la nature, la psychologie, l'eudémonisme, la belle ame, lironie romantique...), dont assimilation, acquisition, nest pas encore fixée, L’exigence scientifique d'exposer la totalité du mouvement de esprit universel, mais & travers sa réflexion dans le Soi actuel de la conscience cultivée du lecteur de la Phénoménologie, explique alors cette insistance — dont il a té question ~ mise sur aspect, négatif ou dialectique du développement culturel réintériorisé, En effet, Vexpérience culturelle du monde a déja été, pour une bonne part, accomplie par lesprit uuniversel qui I'a déposée, dans l'esprit particulier que Hegel veut installer dans la science, comme un ensemble de significations ou d'idéalités fixées dans et par ridentité & soi du Moi; la destination de ces idéalités tant de médiatiser acces au savoir absolu, elles doivent fe niges en leur fixité, et le travail du phénoménologue LCF cidessous, p87 Sens et intention {17 est bien alors de les dissoudre, de les “fluidifier” en libérant leur dialectique interne. Le contenu exposé dans la Phénoménologie est ainsi déterminé par la situation de 1a conscience a laquelle ‘adresse Hegel, c’est-i-dire la conscience cultivée de son temps, et par le souci qu'il a de la voir achever son processus de culture dans accueil du savoir absolu. Bien loin d’étre exposition du développement culturel initial de esprit humain, de l'éducation premitre du genre humain — ce qui ferait de la Paénoménologie. soit tn traité de philosophie transcendantale (une “histoire pragmatique de l'esprit humain”), soit un ouvrage de philosophie de histoire -, ce contenu est la reprise ou répétition originale consciente du processus culture! esprit universel dans I'esprit individuel contemporain du savoir absolu et qui aecepte de se laisser mener jusqu’a celui-ci. Une telle réminiscence dialectisée des figures déja appropriées, assimilées, dissoutes. idéalisées, de la conscience doit, par l'assomption devenue familitre du négatif, Vinciter & pousser le processus de culture & son terme, c'est-a-dite & la dissolution de la forme méme de la conscience ~ la diffrence du sujet et de objet du savoir -, au savoir de soi, savoir non limité par un objet qui n'est plus son Autre, mais lui-méme, bref au savoir absolu. Le processus dialectique des moments successivement ‘examinés de la conscience emporte done ces moments lant qu’ils sont réactivés dans et par la conscience cultivée du Fecteur qui se fait — au moins en intention e moyennant une abstraction au sein d’elle-mi certitude sensible, perception, entendement, etc., et par Ih se dispose a ne pas se fixer ou & fixer en elle tel ou tel moment d’elle-méme, et, done, se laisse conduire au savoir absolu 18/ Bernard Bourgeois Tl convient cependant, pour apprécier pleinement le sens méme du contenu phénoménologique et de son développement, de caractériser de fagon plus précise cette conscience cultivée & laquelle Hegel s’adresse pour Tui faire achever par la décision spéculative ta réminiscence dialectisée de sa substance culturelle. Le rapport de la conscience dont parle Hegel & la conscience a laquelle il parle 2 été élucidé, du moins nous Vespérons; il faut maintenant élucider le rapport de cette dernigre conscience & la conscience philosophante clle-méme, de la conscience qu'on veut introduire au savoir absolu et de la conscience en laquelle s'affirme dgja celui-ci En fait, la conscience & laquelle Hegel s'adresse est la conscience cultivée qui a si peu & s’élever récllement, & partir de la certitude sensible, aux figures plus concrétes ct plus vraies de esprit, qu'elle est déja parvenue, 1 son tre méme, au rerme du processus pl nologique. En son éire méme: car ce terme, elle l'est sans avoir, sans le maftriser en I'unifiant par un savoir de lui-méme qui serait alors le savoir absolu, Ce terme objectif, opposé & lui-méme, du phénoméne de esprit, c'est le doublement conscientiel de esprit en un objet ui s’est fat sujet, mais hors du sujet, et un sujet qui s'est fait objet, mais hors de Vobjet. L’objet qui s'est fait sujet, mais hors du sujet, c’est le Dieu fait homme, mais, que I"homme distingue de lui en se le représentant, c'est- adire le contenu de la religion chrétienne, dont exposition clot le chapitre VIT; le sujet qui s'est fait objet, mais hors de lobjet, est la forme de la belle ame qui domine illusoirement le monde réel, & Iissue Sens et intention / 19 mouvement effectif, éthico-politique, de l'esprit présenté dans le chapitre VI. Cet esprit cultivé de homme affirmant la certitude absolue de sa conscienc effective dans sa participation & "Etat constitutionnel post-révolutionnaire, ef la vérité absolue du contenu luthérien de sa conscience religieuse, peut assurément ire, en un sens, encore désigné comme une conscienc naturelle: il est la conscience maintenant bien encore en elle la juxtaposition, la différence, opposition du sujet et de Iobjet, au licu d’étre la conscience qui se surmonte dans le savoir absolu de leur identi Crest une telle conscience qu'il s‘agit d’amener & idemtifier le contenu absolu ~ luthérien - et la forme absolue ~ la subjectivité infinie de la belle ame -, dont la négativité ne vient pas, en effet, d'une limitation & leur propre niveau, mais de ce que I'absolu ne peut ‘comme simple contenu ou comme simple forme du vrai Puisque, dans l'identité hégélienne du sujet et de l'objet gui n'a tien d'une neutralisation des deux termes par un tiers, c’est le sujet, moment porteur de sa relation a son Autre, qui opére son identification & objet, Hegel attend de la belle me quelle nie sa domination illusoire sur les choses et se remplisse du contenu objectif vrai, le contenu chrétien de l'objet (I'étre, Ja substance, uni- versel, Dieu) qui se fait sujet (conscience, singularité, le fils de I’homme). C'est & cette consci en lui demandant d'achever le vaste mouvement culturel qui I'a fait advenir, en accomplissant I'acte du savoir absolu Mais Hegel ne peut s‘adresser une te qu’autant qu'il croit qu’elle sera incitée effectivement 3 se faire conscience spéculative par V'elfet de la compréhension qu'il lui offre du mouvement culturel qui s'est déposé en elle. Or, une telle compréhension, nce qu'il s'adresse 201 Bernard Bourgeois qui repose sur la nécessité dévoilée de ce mouvement, ne peut Etre efficace que si le lecteur fait sien le refus de la contradiction conditionnant le développement de cette nécessité. Chacun des passages constituant le dévelop- pement phénoménologique repose sur la contradiction inteme, I'auto-négation dune figure de la conscience, mais cette auto-négation ne peut, par elle-méme, que rendre possible V affirmation de Ia figure suivante. Cette affirmation ne devient réelle que si 'auto-négation, le non-étre, de la premigre figure sont eux-mémes nigs par tune conscience refusant de s"y enfermer. Or, un tel refus présupposé chez son lecteur par I'auteur de la Phénoménologie caractsrise la conscience qui affirme Tridentité& soi constitutive dela vérté, la conscience qui veut vivre selon le vrai, c’est-d-dire la conscience en clle-méme déja philasophique. Une tell affirmation en soi philosophique de F'équation de Metre et du vrai avec Fidentité & soi, affirmation premigre ou absolue, conditionne, en’sa contingence d'abord, puis en sa liberté, tout le mouvement phénoménologique, dont Fareét ou Ie bloquage est toujours possible. Si une telle conscience n'est pas présupposée, le contenu de la Phénoménologie n'a pas la moindre nécessité. Ce contenu de 'anamnése de sa propre formation par 1a conscience cultivée ne lui présente une nécessité dont la saisie puisse la pousser & Macte ultime de la spéculation que si cette conscience cultivée est bien une conscience philosophique. La conscience “naturelle” que Hegel veut conduire a savoir absolu a travers la présentation de 'advenir de ce savoir est bien I’ Autre de la conscience philosophique qui a surmonté Menfermement dans la difference conscientielle, I'Autre de la conscience spéculative hégélienne, mais cet Autre n'est pas la conscience réelle Sens et intention | 21 ron philosophique, e’est la conscience non réellement. absolument, philosophigue, la conscience philosophique non hégélienne, Ce peut tre soit la conscience philo- sophique seulement intentionnelle, soit la conscience philosophique absolutisant & tort telle ou telle détermi- nation conscientielle et, pour finir, la détermination abstraite du savoir absolu lui-méme, & laquelle s’en tient la conscience philosophique schellingienne. En Schelling. en effet, la conscience philosophique de la nature est bien encore une conscience “naturelle”. Elle affirme bien 'identité non conscientielle du sujet et de Tobjet, de la pensée et de V’étre, bref ce que Hegel appelle “le savoir en général”, “I'élément” ou “le concept” de la “science”!. Cependant, Schelling ne développe pas cette forme universelle, identique & soi du “savoir” absolu, par une auto-diffé auto-négation d’elle-méme, en un contenu déterminé constitutif de la “science”, savoir absolu réel ou savoir réellement absolu, & présenter dabord en sa structure logique; il se contente "appliquer cette idemtité pensée de la pensée et de I'étre & la différence de I'éire alors regu immédiatement, comme d'une nature, par Autre dela spéculation, c’est-i-dire par la conscience naturelle ainsi consacrée comme ce qui permet seul de donner un contenu & ce que l'on ne peut alors qu'improprement ‘nommer un savoir absolu. C'est bien au dépassement de cette apparence du savoir absolu qu’est le formalisme schellingien qu’appelle, des sa Préface et jusqu’en son ultime chapitre, la Phénoménologie de l'esprit. Par 1a, il apparait que la conscience laquelle s‘adresse Hegel, c'est la conscience contemporaine fa plus cultivée (chrétienne-romantique) se saisissant dans ciation ou LCE, eidessous,p, 79 et 83. 22 Bernard Bourgeois la philosophie la plus avancée (schellingienne), et qui se tient de la sorte au seuil du savoir absolu véritable. — Mais il faut encore aller plus loin. Car cette conscience philosophante pré-hégélienne ne peut comprendre pleinement la nécessité du discours phénoménologique el, comme une conséquence attendue par le phénomé- nologue, se décider & la spéculation vraie, que si elle admet, lors de chaque passage d'une figure & autre de la conscience dont on lui expose le mouvement, que le contenu de Ja seconde figure est identiquement le contenu de la premiére en tant que nige en son auto- négation, ou, puisque la seconde fait étre la premitre (pur néant par elle-meme), que sa position en son étre ‘ou identité & soi est la position méme de ce dont elle est la négation, c’est-a-dire sa différenciation d’avec soi Or, admettre une telle identité originaire de Pidentité et de la différence ~ en ce sens que l'identité, parce qu'elle est telle, est différenciation d’avec soi ~, "est dépasser la simple juxtaposition schellingienne de Pidemtiré et de la différence dans ta riche (otalité naturelle, et déjx adhérer a la conception hégélienne de I'esprit comme sacrifice de soi dans le dénuement absolu! En réalité, Hegel s'adresse, dans la Phénoménologie, i une conscience déja hégélianisamte, e’est-a-dire, au fond, & Iui-méme. Son discours n'est pas une affirmation & autrui, mais une confirmation de lui-méme, une justification de sa propre démarche spéculative par la monstration de la nécessiié de la marche qui T'a élevé & elle, De méme, donc, présenté par le phénoménologue n°était que la réminiscence de son propre mouvement par la conscience & laquelle il présentait celui-la, de méme cette réminiscence est la réminiscence méme par le mouvement de la conscience Sens et intention 1 23 laquelle le phénoménologue réactive en lui, se fait & nouveau, une telle conscience dont il se dt le résultat, Fichte avait, le premier, actualisé formellement une démarche de ce genre, en demandant au philosophe de se reconstruire scientifiquement comme le Moi réel s‘engendrant en lui & pattir de sa détermination la plus abstraite ("6 terminations requises pour que le Moi puisse se poser réellement en tant qu'un tel Moi; ‘est aussi ce schéma reconstructif du tout vrai dont la philosophie veut faire son contenu que Schelling avait transposé du Moi & la nature. Hegel le reprend, mais en modifiant profon: dément et son fond et sa forme. D'abord, ce qu'il veut reconstruire scientifiquement dans la Phénoménologie c'est la conscience en tant qu’elle s’accomplit dans sa figure totale de conscience philosophique absolument vraie, ¢’est son affirmation du hégélianisme méme. c’est son “introduetion” dans ta culture humaine qu’il ac! Ensuite cette justification génétique de affirmation héeélienne da savoir absolu s'opere, non par déduction ou dérivation, mais dialectiquement ou négativement Car ce n'est pas la vérité de la détermination initiale abstraite, de la conscience (comme c'est le cas du premier principe fichtéen) qui fonde la vérité de Ia détermination concrete, totale, de cette conscience, ot la premiére a la condition de possibilité de sa propre position; c'est, au contraire, parce que les détermi- nations antécSdentes, abstraites, de cette conscience sont. cen tant que contradictoires, sans vérité pour elles- mémes, qu’est vraie Ia détermination finale, totale, qui tes nic en leur auto-négation, c*est-a-dire les fait étre en leur négativité méme, en eur irréalité de simples ‘moments delle-méme. L’absolutisation — constitutive de la philosophie spéculative hégétienne ~ de la figure IE ) et & travers toutes les a 24/ Bernard Bourgeois totale ou vraic de 1a conscience repose done sur la relativisation de tous Jes moments partiels, de toutes les, figures abstrates, de cette conscience, Or, cette relativi- sation détruit tous les autres points de vue philoso- phiques, qui consistent précisément & absolutisertelle ow telle de ces déterminations antérieures au savoir absolu, En fait, Hegel, dans la Phénoménologie, veut faire prouver la vérité du point de vue spéculatif par la non- vérité montrée de la philosophie non spéculative en toutes ses formes: la justification du vrai est opérée ivement, par la démonstration du non-Gtre du faux. L‘ouvrage a bien un caractére scientifiquement propé- deutique, mais celui-ci est essentiellement critique ou négatif. 1 est, & cet égard, le prolongement spéculatif accompli des articles du Journal critique de la Philosophie, inauguration de I'activité philosophique de Hegel a Iéna; mais, désormais, au terme de son séjour & Tena, Hegel régle leur compte 2 toutes les philosophies, compris la philosophic schellingienne du pseudo-savoir absolu, autres que la sienne. II s’emploie a détruire toutes ces philosophies — le sensualisme, le perception- nisme, Mintellectualisme, lempirisme scientifique, Meudémonisme, le formalisme moral, le romantisme philosophique, la philosophie religieuse du renoncement philosophique, etc. — en montrant que ce qu’elles absolutisent ~ la certitude sensible, la perception, Mentendement, 1s raison abstraite la belle me, la pure religion, ete. ~, bien loin d’étre un absolu qui les justifierait, est par soi-méme privé d'étre et. par ‘conséquent, ne peut avoir quelque re que porté par une conscience essentiellement destinée au savoir absolu, Ce caractere en soi polémique de la Phénoménologie explique sa grande liberté argumentative dans Sens et intention § 25 exposition de la contradiction interne des moments pré-spéculatis de la conscience. Cette libre varigté du développement phénomé- nologique le rend en méme temps plus séduisant et plus difficile & pénétrer que ce n’est le cas du développement du vrai pour lui-méme dans le systéme encyclopédique de la science. Quant au caractére total de la justification hégélienne du Savoir absolu, il commande 'ampleur du contenu de la Phénoménologie, une ampleur qui, par elle-méme et par sa conséquence, annule le sens introductif de l'euvre. -D'une part, en effet. le dépassement de la forme de la conscience ~ Ia dualité sujet-objet ~ ne peut étre un acte purement form subjectif, mais exige son imposition aussi par le c6té cobjectif du rapport conscientiel, cté objectif qui a pour contenu la toralité de l'expérience mondaine ~ scientifique, éthique, politique, religieuse, philoso- phique méme ~ de la conscience; il s’ensuit que c’est tout Te contenu de la nature et de I'esprit, done de la science encyclopédique 2 laquelle la Phénoménologie doit introduire, qui est inséré dans une telle introduction. D’autre part, ainsi aussi riche que ce a quoi elle doit introduire, la Phénoménologie le dépasse en complexité par la méthode que lui impose la nécessité d’exposer la dialectique progressive du vaste contenu ontologique de Ja nature et de esprit, non pas en elle-méme, mais & travers Ia dialectique répétitive de la forme dualiste constitutive de la conscience. La dialectique phénomé- nologique doit par 1a synthétiser la dialectique essentielle, logique, de la nature et de esprit, et la dialectique conscientielle ou phénoménale qui, & chaque étape, est Ia forme selon laquelle le contenu se développe. Cette synthése proprement phénoméno- logique fait comprendre le développement phénoménal 26 / Bernard Bourgeois de l'absolu en présentant sa négativité comme portée par Ja dialectique de l'opposition formelle, identique a soi du sujet et de l'objet, mais la raison qui fait passer d'une opposition conscienticlle & une autre et, done, oriente la dialectique de la conscience, réside dans le contenu ontologique, nature! ou spirituel, dont la dialectique. ainsi, déterminante, est alors seulement présupposée par le phénoménologue, non directement posée et explig par lui. La nécessité phénoménologique constitue, par conséquent, fa science a la fois la plus compliquée et la ‘moins expliquée, ainsi que Hegel le reconnaitra dans le Vorbegriff de I Encyclopédie ($25, Rem.) La justification phénoménologique de la spéculation hégélienne renvoie bien 4 une simple apparence la caractérisation de la Phévoménologie comme intro: duction sciemtitique & ta science, puisque introduetion cst d'une scientificité plus ardue que ce & quoi elle doit introduire ! Qui a entrepris de lire la Phénoménologie sait bien que seule la connaissance du systéme peut Vintroduire ~ et encore ! en cet ouvrage, qui est le plus difficile de toute Meuvre de Hegel. Le seul lecteur capable de pénétrer le sens de cette étrange introduction 4 la science hégélienne était bien celui qui n’avait pas & Gtre introduit a elle, auteur méme de la Phénoméno- logie, qui donna pour contenu a son premier grand texte scientifique total sa réintraduction alors scientifi- ‘quement justifige & sa propre science. $i un ouvrage de philosophic fut vraiment écrit par un philosophe pour luieméme, ce fut bien la Phénoménologie de Vesprit! On comprend que Hegel ait ultérieurement élabors, Pour justitier négativement, indirectement, en quelque sorte hors de la science en son développement immédiat, absolument scientifique, I'adoption du point de vue scientifique en philosophie, un texte qui puisse en méme Sens et intention f temps introduire en fait & ce point de vue. Ce texte. le Vorbegriff de I’ Encyclopédie, introduit & la science en n’exigeant plus de son lecteur !'actualisation de la démarche spéculative, puisque son auteur ne s’adresse plus lui-méme spéculativement a celui-la, La critique des. philosophies pré-spéculatives — rationalisme dogmatique, empirisme, criticisme, savoir immédiat — est désormais opérée par une raison qui se fait elle- méme entendement pout contester l’entendement dont procédent toutes ces philosophies; et c’est tres librement, done, que Hegel, dans un propos “historique ” ~ non spéculatif ~ et “raisonneur ” ~ non rationnel -, s‘efforce de présenter leur contenu comme violant le premier principe de lentendement, le principe de contradiction analytiquement appliqué. La critique des philosophies non spéculatives, qui reste le but du discours non absolument spéculatif en son contenu, consiste alors a produire extérieurement leur contradiction interne. Une telle critique extérieure, arbitraire. libre, de ces philosophies fait apparaitre en elles exploitation absolue de catégories logiques (le Vorbegriff est bien situé dans la “science de la logiquede I’ Encyclopédie) dont le systéme encyclopédique présentera le mouvement auto-critique immanent, sans prendre en considération la réflexion de cette auto-critique fondatrice & travers la structure conscientielle, Hegel 1éprouvera plus le besoin de présenter I’auto-fondation de la science a travers le désaveu de soi de la conscience s'6levant Acelle-ci Il fera dépendre lentrée en spéculation de la libre décision de philosopher, c’est-i-dire de penser I’étre pensée qui est Ia plus commune, la plus universelle (car toute pensée pense I’étre, détermination impliquée dans 28 / Bernard Bourgeois toute affirmation), ct qui est la seule pensée présente dans toute conscience, méme la conscience qui se fait purement sensible. Et le développement de la spéculation ne sera rien d'autre que le passage de I’érre pensé a I’etre pensé comme pensée de soi, comme Idée, nerf du développement phénoménologique conduisant la conscience sensible ~ I’éire saisi dans la forme conscientielle -, au savoir absolu ~ I'Idée saisie dans auto-négation de la consciei par la libre décision rationnelle de philosopher ~ qui (oujours, excéde I'effet d'une propédeutique & I'usage de entendement critique — que, moyennant I'exploitation du développement proprement scientifique, et d’abord logique, de la position pensante absolue de I’étre, le parcours phénoménologique pouvait se saisir comme tune justification conscientielle du savoir absolu. La Phénoménologie de lesprit n’était bien que le phénomene de la vraie justification, absolument scientifique, de la science, une fondation qui, elle- méme, s'immergeait dans la décision absolue de philosopher, c’est-A-dire de penser ce qui est La Phénoménologie de esprit, premiére grande ceuvre spéculative de Hegel ~ la forme spéculative s‘appliquant, en elle, & son Autre, l'auto-négation de la conscience non spéculative — est, en vérité, par son sens, Veuvre spéculative ultime de Hegel. ~ Il y eut le cheminement factuel de celui-ci vers la science, de Tiibingen a Iéna, Puis I’6aboration, au cours des années qu'il passa a Téna, du contenu systématique de la science (logique et métaphysique, philosophic de la nature, philosophie de I’esprit des premigres systématisations). Sens et intention Enfin la justification ~ & partir du développement ainsi Elaboré = de Iélévation de Hegel & la science, alors présentée comme élévation scientifique a la science, et ce fut la Phénoménologie. Le grand commencement public de la spéculation hégélienne fut, de la sorte, deja sa fin absolue. Hegel publia, en 1807, ses “Mémoires philosophiques” & l'entrée dans sa vie absolument philosophique! La fin était bien le commencement ouverture dune exceptionnelle carriére était bien sa cloture. Qui s’étonnera alors que, a sa mort, Hegel ait té précisément en train de corriger, sans grande modification, dailleurs, en vue d'une réédition, son texte le plus total, si I'on peut dire, ot, avant méme son grand déploiement scientifique définitf, sa philosophie s'était récapitulée dans une justification humaine de Tacte spéculatit? INTRODUCTION La Phénoménologie de esprit a &é rédigée de 1$0 1 octobre 1806, pour ce qui est de ensemble du texte. excepté la Préface, qui fut éerite au tout début de 1807. année de la publication. Au cours de la rédaction, Ie projet hégélien d’une propédeutique au “Systeme de la science” ~ la future Encyclopédie des sciences philo sophiques (dont Hegel avait élaboré les éléments Logique, Philosophie de la nature, Philosophie de FFesprt, au cours de ses années professorales a Iéna) ~ a connu une certaine variation, Un quart de siécle apres Kant, qui voyait dans la Critique de la raison pure une introduction elle-méme métaphysique A la nouvelle métaphysique ou doctrine de 1a raison pure, Hegel veut lui aussi, écrire une introduction au Systéme de la science, qui en serait en méme temps la premidre partie done une introduction elle-méme scientifique & la science. A lorigine, cette introduction devait tre breve et ne portait pas le nom de “Phénoménologie”. Mais durant sa gestation, le texte s’étoffa a tel poin notamment de Tabondant matériau culturel des “philosophies de esprit de Iéna”, qu’il sembla devaii constituer un ouvrage pour lui-méme et mériter fe nom de “Phénoménologie de esprit”. II parut sous deux litres successifs, Page de titre: “Systeme de la science, 32/ Bernard Bourgeois Premitre Partie: Phénoménologie de l'esprit”,suivie du texte de la Préface, puis seconde page de ttre: "Science de lexpérience de la conscience”, suivie de MIntro- uetion et des huit chapitres de Vouvrage. La Préface, rédigée en dernier, est la préface de tout le Systeme hégélien: elle en est la présentation-reine. Mais elle est particulitrement aussi la préface de ce qui se présente comme sa premiére partie, introductive, la Phénoménologie de esprit. Cette double destination s'exprime dans la structuration méme du texte, L'Introduction, quant a elle, est celle de la seule Phénoménologie de esprit: elle reprend et précise donc certains themes déja présentés dans la Préface, tout en se spécifiant dans I'analyse de la technique du développement phénoménologique : il est vrai, copendant, que celui-ci est aussi exemplaire du dévelop- pement scientifique ou spéculatif en général. Ces deux lextes ~ parmi les plus beaux du corpus hégélien — forment ainsi un tout ontologico-méthodologique qu’il nous a paru alors légitime et utile de traduire et commenter dans un seul et méme ouvrage. C'est & ce titre, et en tant qu'il s‘agit aussi en Jui d'un ouvrage destination plus proprement scolaire, qu'il vient s‘ajouter aux si précieuses traductions et explications de la Phénoménotogie de Vesprit par Jean Hyppolite, Jean Pierre Lefebvre et Pierre-Jean Labarritre-Gwendoline Jarczyk, monuments de la recherche hégélianisant. Nous nous sommes permis néanmoins de faire précéder le présent ouvrage dune these plus libre sur “le sens et intention de la Phénoménologie de esprit" Le texte traduit est celui de la deuxime édition de la Phénoménologie de Uesprit, par J.Schulze, en 1832, texte reproduit dans I'édition des Euvres completes de Hegel par H. Glockner, tome 2 (Stuttgart-Bad Cannstatt, 1927-1930). Schulze a. en de Ta Préface. retenu portées entrepris la révision Frommann. Verl lier. pour le premier 1 ‘2s quelques corrections que He 3 son texte initial, dont il avait quelques semaines avant sa mort, Nous avons nous- me introduit quelques menues corrections. comme nt fait au demeurant, les éditeurs ultérieurs de 1a ‘énoménologie de l'esprit. El, assurément. transpose en caractéres latins le graphisme gothique orig’ Pour faciliter le report au texte 2 partir du aire, nous avons numéroté les alin€as de ce texte. Quant au commentaire, qui ne pouvait qu’étre il $€tend inégalement sur le texte hégéli ise sur les passages spéculativems ies plus difficiles. L’érudition n'a pas été une préoc- cupation priotitaire, en raison méme de la destination assez large de l'ouvrage, Puisse un tel commentaire, en {outes ses limites, apporter quelque aide théorique aux lecteurs de I'un des plus grands textes de la philosophie universelle!

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