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Interopérabilité ou guerre des formats ?

Jacques B ON
Animateur TICE - Circonscription Rochefort

Décembre 2006

Résumé
Cet article vous présente les notions d’interopérabilité et de formats de
fichiers, replacés dans leur contexte technique, historique et économique.
En fin d’article, des conseils pratiques sont donnés pour faciliter l’ouver-
ture et l’envoi de documents avec le souci d’interopérabilité.

Introduction
C’est un problème récurrent pour tous : nous recevons des documents dans des
formats que nos logiciels ne savent pas lire correctement. Ce document tente de
vous expliquer pourquoi, des origines aux enjeux économiques. Il sera question
essentiellement des formats utilisés par les traitements de texte, qui posent le plus
souvent problème.

1 Qu’est-ce que l’interopérabilité ?


Définition de Wikipedia : l’interopérabilité est le fait que plusieurs systèmes,
qu’ils soient identiques ou radicalement différents, puissent communiquer sans am-
biguïté et opérer ensemble.
Lorque vous recevez un fichier que vous ne pouvez pas lire, c’est un défaut
d’interopérabilité entre l’émetteur, et le récepteur.
L’intéropérabilité est différente de la compatibilité : ainsi les systèmes Mac,
Windows et Linux ne sont pas compatibles entre eux. Mais ils sont intéropérables,
car ils respectent chacun une norme commune extérieure (notamment pour Inter-
net, le protocole réseau TCP/IP et le langage HTML).
L’intéropérabilité est une notion cruciale pour l’économie, évidemment sur In-
ternet, mais aussi dans tous les domaines d’activités qui utilisent des réseaux infor-
matiques – donc l’école.

1
2 Qu’est-ce qu’un format ?
Un format est la façon dont un document (page de texte, image, son) est enco-
dée par un logiciel. Il y a presque autant de formats que de logiciels !
Le format d’un fichier est généralement indiqué dans le nom du fichier par
une extension, le plus souvent de trois caractères après un point. Exemple : ce
document se nomme formats.pdf ; les caractères « pdf » signifient que le fichier
est au format Adobe PDF.1 Cette extension est utilisée par le système d’exploitation
pour ouvrir le fichier avec la bonne application.2
Voici quelques unes des extensions les plus courantes :

Fichiers exécutables (sous Windows) exe, com, bat, pif


Bibliothèques partagées dll, so
Texte txt, rtf, doc, odt, tex, wpd
Tableaux xls, csv, odc
Dessins odg, svg, cdr
Présentations (PréAO) ppt, pps, odp
Publications (PAO) pub, sla, ai
Image jpg, png, gif, tiff
Son wav, au, mp3, ogg
Web html, php, xml
Vidéo mpeg, mov, ra
Visualisation, impression ps, pdf
Fichiers compressés zip, rar, cab, tar.gz, tar.bz2

Formats ouverts, fermés


Selon le type de licence choisi par l’auteur d’un format, celui-ci peut être :
Libre : le format est public, documenté, tout le monde peut utiliser librement sans
restriction. Exemples : ogg, html, xml, OpenDocument, png ;
Propriétaire, ouvert : le format reste la propriété de son auteur , mais ses spécifi-
cations sont publiques, il peut donc être utilisé dans d’autres logiciels, parfois
sous certaines conditions. Exemples : Adobe PDF et Postscript, Thomson
MP3.
Propriétaire, fermé : le format est propriété de l’auteur, et ses spécifications se-
crètes. La compatibilité (importation, exportation) ne peut être obtenue par
les éditeurs tiers que par tâtonnements. Exemple : tous les formats Microsoft
Office.
1 PDF : Portable Document Format. Ce format est justement destiné à la diffusion d’un document
en respectant sa mise en page, sur tout système disposant du logiciel Acrobat Reader ou équivalent.
2 Malheureusement, le système Windows masque, par défaut, ces extensions. Pour les faire appa-

raître, lancer l’explorateur, aller dans Outils → Affichage, décocher la case Masquer les extensions
de fichiers dont le type est connu.

2
3 Bref historique
Le format ASCII
Aux origines de l’informatique, un seul format de document, le format texte
brut ou ASCII. Ce format suffisant pour la programmation, ne permet pas les en-
richissements typographiques (gras, italique, polices de caractères). C’est le seul
format réellement universel.

Années 80-90 : de la diversité à l’uniformisation


Dans les années 80, il existe une certaine diversité parmi les traitements de
texte : Microsoft Word, mais aussi Wordperfect, Lotus, Staroffice, sont représentés
à peu près à égalité dans les entreprises et administrations. Chacun de ces logiciels
utilise un format propriétaire, l’intéropérabilité (capacité à échanger des fichiers
d’un système à l’autre) se limite à supporter le format RTF (Rich Text Format),
créé dans ce but par Microsoft.
Ce format RTF permet un petit nombre d’enrichissements typographiques, et
peut être lu en principe par tous les traitements de texte. Dans la réalité, il est très
peu standardisé et l’interopérabilité de ce format est incertaine, même entre appli-
cations Microsoft. Il reste malgré tout une « roue de secours » pour les échanges de
documents texte entre logiciels différents.
À l’époque, ce manque d’intéropérabilité entre les formats ne pose pas trop de
difficultés, car la majorité des échanges s’effectue par le papier (media interopé-
rable par excellence ! )
Pour les professions liées à l’édition, ce n’est pas un problème non plus car les
documents composés avec des logiciels de PAO sont systématiquement envoyés
aux imprimeurs au format Postscript ou PDF, formats indépendants du logiciel
utilisé pour la création du document.
C’est aussi la période où Microsoft impose sa domination sur toute la micro-
informatique. Les logiciels de l’entreprise ne sont pas spécialement innovants,3
voire techniquement en retrait par rapport à ceux de la concurrence (MsDos/Dr-
Dos, Word/Wordperfect, Excel/Lotus). mais Bill Gates est un homme d’affaires de
génie. Il a l’avantage sur les autres éditeurs, de posséder à la fois le système d’ex-
ploitation (Dos, puis Windows) et les applications (Office). Avec une stratégie com-
merciale de vente liée, il impose l’un et l’autre aux constructeurs de PC qui n’ont
d’autre choix que d’accepter ses conditions.4 En effet il n’existe pas d’alternative
à Windows, et ils ne peuvent pas vendre leurs PC sans système d’exploitation.
D’autre part, Microsoft ne livre à la concurrence que le minimum d’informa-
tions sur son système d’exploitation, quand il n’implante pas volontairement des
3 La souris est une invention de Xerox. Ms-Dos fonctionne encore en ligne de commande quand
Apple a depuis longtemps doté le MacIntosh d’une interface graphique conviviale.
4 La vente liée est théoriquement interdite en France mais dans le domaine de l’informatique elle

est systématique : à l’achat d’un ordinateur neuf, vous achetez et payez aussi les logiciels installés
dessus.

3
bugs pour que les applications concurrentes ne fonctionnent pas bien avec Win-
dows : l’utilisateur déçu se rabat alors sur les applications Microsoft.5
Les éditeurs concurrents ne peuvent rivaliser et leurs produits sont margina-
lisés : les logiciels et formats Microsoft deviennent des « quasi-standards ». Cela
signifie que, pour créer ou lire un document, l’utilisateur est obligé d’utiliser une
application Microsoft. On ne dit plus traitement de texte ou tableur mais Word ou
Excel : voir les offres/demandes d’emploi !
Reste Internet : longtemps Bill Gates ne croit pas à son développement et Mi-
crosoft doit prendre le train en marche. Les navigateurs de référence à l’époque sont
Mosaic et Netscape. Microsoft rachète en urgence Mosaic. Il le rebaptise Internet
Explorer, et l’intègre à la deuxième version de Windows 95. Du coup Netscape n’a
plus de marché (pourquoi acheter un navigateur quand il y en a un dans Windows ?)
et l’entreprise est quasiment ruinée.
Microsoft détient par contre la totalité des outils informatiques des entreprises
comme du grand public, au niveau mondial.

Années 90 : émergence d’Internet et des logiciels libres


Au début des années 90, l’informaticien Richard Stallman pose les principes du
logiciel libre, et de la licence publique générale GNU, une sorte de droit d’auteur
à l’envers (copyleft) qui garantit à l’utilisateur d’un logiciel :
– le droit de l’utiliser comme il le souhaite ;
– le droit de le copier et redistribuer ;
– le droit de le modifier et de l’améliorer. Pour cela, il doit disposer du code-
source.6
En 1991, le finlandais Linus Torvalds commence le développement du système
d’exploitation libre Linux, clone du système Unix utilisé sur les serveurs et gros
systèmes.
Développé grâce à Internet par une communauté d’informaticiens passionnés,
ce système connait rapidement un grand succès, tout d’abord sur les serveurs où
il est désormais majoritaire, au détriment de Windows et des Unix commerciaux.
Plusieurs grandes entreprises (IBM, Sun Microsystems, HP) voient dans l’émer-
gence des logiciels libres un moyen de prendre un peu de distance avec Microsoft,
et s’impliquent aux côtés de la communauté des développeurs (recherche, finance-
ment).
Ce travail reste longtemps inconnu du grand public : ces informaticiens aiment
bien se moquer de Microsoft et des logiciels grand public, mais ne jurent que par
les programmes en ligne de commande, le système Unix, et les applications réseau.
Pour le texte, ils n’utilisent pas de traitements de texte mais des outils de program-
mation comme l’éditeur Emacs et le formateur de texte LATEX bien plus puissants
5 Faits
prouvés, ayant fait l’objet de jugements, non allégués.
6 Cette
notion de logiciel libre est totalement indépendante de la notion de gratuité. Elle porte
uniquement sur les conditions énoncées. Un logiciel gratuit n’est pas forcément libre, et réciproque-
ment.

4
mais sans interface graphique.
Internet se développe à toute vitesse : il faut savoir que le réseau des réseaux
repose presque entièrement sur des formats ouverts (protocoles réseau, langages
HTML, PHP) et des logiciels libres (serveurs de pages web, de courrier, bases de
données).
Cette dynamique autour du logiciel libre s’accompagne d’une prise de cons-
cience du danger que représente le monopole d’une seule multinationale sur les
TIC, notamment suite au livre du chercheur Roberto Di Cosmo Le hold-up plané-
taire. Microsoft doit faire face dans de nombreux pays y compris les États-Unis, à
des procès pour « abus de position dominante ».
Du coup la communauté du libre devenant plus nombreuse, Linux continue son
chemin et devient enfin, aussi convivial que Windows ou MacOs. Son utilisation
sur les postes de travail et à la maison est désormais possible.
Enfin la prolifération des vers, virus, et autres logiciels espions, ciblant essen-
tiellement Windows et les applications Microsoft, incite de nombreux utilisateurs
à se tourner vers des sytèmes alternatifs tels MacOsX ou Linux. La biodiversité
semble nécessaire aussi, en informatique !

2000 : Mozilla, OpenOffice.org


Nescape, ne trouvant plus de débouchés commerciaux pour son navigateur,
rend son code source public en 1998. Le logiciel est repabtisé Mozilla par la com-
munauté du libre, et son développement est rapide. Il donnera naissance aux ex-
cellents Firefox (navigateur) et Thunderbird (messagerie) très supérieurs au couple
Microsoft Internet Explorer / Outlook Express
En 2000, Sun Microsystems, rachète la suite bureautique allemande StarOf-
fice, et rend public son code-source. Moins connu que Microsoft, Sun est un aussi
un géant de l’informatique, constructeur de serveurs et stations de travail haut de
gamme tournant sous le système d’exploitation Solaris (un Unix).
Il s’agit pour Sun, d’offrir à Linux et Solaris une suite bureautique qui manque à
ces systèmes. . . et d’attaquer le monopole de son rival ! Sun continue de développer
Staroffice pour son propre compte, et une version libre, renommée OpenOffice.org,
est développée en parallèle par la communauté. Elle fonctionne aussi bien sous
Windows, que Linux, Solaris ou MacOsX.
Depuis sa version 2, cette suite est tout à fait comparable et concurrentielle
avec celle de Microsoft. Elle offre même certaines fonctionnalités supplémentaires
utiles, comme l’export direct au format PDF.
Le format d’OpenOffice.org est bien entendu un format ouvert, et standardisé
(norme ISO) sous le nom d’OpenDocument. OpenOffice.org vise la meilleure com-
patibilité possible (import de fichiers, interface) avec Ms-Office. Mais les formats
Microsoft étant fermés, la compatibilité n’est pas parfaite : certains documents ne
sont pas restitués tels qu’ils le devraient.
Dans un but d’interopérabilité, d’indépendance, mais aussi d’économie, les
administrations se tournent de plus en plus vers le format OpenDocument (Gen-

5
darmerie nationale, Ministère de l’agriculture, Assemblée nationale). Un « Livre
blanc de l’administration électronique » est en cours de publication, qui fait du for-
mat OpenDocument le format recommandé pour l’échange de documents entre les
services de l’État.
Cependant de nombreux utilisateurs sont réticents à cette migration, essentiel-
lement par crainte (infondée) de devoir changer leurs habitudes de travail, après un
pénible apprentissage de Word et Excel !
Face à cette situation, Microsoft réagit positivement : la suite Office 2007 aban-
donne les anciens formats fermés doc, xls, ppt pour le format Open XML. Ce
format est également en cours de normalisation ISO. Il s’agit toujours d’un for-
mat propriétaire, mais ouvert, proche d’Open Document avec lequel il n’est pas
compatible mais :
– le format étant ouvert, pourra être importé correctement par tout logiciel ;
– Microsoft Office pourra aussi importer le format OpenDocument, moyen-
nant téléchargement d’une extension.
On s’achemine donc vers plus d’indépendance, de libre choix du logiciel, et
d’interopérabilité.

4 Concrètement, dans les écoles


– On trouve partout OpenOffice.org, moins souvent Ms-Office. Dans tous les
cas, si Ms-Office est présent, ce doit être une installation légale, avec licence.
– Même si vous utilisez Ms-Office, installez tout de même OpenOffice.org sur
votre poste de travail pour pouvoir ouvrir les documents au format OpenDo-
cument. S’agissant d’un logiciel libre et gratuit, vous n’avez pas de raison
valable pour ne pas le faire, du moins au travail.
– OpenOffice doit être en version 2, qui nécessite une machine puissante. La
version 1 ne présente plus d’intérêt car elle ne lit pas le format OpenDocu-
ment. Sur les postes anciens (plan AIRE), même la version 1 est trop lourde,7
vous pouvez la désinstaller et utiliser comme traitement de texte Abiword,
qui est bien plus léger. Il convient parfaitement pour le travail avec les élèves.
– La plupart des documents envoyés par l’Inspection académique sont au for-
mat PDF (lecture seule) qui ne pose pas de problème puisqu’il a justement
été créé pour les échanges de documents.
– Dans le cas de tableaux, ou formulaires à remplir, ils sont encore majoritai-
rement dans les formats Microsoft mais l’OpenDocument gagne du terrain.
Généralement, OpenOffice (version 2) les ouvre correctement.
– Vous pouvez toujours, en dépannage, télécharger gratuitement sur le site de
Microsoft, une visionneuse Word, qui permet de lire et imprimer les docu-
ments .doc (mais pas les modifier).
7 En particulier, elle se charge en mémoire au démarrage du système, même si vous ne l’utilisez

pas. Cela consomme énormément de mémoire, vous pouvez désactiver cette fonctionnalité par un
clic droit sur l’icone OpenOffice dans la barre des tâches.

6
– Si vous ne parvenez pas à ouvrir le document, vous êtes en droit d’expliquer
gentiment à votre interlocuteur que vous ne disposez pas de Ms-Office, et de
le prier de vous renvoyer son document dans un format ouvert.
– De même, lorsque vous transmettez un document, pensez au destinataire qui
n’utilise pas forcément la même suite que vous : convertissez systématique-
ment vos documents au format PDF, soit directement avec OpenOffice, soit
à l’aide de l’utilitaire libre PdfCréator.
– Dernier conseil, ne tentez pas de remplacer Ms-Publisher par le traitement de
texte d’OpenOffice (Writer). Publisher n’est pas un traitement de texte, mais
un logiciel de PAO (Publication Assistée par Ordinateur). Pour travailler avec
OpenOffice de la même façon que dans Publisher (avec des blocs de texte)
c’est le module Dessin qu’il faut utiliser. Vous y retrouverez vite vos habi-
tudes c’est un module à la fois simple et puissant.
– Une autre possibilité est d’utiliser le logiciel Scribus, qui est un véritable lo-
giciel de PAO, comparable aux logiciels professionnels de référence (Adobe
Page Maker, Quark X-Press). C’est un excellent logiciel, mais plus complexe
que Publisher, qu’il faut utiliser à bon escient : journal scolaire par exemple.
Pas pour le courrier administratif ou les préparations de classe.

5 Conclusion
L’avenir dira ce qu’il adviendra des formats évoqués, lesquels resteront, les-
quels disparaîtront. Ce qui est certain, c’est que :
– l’intéropérabilité est nécessaire et incontournable dans un monde en réseau
numérique ;
– intéropérabilité n’implique pas forcément uniformité : Windows, Mac, Li-
nux, peuvent coexister et doivent continuer à coexister ;
– de même, le logiciel libre et le logiciel propriétaire peuvent cohabiter et s’en-
richir mutuellement ;
– l’utilisateur doit pouvoir garder la liberté de choix de ses logiciels (donc,
éviter toute situation monopolistique) ;
– la liberté se conquiert mais ne s’impose pas par la contrainte ;
– ce qui semble se dessiner, c’est que l’avenir serait plus du côté des Espaces
numériques de travail (ENT), regroupant applications et fichiers sur un ser-
veur accessible depuis n’importe où à l’aide d’un simple navigateur, que du
modèle actuel où applications et fichiers personnels sont hébergés sur le PC.

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