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Un deuil imposé

Mes réflexions sur le deuil de mon petit-fils Antoine.

Par Fernand Lachance

Une lueur transformée en feu de joie


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Un deuil imposé

Résumé de la perte d'êtres chers.


J'ai vécu la perte de membres de ma famille 3 fois hormis celle de
mon petit-fils Antoine.

Ma mère est décédée de façon dramatique à l'été 81. Ce fut une


grande perte, car mon contact personnel avec celle-ci était fort
dynamique. C'était la première mort et j'ai pris sur moi la douleur
de mes enfants. Tout rationnel, le plus possible. Il n'y avait pas de
pourquoi, il en était ainsi et c'est tout. Maman a toujours vécu
pleinement. Même si j'aimais beaucoup ma mère, ma peine s'est vite
changée en certitude que là où elle se trouvait, elle était heureuse.

Mon père est mort en 84 : trois mois de cauchemar où la douleur était intolé-
rable pour lui. Cancer. La longue suite de jours à le veiller, à s'inquiéter, à
prier, a toutefois facilité mon deuil qui fut rapide parce que le contact
entre lui et moi était trouble.

Le troisième décès, en 1991, est celui de mon frère Lucien, le


deuxième d'une famille de neuf. Cette mort accidentelle fut plus difficile à vi-
vre d'autant plus que, par avance, je l'avais ressentie. Je le verrais se présenter à moi au-
jourd'hui et je ne serais pas surpris. Ce n'est pas un déni, c'est tout simplement ainsi.

Par la suite, l'avortement du premier de mes petits-enfants


m'a marqué. J'ai rêvé qu'on me sortait de ma maison dans
ma tombe. Rien de plus! Oups! Des remords de n'avoir pas
agi.

Antoine, la petite lueur qui éclate en mille morceaux

AVANT-PROPOS

La mort de mon petit-fils Antoine, au coeur même de ma fille Julie, a été un déclencheur
dont j'ignore encore l'impact réel sur ma vie. Je compose ce texte pour une amie sans
même savoir ce qui me sera révélé. Toutefois, une chose est sûre, j'aurai besoin d'Antoine
pour plonger dans ces eaux troubles de la souffrance humaine.

Curieusement, cette demande de creuser la douleur m'apporte du bonheur, peut-être dû au


fait que ce n'est pas la première fois que je m'y mets. Tout de même, une telle demande,
avec des points précis à traiter, signifie pour moi une façon nouvelle d'écrire.

Je phrase, je phrase un peu, comme si je ne voulais pas me livrer à froid dans le vif du
sujet. Voilà un premier impact sur le plan psychologique. Une terre labourée, quand c'est
nécessaire, peut s'attendre à faire fleur. Elle est en droit de
recevoir une semence qui la fera grandir.

Une lueur transformée en feu de joie


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Un deuil imposé

Remettre à plus tard, à la page suivante, les mots déchirants qui dessineraient l'esquisse
de la douleur, cruelle comme les cornes d'un bœuf, qui s'acharne sur sa victime déjà par
terre. Oh! J'aurais beau nier, penser que sept est un chiffre parfait. Sept ans, il aurait sept
ans, Antoine.

Sans le dire, sans même trop le savoir, j'avais une crainte particulière que ma petite-fille
Anne puisse nous être enlevée par la mort, elle aussi. Et comment agir avec Julie qui vi-
vait un moment que moi je n'aurais pas pu traverser? Porter un enfant pendant neuf mois
et le perdre bêtement est une impossibilité.

Je ne me rappelle pas avoir visité Julie très souvent après l'épreuve. Une fois, je suis arri-
vé chez elle. Elle pleurait. Je tentais de l'accrocher à quelque chose de positif. Sa seule
réaction était de répéter en sanglotant sans bruit :« je veux mon bébé ». Les mots les plus
difficiles à entendre pour moi qui supportais déjà durement ma vie à plusieurs points de
vue. L'hiver, le froid m'a révélé un début de réponse pour Julie. Elle répétait les mots :
« je veux mon bébé, je veux mon bébé! »

Ma propre douleur devenue insupportable me fit taire et agir. Quelle aide m'a été appor-
tée! Je sortis dehors et je fis une balle de neige bien durcie. Mes yeux fixant Julie je lui
offris la balle de neige et je lui dis : « je vais te laisser seule, mais promets-moi de laisser
fondre ta peine. En même temps que la neige pleurera, tu pleureras toi aussi. Tout va
bien aller Julie ».

Je partis travailler. Elle ne se rappelle de rien. Je ne l'ai pas revu pleurer. Je n'ai pas cons-
cience de lui avoir téléphoné pour vérifier ce qu'elle avait fait de la balle de neige. Antoi-
ne agissait et il agit encore à notre demande.

Julie devint enceinte de nouveau. Je ne me souviens pas m'être


trop inquiété pour ce nouveau tout-petit homme qui allait naître un
an, jour pour jour, après le décès d’Antoine.

Malgré une certaine appréhension, je partis pour Boston même si


l'accouchement était décidé pour les jours suivants. Je m'y suis
obligé par souci d'étouffer la peur de souffrir. Comme si la distance pouvait éteindre la
douleur. Mon bébé Thomas vint au monde une journée après la mort d’Antoine.

Comment comprendre que je me sois si peu préoccupé de la nouvelle grossesse de Julie?


Comment expliquer que, comme un sans-cœur que je ne suis pas, je n'ai presque pas visi-
té Julie? Comment justifier que moi, le grand-père aussi tendre et bon que je l'avais été
comme père, j'ai pu apprécier, mon petit Thomas, avec une main fermée, des bras crispés,
malgré un cœur entier et aimant?

Moi, manquer d'amour pour lui! Non, jamais ce ne fut le cas. Julie m'en a parlé avec cette
facilité déconcertante que seule une fille confiante peut se permettre devant un père tou-
jours sensible à la peine des autres. Elle se demandait si j’aimais moins son petit Thomas.

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Un deuil imposé

Thomas est un petit homme fort depuis son premier


souffle. Je ne le prenais pas comme un remplaçant,
il est tellement intense avec ses yeux bleus uniques.

Julie avait raison de s'in- quiéter de mon attitude inconsciente,


elle en avait le droit. La réponse monta en moi. Je me sentais un peu ébranlé. Elle sortait
du cachot de ma crainte de perdre Thomas. Ses nombreux problèmes de santé fouillaient
dans ma plaie toujours vive. J'avais peur qu'il meure. J’appréhendais que sa vie soit diffi-
cile. Aimer de cette façon n’amène rien d'utile pour grandir. Après cette discussion, le
concentré de douleurs auquel je buvais se retrouva dilué.

Je faisais « grandir » mon petit homme en lui parlant comme si c'était un grand. Thomas,
mon grand sensible, me regardait puis comprenait que je m'amusais à le rendre moins
vulnérable aux événements extérieurs. Encore aujourd'hui, il peut réagir avec moi en me
disant : « ah! Grand-père, tu fais semblant de me chicaner. »

Comment une simple balle de neige a pu mettre à mal et faire taire pour un temps la peine
de Julie?

Comment sa question toute franche et confiante a jeté hors de moi la peur de voir partir
mon petit Thomas?

Sincèrement, les répercussions connues de ce décès sur ma vie sont de plus en plus espa-
cées. Pourtant, être abandonné, oublié, rejeté est une constante de ma vie. Perdre est pour
moi une épreuve toujours d'actualité. N'est-ce pas ainsi pour chacun?
L’impressionnabilité se veut propre à l'humain.
Jouer à l'auto-psy sur moi-même…

Quel impact a pu avoir la mort d'Antoine sur ma santé? Jouer à l'auto-psy... sur moi-
même n'a pas de quoi me fasciner. Psychologiquement, je m'en sors très bien. Du côté
physique, mes problèmes sont multiples. Ceux-ci ont-ils un lien avec ce décès singulier?

Est-ce qu'un électrochoc pourrait faire redémarrer mon cœur qui s'est arrêté au moment
précis où j'ai appris la fin de vie d'Antoine? Au moment même où j'ai compris que mon
petit homme, Antoine, ne viendrait pas…, j'ai vu le tunnel, je ne voulais qu'une chose :
prendre la place d'Antoine et de Julie. Mon éternel souci de porter sur moi, pour les au-
tres, les évènements qui m'apparaissent « impossibles à vivre » remonta à la surface.

Soutenir ma fille, la nuit de l'attente de l'accouchement, m'a réanimé. Fini le tunnel lumi-
neux. Réveil brutal et difficile contact, le face à face avec le deuil et tout ce que ça coûte
émotionnellement. Je me sens parfois comme cet homme mort qu'un médecin avait ra-
mené à la vie (durant mon stage d'infirmier auxiliaire). Trois ou quatre électrochocs. Le
patient était en sursis et je ne pensais plus le revoir vivant. Une semaine plus tard, je l’ai
salué dans le corridor. Il vivait!! Eh oui! Vivre : continuer à respirer, permettre à son
cœur de compléter ce qui devra à nouveau se terminer.

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Un deuil imposé

Bien sûr, je suis de ceux qui croient que rien n'arrive pour rien. Il s'agit d'une question
d'attitude, ayant pour but de favoriser, en soi, une saine évolution. D'un côté, s'appliquer à
toujours remercier avec un sourire pour les belles choses et de l'autre côté crisper les mâ-
choires pour ce qui semble inutile ou cruel.

Quand j'ai appris que je souffrais du Parkinson, ma réaction en fut une d’insouciance :
« ah bon! » Vraiment le choix?

Bonne attitude mentale, un choix pas très évident pour une maladie
dégénérative. Pourtant, pendant ce temps, les ravages du Parkinson
progressent. Je me compte chanceux, car il y a pire comme pro-
blème de santé.

Endurer des douleurs constantes peu soulagées même par la morphine? Vraiment le
choix?

Subir une opération qui, une « chance » sur deux, pouvait me laisser paralysé. Un choix,
bien sûr, parce que sans l'intervention cela devenait inévitable. Vraiment le choix?

Choisir, oui! Question d'attitude, oui! Me rappeler à moi-même que tout absolument tout
se traduit en un choix. Oui!

Choix d'attitude, choix de rire,


choix de pleurer, de me refermer ou de m'ouvrir aux autres.

J'aime penser que j'influence ma vie par mes choix : les bons, tout autant que les mauvais.

… cette peur enfantine…

En conclusion, je peux affirmer avec certitude que ce drame du deuil de mon petit-fils se
pointe toujours là prêt à réactiver mes craintes; il me ramène à cette peur enfantine d'être
un enfant adopté, un enfant qui « ne sera jamais comme les autres », un enfant qui pour-
rait se faire jeter et « re-jeter » encore s’il ne se montre pas parfait.

Malgré tout, le pire qui pourrait m'arriver serait « d'être abandonné », je suis plus chan-
ceux que mon petit Antoine :

« Le « petit » fait de chair n’a point humé l’air,


goûté le lait de sa mère, tâté de ses petites
menottes le bras velu de son père. »
La légende de la terre

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