Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Revue Française de Psychanalyse - (... ) Société Psychanalytique bpt6k5448021q PDF
Revue Française de Psychanalyse - (... ) Société Psychanalytique bpt6k5448021q PDF
psychanalyse (Paris)
DIRECTEURS
Jean Gillibert Claude Girard Evelyne Kestemberg
COMITÉ DE RÉDACTION
Ilse Barande Alain Gibeault Alain de Mijolla
Rosine Debray Augustin Jeanneau Henri Vermorel
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
Muguette Green
ADMINISTRATION
Presses Universitaires de France, 108, bd Saint-Germain, 75279 Paris Cedex 06
ABONNEMENTS
Presses Universitaires de France, Service des Périodiques
12, rue Jean-de-Beauvais,75005 Paris. Tél. 326-22-16. C.C.P. Paris 1302-69 C
Abonnements annuels (1982) : six numéros dont un numéro spécial contenant les
rapports du Congrès des Psychanalystes de langue française :
France : 340 F — Etranger : 380 F
Les demandes en duplicata des numéros non arrivés à destination ne pourront être admises
que dans les quinze jours qui suivront la réception du numéro suivant.
Cliché couverture :
Sphinx ailé
(VIe s. av. J.-C.)
Metropolitan Muséum
of Art
« BLOC MAGIQUE »
RFP — 37
SIGMUND FREUD
* Trad. de l'allemand par Ilse BAEANDE et Jean GILLIBERT. (GW, XIV, 3-8; SE, XIX,
225-232.)
1. Erinnerungsapparat.
2. Verwerfen.
Rev. franc. Psychanal., 5/1981
1108 Sigmund Freud
l'abri de modifications. Dès La science des rêves (1900) j'ai supposé que cette
aptitude inhabituelle tient à la performance de deux systèmes différents (organes
de l'appareil psychique). Nous posséderions un système P-Cs qui réceptionne-
rait les perceptions mais n'en conserverait aucune trace durable, se comportant
vis-à-vis de toute nouvelle perception comme une feuille vierge. Les traces
durables des excitations s'emmagasineraient dans des « systèmes mnésiques
sous-jacents ». Plus tard, dans Au-delà du principe de plaisir, j'ai complété en
faisant remarquer que le phénomène inexplicable de la conscience se produirait
dans le système perceptif en lieu et place des traces durables.
Il y a quelque temps, sous le nom de bloc magique, un petit article est
apparu sur le marché qui promet de faire mieux que le papier ou l'ardoise. Ce
bloc ne prétend pas être autre chose qu'une tablette dont les inscriptions peu-
vent être effacées facilement. Si on l'examine de près, sa construction révèle une
coïncidence remarquable avec la constitution de notre appareil perceptif tel que
je l'ai supposé et démontre qu'il peut vraiment fournir aussi bien une surface
réceptrice toujours prête que des traces durables des inscriptions réceptionnées.
Le bloc magique est une tablette de résine brune ou de cire, enchâssée dans
un rebord de papier et sur laquelle est posée une feuille mince et translucide ;
elle est fixée à la tablette de cire en haut et librement appliquée en bas. Cette
feuille est la partie la plus intéressante du petit appareil. Elle est faite de deux
couches détachables l'une de l'autre sauf le long de leurs bords transversaux,
la couche superficielle est en celluloïd transparent, l'autre est une feuille mince
de papier imprégnée de cire, translucide. Lorsqu'on n'utilise pas l'appareil, la
feuille imprégnée de cire adhère légèrement à la tablette.
On utilise ce bloc magique en portant l'inscription sur la feuille de celluloïd ;
pour cela, point n'est besoin d'un crayon ou d'une craie, puisque aucune matière
n'est abandonnée à la surface. Il s'agit d'un retour à l'écriture des Anciens sur
l'argile et la cire ; un stylet pointu érafle la superficie et son tracé en creux
constitue l' « écriture ». Avec le bloc magique, ce procédé n'est pas direct; il se
fait par l'intermédiaire de la feuille de celluloïd ; aux endroits où il touche, le
stylet applique la face inférieure du papier de cire sur la tablette de cire et ces
traits deviennent visibles comme écriture sombre sur la surface habituellement
lisse et grisâtre du celluloïd. Pour détruire l'inscription, il suffit de détacher
d'un geste léger les deux feuillets de la tablette de cire. Le contact intime entre
le papier imprégné de cire et la tablette au niveau des endroits éraflés — ce qui
a donné heu à l'écriture visible — est ainsi levé. Il ne se reconstitue pas lorsque
les surfaces se touchent à nouveau. Le bloc magique est libre d'écriture et tout
prêt à recevoir de nouvelles inscriptions.
Les petites imperfections de cet appareil n'ont bien sûr pas d'intérêt pour
nous, puisque nous ne retenons que sa parenté avec la structure de l'appareil
psychique de perception.
Le bloc étant rempli, si on détache avec précaution la feuille de celluloïd de
la feuille de cire, l'écriture est tout aussi lisible à la surface de cette dernière et
Le bloc magique 1109
3. Reizschutz (traduit par M. TORT par pare-excitation; cf. Inhibition, symptôme et angoisse,
PUF).
1110 Sigmund Freud
vation sont envoyés, par à-coups rapides et périodiques depuis l'intérieur jusque
dans le système P-Cs parfaitement perméable puis à nouveau retirés. Tant que
le système est ainsi investi, il reçoit des perceptions s'accompagnant de cons-
cience et convoie l'excitation jusque dans les systèmes mnésiques inconscients ;
dès que l'investissementest retiré, la conscience s'éteint et le système ne « rend »
plus. Tout se passe comme si par l'intermédiaire du système P-Cs l'inconscient
développait des tentacules vers le monde extérieur, retirés aussitôt après en
avoir goûté les stimulations. Les interruptions d'origine extérieure pour le bloc
magique me semblaient donc ici dues à la discontinuité du flux d'innervation et
au lieu d'une véritable levée du contact j'ai supposé l'inexcitabilité périodique
du système perceptif. J'ai, de plus, appréhendé que cette façon d'oeuvrer dis-
continue du système P-Cs fonde la constitution de la représentation du temps.
A imaginer que d'une main on couvre d'écriture la surface du bloc magique
et que de l'autre on détache périodiquement les feuillets superficiels de la
tablette de cire, on rend sensible la façon dont j'ai voulu me représenter l'activité
de notre appareil psychique perceptif.
CLAUDE LE GUEN
«Rien ne nous garantit que notre mémoire soit fidèle ; nous cédons,
bien plus que de raison, à l'obsession de lui faire confiance » 2. Ainsi
énoncée dans l'ouvrage princeps, cette grande défiance à l'égard de la
mémoire conduisit Freud à comprendreles trous et les ratés du souvenir ;
elle demeure l'une des idées-forces de son oeuvre, l'un de ses moteurs,
l'une de ses constantes.
« Quand je me méfie de ma mémoire — le névrosé ne s'en prive pas,
et le normal pourrait bien l'imiter... », reprend-il en 1925 pour intro-
duire une « Notice sur le bloc magique »3.
Cet articulet — qui se présente comme un divertissement, une
oeuvre mineure — partage avec celui sur La dénégation le privilège
d'être référé par nombre d'auteurs (en France tout au moins) dans une
proportion inverse au peu de pages qui le constituent. Le paradoxe est
ici renforcé de ce que la moitié de ses quatre feuillets sont consacrés
à la description et au démontage du gadget qui en fournit l'occasion.
Mis à part l'année de sa rédaction (1925), la similitude avec La
dénégation semble pourtant s'arrêter là : ce dernier texte introduit
un concept nouveau et majeur, alors que le « Bloc magique » paraît
reprendre, pour l'essentiel, une thèse que l'on pouvait croire abandonnée.
Là se situe sans doute sa plus grande singularité (peut-être même
la raison de son audience) ; là se trouve ce qui justifie que l'on aille y
voir de plus près.
Ce qui est ainsi référé n'est rien d'autre que la théorie de l'inscription.
Non pas celle de la « deuxième inscription » que Freud finit de
condamner explicitement dès la Métapsychologie pour ne plus la réhabi-
liter, mais bien celle qui la précède, l'autorise et lui survit, telle qu'on
la peut voir resurgir épisodiquement tout au long de l'oeuvre (même
s'il est vrai qu'elle apparaît surtout dans les premières années, pour
tendre à disparaître après 1920). C'est ainsi que des auteurs aussi sérieux
et conséquents que Laplanche et Pontalis sont conduits à la nommer
— voire à la privilégier — dans de nombreux articles de cet indispen-
sable monument qu'est leur Vocabulaire de la psychanalyse, ne laissant
guère alors de citer le « Bloc magique ».
Nous sommes ainsi placés au coeur de l'une de ces contradictions
si fréquentes — et sans doute si fécondes — dans l'élaboration freu-
dienne.
Car ce qui est ainsi repris n'est rien d'autre que l'essence même de
ce qui fut rejeté dans l'Esquisse d'une psychologie scientifique. On le sait,
cette merveilleuse « machine qui ne tarderait pas à fonctionner d'elle-
même » tant en elle « les rouages s'engrenaient », fut reniée un mois
plus tard : « Je n'arrive plus à comprendre l'état d'esprit dans lequel
je me trouvais quand j'ai conçu [cette] psychologie », « ça me semble
être une sorte d'aberration »4. Il est hautement significatif que ce soit
sur le refoulement que vint ainsi se casser une si belle mécanique.
Certes, l'Esquisse est, selon le mot de Jones, un « tour de force »,
« un brillant exemple des facultés d'abstraction [de Freud] et de rai-
sonnement rigoureux »5 — et c'est bien là ce qui fait qu'elle nous fascine
encore. Assurément, elle « jette une lumière sur un grand nombre de
ses conceptions ultérieures »6 — d'où son intérêt incomparable dans
l'histoire de la psychanalyse. Mais si l'objet d'étude est bien déjà celui
qui occupera toute la vie de Freud, et si certains termes sont déjà en
place, leur destination sémantique sera bouleversée et la voie d'approche
sera radicalement changée, tout comme la méthode qui l'exploite. Ce
qui est alors rejeté est la topologie anatomique et la physiologie des
neurones comme modèles de référence ; elles sont remplacées par la
seule approche psychologique — ou, pour être plus précis, par la créa-
tion d'une voie nouvelle totalement indépendante de toute explication
organique, voie nouvelle qui est celle de la psychanalyse dont l'impératif
est de « se tenir à distance de toute présupposition d'ordre anatomique,
chimique ou physiologique [on en pourrait, de nos jours, ajouter quel-
ques autres...] et ne travailler qu'en s'appuyant sur des notions pure-
ment psychologiques »7.
C'est ce qui permet au chapitre VII de L'interprétation des rêves
d'être tout à la fois si proche de l'Esquisse, et de lui demeurer parfai-
tement étranger (ceux qui seront tentés de chercher chez Freud la
fameuse « coupure épistémologique » chère à Bachelard — et revigorée
par Althusser —, la pourront repérer entre ces deux textes, et nulle
part ailleurs). Pourtant, une trompeuse familiarité entre les deux est
entretenue par l'indifférence de Freud à l'égard des mots eux-mêmes :
c'est ainsi qu'il va conserver ceux, familiers pour lui, de l'anatomo-
physiologie, mais pour en transformer foncièrement le sens. Il faut bien
convenir que pareil détachement des pesanteurs sémantiques put
prêter à quelques malentendus...
Et parmi ces termes, il en est un qui — malgré tout ce qu'il traîne
d'une pensée neuro-physiologique périmée — s'avère fort commode
pour rendre compte de la remémoration et de l'oubli : c'est celui de
trace mnésique, avec son corollaire d'inscription (ou de transcription).
Il fait tellement image qu'il paraît aller de soi ; sa force de suggestion
analogique est telle que l'on ne voit pas très bien, a priori, par quoi
le remplacer — à supposer qu'il le faille changer. Mais s'il doit se garder,
ce ne pourra être qu'au prix d'une vigilance incessante à l'égard des
dévoyantes métaphores qu'il fomente.
Or donc, ce dont traite le « Bloc magique » est de la mémoire dans son
rapport à la conscience, non pas tant dans le processus de remémoration
qui se représente en souvenirs, que dans l'appareillage mental censé y
procéder ; c'est pourquoi ce qu'il réfère est la conservation de l'écriture
(et non pas l'écrit !).
Ce que Freud paraît retrouver dans les deux feuillets de celluloïd
et de papier ciré d'une part, d'autre part dans la tablette de cire — sup-
posés homologues des deux couches de l'appareil psychique (celle du
pare-excitation et celle, réceptrice, de la perception-conscience), et de
l'inconscient avec la mémoire — n'est apparemment rien d'autre que la
distinction entre « les neurones <p, perméables, servant à la perception »,
volonté de Freud de faire dire à cet appareil, bien plus qu'il ne peut ;
elle tend à mettre en lumière sa fonction de modèle subreptice.
Ce retour du refoulé idéologique — qui s'était imposé dans l' Esquisse
pour la faire avorter — vient de loin, et témoigne de la socio-culture qui
forma Freud. Beaucoup plus que les grands totems de son adolescence
(Darwin et Goethe), s'impose Brentano — et surtout le groupe de la
Berliner Physikalische Gesellschaft, au sein duquel Du Bois-Reymond
écrit : « Brücke et moi avions pris l'engagement solennel d'imposer cette
vérité, à savoir que seules les forces physiques et chimiques, à l'exclusion
de toute autre, agissent dans l'organisme. [...] Ou bien il faut postuler
l'existence d'autres forces équivalentes, en dignité, aux forces physico-
chimiques inhérentes à la matière, réductibles à la force d'attraction et
de répulsion. » Brücke conduit ainsi à Helmotz et Meynert, puis à
Herbart et Fechner24.
On sait le profit que Freud tira, heureusement et directement, de ce
dernier dans son approcheénergétique ; et plus indirectement des autres.
On ne sait peut-être pas assez la pesanteur persistante du physico-
chimisme de son maître Brücke, tel qu'il imposa le recours aux métaphores
de l'inscription.
24. A ce sujet, voir dans E. JONES, La vie et l'oeuvre de S. Freud, t.1, op. cit., tout le chapitre IV
et, dans le chapitre XVII, les p. 407-412. On peut aussi consulter P.-L. ASSOUN, Freud, la philo-
sophie et les philosophes,Paris, PUF, 1976, coll. « Philosophie d'aujourd'hui ".
1120 Claude Le Guen
25. On doit remarquer que les plus fermes tenants des théories de récriture sont conduits
à exclure la lecture. Ainsi : « Ces Ecrits, il est assez connu qu'ils ne se lisent pas facilement.
[...] Je pensais, ça va peut-être même jusque-là, je pensais qu'ils n'étaient pas à lire », J. LACAN,
Le séminaire, liv. XX : Encore (1973), Le Seuil, 1975, p. 29.
26. L'interprétation des rêves, op. cit., p. 513 (souligné par Freud).
27. S. FREUD, Métapsychologie, Paris, Payot, p. 84.
Quand je me méfie de ma mémoire 1123
28. Cf. par exemple : " Analyse terminée et analyse interminable », Revue française de
Psychanalyse, 1975, n° 3, p. 389.
29. S. FREUD, L'interprétation des rêves, op. cit., p. 492, n. 1 (ajoutée en 1914) (cf. aussi
« Remarques sur la théorie et la pratique de l'interprétation des rêves », de 1923).
30. S. FREUD, Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 167.
31. S. FREUD, L'interprétation des rêves, op. cit., p. 516.
1124 Claude Le Guen
32. S. FREUD, Inhibition, symptôme et angoisse (1926), Paris, PUF, 1965, p. 673 n. 1 (souligné
par moi).
33- Ibid.
Quand je me méfie de ma mémoire 1125
40. S. FREUD, L'interprétation des rêves, op. cit., p. 522 (souligné par Freud).
1128 Claude Le Guen
beaucoup plus importants que ne peut l'être chaque objet de fouille pris
isolément. Mais, là aussi, « il faut bien que l'analogie ait une fin » ;
et, pour significatifs qu'ils soient, ces rapports et ces successions relient
des choses mortes, à tout jamais fixées par ce qui les a produites; tout
pareillement, les objets manquants comme les traces effacées sont des
signes morts. L'histoire ici en cause est l'histoire défunte des historiens
traditionalistes. L'histoire qui nous concerne est celle, étonnamment
vivante, qui se fait et se détermine dans l'actuel, son présent contraint
par le passé ; la psychanalyse est prise dans un tel tissu vivant et c'est
cela, plus que l'arbitraire d'une correspondance au point par point,
plus que le déchiffrement d'une inscription, qui justifie l'interprétation :
« Ce qui, dans l'interprétation des rêves, apparaît comme arbitraire,
se trouve neutralisé par le fait qu'en règle générale le lien qui existe
entre les idées du rêve, celui qui existe entre le rêve lui-même et la vie
du rêveur et, enfin, toute la situation psychique au milieu de laquelle
le rêve se déroule permettent, de toutes les interprétations possibles,
de n'en choisir qu'une et de rejeter toutes les autres comme étant sans
rapport avec le cas dont il s'agit 41.
Dans le psychisme — et c'est cela qu'implique le processus de la
sur détermination — les oublis et les déformations sont agissants, signi-
fiants dans leur procès, vivants encore ; les représentants sont tous aussi
dynamiques et leurs rapports continuent de s'intriquer et de se changer
dans les jeux multiples du refoulement. Quelle écriture en elle-même,
quels procédés de conservation de la trace écrite, pourraient représenter
pareille dynamique ?
Nous l'avons dit, il n'est pas question de remettre en cause le pos-
tulat freudien qui autorise la psychanalyse — et justifie la continuité
de l'individu comme celle des sociétés : « Tout ce qui a un jour existé
persiste opiniâtrement »42. Mon propos est seulement de rappeler
que ce qui persiste ainsi ne le fait pas comme quelque lettre morte,
telle une inscription ; ce qui persiste est une contrainte et un change-
ment. Plus que les traces mnésiques, se perpétuent les processus qui
les organisent et les changent. « Nous n'utilisons que quelques-uns des
mécanismes de défense possibles. Ceux-ci se fixent dans le Moi et
se répéteront durant toute l'existence, aussi souvent que se reproduira
l'une des situations primitives. Ils subsistent même alors qu'ils ont cessé
d'être utiles. Non seulement le moi adulte se prémunit contre des
45. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud (2 vol.), Paris, POT, 1975, « Bibliothèque de Psy-
chanalyse ».
Au moment de remettre mon manuscrit à la rédaction, j'apprends qu'un article d'ANZIEU
doit figurer dans ce même numéro de la Revue française de Psychanalyse ; cette rencontre en
forme de coïncidence (mais en est-ce vraiment une, puisque nous semblons nous interroger
l'un et l'autre sur l'inscription ?) devrait épicer la discussion...
46. Ibid., p. 176.
47. Ibid., p. 208.
48. Ibid., p. 209.
49. S. FREUD, L'interprétation des rêves, op. cit., p. 100.
Quand je me méfie de ma mémoire 1131
qui sera censée « écrire sous forme abstraite les groupements des per-
sonnages les plus importants qu'elle [la formule] met à jour, en les
rassemblant en un tableau selon leur ordre d'apparition et avec une
hiérarchie sommaire »60.
Ce qui va donner :
57. La triméthylamine est un corps suffisamment banal pour figurer parmi les produits
soumis pour identification aux examens de pharmacie.
58. S. FREUD, L'interprétation des rêves, op. cit., p. 264.
59. Ibid., p. 108.
60. D. ANZIEU, L'auto-analyse de Freud, op. cit., p. 193 par exemple.
61. Ibid., p. 214.
Quand je me méfie de ma mémoire 1133
62. Et la chose est alors si peu secrète que Ferenczi l'utilise dans Thalassa : « Chez les Mam-
mifères supérieurs, donc également chez l'Homme, la sécrétion vaginale de la femelle, dont
nous avons attribué l'effet érotique excitant à des réminiscences infantiles, possède selon la
description de tous les physiologistes une très nette odeur de poisson. Cette odeur provient
de la même substance (Triméthylamine)que celle du poisson qui pourrit » (S. FERENCZI,OEuvres
complètes, t. III, Payot, 1974, p. 293, n. 1). Si Anzieu, pour sa part, parle bien de « l'amyle (dont
l'odeur peu agréable est une allusion à celle des sécrétions sexuelles) », p. 205, se référant à
l'association de Freud sur « l'odeur amylique du riquiqui », il en reste là.
63. Ibid., p. 205.
64. Ibid.
65. Ainsi, le dossier qui, depuis des années, renferme mes notes sur tout ceci, porte-t-il
en intitulé : « Irma ? Ça sent les sens... »
66. J. COURNUT, Lettre ouverte à Irma, Revue française de Psychanalyse, XXXVII, 1973,
n° 1-2, p. 84.
1134 Claude Le Guen
Cournut dans cette mise en garde, et souligner que les questions restent
posées pour reconnaître l'identité d'adéquation de pareille pertinence.
Ainsi, Anzieu apparaît des plus pertinents lorsqu'il se penche sur l'auto-
analyse de Freud et propose une interprétation du rêve proprement
dit de l'injection faite à Irma ; il me le paraît beaucoup moins lorsqu'il
le désexualise pour en faire « un rêve-programme pour toute la suite
des découvertes qui vont constituer la psychanalyse » 67. Ne pouvant
disposer là-dessus des associations du célèbre rêveur (et en disposer
dans un processus en cours, et non comme d'une lettre morte) nous
devons nous rendre à l'évidence que si rien ne peut venir prouver la
validité des interprétations imaginées, rien non plus n'en saurait démon-
trer la nullité — et cela même témoigne d'une inadéquation essentielle.
La pertinence d'une assertion comme celle que porte Anzieu ne se
peut mesurer qu'à ce à quoi elle se rapporte : la construction théorique
du seul Anzieu — ce qui nous replace dans sa référence scripturaire.
Or, en attribuant si grande influence pour toute l'oeuvre freudienne
à une simple inscription (acceptât-on les interprétations qui en sont
proposées), Anzieu promeut les théories de l'inscription en une place
prépondérante — mais porte sa démarche au compte propre de Freud
dont, dit-il, « le génie [...] nous a paru résider là : éveillé, passer direc-
tement de la vue à l'écriture »68. Qu'il saisisse l'occasion pour se démar-
quer de Lacan69 (en lui reprochant son « erreur d'interprétation [...]
lorsque s'appuyant sur ces passages de Freud [tel celui sur la trimé-
thylamine], il forge l'hypothèse que l'inconscient est structuré comme
un langage et qu'il est de l'ordre de l'écriture : Lacan a pris pour une
caractéristique de l'inconscient ce qui était un trait du génie créateur
de Freud »70) n'est guère étonnant et vient souligner des divergences
profondes. Il n'en demeure pas moins que, en ce qui concerne l' « ordre
de l'écriture », la filiation est là, que l'inspiration demeure la même,
que l'idéologie se maintient.
Toute théorie de l'inscription est à prendre (c'est le cas de le dire)
au pied de la lettre. Elle s'appuie sur la propriété de l'écriture tracée
sur « une surface qui conservera indéfiniment la notation qui lui est
confiée » (rappelée par Freud dans le « Bloc magique ») et qui est de
permettre « la conservation de traces durables » ; elle permet de pos-
tuler que « le «souvenir » ainsi fixé a été rangé, [...], qu'il est inchangé et
qu'il a donc échappé aux déformations qu'il aurait peut-être subies dans ma
mémoire » (souligné par moi). Or, comme nous y avons déjà insisté après
tant d'autres, ce sont ces déformations subies dans la mémoire — cette
anti-écriture — qui fondent l'objet même et la raison d'être de la psycha-
nalyse. Ce qui permet de conclure en une paraphrase de Freud — quitte
à se montrer un peu abrupt, mais il faut en finir — que les théories de
l'êcriture (de l'inscription) 71 permettent d'échapper à la psychanalyse.
Toute écriture, aussi mensongère soit-elle en son message, se pose
comme représentation de vérité — fût-ce à dire le vrai du faux — et,
même, comme étant la vérité en son essence. « C'est écrit » est le
maître mot de la Loi pour ici, et du Destin pour demain. Mektoub!
D'où l'assurance de ceux qui s'en réclament.
On ne saurait donc s'étonner de constater qu'Anzieu, souvent si
prudent par ailleurs, puisse en pareille occurrence échapper aux doutes
sur la validité de ses inscriptions scripturaires, que ce soient celles de
« l'auto-analyse effectuée par Freud », ou celles du « processus même
de la découverte de la psychanalyse »72 — au point d'évoquer, dès
l'introduction, son « impression d'en épuiser le sens », et même de
parler, à ce propos, de sa « certitude »73 ! Et je ne crois pas qu'il s'agisse
tant là du souci de « la critique plus ou moins universitaire [de venir]
mettre ordre et précision [dans les grandes oeuvres]74 » que des ornières
tranquilles des assurances idéologiques.
Toute subordination aux idéologies de l'inscription transforme
inexorablement la théorie en dogme et la pratique en routine; et à
l'insu même de ceux qui s'en font les hérauts. D'où la nécessité de
chercher à les débusquer — à commencer pour ceux-là mêmes qui
s'en veulent garder. Mais, précisément, tel est bien l'un des traits les
plus significatifs de la fonction idéologique.
71. J'emploie indifféremment les mots " écriture » et « inscription » car, pour ce que nous
avons à traiter ici, ils me paraissent parfaitement superposables. Ceci dit, il est bien certain
qu'ils ne tirent pas tout à fait dans le même sens, et que l'on pourrait distinguer des courants
idéologiques différents selon que les adeptes recourent à l'un des termes plutôt qu'à l'autre.
72. Ibid., p. 2.
73. Ibid., p. 7.
74. Ibid., p. 5.
1136 Claude Le Guen
ment — mais pas outre mesure car, une fois affirmée la nécessité de cette
approche, Freud relativise « la topographie psychique » : « Certes, je
ressens aussi nettement que quiconque ce que cette manière d'envisager
les choses a d'insatisfaisant, ce qui tient à notre totale ignorance de la
nature dynamique des processus psychiques. Nous pensons que ce qui
distingue une représentation consciente d'une représentation précons-
ciente et cette dernière d'une représentation inconsciente ne tient certai-
nement qu'à une modification ou peut-être aussi à une répartition diffé-
rente de l'énergie psychique. Nous parlons d'investissements et de
contre-investissementset notre savoir s'arrête là, nous ne sommes même
pas en mesure d'établir une hypothèse de travail utile »78.
Là est l'obstacle. Et l'on comprend que, devant lui, beaucoup aient
préféré privilégier soit l' « ordre topographique », soit l' « ordre géné-
tique », soit même le retour à l' « ordre qualificatif » de la première
topique79 et que, dans ce mouvement, ils aient eu tendance à réhabiliter
les théories de l'inscription. A être fort excusable, et même compréhen-
sible, cela ne s'en éloigne pas moins beaucoup de la voie indiquée par
Freud ; voie qu'il me paraît nécessaire de suivre, non par fidéisme, mais
parce que c'est justement celle où nous avons (peut-être) à découvrir. Et
l'obstacle posé par l'arrêt de notre savoir est suffisamment important
pour que l'on n'aille pas lui rajouter ceux, dépassés, de l'inscription.
Je n'ai évidemment pas la prétention de pulvériser l'obstacle;
j'entends pourtant contribuer à l'entamer... ou à le contourner.
Et pour ce faire, il convient d'abord de donner la preuve que l'on se
peut aisément dispenser de tout retour aux modèles scripturaux (d'au-
tant que, comme j'ai essayé de le montrer, ceux-ci véhiculent des idéo-
logies rongeuses et ravageuses). C'est ce que Freud fit lui-même à partir
de 1920, pour l'essentiel — d'où la nécessité d'étudier la « Notice sur le
Bloc magique » qui peut paraître faire exception. A sa suite, bien d'autres
s'en passèrent aisément.
Pour tenter d'avancer dans la compréhension des investissements et
des contre-investissements, il convient, bien sûr, de reprendre et d'ap-
profondir le refoulement ; bien sûr aussi, il n'est pas question de le faire
dans cet article80.
Ce que je voudrais simplement tenter maintenant est d'indiquer
très brièvement quelque intuition et présomption qu'il me semble
78. Ibid.
79. P. 130.
80. Mais je peux annoncer que ce doit être l'objet d'un rapport que je prépare, avec l'aide
des participants à mon séminaire, pour le Congrès des Psychanalystes de Langue française
de 1985.
RFP — 38
1138 Claude Le Guen
Dr Claude LE GUEN
62, boulevard du Montparnasse
75015 Paris
PIERRE SULLIVAN
MEURTRE ET MEMOIRE
phie ait pris son essor à partir de cette opposition mais que l'exclusion1
n'ait jamais été consommée totalement, qu'il soit toujours nécessaire de
la réinstaller à nouveau, c'est ce qu'ont relevé les penseurs de notre
époque, Heidegger et Derrida en tête. Il est de moins en moins facile
aujourd'huid'être un platonicien heureux. Toute pensée en cache ou en
avoue maintenant une autre. Le soupçon est de rigueur. Aussi, peut-on
considérer comme un effet de notre nostalgie pour un âge où régnait la
confiance, l'apparition au commencement de cet article du seul nom
propre de Platon.
Platon, nous l'avions toujours su, ne se conçoit pas sans son double,
sans son Socrate, celui qui n'écrit pas. Quoi que l'on dise, quoi que
l'on fasse, ils ne coïncident jamais. Il y aurait ainsi deux Platon. Le pre-
mier, entité fausse, mythique et qui dissimule commodément notre
penchant à l'unité. Le second qui devrait s'écrire Socrate/Platon et qui
ne fait que reprendre l'opposition mémoire/remémoration. Platon
recueille et inscrit la pensée de son maître Socrate. Socrate n'existerait
pas sans Platon, mais Platon n'a été après tout qu'un élève, un scribe.
Et s'il s'était trompé ? Et s'il avait biaisé en le transcrivant le message de
Socrate ? Sans aller jusqu'à évoquer la trahison volontaire, subversive,
il est permis de penser que Platon est fautif dans cette affaire pour la
bonne raison (platonicienne justement) que toute traduction est rigou-
reusement infidèle. Pourtant, ce doute est-il normal ? L'histoire ne
dit-elle pas que Platon est la bonne mémoire de Socrate, que son oeuvre
est un monument élevé à la mémoire. Ce qui lie indissolublement le
maître et l'élève, c'est le meurtre dont a été victime le premier. Devant
l'empressement de Platon à recueillir les restes de Socrate, il n'est pas
permis de penser que son oeuvre constitue un second assassinat.
Que la mémoire soit tragique, c'est un fait d'époque. Que l'on ne
puisse penser Platon sans le lier à une intrigue compliquée, c'est en
effet ce qui donne à la pensée d'aujourd'hui son caractère. Il faut d'ail-
leurs atténuer le sens du mot tragique. Les dieux nous ayant quittés,
plutôt qu'à la tragédie c'est à l'enquête policière que nous nous voyons
mêlés. Fait étonnant, le roman policier, comme la psychanalyse et à la
même époque, est né du même engouement pour la science et les
machines. Coïncidence amusante, l'inventeur du roman policier met en
I. Il vaudrait mieux parler de refoulement que d'exclusion. " Refoulement et non oubli;
refoulement et non exclusion. Le refoulement, dit bien Freud, ne repousse, ne fuit ni n'exclut
une force extérieure, il contient une représentation intérieure, dessinant au-dedans de soi un
espace de répression », J. DERRIDA, Freud et la scène de l'écriture. L'écriture et la différence,
Paris, Seuil, 1966, p. 293.
Meurtre et mémoire 1143
L'ART DE LA MÉMOIRE
« le Bloc magique » n'a pas été retenu. Peu commenté9, traduit confi-
dentiellement, l'essai de 1924 n'a pas trouvé sa place. Serait-ce alors
l'objet lui-même ou l'usage que lui prête Freud qui expliqueraient le
désintérêt dont il a été victime ? Venons-en à la chose même. Qu'est-ce
que le Bloc magique ? C'est une machine qui assemble plusieurs élé-
ments ou lieux. A cet égard, c'est moins une ardoise qu'un bloc, le mot
bloc insistant sur la multiplicité des parties localisables de l'appareil. Ce
caractère est même si important qu'il décide en fait du sort de l'inven-
tion. Il lui permet d'être et de s'inscrire dans une longue tradition mais
il signe également sa perte.
Il existe depuis les commencements de notre culture ce que l'on a
appelé un Art de la Mémoire. Dans des civilisations qui utilisaient relati-
vement peu l'écriture, les Grecs et les Latins à leur suite, aèdes et grands
rhétoriqueurs, se sont interrogés sur la manière de conserver à l'intérieur
de soi pour pouvoir le reproduire un discours ou un chant. La méthode
qu'ils appliquent est celledes ToTtoç ou des lieux. Cicéron, dont l'influence
sera décisive, et pour l'élaboration d'une mnémotechnique et pour la
définition de la mémoire elle-même, raconte une histoire qui se passe en
Grèce et qui est pour ainsi dire le mythe de la naissance de la mémoire.
« Au cours d'un banquet donné par un noble de Thessalie qui s'appelait
Scopas, le poète Simonide de Céos chanta un poème lyrique en l'honneur de
son hôte mais il y inclut un passage à la gloire de Castor et Pollux. Mesquine-
ment, Scopas dit au poète qu'il ne lui paierait que la moitié de la somme
convenue pour le panégyrique et qu'il devait demander la différence aux dieux
jumeaux auxquels il avait dédié la moitié du poème. Un peu plus tard, on
avertit Simonide que deux jeunes gens l'attendaient à l'extérieur et désiraient
le voir. Il quitta le banquet et sortit, mais il ne put trouver personne. Pendant
son absence, le toit de la salle du banquet s'écroula, écrasant Scopas et tous
ses invités sous les décombres. Les cadavres étaient à ce point broyés que les
parents venus pour les emporter et leur faire des funérailles étaient incapables
de les identifier. Mais Simonide se rappelait les places qu'ils occupaient à
table et il put ainsi indiquer aux parents quels étaient leurs morts. Castor et
Pollux, les jeunes gens invisibles qui avaient appelé Simonide, avaient géné-
reusement payé leur part du panégyrique en attirant Simonide hors du ban-
quet juste avant l'effondrement du toit. Et cette aventure suggéra au poète
les principes de l'art de la mémoire dont on dit qu'il fut l'inventeur. Remar-
quant que c'était grâce au souvenir des places où les invités s'étaient installés
qu'il avait pu identifier les corps, il comprit qu'une disposition ordonnée
est essentielle à une bonne mémoire » 10.
9. La lettre où Abraham exposait à Freud ses vues sur le Bloc magique n'a pas été choisie
par les auteurs de la Correspondance*.
10. Frances A. YATES, L'art de la mémoire,Paris,Gallimard, 1975, p. 13. CICÉRON, De oratore,
II, LXXXVI, 351-354.
Meurtre et mémoire 1147
Il faut bien que l'analogie entre un tel appareil auxiliaire et l'organe pris
«
comme modèle ait une fin. D'ailleurs le bloc magique ne peut pas « repro-
1148 Pierre Sullivan
APRES LA REVOLUTION
Cette note est dans l'esprit du Bloc magique. Elle veut calmer notre
méfiance. Pourtant, connaissant l'oeuvre de Freud, comment admettre
que quiconque soit étranger à la mort de son père ? Depuis L'interpré-
tation des rêves, monument élevé à la mémoire d'un père mort, jusqu'à
l'hypothèse de la trace phylogénétique du meurtre du père, Freud
n'a de cesse de nous rappeler que la mort du père et la part que nous y
avons tous sont intimement liées à l'oeuvre de mémoire. C'est le fil rouge
que nous cherchions vainement dans le Bloc magique. Les mains qui
l'agitent n'ont participé à aucune révolution. Ce sont des mains inno-
centes, sans famille et qui n'ont jamais rêvé.
Les rêves nous montrent que les traces ne deviennent pas facilement
conscientes. C'est la psychanalyse qui se donne pour tâche de vaincre
les résistances et d'amener à la conscience les contenus inconscients.
C'est une main supplémentaire qui travaille au Bloc magique dont
l'extrême facilité est un leurre. Pourtant, que l'inconscient doive advenir
à la conscience, ce n'est qu'à demi vrai. Le projet initial de la psycha-
nalyse a dû être remis en question car la résistance résiste au-delà de tout
APRES-COUP
M. Pierre SULLIVAN
17, rue Albert-Bayet
75013 Paris
27. J. GILIBERT, La réminiscence et la cure, L'image réconciliée, Paris, Payot, 1979, p. 223.
RENÉ HENNY
DE L'APHASIE A LA PSYCHANALYSE
pour devenir le lieu d'une représentation qui est celle de Freud d'un
appareil psychique tel qu'il tend à le définir, aussi bien pour lui-même
que pour ses élèves, est probablement exemplaire du mouvement
épistémologique que nous tentons de définir.
Dans le contexte de la subversion de ses connaissances neurolo-
giques dans la métapsychologie, Freud
— et contrairement aux
recherches actuelles — ne semble jamais beaucoup s'être préoccupé
de la perception, ce qu'il définit la perception-conscience, « conscience
qui se donne pour ce qu'elle est ». Dans sa « Notice sur le bloc-notes
magique », en 1925, séduit par ce petit appareil, il fait une démonstra-
tion pour tenter de faire mieux comprendre à son lecteur comment il
conçoit la liaison de la perception à son inscription dans l'appareil
mnésique. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici que lorsque
Freud parle de la mémoire, il procède à la même mutation. Dans son
texte sur l'aphasie, et il le reprend dans une note importante dans la
lettre à Fliess n° 52, en décembre 1896, il définit le trouble aphasique
par un déficit de la mémoire à un étage ou à un autre de son inscription.
Il décrit trois étages mnésiques qui, selon lui, devraient pouvoir expli-
quer les phénomènes cliniques des aphasies. Dans les études sur
l'hystérie, il revient bien entendu au problème de la mémoire, mais
dans la perspective que l'on sait et il ne s'agit plus en réalité de mémoire
au sens spécifique du terme, mais bien de souvenirs dans leur liaison à
l'économie défensive conflictuelle de l'appareil psychique. Le psycha-
nalyste ne s'intéresse plus aux problèmes de mémoire dans leur spéci-
ficité. Celle-ci est plus qu'une fonction de l'appareil psychique, c'en
est une propriété centrale, liée d'une façon immuable à la conscience.
Lorsque celle-ci s'éteint ou si elle est gravement perturbée, rien n'est
alors perçu et rien n'est retenu ou à oublier. Le système Perception-
Conscience ne peut que se concevoir dans cette articulation fonda-
mentale à la mémoire et par là cet espace clinique est celui du neuro-
logue, les troubles étant évidemment liés à une pathologie de l'appareil
nerveux, mais pas l'objet de notre préoccupation. C'est bien pour
cela que Freud ne s'y est plus intéressé dès la mutation de l'Entwurf.
En analyse, mieux vaudrait probablement parler de la pathologie du
souvenir, et non pas tellement dans son inscription que dans son évo-
cation, puisque c'est là que s'inscrirait la censure. En fait, la « Notice
sur le bloc-notes magique » est exceptionnelle dans la trajectoire de
Freud puisque, dans cet article, il revient dans un certain sens à des
préoccupations plus neuropsychologiques que métapsychologiques,
encore qu'il donne au travers de ces quelques lignes un modèle de ce
De l'aphasie à la psychanalyse 1161
Pr René HENNY
1603 Grandvaux
Suisse
DIDIER ANZIEU
QUELQUES PRÉCURSEURS
DU MOI-PEAU CHEZ FREUD
1. Aubier-Flammarion, 1978.
2. Penser (...), eh bien, ce sont des inventions de la peau!... Nous avons beau creuser,
"
Docteur, nous sommes... ectodermes. » — « Ce qu'il y a de plus profond dans l'homme c'est la
peau " (L'idée fixe).
Quelques précurseurs du Moi-peau 1165
3. Cf. J. BLEGER, Psychanalyse du cadre psychanalytique (1966), trad. fr., in R. KAËS, A. MIS-
SENARD, D. ANZIEU, J. GUILLAUMIN, R. KASPI et J. BLEGER, Crise, rupture et dépassement.
Analyse transitionnelle en psychanalyseindividuelle et groupale, Dunod, 19795 p. 255-274 repris
;
in J. BLEGER, Symbiose et ambiguité, 1967, trad. fr., PUF, 1981.
4. Pour la notion d'analyse transitionnelle inventée par R. KAËS, voir l'ouvrage cité dans la
note précédente. En ce qui concerne le " Moi-peau », cf. mon article portant ce titre (Nouvelle
Revue de Psychanalyse, 1974, n° 9 : Le dedans et le dehors, 195-208) ainsi que
mes autres textes :
L'enveloppe sonore du Soi (Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1976, n° 13,161-179) et La peau :
du plaisir à la pensée, in l'ouvrage collectif dirigé par R. ZAZZO, L'attachement, Delachaux &
Niestlé, 1974.
Quelques précurseurs du Moi-peau 1169
RFP — 39
1170 Didier Anzieu
tuent, mais seulement par son image sonore. Parmi les associations de l'objet,
c'est la représentation visuelle qui représente l'objet, au même titre que la
représentation sonore représente le mot. Les relations entre la représentation
sonore du mot avec les associations autres que visuelles concernant l'objet ne
sont pas indiquées ici » 8.
ASSOCIATIONS DE L'OBJET
8. Ce schéma et son commentaire par FREUD se trouvent dans la traduction anglaise déjà
citée (p. 77). Une autre traduction anglaise du même passage comprenant aussi le schéma figure
dans l'appendice C du volume sur La Métapsychologie(SE, XIV, 214).
Quelques précurseurs du Moi-peau 1171
9. Dans la dernière phrase de ce livre, trente ans plus tard, lors de la réédition de 1925,
il remplace significativementNervensystem par Seelenleben (vie psychique).
10. La traduction française publiée indique, à tort, « système neuronique " au lieu de « système
nerveux ».
11. FREUD écrit indifféremment psychischer ou seelischer Apparat (appareil psychique ou
mental).
1172 Didier Anzieu
12. La Standard Edition a choisi pour la traduction anglaise le terme agency (agence) pour
des raisons qui sont exposées après la Préface générale (SE, I, XXIII-XXIV).
13. A ma connaissance, il n'existe pas d'étude solide sur la notion d'association chez Freud.
Une telle étude pourrait montrer comment Freud est passé des conceptions neurologique et
psychologique du terme à la notion proprement psychanalytique des associations libres.
Quelques précurseurs du Moi-peau 1173
14. Au chapitre 8 de Apprendre par l'expérience (1962), BION désigne par barrière de contact
la frontière entre l'inconscient et le conscient. Le rêve en est le prototype mais elle se produit
aussi à l'état de veille. Elle est en perpétuelprocessus de formation. Elle consiste en un rassemble-
ment et une multiplication d'éléments alpha. Ceux-ci peuvent être simplement agglomérés, ou
avoir une cohésion, ou être ordonnés chronologiquement, logiquement, géométriquement.
L'écran bêta en est la contrepartie pathologique.
1174 Didier Anzieu
15. Je remercie Jean-MichelPetot qui, par une étude minutieuse des textes, m'a aidé à
rédiger tout ce passage sur les barrières de contact.
Quelques précurseurs du Moi-peau 1175
de parcourir la voie II, plus étroite que I, et d'y ouvrir une deuxième termi-
naison (J; (en (î). Q-/) 3 ouvrira la voie la plus étroite et opérera la transmission
à travers la terminaison y (voir la figure). Ainsi, chaque voie sera débarrassée
de sa charge et la quantité plus grande en tp se manifestera par le fait que plu-
sieurs neurones, au lieu d'un seul, se trouveront investis en » (SE, I, 314-315 ;
<J>
par coupure ». Les qualités sont par contre discontinues, « de telle sorte
que certaines périodes n'agissent nullement comme des stimuli »
(SE, I, 313, trad. fr., 332-333). « La quantité d'excitations 9 se manifeste
en par une complication et laqualité par la topographie puisque, d'après
<J>
334).
On pourrait résumer cette sixième fonction des barrières de contact
en disant qu'elles servent à séparer la quantité de la qualité et à amener
à la conscience la perception des qualités sensibles, notamment du plaisir
et de la douleur, qui sont les deux plus importantes d'entre elles.
7° II résulte de leurs propriétés relatives à la quantité que l'ensemble
des neurones <J/, à la différence des neurones 9, peuvent enregistrer des
modifications et servir de support à la mémoire. C'est l'altération par le
passage qui « donne une possibilité de se représenter la mémoire (SE,
I,299 ; trad. fr., 319). « La mémoire est représentée par les différences de
frayage existant entre les neurones <b » (SE, I, 300 ; trad. fr., 320). « Il
existe une loi fondamentale d'association par simultanéité et cette loi (...)
donne le fondement de toutes les connexions entre neurones ^. Nous
trouvons que le conscient (c'est-à-dire la charge quantitative) passe d'un
neurone « à un neurone (3 lorsque a et p ont simultanément reçu une
charge venue de 9 (ou d'ailleurs), ainsi la charge simultanée «-(3 a
entraîné le frayage d'une barrière de contact » (SE, 1,319 ; trad. fr., 337).
En dehors du cas très particulier de l'expérience de satisfaction, il y a
une séparation entre la mémoire et la perception. Freud a postulé, pour
fonder cette séparation, deux types de neurones, les uns altérables dura-
blement, c'est-à-dire frayables (les neurones 9), les autres inaltérables,
toujours prêts à recevoir de nouvelles excitations, ou plutôt passagère-
ment altérables car ils se laissent traverser par les quantités mais ils
reviennent à leur état antérieur après le passage de l'excitation (les neu-
rones 9). Cette séparation de la mémoire et de la perception, sans se
ramener intégralement à l'action des barrières de contact, est cependant
impossible sans elles.
Le réseau maillé des barrières de contact constitue ainsi ce que je
propose d'appeler une surface d'inscription, distincte de l'écran pare-
quantités auquel elle est, pour sa protection, accolée.
En conclusion, les barrières de contact ont une fonction de triple
séparation de l'inconscient et du conscient, de la mémoire et de la per-
ception, de la quantité et de la qualité.
Leur topographie est celle d'une enveloppe biface dissymétrique
Quelques précurseurs du Moi-peau 1179
(mais la notion d'enveloppe n'est pas encore affirmée par Freud), une
face tournée vers les excitations du monde extérieur, transmises par les
neurones 9, et qui est à l'abri d'un écran pare-quantités ; une face
interne tournée vers la Körperinnerperipherie (la périphérie interne du
corps). Les excitations endogènes ne peuvent être reconnues qu'en
étant ramenées au cas précédent, c'est-à-dire projetées dans le monde
extérieur, associées à des représentations visuelles, auditives, tactiles, etc.
(cf. les « restes diurnes » du rêve), et enfin enregistrées par le réseau des
barrières de contact. Il s'ensuit que les pulsions ne sont identifiables qu'à
travers leurs représentants psychiques et aussi (mais là Freud ne l'a pas
explicité) que l'enveloppe psychique faite des barrières de contact a une
configuration analogue à l'anneau décrit par le mathématicien Moebius,
anneau dont la surface, se retournant par torsion sur elle-même, n'a
qu'une seule face puisqu'un mobile qui se déplace sur elle passe, sans
solution de continuité, de la face externe à la face interne, et ainsi de
suite.
Le système psychique n'est cependant pas autonome, Freud le note
bien : il est voué, au début, à l'Hilflösigkeit (à la détresse originaire) et il
nécessite l'intervention de la mère comme source de la vie psychique.
En 1923, au chapitre 2 de Le Moi et le Ça (chapitre lui-même sous-
titré « Le Moi et le Ça »), Freud redéfinit la notionde Moi pour en faire
une des pièces maîtresses de sa nouvelle conception de l'appareil
psychique.
Cette définition est illustrée par un schéma16, généralement négligé
par les commentateurs de Freud, et elle s'appuie sur une comparaison
de nature géométrique. Dessin du diagramme et texte de la comparaison
vont dans le même sens : l'appareil psychique n'est plus essentiellement
pensé dans une perspective économique (c'est-à-dire de transformation
de quantités d'énergie psychique) ; la perspective topographique gagne
en importance ; l'anciennetopique (conscient, préconscient, inconscient)
est conservée mais profondément renouvelée par l'adjonction du Moi et
du Ça, figurés en surimpressoin dans le schéma. L'appareil psychique
devient représentable d'un point de vue topographique et conceptuali-
sable en termes de topique subjective.
16. Ce schéma, ainsi que les quelques lignes de FREUD qui le commentent, est resté long-
temps fâcheusement absent de la traduction française (Essais de psychanalyse, Paris, Payot).
De plus, la traduction du chapitre en question omettait la note capitale ajoutéeà la traduction
anglaise en 1927 (je la reproduis plus loin) et elle déplaçait arbitrairement un paragraphe.
La « nouvelle traduction », parue en 1981 et due à Jean Laplanche, corrige ces oublis et
erreurs.
1180 Didier Anzieu
17. Les commentateurs ont eu tort, à mon avis, de prendre au pied de la lettre cette décla-
ration de prudence. Freud a trop souligné le rôle médiateur des pictogrammes entre les repré-
sentants de chose et la pensée verbale s'appuyant sur l'écriture alphabétique (ne serait-ce qu'afin
de déchiffrer le rébus du rêve) pour ne pas " voir » dans ce schéma des préconceptions qu'il ne
peut pas encore verbaliser et qui en restent au stade de la pensée figurative.
18. Freud renvoie à Au-delà du principe du plaisir (1920), chapitre 4, où il a introduit la
comparaison décisive de l'appareil psychique avec la vésicule protoplasmique. Le système
Quelques précurseurs du Moi-peau 1181
Pcpt.-Cs, analogue à l'ectoderme cérébral, y est décrit comme en étant l'écorce. Sa position
« à la limite qui sépare le dehors du dedans » lui permet de « recevoir les excitations des deux
côtés " (GW, 13, 29 ; SE, 18,28-29 ; nouv. trad. fr., 65). L' « écorce » consciente du psychisme
apparaît donc comme ce que les mathématiciens appellent maintenant une « interface ».
19. Chaque fois que nécessaire, j'ai amélioré l'ancienne traduction française imprimée et
parfois je l'ai refaite entièrement. Je n'ai malheureusement pas pu citer la nouvelle traduction,
parue au moment où je corrigeais les épreuves du présent article. — Les mots soulignés dans
les citations le sont par Freud.
20. Freud dira ailleurs que le Moi est une différenciation interne du Ça. La clinique confirme
bien l'idée freudienne d'un espace intermédiairefusionnel entre le Moi et le Ça (cf. l'aire transi-
tionnelle de Winnicott).
1182 Didier Anzieu
être assimilée à une perception interne » (GW, 13, 253 ; SE, 19, 25 ;
trad. fr., 238). Le Moi, en son état originaire, correspond donc bien
chez Freud à ce que j'ai proposé d'appeler le Moi-peau. Un examen plus
serré de l'expérience corporelle sur laquelle s'étaie le Moi pour se cons-
tituer amènerait à prendre en considération au moins deux autres fac-
teurs négligés par Freud : les sensations de chaud et de froid, qui sont
également fournies par la peau ; et les échanges respiratoires, qui sont
concomitants des échanges épidermiques et qui en sont peut-être même
une variante particulière. Par rapport à tous les autres registres sensoriels,
le tactile possède une caractéristique distinctive qui le met non seulement
à l'origine du psychisme mais qui lui permet de fournir à celui-ci en
permanence quelque chose qu'on peut aussi bien appeler le fond mental,
la toile de fond sur laquelle les contenus psychiques s'inscrivent comme
figures, ou encore l'enveloppe contenante qui fait que l'appareil psy-
chique devient susceptible d'avoir des contenus (dans cette seconde pers-
pective, pour parler comme Bion, on dirait qu'il y a d'abord des pensées
et ensuite un appareil à penser les pensées : j'ajouterai à Bion que le pas-
sage des pensées au penser, c'est-à-dire à la constitution du Moi, s'opère
par un double étayage, sur la relation contenant-contenu que la mère
exerce dans son rapport au tout-petit, comme cet auteur l'a bien vu, et
sur la relation, qui me paraît décisive, de conteneurpar rapport aux exci-
tations exogènes, relation dont sa propre peau
— stimulée assurément
en premier lieu par sa mère — apporte l'expérience à l'enfant). Le tactile
en effet fournit à la fois une perception « externe » et une perception
« interne ». Freud fait allusion au fait que je sens l'objet qui touche ma
peau en même temps que je sens ma peau touchée par l'objet. Très vite
d'ailleurs — on le sait et ça se voit cette bipolarité du tactile fait l'objet
—
d'une exploration active de la part de l'enfant : avec son doigt, il touche
volontairement des partie de son corps, il porte le pouce ou le gros orteil
à la bouche, expérimentant simultanément ainsi les positions complé-
mentaires de l'objet et du sujet.
Freud saute ce chaînon que je viens de rétablir pour énoncer la
conclusion qui s'impose : « Le Moi est en premier et avant tout un Moi
corporel (körperliches), il est non seulement un être de surface (Ober-
flächenwesen) mais aussi la projection d'une surface » (GW, 13, 253 ;
SE, 19, 26 ; trad. fr., 238). C'est à ce passage que se trouve, à partir
de 1927, dans l'édition anglaise, la note suivante, dont je reproduis
entre parenthèses les termes anglais importants :
" Autrement dit, le Moi dérive en dernier ressort des sensations corporelles,
principalement de celles qui ont leur source dans la surface du corps. On peut
Quelques précurseurs du Moi-peau 1183
Perception- Conscience
Pr Didier ANZIEU
7 bis, rue Laromiguière
75005 Paris
JACQUES CAÏN
L'ANNIVERSAIRE ET SA MAGIE
Nous passerons d'abord assez vite sur ce qui regarde, dans cette
retrouvaille particulière, le monde réellement objectai car, à son propos,
il semble que bien peu de chose nous concerne. On pensera en
effet, apparemment à juste titre, que c'est seulement la présentification
de l'événement qui le fera entrer dans le champ de notre sémiotique
individuelle, et que c'est seulement au « maintenant de sa survenue »
que l'extérieur suscitera en chacun l'écho personnel qui lui est propre.
Toutefois cette excursion vers le monde objectai n'est pas inutile car
elle nous rappelle le « certain poids de réalité » avec lequel peut compter
l'analyse : la date d'anniversaire est un chiffre que nous offre le calen-
L'anniversaire et sa magie 1189
en charge et c'est son moi fortement structuré qui lui permet d'exercer
à son tour une puissance phallique. Les matières ne sont plus rejetées
comme elles l'étaient antérieurement, c'est-à-dire comme la conclusion
d'un mécanisme dont le corps n'est que le lieu de passage, mais elles
deviennent produites par l'enfant qui tient sous sa toute-puissance le
cadeau qu'il offre à partir de lui-même. C'est bien toujours du pénis
paternel qu'il s'agit, mais d'un pénis qui, intériorisé dans le corps de
l'enfant, n'a plus besoin d'être réapporté quotidiennement par la
parole ou le lait maternel.
L'anniversaire signe alors, par la suite, la commémoration du
temps précis où l'enfant a construit un moi apparemment autonome
qui se rassure sur sa cohérence en élaborant que tout vient de lui-
même, même s'il s'agit toujours de ce que sa mère lui a antérieurement
injecté. Peu importe l'angoisse dont le sens pour l'instant parfaitement
dénié ou refoulé selon les cas, n'interviendra que plus tard, c'est-à-dire
précisément pour ajouter à l'ambivalence du symptôme « anniversaire ».
L'enfant à partir de ce stade se sent triompher et, reprenant à son
compte tout le métabolisme interne de l'objet, il en fait sa chose.
Nous pouvons ici souligner un autre caractère qui nous permettra
de comprendre peut-être pourquoi la célébration est annuelle, ou préci-
sément pourquoi elle a affaire d'abord avec la naissance et le retour
annuel de la date qui la précise. Ce qui marque en effet « la chose »
(fèces entre autres) d'une marque spécifique, est non pas tant l'objet
en lui-même que la rupture de celui-ci avec le corps qui l'a apporté
jusque-là. Il s'agit d'une véritable naissance, dans le sens premier
de celle-ci : on fait ses matières comme on fait un enfant et la première
rupture est bien la première naissance. On peut dire aussi que la pre-
mière rupture est la première mort et que toutes fèces séparées du corps
sont définitivement perdues. Le fait que le moi ne connaisse que plus
tard dans son évolution la mort d'autrui, nous permet peut-être de
comprendre que la notion d'anniversaire ne soit rattachée à la date
de la mort que secondairement. Parallèlement la perte contient aussi
le sens de la perte de la mère et ce n'est pas sans raison que, reprenant
comme exemple l'Homme aux loups, Pollock2 écrit que « la dépression
de cinq heures dans cet exemple peut être conçue comme marquant
l'anniversaire quotidien de la perte de la mère oedipienne ».
A ce niveau l'anniversaire se présente comme la répétition d'un
deuil incomplètement accompli, d'une perte non totalementassumée : il
2. G. POLLOCK, On Time, death and immortality, Psych. Quarter, 1971, 40, 435-446.
1194 Jacques Coin
S'il en est ainsi d'une perte de toute façon irréparable, nous allons
voir maintenant que l'anniversaire peut être envisagé comme un
mécanisme de guérison de cette dépression qui exprime un manque
impossible à combler. Dans la nature même de l'anniversaire se mêlent
les deux aspects de la naissance et de la perte, d'une façon plus complé-
mentaire que contradictoire. Si bien que dans certains cas l'anniversaire
prend la forme d'un rite conjuratoire et les manifestations qui ont
l'art pour thème nous en apportent chaque jour la preuve. Il y a eu
ainsi l'année Ingres, l'année Delacroix, l'année Courbet, années qui
célébraient le centenaire de l'artiste; cette année c'est Bartok qui
n'échappe pas à ce type de remémoration annuelle. Il est dit à propos
de ce dernier que 1981 étant son année, toute son oeuvre va être à
nouveau enregistrée ou reproduite, que l'on sortira des enregistrements
inédits, que l'on va connaître même et publier ses propres transcriptions
de musique populaire, que le fils de Bartok lui-même va publier un
livre sur son père ; et le commentateur du Monde3, d'où nous tirons
ces notes, conclut d'une façon que nous ne démentirons pas : « Bartok
ne passera pas inaperçu en 1981... Dommage qu'on ait besoin de
calendrier. »
Ainsi entendu l'anniversaire est là qui fait exhumer les morts
pour les replonger ensuite dans l'oubli, une fois que l'on est certain
qu'ils ne bougeront plus. En continuant à partir de cette remarque,
Dr Jacques CAÏN
17, rue Frédéric-Mistral
13008 Marseille
qui furent pour Freud les interlocuteurs valables, stimulant ses facultés
de traduction. La notion de transfert inventée dans la rencontre entre
une expérience personnelle et celle de Breuer avec Anna O., comme
enfant de cette rencontre (comme « rejeton ») est le prototype de la
créativité théorique freudienne. La notion de transfert constituait un
instrument de connaissance dans plusieurs directions, puisqu'elle
différenciait à la fois le passé et le présent, la personne du père et
celle du thérapeute, faisant du même coup apparaître le processus
qui les condensait, et une ouverture nouvelle sur les rapports entre
mémoire et perception. L'effet thérapeutique du souvenir dans sa
réapparition hypnotique avait été un premier pas, mais qui ne per-
mettait pas la généralisation d'un modèle de fonctionnement psycho-
logique, indépendant de l'hypnose et d'un état pathologique que
Breuer définissait comme « hypnoïde ».
Les étapes de la pensée de Freud concernant ces rapports entre
mémoire et perception suivent alors celles de sa relation avec ses
patients, et grâce aux rêves (ce sont aussi les hystériques qui lui ont
montré la voie, mais elles ne lui ont montré que parce qu'il a accepté
de recevoir leur message, quelle que soit la forme de leurs énonciations1)
celles de son auto-analyse qui marque le passage définitif entre les
tentatives de théorisation physiologique et psychologique. Les vicis-
situdes du mot « métapsychologie » dans les lettres à Fliess constituent
un fil conducteur. Les lettres du 13 février 1896 et du 2 avril 1896,
c'est-à-dire avant la mort de Jacob et la « névrose de transfert » qui
la suivit, contiennent pour la première fois ce mot qu'il associe à ses
aspirations philosophiques et à leur satisfaction dans le passage de
la médecine à la psychologie. Comme il le dira plus tard, la méta-
physique est une projection sur le monde extérieur du monde intérieur,
et la métapsychologie est l'ensemble de la connaissance sur le monde
intérieur, y compris le sens caché, inconscient, inconnu. C'est après
la mort du père, le travail de deuil et le transfert sur Fliess, que le mot
prend un nouveau sens : « Au-delà de ces considérations (sur la psycho-
pathologie) se dissimule mon enfant idéal, mon enfant problème :
la métapsychologie » (12 décembre 1896). Le travail sur le rêve, nous
savons qu'il est l'enfant du père, à sa naissance, mais qu'il devient,
en même temps que le premier édifice métapsychologique, le témoin
de la découverte oedipienne et du désir incestueux. La lettre du
1. La rencontre décisive entre les patientes et Freud qui fut le rêve de l'Injection faite à
Irma, réseau de rencontres entre l'hystérie de Freud et celle de la patiente, entre le rêve et l'hys-
térie, fait théoriquement, de l'hystérie, un système de fonctionnement mental.
La topique et le temps 1201
De l'hystérie au rêve
8. Ibid., p. 311.
La topique et le temps 1209
Du rêve au transfert
note a été ajoutée en 1917 où les deux systèmes sont devenus deux
« personnes », et à une étape de la théorie où le « moi » et le narcissisme,
la dramatisation topique interne évoluait vers une « personnalisation »
des systèmes et de leurs conflits — comme celui du couple homme-
femme par rapport aux désirs — à l'intérieur du moi. Le rêve de Freud
analysé en détail par D. Anzieu : « Mère chérie et personnages à becs
d'oiseaux » marque justement un tournant dans la réflexion de Freud
du point de vue de cette économie du rêve, et nous permet de l'associer
à la cure et au transfert.
On sait que ce rêve est le seul que Freud rapporte de son enfance
et qu'il interprète son réveil plein d'angoisse, non à la représentation
de la mère morte, mais à l'effet économique du désir sexuel, plus ou
moins confus et refoulé contenu dans le transport de la mère endormie.
La mort de la mère comme représentationest une élaboration secondaire
de l'angoisse. La vue de la mère au réveil fait cesser aussitôt l'angoisse.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette expérience complexe. Je n'en
retiendrai que ce qui permet de faire le lien entre le travail interne des
représentations, les affects, et les relations aux objets extérieurs. Si l'idée
de la mort (l'expression du visage de la mère dans le rêve était la même
que celle du grand-père sur son lit de mort peu de jours avant, et les
personnages à becs d'oiseaux rappelaient ceux du monument funéraire
égyptien) s'est ainsi imposée, c'est qu'elle apporte une représentation
de mot susceptible de se lier à une expérience émotionnelle impliquant
la sexualité, mais aussi la disparition de la mère, la nuit, emportée par
le père. Absence et sexualité sont intriquées par le remaniement des
investissements au moment du passage entre le jour et la nuit, et le
reflux de l'excitation sur le corps propre. Si la perception de la mère
est rassurante, c'est que l'investissement a retrouvé sa liaison et sa
régulation économique par les échanges avec elle. Nous retrouvons
dans cette séquence, à une autre époque, le modèle de l'expérience
originaire de la satisfaction, et la nécessité de la répétition de la même
retrouvaille de la « personne bien au courant » comme étayage, non
de la sexualité, mais de la psychisation de la sexualité et de son expres-
sion compatible avec les formes particulières, à chaque époque, de
transcription. La défaillancedes conditions d'étayage10 qui maintiennent
cet équilibre a un effet de condensation des traces mnésiques qui,
comme le dit Freud, ne peuvent plus se décharger que dans la motilité,
voire, comme les études psychosomatiques nous le montrent, dans le
10. La « confusion des langues » entre adulte et enfant dénoncée par Ferenczi.
La topique et le temps 1211
11 Ibid., p. 431.
La topique et le temps 1213
Du transfert à la répétition
12. A. GREEN, Répétition, différence, réplication, RFP, mai 1970, XXXIV, p. 461-501.
La topique et le temps 1215
une lanterne non moins magique apte d'ailleurs à prendre l'allure d'une
vessie. Cet envahissement de la scène opéré au détriment du système
perception-conscience contraint le moi à bien des rationalisations.
Au cours du chapitre VII de L'interprétation des rêves, Freud signale
qu'entre le fonctionnement mental vigile et le nocturne, il n'existe en
fin de compte que des différences quantitatives.
Le problème posé par la figurabilité des contenus préconscients
verbaux (ou autrefois préconscients) tels qu'ils apparaissent dans les
rêves fut abordé à plusieurs reprises par Freud. Ce même processus tel
qu'il se manifeste durant la vie vigile en général n'a reçu par contre que
des explications implicites. Ainsi, la notion de distance décrite par
M. Bouvet en tant qu'aménagement de la relation d'objet impliquait
l'infiltration de la réalité par une représentation fantasmatiquedominant
économiquement les données fournies par la perception. Parler de pro-
jection ne résout nullement le problème : qui dit projection dit inter-
prétation verbale subversive des données de la perception, ce qui la
différencie des dramatisations hystérique ou obsessionnelle.
Freud, dès l'orée de son oeuvre, décrit des « transferts » activés par la
fréquentation vigile de certains personnages. N'est-ce pas un besoin de
maintenir une conception simplifiée du transfert qui fait que le point
essentiel du phénomène a été insuffisammentétudié : que devient en une
telle occurrence la réalité du personnage sur qui s'opère le transfert ?
Dans quelle mesure un processus de figurabilité issu d'une certaineforme
de régression activée par des pensées mises en latence ne donne-t-il pas
au personnage qui provoque le dit transfert ses propres traits, son vrai
faux visage ? Que restait-il du vrai Dr Breuer, celui qui prit la fuite,
quand Bertha Pappenheim innervait hystériquement un corps accou-
chant d'un enfant d'un autre Dr Breuer ?
Si, à plusieurs reprises, Freud insista sur l'analogie existant entre le
rêve et le symptôme, il n'apporta qu'indirectementdes précisions sur ce
problème de la déformation des données de la réalité par une certaine
figuration : la crise hystérique s'accompagnant d'une éclipse de la cons-
cience n'est qu'une figurabilité inscrite dans un circuit d'innervations
hystériques ; c'est au cours d'une éclipse de conscience de Berta Pappen-
heim que Breuer entend parler d'un personnage qui porte son nom :
n'y a-t-il pas là de quoi parler de « vapeurs hypnoïdes » ? Un pas de
plus et les vapeurs hypnoïdes deviennent « belle indifférence », belle
indifférence dont la conversion hystérique serait la gardienne ? N'est-ce
pas d'ailleurs à propos des crises hystériques et des troubles de conver-
sion que Freud va montrer une analogie qui confinera à l'identité entre
Bloc-notes et lanterne magiques 1223
cité plus haut de l'individu dont le choix sexuel s'oriente vers une repré-
sentation par le contraire d'un de ses objets oedipiens, l'élaboration
secondaire qui justifiera ce goût éliminera apparemment le poids de
l'action de cette censure dont la présence, cependant, fait que ce choix
est en lui-même une réalisation hallucinatoire du désir. Nous sentons
qu'un tel point de vue qui sépare la réalisation hallucinatoire du désir
(résultat du retournement en son contraire) de la satisfaction sexuelle
obtenue avec un objet choisi soi-disant pour des raisons définissables se
rapproche de la description du clivage du moi, 1938. Dans la proposi-
tion : « Mon père est mort, pourquoi ne rentre-t-il pas ce soir ? », la
première partie obéit au principe de réalité (à un idéal), la seconde à un
souci d'atténuation de ladite réalité tout en satisfaisant, par son absur-
dité même, un désir. Cette seconde partie de la proposition est dominée
par une censure quasi identique à celle active dans le rêve. Le sujet qui
formule cette proposition ne perçoit pas le mot d'esprit cynique qu'elle
contient d'une part, et l'analogie dynamique avec celle qui gouverne la
cyclothymie d'autre part. Retenons après cette brève discussion que le
mécanisme décrit par Freud sous le nom de clivage du moi peut servir
à l'étude des problèmes posés par l'apparition d'un type de figurabilité
au cours de la vie vigile. La censure de la seconde partie de la proposi-
tion sus-mentionnée vise, en même temps qu'une réalisation halluci-
natoire, à masquer l'effroi hé à la perception d'un manque. Elle a un rôle
pare-excitations grâce à l'organisation d'une absurdité qui selon Freud
symbolise justement la mort du père.
En utilisant le terme clivage selon le mode kleinien, autrement dit,
tel qu'il a été introduit par Freud parlant du jugement d'attribution en
tant que système de pensée précédant la négation, il pourrait être avancé
que le rêve n'est qu'un cas particulier d'un fonctionnement plus général
dominé par ce jugement d'attribution. Tout un chacun régresse si facile-
ment à ce genre d'activité mentale qu'on peut effectivement se demander
à la suite de Freud si le haut et constant degré d'investissement qu'exige
l'objectivité est souvent atteint, ne serait-ce que brièvement. Dans
l'exercice du jugement d'attribution l'action d'une censure est évidente,
c'est là même la définition banale de la censure. Qu'il puisse se produire
au sein d'une pensée idéologiquement construite une infiltration par des
rejetons issus d'un investissement préconscient mis en latence et restant
attaché à l'objectivité lors de la régression vers l'idéologie, cela est évi-
dent car on en connaît le rejeton figuré : le bouc émissaire. Ce fait n'est
signalé que pour montrer qu'il ne nous échappe pas, combien il est
difficile de fixer les limites aux problèmes posés par la figurabilité.
Bloc-notes et lanterne magiques 1225
10. Il ne nous échappe pas que nous venons de traiter de la métaphore en particulier et des
procédés de langage en général.
Bloc-notes et lanterne magiques 1237
du rêve, une autre censure, originaire en quelque sorte, ayant fixé dans
des figurations les reliquats d'une langue fondamentale,locution emprun-
tée à Schreber. Grâce à ce symbolisme, cette langue serait restée
« vivante ». Créée, selon Freud, par un
souci d'atténuer la détresse
qu'entraînaient les actions imposées par la nécessité, elle n'y parvint
qu'en donnant à ces tâches des appellations erotiques. Une lecture dou-
blement légère de cette hypothèse lui confère un aspect quasi grivois :
« Faisons vite la chose pour aller ensuite la refaire. » La détresse, conjointe
à la nécessité, porte atteinte à l'animisme de la pensée en imposant la
réalité qui exige non seulement une action, mais aussi la conservation
d'un modèle d'action. L'apparition du double sens ainsi décrit pose la
question : « L'existence de l'expression erotique n'a-t-elle pas été fixée
simultanément par la rigueurde l'action codifiée exigée par la nécessité ? »
Avant que ne se manifeste la pression de la nécessité, n'importe quel
enchaînement pulsionnel de représentations sensori-motrices pouvait
faire l'affaire. L'action codifiée, symbolisée, enseignable s'impose là où
l'animisme de la pensée s'ouvre sur une béance révélant le réel : la réalité
comprend donc un code inscrivant les moyens de résoudre l'état de détresse.
Une conception double de la sexualité s'ensuit : l'une soutenue par la
nécessité de conserver l'espèce, elle se trouve liée étroitement aux moyens
de réduire l'état de détresse, pouvant par exemple s'exacerber quand la
dureté des temps menace par trop l'espèce ; l'autre vise par tous les
moyens à dénier le deuil imposé par l'établissement du code — y compris
celui qui vise à préserver l'espèce. Ce déni comporte systématiquement
une visée de destruction de l'utile par le plaisir. Ainsi exposé, il est évi-
dent que peut s'entrevoir l'abandondu mythede la langue fondamentale :
cette sexualité qui a besoin du code de conservation, ne serait-ce qu'afin
d'y trouver le matériau pour recréer un objet imaginaire (c'est-à-dire
délivré du code), est tout simplement la sexualité infantile, celle dont les
manifestations figurées et remaniées sont repérables au cours des cures
psychanalytiques. Le message maternel de menace de castration par le
père, prodigué sous de plus ou moins multiples formes contient, ainsi
résumée, toute la culture attachée aux instincts de conservation de
l'espèce. Si, subjectivement, il met en place un des principaux éléments
du conflit oedipien, objectivement, il assure la conservation d'une autre
culture, celle de l'inconscient, liée à une toute différente conception du
plaisir. C'est au mythe de la langue fondamentale que semble se rat-
tacher l'opinion selon laquelle chacun reçoit son propre message de
l'autre selon un mode inversé. Cette formulation qui contient l'évocation
d'une exacerbation de l'auto-érotisme en réponse au message maternel
1238 D. Braunschweig et M. Fain
1. S. FREUD, L'interprétation des rêves, SE, vol. V, p. 536-540 (éd. franc., p. 455-460) et
Au-delà du principe de plaisir, SE, vol. XVIII, p. 27, et A Note upon the Mystic Writing
Pad (1925), SE, vol. XIX.
2. « Un individu se compose ainsi pour nous d'un ça psychique inconnu et inconscient
auquel se superpose le moi superficiel, émanant du système P comme d'un noyau... ".
« Le moi est une partie du ça ayant subi des modifications sous l'influence directe du monde
extérieur et par l'intermédiaire de la conscience-perception », Essais de psychanalyse, " Le Moi et
le Ça », Petite BibliothèquePayot, p. 192 et 193, trad. JANKÉLÉVITCH, SE, vol. XIX, p. 24 et 25.
Rev. franç. Psychanal., 5/1981
1244 Ruth Hayward
3. Dans cet ordre d'idées, il faut noter que FREUD ne rattache pas ce débat sur le temps à la
fonction du Pcs, ainsi qu'il le faisait dans son article sur « L'inconscient», SE, vol. XIV, p. 188,
et en fait il ne situe pas de manière explicite le Pcs dans son analogie du Bloc magique.
4. Voir, par exemple, D. MELTZER et al., Explorations dans le monde de l'autisme, London,
Cluney Press, 1975.
Commentaires sur le bloc magique 1245
12. Geneviève HAAG, Introduction, MELTZER et al., Explorations dans le monde de l'autisme.
1248 Ruth Hayward
ANAMNESE
13. James GAMMIL et Ruth HAYWARD, Névrose infantile et position dépressive. Revue
française de Psychanalyse, 5-6/1980.
Commentaires sur le bloc magique 1249
son père. La musique était toujours présente dans sa vie. Pendant son allaite-
ment on lui passait des disques de Fauré et de Debussy et, toutes les nuits,
il était bercé au son des quatuors à cordes.
Les parents décrivaient comme idéaux la grossesse, l'accouchement et la
naissance de cet enfant tant désiré. Ils prirent la peine de trouver un médecin
et un hôpital qui permettent au père d'assister à la naissance. Ils apportèrent
à l'hôpital un électrophone de telle sorte qu'ils puissent pendant l'accouche-
ment entendre la symphonie pastorale de Beethoven.
Après une délivrance normale, il fut posé sur le ventre de sa mère pendant
trois heures durant lesquelles celle-ci somnolait en écoutant cette musique.
Pour une raison inexplicable, dans cette clinique rien n'était prévu pour que le
bébé reste auprès de sa mère et Billy alla tout droit à la nurserie. Ensuite,
il n'eut plus de contacts réguliers avec sa mère ; ce n'est que dix-huit heures
plus tard que l'allaitement commença. La mère raconte qu'il prit tout de suite
le sein avec beaucoup d'enthousiasme. Six semaines après sa naissance, les
parents entreprirent une tournée de concerts et pendant un jour la mère
n'eut pas de lait. Billy prit alors le biberon sans protester. La mère se souvient
avoir éprouvé le besoin d'écouter de la musique pendant qu'elle l'allaitait
(elle me fit penser à l'histoire de Clara Schumann qui nourrissait ses bébés
entre deux rappels). Le sevrage fut précipité lorsque, six mois plus tard,
la mère eut l'occasion de jouer dans un festival de grand prestige. Pendant
qu'elle préparait le concert, son lait diminua et Billy fut nourri au biberon ;
il le prit sans protester. Elle se souvint avoir éprouvé du dépit à l'idée que
Billy semblait avoir oublié les moments importants qu'ils avaient passés
ensemble tous les deux. Elle repoussa ce sentiment : il devait être le plus sage
de tous les bébés car il ne pleurait pas. En y réfléchissant, la mère raconta
qu'il avait toujours été un bébé raisonnable que l'on pouvait aisémentpersuader
et que, par conséquent, les châtiments corporels n'avaient pas été nécessaires.
Compte tenu qu'il avait parlé très précocement, il semblait naturel de tout lui
expliquer.
Comme ils n'envisageaient pas d'avoir d'autres enfants, à cause des exi-
gences de leur profession, les parents consacraient beaucoup de temps à Billy
et à lire des livres sur le développement des enfants. Ils furent blessés de
découvrir que Billy paraissait mal à l'aise, pleurait et protestait qu'il ne voulait
pas aller à l'école. La mère affronta sa déception et s'arrangea pour écourter
ses tournées musicales. Ceci impliqua de longues et dures séparations d'avec
son mari bien-aimé pour donner à Billy une chance de « se trouver ».
Elle resta fidèle à cette décision qu'elle garda avec autant de fermeté qu'elle
en mettait à affronter ses responsabilités artistiques. Du point de vue d'une
situation de holding optimal, elle amena Billy régulièrement, cinq fois par
semaine durant tout le temps de son analyse.
Au cours des entretiens préliminaires, le plus significatif fut l'impuissance
des parents concernés à élaborer tout malaise ou souffrance liés à leurs propres
difficultés dans leur enfance ; enfance qui, en fait, s'était déroulée de
manièreplus désordonnée et irrégulière que celle de Billy. Quand on demandait
à cette petite famille ce qu'ils pensaient du sentiment d'insécurité associé à
cette vie itinérante, ils répondaient en choeur : « Mais nous adorons vraiment
cela. » Billy ajoutait, avec enthousiasme : « J'en suis fou. »
A la naissance de Billy, ses parents continuèrent à éprouver des difficultés
à accepter la douleur liée à la dépression. Ils cachèrent leurs angoisses derrière
une conception « hyper-idéalisée » de la naissance — conception qui excluait
la douleur liée à la dépression. En s'identifiant profondément à la souffrance
de Billy, à sa naissance, ils ne pouvaient pas représenter un contenant adéquat
1250 Ruth Hayward
Première séance
rue contre le mur et s'y colle. (En se sentant non contenu il éprouve
la pièce comme un espace illimité dans lequel il pourrait tomber
— le
grand bond, aussi. On peut le comparer au sentiment d'un astronaute
jeté dans l'espace sans son costume spatial (Bick). Il le ressent aussi
comme si c'était dans une relation de surface avec le corps de sa mère
et non pas comme un bébé solidement tenu.) D'un autre grand bond
il ouvre la boîte de jouets et saisit un cube qu'il agrippe avec la main
tandis qu'il retourne en courant se coller contre le mur. (Quand le
manteau et l'écharpe échouent à maintenir le sentiment d'être tenu,
le cube devient alors son « centre ».) Il touche le sol du doigt et revient
vers la boîte de jouets où il ressort plusieurs fois le cube. (Avec son
doigt, il explore le sens de contenant. A-t-il un fond ? Le cube représente
son sentiment d'être tantôt tenu tantôt non tenu. Il ressent son objet
comme instable à l'intérieur de lui. Il pourrait aussi éprouver une
confusion entre lui et son objet. De toute façon, qui a réellement le
problème de se séparer ?) Il trouve alors un bout de ficelle et l'entoure
autour de son cou (comme le manteau, l'écharpe et le cube n'arrivent
pas à le tenir, la ficelle le pourrait : et aussi la ficelle autour de son cou
peut l'aider à maintenir ses angoisses hors de sa tête). Il jette la poupée-
papa sur le sol (l'analyste est maintenant associé à « se mettre entre
sa mère et lui »). Quelques secondes plus tard, il regarde le miroir
sur le mur et s'en approche avec un grand sourire. (Ici Billy commence
à utiliser le miroir comme représentant les yeux et le visage de sa mère
qui réfléchit un self beau et non violent après qu'il eut jeté la poupée-
papa par terre. Ceci est devenu une métaphore au cours des années de
travail ensemble.) Puis il gomme le miroir et dessine dessus avec son
doigt, un cercle et un point au centre. (Après son attaque fantasmatique
contre le papa il veut effacer sa violence des yeux de sa mère. Le point
veut dire que lui seul doit être dans la pensée de sa mère.) Il sort alors
deux cubes et les jette sur le sol et il fait comme s'il était étranglé.
(Quand il fait l'expérience de la fonction contenante représentée par
les deux cubes-seins, il doit dénier son besoin d'un objet de dépendance
introjective, lequel dans son fantasme menace de l'étrangler.) Puis il
sort un bus — jouet à deux étages sans toit et me demande ce qui est
arrivé aux escaliers et au toit. (Il craint, s'il trouvait l'objet dont
il a besoin, de devoir affronter sa violence inexprimée. Ceci peut
aussi se rattacher à la réaction de sa mère à ce qu'elle avait éprouvé
avoir été un premier allaitement dans l'enthousiasme mais qui fut
vécu par Billy comme avide et provoquant la rage. Ceci peut provoquer
une confusion entre la partie avide de lui-même et celle qui a besoin
Commentaires sur le bloc magique 1253
Deuxième séance
(après l'interruption du premier week-end)
Troisième séance
(environ seize mois plus tard ; Billy a commencé l'école et nous avons
eu une interruption de cinq jours pour un congé)
Maintenant la mère de Billy le laisse emporter avec lui son manteau
dans la salle de thérapie, mais elle se plaint que la chaise de ma salle
d'attente soit cassée. Il entre dans la pièce et donne un coup de pied
à la corbeille à papier. Ensuite il met la poupée-garçon dans la baignoire
(l'analyste est une poubelle. Les mères analystes sont là pour recevoir
toutes les saletés du bébé et les nettoyer. Est-ce qu'à présent il est en
train de cliver le sein nourricier pour ne pas l'abîmer avec ses mau-
vaises intentions ? L'analyste n'est qu'un cabinet maintenant). Il me
dit : « Vous savez, ma mère, elle est belle ! » (Les objets extérieurs sont
maintenant les bons introjets.) Puis il jette les jouets sur le sol. Je relève
qu'il pense que je dois tout nettoyer et que je ne suis pour lui qu'une
poubelle. Il va vers le miroir et sourit d'une manière railleuse. (Il
remet ses bonnes intentions dans le miroir.) Un peu plus tard dans la
séance, il marche en se pavanant comme un « dur » et me crie des ordres.
Puis il déchire du papier en morceaux et fait des trous dedans.
(Billy montre ici qu'il a développé le type d'organisation « seconde
peau » dominé par l'identification projective. La partie « dure » reflète
la peau de l'objet à l'intérieur de laquelle il vivait tandis que le papier
déchiré en morceaux avec des trous était des parties de lui-même à
l'intérieur de son objet impénétrable.) A un autre moment, il me dit
Commentaires sur le bloc magique 1255
que j'ai l'air très très mince. Ceci le jette dans des éclats de rire et
ensuite de moquerie envers moi. (Il recouvre son angoisse d'avoir
beaucoup trop pris de moi puisqu'il a passé de bonnes vacances et
qu'il découvre qu'aller à l'école est beaucoup plus facile et agréable
après un démarrage très difficile.) Il coupe ensuite les coins de ses
papiers et je souligne qu'en revenant je lui coupe les ailes et fais qu'il
se sent humilié.
(Il craint de ne pas pouvoir progresser et grandir et se développer
s'il abîme toujours mes interprétations-caca au lieu des interprétations-
bon lait.) Il revient au garçon dans la baignoire en pâte à modeler et
dit qu'il fait pipi partout et puis il piétine la poupée-fille. Les filles
ont des seins qu'elles peuvent emporter partout avec elles mais les
garçons sans sein ne peuvent pas être nettoyés comme il faut quand
ils sont abandonnés par leurs mères. Le rire peut indiquer qu'il sent
qu'il n'y a pas une couche suffisamment grande pour contenir toute
sa moquerie. (Son pipi est un flot de bêta-éléments évacués !)
Il dessine alors sept fleurs que j'interprète comme étant son désir
que nous n'aurions jamais à nous séparer. Plus tard, les fleurs deviennent
des points dentelés et ensuite des étincelles (sous la forme du déman-
tèlement il tente de contrôler sa rage provoquée par la jalousie oedi-
pienne ainsi que par la douleur de la séparation). Je mentionne la
plante dans notre pièce, il ressentait qu'elle avait reçu un bon arrosage
tandis que je l'abandonnais au désert. Il dessine alors un triangle
pointe en haut, des marches d'escalier montant à une fenêtre et ensuite
une petite croix avec un point au centre. (Oserais-je penser que d'une
façon très primitive il reconnaît qu'il y a des escaliers qui peuvent
monter à un sein-fenêtre, lequel peut le tenir rassemblé comme le
fait le petit point au centre de la croix ? Ceci pourrait-il être le début
d'une acceptation très primitive d'un couple uni à l'intérieur de lui ?)
DISCUSSION
14. James GAMMIL, Some Reflections on Analytic Listening and the Dream Screen,
Int. F. Psycho-Anal.(1980), 61, p. 379. Réflexions sur l'écoute psychanalytique et l'écran du
rêve, Revue française de Psychanalyse, 1/1981, p. 700.
Commentaires sur le bloc magique 1257
15. B. D. LEWIN, Sleep the Mouth and the Dream Screen, Psycho-Anal. Q. (1945)1 15,
p. 419-434 ; Dream Psychology and the Analytic Situation, Psycho-Anal. Q. (1955)5 74,
p. 169-199.
1258 Ruth Hayward
16. S. FREUD, L'interprétation des rêves, p. 457 ; la traduction française est beaucoup moins
emphatique que la version anglaise (SE, vol. V, p. 539) : « The perceptual System «... has no
memory whatsoever... » and its «... clements would be intolerably obstructed in performing
their function if the remnant of an earlier connection were to exercise an influence on fresh
perceptions ». »
Commentaires sur le bloc magique 1259
Note bibliographique :
Pour la bibliographie, on peut se reporter à celle qui figure dans l'article de J. GAMMIL.
et R. HAYWARD, Névrose infantile et position dépressive, Revue française de Psychanalyse,
5-6/1980.
Voir aussi :
Les premiers articles de FREUD sur « L'inconscient » (1914), " Le narcissisme " (1914) et
" La régression » (1915), SE, vol. XIV.
D. MELTZER, The Psycho-Analytical Process, London, Heinemann, 1967.
RFP—42
1266 Jean Gillibert
Dans le mot d'esprit, la mort est conjurée parce que la mort a parlé. Les
témoins-vivants ont eu l'art de la faire parler.
La transmission de pensée illusionne cette présence de la mort, mais sans
humour... et rétablissant le climat du nefas, du funeste, des terreurs psycho-
logiques.
Mais on peut toujours penser que la culpabilité par angoisse de mort est
de la métaphysique pour imbéciles.
Je ne rappellerai ici que ce que j'avais longuement développé au sujet des
tables parlantes de V. Hugo 2. Nous connaissons par le « Livre des tables »
le compte rendu des protocoles des expériences à Jersey des tables tournantes.
« Ça a parlé » ; « Ça a pensé » en termes strictement hugoliens, en logomachie
de signifiants. Mais la vérité extrême de l'histoire est que dans un climat
d'exil, de catastrophe, de haute tension coupable, de vengeance et d'expiation,
la fille morte des Hugo s'est mise à « parler » et elle dit en substance : « Souffrir
pour l'autre monde », c'est-à-dire expier. Le texte des tables lors de l'apparition
de Léopoldine est admirable de compréhension sur l'animé-inanimé.
Par exemple : « Pourquoi plaignez-vous ce qui est gracieux dans la souf-
france et ne plaignez-vous pas ce qui est difforme dans l'expiation ? Pourquoi
avez-vous de la pitié pour la matière organisée et non pour la matière brute ?
L'une et l'autre sont à plaindre. Vous plaignez Socrate, plaignez aussi la ciguë.
Vous plaignez Jésus-Christ, plaignez aussi la croix, etc. »
Evidemment ceci n'est pas pour les « positivistes » car ils ne comprendront
jamais le dialogue avec les morts, car le positivisme (le néo-positivisme du
signifiant en est encore le témoignage) a déjà détourné le funeste (vite, des
jeux de mots ! mais vite !), il a déjà apaisé toute vengeance, détourné toute haine,
mais les morts qui reviennent hanter les vivants, qu'en font-ils ? L'esprit
des morts qui est en nous, ce « malaise » des civilisations, par quoi se carac-
térise-t-il le plus ; que devient-il ?
Ce qui est admirable dans l'histoire des tables parlantes de Victor Hugo,
c'est que si tous les participants à ces séances ont cru, dans une hypnose
collective, que c'était bien Léopoldine qui leur parlait, Hugo, seul, a cru que
c'était l'esprit de Léopoldine qui parlait. D'esprit à esprit : dans cette commu-
nication « spirituelle », le don poétique d'Hugo se ressourça. Il s'identifia à
l'esprit de la morte chérie.
Dans ce rêve collectif où l'appareil devint table, seul Hugo sut dépasser
cette « fin du monde » de la paranoïa. Cette finalité du monde que le rêve trace
ou déterre. La finalité du monde est que l'homme rêve et devient « poète »
(s'il le peut), que l'homme rêve pour saisir s'il le peut le sens de sa séparation
d'avec le monde (cette séparation est d'abord, avec le désinvestissement
objectai, un deuil narcissique, un deuil d'identité).
L'analogie de la transmission de pensée (rêve collectif au moins à deux)
remment cette image n'est qu'une fiction théorique, et que stricto sensu elle
ne bouge pas.
Mais ne faut-il pas admettre, contre Freud et surtout avec lui, contre tout
l'esprit de la neuro-physiologieclassique et pourtant avec elle, que le « sensible »
c'est déjà du mouvement.
C'est d'ailleurs l'historique de l'appareil psychique et partant de la notion
d'appareil qui le confirmerait. L'appareil psychique en son mouvement historique.
C'est une « invention » de Freud, sub-déterminée par la notion de l'arc
réflexe (sensible, mouvement actif).
Pour Freud, il lui fallait résoudre la contradiction entre le mécanisme et
l'énergétisme (d'où l'influence de Helmholtz).
L'appareil permet de supposer un état du monde réel, tel qu'il existe,
non connaissable, mais existant.
Freud prolonge l'invention kantienne mais il dit aussi que supposer que
le monde extérieur n'existe pas c'est déjà être malade. Etre existant et être
connaissable sont deux choses fort différentes. Mais l'appareil est partie
intégrante de l'homme et non du monde, bien qu'avec le monde il entretienne,
par sa face « sensible », un rapport net, brut, à nu... (cf. en cela, Freud et ses
descriptions).
Contact direct du sensible ne veut pas dire communication directe. Le
moi est séparé du monde parce qu'en contact avec le monde, y compris contact
topologique.
Voyons ce qu'écrit, d'une part Heisenberg, La nature de la physique contem-
poraine : « Dans l'avenir les nombreux appareils techniques seront peut-être
aussi inséparables de l'homme que la coquille de l'escargot ou la toile de
l'araignée mais même en ce cas, ces appareils seraient des parties de l'orga-
nisme humain, plutôt que des parties de la nature environnante. » D'autre
part, Ferenczi, dans La psychogenèse de la mécanique (se référant à Mach) :
« Je ne puis enfin passer sous silence le libre esprit animiste qui imprègne
l'oeuvre de ce remarquable connaisseur de l'univers physique. Mach n'hésite
pas à admettre qu'un mécanisme en lui-même devrait être immobile, car
seule l'énergie peut introduire le mouvement dans un système mécanique et
comme Leibniz l'a déjà fort bien formulé : l'énergie a quelque chose de
commun avec la psyché. »
Ces deux citations situent bien l'enjeu d'une vérité mal comprise par la
pensée dite occidentale — enjeu et débat entre le mécanisme et l'énergétisme
autour du premier moteur immobile d'Aristote :
— mécanisme disant toujours le mouvement perpétuel d'immobilité ;
— énergétisme lançant le mouvement du premier moteur ;
— oubli que le sensible est déjà mouvementet que le repos n'est pas l'immobilité.
Il faut bien comprendre la notion fictive d'appareil psychique comme suite
et fin de l'arc réflexe mais aussi comme effet de dédoublement fictif des organes
Quand Psyché est magique 1273
des sens. Psyché double le sensoriel chez Freud et cela fait singulièrement
question!
Quand nous nous débarrassons de nos organes sensoriels et moteurs,
nous retombons sur leur doublet psychique dont le fonctionnement est tout
autre que la physiologie des sens ou motrice.
Faire de la psyché l'âme troublée des sens, il n'y a qu'un pas ; ou l' « âme »
troublant les sens et, partant, la raison, le pas est le même.
Il y a Course de Freud autour de cette question : qu'est-ce que le mécanisme ?
Cette course se repère surtout dans L'Esquisse, Les lettres à Fliess, L'inter-
prétation des rêves, La formulation des deux principes, La métapsychologie, L'au-
delà du principe de plaisir, L'abrégé de psychanalyse, et... Le « bloc magique »...
On pourrait donner comme première conclusion à cette course : « Psyché
est étendue mais elle n'en sait rien » (sic Freud).
Il faut faire ici quelques remarques :
1° L'appareil psychique est une symbolisation de l'appareil génital (mas-
culin, phallique), parce que la sexualité de la reproduction dépasse et le monde
et l'espèce humaine elle-même. Il faut payer ce dépassement par le masochisme
érogène. Il n'y a pas de plaisir « pur ».
2° C'est tout le système de l'appareil qui est magique, parce que c'est
une logique de système et non seulement l'inconscient qui en son origine est
une fragmentation pré-animique, hylozoïque (sic Freud).
3° Toutes les maladies sont des dysfonctionnementsde l'appareil — hormis
l'hallucination, il n'y a pas de « destruction » de l'appareil ; dans l'hallucination,
l'appareil ne sert plus à rien.
4° L'appareil ne peut pas être pensé « psychiquement ».
5° L'appareil est une fiction théorique au même titre que les processus
primaires.
6° L'appareil est développé à partir du modèle des organes sensoriels. Il
est en analogie duplicative.
7° La table magique confirme, par une matérialisation, la kinesthésie de
l'inscription, la magie blanche du temps dans le principe d'alternance (cf. Le
« bloc magique » de Freud), c'est-à-dire que si l'hallucination n'est plus une
inscription, l'appareil ne peut plus penser ce par quoi a commencé l'Inconscient
(le pré-animisme) et la machine désirante triomphe de toutes les difficultés
mais ne dit rien.
L'appareil psychique est bien une invention de Freud à partir de cette
histoire de la notion d'arc réflexe (voir en cela La formation du concept de
réflexe de Georges Canguilhem dont je me suis beaucoup servi).
Il a toujours existé des contradictions permanentes entre vitalisme éner-
gétique et mécanisme ; certes si la position vitaliste est moins paresseuse et
si le mouvement est aussi signe de sensibilité, on n'a jamais inversé la question,
à savoir que le sensible c'est déjà du mouvement et que l'action n'éteint pas
tout le sensible mais le change en autre chose que lui-même qui prend la
1274 Jean Gillibert
somatique ; mais on peut les faire revivre par la pensée, par le voeu. Comme dit
Hegel : « A la facilité avec laquelle l'esprit se satisfait se mesure l'étendue de
sa perte. » Et quant au principe de plaisir régulé par l'appareil (du moins le
plaisir)... il ne faut pas en confondre le principe et le plaisir. Le principe est
un principe mortuaire qui gouverne mais c'est une sanction « morale » dont la
laïcité cache la moralité.
Si dans le rêve et tout onirisme, toute fantaisie, il y a deuil du monde,
rappelons que dans le deuil narcissique de l'esprit de l'objet (méconnaissance
de la perte objectale de la mélancolie), si le sur-moi est une pure culture
d'instinct de mort, le désinvestissement d'une absence existe et ne peut être
confondu avec le non-être.
Dans le rêve, l'appareilpsychique va fonctionner comme excitateur masochique
afin de garder un certain investissement de l'absence (au monde)...
Toute construction onirique déguise la détresse de la perte en détresse
absolue de la séparation ou plutôt en séparation absolue comme si celle-ci
était possible. C'est là où se greffent toutes les métaphysiques idéalistes de la
détresse (Melanie Klein, Lacan). La détresse est liée à la perte, à la chute et
à l'espoir : Dante nous le rappellerait.
L'Occident a toujours eu trop tendance à sacraliser l'infortune d'être
un homme ou à nier cette infortune par la domination de la volonté.
Le but ultime de la fonction de l'appareil psychique, au-delà du principe
de plaisir, est pour Freud la pulsion d'emprise (la passion de la possessivité,
la puissance maîtrisante, la bemächtigung( macht = puissance)), mais il ne le
dit qu'à moitié. Il préfère parler de la pulsion de mort, car cette pulsion de
mort est encore la façon de dire, le nihilisme, la détresse de ne pas connaître
la détresse.
La « matière » avait, soudain, parlé à Freud : entendons, l'esprit de la
matière. Au moment où il remaniait la fonctionnalité de l'appareil psychique,
il y eut « transmission de pensée » entre l'esprit de la matière et l'esprit de
Freud : cela s'appelle, comme Freud le dit lui-même, spéculation.
Freud liait, de ce fait, étroitement, pulsion de mort et hallucination,
liait et assemblait l'excitation masochique du voeu à la structure irréelle de la
réalisation de ce voeu.
L'hallucination est l'ultime provocation masochique de la matière en
figuration sensorielle. L'esprit de la pensée est tenu en otage, occulté dans
l'image (régression de la pensée à l'image). Sinon, comment comprendre :
1) Ce qu'écrit Freud : « La pensée est vraisemblablement, à l'origine,
inconsciente, dans la mesure où elle se borne à s'élever au-dessus de la pure
activité de représentation en se tournant vers les relations entre les impressions
laissées par les objets ; elle n'acquiert, par la suite, des qualités perceptibles
à la conscience, que par la liaison aux restes verbaux. » Si il y a déjà investisse-
ment de l'absence par les « relations », c'est déjà une réponse à un deuil ; c'est
à la fois laisser être la réserve et à la fois peser. Penser c'est peser (les relations).
1276 Jean Gillibert
2) Que si, dans un rêve de mort, il n'est pas rappelé que le mort est mort,
c'est que le rêveur rêve de sa propre mort mais qu'il nie (occulte) qu'il s'agisse
de lui. La sensorialité de notre propre mort n'aurait pas alors d'image, hormis
l'identification à un mort, notre propre mort n'étant jamais survenue. Pourtant,
cet événementiel-là, impensable pour Freud, n'est-il pas possible par les
récentes techniques de l'hologramme où le relief déjoue les lois de la pers-
pective, vraie hallucination positive, mécanisme vital, au-delà du bloc magique,
et ce que cherchait peut-être Freud avec le bloc magique quand il déclarait
sa matérialisation impuissante devant la toute-puissance magique éclairante
de l'illumination de la mémoire qui vient à la perception.
« Tu dois mourir pour que tu te souviennes » de la pensée juive hante
Freud, bien qu'il veuille se débarrasser de cette pensée-là.
3) L'opposé de la satisfaction hallucinatoire du désir est l'expérience
d'effroi, d'épouvante, de terreur. Cette violence du monde appartient-elle
plus à l'inanimé qui s'anime ou à l'animé qui se désanime ?
Il semble que l'animé qui se désanime conduise au comique, au fou-rire
mais sous le rire l'angoisse terrifiante n'est-elle pas encore plus grande ?
Devant l'hallucination, l'appareil s'effondre : le but de son fonctionnement
est de conjurer la terreur, l'épouvante, par excitation masochique (maso-
chisme érogène). Il n'y a pas de différence fondamentaleentre plaisir et déplaisir ;
ni l'un ni l'autre ne sont « purs » ; ils appartiennent tous deux au masochisme
érogène, ce qui n'est pas le cas de l'effroi, de l'épouvante, ni de la douleur.
La répétition lie par l'angoisse, le traumatisme ; le pont entre animé,
inanimé est sauvegardé ; le désagréable se répète mais la douleur et l'épouvante
en leur fond d'événement ne se répètent pas en dehors de l'affect désagréable
devenu angoisse.
La pensée (ou plutôt « penser ») est bien le substitut (et quelquefois l'otage)
de la satisfaction hallucinatoire du désir, mais a-topique, puisqu'elle franchit
les distances ou plutôt elle retrouve le contact direct, sans communication,
entre le sensoriel (superficie de l'appareil psychique) et le monde extérieur.
Il y a là l'esprit d'un « jugement » dernier, antérieur à la condamnation du
refoulement et à l'esprit de fuite (refoulement = fuite et condamnation)...,
antérieur et antécédent. Le « jugement » dernier doit peser, juger, penser. Car,
comme dit Freud : « La pensée doit s'intéresser aux voies de communication
entre les représentations sans se laisser détourner par leur intensité. » Pensée-
Juge impartial. Dieu du jugement!
La pensée inconsciente, métaphore du psychisme inconscient, est donc
a-topique, elle est le fondement infondé de la temporalité, d'où sa traversée
des espaces possibles... Dans la « transmission de pensée », il y a coïncidence
de deux voeux, par a-topie de la pensée jugeantequi fait croire à un inconscient
collectif, à un inconscient pour deux.
Il n'y a pas un inconscient pour deux mais un appareil psychique pour
deux, c'est-à-dire une fiction d'existence partagée.
Quand Psyché est magique 1277
On ne peut envisager une réflexion sur l'appareil psychique avec tous ses
remaniements dans la pensée de Freud sans approfondir la question du temps, de
l'espace, de l'être. Freud, aussi, quoi qu'il en eût, a ressenti la soif ontologique.
La conversion de la métaphysique en métapsychologie n'est qu'une nouvelle
mouture de la conversion du somatique en psychique, du fictif en réel matériel.
Cette conversion épistémologique intègre la coupure avec sa récurrence.
Lorsque Kant fait muter la métaphysique aristotélicienne en philosophie
transcendantale, l'intentionalité se dégageait au niveau même des conditions
de possibilité. La révolution copernicienne, kantienne, préfigurant celle de
Freud, donnera jour aux deux courants actuels, frères rivaux mais non moins
frères quand même, à savoir existentialisme et structuralisme. C'est la suite
logique de l'épuisement du cogito.
Kant, c'est d'abord ceci : unifier les représentations à partir de la visée
préalable de l'unité préalable de l'a-perception (priorité de la constitution).
La pensée de l'objet devient le fond de la pensée elle-même. Avec la copule
« est » l'esprit sort tout d'un coup de la sphère de ses représentations pour
être déporté vers l'objet représenté. Le pouvoir penser n'est pas encore le
pouvoir de penser. C'est cela la « crise » kantienne, dont nous vivons encore,
Freud le premier. La condition de penser n'est pas encore penser mais elle
est sa possibilité. C'est avec cette pensée kantienne que Bion s'est battu et
qu'il n'a pas très bien comprise.
C'est vrai que la liquidation du sujet substantialiste est en route avec
Kant, avec le « je pense », avec l'effet de la double absence — du sujet en soi,
de la chose en soi.
Kant est alors obligé d'établir une table des sans sujet : ceci est l'horizon
ontologique de la pensée kantienne mais ouvert sur une anthropologie car
ce qui est donné n'est pas encore posé. Ici Freud ne cesse de résonner à Kant.
Dans la violence de l'interprétation que fait Heidegger de Kant, il faut
non seulement retenir la disparition de la philosophie comme épuisement
de la « crise », mais au bout de l'épuisement du cogito : « la chose pense »
(et non pas « ça pense »), car elle tient en réserve, elle rassemble dans rien
qui lui est propre. La pensée c'est une écoute qui aperçoit. Autrement dit :
l'homme qui souffre est toujours visionnaire. Freud a été celui-là avec la
« vision » de la pulsion de mort. Vision insuffisante, pour moi, car la pudeur
Quand Psyché est magique 1279
Lacan, sur ce thème, n'a fait que reprendre la thèse de Berkeley de l'esse
est percipi. Il en est resté à l'image de soi dont l'autre vous habille. Que le
sujet qui fantasme (pense) mette en scène sa propre exclusion et que cette
exclusion répétée redouble la structure de la représentation... quoi de neuf,
sinon que le sujet est vraiment le sujet-Dieu ? La règle apophatique passe
du Dieu à l'homme, c'est tout. Bion, sur ce même thème, invente une proto-
pensée avec un appareil à penser les pensées. Le problème de la foi se convertit
en une « attitude » de penser : to be being (être été).
Penser l'absence sans être détruit ne nous délivre pas du non-être. Bion
finalise à l'excès l'expectative innée du sein. Il devient Bernardin de Saint-
Pierre. Pourtant quand il écrit : « Dans le duo, si l'un d'eux a une idée, on doit
se demander ce que l'autre a fait pour la lui suggérer », il approche de la vérité
du désordre de la foi.
Schreber appellera ce désordre un miracle et en fera un ordre universel,
d'où sa gnose délirante mais sa compréhension de la volupté.
Dr Jean GILLIBERT
12, avenue de la République
92340 Bourg-la-Reine
• PSYCHIATRIE • PHILOSOPHIE
• PSYCHANALYSE • SOCIOLOGIE
• PSYCHOLOGIE . ETHNOLOGIE
Recherche d'ouvrages épuisés
Abonnements aux Revues
françaises et étrangères
Expéditions en France et à l'Etranger
Envoi du catalogue sur demande
PUF
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE