Vous êtes sur la page 1sur 83
COLLEGE OF CHARLESTON STEPHANE HABIB LA RESPONSABILITE CHEZ SARTRE ET LEVINAS PREFACE DE CATHERINE CHALIER © L'Harmattan, 1998 tee, L'Harmatian ee 5-7, nie de "Ecole Polytechaique 75005 Paris- FRANCE L'Marmattan Ine, 55, re Saint-lacques Montréal (Qc) - CANADA H2V 1K9 & o 3 3 PREFACE Penser au désastre des innombrables vies déteuites en ce siécle, au nom de causes barbares, incline souvent a céder A un nihilisme qui, serein ou désespéré, se veut surtout sans illusion sur les hommes. Un jeu de forces en tutte les unes contre les autres, la quéte démesurée du pouvoir, ou de la domination, et leur corollaire, la servitude volontaire, tels seraient les maitres mots supposés expliquer le comportement humain au coeur de histoire, privée ou collective. Par ailleurs, la lucidité revendiquée, avec autorité, par les sciences humaines et, plus récemment, par la biologie et par Jes neurosciences ne permet plus, dit-on, dlaccepter les fictions idéalistes et métaphysiques des philosophes qui, malgré ce double verdict, ne se lassent pas d'ouvrir a nouveau les actes de ce procés sans appel fait & homme. L’étre, dit humain, n'a aucune spécificité, il est entigrement déterminé, continuent pourtant d'affirmer, aujourd'hui plus que jamais, certains neuro-biologistes, peu attentifs, semble-til, aux conséquences morales et politiques de leurs assertions, Mais si la erédulité de ceux que la science fascine n'y trouve rien & redire, il est des philosophes qui, sans avoir pour autant de golit militant pour 'obscurantisme, se permettent de douter de ces postulats et de leurs implications péremptoires, Bien avant la tendance actuelle, et souvent obligée, pour un soi-disant "retour a la morale, “retour” censé suppléer au dépérissement des idéologies politiques, Sartre et Lévinas, & temps et & contre-temps, ont pensé engagement responsable de homme. L'un et lautre n'ont rien cédé au déterminisme - cette nouvelle figure du tragique - si souvent évoqué afin de dédouaner homme de la responsabilité de ses actes ou de son apathie, de ses paroles ou de ses silences. Cela ne signifie pas, bien sir, que Sartre et Lévinas aient ignoré ce déterminisme: le premier parle d'une liberé “en situation’, le second réfléchit a ce qui, dans le psychisme, 9 e échappe a son emprise. Cela ne signifie pas non plus que ces philosophes aient succombé aux illusions métaphysiques pour fuir lemprise d'une réalité historique et naturelle, infiniment cruelle et infiniment rebelle aux réves de liberté d'égalité et de fraternité, Mais cela veut dire que, malgré la nuit sombre gui tombe sur les penseurs captits du pire ~ une soumission & toutes les figures de la nécessité qui saffiche avec une morgue ignorant son propre désespoir - et en dépit aussi du sentiment dlimpuissance qui saisit face aux malheurs, Sartre et Lévinas ont su plaider 1a cause de la liberté comme responsabilité. Sartre pense cette liberté a partir d'une réflexion sur ‘e “pour-soi", cest-3-dire sur la constance du mouvement par Jequel un sujet s'arrache & Vopacité de l'étre "en-soi", en néantisant. Aucune essence ne définit un homme dont la contingence, la solitude ontologique ct Tabandon, sont jrrémissibles. Cet homme a a étre ce qu'il est sur le mode du projet et du choix, de la liberté et de la responsabilité. TI Iai arrive, certes, de se laisser fasciner par le mode d'etre des choses et de vouloir s‘identifier & un rdle ou une fonction, afin de fuir cette liberté angoissante qui lui interdit de se poser, une fois pour toutes, dans une identité essentielle. 11 hui arrive aussi de quémander un regard obligeant de la patt dautrui, pour se reconnaitre dans ce regard et déposer le fardeau de sa responsabilité, Mais Sartre n'évoque ces attitudes que pour les rejeter comme autant d'expressions de Ja mauvaise foi, de la duplicité ou de la comédie humaines: la liberté ne s'aligne pas ainsi et la prétention d'innocence reste toujours une imposture. Le philosophe n’a-t-il pas souten.', en 1943, que les hommes méritent ce qui leur arrive et qu'il n'existe pas de victimes innocentes ? ‘Autrui ne m'aide pas 4 porter ma responsabilité, TI en aceroit le poids et, surtout, il m’oblige & l'inscrire dans un monde qui reste de part en part conflictuel. Le regard quun homme porte sur un autre homme, dans cette philosophie, annonce mulle bienveillanee: il fait honte et il juse, il méconnait ou il toume en dérision, ll donne certes parfois bonne conscience mais, dans ce eas aussi, il fait violence, Le regard aliéne, voire anéantit, sans jarnais aider a grandir dans Ja liberté et la responsabilité, sans doute parce que, dans la conception sartrienne, tout regard se fait sur un fond de mutisme redoutable, Nulle parole nlest échangée ou promise dans 'échange de regards et cette mutilation méme est violence. semble en effet que, dans le monde de Sartre, la malédiction originelle qui pése sur Vattérité et sur la facicité soit indépassable. Malgré la liberté qui fait Punique dignité de Thomme. Diun homme résolument seul et responsable de tout, devant Iuieméme et devant tous, au point de devoir assumer ce quil n'a pas fait (Ja situation) et ce qui ignore (les consequences de ses actes). La radicalité de la responsabilité chez Lévinas est comparable. Nulle limite posée par Ia liberté - assume la responsabilité d'une situation, mais je refuse celle d'une autre = nfest en effet de mise pour un philosophe qui pense la liberté comme vocation infinie a répondre du sort dautrui. C'est parce que la subjectivité humaine répond d'autrui, sans Tavoir choisi ni voulu, quelle advient & sa liberté, cfest-d-dire, selon Lévinas, a son unicité irremplagable. Il s‘agit, comme le montre trés justement Stéphane Habib dans son livre, de penser l'appel du visage comme ce qui "me dé-situe en mlisant responsable". Or la signification du visage ne se laisse pas saisir par la phénoménologie sartrienne du regard qui se pose silencieusement sur moi pour m’aliéner. Le visage, en effet, parle: ill m'appelle, non pour me juger ou pour m'accabler, il me demande de ne pas labandonner a la violence et & la mort. Cette phénoménologie n'est en rien sartrienne: seul celui qui entend Yappel du visage, advient & son unicité de personne libre et responsable. Il est éveillé a cette unicité, il ne se Ia donne pas a lui-méme. Levinas rompt avec la g-ande tradition de la philosophie réflexive qui, avec Sartre ercore, suppose que l'on va vers autrui sur la base d'un soi préa‘able, fat-il "pour-soi" responsable du monde et sans cesse & conquérir. Or, selon Lévinas, il sagit de penser au contraire comment le soi - unique, a la mesure méme de sa responsabilité - tient tout entier - hors essence - dans sa réponse faite a la l'appel de l'autre homme. Le "Me voici" dont le philosophe, a la suite de la Bible, assure quiil donne le sens de la subjectivité humaine ne met certes pas un terme aux conflits il n'assure pas contre la violence - il arrive méme quill attire, comme s'il était, décidément, insupportable - et contre les ravages d'une histoire intolérante a I'élection, mais il oriente autrement dans tre: il signifie la percée de l'étre par la bonté. Si, comme le rappelie Stéphane Habib, Lévinas a rendu hommage Sartre, Ie jour de sa mort, en évoquart sa certitude "que la liberté humaine puisse se retrouver & travers tout ce qui simpose 4 'homme", ce "message d'espoir pour toute une génération grandie sous les fatalités", c'est parce que Jes deux philosophes pensent une liberté humaine inséparable d'une inguiétude "pour les autres", Néanmoins autrui, dans la philosophie de Sartre, se rencontre dans Voptique dune lutte sans merei pour la reconnaissance puisque, selon lui, le regard de autre sur moi risque, a chaque instant, de me figer dans un réle ou dans une essence qui mialiéne. Or la réflexion de Lévinas délivre de cette fatalité nouvelle car le visage, dans sa perspective, loin de maligner, éveille en moi mes possibilités humaines les plus irremplagables. Cest selon cette méme ligne de pensée qu'il faut Comprendre pourquoi, malgré eet éloge, Lévinas prit trés tot ses distances avec le livre de Sartre Réflextons sur la question Juive (1946) car, disait-il °, si Sartre a sans doute raison de tefuuser au Juif - comme a tout homme - une essence propre et définie, "existence nue” quill Iui laisse, sa "facticité” a la merci du regard de 'antisémite, est discutable. Elle doit, en tout cas, se comprendre autrement que la "facticité” du monde et surtout ne pas conduire & méconnaftre le temps infini qui, en amont delle, rend précisément possible sa liberté. Le passé, en effet, dans économie de létre, ne pése pas comme un fardeau, il introduit la eréation et Vélection. Tl introduit done la liberté pensée comme réponse de unique a I'Unique qui, en ce monde, ale visage du prochain. Crest avec vigueur et une intelligence "sur le qui-vive, comme aurait dit Lévinas, que Stéphane Habib introduit cette mise en perspective des deux philosophes. Je laisse done le lecteur découvrir ce stimulant parcours de pensée. Catherine Chalier, Voir L'tre ele néant, Pats, 1965 (ed), Gallimard, p. 639-641 2. Les imprévas de histoire, Montpelier, Fata Morgana, 1994, p. 49 et 3:Voir «Bre Juif, in Conluences, 15-17, 1947, p. 253 et suivants, a TT eT 4-LA CONFRONTATION SARTRE /LEVINAS AUTOUR f D'UN PROBLEME ETHIQUE: LA RESPONSABILITE Lorsque lon se propose de réfléchir au probleme de "ethique en philosophic (ou peut-€te plus précisément, si fon } désire montrer que léthique est Philosophie, a travers unc interrogation sur lz notion de responsabilité) travailler Veuvre philosophique de J.P Sartre peut paraftre étonnant, Woire méme arbitraire. En effet, la figure emblématique de Vintellectuel engage semble surgir de la mémoite collective ds lors que le nom de Jean-Paul Sartre est pronone, Nyy aurait il pas 1A une sorte de souvenir réducteur, faisant de Sarire un philosophe pour gargon de café et de "existentialisme un simple phénoméne de mode? Pour parler | comme Sartre lui-méme, tout se passe comme si létre-pour- autrui_de Iexistentialisme m'était qu'une chosification ou objectivation de '8tre-pour-soi de la philosophie sartrienne suthentique. Dés lors, tout le probléme est de comprendre comment nous | Pouvons choisir Jean-Paul Sartre, et quel est le Sartre que f nous choisissons de confronter a la pensée d'Emmanuel Lévinas dans optique d'un questionnement sur ta t Tesponsabilité, Liengagement. Voici ce qui, de prime abord, pourrait hous poser quelques problémes en ce sens que !a thématique de —Tengagement —accompagne toujours comme systématiquement, la notion méme de responsabilité, mais bien souvent dans un sens tout & fait différent de celui que nous voulons conserver, a savoir Tengagement comme n i engagement demblée politique, l'engagement de Ia "littérature engagée" i Or ne pourrait-on pas conserver cette notion dengagement en se débarrassant de sa portée politique? La possibilité dentendre quelque chose comme: slengager & étre responsable (peut- ~ (sans pour autant faire du Pour soi lui. uN pur non-< " occareeett POPE c'est ce que nous vemons Tri, Pétre-en-soi est ce qu'il est; formule pour le moin ‘autologique, mais qui semble étre Ia plus approprige a te compréhension de ce qu’est l’étre-en-soi, Ce quil faut remarquer, c'est que cet étre-en-soi cst (olalement fermé (sur Jui-méme). D’ailleurs, nous avons pu voit qu’ll n'y avait aucun recul du soi sur Iétre comme és, ee-soi. En ce sens rien de l'extéricur ne vient ni ne peut veni troubler 1’@tre dans son soi, mais précisément, cet étre-en-soi gui ma pas de secret, qui est massif, qui est empli d'etre, est ute fermeture. lly a, A n’en pas douter, quelque chose corms une claustration en sof de 'étre dans I'étre-en.so; Ds lors, Valtérité est d’embiée disqualifiée par Ja simple présence et la positivité propre a Pétre-en-soi, C'est ta étre sans Autre, ou plutét sans rapport a P’Autre Il est sbsolument, Fondamentalement Iui-méme, il se bome a cle Sarte tésume ainsi cette partcularté de Métre-en-soi (Lane ttle néant, p33 ); «Il est ce qu'il es, cela signifi que, por 37 lui-méme, il ne saurait méme pas ne pas étre ce qu’il n’est pas. [...] Il est pleine positivité. Il ne connait done pas 1 il ne se pose jamais comme autre qu'un autre étre ; il ne peut soutenir aucun rapport avec lautre. Tl est lu'-méme indéfiniment et il s'épuise a étre. » Finalement, l’absoluité de cet étre-en-soi auquel méme les catégories du possible de Pimpossible ou du névesstire ne peuvent s’appliquer, nous fait saisir que de I'8tre-en-soi il n’y a pas grand chose A dire, ou plutdt que de P’étre-en-soi on ne peut pas dire grand chose, puisque sans secret, sans que ne se cache rien dans ce qu'il montre, il est ; il n’est que ce qu’ill est Ainsi prenons-nous conscience que réfléchir sur l'en- soi ou étre-en-soi, séparément du Pour-soi ou étre-pour-soi, peut parattre tout a fait stérile, Pour avancer dans la compréhension de Vontologie sartrienne, il est donc nécessaire de s*intéresser au Pour-soi, étre-pour-soi qui lui n'a de sens que dans sa relation 4 I’en-soi, et par la méme, _ nous pouvons déja penser que si I’en-soi est autarcique et autonome (il est ce qu'il est et se borne & étre lui-méme) le Pour-soi, en ce qui le concerne, est dépendant de cet atre-en- soi donné. Tout se passe comme si le Pour-soi transcendant le donné (en-soi) avait besoin de cet en-soi (le donné méme) pour le transcender. Avec le surgissement du Pour-soi, l’en-soi semble se transformer en un étre-2-transcender. En d'autres termes, le Pour-soi est avant tout arrachement et néantisation de I’en-soi, Qu’est-ce que cette néantisation constitutive du Pour-soi ? Quel sens donner a quelque chose comme une néantisation-arrachement ou encore a un arrachement néantisant? Plus simplement, qu’est-ce précisément que ce Pour-soi dépendant ? 38 | | i Pour exposer simplement ce qu'est cet @tre-poursoi, | nous pourrions dire que le Pour-soi est un antien-soi « Anti» dans le sens méme od Roquentin dans La nausée et Meursault dans L’étranger de Camus, peuvent passer pour des « anti-héros » de la littérature frangaise, En effet, il serait possible de prendre a rebours point par point tout ce que nous avons écrit pour saisir Pétre-en-soi, et nous obtiendrions ainsi quelques attributs fondamentaux de Pétre- pour-soi. Cette méthode qui certes serait quelque peu laboricuse, peut tout de méme déja faire apparaitre une négation inteme entre len-soi et le Pour-soi, d’oi il ressort que le Poursoi a pour premiére caractéristique cette possibilité de négation, ce pouvoir ngantisant Pour écrire comme Sartre, le Pour-soi est l’étre a travers le surgissement duque! 1a néantisation vient au monde, ou encore, le Pour-soi est cet étre par lequel la néantisation prend sens, Le surgissement de la néantisation laisse drores et dja percevoit avec toute Ia force d’une évidence la liaison entre étre-en-soi et étre-pour-soi il s’agit de la néantisation elle~ méme. Autrement dit, Je lien qui rattache en-soi et pour-soi est_négatif, non pas comme une pure et simple négation, mais bien plutét comme un quelque chose néantisant, La néantisation dont nous parlons n’étant autre que le Pour- soi, nous pouvons maintenant nous permettre ’affirmer que : 'a liaison entre Pen-soi et le Pour-soi, c'est le Pour-soi lui- méme. Et Sartre d’éctire au moment de sa conclusion de L'tire et le néant, dans les « apercus métaphysiques » sur En~ soi et Pour-soi: «Nos recherches nous ont permis de répondre a la premiére de ces questions : le Pour-soi et I"En- Soi sont réunis par une liaison synthétique qui n°est autre que Je Pour-soi lui-méme, Le Pour-soi, en effet, n'est pas autre chose que I pure néantisation de P'Wn-soi ; il est comme un trou au sein de Pétre. » La mise en rapport de ces deux types d’éire permet et méme promet le Pour-soi. Si l’en-soi n'est massivement et opaquement que ce qu’il est, fort de autosuffisance propre & 39 Pautarcie, le Pour-soi, quant & lui, est une ouverture & la non- identité du Pour et du Soi Qu'est-ce A dire sinon que [’étre-pour-so! est (et Vutilisation du verbe étre pour qualifier le Pour-soi nous semble toujours problématique) ek-statique, toujours hors de Jui, en recul et & distance de son soi ? Autrement dit, le Pour- soi est, d'une certaine fagon, mais en n’étant pas ce qu’il est et en étant ce qu’il nest pas. I y a une non-coincidence fondamentale du Pour-soi avec lui-méme qui donne & penser qu'il est essentiellement arrachement & 'étre et pro-jet de soi en avant de soi. Reste qu’au regard dun étre qui est ce qu'il est, [’étre en projet qui n’est pas ce qu'il est, méme lorsqu’il est ce qu’il n'est pas, laisse transparaitre un manque d’étre (qui est aussi l’air qui n’avait pas sa place dans Pen-soi si fermé sur sbi ou plutot si identique & soi qu'il ne respirait pas). Ce manque d°étre est signifiant en ce qu'il définit le Pour-soi (originalité d’un manque qui peut étre la définition d'un type d’étre) comme cet étre-en-projet-qui-manque- d’étre, ou encore, un étre-en-projet-détre puis surtout | finalement, comme étre qui a a étre. Ainsi, cette expression de Sartre que nous venons de citer, «Il (le Pour-soi) est comme un trou au sein l’étre », prend tout son sens Face & vette déficience d°étre propre au Pour-soi, la plenitude d'etre, la pleine positivité de I"en-soi, joue le rble du modale que le Pour-soi «réve » d’étre en ne pouvant que le réver puisque par définition, le Pour-soi ne peut étre en-soi en ceci | qu'il ne peut jamais étre ce qu'il est: il n'est pas, et l'on a méme envie d'écrire : il n’est rien. Dans cet optique, B. Munono Muyembe dans son livre sur l’altérité chez Sartre et Levinas, (Le Regard et le Visage, chap. I «Le regard objectivant de l'autre ») nous précise ce que nous venons de dire : «Il s'agit 1a, de l'aveu de Sartre lui-méme, de deux régions d’étre radicalement tranchées (I’étre-en-soi 2t Iétre- pour-soi] [...]. Relevons pour le moment que le pour-soi comme manque d’étre pro-jette de devenir en-soi cu pleine E | | positivité et que cette synthése que tente de réaliser la Réalité Humaine est vouge a l’échee. » Notons ici cet échee d'un étre qui ne peut pas étre ce quill est, étre qui n’est autre que I’étre-pour-soi, dont l'auteur que nous venons de citer n’hésite pas a rapprocher de la «Réalité Humaine », et qui, finalement est aussi & rapprocher, voire & comprendre comme conscience, du nioins telle que la Géfinit Sartre Iui-méme dans introduction de L'étre et le néant: «Nous verrons que 'étre du Pour-soi se définit au contraize comme étant ce qu'il n’est pas et n’étant pas ee qu’il est. [...}. En outre il faut opposer cette formule : T’étre-en-soi est ce quil est a celle qui désigne létte de la conscience celle-ci, en effet, nous le verrons, a @ étre ce qu’elle est. » Voici done que I'ek-stase fondamentale du Pour-soi - entendons par la son projet essentiel ~ est vouge a l'échee. Cependant, dans cet échec de Ia relation ek-statique du Pour. soi A l'en-soi, nous n’avons pas encore épuisé cette notion de Pour-soi. Qu’en est-il du Pour-soi d’Autrui ? La question est ailleurs plus difficile que cela a formuler puisque nous ne savons pas encore s‘il y a un Pour-soi d’Autrui. Ainsi le probléme que nous nous posons est celui du rapport du Pour- soi a Autrui, et pour étre plus juste, il s'agit done de savoir ce qu'il en est de mon Pour-soi face a Autrui. Chercher a comprendre le Pour-soi, n’est-ce pas du méme coup se demander s'il ne serait pas nécessaire d'entendre ce Pour-soi comme un pour-Autrui ? Qu’est-ce que I’étre-pour-autrui et comment devons-nous le comprendre a Paune de cette opposition fondamentale entre T’éire-en-soi et étre-pour- soi? Ainsi proposons-nous ici de lire le Pour-soi comme un pour- Autrui, Pour ce faire, nous ne poserons pas d’emblée la question de savoir qui est cet Autrui du pour-Autrui, question 4 laquelle nous tenterons de répondre ultérieurement, en conyoquant & cet effet, non seulement Sartre, mais aussi Lévinas, 4 Pour le moment, nous avons réussi & comprendre le Pour-soi comme cet étre fondamentalement ek-statique, clest- a-dire toujours hors de lui, non coineidant avec lui-méme, et gui a ceci de particulier qu'il n’est pas ce qu’il est et qu’il est | ce qu'il n’est pas. Or, dans ce n’étre pas ce qu'il est, et surtout dans son étre ce qu’il n’est pas, la présence ¢’Autrui joue un grand rdle. En effet, tout se passe comme i P’étre- - pour-Autrui sartrien devait s’entendre comme un étre-pour- soi vu par Autrui, Mais i faut ajouter & cela que cet étre-vu ne se sait pas vu tel qu’il est vu par Autrui, Avec P’étre-pour- Autrui se dévoile tout un pan d’étre dont Je Pour-soi ne peut se saisir, ou plutdt, dont le Pour-soi a qui cet étre appartient, paradoxalement, n’en peut rien dire. Il y a quelque chose comme un étre ignoré de l’étre-pour-soi dont il peut dire qu'il est sans avoir de prime abord la possibilité de dire et saisir comment il est. Cet dtre-hors-de-soi, quest Pétre-pour-soi, est finalement | pour-Autrui, Aussi pouvons-nous constater que Autrui du pour-Autrui est dévoilant. Il est Je révélateur de P3tre du | Pour-soi tel qu’il est pour I’Autre, De surcroft, cet aspect de Petre du Pour-soi ainsi saisi par Autrui, de toute évidence, est, mais est inconnu, entendons qu'il Pest en tant qu’il est inconnu. Quelque chose de léue appartienl en prepre au Pour-soi tout en étant connaissable par et seulement pour Autrui, Létre-pour-Autrui comme ek-stase du Pour-soi se trouve done révélé par Autrui. En somme, "il est impossible au Pour-soi de se faire étre en-soi-pour-soi, existence du Pour-soi-pour-Autrui, nous apparait maintenant indeniable, Diailleurs, c’est tres exactement ce que note Sartre quelques lignes avant d'aborder la troisiéme partie de L’sire et le néant, entigrement consacrée au pour-Autrui: « Ainsi la nature de mon corps me renvoie A l'existence dautrui et & mon étre-pour-autrui. Je découvre avec lui, pour la réalité humaine, un autre mode d’existence aussi fondamental que Pétre-pour-soi et que je nommerai 1’étre-pour-autrui. Si je veux décrire de fagon exhaustive le rapport de l'homme avec Vétee il faut a présent que j’aborde l'étude de cette nouvelle structure de mon étre : le Pour-autrui, Car la réalité humaine doit étre dans son étre, d’un seul et méme surgissement, pour- soi-pour-autrui, » (p.261), Cela dit, expression étre-pour-Autrui reste tout de méme troublante, en ce sens que, méme s°il s’agit, d’aprés la construction de expression, d’Autrui et de ce qui est pour lui, il ne s*agit en fait que de moi, de ce qui m’appartient en propre, bref, de la mienneté du Pour-soi. Et notre philosophe q'expliquer au chapitre premier de la troisiéme partie (p.265) : « Cette structure ontologique est mienne, c"est Amon sujet que je me soucie et pourtant ce souci « pour-moi» me découvre un étre qui est mon étre sans étze-pour-moi. » C'est ce que Sartre montre brillamment @ travers le fameux exemple de la honte et que nous allons tenter de saisir avec une autre expérience : celle de la timidité Le propre de la timidité est que Autre nintimide Ainsi_n'y a+t-il timidité que devant quelqu’un. Comment puis-je Eprouver ce sentiment ? Simplement par un exercice de pensée affublant cet Autre qui se tient devant moi d'une force, dune rectitude morale ou dune intelligence largement supérieure A la mienne. Ainsi, je m’éprouve comme faible, mauyais ou stupide, en lui attribuant demblée cette supériorité. Mais cet Autre m’intimide alors qu'il n'a encore rien dit. Par conséquent, cette idée de supériorité que je lui attribue n'est que l'invention d’une modalité d’étre dont je me pense incapable, Or, paradoxalement, c'est moi qui Pai inventée, Le regard extérieur d’Autrui va donner la mesure : C'est devant lui que je vais perdre tous mes moyens, bégayer, transpiret, @tre incapable de parler distinctement, Ainsi pourta-til dire de moi que je suis une personne timide. Mais que s'est- il passé en réalité ? a Je me suis fait étre timide devant Autrui, non pas principalement en jouant le role de I’étudiant timide | incapable de clarté, par exemple, mais en attribuant a l’Autre des qualités auxquelles j’accorde une grande importance et que lui ne connait pas réellement. En @autres termes, je me suis fait timide en faisant d’Autrui Vincamation de la grandeur (ce qu’il ignore d’ailleurs). Dés lors, nous pouvons écrire que le Pour-soi s'est fait Pour-soi- timide-pour-Autrui, D’ailleurs, Sartre semble aller dans le sens de notre pensée lorsqu’il affirme: « Mais cet étre nouveau qui apparait pour autrui ne réside pas en autrui ; j'en suis responsable. (...}. Ainsi, la honte est honte de soi devani autrui ; ces deux structures sont inséparables. Mais du méme coup, j’ai besoin d’autrui pour saisir a plein toutes les structures de mon étre, le Pour-soi renvoie au Pour-aut-ui. » (Litre et le néant, pp.266-267) En somme, en cherchant a saisir ce qu’est I'ontologie sartrienne, nous avons pu comprendre le jeu d'opposition fondamentale de V’étre-en-soi et de l’étre-pour-soi, mais il nous mangquait encore Pétre-pour-autrui, afin de pouvoir réellement poser la question de I’étre. En dégageant cet étre- ponr-autrui, a surgi devant nous cette — possibilité extraordinaire pour le Pour-soi de se faire tre ceci ou cela, autrement dit, la possibilité du choix. Et justement, il nous” appartient maintenant de comprendre comment la valorisation du choix propre & l’ontologie sartrienne peut apporter quelque chose & la problématique de la responsabilité elle-méme. 44 | B. L'APPORY DE CETTE « ONTOLOGIE PHENOMENOLOGIQUE » AU PROBLEME DE LA RESPONSABILITE : LA POSSIBILITE DU CHOIX. La notion de responsabilité nous est apparue pour la premiére fois au cours du questionnement sur Pontologie phénoménologique de L’étre ef le néant au sujet de quelque chose de tout a fait imprévu : ’étre-pour-autrui. En effet, en citant Sartre Iui-méme, puis en décrivant le sentiment de timidité, nous avons pu prendre conscience de ceci que je suis toujours responsable de mon étre-pour-autrui. Qu’est-oe-& dite? Qu’est-ce qu’étre responsable dans le cas présent ? Quelle est la notion de responsabilité que Sartre nous donne A penser? Lorsque nous disions qu’il était imprévisible que 'étre- pour-autrui convoque la responsabilité, une sorte d’ambiguité persistait. Nous pouvons imputer cette ambiguité précisément 2 Vambiguité propre 4 utilisation saitiienue de la notion ¢'étre-pour-autrui, Effectivement, ce que signifie létre-pour- autrui, a priori ne fait pas de doute, il s’agit d’un étre dont le sens d'étre est d'étre pour l’Autre, En d’autzes termes, ce qui vient de prime abord a I’idée, c’est que cet étre est don de soi Autrui, il y aurait ouverture de ’étre, de son étre propre, a Autre. Entendu ainsi, il n’y aurait rien d’étonnant & ce que la responsibilité (pour soi? pour Autrui ? pour soi du Pour- soi? Pour-soi-pour-Autrui ? Autant de questions auxquelles nous tenterons ’apporter une réponse ultérieurement) é&éeoule de I'étre-pour-autrui, en ce sens que exposition & Autrui, ou encore, le don de soi pour Autrui, sont des themes qui participent indéniablement de I’éthique. 45 Mais de toute évidence, Jean-Paul Sartre n’emploie jamais Vexpression étre-pour-autrui dans ce sens, et dés lors, c’est toute une idée de la notion de responsabilité qui est engagée dans la voie de l'acception proprement sartrienne de cet « étre-pour-autrui ». Pour comprendre cela, il nous faut de | nouveau revenir sur la description de I’étre-pour-autrui. I svagirait donc de comprendre quelque chose qui n'est pas un | don traditionnel, ou le donateur donne 4 un donataire qui resoit et pourtant, tout, dans l’étre-pour-autrui, se passe | comme si quelque chose se donnait. Cette premiére avancée, dans la structure complexe de 1’étre-pour-autrui, nous donne & penser une donation phénoménale, ott ce qui se donne se montre et ot précisément c'est ce qui se montre dans un acte qui n’en est pas un (le Pour-soi ignore quasiment son Pour- autrui en ce sehs qu’il ne sait jamais tout a fait ce qu’Autruia fait de son Pour-soi) qui se donne & Autrui, Nous pouvons done dire que ’étre-pour-autrui se menifeste dans une donation-monstration. De plus, il faut préciser que dans la donation, ce qui se donne ne se contente pas de se | donner en se montrant, mais bien plus, ce qui se denne se donne en tant qu’il se montre et enfin, cette monstration est effective en tant qu'elle se donne. Ii serait possibile ici de sétorquer que le « xe donner». | implique toujours nécessairement un donner a, ou un se donner de soi-méme a. Das lors, le «se» du «se donner» entendu comme de soi-méme serait disqualifiable voire méme disqualifié. En effet, quel sens pourrait conserver le «se », le soi-méme du donner, s*il était possible d’envisager un donataire ou un attributaire. En autres termes, le donataire annulerait le « de soi-méme » du « se donner » en Vaccueillant, en lui conférant un sens, c’est-d-dire en dicidant du sens & donner au «ce qui se donne». Plus clairemeat encore, le donataire pourrait méme décider de ce qui est la part qui se donne en ne voulant voir qu'une partie de ce qui se monte en se donnant, et enfin attribuerait de lui-méme un 46 sens 4 ce qu’il s’est donné lui-méme dans ce qui se donnait. Voici done ce qu’implique le « A» (qui ou quoi que ce soit) du «se donner A », Mais, pour penser de la sorte, encore faut-il penser dans le cadre traditionnel du don, Or, nous essayons & inverse de saisir ’€tre-pour-autrui dans la sphere de la donation, Qu’est- cena dire sinon qu’avec I’étre-pour-autrui, quelque chose se donne sans savoir exactement ce qui se donne, mais surtout cn ignorant & qui cela se donne. Ainsi, l'ambiguité a laquelle nous faisions allusion précédemment est mise en lumiére : on ne peut pas dite que le Pour-soi donne a autrui son étre et Pourtant, nous avons vu que de Métre-pour-soi se donne quelque chose. Dans Iétre-pour-soi, ¢a se donne. C'est done, contre toute attente, que nous pouvons affirmer non seulement que létre-pour-autrui se joue dans I’étre-pour-soi, mais encore que l’étre-pour-soi est le centre nerveux de cette structure troublante qu’est 1étre-pour-autrui. L’étre-pour- autrui sartrien est tout aussi étonnant qu'un faux-ami, En vérité, Pintellection proprement ontologique (que propose Sartre tout au long de Z’éire et le néant) de l'étre-pour-autrui le fait apparaitre comme étant en réalité un étre-pour-soi pour-autrui. De la sorte, ce qui a premigre vue pourrait sembler €ue Je propre de l’éthique ; étre-pour-autrui, est éearté par un privilége accordé & une conception et A une acception ontologique de I’étre-pour-autrui. Ainsi, le Pour-soi domine le Pour-autrui dans I’étre- pour-autrui, et du méme coup, I’Autrui ct le Pour-autrui n°ont plus qu'un réle secondaire, Mais alors, quel sens peut avoir la phrase de Sartre selon laquelle je suis responsable de mon ette-pour-autrui! ? Finalement, la responsabilité de Pétre- pour-autrui semble étre une simple responsabilité-pour-soi- du-Pour-soi. Si tel est le cas, comment faut-il saisir cette responsabilité? L’ontologie sartrienne débouche-t-elle sur ' Bn substance a la page 266 de etre et le néans. a7 quelque chose comme un questionnement ou un souci éthique Lorsque Sartre affirme que je suis responsable de mon @tre-pour-autrui en tant que je Ie réalise librement dans Fauthenticité ou Pinauthenticité, nous faisons un pas de plus | dans la comprehension de la responsabilité et de lére-pour- soi. En effet, si nous nous rappelons que T'étre-pour-autrui renvoie 4 I’étre-pour-soi et par ailleurs que le Pour-soi peut et doit étre Iu comme un Pour-autrui, du méme coup, nous prenons conscience que le Pour-soi joue un réle fondamental (nous allons le voir tout de suite, l’expression est aussi bien prendre au sens propre qu’au sens figuré). La facticité du Pour-soi confére a cet étre la possibilité de ne pas étre uniquement, mais de devoir se faire, clest-a-dire de se faire étre. En d’autrts termes, le Pour-soi se trouve jeté dens un monde qu’il n’a pas choisi, d'ailleurs i] n’a choisi ni ce monde ni le fait meme d’étre jeté dans ce monde, comme homme qui n’a pas choisi sa naissance. Le Pour-soi n’est pas son propre fondement, il est jeté dans un monde toujours déja [2 et c'est son étre-au-monde qui se manifeste alors comme une pure contingence. « Il [le Pour- soil esr en tant qu’ll est jeté dans un monde, délaissé dans une «situation » , il est en tant qu'il est pure contingence, en tant que pour lui comme pour les choses du monde, comme pour ce mur, cet arbre, cette tasse, la question originelle peut se poser : « Pourquoi cet étre-ci est il tel et non autrement ? » Il est, en tant qu'il y a en ui quelque chose dont il n'est pas le fondement : sa présence au monde, » (L'étre et le néant, pp. 117-118, «la facticité du Pour-soi ») . La contingenee, la facticité, la situation, voiei ce qui paradoxalement va feire du Pour-soi_un étre radicalement responsable de son ére Linjustifiabilité de Pexistence ou encore le fait accompli de cette existence font du Pour-soi un étre qui n’est pas fait mais qui est @ faire, un étre qui en choisissant un projet (existentiel) se choisit Iui-méme. Chaque situation, aussi difficile soit elle, est ouverture & de nouveaux possibles, est dire au choix de possibles par un projet du Pour-soi autrement dit par un dépassement, une transcendance de setts situation propre au Pour-so lui-méme, C'est d’ailleurs ee que nous expligue tr2s clairement Jeanette Colombel dane cog livre Jean-Paul Sarire : une ceusre au mille tétes. Textes cr débats tome 2, p. 436) : «Sil n'y pas de situation privilégise tn ce sens que chacune suppose le choix, ce choix n'est pas indiférent: si Pesclave refuse sa condition, il est libre « pour briser ses chaines » snon pas comme s'il était citeyer on marchand, La notion de situation renvoie a la recherche d'une morale conoréte qui exclu tout formalisme, C'est en elle que chacua erée ses valeurs. C’est en elle que chacun accomnslit des actes et projette une entreprise. C'est en elle que se décide engagement. De cette notion désisive inventse par Sartre découlent V La eapacité de dépasser n'importe quelle situation, si aalverse soit elle : en ce sens il n'y pas de situation inhumane 2/ Le souci de provoquer des situations qui « élargissent le champ des possibilités ct de lutter pour devenir litres selon une éthique de engagement 3 La nécessité de dévoiler les aliénations qui limitent et altérent une liberté foreément hypothéquée car nous ne sommes pas seuls. Il y ales autres. » J. Colombel nous indique ici que la situation, e provjet étle choix, en tant qu’ils annoncent la responsabilité du Poor. sei, permettent de passer de Vontologie a l'éthique, a Ia «morale eoneréte, » Cette morale est le propre du Pour-coi en tant qu'il a toujours & choisir pari des possibles, et que, ce fisany, il se choisit Iuieméme, il se fait étre. C'est toujours dans cette optique que Sartre écrit : « [..] c'est ce qui fait que 'e poursoi, tout en choisissant le sens de sa situation et en se constituant Ini-méme comme fondement de lui-méme en siuation, ne choisit pas sa position. C'est ce qui fait que je ane saisis la fois comme totalement responsable de mon 49 tre, en tant que j’en suis le fondement et, a la fois, comme totalement injustifiable. » (L'étre ef le néant p.121), Ow encore: «Ainsi la conscience ne peut en aucun cas sempécher d’étre et pourtant elle est totalement responsable de son étre. » (ibid, p. 123). C'est done toujours autour du Pour-soi que se joue la responsabilité. De surcrott, le Pour-soi est d’autant plus responsable que « il ya les autres », I est ailleurs intéressunt de remarquer que le Pour-soi est responsable pour deux raisons opposées : parce qu’ilest seul, | Cesta-dire délaissé, sans Diew par exemple pour le faire étre, et par ailleurs parce que Autrui est la. Mais, dés lors, il nows | faut noter que c'est parce que Autrui est 1a, et non | fondamentalement pour Autrui, qu'il y a responsabilité du Pour-soi. i ‘out se passe comme si la responsabilité du Pour-soi avait un | @tre-pour-autrui avec la structure complexe propre & cet étre, que nous avons tenter de rappeler auparavant. Autrement dit, le Pour-soi est responsable de lui-méme, cest-i-dire de Pete qui est le sien, en ce sens qu'il s'est fait éte lui-méme ox, tre, Mais cet étre-pour-soi a wn étre qui lui échappe, dont ignore ce qu'il va en étre et qui est saisi par Autrui, c'est | ailleurs cela le propre de I’étre-pour-autrui. En somme, | nous pouvons dire qu'il existe un étre-pour-auttui de lt | responsabilité pour soi (au sens ou Te Pour-soi est responsable | de ce quil se fait) du Poursoi, Nous pensons que ceci esti | 4 fa Ieoture proprement ontologique que Sartre a Jonné de | Pétre-pour-autrui, | Cependant, si le sousi éthique n’échappe pas i} ontologie phénoménologique sartrienne, c'est parce. gus f méme dans cette acception originale de la responsabilité { congue comme responsabilité-pour-soi-du-Pour-soi, al pour-soi, alors méme qu’'l ignore ce qu’ Autrui fait de [ui (son @tre-pour-autrui) n’est pas déresponsabilisé, En eff, puisque je suis responsable de mon étre-pour-autrui, je suis du méme coup responsable de I’étre-pour-autrui de ma responsabilité 50 Ainsi done, la responsabilité de type sartrienne est radicale et totale, en ce sens que le Pour-soi (responsable) doit etre compris comme étant responsable non seulement de ce qu'll a fi, et plus précisément de ce qu'il sest fait étre, mais ause et surtout de ce qu'il n’a pas fait, clest-A-dire de ce quril ne sest jamais fait re. Et Jean-Paul Sartre d'écrire dans Vérité et Existence : «Je suis responsable de tout devant moi et devant tous et Pignorance vise & restreindre ma responsabilit dans le monde. » (p.98)° et surtout, a la page 128 de ce texte, ad les mots responsabilité et liberté semblemt interchangeables (ce que nous essaierons ailleurs de montrer dans notre troisiéme partie): « Mais la possibile demeure que mon acte ait des conséquences infiniment infinies. En tant que mon acte, ces conséquences. sont niennes et je dois les revendiquer. Mais en tant que fini, je les ignore. La situation d'une liberté, c'est done d’assumer ce quielle n'a pas fait (assomption de la situation) pour revendiquer ce qu'elle ignore (conséquences de ses actes). » _ C'est & travers de telles affirmations et un telle radicalisation de la notion de responsabilité que Sartre passe de la conception de la responsabilité de type ontolopique Vintellection d'une responsabilité fondamentaloment ct absolument éthique. Cependant, comme nous avons pu le constater ici, dans Texistentialisme purement sartrien, ontologie prime sur l'éthique. F Est-ce pour cette raison que la responsabilité (méme si elle esta Pévidence totale) reste celle d'un Pour-soi ne zépondant que de ses actes (et conséquences) et n'est done jamais exactement une pure responsabilité-pour-autrui ? ? La ressemblance de cette affirmation sartrienne avec la fameuse de Dosis que Lévias aime @cier ext tppan Daloea. ey sropend sistent, a radical de ln responabilte ext tue foe te ine che nos deux auteurs, Notons tout Ge méme Gus dans sa ee sine Ie Malet encore et tujourspemie sl Chapitre 2 «, OU RESPONSABILITE-POUR- 1 _ AUTRUI? ee 4. LA CRITIQUE LEVINASSIENNE DE L'ONTOLOGIE APPLIQUEE A SARTRE «Est violente toute action ot l'on agit comme si on Gait seul dagir : comme si le reste de univers n’éiait la que Pour recevoir T'action ; est violente, par conséquent, aussi toute action que nous subissons sans en étfe en tous points les collahorateurs. » (E. Lévinas Difficite liberté.) | Voici comment Emmanuel Lévinas défint la violence. Or, le Pour-soi Iui-méme, ne se comporte-til pas de la sorte? Lorsque nous avons pu montrer que chez Sartre la ‘esponsabilité ~ qui n’est qu’une possibilité de répondre de ses actes, ainsi que l'assomption de ses actes méme — est entendue comme responsabilité-pour-soi-du-pour-soi, n°éta Ge pas au détriment de I’Autre, ou plutdt, en ne donnant a PAutre qu’un réle secondaire ? N’y aurait-il pas « violence » de Vontologie en général et de Pontologie sartrienne en particulier ? Ces quelques questions sont tout a fait caructéristiques de ce que Lévinas nous donne & penser a travers 'intégralité de son quvre, et surtout dans sa critique de ontologie. 3 ; E | i i | Cependant, si «Pontologie fondamentale » est souvent) explicitement visée, si Heidegger est l’un des interlocuteus privilégiés de notre philosophe, Fontologie sartrienne, pow sa part, n’est quasiment jamais express¢ment prise a rebours, | en tant que telle, par Lévinas. Notre probléme sera done de} savoir, non pas pourquoi Jean-Paul Sartre et son ontologic} sont oubliés, mais plutdt de nous demander si une critique de Pontologie telle que la pratique Lévinas, est applicable a ly question de Pétre telle que lentend Sartre. f 1 est bien évident, certes, que Sartre n'est pas Martin Heidegger, c’est pourquoi nous ne tenterons pas ici de superposer ontologic —sartrienne_—_‘I'ontologie/ hheideggerienne, dans le but de donner a la pensét Iévinassienne une apparence de critique adéquate, Now| essaierons ‘plutét de montrer que le fond de l'ontologie | aéveloppée par Sartre dans Zétre et le néant, et sor. ambition | de déboucher sur une éthique dont le sol serait doa:| inévitablement ontologique, n’est non pas vouée & I'échec (ce! qui expliquerait pourquoi le livre de morale annone¢ & la fin de « Pessai d’ontologie phénoménologique » n’ait jamais va} le jour, comme cela est souvent affirmé), mais ne peut pu} par contre, totalement échapper, voire méme rés'ster, 4 lt} critique (éthique) de Lévinas. ; Qurest-ce que cet étre-pour-autrui (celui de L etre ele néan) od Autrui n'a pas réellement de place, et dans lequel i} «pour » semble bien plus étre le « pour » du « Pour-soi », que | Pexposition a Autrui ? D’ailleurs, le Pour-soi lui-méme n’est- il pas a repenser ? Peut-il vraiment étre hors de lui et garde: son Soi ? Cette sortie de ]"étre-pour-soi hors de jui-méme m f devrait-elle pas s’entendre comme sortie de I’étre ? t Sortir de I’étre, c'est précisément dans ce mouvemea f que se joue non seulement Ja critique Iévinassienne | Fontologie, mais encore plus largement I'éthique. Et é nouveau, Sartre ne peut échapper a cette critiqu: f Effectivement, nous ne pouvons que nous rappeler que sau 5a projet est foncigrement ontologique : «A la recherche de Pétre ». Recherche de I’étre qui mobilise ’atre-en-s0l, I ete. our-soi et ['étre-pour-autrui. Le premier réle est donné aa Pour-soi, et méme le Pour-autrui reste attaché a Péire, on a envie d'écrire entaché d'etre. Tout se passe comme si létre était englobant, fotalisait non seulement le Soi ~ le Méme tiais aussi "Autre. Heoutons Ia parole quasi poétique (ou prophétique) de Lévinas dans sa préface 4 Iédition allemande de Totalité et Infini: «D°unicité & unicité ~ transcendance tn dehors de toute médiation ~ de toute motivation puisatle dans une communauté générique — en dehors de toute parenté éalable et de toute synthése a priori — amour détranger a tanger, meilleur que la fraternité au sein de la fraternite mime. Gratuité de la transcendance-d-autre interrompant Pete toujours préoceupé de cet étre-méme ct de sa persévéranee dans I’étre. Interruption absolue de l’onto-logie, ais dans l'un-pour-autre de la sainteté, de la proximité, de la socialité, de la paix. Socialité utopique qui commande cependant toute 'humanité en nous et o les Grecs apergurent Péthique, » Emmanuel Lévinas, prenant a rebours toute le tradition antologique, notamment Heidegger et Sartre, tente de montrer Gu'l & plus important et plus grave que la question de l’étre et que la dialeetique de Petre et du néant. L‘ontologie ne peut plus @tre considérée comme fondamentale par auteur de Autrement qu'étre ou audela de Vessence. Finalemett, « Sire ou ne pas étre », telle n’est pas la question, du moins, ni la question fondamentale, ni la question premigze. Ce qui compte, cc qui nous donne & penser, ce qui nous accuse parpétuellement comme « Iarl {qui} était dans la tombe et regardait Cain » (Victor Hugo), c'est la fameuse question pascalienne de «ma place au soleil», c'est ['Aute, et e'est cafia la responsabilité-pour-autrui. L’Autre me demande, me auestionne, ou piutét me met en question. Os, dans Pontologie sartrienne, cette remise en cause de Pétre-pour-soi par un quelque chose de I'extérieur est ebsente des textes (sinon comme alignation). Qu’est-ce a dire sinon que existence (ou ek-sistence) prime sur la question de | Lexistence. Le Pour-soi ek-siste. Doit-il ou peut-il exister sans léser Autrui? « Le Pour-soi est ce qu’il n’est pas et n'est pas ce qu'il est », en d'autres termes, c'est la totalité de l'étre que vise le Pour-soi. Etre et non-étre, voici Je pro-jet de l’étre-pour-soi, voici ce que le Pour-soi se donne a lui-méme. Le Méme | donne A son Soi la possibilité d’englober en son sein etre qu'il next ps (ainsi le devienti) ee n’Gue-pas qu'il est. Se) donner & soi méme son étre, en tant que l'on n’est pas @emblée l"étrg que I’on désire se donner, c’est ici I’étre-hors- de-soi du Pdursoi. Cette ck-sistence de I'étre-pour-soi | entendue comme étre-toujours-hors-de-soi est aussi_une | transcendance. Il y a une existence-transcendance du Pour | soi. Autrement dit, il y a un dépassement de ce que le Pour- soi est, pour aller vers ce qu’il n*est pas. Mais ce qui est | troublant dans cet arrachement-dépassement, c'est qu'il reste | toujours comme enraciné dans |’étre. Nous pouvons dire, dés a présent, qu'il manque & cette transcendance propre au Pour-soi quelque chose comme une ascendance. II est certes possible de parler d'arrachement & | Pétre, mais seulement si on entend par la, & 1'@tre qui est, ov | plutet qui est ce qu'il est (€tre-en-soi), mais toujours | arrachement vers I’étre, dans la voie de l’étre, en vue de I’ée | quil n’est pas encore. Nous retrouvons alors dans cet structure de la transcendance-arrachement, ou négation F sartrienne, la structure d’@tre méme de I’étre-pour-soi, sous ls | forme inévitable dune omniprésence de I’étre. Or, dans Toralité et Infini, Lévinas nous prévient contre cet transcendance. (section 1, chapitre I, p. 31, «le transcendance n'est pas la négativité ») : « Le mouvement de transcendance se distingue de la négativité par laquelle 56 homme mécontent, refuse 2 condition od il est install. Lu Le négateur et Je nié se posent ensemble, forment sysiime, clest-d-dire totalité, [...]. L’wautement» et Pecailleurs > qu’ils veulent, tiennent encore a l'ici-bas qu’ils refusent. [...]. Cette fagon de nier, tout en se réfugiant dans ce qu’on nie, dessine les linéaments du Méme ou du Moi. » Tout le probléme du Pour-soi est de ne jamais pouvoir arréter sa marche vers I’étre, cest-a-dire, de ne savoir abandonner son projet d’étre, La transcendance du Pour-soi part de létre, mais garde pour horizon I’étre. Finalement, bien que cela soit 4onnant, nous ne pouvons éviter d’aflimmer, & la maniére 4’un Emmanuel Lévinas, que la transcendance du Pour-soi se joue comme persévérance dans l’étre. Quelque chose comme la conception d'une "trans-ascendance" aurait, a notte avis, pernis d°éviter_‘écueil, © une _—_transcendance, paradoxalement, purement horizontale. Nous avons vu, dans I'exposition de lontologie sartrienne, gue le Pour-soi primait sur le Pour-autrui, en ceci qu'il devait fire lu comme un étre-pour-autrui et réciproquement, que le Pour-autrui renvoyait toujours au Pour-soi ; c*est donc que les conséquences de ce manque d’ascendance propre i la transcendance du Pour-soi, ainsi que sa persévérance dans Pétre sont visibles ou encore lisibles sur Pétre-pour-autrui, Lorsque nous écrivons qu'il y a chez Sartre un primat indéniable du Pour-soi sur 'étre-pour-autrui, nous n’allons pas encore assez loin, En effet, pour étre plus précis, faudrait presque dire que le Pour-autrui nest qu'un ersatz de Pétre-pour-soi. Dans l’étre-pour-autrui sartrien, I’'Un n’est pas pour I'Autre réellement, ou si I’on préfére, ’'Un est pour Autre, mais sans savoir ce qu'il est pour cet Autre, Autre qui lui-méme est sans importance, contingent. Plus clairement, cet Autre pour qui le Pour-soi apparait, surait pu ne pas tre 1a, et finalement laisser cette place & un ‘Autre autre que lui, Savoir qui est I’ Autre n’a paradoxalement aucune importance dans la structure de T’étre-pour-autrui, ST structure qui, de prime abord, devrait essentiellement prendre en considération Autrui. I! y a done contingence de I’Autrul de Iétre-pour-autrui dans la pensée de Sartre Reste alors « I'étre-pour > qui peut-8tre va pouvoir pallier cette indétermination d’ Autrui, en signifiant précisément une existence qui est a Autrui, dans le sens de vouée a Autrui L’Autre conférerait son sens 4 1’Un en ceci que l’étre de I'Un serait justement d’étre-pour-l’Autre. Ainsi, I'Un ne se donnerait pas a Jui-méme son sens, mais serait absolument inspiré par I’ Autre ~inspiration ou "soutile de l’Autre dans le Méme" ~ 1’étre-pour serait allégeance faite a Autrui. Mais nous sommes bien loin de la réalité ontologique sartrienne, od Vétre-pour-autrui peut sans contradiction s’entendre comme une sorte d’enclise dont la construction complét: de la structure est! [’étre-pour-soi-pour-autrui De nouveau, le Pour-soi, se faisant étre ce qu’il est, se fixant, projetant ’étre qu'il a A étre, persévéxe dans son étre sans souci réel pour Autrui. Cet Autre qui peut bien étre a ses cotés, ou en face de lui, sans pour autant interrompre Je mouvement d’auto-constitution de son étre propre. Le Pour soi, malgré son ek-sistence, c'est-a-dire, cette ek-stase qui hi donne sa particularité, reste centré sur lui-méme. C’est en lui, et a lui, que se pose la question ontologique fondamentale, question de [’étre (était-il la peine de le préciser 2), et méme si l’Autre est la, méme s'il est détenteur d’une certeine idée de ce Pour-soi, ou plus justement, méme s'il en est le « voleur » (et Pacception péjorative semble sursignifiante), Pour-soi poursuit dans son souci ontologique, sans détourne: Je regard, en constatant simplement qu’il y a les autres. Ici, on ne passe done pas d’un souci ontologique 4 une | inquiétude éthique, c'est-a-dire pour Autrui, pour la faim et nudité du prochain, a qui concrétement — et c*est 1a Je propre du Pour-autrui — je donne & manger et & se vétr. C's ailleurs tres exactement la réponse de Lévimas a le question; «qu’est-ce conerétement que I’éthique?», que i L i i L I Von peut voir dans le film sur E. Lévinas de P. A. Boutan Etnotre philosophe de préciser: « A I'éyard d’ Autti, jai des responsabilités a partir du manger et du boire.» A T’évidence, Sartre est loin, non seulement des conceptions éthiques proprement lévinassiennes de « létre. pour», mais encore @’un pur « Pour-autrui >, Fin effet, nous Vavons vu, quand le Poursoi se détermine a agit, ce n'est jamais d’embiée pour Autrui, mais toujours afin de se donner de léte, il semble méme possible d°écrire, afin de se donner a etre. Faire et étre sont incontestablement entrelacés dans Ia ensée sartrienne, en ee sens qu’étre (pour ce qui n'est pas une chose) c'est se faire Gtr, Ainsi, comment ue pus se demander si Autri_ne serait pas simplement la, pour accueillir les conséquenees (ou dans le meilleur e Faction elle-méme) des actes du Pour-soi. éire plus justes, nous n’utiliserions méme pas le verbe eaccucllir», en raison de Pactivité d'accueil qu'il peut supposer. En réalite, tout se passe comme si Autrui était privé de toute activité. La seule raison d°étze d°Autrui devient pure passivité sous les espéces de unique réception des actes de P8ce-poursoi'. La critique de Levinas a Tégad de Fontologie en général, prend a présent toute sa force et tout son sens. Effectivement, tout ce que nous venons décrire est sipnficatf d'un réel mouvement de refus de la pure alteité et fu monde et de l'Autre, C'est ailleurs a «Limpérialisme du Moi», qui chez Sartre s'est transformé «0 impéralisme du Pour-soi, que Lévinas montre du doigt st sccuse tout au long de son @uvre comme accompagnant Tindiférence propre a la petsévérance dans Pétre des cas Si nous voulions Violence, égoisme, indifférence, égocentrisme, sont aulant de mots (et de maux) qualifiant la persévérance dans ‘Nous verrons ce quril en est réellement de cet Autrui chez Sartre dans la seconde section de nove travail. Autrui qui pour le moment reste mptérieux, une sorte d’énigme. 59 Vétre de laure. « La relation avec étre, qui se joue comme ontologie, consste & neutraliserI’étant pour le comprendre ou pour le saisir. Elle n’est done pas une relation avec l'autre commie tel, mais la réduction de I’Autre au Méme. Telle est la définition de la liberté : se maintenir contre l'autre, malgré | toute relation avec !’Autre, assurer l’autarcie d'un moi. La thématisation et la conceptualisation, d’ailleurs inséparables, ne sont pas paix avec I’Autre, mais suppression ou possession | de l’Autre, » (Lévinas, Totalité et Infini, pp. 36-37.) I Tl nous reste maintenant a comprendre (Vontologic | sartrienne ayant été revisitée par Emmanuel Lévinas) ce qu'il en est de la responsabilité. La responsabilité-pour-soi-du Pour-soi peut-elle conserver un sens pour I'auteur de « lessai | sur Vextériorité»? Nous Vavons compris, la critique lévinassienrfe de Pontologie phénoménologique sartrienne, est essentiellement ce que nous pouvons appeler un critique: Gthique : qu’en est-il du versant positif de cette critique! Comment «en-visager» un primat de T’éthique sur Vontologie ? B. LE PRIMAT DE L’ETHIQUE SUR L’ONIOLOGIE Le travail effectué partir des attaques majeures de Lévinas envers et contre lontologie, nous a permis dans ut | premier temps de tenter une critique de la pensée sartrien | de Pétre, et maintenant, & partir de ce mouvement, se dégag | en creux toute une maniére nouvelle de penser non seulemen! existence, mais aussi l’existant. Si Pontologic @ perdu sa primauté, ott est la philosophie premiére, ou plutét, quelle est cette philosophie premiére ? Si le souci ontologique, souci pour létre, pour son étre Propre, souci pour la persévérance dans l’étre de |’Ptre méme, Peut, comme nous avons tenté de le montrer, étre destitué , le souci-pour-autrui est-il suffisamment transcendant —"trans- ascendant” ~ pour prendre sa place ? Place qui d’ailleurs n'est Jamais lieu, ou «place au soleil », mais charge, poids insoutenable. Tout le probléme est done de comprendre si Vhumaine comédie peut étre expulsée par la souffrance divine (divine souffrance ?), que paradoxalement seul Thomme est en mesure de porter sur ses épaules, de supporter. On Paura compris, e’est toute une nouvelle philosophie de Thumain (Catherine Chalier quant a elle utilise, en suivant Levinas lui-méme, V’expression «utopie de ’humain »)! redonnant 4 la pure responsabilité-pour-autrui sa force et son sens propre (clest-a-dire qu’avec notre philosophe, la responsabilité est comme nécessairement, toujours déja Pour autrui, elle ne peut étre "expression de la simple abréviation responsabilité-pour-soi-pour-autrui ot le Pour-autrui n'est encore qu’un masque du Pour-soi) que nous promet la comprcheusion de la pensée dEmmanuel Lévinas. «Ce faisant, son ceuvre vise surtout a dire le sens de lhumain dans un monde qui cn proscrit I'idée, Or sa réflexion, attentive & Vinspiration prophétique, reste constamment rebelle a Vontologie car, selon lui, P’étre ne permet pas de penser Vhumain. Au contraire, tant que P’étre signifie Phorizon indépassable de "homme, I"humain ne peut advenir. Lévinas convie done & déserter la demeure de I’étre et a savancer sans prudence, vers « la clarté d’une utopie » [Noms propres, 64], la ot se montre ’homme. »? ‘catherine Chalier, Lévinas, L'uopie de I'Humain * bid. Introduction, pp.10-11 6 IL ne faut pas avoir peur des mots lorsque I'on aborde la k philosophie lévinassienne. Ainsi nous semble-til nécessaire | @écrire que le philosophe nous donne & penser un réel | bouleversement de Vontologie et de la terminolegie qui! Vaccompagne habituellement. En effet, ce qui a troublé | Lévinas lorsqu’il a ouvert et découvert Sein und zeit, c'est | cette possibilité qui s’offre dans l'analytique existentiale de saisir I’étre dans son sens verbal, c'est-d-dire finalement de le comprendre comme événement (d'étre). Voici loriginalitt majeure, ainsi que la superbe d'un Heidegger. Bt pourtant, malgré « l'audace et la puissance spéculative »° de Heidegger, Lévinas pense (avec une audace et une puissance spéculative non moins admirable) un au-dela de I’étre a partir de Phumain, Au-dela de Petre en tant « qu'autrement qu’étre » ‘et non pas coshme simple étre autrement. La difficulté de Petre n’est pas, au fond, de savoir ce qu’il en est de Pétre et du non-éire, ou de savoir si ’étre pzécéde Ie : néant ou si c’est du néant qu’émane Pétre, ou encore de se demander si au cours de toute histoire de la philosophic , la} question de etre a bien é18 posée ; la difficulté de Péue, | disions-nous, c'est d’étre humain. Ce qui compte, c'est f Pexposition de lbumanité de Vhumain (humenité oui dPaillours n’est autre que cette exposition méme) a |’Autre, 2 Tautre homme. Voici que pointe un réel souci éthique. Il y a me} disqualification toute Iévinassienne du souci ontologique | heideggerien (Sorge) au profit du souci entendu comme sou k pour P’ Autre, pour la mort de l’Autre, pour sa misére, sa faim £ et sa nudité, pour les figures bibliques de IEtranger, de ls Veuve et de POrphelin, Cette inquiétude-pour-autrui es responsabilité, Je suis responsable d’Autrui. Responsable jusqu’au sacrifice. La responsabilité ne peut plus ésormais 3 Levinas, « Mourir pour... », in, Brtre nous. Essois sur le penser- & Vautre, p.222. Sentendre que comme d’emblée responsabilité-pour-autrui Quiest-ce a dire sinon que Lévinas réhabilite une responsabilité réellement pour autrui dans laquelle le « pour » du « Pour-autrui » est un « pour-l’Autte » et signifie de hui- méme I'Un-pour-I’ Autre of 'Un est pour Autre ? Mais nous sommes allés un peu trop vite (urgence de la responsabilité ?). C’est pourquoi notre propos 4 venir aura pour but de dévetopper tous ces thémes ~ thémes nouveaux et originaux — dont la compréhension nous apparait plus que nécessaire afin d’entrer de plain-pied dans la philosophic @Emmanuel Lévinas, dans cette _—_ responsabilité bouleversante. Inquigtude. Voici ce qui d’un mot pourrait, nous semble-t-il, éclairer le plus parfaitement le sens du mot «éthique» si souvent employé par notre philosophe. Dailleurs, n’est-ce pas d’emblée ce qui vient a Pesprit lorsque Von utilise la notion de souci? Bre inquiet pour Autrui, tel est le point de départ d'une éthique de la responsabilité sans commencement. Et ds lors, la diffrence avec Sartre se creuse, ou plutét, plus précisément, une inversion entre Sartre et Lévinas voit le jour, prend forme. En. effet, ce n’est qu’en bout de parcours, a la fin, en conclusion dune longue réflexion sur ’étre sous toutes ses formes : étre- en-soi, étre-pour-soi et, le faux ami, étre-pour-autrui, que la responsabilité était thématisée par Sartre. Mais (et nous ne reviendrons pas trop longuement dessus) il s’agissait d’une responsabilité-pour-soi-du-Pour-soi qui, paradoxalement, se donnait tout de méme une radicalité évidente en assumant les conséquences (méme ignorées) de ses actes. Reste qu’en se donnant 4 soi-méme son étre, en se choisissant, on choisit de choisir 1a responsabilité, clest-a-dire sa responsabilité. Le Pour-soi sartrien est responsable de ce qu’il a décidé, pro-jeté. Ainsi, ce qui arrive & la fin d’une réflexion ontologique, c’est une promesse d?éthique, alors méme que lorsque l’on parle Pune inquiétude réelle pour Autrui, clest-i-dire lorsque la 6 responsabilité est toujours déja pour Autrui, on n'en décide | pas vraiment, Plus clairement, la responsabilité-pour-autrui lévinassienne a quelque chose 4 voir avec un a priori, sins tre « apriorique », en ceci que « avant l’expérience » n’a pas de sens pour cette responsabilité, Nous voulons dire par li que Pexpérience nécessite une conscience de l"expérience, et Pexpérience de la conscience. Or, si nous avons opposé catie | responsabilité a celle de Jean-Paul Sartre, c’est justerrent | parce qu’clle surgit avant la conscience (et done Pexpérience). En d'autres termes, la_responsabilité-pour- autrui est « pré-apriorique » (Levinas utilise l'expression fort complexe « pré-orignelle ») et du méme coup, elle date sans f dater d'un avant la conscience. C'est pourquoi choix, | engagement, décision, projet, ne peuvent convenir & son | explicitation. iL Ce qui est intéressant, c'est que, malgré cette inversion que Ton ne peut négliger, les deux responsabilités (sartrienne et | Jévinassienne) ont ceci en commun qu’elles sont toutes les t deux marquées du sceau de la radicalité, Effectivement, en | affirmant ds le départ (les expressions temporelles seron! toujours inexactes lorsque nous parlerons de a responsatilit | lévinassienne. Ici, il faudrait éerire : dés le départ, mais sans départ.) le Pour-autrui de la responsabilité, Lévinas nous montre que je suis responsable de ce que j’ignore (comme chez Sartre), de ce qui n'est pas de moi, de ce qui n’est pas moi. Dans son entretien avec Philippe Nemo, Lévinas est tts clair a ce sujet: «J’entends la responsabilité comme | responsabilité-pour-autrui, done comme responsabilité pow | ce qui n'est pas mon fait, ou méme ne me regarde pas ; ou qi précisément me regarde, est abordé par moi comme visaze.9 (Ethique et Infini, p.112). Voici un premier sens & donner 4 notre titre, trés inspiré de Lévinas lui-méme : « Le primat d Péthique sur ontologie. » Notons tout de suite qu’un Soi ou un Pour-soi n’a pes été posé par Lévinas, et bien entendu, il ne s’agit pas 1a cune 68 | | E omission. Lorsqu’on ne peut penser la responsabilité que comme responsabilité-pour-autrui, c’est le Pour-autrui out Prime. Mais il nous faut bien comprendre ce quest le Powe, autrui, en ce sens que Sartre a pu en parler et Putliser sone Pour autant destituer le Soi du Pour-soi, le Méme, "Un, Avec Lévinas, Pour-Auirui a un sens fort, et n'a que ce sens sil ‘agit pour 'Un d’étre pour Autre. Jusque nous avons vu, Sartre n'a jamais dit le contraire, L’inversion se joue done précisément dans Pacception, dans la recherche de ce qu’éire, ourl'Autre veut dire. Tout dabord, il nous faut souligner quiavee Lévinas, 'on passe d’Autrui&’Aute. Il est possible dans un premier temps de ne pas bien voir la difference, Mai passer de I’Autrui indéterminé & Autre, c'est commencer & lever quelque peu 'indétermination gui pése sur cet Avtrui abstrait, T'Autrui qui certes pouvait étre un autre mais n'importe quel autre (peu importe de qui il s‘agit du onan que Je ne suis pas Tui et qu'il nest pas moi) et passer a autre nie, PAntre dans son unvté dase Homme uirement dit, !’Autte devient plus concret, et la conerstud: de son alterité d’Autre, c'est aussi la coneréiude de sn fgilité, de sa mon prochaine inserite dans le surgisement de son visage, visage sans plastique, @avant la plastique, si Yon peut dize aussi, @avant la bouche, le nez et les yous, ot Pourtant visage, singularité du visage, visage qui me renarde, Le visage me regarde done il m'incombe (n"y auraitil pas Ta quelque chose comme un cogito Iévinassien ?). Surgissement du visage er surgissement de la responsabilité-pour-autrui, Le sugissement du visage est le surgissement de responsabilité pour I’Autte. « Positivement, nous dirons que s lors qu’autrui me regarde, j'en suis responsable, sous miéme avoir & prendre de responsabilités & son égard. ca “Nous renvoyons, pot om, pour n qusonnement pls précis et concer pled ata Auras bin cher Sars us chee Les ae enierchapte do nove seconde secon: « Comment Atay aan Jumais le méme Autre chez Sartre et chez Lévinas », i 65 ] | | 4 4 jig m'incombe. C’est une responsabilité qui va au- Gorn de ee qe fis Dhabi, om ex eesponsable de , avon fit soigme. Jo dis, dans urement quire responsi sinew pow aura, Cola ve que je suis responsable de sa responsabilité méme. » (Ethigi Ce ae Sinifie Welleméme ot ava toute chose : fUn-pourl’Autre de la responsabilité, Bt ot rt, iiss au dBbur de noire rtexon. sur Levi | inguigtude » prend tout son sens. Ainsi, fs | cesponebiit- pour le Mine et ngicte par PAU Voici que jsilsement du visage de Taue. ss | prcsisément Ante) signifie det, toujours we | responsabilitg, irrécusable et pourtant non choisie, p Autrui. i Finalement Ie souc-pousrautrs, expression que now avons utlsée pour paler a Vontologe, afin €’expiner i sortie hors de Pe t aude. du souet du Dasein hunsa pour son Grearmonde, mettant ainsi en relict dansk proximité des expressions la diférencefondamentl, oan | entre Jes deux soucis ; le souci-pour-autrui, Ccrivions now doit plut6t, @ notre avis, etre appelé : inquiétude-pour- sa Dans "Aut de Pingugtde-pourautri est retin la mort (prochaine) de I’Autre qui, m ngs Ba Heideagerne voit dans le mourtpour-aute gun ¢ inn sacrifice » sans efficace, entendons qui_n’empéche- 5 PAute pour leguel je me sactfie de moure un jou, ¢es sans doute parce que le «Pour de 1'Urepour- Aure, it mourirpour Aute et dela respensabilt-pour-Antn re jamais compris par T'auteur de la Lettre sur [humane comme non-indiffétence. Au mourit de T’Auwe je re ps] rester indifférent, malgré ma propre mort prochaine, L’au-deld I I | All us fréres humains, (Pléiade, tome 2, p.1110) ert Cohen, O vous fr ins, (Plsiade, tom st Col Netre se joue comme inquiétude et angoisse devant la mort ¢Autrui, cest-d-dire comme responsabilité de Un non. indifférent & Autre. Voici ce quientend Lévinas par responsabilité jusqu’au sactifice ou eneore, ce qui revient au méme, par Pour-autrui Nous sommes loin de Sartre et de cet étrey nous avions tenté de décrire comme un donati précis ol, dans le Pour-soi ¢a se donne, activité caractéristique de cet étre-pour-soi. L'inout de ia Philosophie lévinassienne se manifeste dans cette ‘esponsabilité-pour-autrui qui, malgré sa qualification de ‘passivité plus passive que toute passivité », laisse ouverte la Possibilité d'un pur don & Autrui. Don comme don de soi Sopposant & cette donation involontaire du Pour-soi, mais Pourtant don comme ex-position, dé-position du Mame devant l’Autre : réponse & Papel du visage. « Le sacrifice ne saurait trouver une place dans un ordre partagé entre Vauthentique et ’inauthentique. La relation autrui dans le secrifice ob la mort de Vautre préoccupe P’étre-lé humain, avant sa propre mort, n’indique-t-elle pas précisément un aus dela de Tontologie - ou un avant Tontologie — tout en determinant ~ ou révélant — une responsabilité pour autre et parelle un « moi » humain qui n'est ni Pidentité substantielle fun sujet ni I'Eigenilichkeit dans la «mienneté» de Vétre [.1. La priorité de Pautre sur le moi, par laquelle Pétre-1i Sumain est élu et unique, est précisément sa réponse a la nudité du visage et sa mortalité. C'est la que se passe le souci de 2 mort of le «mourir pour lui» et «de sa mort» a la Brotié par rapport & la mort «authentique » » (Lévinas, Entre nous, pp.229-230.) En somme, Ia responsabilité-pour-autrui ou responsabilité proprement lévinassienne, s’entend comme Sponse & Ia mortalité et a le nudlité, bref, a la fragilité qui surpit dans le visage de I’Autre. De nouveau, nous pouvons dire que les qualificatifs qui correspondent Ie mieux A cette pour-autrui que ion, dans le sens et ce, malgré a responsabilité démesuré (jusq’au sacifice >) sont: infin et absolue. C’est précisément cela que permet 3 easer 7 thigue qui précede Pontologe, un primat de P'thique ox | Vontologie. Avec Lévinas, I’Autre dans la ieee ded "Un pour Autre, aretouvé route sa digi alors méme qe chez Sate, et ce malaré It promesse dthique qu se dae de 12 e e nant ainsi quel eacicalté del esponsablit du Poursoi, le Pouraura eit comme perdu dans Pte. pour-soi, une sorte de simple partie du Pour-soi. Pour 7 cote promeste d'éthique deta responsabilité sarienne, devient done nécessare de se demander si et possible passer dune responsebilitépoursoi & une resporsabiit | pourautrut dans laquelle Autroi aurait une place elle Comment tyouver cette place réelle 4 Autrul eu égard a | « Pimpérialisme » du Pour-soi ? | i | I 68 Chapitre 3 COMMENT LE PASSAGE DE LA RESPONSABILITE-POUR-SOI A LA RESPONSABILITE-POUR-AUTRUI EST-IL POSSIBLE ? —_ A, LE POUR-SOISARTRIEN La question que nous Rous posons eu égard A la Philosophie sartrienne est due a quelque chose comme un sentiment @’incompréhension. Fn effet, comment peut-on donner la place la plus haute qui soit a la responsabilité (bien sue Ta liberté lui fasse concurrence),'en faire un absolu, lui sttrbuer une radicalité incontestable, rappelons-nous cette Phrase aux accents dostoievskiens : «Je suis responsable de tout devant moi et devant tous et Pignorance vise a ‘estreindre ma responsabilité dans le monde. » (Sartre, Vérité a Existence, p.98.), et ne pas réussir & thématiser la ‘ssponsabilité éthique par excellence : la responsabilité-pour- autrui ? {four un spprofondissement de le question essentille(lorsqu‘on trate dium probltme éihique), du rapport entre responsabilité et liberté, nous ‘ous permettons de renvoyer & Ia troisiéme section de ce travail, 69 Nous Pavons vu, tant chez Jean-Paul Sartre Iu'-méme que dans Ia critique Iévinassienne que nous avons tentée, Pétre-pour-autrai de Pontologie phénoménologique n'est pas un Pour-l’autre éthique, malgré une proximité terminologique | fort trompeuse. Mais le probleme pour le moment ne tent pas & Autrui lui-méme (bien que Ja réflexion sur cette question, nous le constatons chaque fois, devient pressante), méme Sil est vrai que dans expression sartrienne, !’Autrsi reste complétement indéterminé. Finalement, il nous fau: plutot interroger le « pour » du « Pour-autrui » qui n’échappe pas, semble-t-il, a la critique de Lévinas selon laquelle il n'est pas saisi comme non-indifférence éthique. Méme dans notre mouvement de réhabilitation d’une responsabilité-pour-autrui chez, Sartre, nous ne pouvons pas réellement dire le contraize, si ce n'est" que Lévinas, dans Entre nous, stadressait i Heidegger, a la question de « Pétre-pour-la-mort », et réfutait i» heideggerien, ou plutét Pindizférence le « mourir-pour- devant la fatalité et la solitude de ce «mourir-pour-soi», § Toutefois, la question du « pour » comme non-indifférence se | pose encore chez Sartre, en ce sens que du Pour-autrai, nous | avons dit qu’il n’était qu’enclise du Soi dans la construction | Wun Pour-sei-pour-autrui. Dés lors, nous ne pouvons pas éviter de constater que ce qui est paradoxalement en jeu dans le Pour-autrui sartrien, c’est le Pour-soi lui-méme. Ainsi, aussi Glonnant que cela puisse paraitre, faut} interroger le Pour-soi lui-méme pour tenter d’atriver & Autui et du méme coup 4 une séelle promesse ou encore a une promesse de réelle responsabilité-pour-autrui Tout se passe comme si nous devions mettre en place, dans philosophie sartrienne, les conditions de possibilité, et par méme les conditions de pensabilité, de quelque chose comme une authentique responsabilité-pour-autrui Repartons de [étre-pout-soi en _rappelent ss caractéristiques fondamentales: non-coincidence avec lu méme et transcendance, A partir d'une redescription, ca 70 plut6t d'un travail de Pintérieur de ce nous espérons nous met PUn pour [Autre Pour comprendre le Pour-soi, il est né <8 dfnition la plus cate, enfendons la ee celaagere i ev au de prime abord, elle semble ués ape éure-pour-sot est Pétre qui n'est pas ce qu'il eat ot na qu'il n'est pas. En d'autres termes, la non-coincideies nee Wianéme du Pours, c'est sa prope deiniton pe ee Se zeneasidence peut exliguer pare at uot Pou. sc lui, c'est-a- inf fnalement, plus qu'un simple ete hors de hay ee: particulier qu'il est un éte gui sort de son Soi tout en i “lant. Sel, dan son projet de montter que Lire ef eae manifest une pense incontesablement insite dans a tt Philosophie dialectique : La dialectique de ?, nous donne un renseignement tres intéroesny cette particularité de l’étre-poursoi: «Le Pouran nt cssenliellement un artachement son propre étre et on Projection de soi au devant de sol. A chaque fae te Pour-soi n'est done plus son présente il est deja son faa, Crest ainsi que Sartre pouvait déclarer qu'il ne cotacide famals aves soi, qu'il ext essenticllement un fire non iWentique. [..] Ainsi le Pour-soi est un arrachoment con 4 soi, il est «le fondement de son propre meant » Cone structure, Sartre Vapette aussi non-identte » EL fx (cil, d'speés “notre auteur, non-cofncdence et ns © sont intimement’ liges, entrelacées ‘nséparables. La transcendance se joue comme artachemen, (wanscendance) & soi du Soi (non-coincidence). Cependene Pour instant, nous n'avons encore rien dit du Pour-sol ment ‘ui permettre d’échapper & la critique lévinassienne, on ne est qu'en échappant a cette critique, sans Pignmee *Gethard Sel, La di let nr Sel, La dalecique de Sarre, «La difécence ono Vensoi et du Pour-soi », Pp-217 et suivantes. i alae n s deux points cardinaux, tire sur la voie d’une responsabilité de Pignorer simplement, que l'on pourra affismer et confirmer quil y a chez Jean-Paul Sartre une promesse d'éthique de la nsabilite. caer de Lévinas concerne essentiellement la transcendance. Effectivement, comment ne pas remarquer que dans la définition méme du Pour-soi, un « n’étre pas ce quill est » et un « étre ce qu'il n’est pas », c'est toujours de Pétre qu'il s’agit? Or, la transcendance en tant que Aépassement ou arrachement devrait signifier d’elle-néme depassement de Pte, sonic hors de ee, My aurait done > manque intrinséque a la conception sartrienne de la transcendance, un manque que nous n’avons pas Fésité A qualifier de manque d’ascendance. Toutefois, si le Four-soi ne peut s'identifier & len-soi, c'est précisément parve que dans Pen-soi, {re est son soi, le soi n'est que I’étre qu’il est, Videntité du “Soi et de P’éire est parfaite, Une premiére transcendance trouve donc naturellement sa place dans le mouvement de dépassement de l’étre qui n'est que cet étre Le Pour-soi se constitue, ds le départ, dans un movvement de transcendance de Ven-soi. Le Pour-soi par défini:ion, ou pl, par constitution, est tanseendance, Mais ie, or ne sort toujours pas de a critique lévinassienne, nous avons juste fat tun premier pas dans la compréhension de la relation de la transcendance [’étre-pour-soi. Nous n'avons pas encom épuisé 'idée d’un manque d’ascendance de la transcendance, non dans sa relation, mais 4 Pintérieur, dans le Pour-soi Iui- Finalement, nus sommes aments & chercher quelque chose comme une auto-transcendance ou une auto-trans-ascendance du Pour-soi. Ce qui annulerait !a critique Iévinassienne sur le probléme de [’étre, de la transcendance et du Pour-soi, ce serait de trouver a Pintérieur du Pour-soi un hors-de-soi-ce- Petre qui ne serait pas seulement un étre-hors-de-soi, ce ai revient A dire, on plagiant Lévinas lui-méme, que nous I | i | i | E n cherchons un autrement-qu’étre-hors-de-soi_ qui ne se réduirait pas a un simple étre-autrement-hors-de-soi. Mais il faut bien se rendre a I’évidence, un tel hors-de-soi-de- Petre n'existe pas dans le Pour-soi sartrien, Non seulement la transcendance de l'en-soi massif par le Pour-soi est une transcendance qui se joue toujours dans Vétre, une transcendance de [’étre par un autre étre, comme Pindique ailleurs clairement la terminologie sartrienne : c'est {'étre- pour-soi qui transcende {’éire-cn-soi; mais encore la ‘ranscendance propre au Pour-soi lui-méme ne conceme pas Pétre mais le Soi. Ainsi, ce qui nous avait permis de penser une transcendance du Pour-soi, c’était bien évidemment I'ek- stase du Soi du Pour-soi, son « arrachement continu & soi » et non pas sa sortie de I'étre. Cette absence de dépassement de Petre va-t-elle réellement fixer, figer Sartre dans le seul pur souci ontologique ? Que nous est-il possible de faire de la non-coincidence 4 soi du Pour-soi? Cette transcendance effective du Soi ~ en tant que Sartre dit explicitement du Soi du Pour-soi qu’il ne coincide pas avec son Soi, qu’il est hors de lui —va-t-elle tout de méme nous permetire de dégager une ouverture la venue et a I’accueil de l’Autre dans le Pour-soi, hors Je Pour-autrui (dont nous avons vu les apories indépassables), qui nous permetirait par la suite de thématiser une responsabilité-pour-autrui proprement sartrienne ? Dans optique de cette nouvelle transcendance prometteuse, nous allons reprendre une derniére fois la description du Pour-soi. En tant qu’arrachement soi, que transeendance, que distance de soi A soi, Sartre n’*hésite pas a faire de lui une « décompression d’étre », « La caractéristique de la conscience [conscience et Pour-soi sont entendus par Sartre comme une seule et méme chose], au contraire, cest qu’elle est une décompression d’étre, Il est impossible en effet de la définir comme coincidence avee soi. » (L'étre et le néant,p.112). Qu’est-ce-& dire sinon qu’en se pro-jetant hors de soi, le Pour-soi s’ouvre de lui-méme ? Tout le probléme a est de savoir & quoi il y a ouverture dans cette non- coincidence, cette non-identité du Pour-soi, Force est d’abord de constater que c’est le Pour-soi lui-méme qui décide de son pro-jet. Nous pouvons dire que le Pour-soi se dome a Iui- méme sa transcendance. Ainsi la distance que le Pour-soi prend par rapport & son Soi se présente comme ouverture intentionnelle du Pour-soi. En effet, il est tout aussi juste de dire du Pour-soi qu’il n’est pas ce qu'il est et quill est ce qu'il n'est pas, que de dire que le Pour-soi se fait étre ce qu’il n’est pas et n'est pas ce qu'il se fait ne pas étre. Tout se passe comme si le Pour-soi était un Pour-soi-Protée, mais sa particularité c’est qu’en donnant a son Soi la possibilité d”étre ce qu’il n’est pas, malgré cette possibilité, il garde toujours son Soi, il reste lui-méme tout en étant différent de lui-méme. A Pévidence; le Pour-soi de type sartrien est un absolu relatif: Absolu en tant qu’il est toujours & lui-méme son Soi et relatit en ce sens que son Soi n’est pas figé dans ce Soi qu’il est 4 lui-méme, il le laisse étre ce qu'il se fait. Dés lors, nous pouvons dire que c’est dans cette transcendance, dans cet absolu relatif, done dans cette distance effective qui apparaft entre le Pour-soi et son Soi, que nous voyons se dégager un espace ou l"Autre va trouver sa place. Dans cette cuvertur, PAutre rentre dans le Méme (c'est-a-dire rentre dans le Pour- soi), Méme qui peut rester Iui-méme sans prendre 1a place de PAutre, mais bien au contraire en accueillant. Superbe possibilité que se donne le Pour-soi d’accueillir en son sein PAutre, sans aliénation. L’absolu relatif qu’est le Pour-soi n’annule cependant pas le choix qui lui est propre. Nous entendons par 1a que le Pour-soi continue de se choisir tel ou tel, choisit de se faire et de se donner une distance, de se mettre a distance de son Soi, et donc peut choisir l’accueil de PAutre. Ici, I’Autre ne perce pas le Méme, ne oblige pas, mais le Méme, le Pour-soi, s’ouvre a la venue de |’Autre comme volontairement, Par I’ek-stase du Soi du Pour-soi, le fameuse i I E phrase tirée des Pensées de Pascal : « « [..,] c'est la ma place au soleil.» Voil& le commencement et Pimage de usurpation de toute Ia terre», se trouve démentie. Nous voila sortis de la seule logique du Pour-autrui, unique moment oU Vontologie sartrienne envisageait I’Autrui (du moins, 14 of nous en sommes de notre questionnement sur la pensée de Sartre) et qui ne nous donnait a penser qu’un ersatz de Pour-soi persévérant dans son étre. Ainsi, le Pou-soi a la possibilité de faire une place pour I’accueil de l’Autre, voici la condition nécessaire d’une responsabilité-pour-autrui, I] doit se faire responsable de I’Autre en se faisant responsable de son Soi, c'est-i-dire en choisissant son « arrachement continu a soi ». Cependant, cette possibilité éthique ott le Pour-soi se fait le gatdien de l’Autre, n‘a évidemment pas la force d'une nécessité ontologique. Hl dépend du projet du Pour-soi de s‘ouvrir & l'accueil de I’Autre, Autrement dit, cette condition nécessaire de la responsabilité-pour-autrui, que nous avons mise en lumiére au sein du Pour-soi, est le fruit dune conception de la responsabilité comme dépendante dun choix, ou encore d'un engagement. N’est-ce pas le prix a payer dés lors que le Pour-soi prime sur l’Autre? Cette responsabilité est-elle réellement ponr-nutrui ? L’urgenee de la responsabilité peutelle permettre un passage de la responsabilité-pour-soi a la responsabilité-pour-autrui ? 5 B. CHOIX Ei’ DEMESURE ; LE POUR-AUTRUI DE LA RESPONSABILITE-POUR-AUTRUI NE DOIT-IL PAS PRIMER SUR LE SOI? S'il est incontestable que 1a responsabilité est ues présente dans lexistentialisme de type sartrien, c'est la question de savoir comment la responsabilité est possible qui pose probleme. En effet, tout se passe comme si devant mon prochain, je me demandais & chaque fois avee «la sobre froideur cainesque »'que I’on sait: « Suis-je le gardien de mon frére? 93 Et de me demander du méme coup si ce prochain est mon frére, si lui aussi est responsable, non pas simplement au sens de savoir s*il est conscient d’avoir des responsabilités d’homme libre, par exemple, mais plutdt de savoir si lui aussi est responsable de moi. Autrement dit, je m’interroge sur la réciprocité possible de ma responsabilité envers Autrui, dans la dureté et la froideur de la simple tolérance, comme ouverture possible, qui 4 tout moment, peut se refermer, peut ne plus tolérer : caleul de la responsatilit réflexion, retour sur soi du Pour-soi. Il sera méme possible de parler d'une coresponsabilité d'autrui et de moi Etrange notion que cette responsabilité qui fait du moment de la réflexion et de la pensée un instnt insupportable, et pose un probléme moral. Mais l’appel de celui qui a faim permet-il a toute une pensée de se déplier, de Ne itons cette formule 4 E. Lévinas lui-méme qui l'utilis: a de nombreses pics das plaeus dose textes: par exemple ds De Drew ive Vidée pL}. : 2 En ste, s'interrogeant sur l'existence simultanée du Méme et de wAute, Sarre ert «est-quen fly PAtire ct Mot sonnes coresponsables de existence de PUES [19 16 mesurer, de comparer, puis de revenir sur elle-méme, de se replier pour enfin se décider ? N’y a-til pas une urgence du donner-a-Autrui-le-pain-qu’il-n’a-pas ? Ne suis-je pas déja suffisamment en retard quand il m’appelle ? De toute évidence, ce qui dans le mot responsabilité importe plus que tout, c’est bien « Pour-autrui ». Que signifie ce Primat du Pour-autrui ? Charité bien ordonnée commencerait- elle par Autrui ? « Ainsi s’annonce Phumain dans l"étre pour Lévinas : «dans la déposition par le moi de sa souveraineté de moi», gui lui fait « préférer injustice subie a injustice commise et ce qui justifie 'étre a ce qui Passure » [De Dieu qui vient a Fidée, .265.. L'assignation du moi a comparaitre au tribunal intérieur qui juge les conséquences de ses pensées, de ses paroles et de ses actes sur la vie dautrui, ébranle son contentement, dénonce sa vanité et lui fait méme perdre toute identité repérable par des titres objectifS. «Moi sans ‘dentité », et pourtant élu, lui et nul autre, pour répondre a la convocation silencieuse que Iui adresse la faiblesse des hommes. Le psychisme humain est habité par cette hantise, il xe s'absorbe pas dans etre parce que la responsabilité pour autrui le retient au moment 2 il s"appréte A y jeter fermement ses amarres.» (Catherine Chalier, Lévinas, Uutopie de Vhumain, pp.88-89.) Ces quelques lignes de C. Chalier mettent en Iumiére ceci que Ta responsabilité, pour étre de prime abord pour- autrui, ne doit pas étre choisie, c'est-a-dite ne doit pas étre objet d'un projet du Pour-soi, mais doit bien plutét me choisit, me désigner, m’interpeller, m’invoguer, m’assigner. Uanpel du visage est une obligation, convocation a répondre de ce visage, réponse comme responsabilité, responsabili comme responsabilité-pour-autrui, Le premier sacrifice du Moi sur l’autel de la responsabilité est celui de sa tendance a n persévérer dans son étre, celui de sa toute puissance, de son hégémonie, de son impérialisme. Mais le visage demande plus, il demande a l’infini, ou plus justement, il m’assigne a une responsabilité infinie. Qu'est-ce a dire sinon qu’il prime largement sur le Soi qui a comme volé en éclats, qu’il empéche et méme interdit Je « quant & soi » du Méme ? Le surgissement, ou plus exactement le jaillissement du visage ouvre & la pure responsabilité-pour-autrui. Bt Lévinas de dire dans cette optique : « le « Tu ne tueras point » est la premiére parole du visage. Or c’est un ordre. Il y a dans apparition du visage un commandement, comme si un maitre me parlait. Pourtant, en méme temps, le visage @autrui est dénué ; c'est le pauvre pour lequel je peux tout et A qui je dois tout. Et moi, qui que je sois, mais en tant que «premiére personne », je suis celui qui se touve des ressources pour répondre & l’appel. » (Ethique et Infini, p.83), Ou encore: «[...]dés lors qu’autrui me regarde, j’en suis responsable, sans méme avoir & prendre de responsabilités 4 son égard; sa responsabilité m’incombe. » (ibid., p.S2). Et enfin, dans Totalité et Infini, notre philosophe cite le Talmud et nous explique : « « Laisser des hommes sans nourriture - est une faute qu’aucune circonstance n’atténue; & elle ne s'applique pas la distinction du volontaire et de Pinvolontaire » dit Rabbi Yochanan [Traité Symhedrin 104 b] Devant Ja faim des hommes, la responsabilité ne se mesure qu’ « objectivement ». Elle est irrécusable, Le visage ouvre le discours originel dont le premier mot est obligation qu’aucune « intériorité » ne permet déviter. » (pp.219-220). On le voit, les citations & ce sujet sont trés nombreuses ct finalement nous apprennent ceci: face au visage on ne peut plus pouvoir, & la responsabilité je ne peux dire non, Cest-a-dire non pas que dans les faits il me soit impossible de [Rent en le faire*, mais qu'il m’est tout aussi difficile de me refuuser au visage que de braver linterdit de tuer, Nous pouvons méme Gre tentés d’aller jusqu’A écrire qu’étre sourd a l’appel du visage ct ne pas respecter le «Tu ne commettras pas de meurtre » sont comme une seule et méme chose. 1 faut, par ailleurs, noter I’étrangeté de cette idée selon laquelle le faible — le visage est choisi par Lévinas parce qu’il signifie de lui-méme la nudité, la pauvreté de la nudité —a la capacité de m‘obliger, me rend responsable. On pourrait fort bien nous rétorquer que tout ceci est illusoire et reléve de la plus grande abstraction, voire d'une utopie. Mais prenons Pexemple de la relation du médecin au malade ; le malade en tant que tel, c'est précisément le faible, P’alité. Or c’est devant lui que le médecin est obligé, c'est de lui que le médecin s'inquiéte et répond. De Pextérieur, par Autrui, le médecin est devenu responsable. Voici concrétement ce que signifie une responsabilité irrécusable qui comme telle n’a pas été choisie, mais quien revanche, a choisi. Voici la responsabilité qui m'incombe, une responsabilité-pour-autrui it Autrai compte plus que moi-méme. Aussi, c'est dans cette réponse & I’appel du visage, dans cette responsabilité a laquelle je suis donné, dans cette responsabilité-pour-autrui que je dois porter avant tout choix et tout engagement, que I'urgence dont nous paclions se manifeste. Le visage, dont le regard parle, m’a dit: « Tu es mon gardien et je suis ton fiére», et m’a obligé en anv'interpellant par sa faiblesse. Urgence a laquelle je réponds sans me donner le temps de me demander s'il existe quelqu’un pour étre A son tour responsable de moi. Ft Simonne Plourde de parler de «démesure de la responsabilité »", C’est sans doute en tentant une description °De nouveau il faudrait écrire qu’une possiblité éthique n'a pas la force d'une nécessité ontologique. Simonne Plourde, Emmanuel Lévinas, Altérité et responsabilité, Chapitre 2 : « La démesure de la responsabilité», pp.53. sq, 9 de ce que Lévinas nomme « asymétrie » que nous pourrons comprendre le sens de cette expression Liasymétrie est Je propre de la responsabilité-povr-autrui Rappelons-nous encore la phrase de Dostoievski: « Nous sommes tous responsables de tout et de tous devant tous, et ‘moi plus que les autres »*. L’asymétrie, c'est précisément ce «moi plus que les autres », toujours nécessairement plus responsable que tous les autres. Lévinas insiste tes longuement sur cette asymétrie radicale, et c’est sans doute dans Au dela du verset qu’il la thématise le plus fortement «Ma responsabilité s’étend jusqu’a la responsabilité que peut prendre l'autre homme. Moi, jai toujours une responsabilité de plus qu’autrui, car de sa responsabilité je suis encore responsable. Et, s’il est responsable de ma responsasilité, je suis encore msponsable de la responsabilité qu'il a de ma responsabilité : en ladavar sof, «cela ne finira jamais ». A Vinfini, dertigre 1a responsabilité reconnue & tous pour tous, surgit le fait que je suis encore responsable de cette responsabilité [...] ». Et pour étre tout a fait exact, poar parler une asymétrie totalement asymétrique, il aureit fallu préciser: ef s'il (f'duire) est responsable de ma responsabilité, non seulement cela ne me regarde ras, cela nest pas mon affaire, mais encute, je suis responsable de cette responsabilité. La démesure et l'asymétrie font de la responsabilité pour-autrui cette charge écrasante, ce poids incalculable, que pourtant je m'efforce de soulever, il s‘agit en fait de sorter le poids du monde sur ses épaules, En effet, la non-réciprocité, ou plutét, la non recherche de réciprocité dans Ia responsabilité met en lumiére ceci de particulier quelle est injustifi¢e, absolument injustifiée, clest-a-dire que je ne peux méme pas en étre le fondement, ou décider de lui donner de existence, par contre, je dois me comporter comme une fondation. Plus clairement, une fondation a pour fonction * Exhique et Infni, p98. C'est nous qui soulignons. 80 Brincipate et essentielle de soutenir, de supporter un édifice, &t c'est précisément ce que Finterpellatn du visage me demande, et _méme m’ordonne de faire: soutenit Ia ‘esponsabilitépour-autui, Personne ne pent &re responsable ma place. Avec cette éthique de la responsabilité de 'U's pour P Autre je suis « comme placé sous un soleil de plomb, sans ombre protecttice », «je suis le porteur du monde: VAtlas éthique (Aucrement qu'étre, p.139), «je suppore univers » (bid. , p.152).° ‘ ini Ainsi, lorsque Autre passe avant mot (et dans Ethique er Infinit . 81) Lévinas n’hésite Pas a résumer sa Pensée en un. «Aprés vous monsicur!»), il est évident gue tien se conditionne ma responsabilité pour le prochain, encore moins cette idee selon laquelle je suis responsable de I Autre pares gue Autre est responsable de moi. Dans la ‘pure Responsabilité-pour-autrui, il m’est tout aussi impossible de demander si un autre hozme est responsable de mo! que de 'me poser la question de savoir si je suis le gordien de sion fier, Responsabilitépour-autrui od rien ni personne, jamais, ne peut m’alléger, me dé-charget. &[...] la relation intersubjective est une relation non symétrique. En ce senasae suis responsable datrui sans atiende la réciproque, ited im'en coter la vie, La reciproque, c'est son afi, [.~] je sais responsable d'une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres, méme de leus responsabilité. Le moi a toujours une responsabilité de pi que tous les autres »?, a 81 ‘Aprés tout ccla, le poids, lasymétrie, Ia démesure, comment résister 2 la tentation de plagier Sartre et d’éerire & sa maniere : je suis condamné a la responsabilité ? Si nous avons pu emprunter la forme d’une pensée propre & Sartre pour exprimer une idée lévinassieane su la responsabilité, nous ne pouvons pas aller pour autant vraiment plus loin dans Ja fusion de ces deux philosophies. En effet, en dépliant Pontologie _phénoménologique sartrienne, nous avons pu trouver une thématisation importante de la notion de responsabilité. Cependant, le critique lévinassienne fut sévére et fit apparaitre le Pour- ‘qutrui sartrien (gor lequel il était a priori tentant de chercher Jes fondements d’une éthique) comme un simple ersatz @éire-pour-soi. Das lors, nous avons tenté une relecture de ce Pour-soi en nous fixant pour fin de chercher au sein méme du Pour-soi un espace ouvert & Vaccueil de l’Autre. Nous pensons "avoir trouvé dans la distance & Soi du Pour-sci en pro-jet et par la méme, nous avons mis en place les conditions de possibilité et de pensabilité d’une responsabilité-pour autrai purement sartrienne, Reste qu’en visitant de pris Védifice d’*Emmanuel Lévinas, nous avons pa comprendre qu'il était impossible de passer d’une responsabilité pour soi ‘ou du Pour-soi (ce qui était encore le cas dans nos condions de possibilité chez Sartre puisque le Pour-soi décidait lui ‘méme de l’accueil de I’Autre) & une responsabilité réelleneat pour autrui, en ce sens que cette demigre signifie que, dans PUn pour PAutre de la responsabilité-pour-autrui cet TrAutre qui prime sur le Méme. Cette responsabilité pour autre homme est sans conditions. L'inversion entre Jean-Paul Sartre et Emmanuel Levinas s’est ici non seulement mise en place, mais encore devient de plus en plus Gvidente au fur et & mesure de le confrontation : 82 responsabilité-pour-soi/responsabilité-pow autrui, étre-pour-autni i, i comme partis re secon del'Aue sure Meme eg, TEtePour Sure demir probleme i est bien légitime de se demand Save devient le suet lorsque c'est PAutre qui passe evant, oanee est le cas chez Vauteur de Autrement gu’étre. Pa ailleurs, inversement, qu’est-ce que PAute lorsque le P . : importance aussi fondamentale que cell aire i ne que celle que Sartre Nous allons ds n 1 maintenant tenter de réj a i; pondre a ces questi ane 7 la subjecivite la responsabilité ainsi que oe du le Valtérité et de la subjectivité face a _ © Ja subjectivité face a cette n centrale chez nos deux philosophes la responsabilité 83 z Chapitre 1 COMMENT AUTRUI N’EST JAMAIS LE MEME AUTRE CHEZ SARTRE ET CHEZ LEVINAS ? eee 4. UNE MANIERE D’ALTER EGO Jusqu’a présent, nous avons essayé de trouver quelque chose comme une pure responsabilité-pour-autrui chez Sartre, n cherchant essentiellement a saisir ce que pouvait étre le Pour-autrui de cette responsabilité, Mais 4 propos d°Autrui luiméme, nous n’avons encore rien dit si ce n'est par avident, Quelle est l’'alterité d’Autrui? D’ou vient cette altéité ? Est-elle, ou plutot, entretient-elle un rapport avec le Méme, le Pour-soi, le sujet ? ‘Commengons par ce que nous avons déja, mais que tous n’avons pas eu occasion de creuser jusqu’é présent : UAutrui de Pétre-pour-autrui. En nous interrogeant sur Pétre- pour-autrui nous avons montré qu'il y avait quelque chose comme une donation de Pétre-pour-soi. En effet, nous avons ‘voulu éviter d’utiliser le concept de don, qui, nous semble-t- il, peut impliquer la volonté de I'Un pour Autre, c'est-a-dite a volonté qu’a Je Méme de donner quelque chose ou de se donner &’Autre. Or dans 1’étre-pour-autrui, non seulement le Poursoi ne donne pas, il ne veut pas ou ne décide pas de 87 donner, ga se donne en lui mais encore, il ne sait pas & qui cela se donne. Il a une abstraction radicale du donateur et du donataire dans 'étre-pour-autrui. En revanche, si quelque chose du Pour-soi se donne, c’est toujours a Autrui, Si appellation de don est exclue par la forme méme que prené cette structure particuliére qu’est l'étre-pour-autrui, nous obtenons quelque chose de nouveau: une des premiéres déterminations d’Autrui. Autrui apparait comme celui qui regoit ce qui se donne dans, ou plut6t de mon Pour-soi et que je n’avais jamais récllement décidé de donner. Il y a done plus une réception, un accueil de la donation de ce qui Séchappe du Pour-soi, qu'une saisie, qu'une volonté qui décide de se saisir de, de la part d” Autrui — plut6t receleur que voleur. Cependant, gette premigre détermination d’Autrui révéle une. indétermination fondamentale : Autrui est-ce n’importe quel ‘Autrui ? Rien n'est réellement dit, dans la honte (elle que écrite dans L’étre ef fe néant) Autrui est simplement celui qui me voit, de dos, en train de regarder par le trou d'une serrure, celui dont je sentais la marque brilante da regard Peu peu Pindétermination se manifeste & nous, en ce sens qu’Autcui peut tre n’importe quel Autre, n'importe qu, finalement, du moment que ¢a me regarde ct que c'est ut homme. ‘Nrest-ce pas déja trop en dire ? N’oublions pas que je suis & dos, que je suis regardé, cest un regard, un regard comme tel, brilant, cest-a-dite génant. Peu importe & qui appartiennent ces yeux, ils me figent, c'est déja bien suffisant. Autrui, pour le moment, ne serait-ce que des yeux, d’éventuels yeux ? Et Sarire de nous répondre : « ce ne sont jamais des yeux qui me regardent, c’est autrui comme sujet. » Nous pouvons d’ores e dgja nous étonner méme si ce que dit Sartre n’a que fa valeur dune image, en ce sens nous sommes en désaccord total mals aussi tout a fait d'accord avec lui. En effet, il n'y a que des yeux pour me regarder (nous n’avons pas connaissance de 88 textes dans lesquels Sartre, & la maniére de Lévinas, décrirait ta non-plastique du visage), or s'il ne s'agit jamais des yeux mais que tout de méme ce sont des yeux, Auirui en est réduit Acotte paire d’yeux, od les yeux a eux seuls sont rehaussés dans la pensée de Sartre jusqu’d la dignité humaine. En autres termes, méme en parlant d’Autrui sujet, Sartre ne nous dit rien, précisément ni a propos d’Autrui ni de son altérité. C'est aussi ce qu’écrit B. Munono Muyembe! dans son essai sur Paltérté chez Sartre et Lévinas, Effectivement dVaprés notre auteur, Sartte dans J. étre et le néant ne parvient jamais a dire exactement, en termes précis, qui est |'Autrui qui me regarde. « Autrui demeure ainsi un mystérieux insaisissable se manifestant tant6t directement au bout un regard, tant6t indirectement sur fond de présence originelle. Toujours est il qu’on ne parvient jamais & dire sous quel visage coneretil se manifeste ». nous apparatt done tout & fait Kégitime de poser la question qui est ’Autrui, plus précisément qui est Autrui, qu’ gent Au 4 vutrui, qu’en est-il A Ia difference du regard lévinassien, clesteidire du visage qui me regarde et dont il faut comprendre que ambigulté de cette expression est signifiante, au sens oo Autrui me regarde parce que finalement, PAulre c'est mon affire, mais aussi au sens de la vision qui n'est jamais abord vision mais parole (le regard parle chez Lévinas), le regard”, chez Sartre, est bel et bien pure vision, participe de la ve. En effet, Autrui doit toujours se comprendre comme ">, haemo Mvanbe, Le Repord ole Vane objectivant de l’Autre ». He fe Clap 1 le regard ?Cethime du regard chez Sartre est fond: ial et i ces out a lng de ete deune secon, Ces eee ee fps endo sec pen en pt eps eee 89 celui qui voit ce que je vois mais sans précisément voir ce que je vois. Plus simplement, il est bien évident que je ne peux pas saisir exactement la maniére dont Autrui voit ee que je vois, et cette ignorance me donne a éprouver Autrui ‘comme une fissure dans ma perception, comme un point de fuite par lequel s"échappe quelque chose de ce que je pergois. De sureroit, ce qui peut passer pour une évidence ou une simple banalité dans ce que nous venons d’écrire, & savoir que ignore comment Autrui voit ce que je vois, nous apporte un renseignement fondamental sur [’Auteui: si ignore sa maniére de voir le monde (par exemple) c’est que j'ai déja posé qu'il ne le voyait pas comme moi, jen ai dgja fait un autre, un autre en liaison avec moi. « Ainsi apparition parmi les objets de mon univers d'un élément de désintégration de cet univers, c'est ce que j'appelle apparition d’aim homme dans mon univers. Autrui, cest d’abord la faite permanente des choses vers un terme que je saisis 4 la fois comme objet 4 une certaine distance de moi, et qui m’échappe en tant qu'il déplie autour de fui ses propres distances. Mais cette désagrégation gagne de proche en proche ; s'il existe entze la pelouse et autrui un rapport sans distance et eréateur de distance, il en existe nécessairement ‘un entte autrui et la statue qui est sur son socle au miliew dela pelouse {...] ;c’est un espace tout entier qui se groupe autour Gautrui et cet espace est fait avec mon espace; c'est mn regroupement auquel j’assiste et qui m’échappe, de tous les objets qui peuplent mon univers. (...}. Ainsi tout coup un objet ° est apparu qui m'a volé le monde. Tout est en p.ace, tout existe toujours pour moi, mais tout est pareouru par une fuite invisible et figée vers un objet nouveau. L’apparition @’autrui dans le monde correspond done & un glissement figé de tout univers, a une décentration du monde qui mine par 3 Sur la question d'un Autre sujet ov objet, nous revienirens ultériewrement. Ce qui nous intéresse surtout pour le moment cst essentiellement la question de Ialterité d’ Aut 90, en dessous la centralisation que j’opére dans le méme temps. » (L.'éere ef le néant, p 301). Iki, tout ce qui touche & Autrui est toujours mis en rapport & moi. Tout est centré sur la vision d’Autrui, mais ce voir dAutrui apparait comme ayant nécessairement des consequences sur mon propre monde, Dans ce lien entre le voir d’Autrui et ce que je vois moi-méme se joue peu a peu la détermination de I’ Autre. L’Autre, autre homme est dans mon monde, et non pas simplement dans le monde. C'est précisément ce « mon » possessif qui commence A dévoiler oe gu'est cet Autre, ou si l'on veut étre exact, ce qu’il n’est pas. n'est pas moi en tant gu’il intervient dans mon monde. Il nest pas moi tout simplement. L’Autre est ce que (ou celui que) je ne suis pas moi-méme. Et cette phrase, dont la simplicité et 1a clarté sont éblouissantes nous donne tout de méme un renseignement capital : dans Autre, ce qui compte plus que tout ¢’est le « je» et ce moi-méme qu’il n’est pas Positivement, ce que nous pouvens dire de I’Auteui sarttien cest qu’il est l'autre c'est-A-dire l’autre que moi-méme et du méme coup, c’est moi qui donne la mesure de laltérité de autre. Lraltérité d’Autrui n’est pas radicale parce que c'est moi qui en donne la mesure, ou si l'on préfére, ¢’est moi qui suis le centre de son altérité. Du coup, Autrui apparait comme 1 autre Pour-soi (que le mien). Le terme d’apparition semble ‘out 4 fait justifié en ce sens que c*est moi, en affirmant que Jene suis pas Autrui, qui me donne a éize mon étre propre et du méme coup, qui fait apparaitre Autrui avec Valtérité adcessaire pour qu’il soit Autrui Brrange Autrui que cet autre méme que moi, qui resemble a sy méprendre & un alter ego (ressemblance si forte que le tenme de « méprise » parait exagéré), mais qui devrait plutot stentendre comme ego alter. LAutrui sartrien ne présente finalement qu'une tres légére altérité, C'est dans cette optique que notre philosophe peut a — écrire, au moment de sa réflexion sur le Regard : « Autrui, "est ce moi-méme dont rien ne me sépare, absolumert rien si ce mest sa pure et totale liberté, clest-ddire cette indétermination de soi-méme que seul il a 4 étre pour et par soi» (L'étre et le néant, p. 317), Ou encore: « S'ily aun ‘Autrui en général, il faut avant tout que je sois celui qui n’est pas I’ Autrui et c’est dans cette négation méme opérée par moi sur moi que je me fais tre et qu’Autrui surgit comme Autrui. » (ibid., p.330), Si Sartre évite & Pévidence un idéalisme radical selon Jequel « je» serai le fondement de toute chose et de tout étre, ou pour [’écrire autrement, le Pour-soi serait donateur existence aux étants en général et & Autrui en particulier’, i nen reste pas moins qu’Autrui est totalement dépendant du Pour-soi. Plids précisément, il y a Autre et je n'y suis pour rien, je n’ai pas fait en sorte qu’il y ait I’ Autre mais dés lors que je tente de saisir cet Autre, ce n'est qu’en rapport & moi que je peux le faire. Uy a Autre, clest-icdire : il existe un autre Pour-soi, Autrui a un Pour-soi qui n'est pas le mien, je ne suis pas le Pour-soi d’ Autrui et l'autre est done ce Pour-soi que je ne suis pas. HI est un pur autre méme que moi. Cet autre reste donc autre certes, mais toujours par rapport, done: con rapport, & moi. Lorsque nous avons parlé de dérendance, c’était alors deja pour mettre en relief cette particularté de Tautre sartrien selon laquelle je suis le centre nerveux de Paltérité d*Autrui, Dans Patter ego sartrien, ['ego prime incontestablement sur l'alier, Dés lots, je ne peux parler de VAutre sans parler de moi, et ceci apparait comme la © Laie et Te néant, p. 344: Ce Pourquoi y atil des autres?» Leexistence des autres, nous avons vu, nest pas, en effet, une onséquence qui puisse découler de Ia structure ontologique ¢u pours Crest un événement premier, certes, mais d'ordre métaphysieue, cesté: dire qui ressortit & la contingence de Vétre, C'est & propos de es existences métaphysiques que se pose, par essence, Ia question dy pourquoi.» 92 conséquence’inévitable de ce primat. fl y = slave de Mégotogic ou de Pégocentrisme & poser le léme d°Autrui a partir de mon étr 1 ne rm mo 2p livre (au demeurant —trés intéressant pour hae questionnement) Le probléme moral et ia pensée de Sena Scrit: «Autres done pour moi un scandal ~ pes isément SAN mesure of ene sours par dition [..] le renee -~] ». Et pourtant, o*est précisément par défi chez Sartre, Autrui est toujours ramené a moi, toujours dj = rapport avee moi, d’ailleurs, ne citions nous pas ae ignes plus haut une définition de Sartre lui-mér laquelle « Autrui c'est ce moi-méme dont rien ne me separe ce n’st sa pure et totale liberté, » ? Iya done a I’évidence un primat, po du Moi, dans Ie probléme de "Autre tel Sartre, Peut-etre est-ce la raison pour la Haute n'est pes radicale. Ne faudaitil pas qu'elle soit lue, au sens étymologique du terme, c'est-a-dire sans lie Pour permettre de penser un Autre en tant qu’ Autre, de penser alter ego, ou encore et autrement que comme un . surtout, autrem «ego alter » | a done quelque sépare si le moins paradoxal qu'il est posé par quelle Paltérité de 8. AUTRUI, UN ALTER SANS EGO En mettant en place ta responsabilité-pour-autrui en tant gue telle, cest-a-dire une responsabilité o& [Un est 93 immédiatement pour T’Autre, nous avons Sens “ Vimportance que pouvait prendre cet Aue oe philosophie d’Emmanuel Lévinas. D’ailleurs, de | meme maniére que nous avons pu dre que I'Ethique primat su POntologie, nous pouvons dire a présent que I’ Autre py sur le Méme. Mais comment sortir de ordre lgigie co donne é la pensée sartrienne sa force et son sens ? En d'autres termes, comment ne pas dire que I’Autre est celui a aoe suis pas moi-méme alors qu’il nous semblait impossible d’e ? ae prone a ces questions, il nous faut reprendre la pensée sur Autrui dés son point de départ, cesta-dire wear de la méthode méme que l'on s*était donné pour pens P Autre. ‘ i ae agi bien évidemment pas ce conteite Sarve oo pour mot, ce qlii dévoilerait une opposition radicale a deux penseurs et ne cotespondrit pas & notte pont ge we, mais au contraire de montrer que sur le probléme de inversion entre Sartre et Lévinas devient évidente Tout se passe comme si Lévinas montrait 4 oF 4 sori d'une aporie ehiqu, elle du primat du Moi, de priorité donnée au Méme sur T’Autte, id : ce égocentisme dont nous avons dia pr. I ne s aut ls roblame d'Autrui a partir de mun le propre, von cde paneer arate de la question de ’étre pour etre pertinemment eae “ aussi parce que partir de mon étre propre Lead par 7 PAutre, c'est encore une maniére de «parler de mci », évérer dans mon étre. ' 1 devin dis fo nese de poe Pie coma absolument anscendunt, de Tenvisager comme «us maize» de domer un sen 'ellégeance 3 Autui. Sate s*était proposé « d’éviter ’écueil du solipsisme », ie nous montre comment éhapper & l’écueil de I’égocentcisme, 94 «La relation avec Autre n'est pas une parmonieuse relation de communion, ai par une sympathic bar lnquelle nous mettant a sa place, nous le reconnaiscons comme semblable 4 nous [...}; la relation avec autre est une relation avec un Mystére. C’est son extériorité, ou plutét son altérité, car lextériorité est une propriété de Vespace et raméne le sujet a lui-méme par la lumiére, qui constitue tout son étre » (Le temps et l’Autre, p, 63). Ainsi —voyons-nous —apparaitre un paradoxe compréhensible: la relation avec [Autre n'est pas une Telation, c"est précisément une pure non-relation. Il n'y a pas de relation avec un mystére, mais il y a un étonnement Devant le mystére, le Méme est en question (mis en cause), s¢ ose Ia question du mystére. Nvoublions pas que Ia responsabilité stentend comme réponse, ou plus exactement la xéponse comme responsabilité, Et s'il n’y a pas de relation au myst, pas de lien du Meme a ce mystére, cest parce que sa guestion est infinic et demande une réponse infinie, Irfinie question de U'Autre, Infinie mise en question par "Autre, Autre Infini. Mais aussi réponse a... Pinfini, infinie sponse : responsabilité infinie envers cet Autte mystérieux, pour I'Btranger. Autrement dit, cette Non-relation se donne sous les sspéces d'une approche du prochain. I] faut entendre la proximité —précisément comme une impossibilité Gidentfiation de Autre au Méme, d’Auttui a moi-méme, elle est la promesse d’une non-identit, Ce que nous voyons apparalire au fur et & mesure de fore avancée dans Ia réflexion sur Ie probléme d*Autrui, Gest une altgrité nouvelle de Autre. En effet, nous avons pu patie & propos de cet Autre d’autre chose que de nous, et dt ime coup, c'est toute la notion daltérité qui s'en trouve bouleversée. Le surgissement de I’Autre, c'est anssi le Surgissement d'une altérité infinie et inéductible, altsrite ystéricuse qui, se présentant comme Différence absolue fera 95 idyllique et du Moi un Moi non-indifférent, ou plutét, si Yon entend parler comme Lévinas lui-méme, il ne s"agit non pas du Moi mais de moi, moi pour qui la différence se jouerait comme non-indifférence. Et Francis Jacques’ d°éerire : « Le moi doit répondre a Pautre, et aussi de Pautre, parce qu'il est appelé par lui répondre. Le voici non seulement mis & la question mais investi d’une responsabilité. Ici est le moment éthigue la subjectivité est irréductible, car elle seule peut assumer cette responsabilité, »? Voici done un Autre qui n’aurait plus rien a voir avec I'autre- méme-que-moi sartrien, Faut-il alors entendre par Autrui Autre autre que moi ? A P’évidence, cet Autre autre que moi serait affecté d’une altérité plus forte que celle de alter ego, mais s'il en est affecté, c’est encore par moi, Par moi dens le sens oi I’Autre serait encore et toujours autre que moi. On passerait alors’d’un moi qui ne suis pas I’ Autre @ un Autte qui est autre par rapport & moi (qui ne suis pas I’Autre), La proposition ne serait done qu'un dédoublement de la position de départ: non pas un simple alter ego (ou méme ur ego alter) mais un alter alter ego. D’s lors, nous voyons bien le probléme : qu’ Autrui soit un autre méme que moi, ou qu'il se présente comme un autre autre que moi, le « que moi» est toujours de trop. Il y a un Autre infiniment autre, c'est-é-dire un Autre absolu, totalement séparé de moi, et encore, nous ne pouvons pas éerire cela, le « de moi » est problématique, pour tre exact, nous devons écrire : un pur Autre, un Autre sépaté, un Alter Cet Autre est visage, cet Autre est Infini : « L'Infiri me vient a l'idée dans la signifiance du visage. Le visage signifi Francis Jacques, «Emmanuel Levinas: Entre le prim phénoménologique du Moi et 'allégeance éthique & Autrui, in, Eudes phénoménologiques 1°12, 1990, p.111. * De nouveau, nous nous permettons de préciser que ce qui nous intzese pour le moment, c'est essentiellement T'autre ot son altérité; cst pourquoi nous taiterons du probleme de la subjectivité ultérieuremet {pour Sartre : 2.aet , et en ce qui concerne Lévinas 3 6.) 96 Mnfini, » (Ethique et infin p.101). Cest précisément MInfini Pao Ane lt Seperation absolue. Non seulement Paltérité tn Ate est infinie, mais en plus, o'est PAutte hui-mene x Infini, [’infinie diférence, ou la diftérence infin cst i Pinfini. n'y a pe Autre, done pas . transcendance absolue dont le sol neat as Pimmanence, le Méme n’est pas la source originelle dc usendance de I'Autee, Lnfini déborde le tint Cy sladon ext Tne elation. Et Levinas dattnmer dans alité et Infini: «Linfini est le propre wy fanseendun en tan que transcendent Lintinest aac fAuue, Le transcendent est le seul ideatum dont il ne ne Heat Guune idée en nows ji est infiniment eloigne de woe, idee Cesta-dire extérieur parce qu'il es infins 7 Voriginalité de cet Infni lévinassien tient en cect gue Siblen entendu, le fini est dpassé par PInfini, Vinay aaa Ce non-englobement du ni par | “Uofini marque ta transcendance de Pinfini @une part, et tlaute part Ia séparation absolue des deux terines de eva elation. Ainsi, dire de Autre qu'il est visage ou Infini, ce {St Pas seulement renverser Vidéo selon laquelle le Mens fiemine 'Auite, en affirment simplement que si PAu es daninh il fit du Meme le fini et done le determine eae telinissant, mais eu contraire, c'est se donner la possibilite eisager T'Autre sans faire intervenir le Meme nie 7 relation avec VInfini se présente alors sous les traits dune relation d’un type inusité, qui maintient a Ja fois la séraration absolue d'un terme et ’extériorité infinie de autre. Relation dé-lige dans laquelle se produit un incessant « surples » qui accomplit 'infinitude de Pinfini. »* ‘Ainsi, avons-nous pu éviter M'éoueil de !’égocentrisme, mais du méme coup, l’ego lui-méme semble avoir disparu. Se peut-il réellement qu’en trouvant |" Autre vraiment Autre nous perdions I'Un, le Méme ? En effet, si l'infinitude de PInfini s'est donnée sous les espaces de I’altérité de I’ Autre et qu’elle a permis de mettre hors-jeu toute intellection systématique du Méme et de I’Autre, n’a-telle pas, par 18 méme, en faisant exploser la Totalité, fait voler en éclats le Mai ? Le Moi, en Gant ébranlé, mis en question par le mystére du visage de VAutre, aurait-il perdu plus que son impérialisme, son soi- méme ? L’idée de sujet, de Moi et plus encore de Pour-soi a t-elle encore un sens lorsque dans la pure responsabilité-pour- autrui, Autre prime obligatoirement sur le Méme ? $i Aut compte plus que moi-méme, que me reste-til ? L'écueil de Pégocentrisme sartrien ne scrait-il pas remplacé par un écveil «alterologique » proprement lévinassien ? > Simone Plourde, Enimanuel Lévinas. Altérté et responsabilité, p20, Chapitre 2 SARTRE ET L°INTENTIONNALITE —_ | 4D 'INTENTIONNALITE HUSSERLIENNE REVISIrEE PAR : aa - HUSSERLIENNE REVISIVEs 7 : ene cea de phénoménologie, Pintentionnalité ascing Jean-Paul Sartre. En effe esssyons de décrre le Pours, nous éerivene seen es ae . Ms souvent qu’ il ‘k-statique, hors de lui-méme, non-coincident avee sor a Pro-jet ... Le Pour-soi resser is conscience, nasa eer ge eae cestivdire qu'il y a quelque chose eomme une inentionres du Pour-soi. Et pour cause. Chez Sante, le Pour ie conscience (ainsi que la « réalité humaine ») s méme chose. C’est ce que progressiv ] ous confirme lorsqu’il s"intéresse aur duPour-soi. Tout dabord « L'éire de ‘our-soi et la t une seule et fement notre philosophe x structures immédiates la conscience, en tant que conscience’, c'est d'exister 4 distance de soi comme présence A soi et cette distance nulle que I’étre porte dans = @tre, c’est le Néant» ct ensuite, de maniére tout a fait explicite dans sa definition du néant: « le néant et la 3 question de Tete par Vets, cestidire justement |e conscience ou pour-soi» (L'éire et le néant, pp.115-117.) ue le fat au'l ya un rapport inime ene 1a conscionce lenéant, il nous semble que novs pouvons dit, sans prenie trop de risques, que tout ce qui vast pour Ie Pour-sot (done tout ce que nous avons écrit jusqu'a présent), vaut &ea ler at pour la conscience, Aussi, il en est exactement de nine por ce que Sarre appelle «Réalité Humaine» (est duileus souvent ainsi que Te Dasein heideggetien dat duit compris a eno). «La réalitéhumeine, «est ete en qu’il est dans'son étre et pour ae fondement unique gant 2 le P’étre. » (ibid, p. eae Gtant effectué, nous avons ‘ous les outils nécessaires en mains pour comprendre pourquoi, pout Pauteur de tre ef le néant, Vintentionnalité est « une i fondamentale de la phénoménotogie de Husser »- ita Reprenons ce qui pourrait passer pout Uae on a ee eaconsinse de quelque cose & toute conscience est cor covollaire cexplicatif a oe conto queciqu chose autre quelle méme. Le décaago, a dst a -¢ réapparait de lui-méme, et © ate qudsoge asi de la conscence entendve come éparation que se joue Vontologie “phénoménologu Vintentonnalitelle-méme comme subjestivite* | En effet, lorsque Von pose que toute constens 8 conscience de quelque chose, on affirme du méme coup ' Gest nous qui soulignons. eae acd omat 2 Nous emprontrs cet expreston: «tentionalié_ subjectivité» au live d?Alain Renaut : Sartre, le dernier philasophe 100 difference entre conscience et chose. Non seulement la conscience n’est pas une chose (parmi les choses), mais encore la chose est & ’extérieur de la conscience, Lerreur serait alors de penser que cette extériorité dang Je ‘apport chose/conscience implique, ou plutot présuppose une intériorité de la conscience . Il n’en est rien. Toute conscience sat conscience de quelque chose doit s’entendre comme . {oule conscience, pour étre conscience, doit viser la chose qui n'est pas en elle, parce qu’en elle il n'y a rien. « Husser! ne se lasse pas d’affirmer qu’on ne peut pas dissoudre les choses dans la conscience » (Situations philosophiques, p.9) et Sartre a partir de la d’exposer ce qu'est authentiquement la conscience : «du méme coup la conscience s'est purifige [il m’y a plus rien en elle, sanf un mouvement pour se ‘ui, un glissement hors de soi [..] car la conscience n'a pas d= «dedans » ; elle n’est rien que le dehors d'elle-méme et Gest cette faite absolue, ce refus d'éue substance qui Ta constituent comme conscience. » (hid, p.10). Refus d'etre substance, étre hors de soi Nous retrouvons Iles attributs fondamentaux de I’étre-pour- Si, (Sans surprise certes), mais n’est-ce pas Ia aussi le propre dela réaité humaine ? Expliquons nous sur cette demniére interrogation, notre maniére d’étre propre est aussi un étre hors de soi, une ek. suse fondamentale par laquelle l'homme, dans ce monde A Vintérieur duquel il a été jeté, se jette lui-méme vers ses ossibles. Si Yon voulait employer un verbe plus juste, cest. tire coincidant micux avec cette intentionnalité non. ‘oincidente, i! faudrait dire que la réalité humaine vise ses possibles ou vise les choses afin de les saisir. Il y a done une elle visée intentionnelle, visée qui confirme cette idée fondamentale selon laquelle les choses visées ne sont pas dans la conscience, et dés lors, pour s'en saisir il faut a fidence « s'éclater vers». De surcroit, comme nous Vavions noté dés note exposition de T'intentionnalité 101 inucerlene, la conscience est conscience de quegue ce elle-méme, elle ne contient done pas la chos. @autre qu'ellesméme, elle ne contin : aul vise, cle nest ailleurs jas contrat (6 : jen) d'une part, mais sur ns qu’elle ne contient rien) part elle nest pas ce quelle vise. Ce qui nous permet & Poser, en jouant sur la synonymie des termes sans, e : é Pest pa hhose, n'est pas un objet éalité humaine n’est pas une chose, x nous faut d’emblée ajouter que sila conscienee n estas objet, par conte, sa viséeintentionnelle objective, este jede devant sen ce pro-jettant hors d’lle-méme la conse exe S : : jette devant elle (an objet), Or bt = ajeve ps é Yen 1 plein de lui-méme, éme, comme I'en-soi il es lumen tintraeroe avec lubmeme, seule une subjective pat objectiver. Cependant, si la conscience jate Sevan ale va i as pour autant perdre de vu objets, nous ie devons pas pot perdee le est elle-méme jelée dans un monde qu'elle n'a pas oi este quelle a pas consitut, Cte reserve st fe imortancecaprale once qu'elle permet & Sart dene ps aire accusé davoir pensé une pure conscience constitute toute pissante de, laquelle Te monde lunméme se dependant, Cet die 1985 = qu Navn Ponty wt a a Texistentialisme » (ir. Le son article «la querelle de ; ee Modernes n° 2): « I] faut lui reconnaitre une “ étre trés particuliére [A Phomme], Pétre intentionnel qu @étre trés particuliére [2 consisted vse tute chose ot ne demener en use Liexitnce au sens moderne, c'est I mouvement patil homme est au monde, s"engage dans une situation physi : me et sociale qui devient son point de vue sur le monde {..].L jet a 1 est plus ce rapport de apport du sujet a objet n'est plus ; connaissance dont parlait Pidéalisme classique et das eal objet appara woujouss comme constr par 1 suet, mit ai lement, le sujet ort d’étre selon lequel paradoxal ; comp son monde et sa situation, een” quelgue sot s°échangent. » On le voit bien ic, Pexistentialisme de type sartrien n'est pas un idéalisme (en quoi le projet de Z.'éir et le néant est, pour Ge cas particulier, réalisé), mais il parvient tout de meme a conserver une place fondamentale, centrale ditions-nous plutot, a la subjectivité, au sujet. Et c'est bien de la question du sujet a partir du probléme de la visée intentionnelle (intentionnalité) dont il est question dans cet article de Maurice Merleau Ponty. Alain Renaut a done raison de dire gue: [J] les textes des années 30, tout en intégrant cot apport feclui de la phénoménologie], insistent aussi - et 1d est Amon sens la véritable et plus profonde originalité de Sartre parm les héritiers de Husserl - sur une autre dimension de le ‘kéorie de Vintentionnalité (autre par rapport au retour aun choses mémes], 4 travers laquelle elle permet de sauver également, dans la représentation, Veffer de subjectivité, je Yeux dire : le fait que nous nous pensons comme différents de Fobjet et comme relevant d'un autre mode d’étre. Car ce qu’a peru Hurssel, et quront laissé échapper toutes les thilosophies de rimmanence, c’est que, par opposition A le chose en sa cléture sur soi, «la conscience n'a pas de dedans », qu’ « elle n’est rien que le dehors delle-méme », et ie est «ce refus d’étre substance » qui constitue la subjectivite comme telle» (Sartre, le dernier philosophe, pp.143-144), Tout s’éclaire donc. $i Sartre voit dans Pintentionnalité tue idée fondamentale de la phénoménologic, c'est névisément parce qu’elle permet de sauver Ja subjectivite tout en évitant quelque chose comme une macrocéphalie subjective, En d'autres termes, la _phénoménologie Stienne met hors-jeu toute idée de sujet fondateur, on score, de Je wanscendantal.. Il faut dés lors voir dans la conscience intentionnelle le propre de la subjectivité, cesta. die Tire Vintentionnalité comme subjectivité. «|. la conception phénoménologique de la conscience tend le rdle wuifient ct individualisant du Je totalement inutile. C'est la 103 conscience au contraire qui rend possible l’unit et le personnalité de mon Je. Le Je transcendantal n’a dono pas de raison d'etre. » (Sartre, La transcendance de I'Ego). Finalement, le sujet sartrien se fait, se donne maissance A partir @actes de conscience multiples. La conscience et le monde sont des contemporains. Qu’est-ce & dire sinon que Ie monde ne me donne rien @ priori, ni son sens, ni les valeurs aii il agit done pour la réalité humaine noo simplement de se faire étre, mais aussi de donner du sens, de créer des valeurs, ete. N’est-ce pas cela porter le monde sur ses épaules ? N’est-ce pas la la responsabilité ? 1b, LE PRIMAT DU POUR-SOI Nous avons vu quelques lignes auparavant que Ie Pour soi avait tout entre les mains sauf le monde, nous avons pu constater aussi qu'il avait & se donner ce monde en donnaat sens et valeur au déja-la, et du coup, de ses mains il powvait faire balancer Je monde (choisi) sur ses épaules :telle était a responsabilité. Ainsi, le Pour-soi peut se faire Atlas-Pour-si et porter le poids du monde sur ses épaules. Cartes, de prime abord, avec Ia force de Pimage, nows comprenons bien que la responsabilité du Pou-soi est accablante, mais rien n'est encore réellement dit. Dépassons la métaphore et essayons de saisir ce qu’est la vie du Pour soi, un Pour-soi & qui finalement, rien n‘est donné sinon le donné, rien n’est donné que de I"insensé qu'il doit travailler, 104 Cest-A-dire s'en arracher pour lui donner sens. Tout se passe comme si le Pour-soi devait se faire auteur de ce dont il a’est pas l'auteur a priori. D’ailleurs, Benny Lévy, dans son trange livre-dialogue avec Sartre (étrange parce qu'il semble tirer Sartre et sa philosophie dans tous les sens, tous les sens difficilement visibles - malgré importance des citations dans la pensée sartrienne), donne une définition qui va précisément dans le sens de ce que nous venons d’écrire «Nous prenons le mot de « responsabilité » en son sens banal de «conscience (4°) étre Tauteur incontestable dun événement ou d’un objet » ».' Or, c’est précisément ceei que nous tentons de décrire, & savoir comment le Pour-soi se fait «sujet moral », comment il choisit les valeurs, comment il choisit le sens. En d'autres termes, nous cherchons a comprendre comment I’étre-pour-soi existe, et méme, pour crite comme Sartre, ek-siste la responsabilit Si nous repartons de notre analyse de intentionnalité retravaillée par Sartre, nous ne pouvons que constater la proximité entre la conscience et le néant. C'est dailleurs ce que nous avons fait sans aller plus avant, en citant cette phrase tout a fait significative de Sartre lui-méme : « Le néant est la mise en question de ’étre par P'étre, clest-A-dire Justement la conscience ou Pour-soi ». Nous pouvons dés lors tére tentés par une affirmation du type : la conscience (ou le Pour-soi) c'est le Néant, Mais en disant cela, nous n’aurions as tout a fait raison. En effet, il serait plus juste d'écrire que la conscience est ce par quoi le néant vient au monde. Autrement dit, la conscience n’est pas le néant mais elle nfantise. Et précisément, nous nous rappelons que le Pour-soi «st cette néantisation fondamentale de l’en-soi qui en quelque naniére sort de I’étre (en-soi) en sortant de Iui, se fait étre ce quill n’est pas et n’étre pas ce qu'il est. Tout part de la, et ce tout totalement indéterminé se peut manifester ds lors sous les espéces d’une conscience morale, Benny Levy, Le nom de I'homme, « La responsabil 105 i, pada, d'un réel souci éthique. Le Pour-soi est manque d’étre et étre- en-projet, qu’est-ce & dire sinon qu'il est inachevé et vise continuellement a achever cet inachévement ? Si le Pour-soi est manque d’étre, il doit se donner de P’étre. Nous rouvons, semble-t-il, dés 4 présent parler dune finitude du 2our-soi umain, en ce sens précis qu'il n’est pas «un gros plein d'etre »*, Ainsi, dans la finitude de la réalité humaine doit ss jouer quelque chose comme une morale. D'ailleurs, si comme nous Vavons écrit aprés un questionnement sur La Transcendance de lego, le sujet se fait a partir dactes de conscience multiples, nous pouvons done penser que le sujet moral se fait lui-méme dans le coneret de sa situation, Plus clairement, l’enjeu moral dans la philosophie sa:trienne, c'est qu'il n'y a pas de Morale, c’est-a-dire une Morale qui dicterait ses.pégles et poserait ou plutdt imposerait ce quill faut faire et tie pas faire. D’ailleurs, comment étre commandé et garder sa responsabilité ? Le sujet moral est ce Pour-soi humain qui en situatioa, en choisissant, se choisit Iui-méme. Il n’y a done pas @existence sans conscience, en ce sens précis que l’existence de la conscience, e’est la conscience de existence. Et dire cela, c"est aussi poser qu'il n’y a pas de pro-jet sans sujet. Tout part du sujet. D’ailleurs, lorsque Sartre tente une mise au point de sa pensée au cours de la fameuse conférence L’existentialisme est un humanisme, il n’hésite pas & affirmet que : «En tout cas, ce que nous pouvons dire dés le début, "est que nous entendons par existentialisme une doctrine aui rend la vie humaine possible, et qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et ux subjectivité humaine »,’ et encore: « Notre point de dépat est en effet la subjectiviteé de I'individu, et ceci pour des raisons strietement philosophiques. » (ibid, p.63). Qu'est-c- 4 dire sinon que la contemporanéité du surgissersent du ? vest 4 Sartre lui-méme que nous empruntons cette expression imagee. > L-existentialisme est un kumanisme p12. 106 monde et du Pour-soi signifie d’elle-méme que c’est au Pour- soi qu’il revient de tout choisir, ou plus précisément, que le Pour-soi surgit aussi en méme temps que sa responsabilité ? Responsabilité radicale puisque rien n'est et que tout a d étre ue rien n’a de sens non plus et qu'il faut donner du sens, qu'il n'y a pas de valeurs et que tout ne peut éire permis. Or, personne d'autre que le Pour-soi ne peut etre Petre par Jequel sens et valewrs viennent au monde, « Cela signifie que Je rapport de la valeur au pour-soi est trés particulier : elle est Pée qu'il a a étre en tant qu’il est fondement de son néant d'etre. » (Z'etre et le néant, p.133), Autrement dit, te Pour-soi vise Ia valeur, ou plutét, choisit la valeur, comme cet étre qu'il aa étre, etre visé. Seul le Pour-soi donne ’existence & la valeur. II devient done évident que le Pout-soi, en choisissant, stengage dans son choix et assume cet engagement : een! icy |a responsabilité absolue du Pour-soi. Responsabilité pour son choix et ses conséquences, constitutive de son tre Propre, alors méme que le propre de son étre est de ne pas avoir de propre. Mais précisément, parce qu’il n’a pas d°étre propre, il se fait tre par son choix, choix continuel Ainsi, Ie Pour-soi est-il responsable non seulement de e¢ qu'il Se fait étre, mais aussi du fait qu’ est ce qu’il n'est pas et quil n’est pas ce qu’il est. La responsabilité s’entend done aussi comme une assomption fondamentale du projet qu’est 'ePour-soi Iui-méme, Dés lors que le sujet se fait le fondateur our et surtout par lequel il y a un ordre du monde, il y a responsabilité, Nous voyons donc maintenant que le Pour-soi s°est fait sujet moral par de multiples choix et qu'il est aussi dans un aiéme mouvement celui par qui le monde regoit un ordre. Or ke Pour-soi n'est pas seul au monde, il n'est évidemment pas {e'seal existent au monde auquel il a donné un ordre. Ne serait-ce pas qu’en choisissant cet ordre du monde, il aurait shoisi pour tous les existants? N’est il pas tertifiant de 107 décider pour tous en sachant qu’il n'est pas possible de ne pas assumer cette décision ? Ilya cneffet une angoisse du Pour-soi, qui n’est plus comme chez Heidegger angoisse dévoilante de I’Etre, mais angoisse devant la responsabilité, «Et cette sorte d’angoisse, qui est celle de l’existentialisme, nous verrons qu’elle s"expligue en outre par une responsabilité directe vis & vis des autres hommes qu’elle engage. » (Sartre, L'existentialisme ext un humanisme, p.33). La responsabilité selon laquelle le Pour- soi était conscience d’étre auteur de ses actes se trouve dane renforoée (alourdie serait plus juste) par une responsabilité pour les autres que j’engage, en m’engageant moi-méme dans un projet. Ete responsable, c'est agir en se demandant avant chaque acte ob qu’il va en étre d’Autrui, En autres termes, la responsabilité, est cette question qui hante chacun de mes choix : si tout le monde agissait comme moi, que se passerait- il? Finalement, cette responsabilité que thématise Jean-Paul Sartre fait de I’homme non pas simplement I’Atlas éthique, mais lui demande aussi de porter sur ses épaules le monde et tous ses habitants. Une phrase ironique comme celle de Benny Lévy, dans son paragraphe consacré a la responsabilité, selon laquelle: «Certaine manitre d'etre responsable du monde, au fond n’engage pas 4 grand chose » (Le nom de l'homme, p.46) ne peut plus paraitre qu’insensée, & moins qu’engager -humanité toute entire dans chacun de ses engagements, de ses choix et de ses actes, « n’engage pas & grand chose » Tout a commencé par le Pour-soi, tout est parti de la subjectivité individuelle, et tout se termine pourtant par une responsabilité pour toute "humanité, Mais on voit bien alors que cette responsabilité n'est pas d’emblée pour Autrui, elle a commencé par une responsabilité du Pour-soi et en détive. Rien n’a ébranlé ce Pour-soi tout puissant, tout dépend de ses propres choix. Or, n'y a-til pas un danger éthique dés lors 108 que le Pour-soi vise et saisit non seulement les objets, mais aussi les autres hommes sans n°étre jamais Iui-méme visé ? Décider pour les autres en décidant pour soi-méme, n’est-ce ps encore une maniére de se soucier prioritairement de soi, de son étre propre, de persévérer dans son éire sans laisser de place réelle a Autre ? 109 Chapitre 3 DE L’AUTRE QUI S’IMPOSE ET DE- SITUE LE MOI ee A. L’INTENTIONNALITE A REBOURS La merveille de l'alterité de ’ Autre lévinassien cest sa radicalité, sa séparation absolue du Méme, et Pinfini de sa transcendance. Or ce Transcendant se manifeste sans se manifester sous les espéces du visage. Plus clairément, force est de constater que cette manifestation qui est une non- manifestation se donne comme appel. Il ne s*agit jamais de voir le visage, la face, mais d°étre interloqué par son appel, etre convoqué, ébranlé, obsédé par lui dans la crainte et le tremblement. Je suis Potage de cet appel qui me questionne, on en m*interrogeant, mais plus précisément en me mettant ¢a question, remettant en question jusqu’a mon existence néme. Je suis sommé de répondre, répondre au visage en rpondant de lui, je suis unique responsable, ‘cLe moi responsable d'autrui, moi sans moi, est la fragilité néme, au point d’étre mis en question de part en part en tant ue je, sans identité, responsable de celui a qui il ne peut donner de réponse, répondant qui n'est pas question, question sui se rapporte a autrui sans plus attendre de lui une réponse. L’Autte ne répond pas.» (Maurice Blanchot, L’écriture du i désastre p.183)'. Blanchot a done bien saisi que le visage, Autre est insaisissable. Jamais visé comme tel, mais me visant moi, je ne suis plus le Moi s’affirmant avee majesté (Ia majuscule étant ma Majesté) mais moi, visé, fait otage ; pure responsabilité-pour-autrui, Le visage ne me Inisse pas te choix. L’ Autre me vient a Iidée dans le visage qui s’impose a moi (on pourrait presque éerire: le visage qui m’en irspose). Qu’en est-il alors de ’intentionnalité, ou plutot de mon pouvoir d'intentionnalité ? Reste-til une place pour cette intentionnalité dont la visée est saisissante ? L’Autre serait il Je mur sur lequel se brise, s’écrase cette intentionnalité ? Le visage de I'Autre dont la grandeur de Ia fuiblesse m'éblouit, me retire mon pouvoir, ou, pour parler comme Lévinas Iui-méme, Ie visage disqualifie mon pouvoir de pouvoir. Sur,]'Autre, je n'ai pas de pouvoir, je ne peux pouvoir. I né s'agit plus pour moi de saisir Autru: cn le visant, non seulement parce que sa transcendance est ab- solue, parce que nous sommes dans un rapport qui est une non-relation, la séparation est si abyssale qu’il ne peut étre visé, invisable et invisible, mais encore parce que, lorsque je suis transi par le visage et son appel, ou plus exactement, lorsque le visage me regarde en m'adressant son appel, je sus Tow pase comme sl visage da fe bouleverement cette intentionnalité qui a le pouvoir de se donner -out ce qurelle vise. Je ne peux plus, semble-til, viser le visage qui ame vise. C'est la fin du regne du Moi, de son impéralisme existant A travers une conscience intentionnelle toute uissante. {Exposition A la suisi, ala prise (1, & appropriation. La conscience intentionnelle n’estelle pas, dés lors, le détour selon lequel s'exerce concrétement la persévérance-dans- Pétre, emprise active sur la scéne ob Tétre des étants se " Blanchot est cité par E. Lévinas in. De Diew qui vient & lide, 258. 2 déroule, se rassemble et se manifeste Vidée, p.259). Vinterrogation sur 1a conscience intentionnelle est aussi remise en cause de mon droit 8 exister. Le pour-autrui dans Jequel I'un est pour l’Autre, clesta-dire au service de U'Autre est une véritable dé-position du Moi, dépossession du Meme par |’ Autre. Ici, dans I’éclatement du Moi propre A moi Moi qui pour un Pascal état haissable - se montre quelque chose comme une contre-intentionnalité L"appel comme spel du visage freine Ia conscience dans son élon intentionnel. Plus précisément, lintentionnalité est non seulement fieinge, mais aussi empéchée, Vinvisible, invisable, est justement ce qui me vise. Ie auig Revendique par Veppel de Pautre homme. C'est & moi que Vappel s’adresse, en tant que tel, je (précisément) repeis "'appel. La contre-intentionnalité se pense done comme ane maniére de retournement de Vintentionnalité oi toute conscience est conscience de quelque chose. En d'autres termes, I’inversion de Vintentionnalité s’entend comme une Neeption de Papel. Dans Ie visage s'entend cette contre, intentionnalité en ce sens qu’il n’est pas celui qui regoit, mais ben au contraire, celui qui en me visant me donne & recevoir, wappelle, me convoque, m’interloque. Je suis adoune. 4 Vappel du visage La responsabilité-pour-autrui est istentionnalité. Crest moi et & moi seul que s'adresse Tappel du visage et c'est ma réponse & cet appel, ma réponse a Autte par laquelle je réponds de I’Autre que nous devons comprendre comme une pure responsabilité-pour-autrui, 2» (De diew qui vient a voire retounée, cette contre- Comme une réponse & la responsabilité sartrienne que tous nous sommes permis de thématiser sous la forme d’une ‘sponsabilité-pow-soi-pour-autrai se découvrant dans la description de 'intentionnalité comme subjectivité, Lévinas ‘ait: «La subjectivité humaine, interprétée comme 13 conscience est toujours activité. Toujours je peux assumer ce qui simpose & moi. Toujours jaa essouree de consent 8 ce que j'ai subi t fie bonne mine & mauvais jeu. De som que tout se passe comme si ais au commencement; sa 8 approche du prochain, Je suis rappel & une resporsabilt jamais contractée, inscrite dans le visage d’ Autrui. Rien 7 "es plus passif que ceite mise cn cause antérieure & toute siberté. » (Lévinas, «Ua Diew homme nt Entre nous, pp.74-75) Comment ne pas voir dans ces quelques lignes un dialogue entre Sartre et Lévinas ? L'inversion que nous essayons : décrire y est comme affirmée: _activité/passivité, assomption/convocation, —et__poue meme lbertexesponsabilt™, Reste que, pour ee confine; ex inversion doit continuer a étre creusée, approfondie pat d’autres analyses. II nous faut épuiser cette notion de contre- Telnet: Pavons dit, la contre-intentionnalité, ou Vintentionnalité a rebours, se joue dans le visage. D'aillews, crest aussi ce que Jean-Luc Marion affirmait lors de son intervention au cours du XXXVI""* colloque des ineectes juifs de langue francaise : « La transcendance par excellence est celle qui reltve de la contre-intentionnalité. Ft la contax intentionnalité par excellence est celle du visige> rapprochement implicite entre le visage et la transcenc ante wa rien pour nous étonner, mais il nous faut ee comprendre comment il y a une contre-intentionalté dt visage. Nous Je. savons maintenant,» le surgssement di visage d’Autrui (Gon appel) dans sa misére et la pauveté sa mudité, bref, dans sa faiblesse, me déborde et m'oblige, m’interpelle par la supplication qui m'ordonne | «Tu ne tueras point » és Vi fiaire de cc « peut-étre », 2 Si nous avons émis une réserve par Pintermédiaire de peut- 14 Je suis celui qui regoit Je commandement de ne point commettre de meurtre, et c’est ainsi, dans ce mouvement de passivité réceptive et accucillante, oti je suis une « passivité plus passive que toute passivité » que le souci pour mon étre propre devient insensé et mis hors-jeu, Le sens s’entend done indéniablement comme inquiétude pour autrui. L’ordre de ne Point tuer me met en question, m’interpelle ct m’interroge & Propos de la place que joccupe : aie le droit d’étre oil je suis, ai-je le droit d’étre, est-ce qu’en étant, je ne commets pes de meurtre ? situe ‘comme si Pappel it pas méme le temps de me poser la question de savoir si je suis le gardien de mon frére, Si le Visage est ce qui me regarde, (méme quand il ne me regarde pas), c’est parce que recevant son appel, bouleversé par son appel, je suis celui & qui est adressé l'appel. Je me regois en tant que je, c'est dire responsable pour I’ Autre, de ce que je regois Papel du visage d’ Autrui La contre-intentionnalité dans son intégralité se manifeste dans ce mouvement, mouvement que l'on peut résumer de la sorte: réception de l'ordre du visage et sujet comme sujétion Acet ordre, en tant que je suis celui A qui est attribué lappel, Je deviens unique responsable, Pordre ne pouvait etre adressé & personne d’autre qu’a moi et personne ne peut étre responsable & ma place, responsable pour moi. La contre- intentionnalité lévinassienne est dé-situation, destitution mais lection, ou plut6t, ef éleotion. Le paradoxe de la destitution ou de la déstabilisation élective répond a celui de la faiblesse qui commande, de la demande qui ordonne. «Problématicité que signifie I’ébranlement de la naturelle, de Janaive position ontologique de lidentité d°étant, inversion du conatus, de la persistance et de la persévérance sans probleme de ’étant dans I’étre ; ébranlement et inversion par lesquels, moi je perce sous Videntité de 'étant et peux 1s désormais parler de mon ébranlement, de mon conatus, dems persistance dans l'étre, de ma mise en question comme j parle de ma mise au monde; entiée dans 'inguitude-pour Ja-mort-de-l’autre-homme : réveil, dans Peétant "une « premigre personne ». Problématiité san orgine en gis de mon éveil ta responsabilité pour autrui, en guise d'un dégrisement de mon propre exister ». (Lévinas, « Notes sur sens », in, De Dieu qui vient 4 'idée pp247-248), TL devient Evident que cet appel du visage qu’est 7 contee-intentionnalité, se donnant dans Vordre an-archique do «Tu ne tueras point » ne signifie pas simplement de ' point se comporter comme un meurtier. En effet, Tinquiétue pour au qui fait du souei ontologique un pur non-sens, signifi toujours déja qu’en tant qu’éla, il ne eet pas interdt 6 tuer, mais bien plutSt qu'il m'est impossible de tuer sans nit savoir responsable, ou plutot et plus radicslement encore Sagit de ne pas laisser mourir Autrui. Crest surtout oxy nous semble-t-il, que signifie 'impossibilité de se pos tion cainesque. : Repeal de a monde MAure sur ma pope met es cela la « Santé», c'est eel te « Tu ne commeteas ponte meurtre », Ordre divin auquel le visage humain me soum: moi en tant que sujet. Mais que seste-til du sujet lorsqu’il sentend comme soumission au visage dans la responsabilité-de-l’Un-pour TrAutre? Ne devrions-nous pas nous poser a question plus radicale encore de savoir non pas ce qu'il reste du, mais, ai sujet ? 6 B. QUE RES T-IL DU SUJET ? Le sujet Iévinassien est précisément celui qui vit Vinguiétude pour Autrui, inguiétude devant la nudité du visage du Prochain et devant la mort prochaine de "Autre. Nous pouvons dire que Ie sujet de la relation éthique de Un pour I’Autre est un sujet soucicux, obsédé par Autrui et dont lapersistance a étre est rendue insensée par le souci éthique. Dans la responsabilité-pour-autrui, je suis le sujet de «Vamour du prochain », malgré moi pour un Autre. Tout se Joue ici dans le malgré moi. En effet, nous pouvons comprendre cette petite expression de prime abord anodine de deux maniéres différentes. Tout d’abord, comme « malgré moi» le laisse suggérer simplement, il s’agit de comprendre que l’ordre, le commandement de \’appel du Visage d’Autrui est si terrible, si fort dans sa faiblesse, si Orphelin, qu’il Simpose & moi, sans méme qu’aucun choix ou qu’aucune Aélibération ne soit rendu possible. Soulignons bien ici que je suis inquiété par Autrui et que le « malgré moi » est dévoilé par mon impossibilité de pouvoir. I y a bien entendu une subjectivité lévinassienne qui est cette disqualification de mon pouvoir sur l'autre homme et ce souci-pour-Autrui qui barre la persévérance égoiste dans I’étre. Mais il nous semble également essentiel de creuser de maniére toute différente le cmalgré moi ». Que peut vouloir dire « malgré moi » lorsque l'idée du visage «tla nécessité d'une réponse immediate & son appel ont dores et dgja été évoqué 2 Ily a autre chose que ma mise en question et mon dé- rangement, celui qu’Autrui m°impose lorsqu’il me vise parce quill me regarde, sans méme se donner la peine de me 17 tcgndr Ilya aur chose qu'une sorte de primat effet Veffesivité a un sens dans le questonnement hae, possible par cone, semble importer plus que Pesieivit) de [Autre sur Je Mime. Nous eberchons & moses: gu malgré moi y signifie surtout : malgré mon Moi. N lee mieneté de mon Mo que je ne pe Evite, out simleme parce que je suis ax mone, jusement parce que je si one, ja ur Mos, un Moi hassable i'n vet et male ii jest Puntue et irmplgable grcen de mon fs, soicews pour (et non plus “sinplement ps) : 1 Prochain, aéersté de men Mi, néeessité qui restmbie len pls 8 une ftalité wagique u's une simple néesit fatale ily une roité de Aue su le Méme, De srt, tut spas comme s'il s*agissait d’effectuer ume réauton i eal ; re Tait et resterait moi, c' -dire pl a festoait mek ewendous moi de a remibe sigifealn éthique du « malgré moi » ou je suis affecté par Autrui En val, ces deux inepiatons posiles de «male mat ne doivent pas 2 disinguées, nous es avons spars les besoins de Manalyse mais: malgré mon Moi reaponsebiliéspour-cutrat mrincombe, parce que mals nl d’Autrui s'est imposé a moi. i E : ébranlé, éclaté. Ce qui compte par dessus Bute c ea Papel supplant éu visage Aut sit ecw, aul é cest-a-dire que démis Persistence 2 ue, dépossédé de mon pouvoir le pus ee Jeséponde Aut, En ais formes, mal ebseions i preston de Papel au ne snes out mol mals taumainme quest a rains pour mre ul me rei, evel comin, sans fin et insole de 8 e ie aui s bome 8 me regards moi, cesdire mol sl das mon unicité d’élu par Lui, élu d'une élection insupportable, 18 Pour toutes ees raisons a la fois, ce qui compte c'est que je téponde a Autrui : « Me voici », Ainsi seulement se présente, ou plutét devrions-nous écrire, S'expose la « premiére personne », le sujet Iévinassien, Il est Ie seul responsable, seul pour-l"Autre, il est cette réponse a Vappel immémorial qui le tient en éveil. « Tel est le moi - une sponse & un appel qui le précéde - mais telle est aussi son unicité. En effet, le moi qui entend cette adresse, ou cette assignation, ‘sait d'emblée qu'il ne peut compter que guelqu’un d’autre réponde a sa place ou méme le soulage un instant dans sa tiche. Ce serait « transformer la responsabilite gn role joug sur le théatre » [Auirement qu’étre, p.173] et menquer la signification éthique du moi. Le moi ne décide Pas de ce role, il en est I” «otage », il ne choisit pas cette responsabilité pour autrui, c'est elle qui ne le Hache pas, c°est clle qui le maintient sans cesse sur le qui-vive. «$"il y avait choix, le sujet aurait gardé son quant & soi et les issues de la ve intérieure, alors que la subjectivité, son psychisme méme, est le pour-l’autre, alors que son port d’'indépendance méme Consiste & supporter Vautre - & expier pour lui [Autrement que, p.174] » ». (Catherine Chalier, Levinas, 'utopie de Vhramain p.89), Lorsque nous tentons de décrre la subjectivité telle que la donne & penser notre philosopie, ce que nous remarquons, est que finalement, contre toute attente, ce qui compte le Plas, ce n’est pas tant de savoir si l’Autre prime réellement sur le Méme, que de parvenir 4 penser que le sujet est un Pour-l'autre, clest-a-dire qu’il y a une priorité de Autre Crest précisément ce que nous disions en définissant le ¢Sainteté », terme dont Lévinas nous dit dans le film de PA. Boutang, qu'il est une autre maniére de dire I’éthique. Ainsi, la sainteté s’entend comme la priorité de linguigtude pow la mort d’Autrai sur ma propre mort. Telle est aussi la subjectivité comme réponse a Pinjonetion du visage. La 19 priorité importe plus que la primauté. L'intégralité de le pensée philosophigue lévinassienne en est la preuve. Et si dans Ethique et Infini, notre philosophe le confirme en résumant sa réflexion en un Aprés-vous (« C'est un « Apres- vous, Monsieur », originel que j’ai essayé de décrire », p.84), c'est encore plus frappant, nous semble-t-il, dans Pinterprétation qui lui est propre du commandement «Tu aimeras ton prochain comme toi-méme ». Que peut bien vouloir dire une telle phrase ? Pourquoi ce «comme toi-méme», comparatif qui raméne a soi Iamour pour le prochain, comme dans un mouvement réflexif de retour sur soi, oi le soi doit s’entendre comme centre? De prime abord, il y a quelque chose comme un égotsme ou tun égocentrisme paradoxal, inhérent a cet ordre daimer mon prochain. Er’ effet, le détour par soi de l'amour du prochain semble contredire, voire disqualifier la séparation, P’Infini, a Transcendanee de I'Autre, du visage que nous paree qu'il n'y @ ni grand rouleau, ni Dieu, ni Nature pour me déterminer, pour me décharger de mes choix, de ma liberté. « Si ’on entend que, quelque soit Phomme qui apparait, ily aun avenir & faire, un avenir vierge qui Pattend, [..] alors, on est délaissé » (ibid., p.39). Crest justement cet avenir & faire propre au délaissement qui accentue la libetté de "homme. La contingence radicale et fe délaissement, mal peuvent avoir d’effroyable, > dans cette optique laré ce qu’ils donnent & la liberté son existence 'a plus haute ot Ia plus vraie. Cette existence authentique, ce seus le plus fondamental de la liberté, c'est justement qu’il wy a de liberté qu’humaine, que créée par Phomme. Autrement dit, c'est 4 homme que revient de eréer, de fuire Sire et de donner sens a la liberté, en se donnant la liberté & luiméme. «L’homme est libre, l'homme est Liberté » Wexistentialisme est un humanisme, p.37). La liberté a done, ou plutst, est done quelque chose d’accablant pour la réalité humaine en ce sens qu’elle lui interdit toute forme de auiétisme, voire de repos, La liberté nest pas, au sens o0 une maison, une fois qu'elle est batie est, cest-A-dire est IA. Au contraire, la liberté est nou seulement toujours a faire, mais fncore et toujours & faire par homme lui-méme, toujours et noore en pro-jet, encore et toujours transcendante. «La liberté est totale et infinie, ce qui ne veut pas dire quelle n'ait pas de limites mais qu'elle ne les rencontre Jamais. Les seules limites que Ja liberté heurte 4 chaque laant, ee sont celles qu'elle s'impose a elle-méme [..|» (Gate, Létre et le néant, p.589). Ge total et cet infini de ta liberté signifient qu'elle est byslement et infiniment a faire liberté totale et infinie, Cette Meté pése lourd sur le dos de la réalité humaine et on supruntant les mots d’Emmanuel Lévinas Iui-méme, nous 129 pouvons écrire que la liberté est toujours une « :ifficile liberté ». : Est-ce cela que d’étre « condamneé a étre libre » ? B. « CONDAMNE A ETRE LIBRE » ? LA MORALE SARTRIENNE Trouble ibe dot nous avons dst qi ele awa @tre accablante, pesante ou encore difficile, pour la a bunsine, Or nese pas oud moins site pas jeg présent la responsabilité qui devait étre portée comme i fedeny, dont on éuivat ql lat supporter Pinsupporae et qu fist de Thomme Fas thigne ? Comment ne ps tre étonné par la similitude des acceptions sartriennes : deux notions: Ibert responsabiit En ee mise a put fborté-rfs, aégaivité ou négatrice de Teno, Sate fae fie texte consacré a marie eee définit la liberté comme ce sentiment détre le seul auteur Ger eigpslsns uous ce que woos erous a ae) spon sartrienne (U1. 2. B, «Le primat du Poursoi»): cle conscience d’étre le seul auteur de ses actes : « Nous pensor " @ La liberté carésienne», in. Situations philosophiques, p61 et s gs nee ee apes Grete ie veritable auteur de ses acts ot le eréateur continue de i ies 4 ‘elle ne lui donne les moyens d’inventer Sikes opts confomemer aux les penta dela Mods 130 Ie mot responsabilité en son sens banal de conscience @) dite Vauteur incontestable dun événement ou d'un objet. » On Ie woit bien, la liberté et Ia responsabilité sont dune broximité incontestable (on pourrait Presque penser qu'il Sagit d'une seule et méme chose? ). D'ailleurs, Sartre, a [evidence propose une lecture morale de la liberté, liber ont découlerait comme automatiquement une nécessts isir. Ainsi Phomme peut-il é Bssayons de saisir total qu'elle peut avoir de bi ‘oumure polémique. lement cette expression, par-dela co rillant, de séduisant, et par-dela sa est possible de trouver cette idée si sartrienne d’ condamnation a Ja liberté dans tznterons de relever ici ceux dteisifs, afin de les analyser ne de nombreux textes. Nous ui nous semblent etre les plus et de les interpréter. Cela dit, ous pouvons deja dévoiler notre intuition principale . la liberté telle qu elle est thématisée Par lauteur de L'étre et le Rant, est la source principale, fondamentale et absalue de ton yuestionnement éthi radicalité elle n’exclut pas la responsabilité. bien an coniraire, elle semble Vimpliquer. Pour conficmer cette intuition, nous allons partir des écrits de Sartre ui-méme & Je suis condamneé & exister pour toujours par dela mon sence, par dela les mobiles et les motifs de mon acte : je stis condamné a étre libre. Cela signifie qu'on ne saurait ‘mouver a ma liberté d’autres limites qu'elle-méme ou, si l'on méfere, que nous ne sommes pas libres de cessey a ibres. » (L'étre et le néant, p.494), tre {Nous tenterons ultérieurement de monter qu'il y a quelque chose coun une synonymie entre liberté et responsabilité 131 Toujours dans I’essai d’ontologie phénoménologique’, ncus pouvons lire: « [...]I"homme étant condamné a éue libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules : i ex responsable du monde et de Iui-méme en tant que maniére d'etre [...]. En ce sens, la responsabilité du pour-soi est accablante, puisqu’il est celui par qui il se fait qu’il p ait un monde ; et, puisqu’il est aussi celui qui se fait étre, quelle que soit done [a situation avec son coefficient d’adversité propre, fat-il insoutenable : il doit Vassumer avec la corscicnce orgueilleuse d’en étre l’auteur[...] » Et enfin, dans les Cahiers pour une Morale (pp.447 et sq), Sartre propose une longue explication: «Ce que signif « Nous sommes condamnés étre libres 2» On ne I°a janis bien compris. C’est pourtant a base de ma morale’. Partons du fait que f’homme est-dans-le-monde, Crest-i-dire e1 méme temps une facticité investie et un projet-dépassemment. En tant que projet, il assume pour la dépasser sa situation [..., Jene conserve ce que je suis que par le mouvement dans lequel J'invente ce que je vais étre, je ne dépasse ce que je suis gu’en le conservant. Penpétuellement j'ai a me donner le donné, cest-i-dire a prendre mes responsabilité vis & vis de lui. [...]. Ainsi suis-je sans repos : toujours transformé, miné, Jaming, ruiné du dehurs et toujours libre, toujours oblige de reprendre a mon compte, de prendre la responsabilité de ce dont je ne suis pas responsable. Totalement déterminé et totalement libre. Obligé d’assumer ce déterminisme pow poser audela les buts de ma liberté, de faire de ce déterminisme un engagement de plus. »* * aire et le néant, p.612. “ C'est nous qui soulignons. * Nous nous excusons pour Je nombre important de citations, mai il nas semble que les différentes maniéres que Sartre utilise pour expose: probléme nous apportent beaucoup sur ce que nous voulons appear b Morale de Sartre ou I'Ethique sartrienne, 132 Ces trois Passages cay pitaux metient e1 f ceci Paradoxal @ prior que La Liberté est pa contraignante. En effet, eaje g eeliau auparavant, elle n’est jamane a lt Tesponsabilité. Cela jeridenee, de maniéze négatve, lorsgue description de fa s fi." Ainsi la mauvaise foi est cette m dans une situation ot ta liberté e mpoissante & assumer, L’angoisse scaptinn ititement, dés lors qu'on Ja prend dave son ceo rtement sartienne, cestadire comma la eonscience d’étre son pro : om Propre avenir sur le mode du n°étre Voici la situation st Wop difficile, trop est ici la notion gui privilégiée de la manifestat oa oe H ion de la sein foi & savoir ia plus difficile des diffieles libertés done oe ei ProPre avenir, clesta-dire se faire, devels oh et donc se choisir, puisgn’ dom * Puisqn’étre pour te Pour-soi, c'est se Il est maintenant indéniable que la responsabilité radicale découle de la liberté absolve. La condamnation a la liberté sartrienne implique done une condamnation a la responsabilité. Autrement dit, la responsabilité n’est jamais rien d’autre qu’une maniére de revendiquer la liberté, & laquelle je suis condamné par ron ek-sistence @homme et non de chose, ainsi que ses conséquences. «Tout se passe done comme si j’étas contraint d’étre responsable. Je suis délaissé dans le monde [...] au sens oi je me trouve soudain seul et sans aide, engagé dans un monde dont je porte ’entiére responsabilité, sans pouvoir, quoi que je fasse, m’arracher, fit-ce ur instant & cette responsabilité, car de mon désir méme de fuir les responsabilités, je suis responsable ; me faire passif dans le monde, refyser dagir sur les choses et sur les Autres, c'est encore me choisir [...] » (L ire et le néant, p.614). Retenons que c’est dans le choix que se joue la responsabilité et méme que c’est du choix que dépend la responsabilité. En me choisissant je choisis pour toute I'Humanité, ainsi le poids de mon engagement dans un choix est incommensurable et ma responsabilité devient infinie De méme que Mexistence précéde essence, de méme, le liberté précéde la responsabilité. Ainsi done, cheisit librement, c'est choisir d’assumer les conséquences voulues, prévues et non voulues de ses actes, clest-d-dire choisir d'etre responsable. La responsabilité découle de ia liberté qu’est ce choix fondamental auquel je ne peux échapper. Et précisément parce que je ne peux pas ne pas choisr, je sus toujours responsable. Plus clairement, méme si je ne veux pas choisir, je choisis encore de ne pas choisir, et donc je suis responsatle d'aveir choisi de ne pas choisir. Je suis libre d’étre responsable et pa la méme je suis responsable de ma liberté, Tout se passe comme si j’étais doublement condamné : condamné 4 la Hberté d'une part, et condamné & la responsabilité d’autre part En choisissant de refuser ma responsabilité, je me pose, dans unméme mouvement, en face de ce refus comme responsable de ce refs. Et si tout cela m’est insupportable et que jen viens & reflser ma liberi, ce sera encore et toujours par un acte libre et encore et tou {jours je serais responsable de m: servitude volontaire. i

Vous aimerez peut-être aussi