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Dominique Bucheton
2008
pages 15 à 27
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I N T R O D U C T I O N
Professionnaliser?
Vers une ergonomie du travail
des enseignants dans la classe
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du plus riche l’emporte, soit les enseignants, dans et par leurs pratiques,
mènent à leur niveau une bataille sans précédent pour la démocratisation de
l’accès au savoir. Dirigeront la société, les médias, les institutions, les postes
de pouvoir ceux qui auront la maîtrise des modes de lecture, d’écriture, de
pensée, des formes collaboratives du travail à distance, des formes culturelles
nouvelles. Certains milieux sociaux et familiaux peuvent en leur sein s’auto-
former, s’autodévelopper, apporter les étayages nécessaires à leurs
« juniors », les aider à franchir les caps nouveaux, investir dans du matériel,
de l’accompagnement individualisé. Il n’en va pas de même d’une partie très
importante de la société. La fracture numérique et donc culturelle est déjà en
train d’organiser de nouvelles ségrégations.
1 Appelée en France « cours préparatoire », cette année qui rassemble les enfants de 6 ans a
pour enjeu principal l’entrée dans l’apprentissage du lire-écrire.
2 Plusieurs équipes de recherche du réseau RESEIDA travaillent actuellement sur ces lieux de
passage.
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nous appellerons ici de manière encore très générale « ses gestes profession-
nels ». Certains domaines ou niveaux d’enseignement, certaines tâches ont été
explorés, d’autres restent très peu objectivés.
Pour répondre aux caricatures sur lesquelles les politiques préten-
dent s’appuyer, les analyses précises du travail réel des enseignants dans des
contextes précis sont d’autant plus nécessaires. Elles sont encore très peu
développées ou ont parfois un tel niveau de généralité qu’elles ne donnent
qu’assez peu idée de ce qui se passe dans les classes ordinaires.
Enseigner n’est un métier ni invisible ni impossible à décrire. C’est un
métier complexe, fourmillant de dilemmes, de savoirs cachés (Hubert et
Chautard, 2001), qui n’est obscur que parce que son analyse précise est à
peine entamée et parce que la tradition de l’enseignant seul maître à bord et
responsable dans le secret de sa classe a la vie dure.
et leur formation, identifier les zones de fragilité, voire les impasses dans les-
3 Dans la mesure où le cours est supporté par un ensemble de paroles, ayant une ouverture et
une clôture, nous le considérons comme « un texte ».
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les élèves (ex. : tenter de faire émerger un questionnement sur un texte his-
torique ou littéraire) ne provoquent pas forcément la dynamique attendue.
Les élèves, par leur mode d’implication, leurs postures scolaires déjà là, leurs
résistances diverses, modifient, voire détournent, les finalités initiales de la
leçon ou des exercices proposés. Ils se donnent d’autres tâches, le maître cor-
rige et modifie les siennes. Une large part du texte de la classe est imprévisi-
ble, notamment pour le novice.
4 Cette idée des entours de l’activité des maîtres et des élèves dans la classe était déjà posée
lors du colloque de la DFLM à Neuchâtel en 2001 : J. Dolz, B. Schneuwly, Th. Thévenaz-Christen,
M. Wirthner (éds), Les tâches et leurs entours en classe de français.
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de manière tacite et qui sont rapidement identifiées par les élèves comme fai-
sant partie de la culture partagée de la classe. Ces routines et microgenres lan-
gagiers assurent la continuité d’un cycle à l’autre (la lecture suivie d’une
œuvre commence en maternelle). Ils ne sont jamais identiques mais sont à la
source de toutes sortes de variations (genres seconds), qui demandent aux élè-
ves et au maître de modifier et d’ajuster leurs rôles respectifs (ce qui génère
d’ailleurs de nouveaux malentendus). Même si le maître corrige un texte selon
un principe bien établi, il introduit ses propres codes. Lorsqu’on visite des éco-
les dans d’autres pays, on reconnaît assez vite ces préoccupations communes
(ce multi-agenda propre aux tâches d’enseignement et d’éducation). Elles ne
s’actualisent pas forcément de la même façon. Les gestes professionnels des
enseignants appartiennent donc à une culture professionnelle propre aux tra-
ditions historiques d’un pays, voire à la culture professionnelle spécifique d’une
école ou d’un type d’école (privée ou publique). En Écosse, il y a de cela plus
de trente ans, les enseignants ne corrigeaient pas les écrits des élèves, ils mon-
traient simplement qu’ils les avaient lus. Pas de trace de rouge ! Ils faisaient
écrire aux élèves des textes singuliers tous les jours, dès la première année pri-
maire (une visite, une pensée, un rêve, un événement de la journée, etc.). On
pourrait dire de ces gestes du faire écrire, communs à ces enseignants écos-
sais, qu’ils étaient représentatifs d’un genre d’activité : une activité partagée,
partageable, reconnaissable par la communauté des élèves, de leur famille, des
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6 Sauf probablement dans le cas de « l’enseignement spécialisé » où les hiérarchies des préoc-
cupations des enseignants peuvent être autres.
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des réajustements constants (hormis peut-être pour les moments très rituali-
sés qui ne construisent pas de sens nouveau et spécifique).
La professionnalité qu’il convient alors d’observer attentivement
devient alors non seulement la mise en œuvre de gestes professionnels de
métier, mais leur actualisation, réinvention, réajustement dans la dynamique
des situations, à chaque fois spécifique. La capacité à s’ajuster avant, pendant
et après l’action dans des contextes didactiques, scolaires divers, serait alors
la caractéristique de la professionnalité enseignante. Elle permettrait
la conduite de la classe au mieux de ses possibilités humaines, institutionnel-
les, didactiques.
Pour finir, disons que si les gestes professionnels sont l’ensemble de
ce qui est identifiable, descriptible et objectivable et donc transmissible, la
professionnalité est alors la manière de s’approprier ces arts de faire communs
pour les mettre en œuvre, les ajuster aux situations et ce faisant les transfor-
mer, voire en réinventer de nouveaux.
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