Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Olivier Droulers
Professeur des Universités
CREM UMR CNRS C 6211
Université de Bretagne Sud
e-mail : Olivier.Droulers@univ-ubs.fr
Bernard Roullet
Maître de Conférences
PRISM
Université de Paris 1 Panthéon – Sorbonne
e-mail : Bernard.Roullet@univ-paris1.fr
1
« EMERGENCE DU NEUROMARKETING : APPORTS ET PERSPECTIVES
POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS »
RESUME : Les progrès accomplis récemment par les neurosciences ont permis une
révision complète de la compréhension du fonctionnement cérébral. Une révolution est
en marche, bouleversant les paradigmes établis en sciences humaines. Le marketing,
après avoir assimilé successivement les concepts de psychologie générale puis de
psychologie cognitive, doit aujourd’hui s’approprier les notions et concepts des
neurosciences pour garder sa place au sein des sciences sociales et humaines.
2
« EMERGENCE DU NEUROMARKETING : APPORTS ET PERSPECTIVES
1
POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS »
L’objectif de ce travail est de faire le point sur une pratique émergente en marketing : le
neuromarketing. Les auteurs proposent une définition, puis présentent les méthodes
d’imagerie cérébrale. En s’appuyant sur les premiers travaux scientifiques réalisés, les
premières applications managériales sont envisagées après examen des critères éthiques,
méthodologiques, financiers et consuméristes nécessaires à leur implémentation.
Introduction
En 2004, la plupart des grands quotidiens ou hebdomadaires américains se sont fait
l’écho d’une étude réalisée par l’équipe du Pr. Montague (15), parue dans Neuron, un
journal scientifique renommé. L’information devait être ensuite relayée par quelques
quotidiens français. La teneur générale des articles oscillait entre une vague curiosité et
une hostilité affichée. La publication en question démontrait à l’aide de techniques
d’imagerie cérébrale fonctionnelle que la notoriété et l’image d’une marque de cola
influaient fortement sur l’appréciation de la perception gustative réelle. Pour la première
fois, on pouvait objectivement montrer grâce à des techniques médicales et
neuroscientifiques2, l’influence du capital de marque sur les jugements de préférence,
une problématique purement marketing. Rapidement, des cabinets conseils spécialisés –
parfois émanant de départements universitaires – ont été créés afin de proposer leurs
services aux grands groupes mondiaux (Cf. Tableau 1). Tout aussi rapidement, des
associations consuméristes américaines se sont emparées de cette information pour
lancer un signal d’alarme public et même exiger une enquête sénatoriale sur les
pratiques du neuromarketing et sur ses dangers présumés.
1
Les auteurs tiennent à remercier les lecteurs anonymes ainsi que les rédacteurs en chef pour leurs
remarques et suggestions qui ont contribué à l’amélioration de l’article.
2
Les neurosciences cognitives intègrent les champs d’étude relatifs à la mémoire, l’attention, la
perception, l’émotion et au langage. Les neurosciences affectives s’intéressent spécifiquement aux
émotions, à leurs précurseurs et à leurs effets. La neuro-imagerie étudie chacun de ces thèmes qui ont
naturellement une résonance en marketing.
3
psychologie sans avoir accès aux méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle » (5). Le
nombre chaque année croissant de publications mobilisant ces méthodes (plus de 6.600
études IRM recensées à juillet 2006 ; voir Schéma 1) indique la réponse. Les chercheurs
marketing seront bientôt confrontés à une question similaire : pourra-t-on étudier le
consommateur sans avoir accès aux méthodes d’imagerie ?
Définition du neuromarketing
4
Cela signifie que nous ne souscrivons pas à une version réductrice du neuromarketing
qui consisterait en une simple appropriation de méthodologies et de techniques
objectives visant à quantifier et visualiser des phénomènes cognitifs, mais bien au
contraire, nous adhérons à une version paradigmatique, selon laquelle c’est le cadre de
pensée des neurosciences qui devrait s’appliquer à des contextes particuliers et
circonscrits de l’activité humaine, objets d’étude du marketing. En ce sens, le
neuromarketing contribuerait in fine – à l’instar de la neuropsychologie cognitive ou de
la sociobiologie – à l’élargissement et à l’accumulation des connaissances relatives aux
relations esprit / cerveau, tout en conservant parallèlement une finalité pratique dans la
vie des affaires. Pour simplifier, nous serions enclin à dire : les chercheurs en
comportement du consommateur ne doivent pas seulement emprunter sporadiquement
des techniques d’imagerie, mais se convertir en ‘neuropsychologues de la
consommation’, passant incidemment d’une vision comportementaliste à une vision
cognitiviste. Pour ce faire, la connaissance sinon la maîtrise des nouvelles techniques
d’études neuroscientifiques apparaît nécessaire. Dans la section suivante, nous
énumérerons succinctement les principales techniques mobilisées.
Encadré 1 : Glossaire
Amygdales cérébrales : noyaux du lobe temporal interne faisant partie du système limbique ; ses
fonctions principales concernent les activités végétatives, émotionnelles et sexuelles.
Cartographie EEG : le traitement mathématique du signal EEG, permet de tracer un spectre de
puissance qui précise la puissance de chacune des fréquences composant ce spectre. La représentation de
la distribution topographique de ces puissances sur le scalp est appelée cartographie EEG.
Cortex préfrontal (dorsolatéral ventromédian, orbitofrontal) : région corticale du lobe frontal située en
avant des aires corticales motrices ; il intervient dans la planification des comportements cognitifs
complexes ainsi que dans l’expression de la personnalité et des comportements sociaux adaptés.
Cortex : substance grise des hémisphères cérébraux et du cervelet comprenant la majeure partie des
neurones de l’encéphale.
Cyclotron : accélérateur de particules circulaire permettant la production de radioéléments tels que
l’oxygène 15 (15O), le carbone 11 (11C), ou le Fluor 18 (18F).
Electromyographie (EMG) : technique d'exploration des muscles basée sur l'étude et le recueil
(électromyogramme) des potentiels électriques de repos et d'action.
Gyrus fusiforme (ou gyrus occipito-temporal) : circonvolution médiane du lobe temporal qui est activée
lors des traitements visuels de la couleur, de la reconnaissance des visages et du traitement visuel d’objets
d’expertise.
Hémisphère : les hémisphères cérébraux sont les parties droite et gauche du cerveau, reliées par le corps
calleux.
Hippocampe : structure corticale bilatérale et symétrique, repliée sur elle-même, située dans la face
médiane du lobe temporal et faisant partie du système limbique. Il joue un rôle dans la mémoire spatiale
ainsi que dans la consolidation de la mémoire.
Imagerie cérébrale fonctionnelle : s’oppose à imagerie structurale. Cette dernière donne des images
statiques, fixes ; la première donne des images dynamiques (voir neuro-imagerie).
5
Isotope instable : corps simple dont le noyau atomique a le même nombre de protons qu'un autre mais
dont le nombre de neutrons est différent : par exemple l’oxygène 18 (18O) et l’oxygène 15 (15O). La
proportion de neutrons dans le noyau peut rendre l'atome instable : il peut être radioactif.
Neuro-économie : tentatives d’appliquer des méthodes neuroscientifiques à des questions relevant de la
recherche en économie ou en gestion.
Neuro-imagerie : toutes les techniques qui permettent de visualiser la structure et/ou le fonctionnement
du système nerveux central au cours de l’accomplissement de certaines tâches ou lors de certains états.
Elles incluent les mesures d’activité électriques, magnétiques et métaboliques. En plus des techniques
précisées dans l’article, notons les stimulations transcraniennes (TMS), l’imagerie dans le proche
infrarouge (NIR imaging) et l’imagerie par diffusion (DTI).
Neurosciences : ensemble des disciplines qui ont pour objet d’établir la nature des relations entre la
cognition et le cerveau.
Paradigme des neurosciences : il existe des présupposés implicites dans cette discipline : (a) le cerveau
humain est le produit de l’évolution, (b) l’être humain appartient à une espèce qui n’est pas
fondamentalement différente des autres, (c) il existe une identité entre des événements mentaux et des
événements neuronaux (la même chose), (d) tout comportement humain explicite est la résultante d’un
fonctionnement du système nerveux central.
Potentiels évoqués : mesure de l’activité EEG en réponse à un événement survenu. En répétant une
même stimulation un grand nombre de fois, il est possible de mettre en évidence des ondes positives et
négatives caractéristiques des différentes étapes du processus traitement de l'information.
Psychologie cognitive : étudie les grandes fonctions psychologiques de l'être humain que sont la
mémoire, le langage, l’intelligence, la perception ou l’attention.
Scanner : appareil appelé aussi tomographe qui, comme son étymologie l’indique, permet d’obtenir des
clichés (structuraux ou fonctionnels) sous forme de « tranches » contiguës.
Substrats neuraux : à chaque processus cognitif ou affectif, correspond un ensemble complexe
d’activations cérébrales (successives ou simultanées) qui mobilisent une ou plusieurs modules cérébraux.
Le substrat neural représente la partie biologique d’un phénomène cognitif.
Système limbique : groupe de structures cérébrales jouant un rôle très important dans le comportement et
en particulier, dans diverses émotions comme l’agressivité, le plaisir, la peur, ainsi que la formation de la
mémoire.
Thalamus : structure cérébrale profonde, généralement divisée en une vingtaine de noyaux, qui
constituent l'un des principaux relais des voies sensitives allant vers le cortex cérébral.
Tronc cérébral : structure du système nerveux central situé dans la fosse postérieure du crâne, sous les
hémisphères cérébraux.
Cette méthode requiert l’injection de traceurs radioactifs injectés au sujet testé lors de
l’expérimentation. L’accumulation de radioactivité dans les aires cérébrales actives,
plus consommatrices de glucose et d’oxygène que les aires au repos, sera détectée par le
6
scanner. L’injection d’une dose de radioactivité interdit la répétition de
l’expérimentation chez un même sujet. Elle permet de disposer d’une bonne résolution
spatiale (4 millimètres environ) mais d’une très faible résolution temporelle (tout
« point chaud » qui dure moins de 30 secondes ne sera pas détecté). Ces limites ne
plaident pas pour une utilisation de la TEP dans un contexte commercial.
Elle repose sur le fait que l’hémoglobine a une signature magnétique légèrement
différente selon qu’elle contient plus ou moins d’oxygène. La méthode la plus employée
vise à détecter les variations de concentration locale en désoxyhémoglobine (méthode
BOLD ; Blood Oxygen-Level Dependant). Elle ne nécessite pas l’utilisation de traceurs
radioactifs et donc permet la répétition des observations chez un même individu. La
résolution spatiale de l’imagerie par résonance magnétique est considérée comme bonne
(quelques millimètres). En revanche, première limite, sa résolution temporelle est
faible : l’obtention d’une série de clichés couvrant l’ensemble de l’encéphale nécessite
environ 6 secondes. Or, l’unité de temps pour étudier les modifications de l’activité
cérébrale consécutives à un processus cognitif en cours est de l’ordre de la dizaine ou
centaine de millisecondes. Cette méthode présente d’autres limites. La seconde est liée
au nombre restreint de scanners IRM en France. Il semble donc difficile de réaliser des
observations à but commercial, à moins que les appareils, comme aux Etats-Unis, soient
exploités quasiment de manière permanente, le jour pour la clinique et la nuit pour la
recherche. La troisième limite concerne les contraintes logistiques de l’examen
(confinement du sujet, niveau de bruit élevé, absence de mouvement). Ces contraintes
visent néanmoins à réduire les sources de biais ou d’artefacts. Dans un avenir proche, le
nombre de scanners augmentant et les nouveaux appareils étant beaucoup moins
imposants, ces deux limites seront levées. La limite relative à la faible résolution
temporelle sera supprimée quand les méthodes d’imagerie pourront être couplées, dans
l’idéal IRMf avec MEG ou EEG. Il sera ainsi possible de répondre simultanément à
deux questions « où ? », c’est à dire : « quel réseau de neurones est activé ? » et
« quand ? », c’est à dire : « à quel moment suivant l’apparition d’un stimulus ? ».
7
Electroencéphalographie (EEG) et cartographie électro-encéphalographique
Cette méthode, présentée en 1929, est basée sur le fait que l’activité des neurones du
cortex cérébral entraîne des variations de champ électrique enregistrable au niveau du
scalp. Depuis les années 1980, l’utilisation des ressources informatiques et
l’augmentation du nombre de capteurs utilisés ont permis son intégration dans les
méthodes d’imagerie cérébrale ; on parle alors de cartographie EEG et de potentiels
évoqués. Cette méthode non invasive est connue pour son excellente résolution
temporelle de l’ordre de la demi-milliseconde. En revanche, sa précision spatiale est très
faible (quelques millimètres à plusieurs centimètres) et il est difficile d’enregistrer des
signaux électriques au delà des quelques millimètres corticaux de profondeur. Compte
tenu de la faible sensibilité de cette méthode, la tâche cognitive doit être répétée
plusieurs fois. L’utilisation de cette méthode dans un contexte commercial présente
cependant de nombreux avantages. Tout d’abord, compte tenu du nombre important
d’appareils et d’une plus faible utilisation que par le passé, l’accès pour des raisons non
médicales à cette méthode ne pose pas de problème (Cf. Tableau 3). Ensuite, il s’agit de
matériel d’un coût d’achat et d’exploitation très inférieur à celui d’un scanner pour
IRMf ou d’une MEG, ce qui permet de réaliser des expérimentations auprès d’un
échantillon suffisant de sujets pour un coût relativement raisonnable (Cf. Tableau 2).
Enfin, cette méthode totalement non invasive est peu stressante pour le sujet et peut être
employée in vivo, c’est à dire utilisée en situation réelle, à domicile ou en magasin. Il
suffit au sujet d’enfiler un casque souple et de porter un enregistreur à la taille. On peut
aujourd’hui considérer que c’est la méthode d’imagerie cérébrale qui détient le meilleur
rapport qualité/coût. La technique a été employée en publicité et en design
principalement (17).
La Magnétoencéphalographie (MEG)
8
le coût d’entretien de ce type de matériel obèrent sérieusement son emploi marketing
pour la décennie à venir. De plus, les champs mesurés sont si ténus qu’ils nécessitent
des protections et des appareillages spéciaux. Il s’agit enfin d’une méthode onéreuse
(Cf. Tableau 2). Toutes ces caractéristiques ne placent pas aujourd’hui, en France, la
MEG comme une méthode facilement utilisable dans un contexte marketing.
Cependant, les nouveaux appareils sont susceptibles d’être couplés avec la méthode
EEG, ce qui permet d’obtenir à la fois de bonnes résolutions spatiale et temporelle et ce
qui constitue un avantage déterminant pour l’étude des processus cognitifs. Ces récents
progrès technologiques pourraient inciter à une généralisation de ce matériel.
De manière plus générale, il convient d’indiquer que de tels appareils (TEP, IRMf,
MEG) ne peuvent fonctionner « en libre-service » (hormis l’EEG portable) et que leur
utilisation requiert une équipe de professionnels aguerris (biotechniciens, médecins,
statisticiens, ingénieurs systèmes etc.).
Nous verrons dans la section suivante que les techniques évoquées ci-dessus,
lorsqu’elles sont appliquées au champ du neuromarketing, présentent des avantages
certains en regard d’autres techniques d’investigation : (a) la mesure est objective et non
contrôlable par le sujet, (b) le biais cognitif est supprimé, (c) des processus non
verbalisables sont accessibles, (d) les phénomènes affectifs, même ténus sont
discernables et (e) des phénomènes implicites sont abordables.
9
Il est aujourd’hui nécessaire d’établir une distinction entre les travaux révélés dans des
revues grand public de ceux rapportés dans des revues scientifiques à comité de lecture.
Les travaux relatés dans les magazines sont souvent présentés sous la forme d’une
interview qui développe peu les aspects méthodologiques ou protocolaires. De récents
ouvrages commerciaux rapportent des résultats sans présentation de la méthodologie
voire, sous couvert de confidentialité des résultats commandités par des entreprises
privées, aucun résultat du tout. Notre présentation se limitera aux travaux ayant fait
l’objet d’une publication dans des revues scientifiques reconnues, qu’ils soient conduits
explicitement ou non dans un contexte marketing.
10
stimulus visuel) mais que les zones cérébrales motrices impliquées dans la réponse du
sujet étaient également activées. Ceci implique qu’un stimulus subliminal reçoit non
seulement un traitement dit parfois de « bas niveau » mais également un traitement de
« haut niveau » c’est à dire qu’il est catégorisé non seulement sur le plan de ses traits
élémentaires (forme, couleur) mais également sur le plan sémantique (plus grand ou
plus petit que 5). Grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, ces chercheurs montrèrent
qu’un stimulus subliminal est traité dans des zones cérébrales impliquées à la fois dans
les tâches de traitement perceptuel, de catégorisation sémantique et d’exécution motrice.
La différence observée entre la verbalisation du sujet qui déclare ne pas (perce)voir de
stimulus et la réalité des traitements cognitifs effectués comme le montre aujourd’hui
l’imagerie cérébrale, soulignent une nouvelle fois que le cerveau ne nous instruit
aucunement sur la façon dont il fonctionne. En marketing, ces résultats permettent de
mieux comprendre les limites d’un outil d’investigation du consommateur pourtant très
répandu dans la discipline : le questionnement.
McClure et al. (15) étudièrent les corrélats cérébraux de préférences lors de tests de
dégustation de deux sodas de marque différente (Coke®, C ou Pepsi®, P). Les sujets
étaient invités à faire des tests de préférence en dehors du scanner puis dans un second
temps l’activité de leur cerveau était examinée lors d’un test de dégustation (IRMf).
Deux situations étaient examinées. Dans la première, les sujets ne connaissaient pas la
marque, dans la seconde les sujets étaient informés de la marque d’un seul échantillon.
Les chercheurs remarquèrent que, lorsque les sujets ne connaissaient pas la marque
testée, les jugements de préférence entre les deux échantillons étaient répartis
équitablement entre les marques et que dans cette situation, le niveau d’activation d’une
zone cérébrale spécifique, le cortex préfrontal ventromédian (VMPFC), était un
excellent indicateur de la réponse du sujet (Cf. glossaire). Cependant, lorsque les sujets
étaient informés du nom de l’une des deux marques dégustées, les sujets déclaraient
préférer de façon significativement plus fréquente l’échantillon C. Dans cette situation
précise, les chercheurs décelèrent le recrutement d’autres régions cérébrales comme
l’hippocampe (médiateur de la mémorisation), la région parahippocampique, le tronc
cérébral et le cortex frontal dorsolatéral (DLPFC). En revanche, ils constatèrent que la
11
présence affichée de la marque P sur l’un des échantillons n’entraînait pas de « biais »
de réponse en sa faveur et que dans ce cas de figure, il n’existait pas d’activation
significative de l’hippocampe, de la région parahippocampique, du tronc cérébral ni du
cortex frontal dorsolatéral (DLPFC). De facto, on met en évidence deux systèmes
neuronaux distincts qui génèrent des préférences chez l’individu : quand les jugements
de préférence reposent seulement sur des informations sensorielles (préférer un goût,
une odeur etc.), l’activité relative du cortex préfrontal ventromédial - connu pour
représenter des valences hédoniques ou appétitives – permet de prédire la préférence
(15 ; p.385). Par contre, quand une des deux marques est annoncée avant test (et tout
particulièrement C) la connaissance de cette marque biaise la préférence résultante, en
recrutant d’autres structures cérébrales (hippocampe, cortex préfrontal dorsolatéral,
tronc cérébral). Et les « préférences cérébrales » (i.e. mesurées objectivement) sont alors
distinctes des préférences gustatives (déclarées), généralement en faveur de la marque
C. En d’autres termes, un individu peut préférer de bonne foi des colas différents, selon
que leur marque est révélée ou non. L’hippocampe (structure nécessaire à l’encodage en
mémoire épisodique) et le cortex préfrontal dorsolatéral sont impliqués dans des
changements comportementaux dus aux affects ; ce dernier est aussi impliqué dans le
contrôle cognitif incluant la mémoire de travail. Les chercheurs en concluent que
l’information «culturelle» influe sur les décisions de préférence, par l’intermédiaire de
la région dorsolatérale du cortex préfrontal, et de l’hippocampe qui est mobilisé pour
rappeler l’information associée. Ceci confirme par des mesures objectives la conviction
marketing selon laquelle le capital de marque (brand equity) est un déterminant des
préférences explicites. Il représente à juste titre pour les gestionnaires, un actif réel de
l’entreprise.
12
publicités et le score de reconnaissance de ces mêmes publicités, mesuré une semaine
après la phase d’exposition. Sur le plan managérial, les chercheurs soulignèrent le
caractère pleinement opérationnel de cette méthode qui, selon eux, permettait de prédire
les passages publicitaires qui seraient les mieux mémorisés. Deux remarques peuvent
être avancées : (1) on ne dispose d’aucune information sur le nombre d’essais réalisés
avant d’obtenir les résultats (cette méthode nécessite de répéter l’enregistrement des
dizaines de fois); (2) les méthodes EEG sont réputées pour leur très mauvaise précision
topographique. La conclusion des auteurs selon laquelle ils auraient mis en évidence le
lieu précis de transfert de l’information détenue dans la mémoire de travail vers la
mémoire à long terme, est encore peut-être prématurée.
Personnalité de la marque
13
Yoon et al. (21), voulant comparer les personnalités d’êtres humains et de marques, ont
demandé à des sujets de générer une succession de jugements à l’aide d’adjectifs,
concernant (a) eux-mêmes, (b) des personnes connues, (c) des marques dénotatives (Mr
Propre) et (d) des marques des marques non dénotatives (Danone). Confirmant les
résultats indiqués supra, ils observèrent que les jugements concernant des marques et
des personnes sont traités dans des zones cérébrales différenciées, les marques se
rapprochant plus des représentations mentales d’objets que de celles d’êtres vivants. Par
conséquent, le construit de personnalité de marque apparaît au mieux comme une
analogie ou une métaphore, utile toutefois au raisonnement marketing (4) mais qui
n’explique pas tout le capital de marque (3).
14
Les voies de recherche en marketing
15
potentiels évoqués. Dans ce cadre, le recours à des techniques de potentiels évoqués
semblerait judicieux, puisqu’elles ont le mérite d’autoriser des comportements normaux
dans des sites « naturels », tout en consignant les activations / désactivations corticales
associées à une valence hédonique et à des propensions à l’approche ou d’évitement.
L’étude plus poussée des impacts sensoriels spécifiques impliquerait cependant l’usage
de techniques plus lourdes d’imagerie fonctionnelle.
A l’heure des pays émergents producteurs de masse, des transferts de technologie et des
délocalisations « off shore », les produits industriels grand public se démarquent plus
par leur design et leur ergonomie que par leurs caractéristiques purement techniques
(pour un même segment de marché, s’entend). Le choix judicieux de matériaux, de
formes, de courbes et de couleurs idoines conditionne alors le succès ou l’échec de
nouveaux produits ou de nouvelles gammes. Il devient alors important de prétester des
prototypes auprès du cœur de cible, en s’efforçant de contourner les biais inhérents à la
verbalisation, à la rationalisation, à la conformité sociale et au diktat de la mode, tout en
tenant compte des différences individuelles. Des études neuropsychologiques récentes
ont utilisé les ressources de l’imagerie cérébrale pour appréhender biologiquement les
composantes phénoménologiques du jugement esthétique à l’égard d’œuvres picturales
(12). Des chercheurs ont esquissé les grandes lignes des « lois » gouvernant
l’expérience esthétique et certains ont même proposé le terme de « psycho-esthétique »,
devenant une discipline définie comme « l’étude des processus selon lesquels l’esprit
perçoit la beauté et développe des goûts correspondant à cette perception » (2). Pour
leur part, Erk et al. ont mesuré à l’aide de l’IRMf les réponses à des styles et des
carrosseries automobiles pour un grand constructeur germano-américain (9). Il semble
probable que les grands choix esthétiques en matière de design pour des produits
industriels fabriqués en masse (automobiles, portables…) seront validés à terme par des
études de neuromarketing, indiquant les préférences spontanées les plus manifestes.
16
Plusieurs chercheurs ont souligné l’importance de la prise en compte des émotions en
marketing et plaident pour une plus large prise en compte de l’émotion dans l’étude du
comportement du consommateur. Les publicitaires ont compris depuis de nombreuses
années l’importance du rôle des émotions pour accroître l’influence des publicités. Une
très large majorité des publicités sont conçues pour provoquer chez le sujet exposé une
réaction affective et parfois même une succession de réactions affectives (par exemple,
la crainte puis l’amusement). En dépit des nombreuses mesures des réactions affectives
proposées, verbales ou comportementales, explicites ou implicites, les chercheurs en
sciences sociales déplorent souvent la difficulté de mesure des émotions (14). Or de
récents travaux d’imagerie cérébrale ont permis d’identifier le rôle essentiel du système
limbique (en particulier des amygdales cérébrales et du cortex orbitofrontal) dans la
gestion des émotions et l’implication plus marquée de l’hémisphère droit dans la gestion
des émotions négatives. D’un point de vue méthodologique, il sera certainement utile
aux chercheurs marketing d’étalonner les différentes échelles verbales à l’aune des
mesures objectives citées plus haut, ou bien de recourir directement à terme aux
méthodes d’imagerie cérébrale pour approcher la réalité des affects ressentis, qui
constitueraient bien alors le «Graal » qui fait aujourd’hui défaut en recherche marketing
(7).
Il ne fait aucun doute que les importants budgets de communication visent au moins en
partie à améliorer la mémorisation par le consommateur des marques présentées dans
les publicités. Un débat existe cependant qui concerne le lien entre la mémorisation des
marques et l’intention d’achat. Remarquons toutefois que toute question posée à un
consommateur – souvent notoriété mais aussi opinion, motivation, intention – fait par
définition appel à sa mémoire. Un thème de recherche relève donc de la mesure de la
mémoire. Deux classes de méthodes sont proposées. De nombreux auteurs soulignent
que les méthodes de recueil explicite (rappel et reconnaissance) ne restituent pas
l’ensemble des éléments mémorisés. Quant aux méthodes de recueil implicite, elles ne
reposent pas sur une tâche de remémoration du sujet mais sur la mise en évidence d’un
effet de facilitation. Cet effet est le plus souvent mesuré à l’aide d’une épreuve
17
chronométrique. Ces méthodes sont intéressantes sur le plan théorique mais il n’est pas
certain que le gain de quelques millisecondes dans la réalisation d’une tâche de
catégorisation sémantique ou dans une tâche d’identification perceptive, témoigne d’une
réelle efficacité publicitaire. En revanche, il est probable que la neuro-imagerie
permettra de prédire à terme le niveau de mémorisation d’une publicité. Deux approches
peuvent être envisagées dans ce cadre. La première serait spatiale : sous peu, les
méthodes d’imagerie permettront de quantifier le nombre et la localisation des neurones
activés. Il sera peut être alors possible de relier l’étendue de l’activation (nombre de
neurones et/ou nombre de réseaux activés) à la mémorisation d’une publicité. La
seconde approche serait temporelle : il est déjà possible (imagerie par diffusion)
d’identifier les séquences chronologiques d’activation de zones cérébrales précises,
activation nécessaire à une mémorisation à long terme. On peut imaginer l’intérêt de
l’observation de l’activité de ces zones lors de la présentation de la marque dans la
publicité.
3
Depuis le 28 août 2006, les Comités de protection des personnes (CPP) remplacent les Comités
consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB). Le décret 2006-477
du 26 avril 2006 précise les modalités d’application de la loi et décrit les modalités de fonctionnement du
18
thérapeutique, dissuaderait un usage à visée académique ou marchande. L’étude de
phénomènes cérébraux liés à des actes d’achat ou de consommation peut paraître
déplacée, mais pourtant des neuroscientifiques considèrent que toute avancée quant à
l’appréhension des substrats neuronaux de processus cognitifs mérite le titre de
‘scientifique’. Par ailleurs, l’application des techniques de neuro-imagerie à des thèmes
d’étude jugés délicats peut indirectement porter préjudice à la recherche marketing qui
emploierait les mêmes moyens d’investigation (exemple du marketing politique aux
USA). Faut-il craindre les « manipulations cérébrales » comme le laissent entendre
certains journalistes ? Le fait d’observer (au niveau macroscopique) n’a jamais influé ou
modifié le sujet de l’observation. Affirmer que la découverte de certaines activations
cérébrales sous l’effet de stimuli commerciaux est le premier pas vers une manipulation
mentale, relève de l’affabulation ou de l’ignorance. L’imagerie cérébrale ne peut rien
contraindre ou susciter chez le sujet et encore moins déceler un « bouton-poussoir
achat » (« buy button ») sur lequel appuyer. Au total, une éthique neuromarketing
consisterait à s’interroger sur (a) la légitimité de l’usage non médical de la technique,
(b) la nature des risques expérimentaux (consentement éclairé), (c) la position à tenir en
cas de découverte incidente d’anomalie cérébrale (tumeur, malformation etc.) et (d) la
nature juridique des clichés obtenus (propriété et droit d’usage).
Limites méthodologiques
CPP, composé de 14 membres qui votent l’autorisation de mener l’expérimentation proposée par un
laboratoire.
19
bien que non invasive, n’est pas toujours très agréable ou confortable (position allongée
et exiguë, immobilité absolue, niveau sonore élevé, contexte hospitalier…).
Limites financières
Limites managériales
20
vue scientifique, il est indéniable que ces techniques neuroscientifiques apportent et
apporteront des nouvelles perspectives, incomparablement plus riches que celles
suscitées par des approches conventionnelles. De nouvelles connaissances, des
confirmations ou des infirmations de postulats ou de dogmes marketing solidement
établis se manifesteront tôt ou tard. Des recherches marketing de ce type contribuent
selon nous, à l’avancée générale des neurosciences cognitives, au même titre que la
neuroéconomie qui étudie des processus de décision sous contrainte, dans un contexte
d’information limitée. Elles permettent dès à présent de changer notre image du
psychisme du consommateur. Du point de vue managérial (i.e. opérationnel), l’apport
des neurosciences se situe soit en amont de la réflexion marketing et de l’élaboration de
l’offre dans ses composantes techniques et sémantiques (design, ergonomie, champ
sémantique etc.), soit en aval de la stratégie (techniques nouvelles permettant de pré-
tester et de valider des axes opérationnels en matière de communication, de promotion
des ventes ou de marchandisage). Elles peuvent apporter des réponses nettes et claires à
des interrogations qui n’obtiennent parfois que des réponses partielles, évasives ou
contradictoires, tant en approches qualitatives que quantitatives. Ainsi, des visuels
publicitaires ou des bandes-annonces réellement préférés seront-ils rejetés ou dénigrés
verbalement pour se conformer à une opinion commune ou à une pression sociale. Par
contre, ils apparaîtront en imagerie comme les seules options efficaces possibles dans le
cadre d’un projet de campagne internationale. Une grande entreprise de la photo
numérique reconnaît ainsi avoir réussi sa campagne internationale grâce au choix du
visuel publicitaire optimal, largement déterminé par les techniques d’imagerie. Par
conséquent, le recours éventuel au neuromarketing dans l’entreprise aujourd’hui
nécessite de détenir préalablement des (bonnes) questions, précises et circonscrites à
une problématique cadrée, formulée dans un paradigme neuroscientifique (Cf.
glossaire). Mais l’obtention de clés de compréhension des mécanismes cognitifs
s’inscrivant dans un contexte de consommation peut aussi s’avérer inestimable.
Conclusion
Le neuromarketing est un concept nouveau en marketing, qui n’a pas encore fait l’objet
de développements particuliers dans les revues académiques concernées. Cet article
avait par conséquent un caractère volontairement exploratoire. Toutefois, nous estimons
21
avoir avancé une définition du neuromarketing (ou neuropsychologie du
consommateur), objectivé le cadre conceptuel de discussion, à savoir : s’agit-il d’un
simple outil méthodologique conjoncturel ou bien d’un changement paradigmatique
majeur (nous penchons pour la seconde proposition) et enfin, proposé des voies
possibles de recherche pour le marketing, en tenant compte néanmoins des limites
notables, susceptibles de freiner ou d’entraver l’essor d’une discipline prometteuse. Si
Yoon et al. (21) indiquent dans une étude récente – première du genre dans Journal of
Consumer Research –, que « la neuro-imagerie est simplement un nouvel outil
applicable à n’importe quel scénario expérimental destiné à élucider la nature d’une
activité ou d’un processus mental sous-jacent. Clairement, l’étendue de telles voies de
recherche est extraordinairement vaste », nous pensons pour notre part que la
neuropsychologie du consommateur ne pourra pleinement se développer que si ses
partisans et pratiquants s’approprient également les cadres théoriques (évolutionnistes,
biologiques et physiologiques) des neurosciences. Les auteurs poursuivaient :
« l’avènement de l’IRM fonctionnelle est susceptible de transcender la distinction
traditionnelle [entre le déclaratif ou l’observé du chercheur marketing et ‘ce qui se
passe réellement dans la tête’] et en tant que telle, préfigure un grand potentiel à la fois
pour les théoriciens, les expérimentateurs et les praticiens ». Nous ne pouvons que faire
nôtre cette affirmation, à condition toutefois que les chercheurs et praticiens concernés
corrigent les interprétations erronées des média qui risquent d’ostraciser cette nouvelle
approche des consommateurs, jusqu’au stade où toute tentative serait déjugée. En
termes profanes et simples, l’interrogation éthique principale peut se formuler ainsi :
« est-il plus néfaste ou préjudiciable d’enregistrer l’activité du cerveau à l’aide d’un
tracé ou d’une image informatique plutôt qu’à l’aide de la sophrologie, de l’hypnose,
des entretiens individuels en profondeur ou de groupes ou encore du classique
questionnaire papier/crayon ? » Les auteurs s’accordent pour répondre négativement à
cette question. Observer n’est pas influencer, comprendre n’est pas corrompre ou
circonvenir. Pour mieux concevoir et proposer des offres, pour mieux satisfaire et
fidéliser, nous devons faire progresser nos connaissances sur les cognitions et les affects
du consommateur ; quant à lui, il conserve son libre-arbitre, ses envies et son bon sens.
22
Références
23
(14) Marcus G.E., MacKuen M.B., J. Wolak et Keele L. (2006), The measure and
mismeasure of emotion, in Feeling Politics, Affect and Emotion in Political Information
Processing, D. Redlawsk (ed.), New York, Palgrave McMillan Publishing.
(15) Mc Clure S., Li J., Tomlin D., Cypert K.S., Montague L.M. et P.R. Montague
(2004), Neural correlates of behavioral preference for culturally familiar drinks,
Neuron, 44, October, 379-387.
(16) Quartz S. et Asp A., Brain branding, brands on the brain (2005), Proceedings of the
ESOMAR Congress, Cannes, 18-21 September, 406-423.
(17) Rettie R. et Brewer C. (2000), The verbal and visual components of package
design, Journal of Product and Brand Management, 9, 1, 56-70.
(18) Rossiter J.R., Silberstein R.B., Harris P.G. et Nield G. (2001), Brain-imaging
detection of visual scene encoding in long-term memory for TV commercials, Journal
of Advertising Research, March-April, 13-21.
(19) Roullet B. (2006), Comment gérer les couleurs et les lumières, in Le marketing
sensoriel du point de vente, Rieunier S. (ed.), Paris, Dunod (2e édition), 133-168.
(20) Trappey C. (1997), Une méta-analyse du choix du consommateur et de la publicité
subliminale, Recherche et Applications en Marketing, 12, 1, 88-98.
(21) Yoon C., Gutchess A.H., Feinberg F. et Polk T. A. (2006), A functional magnetic
resonance imaging study of neural dissociations between brand and person judgments,
Journal of Consumer Research, 33, 31–40.
(22) Zak P.J. (2004), Neuroeconomics, Philosophical Transactions of the Royal Society
London B, 359, 1737–1748.
24
Tableau 1 : Les principaux cabinets de neuromarketing dans le monde
4
Les coûts varient selon l’affectation comptable des investissements et des coûts de fonctionnement
propres au cyclotron qui, en plus de l’imagerie, sert également à la médecine radioactive (traitements des
cancers etc.).
25
Tableau 3 : Les principales caractéristiques des méthodes d’imagerie cérébrale
TEP + ++ ++ -- -
IRMf -- + ++ - +
EEG/PE ++ -- -- ++ ++
MEG -- ++ ++ -- +
1600
1400
1400
1200 1119
1017
1000 893
800 711
616
600 480
355
400
252
161
200 92
63
0 2 8
0
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
26