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La Création Inachevée, Regard Sur L'œuvre de J.R.R. Tolkien
La Création Inachevée, Regard Sur L'œuvre de J.R.R. Tolkien
http://irenedelse.wordpress.com/
Première publication : Faëries, Hors-série n°1 "J.R.R. Tolkien" (éd. Nestiveqnen)
L’Histoire de la Terre-du-Milieu
Certaines découvertes sont déconcertantes, comme la première version de
l’histoire de Beren et Lúthien (qui raconte l’amour d’un Homme et d’une Elfe,
et les périls qu’ils devront affronter avant d’être réunis). Un personnage
aussi inquiétant que Sauron, véritable génie du Mal, apparaît ici dans la peau
d’un chat, et le preux Beren sous l’apparence d’un chien !
D’autres font sourire : un ami et collègue de Tolkien, C.S.Lewis, s’était pris
au jeu et avait rédigé une critique à moitié sérieuse d’un de ses poèmes,
sous la forme d’articles dans la plus pure tradition universitaire, émanant de
trois professeurs fictifs (et pompeux).
Mais même si ces pépites de connaissance raviront (ou laisseront pantois) le
lecteur passionné, cette copieuse somme reste d’abord difficile, et risque de
rebuter l’imprudent qui s’y lancerait tête baissée.
Il y a bien sûr la difficulté même de certains textes de J.R.R.Tolkien, écrits
dans une langue superbe, mais volontairement archaïsante, avec un
vocabulaire et des constructions de phrases assez éloignés de l’anglais
moderne. Ajoutons-y le fait que ce sont pour la plupart des fragments isolés,
souvent inachevés (défaut récurrent de Tolkien !) et difficiles à replacer dans
leur contexte. Souvent, même, plusieurs passages se référant à un même
événement de l’histoire de la Terre-du-Milieu, mais écrits par Tolkien à des
années d’intervalle, ne sont pas cohérents entre eux, et correspondent à
différentes étapes de la conception de son univers. On a déjà cité la version
primitive de l’histoire de Beren et Lúthien, mais on pourrait évoquer aussi
l’épisode fondateur de la "création du monde" (décrit dans le Silmarillion au
chapitre "La Musique des Ainur").
Mais surtout, les douze volumes de History of Middle-earth sont plus des
ouvrages d’érudition que de fiction. Cette fois-ci, Christopher Tolkien n’a pas
tenté d’achever ou de reconstituer les récits de son père, mais de prendre
tous les fragments qui restaient et de les étudier. Le résultat doit donc plus à
la critique littéraire qu’à la littérature proprement dite. (Et la prose de
Christopher, malgré un style clair et efficace, n’a pas la saveur de celle de
J.R.R.T., telle qu’elle se déploie dans les essais de The Monsters and the
Critics — et que le lecteur français peut retrouver dans l’essai « Du Conte de
Fées », publié en français dans le recueil Faërie.)
L’intérêt majeur de cette History of Middle-earth vient de ce qu’elle nous
révèle la façon dont J.R.R.Tolkien, au cours des années, a façonné son
univers privé — et ce bien avant de commencer la rédaction de The Hobbit.
Elle permet également de suivre étape par étape sa progression dans la
difficile rédaction du Seigneur des Anneaux. Elle nous offre en fin de compte
un panorama complet de la diversité des peuples qui habitent la Terre-du-
Milieu, chacun avec sa langue sa culture, ses croyances et son histoire.
Bref, on ne conseillera certes pas au débutant de commencer par là, non.
Pour celui qui n’aurait rien lu de Tolkien, ou presque, mieux vaut commencer
par Bilbo le Hobbit (qui n’est pas, contrairement à ce que pourraient faire
croire de mauvaises éditions illustrées, un livre pour enfants !), puis
attaquer Le Seigneur des Anneaux, et ensuite Le Silmarillion puis Unfinished
Tales. Sans oublier les contes (publiés dans le recueil Faërie), la biographie
de Tolkien par Humphrey Carpenter et ses lettres (réunies par Christopher
Tolkien et Humphrey Carpenter). Après cela, le lecteur sera mûr pour
entamer la lecture de la série HoME (History of Middle-earth).
On conseillera cependant de commencer la lecture de celle-ci par les tomes
X (Morgoth’s Ring) et XI (The War of the Jewels) qui représentent la version
finale, la plus complète et exempte d’erreurs, du Silmarillion. Les autres
volumes (surtout les I, II et III, hélas) sont plus difficiles d’abord. □