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MARDI 26 FÉVRIER 2019 culture | 27

Nicolas Devort,
acteur multiple
Le comédien, auteur et metteur
en scène est à l’affiche de deux
pièces, à Paris, dans lesquelles il
jongle entre douze personnages

RENCONTRE alors que quelques classiques, étu­


diés à l’école. Mais il a toujours

L
es semaines de Nicolas aimé écrire des sketchs, des chan­
Devort ont des allures de sons, des poèmes. Animation de
marathon théâtral. Jus­ scènes ouvertes au Théâtre Tré­
qu’au 17 mars, ce comé­ vise, petits rôles à droite à gauche,
dien joue sept jours sur sept à Pa­ le jeune homme aux yeux bleus et
ris et jongle entre douze person­ au physique de jeune premier dit
nages dans deux pièces contem­ oui à tout. Et finit par monter, avec
poraines : Dans la peau de Cyrano son amie Stéphanie Marino, la
au Théâtre du Lucernaire et Le compagnie Qui va piano. Joli nom
Bois dont je suis fait au Théâtre de pour ce comédien qui va douce­
Belleville. La première – qu’il a ment – mais sûrement – se tracer
écrite – raconte l’histoire de Colin, un chemin sur les planches en pre­
un collégien bègue qui va sur­ nant la plume.
monter sa différence en incar­
nant le héros d’Edmond Rostand. Bienveillance
Seul en scène, Nicolas Devort in­ En 2005, la compagnie arrive, « la
terprète tous ceux qui vont croi­ fleur au fusil », dans la cité des Pa­ En 2016. DAVID ROUSSEAU
ser la route de Colin : le professeur pes avec un spectacle au titre im­
de français, la psychologue sco­ probable : Scènes de la vie extra­
laire, les copains et les amies. ordinaire en narrations anecdo­ pour la dimension émancipatrice fonctionne tout autant pour le Dans la peau de Cyrano,
La seconde – coécrite et jouée tiques et interludes fredonnés. et le rapport bienveillant entre
« J’ai eu envie « feel good show » Dans la peau de de et avec Nicolas Devort,
avec Julien Cigana – met en scène « J’avais vendu ma moto, con­ professeur et élèves, il met en non pas Cyrano que pour le récit familial jusqu’au 17 mars, au Théâtre
une famille pleine de rancœur tracté un prêt, investi 16 000 euros scène un enseignant de français doux­amer Le Bois doit je suis fait. du Lucernaire, Paris 6e.
dans laquelle chaque membre va pour jouer au Festival d’Avignon, qui parvient à désacraliser et
de raconter Porteur de ces deux jolies histoi­ (Le mardi, le spectacle est
révéler sa nature profonde au et on s’est retrouvés devant une communiquer sa passion du l’histoire de res et de la performance de se glis­ en anglais). Puis en tournée.
moment où la mère sait sa fin de poignée de spectateurs », se sou­ théâtre pour amener ses élèves, et ser tout au long de la semaine Le Bois dont je suis fait,
vie proche. Là encore, les comé­ vient sans regret Nicolas Devort. en particulier Colin, à se libérer
Cyrano mais dans la peau de multiples person­ de et avec Julien Cigana et
diens parviennent à endosser, Quelques années plus tard, la d’eux­mêmes. C’est aussi à une de donner envie nages, Nicolas Devort, se dit, à Nicolas Devort, jusqu’au
avec une agilité bluffante, le rôle compagnie retente sa chance forme de libération que Nicolas 42 ans, un « comédien heureux ». 25 mars, les dimanches à 20 h 30
des fils, des belles­filles, du grand­ avec un spectacle jeune public, Devort et son complice Julien
de la découvrir » On le comprend.  et les lundis à 21 h 15, au Théâtre
père, de la mère, du père. Molière dans tous ses éclats !,qui Cigana invitent le spectateur dans sandrine blanchard de Belleville, Paris 11e.
Nicolas Devort arrive à notre reçoit un très bon écho. Le Bois dont je suis fait. Comment
rendez­vous dans un café pari­ Plus tard, c’est lors d’une ren­ se délester d’une histoire fami­
sien avec sa roue électrique. N’af­ contre avec des lycéens, à l’issue liale paternaliste pour parvenir à
fichant ni stress ni fatigue, il dit d’une des nombreuses représen­ tracer sa propre route ?
en souriant : « J’ai de la chance de tations en France, qu’est née l’idée Chacun père de deux enfants,
jouer autant. » Au Théâtre du Lu­ de Dans la peau de Cyrano. « Nous les deux comédiens se sont re­
cernaire, sa performance a la par­ parlions théâtre, et je découvre trouvés sur « la même volonté
ticularité d’attirer un public de 7 à qu’ils ne connaissaient pas ce per­ d’aborder la question de la pater­
77 ans. Ecoliers, actifs, retraités, sonnage, raconte Nicolas Devort. nité et du poids de l’héritage édu­
tous semblent se retrouver dans J’ai eu envie non pas de raconter catif », explique Nicolas Devort.
cette histoire drôle et touchante l’histoire de Cyrano mais de don­ L’aventure de cette dernière
d’un gamin en quête de confiance ner envie de la découvrir. » création de la compagnie Qui va
en lui. Depuis sa création au festi­ Puisant son inspiration dans piano a, elle aussi, débuté à Avi­
val off d’Avignon, en 2013, Dans la Looking for Richard, d’Al Pacino gnon, où elle a été repérée par le
peau de Cyrano cumule plus de (1996), pour l’approche pédagogi­ directeur du Théâtre de Belleville.
650 représentations à travers la que mais ludique d’un grand « Dans l’économie de notre com­
France. « C’est notre première vraie auteur, et dans Le Cercle des poè­ pagnie, le “off” est incontournable.
exploitation parisienne », se ré­ tes disparus, de Peter Weir (1989), Grâce à ce festival, on décroche
jouit le comédien. Suivra à nou­ 90 % de nos dates de tournée »,
veau une tournée avec des dates constate le comédien.
signées jusqu’en… 2020. Dans ces deux spectacles, on re­
« On a tous un Colin au fond trouve la même bienveillance
de nous », avance Nicolas Devort
« Un jour, pour des personnages spontané­
pour tenter d’expliquer le succès. le professeur ment familiers, le même décor
Son itinéraire a radicalement bi­ minimaliste pour laisser place
furqué alors qu’il était étudiant en
de dessin nous aux corps, et surtout la même
IUT de génie mécanique. « Un jour, a fait travailler mécanique consistant à passer
le professeur de dessin industriel d’un personnage à l’autre en une
nous a fait travailler sur une pièce
sur une pièce fraction de seconde grâce à une
d’embrayage et nous a dit : “Ce sera d’embrayage et gestuelle et à des inflexions de
ça, votre vie”. J’ai eu un coup de ca­ voix millimétrées. « C’est comme
fard. » Le garçon bien élevé qui se
nous a dit : “Ce une chorégraphie, illustre avec
destinait à devenir ingénieur sera ça, votre justesse le comédien. C’est com­
abandonne ses études, quitte Lyon plexe à mettre en place mais telle­
pour Paris et s’inscrit au cours Flo­
vie.” J’ai eu un ment agréable à jouer. » Cette jon­
rent. Le théâtre, il n’en connaît coup de cafard » glerie théâtrale bien rythmée

CINÉMA Le Rwanda est le pays invité révélé, samedi 23 février, être


La guerre en ouverture de cette édition du cinquan­ atteint d’une maladie dégé­
du festival panafricain tenaire du Fespaco. Vingt nérative rare touchant les
Fespaco longs­métrages de fiction muscles qui pourrait l’empê­
Le film rwandais The Mercy sont en lice pour décrocher cher de jouer de la guitare,
of the Jungle (« la miséricorde l’Etalon d’or de Yennenga sa prochaine tournée étant
de la jungle »), qui dénonce la « palme d’or africaine », donc annoncée comme la
l’absurdité de la guerre, et succéder à Félicité, du dernière. L’artiste, récom­
a ouvert, dimanche 24 février, Sénégalais Alain Gomis, pensé d’un Grammy à la fin
la compétition de la 26e édi­ primé en 2017. Au total des années 2000 et dont
tion du Festival panafricain 165 films de 16 pays africains l’album Frampton Comes
du cinéma et de la concourent pendant les Alive !, sorti en 1976, reste l’un
télévision de Ouagadougou huit jours du festival dans les des enregistrements live les
(Fespaco), qui a lieu jusqu’au différentes sections, courts­ plus vendus au monde,
2 mars. « Lorsque nous avons métrages, documentaires, a déclaré à CBS News qu’il
des conflits communautaires séries télé, films d’animation, faisait autant de musique
à l’intérieur d’un pays ou sur ainsi que films d’écoles afri­ que possible depuis que cette
les frontières, les conséquen­ caines de cinéma. – (AFP). maladie incurable (myosite)
ces sont toujours dramati­ a été diagnostiquée.
ques », a estimé le président M US I Q U E Pour chaque entrée vendue
burkinabé, Roch Marc Le musicien Peter de sa tournée d’adieu, 1 dol­
Christian Kabore, présent à la Frampton atteint d’une lar sera reversé à l’institut
projection, y voyant sans maladie dégénérative médical où il est soigné, a­t­il
ACTUELLEMENT EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
doute une résonance avec la Le musicien anglo­américain dit au magazine Rolling
situation actuelle du Burkina. Peter Frampton, 68 ans, a Stone. – (AFP).
Le bois dont je suis fait est au Théâtre de Belleville
DR
Théâtre de Belleville / Julien Cigana et Nicolas Devort / Mes Clotilde Daniault
Le bois dont je suis fait

Une histoire familiale avec deux acteurs et deux tabourets, la simplicité au théâtre est une vertu que
Le bois dont je suis fait sublime.

Les histoires de famille se ressemblent beaucoup. Celle des Lachassette a été imaginée par deux garçons,
comédiens, Julien Cigana et Nicolas Devort, qu'on retrouve sur scène pour en interpréter tous les
personnages. Comme chez Aznavour, c'est la maman qui va mourir, et les hommes sont de retour, en
l'occurrence Tristan. Comme chez Lagarce, le fils maudit, c'est celui qui a quitté la petite ville de province
pour mener à la capitale une vie plus libre, instable, du point de vue affectif comme du point de vue
professionnel. Une différence, Tristan est hétérosexuel. Mais d'une famille où, comme souvent, le père
impose sa colère et ses rapports de force, quand la mère est plus souple, à l'écoute, accommodante. De
cette ville de Chabris, près de Lyon, où vivent les aînés, le frère de Tristan, lui, n'a pas bougé. Il travaille
dans l'immobilier avec son paternel, s'est marié, va avoir un deuxième enfant, un schéma bien trop
traditionnel dans lequel il ne trouve visiblement pas son bonheur. Les histoires de famille se ressemblent
beaucoup, donc, comme nos existences. Et celle du bois dont je suis fait est tout aussi comique que
tragique et souligne combien il est difficile de se libérer de ce qui nous a façonné, avec autant d'humour
que de sensibilité.

Tout fonctionne à la perfection

Sur scène, deux acteurs et deux tabourets. De simples gestes, de petites mimiques et d'une pointe d'accent
parfois, ils interprètent les dix personnages qui s'entrecroisent au cours de ces rendez-vous familiaux qui
se rapprochent aussi vite que la mort de leur mère. Les scènes s'enchaînent à un rythme soutenu – scènes
de repas, de disputes, d'intérieur et d'extérieur – qui prennent corps grâce à un travail sonore et de
lumières bien dosé, mais aussi par des dialogues elliptiques et efficaces qui dessinent les rapports entre
les personnages en même temps qu'ils font avancer l'action. Dans la mise en scène et en jeu de Clotilde
Daniault, tout fonctionne à la perfection. Julien Cigana, émouvant dans ses personnages aux teintes
féminines, et Nicolas Devort penchant plus vers le bourru masculin, ne sont jamais loin de l'ordinaire
mais échappent toujours à la facilité des clichés. Ils font prendre vie à chacun de leurs rôles comme ils
font exister chaque situation. Un tour sur eux, un noir, et les voilà lancé dans un autre espace, à interpréter
d'autres personnages. Pièce cinématographique dans son découpage et les images qu'elle fait naître de
rien, Le bois dont je suis fait happe aussi parce qu'il parle de cette famille qui nous constitue, qui nous
définit, inéluctablement, qu'on veuille ou pas s'en extirper. Il. rappelle aussi combien la matière brute du
théâtre ressemble à celle de nos vies. Des corps, des mots, dans un monde vide que l'on remplit
d'imaginaire.

Eric Demey

Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. Du 3 février au 25 mars. Le dimanche
à 20h30, le lundi à 21h15. Tel : 01 48 06 72 34. Durée : 1h30.

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