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Bulletin n° 32 = Page n® 6 LA PENSEE MEDICALE DANS L’ANCIENNE EGYPTE. A TRAVERS LES PAPYRUS MEDICAUX Les premiers papyrus médicaux de l'Egypte pharaonique ont été mis au jour voila prés d'un siécle et demi. On assistait alors & la naissance de l’égyptologie. Aujourd’hui, un peu plus de deux cent ans aprés les déchiffrements des hiéroglyphes par Jean-Francois Champollion, les philologues portent un regard nouveau sur les textes égyptiens antiques et plus particuligrement sur le corpus médical. Lorsque dans I'Odyssée, Homére décrit le pays d’Egypte, il y voit: « une terre féconde qui produit en abondance des drogues ; les unes sont des remédes, les autres des poisons. L’Egypte est un pays de médecins, les plus savants du monde ». (Odyssée — livre IV — vers 231- 32),Si l'on se toume du cété d’Hérodote, historien du Véme siécle avant J.-C, ce demier rapporte a propos des médecins égyptiens : «La médecine est divisée chez eux en spécialités ; chaque médecin soigne une maladie et une seule. Ainsi le pays est-il plein de médecins, spécialistes des yeux, de la téte, des dents, du ventre ou encore des maladies d’origine incertaine ». (deuxiéme livre des « Histoires » d’Hérodote — chapitre 84). Et ils sont nombreux les textes antiques qui traitent de la médecine égyptienne, en particulier de la réputation fameuse de ses médecins. Dans les faits, les titres de spécialistes dont parle Hérodote remonteraient 4 une vieille tradition de ’Ancien Empire (2780-2280 av. J-C.). Ils s’étaient alors attachés aux rites magico-religieux et chaque partie du corps se voyait confiée une divinité. Mais au Véme siécle avant notre ére, a l'heure oti Hérodote s‘intéresse 4 Egypte, ces titres n’avaient plus qu'une valeur honorifique et ne correspondaient pas & une réalité clinique. Si la médecine égyptienne n’étaient pas le fait de spécialistes, au sens modeme du terme, la profession médicale était en revanche largement higrarchisée, du simple praticien au « Grand des médecins ». Paradoxalement, les auteurs qui ont contribué faire de I'Egypte une terre de grands savant n’ont connu le pays qu’au moment oi il entamait un lent déclin. Elle s’enfongait, vietime de traditions figées et d’un clergé entretenant la nostalgie d’un age d’or a jamais révolu. La distance qui sépare les premiers textes médicaux de I’Egypte pharaonique des grands traités conservés a la bibliothéque d’Alexandrie est énorme, elle est temporelle mais aussi culturelle. Plus de deux millénaires séparent on effet les premiers témoins du savoir égyptien des savants hellénisés d’Alexandrie. Les papyrus médicaux La médecine égyptienne pharaonique ne peut pas étre qualifiée de science au sens ott nous Pentendons mais procéde a la fois de la technique, de la philosophie et fait constamment intervenir le mythe. Elle n’ignore pas pour autant observation et l’expérimentation qui font partie, elles aussi, d’une démarche pré-scientifique. En Egypte, les sources écrites qui traitent de la médecine sont limitées en nombre et la plupart sont déja des copies de documents plus anciens. Cette lacune est due en grande partie au support d’écriture : le rouleau de papyrus. Celui-ci ne se conserve que dans les zones désertiques a ’abri de I"humidité et des micro-organismes. A la différence de la Mésopotamie, on ne trouve pas en Egypte de longues listes de remédes et d’incantations conservées sur tablettes d'argile. Par contre les papyrus médicaux retrouvés, méme en nombre limité, sont précis quant a image que I’égyptien se faisait de son corps et des maladies qui pouvaient le saisir. Le papyrus Ebers, le plus long papyrus médical égyptien (108 pages), date de 1550 ans avant notre ére. Thierry Bardinet, Les papyrus médicaux de I’Egypte pharaonique, Fayard 1995 Bulletin? 32- Page n® 7 Pour la période pharaonique (2700-30 av. J.-C.), on compte une douzaine de ces documents auxquels il faut ajouter la correspondance qui éclaire parfois sur I’état de santé de Pharaon ou de l'un de ses fonctionnaires. Les contes et la littérature sapientiale instruisent également la médecine, mais de maniére indirecte. Ils s’offrent en miroir de la société et permettent d’approcher une «maniére de penser » qui était celle des anciens égyptiens. Les textes médicaux stricto sensu traitent des maladies, des remédes et du mode de préparation de ces médications. Certains, comme le papyrus Smith, abordait les techniques chirurgicales appliquer en cas de traumatismes, d'autres offrent un large éventail des maladies spécifiquement liges aux femmes comme le papyrus gynécologique de Kahoun. Enfin, on ne peut aborder la médecine égyptienne sans mentionner le papyrus Ebers, le plus grand et le mieux conservé des papyrus médicaux. Comme le papyrus Smith, le papyrus Ebers provient d’une découverte clandestine qui remonterait aux années 1860-62. Nous ignorons donc & la fois la provenance et le contexte exact. Les papyrus médicaux n’ont jamais été retrouvé dans leur version d’origine mais nous sont parvenus par le biais de copies datant de périodes ultérieures, en particulier du Moyen et du ‘Nouvel Empire. Néanmoins, la forme linguistique est archaique. Méme si certains de ces papyrus ont été actualisés par le copiste, leur contenu, subtil mélange de mythe, de magie et de technique, trahit leur ancienneté. Pour l’égyptien, cet intérét a ’égard de I’Ancien Empire s’explique par le poids des traditions. Qu’il soit religieux ou médical, le savoir se transmet de génération en génération sans qu’il y ait un réel souci d’amélioration. Au contraire, plus les acquis sont antiques, plus ils ont de chance d’étre efficaces et lorsqu’on avance dans le temps, les textes médicaux semblent de plus en plus contaminés par la magie et la religion. ‘Aucune théorisation ne sera d’ailleurs envisagée avant I’époque héllénistique, époque & laquelle la médecine d’Egypte acquiert toute sa renommée. Mais il s’agira alors d’une médecine essentiellement grecque née a Alexandrie et soutenue par le pouvoir des Ptolémées. La rencontre et la complémentarité des connaissances issues des cultures grecques et égyptiennes ne débouchera jamais sur une révolution scientifique. Les deux traditions cohabiteront sans réelle intégration car la science égyptienne est intuitive et analytique la od la pensée grecque est au contraire logique et pragmatique ; la médecine égyptienne s’attache a citer tous les exemples et remonte une antique tradition la ott la médecine grecque cherche a théoriser et a modéliser les acquis. C’est d’ailleurs sur ce point que l’apport grec sera surtout sensible dans I’Egypte tardive. La découverte des papyrus médicaux : La mise au jour des premiers papyrus médicaux de I’Egypte pharaonique remonte au milieu du sigcle demier et les découvertes se sont rapidement succédées. Les papyrus Smith et Ebers seront achetés en 1862 sur le marché des antiquités du Caire par un certain Edwin Smith qui conservera le papyrus qui porte aujourd’hui son nom et vendra l'autre dix ans plus tard a l’égyptologue allemand Georg Ebers. Convaincu de Pimportance du document mais sans ressource, Ebers fera alors appel 4 un mécéne pour Pacquérir. Il le publie en 1875 et le Iégue ensuite A l'université de Leipzig ot il est encore conservé. Le contenu du papyrus Ebers est capital pour notre compréhension des textes médicaux. Il mesure 20,23 métres de long sur 30 centimétres de large et est divisé en 106 sections numérotées de 1 a 110. Les sections 28 et 29 n’ont jamais été rédigées et le scribe est volontairement passé de la colonne 27 a la colonne 30 pour atteindre le nombre 110. Cet artifice est loin d’étre anodin puisque le nombre 110 symbolise, dans le chef de YEgyptien de I’Antiquité, le terme d’une longévité heureuse. Si I’on considére le support

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