Vous êtes sur la page 1sur 220
f BIBLIOTHEQUE DES TEXTES PHILOSOPHIQUES Directeur : Henri GOUHIER DESCARTES LETTRES A REGIUS ET REMARQUES SUR L’EXPLICATION DE L’ESPRIT HUMAIN Texte latin, traduction, introduction et notes PAR Geneviéve RODIS-LEWIS Professeur & la Faculté des Lettres de Lyon PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Puace pz 1a Sonsonne, Ve 1959 Liprarrie J. VRIN, 6, PLACE DE LA SORBONNE, Panis V* BIBLIOTHEQUE DES TEXTES PHILOSOPHIQUES Directeur: Henri GOUHIER Professeur @ la Sorbonne ARISTOT) = I, Catégories. { A 3 I I. De Vinterprétation. | 1959 pet. in-8 carré de xvr et 156 pages. Ill. Les premiers analyliques. 1947, pet. in-8 carré, vir et 836 p. IV. Les seconds analytiques. 1947, pet, in-8 carré, x et 252 p. Y. Les Topiques. 1950, pet, in-8 carré xu et 372 p. Vi. Les Réjutations sophistiques. 1950, pet. in-8 carré, x et 156 p. — Métaphysique. Nouvelle édition entigrement refondue, avee commentaire par J. Tricot, 1953, 2 vol. in-8 de ivi et 878 pages. — De la Génération et de ia Corruption. Traduction nouvelle avec notes par J, Tricot, 1951, pet. in-8 carré de 172 pages. — De PAmo. Trad. nouv. et notes par J. Tricot. Nouvelle édilion 1959, in-16 Jésus de x11 et 238 p. — Traité du ciel cuivi du Traits Pseudo-Aristotélicien du monde. Traduc- tion et notes par J. Tricot. 1949, in-8 carré de xvmm et 206 pages. — Parva naturalia suivis du Traits Pseudo-Aristotélicion do Spiritu. Tra- duction nouvelle et note par J. Tricot. 1951, in-8 carré de xvi et 196 pages. — Les Météorologiques. Nouvelle traduction et notes par J. Tricot. 2° édition 1955, in-16 jésus de xvi et 302 pages. — Histoire des Animaux. Nouvelle traduction avec introduction, notes et in- dex, par J. Tricot, 1957, 2 vol. in-8° de 778 pages. — Les Economiques. Nouvelle traduction avec introduction et notes, par J. Tricot, 1958, in-16 jésus, de 80 pages. — Ethique a Nicomaque. Nouyelle traduction ayec introduction, notes et index par J. Tricot, 1959, in-8° de 540 pages. ARISTOTE. Le Plaisir (Eth. Nic. VII, 11-14, ; X, 1-5). Introduction, traduction et notes pan ALJ. Bestugiére, 1047, ind de zexvi ot 45 Bases. BONNET (Ch.). Mémoires autobiographiques de Charles Bonnet de Genéve, ar R. Savioz, 1948, in-8 de 416 pages. VIN (J.). Institution de la Religion Chrestionne. Edition critique avec introduction, notes et variantes, par J.-D. Benoit : Tome I, 1057, gr. in-8° de 268 pages avec un h.-t, Tome II, 1957, gr. in-8 de 312 pages. Tome III, 1959, (sous presse.) COMTE (Auguste). Lettres inédites A ©. de Blignidres, présentées par Paul Arbousse-Bastide, 1932, pet in-8 carré de 142 pages. DESCARTES (R.). Correspondance avec Arnauld et Morus. Texte latin avec Traduction, Introduction et notes par G. Lewis. 1953, in-16 jésu® de 190 pages. DESCARTES. Méditationes de Prima philosophia. Méditations métaphy- siques, texte Jatin et traduction de Due Ge Luynes, introduction et notes de Genevieve Lewis. 1953, in-8 carré de x1v et 178 pages. DESCARTES (R,). Les Passions de |’Ame. Introduction ct notes par Genevitve Rodis-Lewis. 1955, in-16 jésus de 240 pages. : DESCARTES (i), Regulae edi directionem Ingonil-, Texte. de Védition Adam et Tannery. Notice par H. Gouhier. 1947, pet. in-8 carré de 118 pages, Ba er Ceo tea el creo oo eran Sir- ven, 1951, in-12 de 150 pages. ‘Traduction nouvelle et notes par J. Tricot. Organon. NUNC COGNOSCO EX PARTE és =P TRENT UNIVERSITY LIBRARY LETTRES A REGIUS ET REMARQUES SUR L’7EXPLICATION DE L’ESPRIT HUMAIN Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Kahle/Austin Foundation https://archive.org/details/lettresregiusetrO000desc BIBLIOTHEQUE DES TEXTES PHILOSOPHIQUES Directeur ; Henri GOUHIER DESCARTES LETTRES A REGIUS ET REMARQUES SUR L’EXPLICATION DE L’ESPRIT HUMAIN Texte latin, traduction, introduction et notes PAR Geneviéve RODIS-LEWIS Professeur & la Faculté des Lettres de Lyon PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Puace pz 1a Sonsonne, V® 1959 Sauuasiaounee erreve iE AOD insid 2 ieee a “ap aagead guIDAA & 2HATTSI te POIr.IazaT AVE UMC THE 2G INTRODUCTION. Peu de _correspondances philosophiques découvrent, autant que chez Descartes, l'homme. Sans doute l'histoire de ses rela- tions avec Regius apporte-t-elle d’abord d’importants éléments touchant la place respective de la métaphysique et de la science dans le Cartésianisme : d’accord sur le mécanisme, et en par- ticulier ses applications A la physiologic, Descartes ct Regius divergent sur les fondements de la certitude et sur la nature des rapports entre 1’dme et le corps ; et, jusque dans leur com- mune opposition aux formes substantielles aon physique sco- lastique, on devine que Regius admet comme simple expédient la fonction de « forme » que Descartes réserve 4 l’ame humaine, en tant qu’elle est réellement unie au corps. Mais, outre maintes précisions sur le dualisme et ses conséquences : définition des substances, attributs et modes, innéité des idées qui conditionne les preuves de Dien, les lettres de Descartes 4 Regius, et sa réponse au « Placard » de 1647 présentent la dégradation d’une amitié et sa rupture. Soutien dévoué dans les démélés du jeune professeur de médecine avec ses collégues d’Utrecht, Descartes, tantét anime de sa verve polémique, tant6t modére et rectifie les répliques de Regius, sans que ses réserves de détail affaiblissent son appro- bation générale. Mais la cordialité d’une invitation comme celle ui termine la lettre de juin 1642 (A.T. III, 568), ou la désola- fion de Regius quand Descartes, pour la premiére fois depuis son installation aux Pays-Bas, repartit pour la France® font 3. Cf, le début de Ia lettre de décembre 1641, Adam-Tannery, III, 454. {Les références de cette Introduction renverront & cette édition, désignée par AT, dont la pagination est rappelée en marge du présent volume.) 2. Regius craignait, lors de ce départ de 1'été 1644, que Descartes ne res- tat en France, et protestait que, sans ses obligations familiales, il le suivrait partout wet sattacherait & sa personne de la maniére qu’il espérait I’étre & son eceur pour toute sa vie » (4 juin 1644 ; ces lettres de Regius, aujourd’hui perdues, sont citées d’aprés Baillet, Vie de M. Descartes, r691, t. II, p. 215- 216; cf. AT. IV, 124). 580'70 8 INTRODUCTION place 4 1a stupenr et a 1a douleur lorsque le philosophe apergoit, en 1645, la profondeur du dissentiment qui l’oppose a son ami ; et s'il Pai ouvre encore son cceur comme 4 un frére, la vivacité de ses expressions marque, pour le moins, une affection bien correctricel, Enfin, Regius n’ayant tenu aucun compte des avertissements de Descartes, celui-ci ayoue en ay son émo- tion? : elle est surtout indignation, qui s’explicite dans la cor- respondance avec Mersenne et la princesse Elisabeth : « Regius n’a tien écrit qui ne soit pris de moi, et qui ne soit avec cela contre moi®, » Et il fait appel au jugement du grand public en tetminant la leeieesiretate au traducteur des Principes : «encore qu'il semble n’avoir rien mis touchant la physique et la médecine qu’il n’ait tiré de mes écrits, tant de ceux que j’ai ee que d’un autre encore imparfait touchant la nature les animaux, qui Ini est tombé entre les mains; toutefois, A cause qu'il a mal transerit et changé Vordre, et ‘nié quelques vérités de métaphysique, sur gsi toute la physique doit étre appuyée, je suis obligé de le désavoner entiérement.., » (A.T. IX, B, ro) Cependant de récents trayaux au pays de Regius4 ont nuancé Vimage traditionnelle du disciple docile, puis renégat. De deux aus plus jeune que Descartes, Henri de Roy, dit Regiuss, était un médecin ouvert aux idées nouvelles. Il entendit parler de Descartes par un de ses amis, H. Reneri, qui enseignait la phi- losophie 4 Utrecht et introduisait dans son cours, de structure sans doute assez traditionnelle, des lectures du Discours de la méthode et des Essais annexes¢ ; Regius les lut aussi, et en appli- 1. Cf, ci-dessous la lettre de juillet 1645. 2. Nolae..., A.T. VILL, B, 341 : me movel. 3. A Elisabeth, mai 1647, A.T. IV, 627 ; cf. 4b., 625 («II ne contient rien, totichant la Physique, sinon mes assertions miscs en mauvais ordre et sang leurs vraies preuves, en sorte qu’elles paraissent paradoxes, et que ce qui est mis au commencement ne peut étre prouyé que par ce qui est vers la fin ») et les deux lettres du 5 octobre 1646, a Huygens (ib., 517-518) et A Mer- senne (#5. 510-str : «...il ptend entierement Ie contrepied de ce que jai écrit en mes Méditations »}, 4. Cf. M.J.A. de Vrijer, H. Regius, cen « carlesiaansch » hoogleeraar aan de Utretsche Hoogeschool, 1,a Haye, 1917; et le compte rendu de cette étude Par P. Dibon, Notes bibliographiques sur les Cariésiens hollandais, p. 281-287, dans le reoucil Descartes et le Cartéstanisme hollandats, P.U.F. & Edit. franc gaises d’Amsterdam, r950 (article désigné désormais par Notes...) 5. Né et mort a Utrecht, 1598-1679. ©, Cf d’aprés Baillet (Vie..., 1, 12-13 ; AT. II, 101-103) le témoignage de Saumaise sur ces lectures publiques, dés 1638, ct Penthousiasme de Reneri qui parlait, dans une lettre 4 Mersenne, de Descartes comme de sa lumiére, de son soleil, de son Dieu... Le PF Sassen (H. Renerius, de cerste « cartesiaans. che» hoogleeraar te Utrecht, t941 ; cf. Dibon, Noles..., p. 288-204, et La phi. INTRODUCTION 9 qua les principes a la physiologic! dans quelques lecons parti- culiéres dont iG prbceartit tel que des pai fa fae obtenir une chaire de médecine et botanique qui se trouvait vacante 4 LUniversité d’Utrecht?, Il en fit aussitét part 4 Descartes’ dont la fierté s'exprime dans une lettre contemporaine a, Mersenne : « J’ai regu cette semaine des lettres d’un Docteur que je n’ai jamais vn ni connu, et qui néanmoins me remercie fort affectueusement de ce que je l’ai fait devenir Professeur en une Université ot je n’ai ni ami ni pouvoir, > Bientét Regius évoquera pour Descartes le retentissement de cet enscignement, tout en Iui annongant sa visite prochaine, Celle-ci avait df étre retardée par les « fréquentes indispositions » de Reneri, qui devait accompagner Regius. Mais Reneri mourut le 15 ou 16 mars 1639. Descartes qui avait fait le voyage d’Utrecht, ne semble pas alors avoir rencontré Regius®, et ce- lui-ci lui écrivit A nouveau son intention de l’aller voir 4 la Pen- pare en le priant de lui accorder la place du défunt dans son affection, losophie néerlandaise au siécle dor, Elsevier, 1954, t. I, p. 197-203) a montré combien I’enscignement de Reneri, qui ne heurta point Voetius, devait res- ter fonciérement aristotélicien, ses nouveautés se bornant a intégrer ala phy- sique des observations et expériences, peut-étre sur les conseils de Descartes quiil connaissait depuis Vhiver 1628-1629, Toutefois nous n’avons de Reneri qu'une lecon inaugurale précédant de trois ans le Discours de 1637. 1. Le Discours n’en donnait, dans la cinquiéme partie, qu’un bref échan- tillon, 2, Cf Baillet, Vie..., I, 7-8, et AT. IL, 305-306, daprés les lettres de Regius ct le récit de Descartes dans les Epiires au P, Dinet (A. VIII, 582-583) et A Voetius (AT. VILL, B, 20). 3. Lettre du 18 aofit 1638. (La nomination, déja assurée, ne fut officielle que le 6 septembre), Ta réponse de Descartes est aussi perdue, 4. 23 aofit 1638, A.T. II, 334. Descartes oublie Reneri ... mais peut-étre le professcur de philosophie n’était-il pas intervenu pour cette nomination A une chaire médicale ? 5. 9 Mars 1639. Baillet, au lieu de la résumer comme d’ordinaire, en tra- duit deux longs passages que nous publions, en ouverture a cette correspon- dance, de méme que celle du 23 juillet 1645, qui Ja termine. Les principaux éléments des autres lettres, cités par Baillet, sont utilisés dans les notes ou dans cette Introduction. 6. Cf. Descartes A Pollot, 6 mai 1639, A.T. IT, 545-546 : il a trouvé Re- neri moribond, a manqué Pollot, et n’a pas d@ tester pour les funérailles : Regius Iui écrit peu aprés pour Iui annoncer 1a mort de Reneri (ignorant sans doute le bref voyage de Descartes jusqu’a Utrecht) et Ini transmettre Vessentiel de Voraison funébre prononeée par Aemilius, professeur d’éloquence qui avait fait I’éloge surtout de Descartes « unique Archiméde de notre siécle, Atlas de Univers, confident de la Nature... (Baillet, Vie..., II, 20-22 et AT. II, 528 et ILI, 3). Sans réponse de Descartes il récrivit le 17 mai (Baillet, Vic..., II, 21 ct 23, et A.T. II, 548). 10 INTRODUCTION ‘Tel fut le début de leur amitié, l’origine aussi du malentendu : Regius, chargé depuis avril d’enseigner la physique, avec la médecine et la botanique, soumettait ses cours a Descartes}, qui le traitait bien en disciple : il revoyait et corrigeait les theses que le professeur faisait soutenir publiquement par ses étu- diants®, avec le dessein de les éditer plus tard. La variété des recherches physiologiques de Descartes, son souci de l’expé- rience pour piéciser la déduction, s'affirment dans ces lettres* dont Regius suivait fidélement les indications. Aussi Descartes prend-il pour expression maladroite la définition de l'homme comme « étre par accident », qui suscita les attaques du recteur Voetius : 1a plus longue lettre de Descartes A Regius est un pe de réponse aux théses opposées par Voetius, et Regius "insérera presque entiérement dans sa Répliquet. Entrainé lui-méme dans la polémique, Descartes affirme publi- quement son admiration pour cette intelligence singulitre® et 1, Cf, Baillet, Vie... II, 34-37 et 47-48 évoquant d'autres lettres de Regius : 14 juillet 1639, sur Vorganisation de son prochain cours, puis mi-septembre, octobre-novembre, 3 décembre 1639, et janvier 1640, touchant des points de physiclogie, et intervenant dans la polémique de Descartes avec Plempius sur Ja circulation sanguine (cf, A.T, II, 569, 582, 616-617, 624-625 & III, 3). 2. Sur la place de ces «disputes » dans l’enseignement des Universités atx Pays-Bas, cf. P. Dibon, La philosophic néerlandaise au siecle dor, p. 33-49 : outre les soutenances pour la promotion au grade de Docteur, les « exercices » étaient fréquents (a Leyde, unc fois pat semaine en philosophic, une fois par mois en médecine) : ['étudiant répondant défendait, contre les objections @autres professeurs, les théses généralement empruntées au cours du pré dent de séance. Ia discussion était imprimée, a un trés petit nombre d’exem- Plaires pour les intimes ; mais le professeur responsable reprenait parfois ces théses dans ses ceuvres completes — ce que projetait Regius. Descartes admet Putilité des soutenances pour exereer Pesprit des répondants (cf. Epistola ad. Voctium, A.T. VIII, B, 120), mais leur conteste toute valeur démons trative : car on y multipliait les paradoxes pour alimenter le débat (cf. ci- dessous, 1, de juillet 1645, A.T. IV, 239-240). De fait, plus que les legons magistrales, asservies aux cadres de 1a scolastique, c’était un moyen de dis- cuter les idées nouvelles 3. Cf. ci-dessous, en particulier 24 mai 1640, A.T. TIT, 69; mai r64r, ib., 374 ; décembre 1641, ib). 455-546 & 458. 4. Janvier 1642, AT. TIL, 491-510. La Responsio de Regius (parue le 16 £6- vrier, mais aussitt interdite) est trés rare : encore inconnue d’Adam au moment de la publication du supplément (cf. A.T. Suppl., p. 6) ellea été retrou- vée & la bibliotheque de l'Université d’Utrecht, ce qui permet 1a confronta- tion (cf. édit, Adam-Mithaud, P.U.F., t. V, 195%, p. 138-140) dont nous don- nons Vessentiel dans les notes. Regius, A quelques expressions prés, recopie Je texte de Descartes, mais fait plus que le doubler par ses propres déve- loppements. Aussi Descartes affitmait-il 8 Huygens y avoir «si peu contri- bué» que Regius en est bien Vauteur,.. 5. Cf. Epistola ad P, Dinet, A.T. VIL, 582, et Epistola ad... Voetium, A.T VIL, B, 20. INTRODUCTION Ir une telle confiance en elle qwil ne croyait pas que Regius eat aucune opinion qu'il ne vonlft bien’ Iui-méme avouer pour sienne...2 Les divergences paraissaient donc initialement dues aux carac- teres des deux hommes : Descartes, tout en se réjouissant au départ, de ce que Regius «en peu de mois rend ses disciples capables de se moquer entiérement de la vieille Philosophie »2, craint une rupture trop brutale avec la tradition : car si la vérité entraine l’adhésion de l’esprit par la seule vigueur des raisons, encore faut-il y faire attention et se garder de la pré- vention que souléve laudace des novateurs, Regius, au con- traire, est bouillant, agressif, souvent grossier dans la dispute’. Plus tard, passant outre aux solicitations de Descartes qui lui conseillait de surseoir A la publication des Fundamenta phy- sicest, il y utilise sans vergogne des notes personnelles, copiées A Vinsu du maitre, au risque de leur Gter «la grace de la nou- veauté »8 ; ct, circonstance aggravante, pour Ie seul cas ow il wait pu teproduire une figure extraite des Essais de 1637 ou des Principes de 1644, il se trompe lourdement® : ainsi «son livre ne peut servir qu’i faire juger ces opinions ridicules »? : oi le désaveu de Descartes dans la préface a l’édition francaise des Principes (1647). Regius répliqua aussit6t en faisant afficher, selon la coutume de l’époque, la liste des théses consacrant sa rupture avec la métaphysique cartésienne®. C'est ce « placard » t, Ib., AcT, VILL, B, 163: Descartes reprendra cette phrase dans les Notae in programma (ci-dessous : A.T. VIII, B, 364) et dans la préface au tra- ducteur des Principes, d’aprés laquelle notis la citons ici (A.T. IX, B, 19). 2. A Mersenne, tz novembre 1640, A. IIT, 231. Descartes, qui tient ccs renseignements de Regius, ajoute que Voetius, ele plus franc pédant de la terre », en wcréve de dépit » 3. Dés juilict 1639, Regius s'aliénait ses collegues, en interrompant bruta- lement Senguerd, chargé de la propédeutique philosophique, lors d’une « dis- pute » of celui-ci venait en aide & un étudiant embarrassé par les attaques de Regius (cf. Baillet, Vie... I, 343 A.T. Il, 568-569 et Dibon, La philoso- Phe..., p. 203-206 ; en octobre 1640 il répondit aux théses de Primirose contre la circulation du sang par un libelle intitulé : Eponge a essuyer les ordures des remarques de Primirose... (cf. Baillet, ib. 62-64 et A.T. III, 202-203) 4. Amsterdam, 1646 : les six premiers chapitres correspondent aux 1, I-IV des Principes, les six derniers portent sur les plantes, les animaux et l'homme, ce a quoi Descartes travaillait encore. En 1647, Regius completa par les Fun- damenta Medica, Utrecht (cf. A.T. XI, 673-678). 5. A Mersenne, 23 novembre 1646, A.T. IV, 567. 6. Cf. 4b., 566-567 ; a Elisabeth, mars 1647, ib., 625-626. 7. A Mersenne, 5 octobre 1646, A.T. IV, 510. 8, Cf, le début des Nofae... (A.T. VII, B, 342) : Descartes, qui n'a vu que le placard anonyme, évoque une édition séparée avec le nom de l'auteur dod la mention d’une double dition dans Baillet (Vie, U1, p. 334-335 & ‘AT. VIII, B, 339). De Vrijer (op. cit., p. r7t) ne retient que fe placard anonyme, 12 INTRODUCTION qui suscita les Remarques' de Descartes ici publiées. Faute @avoir pu consulter l'Explicatio,.. contra Cartesium®, nous don nons en Appendice les passages les plus significatifs de la Phi- losophia naturatis o& Regius a développé son opposition aux principes essentiels de Descartes. 5 Tandis que celui-ci avait pardonné3, la rancune de Regius s’affirma encore aprés la mort du philosophe : en 1654, il suppri- mait de sa dédicace la référence élogieuse A Descartes, et insistait sur sa priorité dans l’explication complete de la nature’, mais il multipliait les emprunts au traité des Passions de 1649 dans un nouveau chapitre5. Puis il refusa de communiquer a Clerselier les lettres recues de Descartes et de laisser publier Jes siennes*, Enfin en 1668, sous le couvert de l’approbation décernée par Descartes au début de leur amitié?, il se présen- 1, Notae in programma quoddam sub finem Anni 1647, in Belgio editum cum hoc Titulo: Explicatio mentis humanae, ubi explicatur quid sit, et quid esse possit, Amsterdam, Elzevier, 1648, in-r2. A L'appellation habi- tuelle : Notes sur le placard de Regius (gardée dans les titres courants), nous préférons (sclon Ia traduction Clerselier : of. ci-dessous, p. 147) : Remarques.... sur Vexplication elc., qui marque mieux 1a portée et le con- tenu de cet opuscule, 2. AT. VIII, B, 370, mentionne: (1°) Explicatio mentis humanae... contra Cartesivm, Utrecht, 1648, M. Dibon suggére qu'il y a peut-étre confusion avec la 17° édition {introuvable) de la : (2°) Brevis explicatio ... antea publico examini proposita, et deinde operd H. Regii nonnihil dilucidata, & a notis Car- lesit vindicata, editio postrema, prioribus auctior & emendatior, ad calumnia- rum rejectionem, nune evulgata... 1657. En outre Regius reprend le placard et répond aux critiques de Descartes, dans la Philosophia naturalis, réé- dition, trés augmentée sous ce nouveau titre (1634), des Furndamenta Physices de 1646: le dernier ch. De homine y devient le livre V,en 12 cha- pitres. La réédition de 1661 comporte encore des additions. Nos notes sur le «placard » précisent ces apports successifs. 3. Sclon le témoignage d’un ami, rapporté par Baillet (Vie..., I, p. 335 & A.T. XI, 675) Descartes, pendant son séjour en Suede, « prit résolution de ne plus parler de M. Regis qu’en termes de civilité et destime, pour marquer qu'il voulait oublier I'ingratitude de ce Philosophe ». 4. Les Essais de 1637 n’étaient que des échantillons et les Principes 1ais- saint de cété Ia physiologic. 5. Philosophia naturalis 1, V, c. 11, p. 413-432, au lieu des quelques lignes de 1646 (Fund. phys., p. 289). La réédition de 1661 ajoute encore (c. 12, p. 513) une remarque trés proche de I’a. 45 des Passions. 6. Clerselier publia, non sans se plaindre dans ses préfaces, les seules lettres de Descartes, d’apres Ics minutes trouvées dans ses papiers et parfois incom- pletes (cf. fin de la lettre VII, décembre 1641), Aprés la mort de Regius (1679) Baillet utilisa ses lettres dans sa Vie de Descartes : et comme les ori ginaux ont été perdus depuis, le refus prolongé de Regius nous vaut, indi rectement, cette correspondance presque unilateral 7. Citation du passage de l’Epistola ad P. Dinet de 1642 (cf. A.T. VIT, 677-678) & la fin de la préface A la Medicina... (3° 6d., 1668, la 1°? éd. de 1647 s'intitulant Fundamenta medica). INTRODUCTION 13, tait comme l’authentique héritier de sa méthode, sans préciser la nature des attaques dont il se plaignait d’avoir été victime. Aussi la postérité a-t-elle ee severe cote Regius, depuis Baillet, et sa Vie, tr’s apologétique, de Descartes. Le portrait opposé par M. de Vrijer, loue au contraire l’indépendance du penseur original, qui a saisi le défaut de la construction carté- sienne, et «a eu le courage de maintenir contre un homme cé- lébre son propre point de vue 2}. Or le fond du débat est d’importance : pour Descartes, la Philosophie ne peut porter ses fruits, si on la coupe de ses racines métaphysiques, L/existence de Dien, le spiritualité de |’ame ne sont point des moyens de se concilier les théologiens pour faire accueillir plus aisément la physique nouvelle : ce sont les premiéres vérités, qui conditionnent toutes les autres, alors que Regius les rejetté en appendice en méme temps qu’il en nie la solidité ; la certitude ne porte que sur l’apparence’, et si l'homme nest pas un « étre par accident », alors l’esprit peut n’étre qu'un mode corporel3. Cependant pour Descartes, la définition de l’ame comme realité toute pensante, sans aucune fonction biologique, a pour corollaire la possibilité d’expliquer tous les phénoménes matériels, y compris la vie, par ieecatilees cial heaer tena Vétendue. Et le rejet des formes substantielles, inutiles dans le mécanisme, se complete par l’explication de leur genése : elles sont projetéessurle monde extérieur, a partir del’ experience primi- tive incontestable de «1a facondont l’Ame meut le corps»5: aussi lephilosopheinsiste-t-ilsur la prérogativede I’dme, qui « informe » réellement le corps, mais qui est la seule forme substantielle®, Ce délicat équilibre entre des théses qui se contrarient si Von compromet leur subordination réciproque en les isolant, a 1. Cité par P. Dibon, Notes... p. 281. 2, Cf, A Mersenne, 23 novembre 1646, A.T. IV, 566. 3. Cf. ci-dessous, lettre de juillet 1645 (A.T. IV, 250) : Descartes concluait de ces positions contradictoires que Regius ne pottvait toucher a la métaphy- sique sans errer de part ou d’autre... Dans les Fundamenta physices, scule la Revélation assure que l’Ame est substance. 4. CE, 6° xéponses, AT. VII, 440-443 (IX, 238-241) : La physique carté- sienne confirme la déduction métaphysique, 5. A Blisabeth, 2t mai 1643, A.T. IIT, 667-668 ; (cf. d’autres références dans 1a Correspondance avec 'Hyperaspistes, Arnauld ct Morus, groupées dans l'édition G. Lewis, Vrin, 1953, Introduction, p. to-r1). Cest Regius qui avait renvoyé Elisabeth 4 Descartes pour des éclaircissements sur I'union de l’ame. et du corps : ef. la 1¥ lettre d’Blisabeth, 16 mai 1643, A.T. IIT, 600-60r. 6, Ci-dessous, janvier 1642, A.T. II, 503 & 505 : ce point est si impor- tant pour Descartes qu’il précise dans I’Rpitre au P. Dinet que la négation des formes substantielles exceptait I’ame raisonnable (A.T. VIL, 587). Tes lettres au P, Mesland (A.T. IV, 168 ; 346...) parlent aussi de ame comme forme du corps. Cf. G. Lewis, L'individualité selon Descaries, Vrin, 1950, ch. TIT, p. 67-81. 14 INTRODUCTION géné beaucoup de commentateurst, et Regius a bien été le pre- mier A dénoncer la difficulté, Peut-étre méme sa définition para- doxale de "homme comme « étre par accident » était-elle des- tinée a faire ressortir les apories d’un dualisme trop radical quiil était loin d’admettre. Le fait qu’il n’ait pas soulevé beau- coup d’objections 4 premitre lecture des Méditations ne prouve pas qu'il les ait vraiment approfondies ; et les craintes de Des- cartes, de pure forme dans leur expression®, recélaient sans doute une vérité secréte qu’il a Ini-méme mis longtemps a dé- couvrir ; non seulement Regius était d’abord un savant, peu soucienx de rigueur métaphysique3, mais surtout ses positions personnelles l’orientaicnt dés le début vers l’empirisme, et méme Je matérialisme. « I/extase » ot le plongea, d’aprés Baillet#, la lecture du manuscrit de Descartes, ne l’empécha pas de retenir trois difficultés trés significatives® : contre l’innéité, il objecte ue Nous pourtions former l’idée d’infini 4 partir d’éléments ie : c’est, comme le dit Descartes, 6ter toute la force de la preuve de Dieu ; pe il affirme l’évidence immédiate des axiomes : c’est refuser le détour cartésien qui requiert, pour écarter le doute hyperbolique du Dieu trompeur, la véracité divine, et ainsi assurer directement l’autonomie de la science ; enfin, il attribue au « tempérament du corps » la précipitation du juge- ment, ce qui nie la liberté, essenticlle pour Descartes. Ces ré- serves s’apparentent A celles de la seconde série d’objections, due 4 Mersenne®, et surtout a celles de Hobbes et de Gassendi? ; 1. Cf. p. ex. Adam louant Regius d’avoir retenu «la partie solide... de Voeuyre de Descartes, ...!’application de la mathématique a la physique >» (A.T, XI, 675). Pour la divergence entre les historiens de Descartes sur I’im- portance relative de la métaphysique et de la physique, cf. le Bilan de cin- quante ans d@'éiudes cartésiennes, Revue philosophique, 1951, p. 256 sq. Il faut naturellement y ajouter l'étude capitale de M. Guéroult, Descartes selon Vordre des vaisons (2 vol,, Aubier, 1953), montrant importance de cet ordre, ren- versé par Regius. 2. 1f@ lettre que nous ayons de Descartes A Regius (A.T. IIT, 64) : il craint que Regius n’ait pas osé «tout effacer »; c'est bien ce qu'il fera pratique- ment dans les Fundamenta physices. 3. Dans les Noiae in programma... Descartes montre qu'il multiplie les incohérences. On en jugera sur les textes de Regius cités en Appendice. 4. Vie..., Tl, 103 (& A.T. ITI, 61) faisant état, sans citation, d’une lettre de Regius du 5 mai. 5. Cf. la réponse de Descartes (lettre I) et le développement ultérieur de ces théses pat Regius (Appendice II, textes G, F, E...). 6. Sur V'indépendance de son mécanisme A I’égard de la métaphysique car- tésienne qu’il n’était pas loin de juger superflue ct inutilement compliquée, cf. R. Lenoble, Mersenne et la naissance du mécanisme, Vrin, 1943. 7. De Vrijer, op. cit., p. 197, rapproche Regius de Gassendi ; cf. Dibon, Notes..., p. 287. Mais le détail de leurs théscs, au moins en physique, était assez opposé pour que Regius ait pu envisager une réfutation de Gassendi (cf. AT. IV, 238). INTRODUCTION 15 comme chez ce dernier, elles s’accompagnent d’une juxtapo- sition pure et simple des conclusions audacieuses du taisonne- ment avec les exigences, souvent opposées, du dogme chrétien. Dés 1631 Regius avait été critiqué par le consistoire de Naarden pour n’avoir pas bien défini la difference de nature entre l’dme et le corps, a quoi il répondait qu’il s’en tenait A la Bible pour la croyance en l'immortalitél. Cette attitude, fréquente depuis I’usage systématique qu’en avait fait l’école de Padoue?, était suspectede masquerl’athéisme ; et c’est en particulier contre elle que Descartes, dans l’Epitre dédicatoire des Méditations, montrait combien il importe d’as- surer 4 la foi des bases rationnelles indubitables3. Ainsi lors- qwil la voit s’étaler dans «1’Explication de l’Ame humaine... » en dénonce-t-il violemment les ambiguitést. Peut-étre aurait-il d& soupgonner aussi que, malgré 1a rudesse de ses procédés, Voetius, dats son opposition constante A Regis n’était pas ’hypocrite dont il avait brossé le portrait de si belle maniéreS, d’aprés les dires de son ami ; l’accusation d’hérésie, en cofitant A Regits sa chaire, en efit fait «le premier martyr » de la philosophie nouvelle® ; mais les théologiens calvinistes n’avaient pas tort d’appréhender les ultimes conséquences ’une physiologic mécaniste, privée du contrepoids spirituel sans le- quel homme serait machine. Il est notable que, dés les pre- miéres théses de Regius, plusieurs rectifications de Descartes ortent contre une conception qui atténue la coupure entre Phomimneret Vanimal?, tout en marquant la différence de plan 1. Ci. Dibon, Notes... p. 282-283. 2. Sur cetie école illustrée, surtout par Pomponace et Cremonini, et la doc- trine dite de la «double vérité », of. Pintard, Le libertinage érudit dans la pre- miére moitié du XVIT® s., Boivin, 1943, p. 40-43 et 106-r09, tout l'ouvrage (765 p.) en montrant le retentissement. 3. AT. VII, 5 (IX, 3). Cf. H. Gouhier, La pensée religiewse de Descartes, Vrin, 1924, p. 100 sq. et 217-247. 4. Notae... ci-dessous, A.T. VIII, B, 353-357, 361-362. Chez certains tenants de cette attitude, comme Gassendi sans doute, Vaffirmation de la foi restait sincére, et selon de Vrijer, c’était le cas pour Regius (cf. Dibon, Noies..., p. 285-287). - Eistola ad P, Dinet, A.T. VII, 584-585 : les précieuses gofitant les concernait I'explication du mouvement du coeur. (Cf. la lettre sui- vante.) Iv A M. REGIUS. MonsiEvur, Je wétois point ici lorsqu’on apporta votre lettre, et je ne fais que de la recevoir A mon retour. Les objections de M. Sil- vius ile me paroissent pas de grande importance, et elles prouvent qu’il n’est pas bien habile en mécanique. Je voudrois pourtant que votre réponse ffit un peu plus doucé. J’ai_marqué avec unl crayon la marge les endroits qui me paroissent un peu urs. Je voudrois que yous ajoutassiez au premier point, que, bien qwil y ait peu de sang dans le corps, les veines en sont cependant vemplies, parce qu'elles se_resservent et se proportionnent a sa mesure. Vous avez bien dit la méme chose; mais ce n’a été seulement qu’en passant, et je crois que cela n’est pas essen- tiel pour résoudre sa difficulté, ‘Au second, je crois que le sang d’un homme qui meurt d’hy- dropisie se refroidit dans les plus petites de ses veines et qui sont les plus éloignées du cceur, et qu’étant figé, il empéche que de nouveau sang ne coule par Ja circulation des artéres dans les veines, tandis cependant que le sang encore chaud dans la veine cave auprés du coeur tombe dans son ventricule droit, et qu’ainsi la veine cave s'est vidée ‘Au troisiéme, la pesanteur est A 1a vérité souvent une cause concomitante et adjutrice, mais elle n’est pas cause premiére ; car, au contraire, la situation du corps étant renversée, et la pesanteur y résistant, le sang ne laisseroit pas, je ne dis pas de 48 LETTRES A REGIUS non quidem incideret, sed flueret, vel insiliret, ob circulationem & spontaneam vasorum contractionem. Ad quartum, vbi loqueris de efferuescentia sanguinis, mal- lem ageres de eius rarefactione ; quedam enim magis feruent, que tamen non adeé rarescunt. Ad quintum, vbi te accusat, quod affinxeris ipsi obiectio- nem quam non agnoscit pro sua, responderem me nihil ipsi affinxisse. Nam cum dixisti : neque his aduersatur quod ventri- culi in sistole non sint omni corpore vacui, idem sensus fuit, ac si dixisses ; sufficere quod maximam partem saltem vacui sint ; qué ratione vero maxima ex parte vacuentur, te postea fuse exphi- cuisse, nullamque eius argumenti vim declinasse. Denique, circa auriculas cordis, malé videris ipsas distin- guere ab ostiis vene caue & arteria venose; nihil enim aliud sunt quam ista lata ostia. Et malé etiam aliquam ipsis tribuis sanguinis coctionem per ebullitionem specificam, &c. Vale. NOVEMBRE 1641 49 tomber dans le cceur, mais d’y couler ou d’y saillir, 4 cause de la circulation et de 1a contraction naturelle des vaisseaux. Au quatriéme, ot vons parlez de lefiervescence dn sang, Jaimerois mieux que vous traitassiez de sa raréfaction ; car ‘i ¥_a certaines choses qui bouillonnent davantage sans se taréfier si considérablement, Au cinquiéme, oi il yous accuse de Ini préter une objection quil n’avoue pas, je répondrois que je ne Ini préte rien; car lorsque vous avez dit, et il n'est pas contraive a ces choses de dire que dans le mouvement de systole, les ventricules ne sont pas vides de tout corps, c'est la méme chose que si vous eussiez dit quel sufit quits soient vides au moins pour la plus grande par- lie» que vous avez ensuite exbliqué fort au long comment ils sont vides pour la plus grande partic, et que vous avez répondu @ celle objection sans recourir & aucun faux-fuyant. Enfin, a l'égard des oreillettes du cceur, il paroit que vous avez tort de les distinguer des extrémités de la veine cave et de V’artére veineuse ; cat ce ne sont autre chose que l’extension de cette ouverture, et vous leur attribuez aussi mal 4 propos une sorte de coction du sang par une ébullition particuli Adieu, A. 7.11, 443 444 Vv DESCARTES « REGIUS. [Endegeest, novembre 1641,] Vir Clarissime, Legi omnia que ad me misisti!,; cursim quidem, sed ita ta- men vt non putem quicquam in iis contineri quod impugnem. Sed sané multa sunt ita Thesibus tuis, que fateor me ignorare, ac multa etiam, de quibus si forté quid sciam, longé aliter expli- carem quam ibi explicueris. Quod tamen non miror ; longé enim difficilius est, de omnibus que ad rem medicam perti- nent suam sententiam exponere, quod docentis officium est, quam cognitu faciliora seligere, ac de reliquis prorsus tacere, quod ego in omnibus scicntiis facere consueui. Valdé probo tuum consilium, de non amplius respondendo Syluii questio- nibus, nisi forté vt paucissimis verbis illi significes, ubi qui- dem cius litteras esse pergratas, ciusque studium inuestigande veritatis, & gratias agere quod te potissimum elegerit cum quo conferret ; sed quia putas te abundé in tuis precedentibus ad omnia, quz circa motum cordis pertinebant, respondisse, nunc- que videtur tantim disputationem ducere velle, atque ex yna questione ad alias transire, que res esse posset infinita, rogare vt te excuset si, aliis negotiis occupatus, ipsi non amplius res- pondeas. Initio enim, cum disputat an venz, contracte ad mensuram sanguinis quem continent, dicendez sint plene vel non plenz?, Mouet tantim quastionem de nomine. 1, En réponse & la lettre précédente, Baillet ne donne aucun détail sur ces réponses de Regius qu'il a ignorées, 2. Cf. la lettre précédente, 1° point. AM, REGIUS. MONSIEUR, J’ai lu assez rapidement tout ce que vous m’avez envoyé ; mais cependant jy ai donné assez d’attention pour croire que de tout ce qui y est contenu il n'y a rien que je condamne. Pour vos théses, il y a ala vérité bien des choses que je n’entends pas, et plusicurs méme auxquelles, en tant que je puis les en- tendre, je donnerois une autre explication que la Te ce qui ne me surprend pas ; car il est bien plus difficile d’expliquer son sentiment sur toutes les parties de la médecine, ce qui est du devoir du professeur, que de choisir ce qu’on connoit de plus facile sur cette matiére, et garder un profond silence sur tout le reste, comme j’ai fait dans les autres sciences. J’approuve fort votre dessein de ne plus répondre aux questions de M. Sil- vius. Tout ce que vous pouvez faire, c’est de lui marquer en peu de mots que ses lettres vous font trés grand plaisir, ae le zéle qu’il a pour la recherche de la vérité vous est trés agréable, et que yous le remerciez [bien affectuensement] de vous avoir choisi pour vous demander votre avis; mais que vous croyez avoir suffisamment répondu dans vos précédentes & tout’ ce qui regarde le mouvement du cceur, qu'il semble a présent qu'il n’a plus d’autre vue que de continuer la dispute, et passer dune question A une autre, ce qui iroit 4 Vinfini ; que vous le wiez de l’excuser si vous ne lui répondez plus, parce que vous &tes fort occupé d’ailleurs Ein effet, au commencement de sa dispute, ot il demande si les veines resserrées selon la mesure du sang qu’elles contiennent doivent étre dites pleines ou non pleines, il agite seulement une question de nom. 445 sz) LETTRES A REGIUS Ac postea, dum petit sibi ostendi alligatum ferro sangui- nem, & quenam sit vera grauitatis natura’, nouas questiones mouet, quales imperitissimus quisque plures posset propo- nere, quam omnium doctissimus in tota vita dissoluere. Cum ex eo quod sanguis ex venis in cor possit insilire, infert venas ergo debere pulsare, facit zquiuocationem in verbo inst- lire, tanquam si dixeris sanguinem salire in venis. Cum in comparatione inflationis vesice notat aliquam dissi- militudinem, quod sit violenta, & puer a patente fistula os auferat, nihil agit, quia nulla comparatio in omnibus potest conuenire ; vt neque cum alia ratione quam per spontaneam venarum contractionem vult explicare sanguinis propulsatio- nem ; affert enim fibras transuersas vasa coarctantes, quod non est diuersum 4 venarum contractione ; idem enim significat fibras vasa coarctare, ac venas contrahere. Cetera persequeret, sed omnia per te melits potes, & iam ex parte soluisti in The- sibus?. In his autem adiungis corollarium de maris xstu, quod non probo ; non enim rem satis explicas, vt intelligatur, nec qui- dem vt aliquo modo probabilis fiat ; quod iam in multis aliis, quz eodem modo proposuisti, 4 plerisque reprehensum est. Qui motum cordis aiunt esse Animalem, non plus dicunt quam si faterentur se nescire causam motis cordis, quia nes- ciunt quid sit motus Animalis. Cum autem partes anguium dissecte mouentur, non alia in re causa est quam cum cordis mucro etiam dissectus pulsat, nec alia quam cum nerui testu- dinis in particulas dissecti, atque in loco calido & humido existentes, vermium instar se contrahunt, quamuis hic motus dicatur Artificialis, & prior Animalis ; in omnibus enim istis causa est dispositio partium solidarum & motus spirituum, siue partium fluidarum, solidas permeantium. Meditationum mearum impressio ante tres menses Parisiis x, Ibid., 3° point. 2, Durant toute année 1641, les professeurs d’Utrecht discutérent entre eux, sous le couvert des théses présentées par leurs étudiants (of. Introduc- tion, p. 10, note 2), C'est contre un disciple du professeur de mathéma- tiques Ravensberger, dont la Disputatio mathematico-philosophica critiquait Harvey, que Regius défendit les theses ici évoquées, le 24 novembre 1641. (Cf. A:T. TIT, 446-447). La présente lettre est de peu antérieure. NOVEMBRE 1641 53 Et ensuite lorsqu’il demande qu’on lui montre le sang arrété par le fer, et quelle est la véritable nature de la pesanteur des corps, il remue de nouyelles questions, et telles que les plus ignorants sont en état d’en proposer en si grand nombre, que le plus savant homme du monde n’en pourroit jamais résoudre dans tout le cours de sa vie. Quand, de ce que le sang peut sauter des veines dans le cceur, il infére de 14 que les veines doivent donc battre, il se joue sur VPéquivoque du mot ésilive, sauter, comme si yous disiez que le sang saute dans les veines Lorsqu’il remarque quelque différence dans 1a comparaison d'une vessie enflée, comme qu'elle est dans un état violent, et qu’elle se désenfle aussitét qu’on Ote la bouche de dessus l’ou- verture, il ne gagne rien a cela, parce que toute comparaison cloche : comme lorsqu’il veut expliquer V’action par laquelle Je sang est chass¢ continuellement par une autre raison que ar la contraction naturelle des veines; car de dire que ces ibres resserrent les vaisseaux, ou que les veines se contractent, c'est précisément la méme chose. Je parcourrois le reste dé méme, mais vous étes en état de le faire mieux que moi, et vous y avez déji répondu en partic dans vos théses, dans lesquelles yous ajoutez pourtant un corollaire sur le flux ct reflux de la mer, que je n’approuve pas; car vous n’expliquez pas assez la chose pour la rendre intelligible ni méme probable, ce que plusieurs personnes trouvent aussi a redire dans plusieurs autres Propositions que vous avez avancées de la méime maniere. Ceux qui disent que le mouvement du cceur est animal, ne disent pas dayantage que s'ils avouoient bonnement qu’ils ne sayent point la cause du mouvement du caur, parce qu’ils ne savert pas ce que c’est que ce mouvement animal. A l’égard des parties des anguilles qui se remuent aprés avoir été cou- pées, il n'y en a point d’autre cause que celle qui fait battre la inte du cceur quand clle est aussi coupée, et la méme qui ‘ait que des cordes de boyaux* coupées en morceaux, et con- servées dans un lieu chaud et humide, se replient comme des vers de terre, quoique ce mouvement s’appelle artificiel, et le premier animal. Dans toutes ces expériences, la [seule et véri- table] cause est la disposition des parties solides et le mouve- ment des esprits ou ee parties fluides qui pénétrent les so- lides. Il y a trois mois que l'impression de mes Méditations a été achevée a Paris; je n’en ai pourtant pas encore regu aucun * Testudo (tortue) désigne en fait le luth, les premiers instruments de ce genre ayant été faits d’une carapace, Il s'agit done bien d’une machine arti- ficielle. 54 LETTRES A REGIUS absoluta est, necdum tamen vllum exemplar accepi, & idcirco secundam editionem hic fieri consensi*. Causam, cur in vorticibus iniecta corpora ad centrum feran- tur, puto esse, quia aqua ipsa, dum circulariter mouetur in vortice, tendit versus exteriora ; ideo enim alia corpora, que nondum habent istum motum circularem tam celerem, in cen- trum protrudit. Gratulor D. Van der H(oolck) iterum Consuli, & dictaturé perpetua dignum existimo, tibique gratulor quod in eo fidum & potentem habeas defensorem*. Vale. 1, L/achevé d’imprimé est du 28 aft 1641. Descartes évoque ce méme retard dans une lettre € Mersenne datée du 17 novembre (A.T. II, 448-449). 2, Van der Hoolck venait d’étre, pour la quatriéme fois, élu bourgmestre @'Utrecht, le 1°F octobre 1641, Il essaiera d’apaiser 1a polémique avec Voet, Sevaat ménageant celui-ci. Mais il empéchera l’accusation d’hérésie contre us, NOVEMBRE 1641 55 exemplaire, c’est ce qui me fait consentir A une seconde édi- tion dans ces pays. Je crois que ce qui fait que des corps unis dans un tourbillon sont chassés au centre, c’est que l'eau méme agitée circulaire- ment fait effort pour s'écarter en tout sens, et par ce moyen repousse vers le centre les parties étrangéres qui n’ont pas encore acquis toute sa vitesse. Je félicite M. Vander H. de son nouvean consulat ; je le crois digne d’une dictature perpétuelle. Je vous félicite aussi d’avoir en ce sage magistrat un si fiddle’ et si puissant défen- seur. Adieu. A. T, III, 454 455 VI DESCARTES a REGIUS. [Endegeest, décembre 1641 ?)* Vir Clarissime, Accepi tuas theses, & gratias ago ; nihil in ipsis inuenio quod non arrideat. Qu ais de actione & passione, nullam mihi vi- dentur habere difficultatem, modo illa nomina recté intelli- gantur : nempe, in rebus corporeis omnis actio & passio in solo motu locali consistunt, & quidem actio vocatur, cum mo- tus ille consideratur in mouente, passio ver6, cum consideratur in moto. Vnde sequitur etiam, cum illa nomina ad res immate- riales extenduntur, aliquid etiam motui analogum in illis esse considerandum ; & actionem dicendam esse, que se habet ex parte motoris, qualis est volitio in mente ; passionem verd ex parte moti, yt intellectio & visio in eadem mente. Qui verd putant perceptionem dicendam esse actionem, videntur su- mere nomen actionis pro omni reali potentia, & passionem pro sola negatione potentie ; vt enim perceptionem putant esse actionem, ita etiam haud dubié dicerent in corpore duro recep- tionem motiis, vel vim per quam admittit motus aliorum cor- porum, esse actionem ; quod recté dici non potest, quia pas- sio isti actioni correlatiua esset in mouente, & actio in moto. Qui autem dicunt actionem omnem ab agente auferri posse, recté, si per actionem motum solum intelligant, non autem, si omnem vim sub nomine actionis velint comprehendre ; vt 1. Cette lettre et les deux suivantes sont de date incertaine ; elles se ré- ferent probablement aux théses du 24 novembre, ou aux suivantes, soutenues par Regius le 8 décembre, Mais il avait, tout P’été, dirigé des Disputationes... VI A M. REGIUS. MonsiEvr, J’ai regu vos théses, et je vous en fais mon remerciment ; je n’y ai tien trouvé qui ne m’y pit. Ce que vous y dites de iaction et de la passion ne me paroit point faire de difficulté, pourvu que l’on comprenne bien ce que signifient ces noms @’est-a-dire que dans les choses corporelles toute action et pas sion consistent dans le seul mouvement local, et on V’appelle action lorsque ce mouvement est considéré dais le moteur, et passion lorsqu’il est considéré dans la chose qui est mue ; d’ott i] stensuit aussi que, lorsque ces. noms sont appliqués &, des choses immatérielles, il faut considérer en elle quelque chose danalogue au mouvement, et qu'il faut appeler action celle qui est dela part du moteur, telle qu’est la volition dans l’ame, et passion de la part de la chose mue, comme l/intellection et la vision dans la méme ame. Quant a ceux qui croient qu’il faut donner le nom d'action a 1a perception, ils semblent prendre le nom d’action pour toute puissance réelle, et celui de passion pour la seule négation de puissance ; car comme ils croient que ‘a perception est une action, ils ne feroient pas aussi difficulté de dire que la réception du ‘mouvement dans le corps dur, ou la force par laquelle il recoit le mouvement des autres corps, est une action, ce qui ne peut pas se dire, parce que la passion ui est corrélative a cette action seroit dans le moteur, et l’ac- tion dans la chose mue, A l’égard de ceux qui disent que toute action peut tre dtée de l’agent, ils ne se trompent pas, si par action ils entendent le seul mouvement, sans vouloir comprendre 456 58 LETTRES A REGIUS longitudo, latitudo, profunditas, & vis recipiendi omnes figu- ras & motus, 4 materia siue quantitate tolli non possunt, nec etiam cogitatio 4 mente. In Chartulis quas misisti, pag. 2, linea 7, ac precipué cordis : videtur ibi esse aliquis error calami; non enim premuntur partes 4 corde, sed sanguis ad hepar ex aliis partibus missus, ac precipué ex corde, iuuat coctionem. Non intelligo etiam que ibi sequuntur de ligatura geminata, & alternatim disso- Tuta. Pagin4 4, experimentum de corde follibus inflando, nisi fece- ris, non author sum vt apponas ; vereor enim ne, corde exciso & frigido, tam rigidum euadat, vt ita inflari non possit ; sed facile est experiri, & si succedat, pones yt certum, non autem cum verbis iudico & videntur. Pagina 5, que habes de magnete, mallem omitti; neque enim adhuc plané sunt certa ; vt neque illa que habes, pag. 6, de gemellis, & similitudine sextis. Vale & me ama, & communes amicos meo nomine plurimum saluta. DECEMBRE 1641 59 sous le nom d’action toute force telle qu’est la longueur, 1a lar- geur, la profondeur et la force de recevoir toutes sortes de figures et de mouvements ; car ces choses ne peuvent non plus étre Stées de la matiére ou de la quantité, que la pensée le peut étre de 1’4me. Dans les papiers que vous m’avez envoyés, page 2, ligne 7, [sur ces mots], ef surfout du ceeur, il paroit y avoir quelque erreur de copiste, car les parties ne sont pas pressées par le eeur, mais le satig enyoyé au foie des autres parties et surtout du’ cceur facilite 1a coction. Je ne comprends pas aussi ce qui suit sur cette double ligature, et alternativement dissolue. A la page 4: A moins que vous ne fassiez l’expérience du cceur qu’on peut enfler avec des soufilets, je ne vous conscille as de mettre cela, car je crains que le caeur étant arraché et roid ne deyienne si roide, qu’il ne soit pas possible de l’enfler ainsi ; mais l’expérience est facile a faire, et si elle réussit, vous la mettrez comme certaine, sans vous servir de ces expressions, je juge, il me semble que cela est ainsi i= feared si j’étois a votre place, ce que vous dites page 5 de l’aimant, car ces choses ne sont pas encore bien certaines, non plus que celles de la page 6, touchant les jumeaux et la ressemblance du sexe. Adieu, monsieur, aimez-moi toujours un peu, et faites bien mes compliments 4 nos amis communs 457 VIL DESCARTES A REGIUS. [Endegeest, décembre 1641 ?] Vir Clarissime, Legi raptissimé illa omnia que iusseras vt perlegerem, nempe partem primi, & partem secundi quaternionis, & quinque alios integros. Que in primo de adstringentibus, incrassantibus & narco- ticis, de tuo habes, mihi non placent ; peculiarem enim ali- quem modum, quo fort potest aliquando contingere vt res fiat, tanquam yniuersalem proponis, cum tamen plures alii possint excogitari, ex quibus probabile est eosdem effectus sx- pius sequi. In secundo, ais Idiopathiam esse morbum per se subsistentem ; mallem dicere esse ab alio non pendentem, ne quis philosophus inde concludat, te fingere morbos esse substanti: _ De febribus autem breuiter hic dicam quid sentiam, ne nihil in hac epistol4 contineatur ; de reliquis enim vix quicquam dicam. Itaque febris est’... Clerselier ajoute dans son édition, t. I, 1. 87, p. 399 : Deest reliquum. Et si candidé et generosé D. Regius velit agere, iliud suplebit. (Candide ef gene- yose était 1a devise de Regius en téte des Fundamenta physices), (Cf. aussi les appels A Regius dans la préface, et A.T. I, XXIV-XXV). VIL A M. REGIUS. MONSIEtR, J’ai In fort rapidement tout ce que vous m’aviez ordonné de lire, c'est-A-dire une partie du premier cahicr, et une partie du_ second, et les cing autres tout entiers. Je n’approuve point ce que vous dites dans votre premier cahier touchant les choses astringentes, celles qui épaississent et les narcotiques ; car vous donnez comme universelle une manitre* particuliére dont une chose peut arriver, quoiqu’on puisse imaginer plusieurs autres maniéres qui probablement peuvent produire les mémes effets. Dans le second vous dites que l’idiopathie est une maladie subsistante par elle-méme ; j’aimerois mieux dire qu’elle ne dé- pend point dune autre, de peur qu’{il ne prenne fantaisie] a quelque philosophe de conclure que vous faites les maladies des substances. Je vais vous dire en deux mots ce que je pense des fidvres, afin que ma lettre contienne quelque chose, car je ne parlerai presque pas du reste. La fiévre est donc... (Le veste ne se tvouve point. Si M. Regius veut agiy en galant homme, il aura la bonté d'y suppléer, en nous renvoyant ce qu'il a devers lui. Note de Cletselier.) *. Trad, de 1724 : matiere, 458 Vill DESCARTES A REGIUS. [Décembre 1641 ?] Vir Clarissime, Accepi tuas litteras, in quibus duas proponis difficultates circa ea que de febribus ad te scripseram*. Ad quarum primam ; cur scilicet causam regularium recur- suum in febribus fere semper oriri dixerim a materid, que matu- ratione quadam indiget, antequam sanguini misceri possit ; irre- gularium veré, ab ed que, cauitatem pice implendo, sold dis- tentione poros aperit, facilé intelliges, si aduertas non dari ratio- nem cur iste cauitates tante sint magnitudinis, & tantus fiat in illis materia affluxus, vt semper in omnibus hominibus, vel singulis dicbus, vel alternis, vel quarto quoque die, vacuentur ; dari autem rationem cur aliquis humor vna tantum die, alius duobus, alius tribus indigeat ad maturescendum. Alteram etiam : cur nempe, poris apertis, tota aut fere tota materia expurgetur, facile solues, aduertendo multé difficilius esse poros plané clausos aperire, quam, postquam semel aperti sunt, impedire ne rursus claudantur; adeo vt satis magna copia materia debeat effluere, antequam claudantur ; imo fere tota debet effluere, cum nulla est cauitas, nisi que ex affluxu istius materiz, partes vi distendentis, efficitur ; quia partes dis- tente ad situm naturalem redire debent, antequam pori clau- dantur, Si autem sit cauitas per exesionem partium facta, con- x. Regius avait fait deux objections A la théorie cartésienne des fiévres, exposée a la fin de la lettre précédente, qui nous manque. VIIL AM. REGIUS. MONSIEUR, J’ai regu votre lettre dans laquelle yous me proposez deux difficultés sur ce que je vous avois écrit touchant les fiévres. Dans la premiére vous demandez pourquoi j’ai dit que la cause des accés des fidures régiées vient presque toujours de la matiére, quia besoin de se mirviv en quelque fagon avant de se pouvoir méley au sang, et que les accés de celles qui ne soni pas réglées proviennent d'une matiére qui, se logeant dans quelque cavité, gonfle tellement les parties, qu'elle oblige les pores de s'ouvrir, Ih ne vous sera pas diflicile de comprendre tout cela, si vous faites attention qu’il n’y a point de raison qui montre que ces cavités puissent étre asséz grandes et qu'il s’y amasse assez de matiére pour qu’elle se vide réguliérement dans tous les hommes ou chaque jour, ou de deux jours l'un, ou de quatre jours l'un; mais qu’il y en a une qui nous fait voir pourquoi certaine humeut a besoin d’un jour pour se mfirir, une autre de deux, et une troisitme de trois. Quant a la seconde question, pourquoi les pores étant ouverts, toute la matiére ou du moins presque toute la matidve se purge, vous en trouverez facilement la solution en remarquant qu'il est beaucoup plus difficile d’ouvrir des pores entitrement fer- més, que d’empécher qu’ils se referment quand une fois ils ont été ouverts, en sorte qu’une assez grande abondance de matitre doit s’écouler ayant qu’ils soient fermés : elle doit méme s’écou- ler Presque toute, lorsqu’ll n'y a d’autie cavité que celle qui est formée par le concours de cette matitre qui dilate par force les parties, patce que les parties dilatées doivent retourner a leur situation naturelle avant que les pores soient fermés. Que s'il y a une cavité produite par quelque humenr qui aura rongé les parties, j’avoue qu’aprés l’expurgation elle demeure pleine 459 64 LETTRES A REGIUS cedo quidem illam materia corrupta plenam manere post expur- gationem ; adeo vt, cum pori aperti sunt, non nisi pars exsu- perans, & latera cauitatis impellens, expurgetur, qua potest esse decima vel vigesima tantum pars materix in illa cauitate content : sed quia sola est hac pars exsuperans, que febris paroxismum accendit, ideo sola videtur esse numeranda, & ita semper verum est, totam materiam febris expurgari in sin- gulis paroxismis. Quantum autem ad gangrenam, etsi sanguinis circulatio, in aliqué parte impedita, possit aliquando esse remota eius causa, proxima tantim est corruptio siue putrefactio ipsius partis, que ab alijs causis quam ab impedita circulatione po- test oriri, atque, ipsA iam fact4, circulationem impedire. Que de palpitatione habes, non mihi satisfaciunt, & tam varias iudico esse posse eius causas, vt non ausim etiam aggredi ipsas hic enumerare. Non etiam existimo excrementa difficilius egredi per pilos amputatos quam per integros, sed plané econtra facilius, nisi forté cum radicitus extirpantur, & pori, per quos egressi fue- rant, occluduntur ; multique capitis dolores experiuntur, cum longos alunt pilos, iisque postea liberantur, capillis amputatis. Causam autem cur capilli amputati crescant, puto esse quod excrementa copiosius per amputatos egrediantur. Hocque etiam confirmat experientia : quia maiores recrescunt quam si nunquam fuissent amputati, quia nempe ob maiorem co- piam excrementorum per ipsorum radices transeuntium, ca ampliores euadunt. nique conuulsionem non puto fieri propter tunicarum densitatem, sed tantum quia valuula quedam, in neruorum tubulis existentes, preter ordinem aperiantur aut claudantur, quod & spirituum crassities, & organi lesio, yt punctura in tendine vel neruo, causare potest. Vale. DECEMBRE 1641 65 de matiére corrompue, en sorte que quand les pores sont ouverts, il n’y a que la partie acabnasaatoree qui pousse les cdtés de la cavité qui sorte, qui peut étre seulement la dixiéme ou la vingtiéme partie de la matiére contenue dans cette cavité ; mais comme il n'y a que cette partie surabondante qui allume V’accés de 1a fiévre, il me semble par conséquent qu’on doive la compter seule : ainsi il est toujours vrai que toute la matiére de la fiévre se purge dans chaque acces. Quant a la gangréne, quoique la circulation du sang arrétée en quelque partie puisse tre quelquefois sa cause éloignée, sa cause prochaine est seulement une corruption ou pourriture de la partie qui peut provenir d'autres causes que de la circu- lation qui a été arrétée, laquelle corruption étant déja formée peut empécher la circulation. Ce que vous dites de la palpitation ne me satisfait point, et je crois qu’elle peut avoir tant de différentes causes, que je n’oserois eutreprendre d’en faire ici l’¢numération. Je ne crois pas non plus que les exctéments sortent plus diffi- cilement par les chevenx coupés que par ceux qui ne le sont pas : ces excréments doivent méme sortir plus facilement, A moins que les cheveux ne fussent atrachés jusqu’a la racine, et que les pores par lesquels ils seroient sortis ne fussent entiére- ment bouchés. Plusieurs personnes sentent des maux de téte lorsqu’ils ont les cheveux fort longs. Le reméde est de les cou- per. Je crois que la cause pourquoi les cheveux coupés croissent, est que les excréments sortent en plus grande abondance dans le bout des cheveux coupés ; l’expérience confirme encore cela parce qu’ils reviennent plus longs que si on ne les avoit jamais coupés, parce que la grande abondance d’excréments qui passent par leurs racines les fait devenir plus grands. _ Enfin, je ne crois pas que la convulsion arrive 4 cause de l'épaisseur des tuniques, mais seulement parce que certaines petites valvules qui sont dans les petits tuyaux des nerfs s’ou- vrent ct se ferment contre la régle ordinaire, ce que la grossié- reté des esprits ct la Iésion de l’organe peuvent causer, comme une piqtre dans un tendon ou dans un nerf. 460 Ix DESCARTES A REGIUS. [Endegeest, mi-décembre 1641.]* Vir Clarissime, Vix quicquam durius, & quod maiorem offense ac crimina- tionis occasionem daret, in Thesibus tuis ponere potuisses, quam hoc : guod homo sit ens per accidens ; nec video qua ra- tione meliis possit emendari, quam si dicas te, in nona thesi, considerasse totum hominem in ordine ad partes ex quibus com- ponitur, contra verd, in decima, considerasse partes in ordine ad totum, Et quidem in nonf, te dixisse hominem ex corpore ©& anima fieri per accidens, vt significares dici posse guodammodo accidentarium corpori, quod anime coniungatur, & anime quod. corpori, cum & corpus sine animé, & anima sine corpore esse possint.Vocamus enim accidens, omne id quod adest vel abest sine subiecti corruptione, quamuis forté, in se spectatum, sit substantia, vt vestis est accidens homini. Sed te non idcirco dixisse hominem esse ens per accidens, & satis ostendisse, in de- cim thesi, te intelligere illum esse ens per se. Ibi enim dixisti animam & corpus, ratione ipsius, esse substantias incomple- tas ; & ex hox quod sint incomplete, sequitur illud quod com- ponunt, esse ens per se. Vtque appareat, id quod est ens per se, fieri posse per accidens, nunquid mures generantur siue fiunt per accidens ex sordibus ? & tamen sunt entia per se. 1. Postéricure aux théses du 8 décembre, mais antéricure a Ja riposte des adversaires de Regius (18 et 24 décembre), Ix A M. REGIUS. MONSIEUR, Vous ne pouviez rien mettre de plus dur, et qui {ft plus capable de réveiller les mauvaises intentions de vos ennemis, et leur fournir des sujets de plainte, que ce que yous avez mis dans vos théses, que homme est un éire par accident. Je ne vois pas de plus sir moyen pour corriger cela que de dire que dans votre neuviéme thése vous avez considéré fout Phomme par rap- port aux parties qui le composent, et que dans la dixiéme vous avez considéré les parties par rapport au tout ; que dans la neu- viéme, dis-je, vous avez dit que Phomme est composé dune dme, ei d'un corps par accident, pour marquer qu'on pourroit dire en quelque facon qu'il étoit accidentaire au corps d’étre uni a V’ame, et a l'ame d’étre unie au corps, puisque le corps peut exister sans l’Ame, et l’éme sans le corps. Cat nous appelons accident tout ce qui est présent ou absent sans la corruption du sujet, quoique considéré en soi-méme ce soit peut-étre une substance, comme I’habit est accidentel 4 homme ; mais que vous n’avez pas prétendu dire que Phomme soit un éire par acci- dent, et que vous aviez fait voir dans votre dixiéme thése que yous entendiez qu’il est un étre par soi-méme ; car yous y avez real Ssrecentereeeric pae ca prcaec Siailelnie nicenenie ees incomplétes, et dés 1a qu’elles sont incompletes, il s’ensuit que le tout qu’ils composent est un étre par soiméme ; et pour faire voir que ce qui est un étre par soi-méme peut devenir un étre par accident, les rats, qui sont engendrés ou faits par accident des ordures, sont cependant des étres par eux-mémies. 462 68 LETTRES A REGIUS Objici tantium potest, non esse accidentarium humano cor- pori, quod anima coniungatur, sed ipsissimam cius naturam ; quia, corpore habente omnes dispositiones requisitas ad ani- mam recipiendam, & sine quibus non est proprié humanum corpus, fieri non potest sine miraculo, vt anima illi non vnia- tur ; atque etiam non esse accidentarium anime, quod iuncta sit corpori, sed tanttim accidentarium esse illi post mortem, quod a corpore sit seiuncta.. Que omnia non sunt prorsus neganda, ne Theologi rursus offendantur ; sed respondendum nihilominus, ista ideo dici posse accidentaria, quod, conside- rantes corpus solum, nihil plané in eo percipiamus, propter quod anima yniri desideret ; vt nihil in anima, propter quod corpori debeat vniri ; & ideo paulo ante dixi, esse guodammodo accidentarium, non autem absoluié esse accidentarium. Alteratio simplex est illa que non mutat formam subiecti, vt calefactio in ligno ; generatio veré, que mutat formam, yt ignitio ; & sané, quamuis vnum alio modo non fiat quam aliud, est tamen magna differentia in modo concipiendi, ac etiam in rei veritate. Nam forme, saltem perfectiores, sunt congeries quedam plurimarum qualitatum, que vim habent se mutuo simul conseruandi; at in ligno est tantum moderatus calor, ad quem sponte redit, postquam incaluit; in igne verd est vehemens calor, quem semper conseruat, quamdiu est ignis. Non debes irasci College illi, qui consilium dabat de addendo corollario ad interpretandam tuam Thesim ; amici enim consi- lium fuisse mihi videtur. Omisisti aliquod verbum in tuis thesibus manu scriptis, thesi decima : ommes alie. Non dicis que sint ille alia, nempe qualitates. In ceteris nihil habeo aaa dicam ; video enim vix uicquam in iis contineri, quod non iam ante alibi posueris, laudo : esset enim laboriosum noua semper velle inuenire. Sere adueneris, semper mihi tuus aduentus erit pergratus. le. MI-DECEMBRE 1641 69 On peut seulement vous objecter qu’il n’est point accidentel au corps humain d’étre uni a l’4me, mais que c’est sa propre nature; parce que le corps ayant toutes les dispositions requises pour recevoir l’Ame, sang lesquelles il n'est pas proprement un corps humain, il ne se peut faire sans miracle que l’Ame ne lui soit unie, On nous objectera aussi qu’il n’est pas accidentel & Vame d’étre jointe au corps, mais seulement qu’il Ini est acci- dentel aprés la mort d’étze s¢parée du corps, ce qu’il ne faut pas absolument nier, de peur de choquer derechef les théolo- giens ; mais cependant il faut répondre qu’on peut appeler ces deux substances accidentelles, en ce que ne considérant que le corps seul, nous n’y voyons rien qui demande d’étre uni a1’Ame, et rien dans I’Ame qui demande d’étre wni an corps ; c’est pour- quoi j’ai dit un peu auparavant que I’homme est en quelque facon, et non absolument parlant, un étre accidentel. ‘altération simple est celle qui ne change point la forme du sujet, comme quand le bois s’échaufie, et la genération est celle qui change 1a forme, comme quand le bois est consumé par le feu ; et en effet, quoique l’un ne se fasse pas d’une autre manitre que Vautre, il y a cependant une grande difiérence, soit dans Ja maniére de concevoir, soit dans la vérité de la chose ; car les formes, du moins les plus parfaites, sont un amas de plusieurs qualités qui ont la force de se conserver mutuellement ensemble ; mais dans le bois c’est seulement une chaleur modérée a la- elle il retourne de soi-méme, aprés qu’il s’est échaufi¢ dans le eu; c’est une chaleur véhémente qu'il conserve toujours taut quiil est feu. Vous ne devez pas étre faché contre le collégue qui yous conseilloit d’ajouter un corollaire pour expliquer votre thése, il me paroit qu’il vous donnoit un conseil d’ami. Vous avez oublié un mot dans vos théses manuscrites. Dans la dixiéme thése, vous mettez ces mots /outes les autres, et vous ne dites point ce que c’est. Vous voulez dire toutes les autres qualités. fe n’ai rien a dire gur tout le reste, car je vois qu’elles ne contiennent presque autre chose que ce que Vous avez déja mis autre part ; yous avez raison, car ce seroit un trés grand travail de voulcir inventer toujours quelque chose de nouveau. Si vous yenez me voir, vous ime ferez toujours un trés grand plaisir. Adieu. 4; T. OL 485 486 x DESCARTES 4 REGIUS. [Endegeest, janvier 1642 ?]! Vir Clarissime, Hic te ab aliquot diebus expectatui ; iam autem aliquid audio snot etsi non videatur esse vllius momenti, vereor tamen ne forté tuum iter tardauerit ; & ego econtra tanto magis tecum loqui exopto, vt quid super hac re agendum sit, communibus consiliis videamus. Nempe audio tuos aduersarios tandem vicisse, atque effecisse, vt tibi interdiceretur, ne nostra am- plius doceres. Quo animo istud feras, nescio ; sed, si mihi cre- dis, plané irridebis & contemnes, tamque apertam inuidiam tibi magis gloriosam esse existimabis, quam imperitorum ap- plausus. Neque profecto mirandum est, quod in re, in qua yocum pluralitas locum habet, tu solus, cum veritate paucisque fautoribus, aduersariorum multitudini resistere non potueris. Si hoc solo risu & silentio vicisci velis, atque otium sequi, non dehortabor ; sin minus, quantum in me erit, tibi non deero. Interum rogo vt, vel voce vel litteris, tui me instituti quamprimim facias certiorem. Vale & me ama, Si huc venias, rogo vt quamplurimas ex aduersarii tui the- sibus tecum afferas. Vale. 1. Postéricure aux théses de Voetius (fin décembre) & aux vacances du Nouvel An pendant lesquelles Descartes attendait une visite de Regius (cf. fin de la lettre précédente). x A M, REGIUS MONSIEUR, Je vous attendois ces jours passés, et j’apprends anjourd’hui une nouvelle, qui, bien que de peu de conséquence, ne laisse pas de me faire craindre qu’elle n’ait été la cause de votre retar- dement ; cela redouble l’empressement que j’ai de yous voir pour prendre ensemble 1a-dessus de justes mesures. J’apprends done que vos ennemis ont enfin le dessus, et qu’ils sont venus A bout de vous faire défendre d’enseigner mes Principes. Je ne sais comment vous prenez la chose, mais, si vous m’en croyez, vous ne ferez qu’en rire et mépriser tout cela: Vous regarderez la jalousie qu’on fait paroitre contre yous comme plus glorieuse que tous les applaudissements des ignorants ; et certes il n’est pas surprenant que, dans une affaire qui se décide a la plura- Tité des voix, vous h’ayez pu résister avec le seul recours de la vérité et de quelques-uns de ses partisans A la multitude de vos adversaires. Si, pour toute vengeance, vous pretiez le parti @en rire en votre particulier, de garder un [profond] silence, et de vous tenir en repos, j’y donne les mains. Si vous voulez vous servir d’autres moyens, je ne vous manquerai point au besoin. Je vous prie cependant de m’apprendre au plus tot par lettres, ou de vive voix, quelles sont vos résolutions. Adieu, aimez-moi [toujours un peu]. Si vous venez me voir, apportez, je vous prie, avec vous le plus de théses que vous poutrez de votre adversaire. Adicu. A. T, I, 491 492 x1 DESCARTES a REGIUS. [Endegeest, janvier 1642.]' Vir Clarissime, Habui hic toto pomeridiano tempore prestantissimum vi tum D. Al(phonsum), qui multa mecum de rebus Vitraiecti nis amicissimé ac prudentissime dis:eruit®, Plané cum ipso sentio, tibi ad aliquod tempus 4 publicis disputationibus esse abstinendum, & summoperé cauendum, ne vilos in te verbis asperioribus irrites. Vellem etiam quammaximé, yt nullas vnquam nouas opiniones proponeres, sed antiquis omnibus no- mine tenus retentis, nouas tantim rationes afferres : quod nemo posset reprehendere ; & qui tuas rationes recté caperent sponte ex iis ea que velles intelligi, concluderent. Vt, de ipsis Formis Substantialibus & Qualitatibus Realibus, quid opus tibi fuit eas palam rejicere ? Nunquid meministi me, in Me- teoris pag. 164 [editionis gallice]*, expressissimis yerbis mo- 1, Réponse une lettre du 24 janvier : cf. Baillet, Vie..., I, 148-149 + «M. Regis... prit le party de répondre par écrit aux théses de Voetius. I] en écrivit 4 M, Descartes le 24 jour de janvier de Pannée suivante pour T'in- former de tout cc qui s’étoit passé, et iuy demander avis sur l'avenir, Il 1uy marqtia combien les esprits s’aigrissoient contre Iuy, & comment le party de Voetius se fortifioit de jour en jour ; ajoutant que M. le Consul Vander- Hoolck leur protecteur étoit d’avis qu’il gardat le silence, ou qu'il calat la voile en traitant Voetius & les autres Professcurs avec le plus de douceur et de respect qu'il Iuy seroit possible. Il luy envoya en méme tems la Réponse qu’il avait préparée contre les theses de Voetius, afin qu'il Pexaminat avec Je méme droit qu'il avoit sur ses autres écrits, » (A/T, III, 490-491), Des- XI AM. REGIUS, MONSIEUR, J’ai [eu Vhonneur] de posséder toute cette aprés-dinée ii- lustre M. Al(phonse); il m’a entretenu fort longtemps des affaires d’Utrecht, avec une bonté et une sagesse [qui m’ont charmé] ; je suis tout-d-fait de son avis que vous devez vous abstenir durant un certain temps des disputes publiques, et yous donner bien de garde d’aigrir personne contre vous par des paroles trop dures. Je souhaiterois bien aussi que vous n’avancassiez aucunes opinions nouvelles ; mais que yous vous tinssiez seulement de nom aux anciennes, vous contenant de donner des raisons nouvelles, ce que personne ne pourroit re- prendre, et ceux qui prendroient bien vos raisons en conclu- Toient d’eux-mémes ce que yous souhaitez qu'on entende. Par exemple, sur les formes substantielles et sur les qualités réelles, quelle nécessité de les rejeter ouvertement ? Vous pouvez vous souvenir que dans mes Météores, page 164 de l’édition frangoise, j'ai dit en termes exprés que je ne les rejetois ni ne les niois carte conseille de répondre A Voetius avant la fin des vacances (cf. A.T. TH, 509) qui duraient jusqu’au r°* février, La dernigre page (ib., 509-510) est peut-€ire postérieure. 2, Peut-étre Alphonse de Pollot, qui «a Utrecht ...a aidé a combattre » pour Descartes (@ Huygens, 31 janvier 1642, A.T. IIL, 523-524). 3. Editionis gallice, addition de Clersclier, les Essais de 1637 n’ayant pas encore, a cette date de 1642, d’autre édition que la frangaise. (Note A.T.). Cf, Météores, Disc. 1, A.T. VI, 239 : «pour ne point rompre la paix avec les philosophes, je né veux rien du tout nier de ce qu’ils imaginent dans les corps de plus que je n’ai dit, comme leurs formes subsiantielles, leurs qualités rédlles, et choses semblables, mais... il me semble que mes raisons doivent étre dautant plus approuvées que je les ferai dépendre de moinsde choses». 493 74 LETTRES A REGIUS nuisse ipsas nullomodo 4 me rejici aut negari, sed tantummodo non requiri ad rationes meas explicandas ? Quod idem si fuisses secutus, nemo tamen ex tuis auditoribus non illas reie- cisset, cum nullum earum vsum esse perspexisset, nec inte- tim in tantam collegarum tuorum inuidiam incidisses. Sed quod factum est, infectum fieri nequit. Nunc curandum est, vt quacumque vera proposuisti, quam modestissimé def- fendas, & si que minus vera, vel tantim minus apté dicta, elapsa sint, absque vlld pertinacié emendes, putesque nihil esse in philosopho magis laudandum quam liberam errorum suo- rum confessionem. Vt in hoc, quod homo sit ens per accidens, scio te nihil aliud intellexisse quam quod alii omnes admittunt, nempe illum esse compositum ex duabus rebus realiter distinc- tis 5 sed quia verbum, ens per accidens, eo sensu non ysurpatur in scolis, idcirco longé melius est (si forté vti non possis expli- catione, quam pracedentibus meis litteris suggesseram! : video enim te ab ill4 nonnihil deflectere, necdum scopulos satis vi- tare in tuo vitimo scripto), vt aperté fatearis te illum scole terminum non recté intellexisse, quam yt malé dissimules ; ideoque, cum de re plané idem quod alii sentires, in verbis tantum discrepasse. Atque omnino vbicumque occurret occa- sio, tam priuatim quam publict, debes profiteri te credere hominem esse verum ens per se, non autem per accidens, & men- tem corpori realiter & substantialiter esse vnitam, non per si- tum aut dispositionem, yt habes in tuo vitimo scripto (hoc enim rursus reprehensioni obnoxium est, & meo iudicio non verum), sed per verum modum vnionis, qualem vulgo omnes admittunt, etsi nulli, qualis sit, explicent, nec ideo etiam tene- tis explicare ; sed tamen potes, vt ego in Metaphysicis®, per hoc, quod percipiamus sensus doloris, aliosque omnes, non esse puras cogitationes mentis 4 corpore distincte, sed confu- sas illius realiter ynite perceptiones : si enim Angelus corpori humano inesset, non sentiret vt nos, sed tantum Pperciperet motus qui causarentur ab obiectis externis, & per hoc 4 vero homine distingueretur, Quantum ad tuum scriptum, etsi non videam quid co facere velis, mihi videtur, vt ingenue & candidé fatear quod sentio, nec ad rem propositam, nec ad fortunam huius temporis satis 1, Ci-dessus, p. 460 (de A.T.). 2, Méditation VI, A.T, VII, 75-76 et IX, 59-60. JANVIER 1642 75 aucunement, mais seulement que je ne les croyois pas néces- saires pour expliquer mes sentiments. Si vous etissiez tenu cette conduite, aucun de vos auditeurs ne les auroit admises, quand il se seroit apergu qu’elles ne sont d’aucun usage, et yous ne vous seriez pas chargé de l’enyie de vos collégues : mais ce qui est fait est fait ; le seul reméde [que j’y trouve présentement] est de défendre les propositions vraies que vous avez avancées, le plus modestement qu’il vous sera possible; et s'il yous en est échappé quelques unes de fausses, ou qui ne soient pas assez exactes, vous les corrigerez sans entétement. Vous devez étre persuadé qu’il n’y a rien de plus louable 4 un philosophe que d’avouer sincérement ses erreurs. Par exemple, lorsque vous dites que Phomme est un étre pay accident, je sais que yous n’entendez que tout ce que les autres philosophes entendent, savoir qu’il est un composé de deux choses réellement distinctes + mais comme les écoles n’entendent pas ce mot, éire par accident, dans le méme sens, il est beaucoup mieux, supposé que vous ne puissiez pas vous servir de l’explication que je vous avois insinuée dans mes précédentes (car je vois que vous vous dé- tournez un peu du sens que j’y donne, et que vous n’évitez pas tout-A-fait cet écueil dans votre dernier écrit), il est, [dis-je] beaucoup mienx d’ayouer bonnement que vous waviez pas tout-a-fait bien compris ce terme de l’école, que de déguiser > la chose mal a propos, et qu’étant d’accord avec les autres pour Je fond, vous n’avez été différent que pour les termes ; ainsi, toutes les fois que l’occasion s’en présentera, vous devez, avouer, soit en particulier, soit en public, que vous croyez que l’hommé est un véritable bire par soi et non par accident ; et que ’ame est réellement et substantiellement unie au corps, non par sa situation et sa disposition (comme vous dites dans yotre der- nier écrit, ce qui est encore faux et sujet A étre repris selon moi), mais qu’elle est, [dis-je], unic au corps pat une véritable union, telle que tous lés philosophes I’admettent, quoiqu’on n’explique point quelle est cette union ce que vous n’étes pas tenu non Jus de faire. Cependant vous pouvez l’expliquer, comme je ’ai fait dans ma Métaphysique, en disant que nous perceyons que les sentiments de douleur, et tous autres de pareille nature, tte sont pas de pures pensées de l’Ame distincte du corps, mais des perceptions confuses de cette Ame qui est réellement unie au corps : car si un ange étoit uni au corps humain, il n’auroit as les sentiments tels que nous, mais il petceyroit seulement fe; mouvements causés par les objets extérieurs, et par 1a il seroit différent d’un véritable homme. A Végard de votre écrit, quoique je ne voie pas bien ce que yous pretendez par 14, il mé semble cependant, pour vous avouer ingénument ma pensée, qu’il ne tend pas a votre but, et qu'il 494 76 LETTRES A REGIUS esse accommodatum ; multa enim in co nimis dura, & non satis aperté rationes explicas, quibus bona causa deffenditur, adeo vt in co scribendo, ex tadio forsan atque indignatione, ingenium tuum languisse videatur, Excusabis, vt confido, liber- tatem meam; & quia mihi esset difficilius, de singulis qux scripsisti monere quid sentiam, quam aliquod tale scriptum delineare, hoc potius agam, & quamuis multé me alia negotia vrgeant, ynam tamen aut alteram huic rei diem impendam. Existimo itaque oper@ pretium esse, yt ad Appendicem Voetii* publico scripto respondeas ; quia si plané taceres, tibi forté tanquam victo magis insultarent inimici; sed tam blandé ac modesté respondeas, vt neminem irrites, simulque tam solide, yt rationibus tuis se vinci Voétius animaduertat, & ideo, ne sepius vincatur, tibi contradicendi animum deponat, seque a te demulceri patiatur. Cursim hic ponam argumentum illius res- ponsionis, qualem ego ipsam faciendam putarem, si tuo in Joco essem ; & partim gallicé, partim latiné scribam, prout verba celerius occurrent, ne forté, si latiné tan'‘tim scriberem, verba mea mutare negligeres, & stilus nimis incultus pro tuo non agnosceretur. Henrici Regii &c. Responsio ad Appendicem, vel» Nota in Appendicem ac Corollaria Theologico-Philosophica Domini Gisb. Voetii, &c. Ie voudrois, apres, commencer par vne honneste lettre a Monsieur Voétius, en laquelle ie dirois qu’ayant veu les tres- doctes, tres-excellentes & trés-subtiles Theses qu’il a publiées touchant les Formes Substantielles & et autres matieres appar- tenantes 4 la Physique, & qu’il a particulierement adressées aux Professeurs en Medecine & en Philosophie de cette Vniuer- sité, au nombre desquels ie suis compris, i’ay esté extreme- ment aise de ce qu’yn si grand homme a voulu traitter de ces matieres, comme ne doutant point qu’il n’auroit vsé de 3, Ou Remarques sur VAppendice et les corollaires théologico-philosophiques de M. Gisb. Voet : Il s'agit des théses soutenues les 23 et 24 décembre par Lambert van den Waterlact sous la présidence de Voetius: Appendix ac corollarta theologico-philosophica... », cf. A.T. III. 511-519. JANVIER 1642 7 ne s'accorde nullement au temps présent, car yous y dites beau- coup de choses assez dures, et vous n’y expliquez pas assez clairement les raisons qui peuvent servir A la défense de la bonne cause ; en sorte qu’on diroit qu’en l’écrivant votre esprit est tombé dans une espéce de langueur que le chagrin ou I’indi- guation yous ont causte. J’espére que vous excuserez la liberté que je prends ; et comme il me seroit plus difficile de vous dire ce que je pense sur chaque article de votre écrit, que de vous tracer un modéle semblable, je prendrai ce dernier parti; et Dien que je sois accablé d’une multitude d'autres affaires, je donnerai un ou deux jours A ce travail. Je pense done qu'il importe au bien de vos affaires que vous répondiez par un écrit public 4 appendix de Voétius, parce que si vous gardiez un profond silence la-dessus, vos ennemis pourroient peut-étre yous insulter comme & un homme yaincu ; mais que votre réponse soit si douce et si modeste que vous n’irritiez personne, et en méme temps qu'elle soit si solide, que Vottius s'apergoive qu'il est vaincu pat vos raisons, et qu'il n’ait plus [a l’avenir] la démangeaison de vous contredire, pour n’étre pas toujours vaincu, et qu’ [enfin] il souffre que vous adoucissiez son humeur [sauvage]. Je vais vous donner en gros le sujet de la réponse que vous devez lui faire, et telle que je la ferois moi-méme si j’étois A votre place : je la mettrai partie en francois, partie en jatin, selon que les termes se présenteront plus facilement a mon esprit, de peur que si j’écrivois seulement en latin vous ne voulussiez point changer mes paroles, et que mon style négligé ne fit méconnoitre le votre. REPONSE D’HENRI REGIUS, etc... A L’APPENDICE* + Ia suite de ce texte ¢tant, en majeure partie, en frangais, nous reje- tons en note la traduction des phrases latines, 495 496 78 LETTRES A REGIUS toutes les meilleures raisons qui se peuuent trouuer, pour prouuer les opinions qu’il deffend, en sorte qu’apres les siennes, il n’en faudroit plus attendre d’autres. Et mesme, que ie me suis rejotiy de ce que, la pluspart des opinions qu’il a voulu deffendre en ces Theses, estant directement contraires 4 celle que i’ay enseignées, il semble que ¢’a esté particulierement a moy 4 qui il a adressé sa Preface, & qu’il a voulu par 14 me conuier a luy répondre, & ainsi m*inuiter, par vne honneste émulation, a rechercher d’autant plus curicusement la verité. Que je m’estime bien glorieux de ce qu'il m’a voulu faire cet honneur. Que ie ne puis manquer de tirer de l’auantage de cette attaque, 4 cause que ce me sera mesme de la gloire, si ic suis vaincu par vn si fort aduersaire. Que ie luy en rens graces tres-affectueusement, & mets cela au nombre des obli- gations que ie luy ay, & que ie reconnois estre tres-grandes. Hic fuse commemorarem quomodo me iuuerit in professione acqui- rendd, quomodo mihi patronus, mihi fautor, mihi adiutor semper fuerii!, &c. Enfin, que ie _n’aurois pas manqué de répondre a ses Theses par d’autres Theses, & de faire, comme luy, des disputes publiques touchant ces matieres, si ie pouuois esperer vne audiance aussi fauorable & aussi tranquille ; mais qu’il a en cela beaucoup d’auantage par dessus moy, @ cause que Je respect & la veneration qu’on a pour luy, non seulement a cause de ses qualitez de Recteur & de Ministre, mais beau- coup plus 4 cause de sa grande pieté, de son incomparable doctrine & de toutes ses autres excellentes qualitez, est capable de retenir les plus insolens, & d’empescher qu’ils ne fassent aucun desordre aux lieux ou il preside ; au lieu que, n’ayant point le mesme recpect pour moy, deux ou trois fripons, que quelque ennemy aura enuoyez a mes disputes, seront suffisans pour les troubler ; & ayant éprouué cette fortune en mes der- nieres*, ie croyrois m’abaisser trop, & ne pas assez conseruer x, « Je m’étendrais ici sur l'obligation que je lui ai de ma chaire de pro- fesseur, avee quelle bonté il m’a toujours servi de patron et d'aide, » Regius dans sa Réponse imprimée (Responsio, sive Nota in Appendicum... D. G. Voe- Hi..., Utrecht, 1642) traduit «Vhonnéte lettre » de Descartes jusqu’icl, puis supprime ce qui suit, jusqu’a Vallusion & Térence, et reproduit presque tex- tuellement le reste, dvee quelques additions personnelles, 2, Lors des theses présentées par Regius le 8 décembre 1641, les étudiants de lettres, philosophic et droit s’étaient joints nombreux a ceux de médecine et théologie pour chahuter la séance (cf. Epistola ad P, Dinet, A.T. VIL, 585 et ALT. TIT, 462-464). 497 JANVIER 1642 79 Ja dignité du lieu que nostre tres-sage Magistrat m’a fait ’hon- neur de vouloir que ioccupasse en cette Academie, si ie m’y exposois d’orénauant. Non pas que ie sois fasché pour cela, ny que je pense deuoir aucunement estre honteux de ce qui s'est passé ; car, au contraire, ces faiseurs de bruit ayant tou- siours interrompu nos réponses, auant que de les auoir pa entendre, il a esté tres-aisé A remarquer, que nous n’auons point donné occasion 4 leur insolence par nos fautes, mais gous estoient venus 4 nos disputes tout a dessein de les troubler, d’empescher que nous ne puissions auoir le temps de faire entendre nos raisons. Et l’on ne peut iuger de 1a autre chose, sinon que mes ennemis, en se seruant d’vn moyen si sediticux & si injuste, ont témoigné qu’ils ne cherchent pas la verité, & qwils n’esperent pas que leurs raisons soient si fortes que les miennes, puis qu’ils ne yeulent pas qu’on les entende. Et quand on ne s¢gauroit pas que ces troubles m’auroient esté procurez par l’artifice d’aucuns ennemis, sed d solé iuuencum aliquorum lasciutéd', on scait bien que les meilleures choses, estant exposées au public, sont aussi souuent suiettes 4 cette fortune que les plus mauuaises ou impertinentes. Ainsi on estoit autres-fois fort attentif aux badineries d’vn danceur de corde, 14 ot ceux qui representoient vne tres-belle & tres-elegante Comedie de Terence®, estoient chassez du theatre par de tels battemens de mains ; ainsi, &c. Ces raisons donc me donnent suiet de publier plutost cette réponse que de faire des Theses ; ioint aussi qu’on peut micux trouuer la verité, en examinant a loisir, & de sens froid, deux écrits opposez sur vn mesme suiet, que non pas en la chaleur de la dispute, ob ’on n’a pas assez de temps pour peser les raisons de part & d’autre, & ot la honte de paroistre vaincus, si les nostres estoient les plus foibles, nous en oste souuent la volonté. C’est pourquoi ie le supplie de la receuoir en bonne part, comme ne |’ayant faite que pour luy plaire, & luy témoigner que ie ne suis pas si negligent, que de manquer de satisfaire 4 ’honneste semonce quwil m’a faite, par ses Theses, de faire voir au public les Tai- sons que i’ay pour soutenir les opinions qu’il a impugnées ; & ce, pour le bien general tottus ret litieraria® : , & particuliere- 1, «mais seulement par la pétulance de quelques jeunes gens, » 2. Cf, Térence, Hécyre, Prolog. I, 4-5 ; et Prolog. II, 33-35. 3. ¢de la république des lettres », 498 80 LETTRES A REGIUS ment pour le bien & la gloire de cette Vniuersité ; & que ie Vhonoreray & estimeray tousiours vt patronum, fautorem amicts- simum, &c. Vale. mi Apres yne lettre de cét argument, ie ferois imprimer : Domini Gisberti Vo8tit preaefatiuncula, ad Doctiss. expertiss. Medic. &C.y vsque ad Thesim primam., RESPONSIO AD PRA FATIONEM? Que ie loiie icy grandement sa ciuilité & sa courtoisie, de ce que, nonobstant le pouuoir que sa Theologie, qui est la principale science, Iuy donne sur toutes les autres, & celuy que sa qualité de Recteur luy donne particulierement en cette Academie, il n’a pas voulu traiter des matieres de Physique, sans vser de quelque excuse enuers les Professeurs en Philo- sophie & en Medecine. Que ic suis fort d’acord auec luy de ce qu’il blame les adolescentes, qui vix elementis Philosophie imbuti, absque euidenti & valida demonstrationum euictione, omnem sco- larum Philosophiam exsibilant, antequam terminos intellexerint, eorumque notione destitui, authores superiorum facultatum sine fructu legant, lectionesque & disputationes, tanquam muta per- Sonee aut statuce, audire cogantur. Sed quia valde diligenter ipsos hoc in exordio admonet, ne tam facilé id agant®, & comme si c’estoit vne faute ordinaire, laquelle faueeabd a ésté inconnué iusques 4 present, non immerito susptcor hoc de solis auditoribus meis intelligi* : car ?ay déja sceu que quelques-vns, estant ialoux de voir les grans progrez que mes auditeurs faisoient en peu de tems, ont tasché de décrier ma fagon d’enseigner, en disant 1, «comme un patron et un protecteur trés zélé, ete. Adieu », 2. «Petite préface de M. Gisbert Vottius, A M... trés docte, trés expéri- menté médecin, ete., jusqu’A la premiére thése. REPONSE A LA PREFACE. > Cf ACT. I, 511-512. 3. «ces jeunes gens qui a peine instruits des premiers éléments de la phi- losophie, et destitués de cette conviction que donne a Vesprit l’évidence et Ja force’ des démonstrations, sifflent tout ce qui est de la philosophie de Técole avant d’en avoir compris les termes, et qui, privés de la connaissance de ces choses, [se voient dans la nécessité] de lire sans fruit les auteurs qui traitent des sciences supérieures, et se voient réduits a écouter les legons et les disputes qu’on y fait comme des personnes muettes et comme des sta- tues [de Dédale], Mais le soin qu'il prend de les avertir dans son exorde de se précautionner [contre ces erreurs]... » 4. cjrentre dans des soupgons légitimes que vous ne parlez ici que de ceux qui prennent mes legons, » 499 500 JANVIER 1642 or ue Je negligeois de leur expliquer les termes de la Philosophie, ainsi que ie les laissois incapables d’entendre les liures ou les autres Professeurs, & que ie ne leur apprenois que certaines subtilitez, dont la connoissance leur donnoit apres cela tant de Presomption, qu’ils osoient se mocquer des opinions communes. Et, pour ce suiet ie me persuade que Monsieur Voétius (ou Rector magnificus &c. ; donnez-luy les titres les plus obligeans & les plus auantageux que yous pourrez), ayant esté auerty de cette calomnie, en a voulu toucher icy vn mot en passant, afin de me donner occasion de m’en purger ; ce que ie feray facilement, en faisant voir que ie ne manque pas d’expliquer tous les termes de ma profession, lors que les occasions s’en Presentent, bien que i’aye encore plus de soin d’enseigner les choses. Et ie veux bien confesser que, d’autant que ie ne me sers que de raisons qui sont tres-euidentes & intelligibles & ceux qui ont seulement le sens commun, ie n’ay pas besoin de beaucoup de termes étrangers pour les faire entendre 5 & ainsi, qu’on peut bien plutost auoir apris les veritez que i’en- seigne, & trouuer son esprit satisfait touchant toutes les ptin- cipales difficultez de la Philosophie, qu’on ne peut auoir apris tous les termes dont les autres se seruent pour expliquer leurs opinions touchant les mesmes difficultez, & auec tous lesquels ils ne satisfont jamais ainsi les esprits qui se seruent de leur raisonnement naturel, mais les remplissent seulement de doutes & de nuages. Et enfin, que ie ne laisse pas d’enseigner aussi les termes qui me sont inutils, & que, les faisant entendre en leur vray sens, celerius @ me quam vulgo ab alijs discunturt, Ce que ie puis prouuer par l’experience que plusieurs de mes auditeurs ont faite, & dont ils ont rendu preuue en disputant publiquement, apres n’auoir étudié que tant de mois, &c. Or ie m’assure qu’il n’y a personne de bon sens, qui ose dire qu’il y ait rien 4 blamer en tout cecy, ny mesme qui ne soit grande- ment a priser. Et, si enim scepe hinc contingat,vt qui mea audiue- runt, ea que ab aliis in contrarium docentur, vt minus rationi consentanea, contemnant, vel etiam, si placet, exsibilent®, on n’en doit pas reietter la faute sur ma fagon d’enseigner, mais plutost x, ¢on les apprend en moins de temps de moi que du commun des philo- sophes ». ‘ . : 2, eet s'il arrive souvent de 1a que ceux qui ont pris mes legons méprisent, ou, si vous voulez, sifflent ce que les professeurs enseignent de contraire a mes sentiments, comme moins conforme a la raison », 6 501 82 LETTRES A REGIUS sur celle des autres, & les conuier 4 suiure la mienne autant qu’il leur sera possible, plutost que de la calomnier, & velle ipsam calumnid sud obruere, THESIS PRIMA, &c2 Responsio ad primam Thesim. Plané hic assentior sententia Domini Rectoris Magistri®, nempe quod innoxia illa entia, que formas substantiales & qua- litates reales vocant, non sint temeré de antiqua sua possessione deturbanda ; quin & ipsa nondum hactenus absoluté reiecimus, sed tantummodo profitemur nos ipsis non indigere ad causas rerum naturalium reddendas*, putamusque rationes nostras eo Ppracipué nomine esse commendandas, quod ab eiusmodi as- sumptis incertis & obscuris nullomodo dependeant. Quo- niam in talibus idem feré est dicere, se iis nolle vti, ac dicere, se non admittere : quia nempe ab aliis non aliam ob causam admittuntur, quam quia necessari@ esse putantur ad effec- tuum naturalium causas explicandas ; non difficiles erimus in confitendo nos illa plané rejicere. Neque id, vt spero, Mag. Rector vitio nobis vertet, quia dudum scolarum Philosophiam, nominatim Logicam, Metaphysicam, Physicam, si non accu- ratissimé, saltem mediocriter perdidicimus, & misera illa entia nullius vstis esse percepimus, nisi ad excecanda studiosorum ingenia, & ipsis, in locum docte ‘llius ignorantie, quam Rect. Mag. tantoperé commendat, superbam quandam aliam igno- rantiam obtrudendum. Sed ne partm liberales videamur, laudo etiam quod Mag. Rect. adolescentes 4 feroce contemptu & fuga studii Philosophici, atque insuper ab idioticd, rustica & superba ignorantid velit reuocare, nec vllomodo possum suspicari eum hic respexisse ad illam in meos auditores querelam, de qua paulo anté, quod scilicet vulgarem Philosophiam, meA intel- 3. «ct vouloir Vensevelir sous des ruines si odieuses » (trad. de 1724 : Des- cartes dénongait la calomnie, Regius adoptant ce texte y ajoute accusation de mordre par envie pour supplanter son enseignement), 2, Sur les essences (naiuris) et formes substanticlles : cf. A/T. III, 512. 3. Edition Adam-Milhaud, t. V, p. 120: magnifict, 4. Regius ajoute ici la référence aux Mééores indiquée par Descartes au début de cette lettre, JANVIER 1642 83 REPONSE A LA PREMIERE THESE Je souscris ici volontiers au sentiment de M. le recteur, qui dit qu’il ne faut pas chasser sans sujet de leur ancien domaine de [pauvres] :mnocents, c’est-a-dire ces éires qu’on appelle formes substantielles et qualités réelles ; pour nous jusquici nous ne les avons pas encore absolument rejetés. Nous déclarons seule- ment que nous n’avons pas besoin d’eux pour rendre raison des choses naturelles, et nous croyons que nos sentiments sont articuliérement recommandables, en ce qu’ils sont indépen- ants de ces €tres supposés incertains, [et dont on ignore la nature] ; mais comme en cette occasion c’est presque la méme chose de dire qu’on ne yeut pas se servir de ces tres, et de dire qu’onles rejette, parce que la seule raison qui les fait admettre aux autres est quiils les croient nécessaires pour expliquer la cause des effets naturels, nous ne ferons pas difficulté d’avouer que nous les rejetons entiérement, et M. Ie rceteur ne nous fera pas un crime de cela, comme je l’espére ; car il y a déja long- temps que nous sommes instruits, sinon parfaitement, du moins médiocrement, de la philosophie des colléges, et nommément de la logique, de la métaphysique*; et nous avons reconnu que ces misérables étres ne sont d’aucun autre usage que davengler Vesprit de la jeunesse, et de mettre a la place de cette docte igno- vance, que M. le recteur rend si fort recommandable, une autre espéce d’ignorance pleine de vanité [et de préscmption] : mais pour n’étre pas en reste de libéralité avec M. le recteur, je le loue aussi de vouloir ramener a 1’étude de la philosophie les jeunes gens qui ajoutoient a I'éloignement et au mépris brutal u'tls avotent pour elle wne ignorance grosstéve, rustique et orgueil- Ege Seal ah cg aes are) gee mpl et Go ici en vue les plaintes qu'il forme contre mes écoliers, comme je l’ai déja dit, de ce qu’aprés avoir gofté ma philosophie ils n’ont que du mépris pour celle de I’école : car je croirois faire * de Ja physique (omis par le traducteur). 502 84 LETTRES A REGIUS lecta, contemnant. Neque enim fas puto, existimare tam pium virum, ab omni maledicendi studio tam alienum, & mihi priua- tim summé amicum, tam alienis nominibus vti voluisse, vt cogni- tionem Philosophie quam doceo, queque tam vera & aperta est, vt qui semel ipsam didicit, alias facile contemnat, rusti- cam, idioticam, & superbam ignorantiam appellet, contemptumque istum opinionum que false cxistimantur, ortum ex cognitione Philosophie verioris, vocet ferocem, & fugam studii Philoso- phict ; tanquam si, per studium Philosophicum, nil nisi stu- dium earum controuersiarum, in quibus nulla vnquam certa veritas habetur, non autem studium ipsius veritatis, sit intelli- gendum!. THESIS SECVNDA, &c.? Responsio ad Thesim secundam, &c. Duodecim hic puncta proponuntur, que optimé paulo anté ab ipso Mag. Rectore preiudicia & dubia fuerunt appellata ; quia nihil affirmandi, sed dubitandi tantim, occasionem dare possunt iis qui magis praiudiciis quam rationibus mouentur, erfacilé soluuntur ab iis qui rationum momenta examinant. In primo, quetit an conciliari_possit opinio negans formas substantiales cum sacr@ scripturd. Qua de re nemo potest dubi- tare, qui tantim sciet Prophetas & Apostolos, aliosque qui dic- tante Spiritu Sancto sacras scripturas composuerunt, de Enti- bus istis Philosophicis, & extra scolas plané ignotis, nunquam cogitasse. Ne enim aliqua sit ambiguitas in verbo, hic est no- tandum, nomine forme substantialis, cum illam negamus, intel- ligi substantiam quandam materie adiunctam, cum ipsa totum aliquod meré corporeum componentem, queque non minis, aut etiam magis quam materia, sit vera substantia, siue tes per se subsistens, quia nempe dicitur esse Actus, illa ver6 tantim Potentia. Huius autem substantie, seu forme substantialis, in rebus meré corporalibus, 4 materid diverse, 1, Regius adopte cette réponse et y ajoute plus de deux pages. 2. Cf, A.T. IIL, 512-5r4. Descartes ne retient que sept points sur les douze qu'elle comportait, Regius reprendra son texte et répondra Ini-méme aux cing autres points. JANVIER 1642 85 injure & sa piété, A 1'€loignement infini qu'il a pour la médi- sance, et a l’amitié qu'il m’a toujours témoignée, de croire qu'il ait youlu se servir de termes si impropres pour mépriser la phi- losophie que j'enseigne, qui est de si véritable et si claire, que dés qu’on l’a apprise on méprise les autres, pour la traiter d’idiote et de rustique et d’ignorance orgueilleuse ; et pour appeler jéroce et fuite de V'étude de la philosophie le mépris que Von fait des opinions qui sont regardées comme [trés] fausses et qui ne vient que de la connoissance d’une philosophic plus véritable, comme si par étude de la philosophie il ne falloit entendre que Vétude de ces controverses oft ne se trouve jamais une vérité certaine, et non l’étude méme de la vérité, REPONSE A LA SECONDE THISE, etc. On prouve ici douze points auxquels M. le recteur a donné a juste titre, un pen auparavant, le nom de préjugés et de doutes, Parce quiils ne donnent occasion de rien assurer, mais seule: ment de douter, 4 ceux qui sont plutét entrainés par les préju- gés que par les raisons, quoique ces doutes n’embarrassent pas ence ceux qui examinent la force des raisons. Dans la premicre, i] demande si on peut conciliey avec I’ Ecri- iuve sainte le sentiment de ceux qui nient les formes substantielles. On n’en sanroit douter, pourvu qu’on sache que les prophetes, les apétres, et les autres écrivains sacrés, qui ont écrit par Vins- piration du Saint-Esprit, n’ont jamais pensé a ces étres philo sophiques et inconnus hors des écoles ; et pour 6ter toute équi- yoque dats les mots, il faut observer que, par les formes substan- tielles que nous nions, on entend une certaine substance jointe a la matiére, et qui compose avec elle un certain tout purement corporel, et qui n’est pas moins une substance ou un étre qui subsiste par lui-méme, que la matiére ; [et l’on peut dire que c’est encore a plus juste titre], puisque l’on dit qu’elle est un acte, et que la matiére n'est appelée que puissance. Or nous croyons que l’Ecriture sainte ne fait nulle part mention de cette substance ou de cette forme substantielle, différente de la matiére dans les choses purement corporelles ; et pour faire 593, 86 LETTRES A REGIUS nullibi plané in sacra scriptura mentionem fieri putamus. Atque inter cetera, vt agnoscatur quam parim yrgeant ea loca scrip- ture, que a Mag. Rect. hic citantur, puto sufficere si omnia referamus. Nempe, Gen. 1, vers. 11, habetur ; Et ait : Ger- minet terra herbam virentem & facientem semen, & lignum pomi- ferum faciens fructum iuxta genus suum. Et 21 : Creauit Deus cele grandia, & omnem animam viuentem atque motabilem, quam produxerunt aque in species suas, & omne volatile secundum ge- nus suum, &c. —Ie vous prie de mettre tous les autres pas- sages', car ie les ay tous cherchez, & ie ne voy rien qui serue aucunement A son suiet. — Neque enim potest dici verba gene- ris aut speciei designare differentias substantiales, cum sint etiam genera & species accidentium ac modorum, vt figura est genus, respectu circulorum & quadratorum, que tamen nemo suspi- catur habere formas substantiales, &c. 2. Veretur ne, si formas substantiales in rebus puré materialibus negemus, dubitare etiam possimus, an detur aliqua in homine, illo- rumque errores qui Animam Mundi Vniuersalem aut quid simile imaginantur®, non tam feliciter & tuto retundere, qudm asser- tores formarum. Ad secundum addi potest, econtra ex opinione affirmante for- mas substantiales, facillimum esse prolapsum in opinionem eorum qui dicunt Animam humanam esse Corpoream & Mor- talem ; que cum agnoscitur sola esse forme substantialis, alias autem ex partium configuratione & motu constare, maxima hec eius supra alias prerogatiua ostendit ipsam ab iis natura differre, & nature differentia viam aperit facillimam ad eius Immaterialitatem Immortalitatemque demonstrandam, vt in Me- ditationibus de prim Philosophia nuper editis videri potest® ; adeo yt nulla excogitari possit, hac de re, opinio Theologie magis fauens. Ad quintum. Absurdum sané sit pro iis qui ponunt formas substantiales, si dicant ipsas esse immediatum suarum actio- 1, Ce premicr point de la seconde these renvoyait A Gen., 1, 11, 21, 22, 24, 25. Proverb, 30, 24-28 (cf, AT. IIT, 513). Regius reproduisit tous ces textes sans commentaire, comme Descartes le lui conseillait. 2. Cf. AT. IIL, 513. Voétins craignait qu’en niant la forme substantielle constituant l'unité du composé, on ne favorise les théses faisant de 1'ame un mélange (Galien), une parcelle du soufife divin on ame du monde [stoiciens ; cf. Horace, Sat. II, 2, 79], l'intellect universel d’Averroés, ou un esprit empri- sonné et 1ié au corps comme Prométhée au Caucase (Platon). JANVIER 1642 87 connoitre aux autres combien ces passages de l’Hcriture que M. le recteur nous oppose sont peu pressants, je crois qu’il suffira pour cela de les rapporter tous. Il est dit au premier cha- pitre de la Genése, vers. 11 : Dieu dit encove que la terre pousse de Vherbe qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent des fruits chacun selon son espéce. Wit vers. 21 ; Diew créa donc Jes grands poissons et tous les animaux qui ont la vie et le mouvex ment, que les catx produisent, chacun selon son espéce, et tl créa ausst tous les oiseaux selon leur espece, etc. «Je vous prie de » mettre tous les autres passages ; car je les ai tous cherchés, » et je ne vois rien qui serve aucunement A son sujet. »Car on ne peut pas dire que les mots de genre ou d’espéce désignent des différences substanticlles, puisqu’il y a aussi des genres et des espéces d’accidents et de modes, comme la figure est genre & Végard des cereles et des carrés, sans que personne s'avise ja- mais de croire que ces choses aient des formes substantielles, etc. 2. Il appréhende gue si nous nions les choses substantielles dans les choses purement matérielles, nous ne puissions ausst douter s'il y ena une dans Vhomme, et que nous ne puissions pas st heuveusement et si sincérement combattre l’erveuy de ceux ui imaginent une dme universelle du monde, ou quelque chose e semblable, que les partisans des formes substanticlles. On peut ajouter au second point, qu’au contraire le senti- ment qui établit les formes substantielles peut trés facilement nous faire tomber dans l’opinion de ceux qui disent que l’ame humaine est corporelle et mortelle, laquelle étant seule recon- nue forme substantielle, ct les autres ne consistant que dans la configuration et le mouvement des parties, cette seule pré- rogative qu'elle a sur les autres montre clairement qu'elle dif- fére des autres en nature, et cette différence de nature nous fournit un moyen trés facile pour prouver son immatérialité et son immortalité, comme on peut voir dans les Méditations sur la métaphysique qu’on vient d’imprimer depuis peu ; en sorte qu’on ne sauroit inventer ]A-dessus une opinion qui con- vienne mieux aux principes de la théologie. 3 Au cinguiéme, Ceux qui admettent les formes substantielles tombent dans une grande absurdité en disant qu’elles sont le 3. La démonstration de Pimmortalité figurait dans le titre de 1a premiére dition latine des Méditations (aodt 1641), La 2° édition (mai 1642) annon- cera seulement la démonstration de la distinction entre Ame et corps ; mais LEpltre dédicatoire et l’Abrégé, inchangés, précisent comment cette s¢para- tion de nature rend possible l'immortalité (A.T, VIL, 3 et 13-14; IX, 5 et 9-40). 88 LETTRES A REGIUS num _principium!’; non autem absurdum esse potest pro iis qui formas istas a qualitatibus actiuis non distinguunt. Nos autem qualitates actuas non negamus, sed negamus tantim ipsis Entitatem aliquam maiorem quam Modalem esse tribuen- lam ; hoc enim ficri non potest nisi tanquam substantiz con- cipiantur. Nec etiam negamus habitus”, sed duplicis generis illos intelligimus : nempe alii sunt puré Materiales, qui a sola partium configuratione, aut alia dispositione, dey endent ; alii veré Immateriales, siue Spirituales, vt habitus fidei, gratie &c. apud Theologos, qui ab eA non pendent, sed sunt modi spiri- tuales menti inexistentes, vt motus, aut figura, est modus cor- poreus corpori inexistens, Ad octauum*, Vellem explicare, quomodo etiam automata sint opera nature, & homines in iis fabricandis nihil aliud faciant quam applicare actiua passiuis ; yt etiam faciunt dum triticum seminant, vel mulum generari curant ; quod nullam differen- tiam essentialem, sed tantim A natura inductam affert, valdé tamen facit differre secundim magis & minus, vt ais, quia pauce ille tote in horologio cum innumeris assibus, neruis, venis, arteriis, &c. vilissimi animalculo nullomodo sunt compa- randz, — Loca autem Scripture que citat’, essent hic rursus omnia afferenda, vt calumnia appareat ; nihil enim vrgent. Ad decimum®, Eodem titulo Geometria & Mechanicee omnes essent rejiciende ; quod quam ridiculum & & ratione alienum nemo non videt. Nec hoc sine risu possem pretermittere, sed non suadeo. 1. Cf. AT. 513 : Voétius taxe d’absurde la thése qui conduit a faire des substances créées le principe immédiat de leurs opérations, en supprimant les qualités actives par le moyen desquelles agissent ces substances. Descartes répond que Pabsurdité est précisément le fait de ceux qui (tel Voélius), iden- fifant qualités actives ct formes substantielles, les traitent comme des entites ou substances. 2 guts objecte qu’en admettant les seuls modes de mouvement, repos, quantité, position et figure, on ne peut maintenir contre les athées les habe, dus, ou dispositions stables, acquises, que la morale traditionnelle et la théo. logic plagaient au fondement des vertus, Descartes défend l'explication méca. niste des «habitudes > corporelles, mais maintient la spécificite des «habi- tndes » de lame, Cf. dautres textes sur ce point dans G. Lewis, Le probleme de Vinconscient et le Cartésiamisme, p, 96-100. 3. Vottius repousse I'univocité entre les automates, produits de Part, et {cs ceuvres de Dieu et de 1a nature, nées par création ou génération, et rele- vant de « facultés propres et intrinséques »; cf. A.T. TIT, st3. JANVIER 1642 89 principe immédiat de leurs actions : ce que l’on ne peut pas imputer 4 ceux qui ne distinguent point ces formes des qualités actives. Pour nous, nous ne tions pas les qualités actives, nous disons seulement qu’il ne faut pas leur attribuer aucune entité plus grande qu’une entité de mode ; car on ne peut le faire sans les concevoir comme [véritables] substances. Nous ne nions pas aussi les habitudes; mais nous les comprenons sous un double genre, les unes purement matérielles, qui dépendent de Ja seule configuration, ou autre disposition des parties ; et les autres immatérielles ou_spirituelles, comme les habitudes de la foi, de la grace, etc., dont parlent les théologiens, qui ne d pendent point d’elle, mais qui sont seulement des modes spi tituels existants dans l’Ame, comme le mouvement ou la figure est un mode corporel existant dans le corps. Au huitiéme, Je youdrois expliquer comment les automates sont aussi des ouyrages de la nature, et que les hommes en les fabriquant ne font qu’appliquer les choses actives aux passives, comme, par exemple, en semant du grain, ou en procurant la génération d’un muiet; ce qui n’apporte aucune différence essenticlle, mais seulement naturelle. Cette différence pourtant du plus ou du moins est grande, comme yous dites, parce que le peu de roues qui composent une horloge ne peuvent entrer en aucune comparaison avec le nombre infini d’os et de nerts, de veines, d’artéres, etc., qui se trouvent dans le plus vil de tous les plus petits animaux. Ce seroit encore ici le lieu d’appor- ter tous les passages qu’il cite de l’Kecriture sainte, afin que la calomnie parit, car ils ne forment pas la moindre preuve du monde. Au dixiéme, Donc il faudroit rejeter la géométrie et toute la mécanique. On sent le ridicule de cela, et rien n’est plus dérai- sonnable. Je ne pourrois jamais passer cet article sans rire [un peu A ses dépens] ; mais je ne vous le conseille pas. 4. Regius ajoute les textes dont Voétius ne donnait que les références : Ps, 104, 29 et 7, 14-15; Num. 16, 22 et 27, 16; Hebr. 11, 9-10; Habac. 2, 19. 5. «Si l'on attribue @ la quantité et la figure l'efficace et le mouvement, référés dordinaire aux formes et @ leurs qualités actives, il faut veiller qu’en conséquence certains jeunes imprudents n’admettent cet axiome Magique, rejeté jusqu'ici par toute la théologie et la philosophie chré- tienne : la quantitd et la figure ont quelque efficace, et celle-ci soit par elle- méme, soit avec @autres concours, fournit comme un principe actif de transmu- tation. » (Cf, latin A.T. TIL, 513) : Descartes hésite a imputer cette absurdité @ Ia sottise ou a la méchanceté (a Dinet, A.T. VII, 596). 505 go LETTRES A REGIUS Ad ondecimum.’ Non dicimus Terram a situ, positura & figura moueri, sed tantum disponi ad motum. Nec veré est circulus, ynam rem ab vna moueri, & ab alia disponi ad mo- tum. Nec etiam vitiosus est circulus, quod yvnum corpus moueat aliud, & hoc moueat tertium, & hoc tertium moueat rursus primum, si prius moueri desicrit ; vt neque est circulus, quod ynus homo pecuniam tradat alteri, quam hic alter tradat ter- tio, qui tertius primo rursus tradere potest. Ad duodecimum®. Qui dicunt per hac principia nihil expli- cari, legant nostra Meteora, & conferant cum Aristotelis Me- teoris ; item Dioptricam cum aliorum scriptis, qui de eédem materia scripserunt : & agnoscent opprobrium omne opinio- nibus 4 natura diuersis remanere. AD TERTIAM THESIM®'. Rationes omnes, ad probandas formas substantiales, appli- cari possunt forme horologii, quam tamen nemo dicet substan- tialem, AD QVARTAM THESIM}. Rationes, siue demonstrationes Physice, contra formas subs- tantiales, quas intellectum veritatis auidum plane® cogere arbi- tramur, sunt in primis hec 4 priori Metaphysica, siue Theo- logica. Quod plané repugnet yt substantia aliqua de nouo 1, A-T, IIT, 513-514 : Voétius dénonce comme « démonstration circulaire » la régression a Vindini : p. ex. comment se meut la terre ? parce que se meuvent sa situation, sa position, sa figure (point rectifié ici par Descartes) ; et celles- ci ? par les atomes ou les éléments de I’éther, ete ? Alors d’ot vient ce mou- vement des atomes, ct pourquoi ? Or Descartes admet pour sa part le pro- grés 4 'infini dans la division des particules matériclles, permettant préci- sément leur mouvement tourbillonnaire (cf, A Mesland, 2 mai r644, A.T. IV, r12-113 et Principes, I, a. 33-34) et dissocie l'étude physique du’ mou- vement (sa enature ») et attribution de sa cause premiére a Dieu qui l’a eréé et le conserve également (7., IT, a. 36). 2. Voétius accuse ses adversaires de stérifité dans l’explication et la démons- tration (A.T. TIT, 514). JANVIER 1642 9r A Ponsiéme. Nous ne disons pas que la terre se meuve par rapport a sa situation, a sa position et & sa figure, mais seule- ment qu’elle est disposée [par 14] au mouvement. Ce n'est point non plus faire un cercle [dans le raisonnement], de dire qu'une chose est mue par une cause, et qu’elle est disposée au mouve- ment par une autre ; ce n’est point aussi un cercle vicieux qu'un corps en remue un autre, ce second un troisiéme, et ce troisiéme derechef le premier, si le premier cesse derechef d’étre ma; comme ce n'est pas un cercle qu’un homme donne de l’argent a un autre, lequel le donne a un troisiéme, et ce troisitme le redonne au premier. Au douzieme, Ceux qui se plaignent que nous n’expliquons tien par ces principes n’ont qu’a lire nos Météores, et les con- fronter avec ceux d’Aristote ; ils peuvent lire aussi ma Diop- trique, avec les écrits de ceux qui ont trayaillé sur la méme ma- titre, et ils reconnoitront sans peine que tout le déshonneur [et toute la honte] ne retomberont que sur des opinions qui sont si €loignées de la [simple] nature REPONSE A LA TROISTEME LETTRE, ete. Toutes les raisons qui servent de preuves aux formes subs- tantielles se peuvent appliquer a 1a forme de I’horloge, que per- sonne ne dira jamais étre substantielle. REPONSE A LA QUATRIEME THESE, etc. Les raisons ou les démonstrations physiques contre les formes substantielles, que nous croyons capables de convaincre tout esprit qui aime la vérité, sont principalement les suivantes, tirées de la métaphysique ou théologie naturelle, [et qu’on peut appeler] @ priori [ou preuye d’un effet par ses causes] : il est 3. A grand renfort d’autorités, Voétius présente trois raisons en faveur des formes substantielles (AT. IIL, 514-515). b 4. Défi d’apporter contre Jes «formes » une démonstration philosophique nécessaire », capable de convainere tout esprit qui aime la vérité : of. A.T. IIL, 515-516. “ 5. Ce €clairement » est ajouté par Descartes A la citation de Voétius. 506 92 LETTRES A REGIUS existat, nisi de nouo 4 Deo creetur ; videmus autem quotidié multas ex illis formis, que substantiales dicuntur, de nouo incipere esse, quamuis 4 Deo creari non putentur ab iis qui putant ipsas esse substantias ; ergo malé hoc putant. Quod con- firmatur exemplo Anime, que est vera forma substantialis hominis’; hec enim non aliam ob causam & Deo immediaté creari putatur, quam quia est substantia ; ac proinde, cum aliz non putentur eodem modo creari, sed tantim educi e potentia materiz, non putandum etiam est cas esse substantias. Atque hinc patet non eos qui formas substantiales negant, sed potius eos qui affirmant, ed tandem per solidas consequentias adigi posse, ot fiant aut Bestie, aut Athei*. Nollem itaque vt rejiceres argu- mentum ab ortu formarum petitum, nec Thersiticum appel- lares®, quia videtur ad hoc referri; sed ponerem tantim, ca qu ab aliis e& de re dicta sunt nos non tangere, quoniamipsos non sequimur. Altera demonstratio petitur 4 fine, siue vsu, for- marum substantialium ; non enimaliam ob causam introducte sunt a Philosophis, quam vt per illas reddi posset ratio actio- num propriarum rerum naturalium, quarum hec forma esset principium & radix, yt habetur in Thesi precedenti. Sed nul- lius plané actionis naturalis ratio reddi potest per illas formas substantiales, cum earum assertores fateantur ipsas esse occul- tas, & 4 se non intellectas ; nam si dicant aliquam actionem procedere 4 forma substantiali, idem est ac si dicerent, illam rocedere & re 4 se non intellecté, quod nihil explicat. Ergo ‘orm: ille ad causas actionum naturalium reddendas nullo- modo sunt inducende, Contra autem a formis illis essentia- libus, quas nos explicamus, manifeste ac Mathematice ra- tiones redduntur actionum naturalium, yt videre est de forma 1. Cf, "Introduction, p. 13. 2, Extrait de Ja 1? raison objectée par Voétius : par leur musique néfaste et pourrie, les adversaires soutiennent le renversement et Ia dérision de toute la saine philosophie, et par 1a les adolescents trop impradents sont conduits, Par de solides conséquences, a devenir des bétes ou des athées (cf, A.T. III, 515). 3, La rt raison de Regius sur l'inintelligibilité des formes et de leur ori- gine avait Gé présentée comme méritant la palme et digne d’Achille (III, 5x5). La grossiereté de la réplique de Voétius poussait Regius & évoquer Thersite, le lache de V'Hliade, louchard et botteux, dont Vinsolence fut cha- tiée par Achille. L’allusion était d’autant plus eruelie que Voétius s’était servi du méme terme pour discréditer un adversaire dans un véhément pamphlet : Thersites heautontimoroumenos,., Utrecht, 1635 (cf. A.T. VIII, B, 63). Mais JANVIER 1641 93 contre le bon sens que quelque substance que ce soit existe de nouveau, si Dieu ne 1’a créée de nouveau ; cependant nous ns tous les jours que plusicurs de ces formes qu’on nomme substantielles commencent d’étre de nouveau, quoique ceux qui les admettent pour substances ne croient pas que Dien les crée. Tis se trompent donc, ce qui est confirmé par l’exemple de l’dme, qui est la véritable forme substantielle de l’homme 2 car la véritable raison pent laquelle on croit que Dieu 1’a créée immédiatement dans chaque corps, c’est qu’elle est une subs- tance ; et par couséquent comme on ne croit pas que les autres soient créées de la méme maniére, mais seulement qu’elles sont tirées de la puissance de la matiére, il ne faut pas croire aussi qu’elles soient substances. On voit par 1a clairement que ce mest pas ceux qui nient les formes substantielles, mais plutét ceux qui les admettent, qui méritent a plus juste titre, par une sutie nécessaive de vaisonnement, le nom de bétes et d’athées, Je ne youdrois donc pas que vous rejetassiez la prenve tirée de Vorigine des formes substantielles, et que vous l’appelassiez une preuve de Thersite, parce qu’ell¢ y a du rapport *; je mettrois seulement que ce que les autres ont dit sur wane yous regarde ee parce que nous ne suivons point leur opinion. L’autre émonstration se tire de la fin ou de l'usage des formes substan- tielles ; car les philosophes ne les ont introduites que pour rendre raison des actions propres des choses naturelles dont cette forme seroit le principe et la source, comme on voit dans la these pré- cédente ; mais ces formes substantielles ne sauroient nous four- nir une raison solide d’aucune action naturelle, puisque leurs partisans avouent qu’elles sont occultes, et qu’ils ne les com- Peete pas ; car s'ils disent que quelque action procéde d’une ‘orme substantielle, c’est la méme chose que s’ils disoient qu’elle procéde d’une chose qu’ils ne comprennent pas, ce qui nrexplique rien. Ainsi il ne faut se servir en aucune maniére de ces formes our rendre raison des actions naturelles; au contraire, les formes essentielles telles que nous les admettons, nous four- nissent des raisons certaines et mathématiqnes pour rendre raison des actions naturelles, comme on le peut voir dans mes *. Le traducteur de 1724 ajoutait ici cette glose : «en ce qu'elle est don- née par des ayeugles », ce qui paraft rendre imparfaitement le sens de 1’allu- sion. Descartes veut atténuer les expressions trop dures, effet de Vindignation (ci- dessus, p. 493). 507 94 LETTRES A REGIUS salis communis in meis Meteoris!. Et hic subiungi potest que habes de motu Cordis?. AD QVINTAM THESIM?. Quod tam sepe iactat de doctd ignorantié, dignum est expli- catione. Nempe, cum scientia humana sit admodiim limitata, & totum id quod scitur, feré nihil sit, comparatum cum iis que ignorantur, doctrine signum est, quod quis liberé fateatur se ignorare illa que re vera ignorat : & in hoc proprié docta ignorantia consistit, quia scilicet est peculiaris eorum qui veré docti sunt. Nam alii qui vulgd doctrinam profitentur, nec ta~ men veré docti sunt, non valentes ea dignoscere, que nemo eruditus ignorat, ab iis que sine dedecore vir doctus fateri potest se ignorare, omnia ex equo se scire profitentur ; atque ad facilé reddendas omnium rerum rationes (si tamen ratio vllius rei reddatur, cum explicatur obscurum per obscurius), formas substantiales & qualitates reales excogitarunt ; qua in re ipsorum ignorantia nequaquam docta, sed tantim superba & pexdagogica dici debet*; in hoc enim manifesta superbia est, quod ex eo solo, quod naturam alicuius qualitatis ignorent, concludunt ipsam esse occultam, hoc est omnibus hominibus imperscrutabilem, tanquam si ipsorum cognitio esset mensura omnis humane cognitionis. AD SEXTAM®. Non video hominis ratiocinium in iis que de me inserit. Ait me in dissertatione de Methodo non satis euidenter de- 1. Discours II, A.T. VI, 249. 2. Regis a amplement développé ce point dans sa Réponse. 3. Pour défendre les « qualités occultes », Voétius y invoque la «docte ignorance « (A... III, 517). 4, Ici Regits a adouci le texte de Descartes, appelant seulement cette igno- rance : il projette un exposé latin intitulé Summa philesophiae (A.T. TI, 523), qui deviendra les Principia (1644). 2. Sie (pro nulli 2). On peut aussi supposer nullomodo, (Note A.T.). FIN DE FEVRIER 1642 105 Pas nécessaire, Bien des choses me détournent tous les jours de ma Philosophie, que j'ai pourtant résolu d’achever cette année ; au reste obéissez exactement et avec plaisir a tout ce que MM. vos magistrats vous ordonneront, et soyez assuré qu'il ne sauroit vous en atriver aucun déshonneur. Méprisez les dis- putes que l’on fera contre vous ; et dites seulement que s'ils ont quelque chose de bon a dire, ils n'ont qu’'a vous le donner par écrit, et que vous ne pouvez y répondre autrement, Adieu. A. T. II, 535 536 XII DESCARTES a REGIUS, [Endegeest, mars 1642.]* Vir Clarissime, Gratulor tibi, quod pessectioner patiaris propter verita- tem ; gratulor, inquam, & ex animo : non enim video tibi quic- quam mali ex istis turbis posse contingere, sed contra glorie tuz multum accedet. Letari debes quod Deus inimicis tuis consilium ac bonam mentem ademerit ; vides enim iam prohi- bitione libri tui nihil aliud effectum esse, nisi tantim vt cupidits ematur, accuratits examinetur, cius? iniguitas & cause tua bonitas 4 pluribus agnoscatur. Plures iam aduertent quam acerbé, quam iniurios¢, ac quam sine causa, sola inui- dentia sua permotus, te ille prior lacessiuerit ; et contra tu quam modesté, quam leniter, quam etiam (quod sané indignissi- mum est) reuerenter responderis, & quam iustw ac graues causze te ad respondendum coégerint. Plures agnoscent quam infirme sint rationes omnes quibus tuas opiniones impu- gnare conatus est, & contra quam valide sint e@ quibus ipsum refutas. Plures concludent nullas amplius ei superesse ad tibi respondendum. Atque omnino plures indignabuntur, quod tan- tum possit contra ius & fas in vestra ciuitate, vt ei licuerit x, Réponse a une lettre de Regius du 5 mars. Le texte publié par Clerse- lier, a évidemment été formé par la juxtaposition de deux projets de ré- ponse, ayant une partie commune, mais differant pour le reste. Le second projet développe plus longtemps et sur un autre plan les mémes idées que le premier, dont il reprend parfois les phrases (note A.T.). 2. On altendrait : « Vottii » (note A.T.). XII A M. REGIUS. MONSIEUR, Je vous félicite de 1a perséeution que vous soufirez pour 1a vérité ; je vous en félicite, dis-je, de tout mon coeur, car je ne vois pas qu’il puisse vous arriver le moindre mal de tous ces troubles ; au contraire [je prévois] pour vous une augmenta- tion de gloire. Vous devez vous réjouir de ce que Dien a até A vos ennemis la prudence et le bon esprit. Vous voyez ce qu’ils ont gagné en faisant défendre votre livre ; on n'est que plus empress¢ A l’acheter, on l’examine plus attentivement, la bonté de votre cause et la malignité de votre ennemi en sont connues d’un plus grand nombre de personnes. Plus de personnes s’aper- cevront désormais que ce a’est que par jalousie et sans sujet quwil vous a attaqué le premier avec aigreur et malignité, tan- dis que vous de votre cété, ayant [tous] les sujets [du monde] dentrer dans une juste défense*, lui avez répondu avec modes- tie, avec douceur, et méme [(triste situation pour un honnéte homme)] avec un respect qu'il ne mérite pas, Pins de personnes, [dis-je] connoitront la foiblesse des raisons avec lesquelles ii attaque vos opinions, et en méme temps la force de vos réponses. De la plus de personnes concluront qu’il n’a plus rien de bon & vous répondre, et seront justement indignées [contre lui] de ce qu'il a assez de pouvoir dans votre ville, contre toute justice, pour vous traiter fimpunément], dans un écrit public, d’athée et de béte, yous donner d’autres noms odieux, et employer *. Le latin dit : et combien sont justes et solides les raisons qui vous ont poussé a vous défendre. 537 538 108 LETTRES A REGIUS ublico scripto te Atheum, Bestiam, & aliis eiusmodi nomini- us vocare, falsasque adhibere rationes ad falsis te criminibus onerandum ; tibi veré nequidem liceat verissimis vti ratio- nibus, verbisque modestissimis ad te purgandum. Egregium! veré est quod audio ab ipso proponi, vt nempe verbis sibi liceat in te disputare apud delegatos, qui iudicent vter superior sit futurus; haud dubié quia cius rationes, dum adhuc calent, yt quedam iuscula, sunt sorbende, & cum frigescunt, corrumpuntur. Hac in re, vt & in aliis multis, est St(ampioenio) nostro simillimus ; et sané non iudico tibi quic- quam 4 tali aduersario esse metuendum. Quid enim deinceps moliri potest ? forté vt tibi prohibeatur 4 Magistratu, ne amplius doceas ea qux soles docere ? Forté etiam yt tanquam falsa & heretica condemnentur ? Forté denique, quod extremum est, vt tu ipsemet tuo docendi munere priueris ? Sed nec puto Consules vestros tam illi fore obsequentes, vt quicquid ei pla- cuerit decernant. Quinimo neminem ex iis esse existimo, cui non facile suboleat, quam ob causam tum 4 Voétio, tum ab aliis plerisque ex tuis collegis, philosophia tua tam acriter impu- gnetur : nempe quia verior est quam vellent, rationesque habet tam manifestas, yt erroneas ipsorum opiniones etiam non impu- gnando euertat, & ridiculas esse ostendat. Nam sané illi vitio vertere non possunt, quod sit noua, quoniam illi etiam Phi- losophi quotidie nouas excogitant opiniones, & inde maximé gloriam quzrunt, nullusque vnquam hoc prohibuit ; sed nempe illas sibi mutuo non inuident, quia veras non putant ; neque etiam tibi tuas inuiderent, si falsas esse arbitrarentur. At certé Magistratus, qui hactenus non prohibuerunt ne docerent nouas & falsas, non vetabunt etiam ne doceas nouas&veras. Et quam- uis forte nonnulli, qui tricas istas scolarum, vtpote ad bené regendam Rempublicam minimé ytiles, nunquam didicerunt, gquitatem cause tue non videant, confido tamen ipsos tam equos & prudentes fore, vt non magis testimonio tuorum aduer- sariorum sint credituri, quam tuo ; & vel vnicum D, V?., qui veritatem totius controuersi proculdubio recté intelligit, satis authoritatis apud collegas suos esse habiturum, yt te ab omni iniuria deffendat. Sed, etiamsi aliter contingeret, ac vel pro- 1. On peut faire commencer ici, et poursuivre jusqu’a Ja fin de V’alinéa, Ja partie du premier projet de réponse que Descartes aurait refaite ensuite (note A.T.). 2. Van der Hoolekg : ef. p. 54, . 2. MARS 1642 109 {mille] mauvaises raisons pour vous charger de crimes suppo- sés et débiter ses calomnies, tandis qu’il ne yous est pas per- mis d’avoir recours 4 la vérité, et de vous justifier en vous setvant des termes les plus modestes. Je trouve en vérité admirable qu'il propose qu’il lui soit permis de disputer avec vous devant des commissaires qui puissent juger du fond de l’affaire*: apparemment que ses taisons sont de la nature de ces potions qu'il faut avaler toutes chaudes, et qui ne sont plus bonnes quand elles sont froides veritable singe en cela, comme en plusieurs autres choses, de notre St(ampion). En bonne foi, je te vois pas que vous ayez tien a craindre d’un tel adversaire. Que peut-il faire contre vous davantage ? vous faire peut-étre défendre par le magistrat denseigner ce que yous avez coutume d’enseigner, on de faire condamner votre doctrine comme fausse et hérétique ; ou enfin, ce qui seroit de pis, yous obliger de vous démettre de votre chaire : mais je ne crois pas que vos consuls poussent leur com- plaisance pour Ini jusqu'an point de statuer tout ce qui pour- roit lui plaire. Bien plus, je ne crois pas qu'il y ait un seul d’eux tous qui ne sente les motifs qui poussent Voétius, et la plupart de vos autres collégues, 4 attaquer avec tant d'aigreur votre philosophie : je veux dire qu’elle est plus vraie qu’ils ne souhai- teroient, et que vos raisons sont si claires, qu’elles sapent jusques au fondement leurs opinions erronées, et les rendent méme ridi- cules sans les attaquer ; car enfin ils ne sauroient lui faire un crime de ce qu’elle est nouvelle, puisqu’ils mettent toute leur gloire 4 enfanter tous les jours de nouvelles opinions, sans que jamais aucun s'y soit opposé ; et la raison pourquoi ils ne se portent aucune envie la-dessus, c’est qu’ils ne les croient pas véritables, et ils n’anroient aucune jalousie contre les voties, sils les croyoient fausses ; mais du moins les magistrats qui ne les ont pas empéchés jusques ici d’enseigner ces opinions nouvelles et fausses, ne vous empécheront pas, fe pense], d’en- seigner les vtres qui sont nouvelles, mais véritables ; et quoique peut-étre quelques uns d’entre eux qui n’ont jamais appris toutes ces chicanes de l’école, comme trés peu utiles au gou- vernement de la république, ne voient pas la bonté de votre cause, cependant je me repose tellement sur leur équité et leur prudence que je me saurois croire qu’ils s’en rapportent plutét au témoignage de vos adversaires qu’au votre, et je suis per- suiadé que le seul M., qui sans doute entend trés bien le fond de la question, aura assez d’autorité sur [l'esprit de] ses col- légues pour empécher qu’il ne yous soit fait aucun tort. Mais quand la chose arriveroit autrement, et que par un événement * latin : quel sera le meifleur des deux, 539 110 LETTRES A REGIUS fessio, quod esset mirabiliter absurdum ac sine vllo exemplo, tibi auferretur, non tamen ideo tibi vel minimum dolendum esse arbitrarer, ne vllum in te dedecus, sed immortale in alios redundaret. Atque tunc profect6, vel crassa ignorantia, vel veri- tatis odium, vel ridenda in vestra ciuitate potentia toti mundo innotesceret. Quin etiam profecté, si tuo essem loco, vellem scire & Consulibus, quot ego haberem Dominos, & me potius sponte munere meo abdicare, quam Voétio seruire. Nec dubito quin breui, si velles, perfacilé alibi professionem & magis hono- rificam & magis ytilem esses habiturus ; citiusque mille alii 4 vestris inuenirentur, qui eadem qu tui aduersarii docerent, quam vnus qui cadem qua tu ; et tamen forté ille vnus magis 4 studiosis desideraretur. Quantum ad me, credidi hactenus me beneficio affectum esse A Dominis tuis, quod, cum scirent te 4 meis in Philosophia opinionibus non esse alienum, non ideo mints libenter te in professorem elegerunt ; ac forté etiam, vt mihi persuadere vo- luisti, ob hanc precipué causam elegerunt!. Hoc me peculia- titer illis deuinxit ; atque ideo valdé exopto, vt iactari possit apud Be steros, vestram ciuitatem omnium primam fuisse, in qua Philosophia nostra public fucrit recepta, quod spero ipsi dedecori non futurum, vt é contrario non esset laudi, si te nunc tutum ab aduersariorum iniuriis non prestaret. Debuit enim sciti ab iis qui te primim in professorem receperunt, fieri non posse vt ea noua que habebas, aliquid eximii continerent, quin statim plures eorum ex tuis collegis, qui satis ingenii non haberent ad eadem amplectenda, magnam inuidiam in te conflarent ; atque ideo parati esse debuerunt ad te contra hos protegendum. Nec sané ipsis erit difficile ; nam quid in te, vel per calum- niam, objici potest ? te scilicet noua docere ? Quasi verd in Philosophia hoc non sit tritum, vt quicunque non plané i ingenio sunt destituti nouas excogitent opiniones, atque inde maximé gloriam querant ; sed nempe illas sibi mutuo non inuident, ee veras non putant ; vt neque etiam tibi tuas inuiderent, si alsas esse arbitrarentur, An veré equum esset, cum ex alio- rum permittantur opiniones, que nouz sunt & false, vt tux prohiberentur, quia nougz sunt & vere? ? 1. Cf, la fin de la grande lettre de janvier, ci-dessus, III, 510, note 1, 2, Cf, chdessus (III, 537). MARS 1642 TIL aussi extraordinaire qu’absurde, et sans exemple, vous yous vertiez privé de votre chaire de professeur, je ne crois pas que vous dussiez vous inquiéter le moins du monde. Je n'y vois aucun déshoneur pour vous, mais une honte éternelle pour les autres, et alors votre ville [auroit le déplaisir de] voir expo- sées aux yeux de univers, ou Vignorance crasse, ou la hane de 1a vérité, ou un usage ridicule du pouvoir de ses magistrats. Bien plus, si j’étois A votre place, je voudrois savoir des consuls combien j’aurois de maitres, et renoncer plutét 4 mon emploi que de ramper devant Voétins. Je suis sar qu’en peu de temps, si vous le vouliez, vous auriez facilement ailleurs une chaire de professeur plus honorable ct plus utile, et on en trouveroit plutét mille qui enseigneroient les mémes choses que vos adver- saires, qu’un seul qui enseignAt ce que vous enseignez ; et ce- pendant ce seul homme sercit peut-€tre plus recherché par les amateurs de la science [que tous les autres ensemble] Pour ce qui me regarde, j’ai cru jusques ici avoir une véri- tabe obligation a vos magistrats, qui, sachant bien que vous n'étiez pas éloigné de mes principes de philosophie, n’ont pas été moins disposes & vous donner une ebatre te professeur, ou peut-tre méme y ont été principalement portés par ce motif, comme vous avez voulu me le persuader. C'est ce qui m’a atta. ché d'une maniére particulitre 4 eux, et c’est ce qui fait que je souhaite passionnément que la postérité puisse dire que votre ville a été la premiére de toutes oi notte philosophie ait été publiquement Tecue, ce qui ne leur fera, comme je l’espére, aucun déshonneur ; au lieu qu’il seroit honteux pour eux s'il étoit jamais dit qu’ils n'ont pas su vous mettre A couvert des mauvais traitements de vos ennemis, Car ceux qui vous ont nommé a la chaire du professenr ont dfi savoir que les opi- nions que vous enseignez ne Pouvoient avoir quelque chose d’excellent, sans exciter [infailliblement] l’envie de plusieurs de vos collégues qui n’avoient pas assez d’esprit pour embrasser les mémes sentiments ; ils oat done di étre préts a vous pro- téger contre eux. 7 Ce qui ne leur sera pas difficile ; car enfin de quoi la calomnie peut-elle vous accuser ? Que vous enseignez des choses nou- yelles, comme si ce n’étoit pas un usage commun dans la phi. losophie, que ceux qui ont quelque esprit inventent de nou- velles opinions, et cherchent par 1a a se faire un mom ; mais enfin ils ne se portent point naturellement envie, parce qwils ne les croient pas véritables, comme on n’envieroit point les vétres, si on les croyoit fausses. Mais quoi, est-il de la justice que, tandis qu’on souffre les opinions des autres, qui sont nouvelles et fausses, on rejette les vtres, parce qu’élles sont nouvelles et véritables ? 540 54t 112 LETTRES A REGIUS Magnum aliud crimen objicitur, quod in Voétium scripseris. Quasi veré sit aliquis sane mentis, quis legendo viriusque libel- lum, ac monitus eorum que pris ab illo facta fuerunt, non claré videat illum ipsum fuisse qui acerbissimé in te scripsit, calumniisque euertere conatus est ; te ver tantum nimis huma- niter ac nimis moderaté respondisse, eodem modo ac si, cum quis te ad occidendum stricto ense fuisset persecutus, tu ver6 manu ictum @ corpore auertisses, nihilque preterea egisses, nisi quod verbis quam humanissimis eius iram mollire conatus fuisses, ille furore ardens accusaret te, quod te A se occidi non permisisses. At forté Voétius ipse te non accusat, sed alii college ? tan- quam si obscurum esset illos eius voluntate id facere, eddemque in te inuidia flagrare ; ac tanquam si ideo iusta esset accusatio, quod impetum in te facientem repuleris, nec ille potius vt aggressor & calumniator sit puniendus. Calumniatorem ob id precipué appello, quod sciam ipsum te iniquissimé accusare voluisse, quod aliquas opiniones, Theologie vestre contra- tias, docuisses, cum tamen omnes tua melius quam vulgares cum Theologia consentiant, & facile esset, vel ex solis eius the- sibus de Atheismo!, quas vidi, per certas & cuidentes conse- quentias ostendere, illum potius esse quod de nobis falsé voluit credi. Quin, & si esset opere pretium ipsum qualis est descri- bere, artesque omnes eius detegere, talis forté appareret, vt ciuitati vestre foret indecorum, ipsum diutits in concionato- rem aut professionem retinere ; magna enim est vis veritatis. Vitimum & precipuum quod objicitur est Academia ves- tre detrimentum, quod ex professorum inimicitiis, yt inquiunt, orietur. At primo, non video quid priuate: iste inimicitiz Vniuer- sitati nocere possint ; nam econtra hoc efficiet, vt singuli, re- rehensionem aliorum metuentes, tanto diligentits officio suo ‘ungantur. Ac deinde, si vel maximé hoc noceret, certé alii potius, qui sunt inimicitiarum authores, quam tu, qui illas fugis, eo nomine essent deponendi. Nec dicent, opinor, tua dogmata talia esse vt studiosos auertant ab Academia vestra frequentanda ; nam audio te & satis multos auditores, & maximé insignes habere ; eaque videtur esse fortuna nostrarum opinio- num, non soliim apud vos, sed & aliis omnibus in locis, vt a x, Voétius multipliait les theses et les libelles contre l’athéisme (cf, AT. VIII, B, 208, 210) et dés 1639 il y attaquait Descartes, MARS 1642 113 _ On vous fait encore un grand crime d’avoir écrit contre Voe- tius ; mais pour peu de bon sens qu’on ait, on verra en lisant Vécrit de l'un et de l'autre, et sachant ce qui s'est passé aupa- ravant de sa part, que c'est Voétius qui a écrit contre vous d'une maniéres trés aigre [et trés piquante], et quil a tache de vous perdre par ses calomnies, et que toute la faute qui se trouve en vous, c’est de Ini avoir répondn avec trop d’honnéteté et trop de modération ; de sorte qu'on pourroit vous comparer a un homme qui seroit poursuivi par un ennemi |’épée nue, et qui ne feroit que détourner avec la main le coup [mortel], sans faite autre chose que de tacher par des paroles tres donces de ralentir sa colére, tandis que tui, plein de fureur [et de tage], vous accuseroit de ne vouloir pas sonffrir qu'il yous tuat. Mais peut-étre, [dira-t-on], ce west pas Voétins qui forme contre vous ces accusations, mais d'autres de vos collégues ; comme si l’on ne savoit pas bien qu’ils ne le font qu’en se com. formant & ses desseins, et qu’ils sont tourmentés de la méme jalousie, et comme si on avoit raison de yous faire un crime davoir repoussé celui qui vous attaquoit, enfin si on ne devoit pas le punir comme un [véritable] agresseur et un [vrai] calom- niateur, Je lui donne le nom de calomniateur, parce qu'il yous a accusé méchamment d’avoir enseigné certaines propositions contraires 4 votre théologie, quoique vos opinions s’accordent mieux avec la théologie que les vulgaires ; et il seroit facile de prouver par des couséquences certaines et évidentes tirées seulement de ses théses que j’ai vues sur l’athéisme, qu’il est plutét Iui-méme ce qu’il voudroit faire croire faussement de yous. Bien plus, s'il étoit nécessaire de le représenter tel qu'il est et de découvrir tous ses attifices, il paroitroit peut-étre tel, que ce seroit un déshonneur pour votre ville de le conserver plus long-temps dans le poste de prédicateur et de professeur ; car enfin la force de la vérité est grande La derniére ct la plus forte objection que J’on fait, est le dommage que votre académie recevroit, dit-on, des inimitiés qui se forment entre les professeurs : mais je ne vois pas en quoi ces inimitiés peuvent nuire 4 votre université ; au comtraire, il arriveroit de la que chacun en particulier craignant les re. proches des autres, ils s’attacheroient avec d’autant plus de soin a leur devoir. D’ailleurs quand ces brouilleries nuiroient {au corps], il faudroit déposer ceux qui sont les auteurs de ces inimitiés, et non pas ceux qui les fuient ; du moins il ne diroit pas, je pense, que vos dogmes sont de nature & détourner les jeunes gens des études de votre académie,car je sais que vous avez grand nombre d’auditeurs et des plus illustres, Jus- qu'ici nos opinions ont eu non seulement chez vous, mais dans tous les autres lieux, le bonheur d’étre gofitées et estimées des $42 IIg LETTRES A REGIUS prestantioribus ingeniis amentur & zstimentur, nec nisi a vilio- ribus ludi magistris, qui sciunt se falsis artibus ad aliquam eruditionis famam peruenisse, ideoque timent ne, cognita veri- tate, illam amittant, odio haberi. Et nisi me augurium fallit, spero fore, vt aliquando propter te vnum plures Academiam vestram sint adituri, quam propter omnes eos qui tibi aduer- santur ; nec forté ad hoc nocebit editio Philosophie quam paro!; adeé yt, si Domini vestre Ciuitatis ad vtilitatem & decus Academix sux respiciant, omnes potius tuos inimicos quam te vynum ejicient ; nam etiam facilis mille alios inuenient, qui eadem doceant qua illi, quam vnum qui cadem que tu?. Nec vereor ne forte aliqui ex vestris Consulibus, non imbuti scolasticis studiis, vtpote ad recté regendam Rempublicam non nesessariis, magis credant aduersariis tuis quam tibi. Neque enim illos puto tam obese naris, vt horum inuidiam non aduer- tant ; & vel vnicus D. V. R%, qui statum totius controuersiz atque quitatem tue cause proculdubio recté perspexit, estque rerum istarum pane intelligens, satis authoritatis apud colle- gas suos est habiturus, vt te ab omni inuirid deffendat ; tan- tamque in eo esse scio integritatem ac prudentiam, vt non ve- rear ne magis faueat aduersariis tuis quam veritati. Ac denique ob hoc precipué debes letari, quod tua causa sit talis vt, postquam iudicata fuerit 4 tuis, iudicari etiam de- beat ab incolis totius orbis terrarum, & cum in e4 de honore tantim agatur, si quid tibi priores contra ius ademerint, cum feenore ab aliis restituetur. Vale. 1. CE, la lettre précédente, 2. CE ci-dessus (IIL, 538), 3. Lire V. H, (?) pour Van der Hoolck : cf. p. 54, 0 2 MARS 1642 115 plus grands génies, et si quelqu’un ne les a pas estimées, ce n'a té que les pédants qui savent n’étre parvenus a quelque répu- tation @’érudition que pat de faux artifices, et qui craignent de Ia perdre quand la vérité sera connue ; et si j’en dois croire mon pressentiment, je me flatte qu’un jour vous attirerez plus de monde que tous vos adversaires, A quoi peut-étre ne uuira as l’édition de la Philosophie que je prépare : en sorte que si les magistrats sont attentifs a l’utilité et a l’ornement de leur académie, ils Steront plutét vos ennemis de leurs postes que vous, cat ils en trouveront plutét mille autres qui enscignent les mémes choses, que yous. Diailleurs je ne crains pas que quelques-uns de vos consuls, peu instruits des études académiques, comme trés peu néces- saires pour le gouvernement, crojent plutdt vos adversaires que vous, Car je ne les crois pas assez peu fins Rens ne pas s’aper- cevoir de leur jalousie, Outre cela le seul M. V. R., qui sait Vétat de la dispute, qui connoit la bonté de votre cause, et qui est trés versé dans toutes ces matiéres, aura assez d’autorité auprés de ses collégues pour vous mettre 4 couvert de tout ressentiment. Je sais qu'il est doué d’une intégrité et d’une prudence si rares, que je n’appréhende nullement qu’il favo- Tise vos adversaires aux dépens de la vérité. Enfin ce qui doit surtout vous faire plaisir, c'est que votre cause est de telle nature, qu’aprés qu’élle aura été jugée par vos magistrats, elle sera encore jugée par les habitants de toute la terre ; et comme c’est ici une affaire d’honneur, si les pre- miers juges vous Otent quelque chose de votre bon droit, les autres vous le rendront avec usure. Adieu. A, T. II, 558 559 XIV DESCARTES a REGIUS. [Endegeest, avril 1642.]* Vir Clarissime, Legi & risi tum theses Voétii pueri, siue infantis?, filii volui dicere, tum etiam iudicium Academia vestre, que forté etiam non immerito infans dici potest. Laudo Aimilium & Cyprianum® quod tot ineptiarum rei esse noluerint. In te vero subirascor, quod talia tibi cordi esse videantur ; letari enim deberes quammaxime, quod videas aduersarios tuos suis se propriis armis iugulare. Nam certe nemo medioctiter intelli- gens scripta ista perleget, quin facilé animaduertat aduersariis tuis & rationes deesse quibus tuas refutent, & prudentiam qua imperitiam suam tegant. Audiui hodie rursus Monacum* tui Voétii responsionem parare ; & quidem certum est, auditum enim 4 Bibliopola jui habet edendam. Continebit circiter decem solia, nempe Appendix Voétii cum notis tuis adhuc semel ibi edentur. Faueo sic scribentibus, & velim etiam vt 1. Réponse a une lettre de Regitis du 3x mars, lui apprenant Varrété rendu le 15, par les magistrats d’Utrecht & la demande de plusicurs professeurs (cf. lettre XI, note 1) et intervention dans la polémique de Voétius le fils, 2. Ce terme désignant Venfanl comme «celui qui ne parle pas» encore, accentue le mot puer : Descartes raille la jeunesse de Paul Voétius, nommé, moins de 22 ans, l'année précédente, professeur extraordinaire de métaphy- sique & P'Université 3. «Cyprianus Regneri, qui ne connaissait point M. Descartes et n’était point ami particulier de Regius », professeur en droit, se joignit A leur fami- lier Aemilius (cf. p. 22, note 2) pour faire opposition au jugement des sept collégues que Voétius avait réunis le 17 mars, son Rectorat ayant pris fin la veille. (cf. ALT, III, 557-558). XIV A M. REGIUS. MONSIEUR, J’ai ri de bon cceur en lisant les lettres de Voétius 1’enfant, je veux dire Voétius le fils, et en voyant le jugement de votre académie, A qui le nom d’enfant sied peut-étre aussi bien. Je loue MM. Amilius et Cyprien de n’ayoir pas voulu prendre part a tant de puérilités ; mais je suis en méme temps un peu en colére contre vous de ce que yous prenez trop a cceur tout cela. Vous devriez plutot étre fort joyeux de voir que vos adver- saires se percent par leurs propres atmes : pour peu de bon ses qu’on ait, on s’aperceyra en lisant les écrits de vos adver- saites qu’ils manquent de raisons pour réfuter les votres, et de prudence pour couyrir leur ignorance. J’ai appris aujour- @hui pour la seconde fois que le moine* prépare la réponse de votre Voétius ; la nouvelle est certaine, et elle vient du libraire qui l’imprime ; elle sera environ de dix feuilles : nappa = de Voétius y sera une seconde fois imprimé avec notes**: j’aime de tels écrivains, et vous devez aussi vous en réjouir. Rien de * Lemoine (trad. de 1724). ** Latin: «avec vos notes »; c'est pourquoi Descartes applaudit ces publi- cations. 4, D’aprés Baillet, ce serait «Schoockius, que M. Regius ne désigne dans ses lettres que sous le nom de moine renégat » (Vie... 11, 178; AT. III, 572) que Voétins aurait chargé de la réplique, qu’il faisait imprimer a Leyde «afin quwil parut que Messieurs Descartes et Regius avaient encore des enne- mis ailleurs qu’a Utrecht » (Vie..., II, 156; A.T. II, 562). Mais le Recteur de Leyde, Golius, déjoua le complot, et prévint sans doute son ami Descartes (Endegeest est aux environs de Ieyde). Sur la part de Schoock dans cette Admivanda methodus (1643), cf. la Lettre apologétique aux magistrats d’Utrecht, AT, VIII, B, 201-273. 560 118 LETTRES A REGIUS gaudeas. Quantum ad decretum tuorum Dominorum, nihil mitius, nihil prudentius mihi videtur ab iis fieri potuisse, vt scilicet se collegarum tuorum querelis liberarent. Tu, si mihi credis, ipsis quam accuratissime, atque etiam ambitiose, obtem- perabis, docebisque tuam Medicinam Hippocratice & Gale- nice, & nihil amplius. Si qui studiosi aliud 4 te petant, excusabis te perhumaniter, quod tibi non liceat ; cauebis etiam ne quam rem particularem explices, & dices, vt res est, ista ita inter se coherere vt vnum sine alio satis intelligi non possit. Dum ita te geres, si que ante hac docuisti digna sint que discantur, & habeas auditores dignos qui ea discant, non dubito quin breui denuo vel Vitraiecti vel alibi copiam & authoritatem illa do- cendi cum honore duplicatos sis habiturus. Interim yero nihil mali mihi videtur tibi contigisse, sed econtra multum boni ; omnes enim te multo plus laudant, & pluris faciunt, quam fecissent, si aduersarii tui tacuissent. Ac preterea accessit otium, cum docendi onere ex parte sis liberatus, nec ideo de stipendio decessit. Quid deest, nisi animus, qui modeste hec ferat ? Quiesce, queso, & ride ; nec vereare ne aduersarii tui satis mature non puniantur. Denique vicisti, si tantum siles 5 a fore redintegrare prelium, fortune rursus te committes. fale. AVRIL 1642 119 plus doux A mon sens et de plus sage que le décret de vos magis- trats pour se délivrer des importunités de vos collégues. Si vous m'en croyez, vous acquiescerez a leurs ordres avec la dernitre exactitude, et avec ume espéce de satisfaction intérieure, et yous vous contenterez d’expliquer vos lecons de médecine selon les prineipes d’Hippocrate et de Galien, et rien plus ; si quelques Dons esprits yous en demandent davantage, yous yous en excu- serez bien honnétement, en leur disant qu’on vous l’a défendu, et vous éviterez surtout d’expliquer la moindre chose particu- liére, et vous direz, comme c’est la vérité, que ces choses sont tellement liées les unes avec les autres, que l’une se peut bien comprendre sans l’autre, Tant que vous vous comporterez de la sorte, si les choses que yous avez enseignées jusqu’ici sont dignes d’étre apprises, et que vous trouviez des disciples dignes de les apprendre, je suis str qu’en peu de temps vous aurez toute permission de les enseigner publiquement A Utrecht on ailleurs avec plus d’honneur [que vous n’avez eu encore] ; ce- pendant je crois qu’il ne yous ést arrivé aucun mal, au contraire beaucoup de bien ; car tout le monde vous loue et yous estime davantage qu’on n’auroit fait si vos ennemis se fussent tenus en repos : ajoutez a cela le loisir que vous gagnez, puisque vous &tes délivré d’une partie de votre travail, sans que vous perdicz rien de vos appoiutements : i] ne vous manque qu’une chose, de prendre cela avec modération, Tranquillisez-vous done, jé yous prie, et riez de tout ceci ; n’appréhendez pas que vos adver- saires ne soient assez tot punis de leur folie : enfin vous rempor- terez une pleine victoire si vous savez vous taire, au lieu que, si vous recommencez le combat, vous vous exposez derechef aux traits de la fortune. Adieu. AT. II, 565 XV DESCARTES a REGIUS. [Endegeest, juin 1642.]! Vir Clarissime, Gaudeo nostram de Voétio historiam yestris non displi- cuisse ; neminem adhuc vidi, ne ex Theologis quidem, qui non illi vapulanti fauere videretur. Nec sane nimis acris mea nar- ratio dici potest, cum nihil nisi rem gestam commemorem, mul- toque etiam plura scripserim in quendam ex Patribus Socie- tatis Iesu’. Legi cursim ea que ad me misisti, nihilque in iis non opti- mum, & valde ad rem, notaui, preter hec pauca. Primo, stilus multis in locis non est satis emendatus. Preterea, fol. 46, vbi ais materiam non esse corpus naturale, adderem : ruxta illos qui corpus naturale definiunt hoc modo &c. nam, quantum ad nos, qui eam veram & completam substan- tiam esse putamus, non video cur corpus naturale esse nega- remus. Et, folio 66, differentiam inter res viuas & vite expertes vide- tis maiorem statuere, quam inter horologium aliudue automa- tum, & clauem, gladium, aliudue instrumentum, quod sponte non mouetur : quod non probo. Sed, vt sponte moueri est genus x, Postérieure a la publication de la Letive aw P, Dinet (en mai 1642) et sans doute antéricure aux réactions de l'Université d'Utrecht (réunis, le 29 juin, quatre professeurs décidérent de publier un Historique officiel’ sur oe de la philosophie nouvelle, qui parut seulement en octobre 1643), XV AM. REGIUS. MONSIEUR, Je suis ravi que notre histoire de Voétius n’ait pas déplu a vos amis. Je n’ai encore yu personne, pas méme parmi les théo- logiens, qui n’ait été bien aise de lui voir donner sur les oreilles. On ne peut pas m’accuser d’avoir été trop piquant dans ma narration. Je n’ai fait que raconter la chose comme elle s’est passée. Jai écrit encore avee plus de vivacité contre un pere jésuite, J'ai lu en courant ce que yous m’avez envoyé, je n’y ai rien trouvé qui ne ffit fort bon et qui n’allat droit ’la chose, excepté ceci qui est peu de chose : 10 Le style n’est pas assez chatié en bien des endroits ; Ontte cela, page 46, ot vous dites que la matiére n’est pas un corps naturel, j’ajouterois : selon le sentiment de ceux qui définissent le corps naturel de cette maniére, etc., car selon nous, qui croyous qu’elle est une substance véritable et com- pléte, je ne vois pas pourquoi nous dirions que la matiére n’est pas un corps naturel, Et, page 66, il paroit que vous établissez une plus grande différence entre les choses vivantes et celles qui ne le sont point, Pete ee oc en ec ee clef, une ‘pée, et tout autre instrument qui ne se remue pas de lui-méme, ce que je n’approuve point; mais comme se mouvotir de soi- 2, La lettre au P. Dinet, ajoutée, aprés les réponses aux 7° objections, a Ja 2° édition des Méditations expose la polémique de Descartes : 1° avec le P, Bourdin §, J., 2° avec Voétius (A.T. VIT, 563-603). 567 122 LETTRES A REGIUS respectu machinarum omnium qua sponte mouentur, ad exclu- sionem aliarum qu sponte non mouentur, ita vita sumi po- test pro genere formas omnium viuentium complectente. Et, folio 96, vbi ais : certe multo maiorem efficaciam &c., mal- lem : certe non minorem efficaciam &c. ; non enim est maior in yno quam in altero. Denique, fol. 106, locum Ecclesiaste dicis & Salomone pro- ferri ex person impiorum. Ego autem, in pagina 579 editionis Parisiensis', eundem locum explicui, ex persona ipsius Eccle- siaste, yt peccatoris. Sed non video cui vsui hac tua responsio esse possit, quia Cappadox? cA est indignus, nisi rursus quid noui agat, & tunc yna cum responsione ad istud nouum sub nomine alicuius ex tuis discipulis edi posset ; nunc existimo esse quiescendum. Nec etiam debes nostra in tuis lectionibus cum Galenicis & Aristotelicis miscere, nisi certus sis id tuo Magistratui esse gra- tum ; mallem nullos haberes auditores, neque hoc tibi dede- cori esset. Ad id quod objicis de idea Dei soluendum, notare oportet non agi de essentia idea, secundum quam ipsa est tantum mo- dus quidam in mente humana existens, qui modus homine non est perfectior, sed de eius perfectione obiectiud, quam prin- cipia Metaphysica docent debere contineri formaliter vel emi- nenter in eius causa* ; eodem modo ac si dicenti vaumquemque hominem posse pingere tabellas aque bene ac Apelles, quia illz constant tantim ex pigmentis diuersimode permistis, potestque illa quilibet modis omnibus permiscere, esset res- pondendum, cum agimus de Apellis piciuris, nos non tantim in iis considerare permistionem colorum qualemcunque, sed illam que sit certé arte ad rerum similitudines representandas, quaeque idcirco non nisi ab istius artis peritissimis fieri potest. Ad secundum respondeo, ex co quod fatearis cogitationem esse attributum substantiz nullam extensionem includentis, & 1, 17 édition ; A.T. VIL, 430 et IX, 231-232 (réponses aux 6° objections, ae commentant plusicurs passages de I’Ecclésiaste qu’on lui avait oppo- sés). 2. Plusieurs proverbes et épigrammes de I’Antiquité font aux Cappadociens une réputation de fourberic. Regitts avait usé du terme dans ce nouveau Projet de réponse a Voetius, qui est ici visé. Plus loin Descartes se demande s'il désigne Voetius ou son porte-paroles, le moine supposé. 3. Cf, Méditation TIT, A.T. VIT, 46 et IX, 37. JUIN 1642 123 méme est. genre a l’égard des machines qui se remuent d’elles- mémes, 2 l’exclusion des autres machines qui ne se renment pas ainsi, de méme Ja wie ne peut étre prise pour le genre qui embrasse les formes de tous les étres yivants, Et page 96, oti vous dites, que som effet est beaucoup plus grand, etc., j'aimerois mieux, gue son effet n'est pas motndre, etc. : car il n’est pas plus grand dans l’un que dans l'autre. Enfin, page 106, vous dites que dans cet endroit de l’Eeclé- siaste, Salomon fait parler les impies; et moi, page 579 des Meditations, j'ai expliqué le méme endroit prononeé’ par le méme Ecclésiaste, en tant que pécheur Ini-méme. Mais je ne vois pas de quelle ufilité pourra étre votre réponse, farce que le Cappadocien ne la mérite pas, A moins qu'il ne asse quelque nouvelle équipée, et en ce casla elle pourroit paroitre avec votre réponse a ce qu'il pourroit dire de nouyeau sous le nom de quelqu’un de vos disciples. Présentement je crgis qu'il faut se tenir en repos; vous ne devez pas méme méler dans vos legons mes sentiments avec ceux de Galien ct d’Aristote, 4 moins que vous ne sachiez que cela ne déplait pas au magistrat qui vous protége. J’aimerois mieux que vous neussiez point d’auditeurs, et cela ne vous tournetoit pas a déshonneur. Quant a la solution que vous demandez sur l'idée de Dieu, il faut remarquer qu’il ne s’agit point de l'essence de lidée selon laquelle elle est seulement un mode existant dans l’Ame (ce mode n’étant pas plus parfait que Uhomme), mais qu'il s'agit de la perfection objective, que les principes de métaphy- sique enseignent devoir étre contenus formellement ou éminem- ment dans sa cause. De méme qu'il faudroit répondre a celui qui diroit que chaque homme peut peindre un tableau aussi Bien qu’Apelles, puisqu’il ne s’agit que des couleurs diverse- ment appliquées, et que chacun peut les méler en toutes sortes de manieres, il faudroit, dis-je, répondre A cette personne-la, que, lorsque nous parlons de la peinture d’Apelles, nous ne considérons pas seulement en elle un certain mélange de cou- leurs, mais ce mélange qui est produit par l’art du peintre pour représenter certaines ressemblances des choses, mélange pat conséquent qui ne peut étre exécuté que par lés plus habiles de l'art. Je réponds au second, que, de ce que yous ayouez que la pensée est un attribut de la substance qui n’enferme aucune 568 124 LETTRES A REGIUS vice vers4 extensionem esse attributum substantia nullam cogitationem includentis, tibi etiam fatendum esse substan- tiam cogitantem ab extensa distingui. Non enim habemus aliud signum quo vnam substantiam ab alia differre cognosca- mus, quam quod vnam absque alia intelligamus. Et sane potest Deus efficere quidquid possumus clare intelligere ; nec alia sunt que 4 Deo fieri non posse dicuntur, quam quod* repu- gnantiam inuoluunt in conceptu, hoc est que non sunt intelli- gibilia ; possumus autem clare intelligere substantiam cogitan- tem non extensam, & extensam non cogitantem, vt fateris. Iam coniungat & yniat illas Deus quantum potest, non ideo potest se omnipotentia sud exuere, nec ideo sibi facultatem adimere ipsas seiungendi, ac proinde manent distincte, Non potui notare ex tuo scripto an Monachum an Voétium per Cappadocem intelligas, quod non displicuit : sibi sumat qui volet. Sed audio ignorari cuias sit Voétius, adeo vt erga ipsum sis beneficus, si Cappadociam ei in patriam assignes. Multum autem debes Monacho, quod auditorum tuorum nu- merum augeat. Ceterum audiui 4 D. P.? tibi animum esse huc nos inuisendi. Ego veré te etiam atque etiam inuito, neque te solum, sed & vxorem & filiam ; mihi eritis gratissimi. lam virent arbores, ac breui etiam carasa & pyra maturescent. Vale, & me ama, 1. Lire que? (nole 4.T.), 2, Pollot ? JUIN 1642 125 étendue, et qu’au contraire l’étendue est l’attribut de la subs- tance qui n’enferme aucune pensée, il faut par 14 que vous avouiez aussi que la substance qui pense est distinguée de celle qui est étendue ; car nous n’avons point d’autre marque pour connoitre qu’une substance différe de l’antre que de ce que nous comptenons lune indépendamment de l'autre ; et, en effet, Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre clairement ; et s'il y a d’autres choses qu’on dit que Dieu ne uit faite, c’est qu’elles impliquent contradiction dans leurs idées, c’est-a-dire qu’elles ne sont pas intelligibles. Or nous pouvons comprendre clairement une substance qui pense et qui he soit pas étendue, et une substance étendue qui ne pense pas, comme vous l’avouez : cela étant, que Dieu lie et unisse ces substances autant qu'il le peut, il’ ne pourra pas pour cela se priver de sa toute-puissance, ni s’éter le pouvoir de les sépa- ter, pat conséquent elles demeureront distinctes. Je n’ai pu remarquer dans votre écrit si par Cappadocien vous entendez le moine* ou Voétius. J’ai trouvé cela bien, Se Vappliquera qui voudra, mais j’apprends qu’on ne sait pas le pays de Voétius ; ainsi vous lui procureriez un bien de lui assi- gner la Cappadoce pour pattie. Vous avez beaucoup d’oblig: tion au Moine de ce qu’il grossit votre auditoire, Au reste, j'ai appris de M. P. que vous aviez dessein de nous venir voir ; je vous y invite de tout mon cceut, non seulement vous, mais foadame] votre épouse et [mademoiselle] votre fille : je me erai un plaisir trés sensible de vous recevoir. Les arbres sont déja reyétus d’un [nouveau] feuillage, et bientOt nos cerises et nos poires seront mfires. Adieu, ef aimez-moi [toujours un peu). * Lemoine (trad. de 1724), eerie) ooo 240 XVI DESCARTES a REGIUS+ [Egmond, juillet 1645.]? Vir Clarissime, Nescio quid obstiterit, cur non prius ad tuas tesponderim, nisi quod, vt verum fatear, non libenter a te dissentiam. Et quia non videbar in eo quod scribebas debere assentiri, idcirce cunc- tantits calamum assumebam. Mirabar enim te illa, qu hora- tie disputationis examini committere non auderes, indelebilibus typis credere velle, magisque vereri extemporaneas & inconsi- deratas aducrsariorum tuorum criminationes, quam attentas & longo studio excogitatas. Cumque meminerim me multa legisse in tuo compendio Physico’, 4 yulgari opinione plané aliena, que nudé ibi proponuntur, nullis additis rationibus, quibus lectori probabiles* reddi possint, toleranda quidem illa esse putaui in Thesibus, vbi sepe paradoxa colliguntur, ad amplio- tem disputandi materiam aduersariis dandam ; sed in libro, quem tanquam nouz Philosophie Prodromum videbaris velle 1. Entre juin 1642 et juillet 1645, outre des visites réciproques, et le voyage de Descartes en France V’été 1644 (cf, Introduction, p. 7, n.2) on doit suppo- ser plusieurs lettres perdues (cf. Introduction, p. 18,n. 4). Tl est possible aussi que la correspondance se soit ralentie : sa reprise est ici suscitée par ’envoi a Regius de la lettre apologetique aux magistrats d’Utrecht (16 juin 1645) dont Regius remercie le 23 juin. 2, «Cette lettre répond A la 32° de Leroi, datée du 23 jin 1645. Ainsi celle-ci est écrite vers le commencement de juillet ; je la fixe au 3 juillet, Je Péloigne le plus qu’il est possible, A cause que M. Descartes, dans le com- mencement de cette lettre, débute par dire : Je ne sais pourquot fai été st XVI A M. REGIUS, MONSIEUR, Je ne sais ce qui m’a empéché de répondre plus tét A votre detniére, si ce n'est, pour yous parler sincérement, que je n’aime pas a étre d’un sentiment different du votre ; et Comme il me Pparoissoit que je ne pouvois penser comme yous sur les choses que vous m’écrivez, c'est ce qui m’a fait différer si long-temps a prendre la plume ; j’étois surpris effectivement que vous you- Inssiez confier A 'impression, dont les traits sont ineffacables, des choses que vous n’osiez pas exposer a examen d'une dis- pute d’une heure, et que yous appréhendassiez davantage les actions subites et inconsidérées de vos adversaires, que celles quils pouvoient former contre yous aprés une mire réflexion et une longue étude, m’étant souvenu d’avoir lu dans votre Compendium de physique plusieurs choses entiérement éloi- gnées de l’opinion commune, lesquelles yous y proposez nue- ment et sats les appuyer d’aucunes raisons qui pussent les rendre probables aux lecteurs, Je crus que cela pouvoit étre supportable dans des théses ot I’on assemble souvent plusieurs paradoxes pour fournir un plus vaste champ de dispute aux adversaires ; mais dans un livre que yous sembliez donner comme un essai de la nouvelle philosophie, je crois que cela long-temps... Cependant Ia réponse de Leroi a celle-ci est du 6 juillet 1645, » (Note de Vexemplaire de V'Institui.) 3. Regius avait soumis a Descartes sous ce titre ambitieux, ses cours de Physique qu'il projetait de publier : les Fundamenta physices’ paraitront en 1646, malgré les réserves de Descartes, 4. Sic pro probabitia, (note A.T.). 128 LETTRES A REGIUS proponere, plané contrarium iudico esse faciendum : nempe rationes esse afferendas, quibus lectori persuadeas que vis con- cludere vera esse, priusquam ipsa exponas, ne nouitate sua illum offendant, Sed iam audio 4 D. Van S(urck)* te consilium mutasse, multéque magis probo id quod nunc suscipis, nempe Theses de Physiologia in ordine ad Medicinam ; has enim & firmits stabilire, & commodits deffendere te posse confido, & minus facilé de ipsis malé loquendi occasionem aduersarii tui reperient. Vale. 5, Fidéle ami de Descartes évoqué aussi dans Ia lettre de mai 1641 (IIL, 374). JUILLET 1645 129 est bien différent, c’est-A-dire qu’il faut les fortifier par des preuves qui puissent persuader le lecteur que vos conclusions sont véritables, avant de les exposer au public, de peur quiil ne soit offensé de leur nouveauté ; mais j’apprends que M, Van §. vous a fait changer de sentiment, et j’approuve beaucoup plus ce que vous entreprenez, je veux dire ces theses de physiologie par rapport a la médecine ; j’espére que vous pourrez les mieux Stablir et les mieux défendre, et vos adversaires trouverout moins d’occasion de mordre str elles, Adieu, A. T.IV, 248 249 XVII DESCARTES a REGIUS. (Egmond, juillet 1645.]* Vir Clarissime, Cum superiores litteras ad te misi, paucas tantum libri tui paginas peruolucram, & in iis satis cause putabam me inuenisse, ad iudicandum modum scribendi, quo vsus es, nullibi, nisi forte in Thesibus, posse probari, in quibus scilicet moris est, opiniones suas modo quam maximé paradoxo proponere, vt tanté magis alii alliciantur ad eas oppugnandas. Sed quantum ad me, nihil mihi magis vitandum puto, quam ne opiniones mew paradox videantur, atque ipsas nunquam in disputatio- nibus agitari velim ; sed tam certas euidentesque esse confido, vt illis & quibus recté intelligantur, omnem disputandi occa- sionem sint sublature. Fatcor quidem eas per definitiones & diuisiones, 4 generalibus ad particularia procedendo, recte tradi Posse, atqui nego probationes debere tunc obmitti ; scio tamen illas vobis adultioribus, & in meA doctrini satis versatis, non esse necessarias. Sed considera, queso, quam I. Le 6 juillet, Regius avait répondu a la précédente lettre de Descartes, en défendant «sa méthode d’analyse et sa belle maniére de définir et de diviser » et en lui soumettant cet avertissement au lecteur qu'il mettrait en téte de sa Physique. « Pour détromper ceux qui s'imagineroient que les choses qui sont contenues dans cet ouvrage sercient les sentiments purs de M. Des- cartes, je suis bien aise d’avertir le public qu’il y a effectivement plusieurs endroits oit je fais profession de suivre les opinions de cet excellent homme : mais qu'il y en a aussi d'autres ot je stis d’une opinion contraire, & d'autres XVII A M. REGIUS. Monsieur, Lorsque je vous écrivis ma derniére*, je n’ayois encore par- couru que quelques pages de votre livre, et je crus y avoir trouvé un motif suffisant pour juger que la maniére d’écrire dont vous vous étiez servi ne pouvoit étre soufferte tout au plus que dans des théses, ot la coutume est de proposer ses opinions d’une maniére trés paradoxe, pour attirer plus de gens a la dispute ; mais pour ce qui me regarde, je crois devoir éviter soigneuse- ment que mes opinions ne paroissent point paradoxes, et je ne désite point du tout qu’oii les propose en forme de dispute, car je les crois si certaines et si évidentes, que je me flatte qu’étant une fois bien comprises elles 6teront tout sujet de dispmte. J’avoue qu’on peut les proposer par définitions et par divi- sions, en descendant du général au particulier, mais alors il faut les appuyer de preuves**; et quoiqu’elles ne soient pas nécessaires pour vous qui étes ayancé*** dans [la connoissance de] mes principes, considérez, je vous prie, combien il y en a peu qui aient ces avances, puisqu’etttre plusieurs *. lettre. **, latin : je nie que les preuves doivent étre omises. ***, Jatin : plus avancés et assez versés. encore sur lesquels il n’a pas jugé A propos de s'expliquer jusqu’ici. C’est ce qwil sera aisé de remarquer & tous ceux qui prendront la peine de lire les écrits de ce grand homme, & de les confronter avec les miens, » (Traduit pax Baillet, Vie..., Il, 268-269 ; A.T. IV, 241). 250 132 LETTRES A REGIUS pauci sint illi adultiores, cam ex multis Philosophantium milli bus vix vnus reperiatur qui eas intelligat ; & sané qui proba- tiones intelligunt, assertiones etiam non ignorant, idedque scripto tuo non indigent. Alii autem legentes assertiones sine probatio- nibus, variasque definitiones plané paradoxas, in quibus globu- lorum ethereorum, aliarumque similium rerum, nullibi 4 te explicatarum, mentionem facis, eas itridebunt & contemnent, sicque tuum scriptum nocere sxpius poterit, prodesse nun- quam. ; Hee sunt que, lectis prioribus scripti tui paginis, iudicaui. Sed cum ad caput de Homine perueni, atque ibi vidi que de Mente human4 & de Deo habes, non modé in priore sententia fui confirmatus, sed insuper plané obstupui & indolui, tum quod talia credere videaris, tum quod non possis abstinere quin ipsa scribas & doceas, quamuis nullam tibi laudem, sed summa pericula & vituperium creare possint. Ignosce, queso, quod liberé tibi tanquam fratri sensum meum aperiam. Si scripta ista in maleuolorum manus incidant (vt facilé incident cum ab aliquot discipulis tuis habeantur), ex illis probare poterunt, & vel me iudice conuincere, quod Voétio paria facias &c. Quod ne in me etiam redundet, cogar deinceps vbique profiteri, me circa res Metaphysicas quam maximé 4 te dissentire, atque etiam scripto aliquo typis edito id publicé testari*, si liber tuus prodeat in lucem, Gratias quidem habeo quod illum mihi osten- deris, priusquam vulgares ; sed non gratum fecisti, quod ea qu in co continentur, priuatim, me inscio, docueris. Nunc- que omniné subscribo illorum sententiz, quo volucrunt, vt te intra Medicine terminos contineres. Quid enim tanti opus est, vt ea qua ad Metaphysicam vel Theologiam spectant scrip- tis tuis immisceas, cum ea non possis attingere, quin statim in alterutram partem aberres ? Prius, mentem, vt substantiam & corpore distinctam, considerando, scripseras hominem esse ens per accidens® ; nunc autem econtra, considerando mentem & corpus in eodem homine arcté vniri, vis illam tantum esse modum corporis. Qui error mult6 peior est priore. Rogo iterum vt ignoscas, & scias me tam liberé ad te scripturum non fuisse, nisi serié amarem & essem ex asse tuus REN, DESCARTES. x. Les Fundamenta de Regius ayant paru en 1646 (sans I’Avertissement proposéle 6 juillet 1645), Descartes le désavoua & la fin de la préface & la tra duction des Principes (cf. Introduction, p. 8). 2. Cf, 1. rx, mi-décembre 1641, JUILLET 1645 133 d@ hommes qui se mélent de philosophie, a peine s’en trouve-t-il un qui les comprenne, et certainement ceux qui entendent les preuves n/ignorent pas aussi les conclusions, et par conséquent n’ont pas besoin de votre écrit. Pour les autres, lisant vos con- clusions sans preuves, et diverses définitions tout-a-fait para- doxes, dans lesquelles vous faites mention de globules éthérés, et autres choses semblables que vous n’avez expliquées nulle part, ils se moqueront d’elles et les mépriseront ; ainsi votre écrit pourra nuire la plupart du temps, et n’€tre jamais utile. Voila le jugement que j’ai porté des premiéres pages que j’ai lues de votre écrit ; mais lorsque je suis parvenu au chapitre de homme, et que j’y ai vu ce que vous dites de 1’4me et de Dieu, non seulement je me suis confirmé dans mon premier sentiment, mais outre cela j’ai été saisi et accablé de douleur, voyant que vous croyez de telles choses, et que vous ne pou- vez vous abstenir de les écrire et de les enseigner, quoique cela ne vous puisse procurer aucune louange, mais vous causer de grands chagrins et une grande honte. Pardonnez-moi, je vous prie, si je vous ouvre mon coeur aussi franchement que’si vous étiez mon frére. Si ces écrits tombent entre les mains de per- sonnes malintentionnées, comme cela ne manquera pas d’arri- ver, puisque quelques uns de vos disciples les ont déja, ils pour- ront vous prouyer par 12, et vous convaincre méme pat mon jugement, que yous faites de méme A l’égard de Voétius, ete. De peur que le blame ne retombe sur moi, je me verrai dans la nécessité de publier partout 4 V’avenir que je suis entitrement éloigné de vos sentiments sur la métaphysique, et je serai méme obligé de le faire connoftre par quelque écrit public, si votre livre vient & étre imprimé. Je vous suis véritablement obligé de me l’avoir montré avant de le publier ; mais vous ne m’avez point du tout fait plaisir d’avoir enseigné ces choses 4 mon insu ; présentement je souscris volontiers au sentiment de ceux i souhaiteroient que vous vous continssiez dans les bornes Mee aaenie : en effet, qu’est-il nécessaite de méler dans vos éctits ce qui regarde la métaphysique ou la théologie, puisque vous ne sauriez toucher ces difficultés sans errer a droite ou a gauche ? Auparavant, en considérant l’4me comme une sub- stance distincte du corps, vous avez écrit que ‘homme étoit un étre par accident. Présentement, considérant au contraire que l’Ame et le corps sont étroitement unis dans le méme homme, vous voulez qu’elle soit seulement un mode du corps, erreur ui est pire que la premiére. Je vous prie derechef de me par- Abies (acct tess que je ne vous aurois pas écrit si librement si je ne vous aimois véritablement, et si je n’étois tout 4 vous. 134 LETTRES A REGIUS Librum tuum simul cum hac Epistolé remisissem, sed veri- tus sum ne, si forté in alienas manus incideret, seueritas cen- sure mez tibi posset nocere ; seruabo itaque, donec resciuero te hanc Epistolam recepisse. JUILLET 1645 135 Je vous aurois envoyé votre livre avec cette lettre, mais jai craint que s'il venoit & tomber par hasard en des mains étrangéres, la sévérité de ma censure ne piit vous nuire. Je le gardetai done jusqu’a ce que j'aie su que vous aver regu cette ettre. XVII bis REGIUS 4 DESCARTES. [Utrecht], 23 juillet 1645.2 Je ne vois pas que jaye grand sujet d'appréhender pour mon opinion qui regayde VHomme, dont vous voudriez pourtant me faire un crime. Cay je ne vous en ay dit autre chose, sinon qu'il est clair, par U'Ecriture sainte, que lame raisonnable est une substance immortelle ; mais qu'on ne peut le prouver pay aucune raison naturelle, & que vien n'empéche qu'elle ne soit aussi bien un mode du corps qu'une substance qui en seroit réellement dis- tingude. C'est en quoy je crois avoir affermy Vautorité de UEcri- ture, en ce qui dépendoit de moy ; au liew que ceux qui prétendent se serviy des vatsons naturelles, en celle occasion, semblent se défier de cee autorité divine, &, n’alléguant que de foibles rai- sons, trahissent la cause de Vame & des saintes Ecritures, par leur indiscrétion ou pay leur malice. Ce n'est pas que je ne pusse, pour Vamour de vous, retvancher de ce sentiment ce que vous juge- viez @ propos ; mais, aw reste, vous vous feriez peut-ktre plus de fort qu'd moy, si vous alliez publier, par écrit ou de vive voix, que vous avez, touchant la Métaphysigue, des sentimens éloignes des miens. Car Vexemple dun homme comme moy, qui ne passe point pour un ignorant dans vdire Philosophie, ne servira qu’d confir- mer plusieurs personnes qui ont deja des’ sentimens fort diffévens des vdtres sur ces matiéves ; & ils ne pourront me refuser la qua- lité Chomme @honneur, voyant que mes engagemens passez avec vous ne m’empéchent pas de m’éloigner de vos sentimens, lors- quils ne sont pas vaisonnables, Vous ne serez pas surpris de ma conduite, lorsque vous spaurez que beaucoup de gens d’esprit & d’honneur m’ont souvent témoigné 1, Traduit par Baillet, Vée..., 11, p. 269-271. JUILLET 1645 137 qwils avoient trop bonne opinion de Vexcellence de vétre esprit, pour croire que vous n'eussiez pas, dans les fonds de V'ame, des sentimens contraires d ceux qui paroissont en public sous vétve nom. Et pour ne vous en rien dissimuler, plusieurs se persuadent toy que vous avez beaucoup décrédité votre Philosophie, en publiant vdtre Métaphysique. Vous ne prometiiez rien que de clair, de cer- tain & d'évident ; mais, d en juger par ces commencemens, ils prétendent qu'il n'y a vien que @obscur & d'incertain, & les dis- putes que vous avez ettes avec les habiles gens, a Voccasion de ces commencemens, ne servent qu’d multiplicr les doutes & les téndbres, Ii est inutile de leur alléguer que vos raisonnements se trouvent engin tels que vous les avez promis. Car tls vous vépliquent qu'il n'y a point denthousiaste, point d'impie, point de bovffon, qui ne put dive la mesme chose de ses extravagances & de ses folies. Encore une fois, je consentiray que Von vetranche de mon Ecrit ce qui peut vous y déplaive, si vous le jugez a propos ; mats, aprés tout, je ne vois rien qui putsse me faire honte, ou que je doive me vepentir d’'auoir écrit, Ainsi rien ne m’oblige a vejuser Vimpres- ston @un ouvrage, de Védition duquel on peut esperey quelque utilité. Pour vous, Monsieur, a qui j’ay déja des obligations infi- nies, vous me permettrez de vous remerciey de la bonié que vous avez ette de live mon livre, ou pour mieux parler, votre livve, puis- qu'il est vévitablement sorty de vous, & de la sincérité avec laquelle vous m'en avez dit vdire sentiment. Vous agréevez aussi la liberté avec laquelle je viens de vous expliquer les miens, puisque ceite liberté n'est que le fruit de Pamitié dont vous m’honores, A.TIV, 256 257 XVII DESCARTES a REGIUS. (Egmond, juillet 1645.]* Vir Clarissime, Maxima mihi iniuria fit ab illis, qui me aliqua de re aliter scripsisse quam sensisse suspicantur, ipsosque si qui sint sci- rem, non possem non habere pro inimicis. Tacere quidem in tempore, ac non omnia qua sentimus vltré proferre, prudentis est®; aliquid autem 4 sententia sua alienum, nemine vrgente, scribere, lectoribusque persuadere conari, abiecti & improbi hominis esse puto. Asserentibus non magni opus Philosophi esse, refellere rationes que pro Anima Essentia Substantiali allate sunt, illasque interim nullo modo refellentibus, nec refel- Jere valentibus, non possum non reponere tua hzec verba : gui- libet Enthusiastes, & cacodoxus, & nugacissimus nugator idem de ineptissimis suis nugis pertinacissimé asserre potest, Ceterim non vereor ne cuiusquam a me dissentientis authoritas mihi noceat, mod6 ne illi videar assentiri ; nec volo vt, me caus4, vllo modo abstineas 4 quibuslibet scribendis & vulgandis; modé ne etiam wegré feras, si palam profitear me 4 te quam maximé dissentire. Sed ne desim amici officio, cum mihi librum tuum eo fine reli- queris, vt quid de eo sentirem, me intelligeres, non possum x. Réponse & Ja lettre du 23 juillet 1645. 2, C'est ce que Descartes avait fait lors de la condamnation de Galilée, en ajournant la publication de son Monde. XVI A M. REGIUS. MoNSIEUR, Ceux qui me soupgonnent d’écrite d’une maniére contraire 4 mes sentiments, sur quelque sujet que ce soit, me font une injustice criante. Si je savois qui sont ces personnes-la, je ne pourrois m’empéchet de les regarder comme mes ennemis. J’avoue qu’il y a de la prudence de se taire dans certaines occa- sions, et de ne point donner au public tout ce que l’on pense ; mais d’écrire sans nécessité quelque chose qui soit contraire 4 ses propres sentiments et sans nécessité, et vouloir le persuader a ses lecteurs, je regarde cela comme une bassesse et comme une pure méchanceté. Je ne puis m’empécher de me servir de yos propres termes pour répondre 4 ceux qui assurent qu’il ne faut pas étre grand philosophe pour réfuter ce qui a été dit sur l’essence cubstanticlle de l’Ame, sans néanmoins réfuter ces raisons, ni méme pouvoir le faire : tout enthousiaste est mauvats raisonneur : tout impertinent diseur de vien en peut dive autant avec la derniéve opinidtveté de toutes les bagaielles auxquelles it s'amuse*, au reste, je ne crois pas que l’autorité de qui que ce soit, dont les sentiments soient opposés aux miens, puisse me nuire, pouryu que je ne paroisse pas approuver ses opinions ; et je serois bien fAché que vous vous abstinssiez en aucune maniére pour l’amour de moi d’écrire tout ce qu’il vous plaira, et de Vimprimer, pourvu que vous ne trouviez pas mauvais de votre cété, que je déclare partout publiquement que je suis tout-a-fait opposé a vos sentiments ; mais pour ne pas manquer aux [derniers] devoirs de l’amitié, puisque vous [ne] m’avez laissé votre livre [qu]’afin de savoir mon sentiment, je ne pui *, La traduction de Baillet (citée ci-dessus) est plus rigoureuse, sans rendre toutefois les superlatifs du latin : «Il n’y a point d’enthousiaste, point d’im- pie, point de bouffon fe plus bouffon} qui ne pat dire la méme chose [& plus juste titre] de ses extravagances {les plus ineptes]. » 258 140 LETTRES A REGIUS non aperté tibi significare, me omniné existimare tibi non expe- dire, vt quicquam de Philosophia in lucem edas, nec quidem de eius parte Physicé. Primé, quia cum tibi 4 tuo Magistratu prohibitum sit, ne nouam Philosophiam vel priuatim vel publicé doceres, satis caus dabis inimicis, si quid tale evulges, vt ob id ipsum de professione tua te deturbent, ac etiam alias irro- gent poenas ; valent enim adhuc illi, & vigent, & fortasse cum tempore maiores vires sument quam yerearis. Deinde, quia non video te quicquam laudis habere posse ex iis in quibus mecum sentis, quia ibi nihil de tuo addis, preter ordinem & breuitatem, qu duo, ni fallor, ab omnibus bené sentientibus culpabuntur 5 neminem enim adhuc vidi, qui meum ordinem improbaret, quique non potitis me nimiz breuitatis quam prolixitatis accu- saret. Reliqua in quibus 4 me dissentis, meo quidem iudicio, reprehensione & dedecore, non autem laude vila digna sunt, atque ideé iterum dico, expressis verbis, me tibi, quantim possum, dissuadere istius libri editionem. Saltem expecta tan- tisper, & ex Horatii consilio, decimum premas in annum; forsan enim cum tempore ipsemet videbis, quam parim tibi expediat eum edere. Atque interim esse non desinam ex asse tuus RE- NATvS DESCARTES. 2, Horace, Art podtique, v, 388 : nonumgue prematur in annum. JUILLET 1645 14 m’empécher de vous dire franchement que je crois qu’il n’est pas de votre intérét de rien imprimer sur 1a philosophie, pas méme sur la physique : 1° parce que vos magistrats vous ayant fait défendre d’enseigner en public ou en particulier la nou- velle philosophie, si vous faisiez imprimer quelque chose qui en approchat, vous fourniriez un assez beau champ a vos enne- mis de vous faire perdre votre chaire, et yous faire condamner méme & d’autres peines ; car ils sont encore puissants, ils ont la force en main, et peut-étre que leur pouvoir s'accroitra dans la suite plus qué vous ne pensez. En second lieu, parce que je ne crois pas que yous puissiez retirer aucun honneur des choses ott vous pensez comme moi, parce que yous n’y ajoutez rien du vétre que l’ordre et la briéveté, qui seront blamés, si je ne me trompe, pat tout bon esprit; car je n’ai encore vu personne qui désapprouvat Vordre que j'ai gardé, et qui ne m'accusat plutét d’étre trop concis, que’ d’étre difius, Le reste en quoi vous difiérez de moi, vous attirera 4 mon avis [plus de] blame et [de] déshonneur, que de lonange ; c’est pourquoi je vous le répéte, je ne vous conseille pas de faire imprimer votre livre ; attendez encore, suivez le précepte d’Horace, gardez-le dix ans [dans votre cabinet] ; peut-étre qu’avec le temps vous verrez qu'il n’est pas certainement de votre intérét de le mettre au jour. Je ne serai pas tout & vous moins, etc. A.T. V, 109 1I0 xIX [A HOGELANDE ?}! [décembre 1647]® MONSIEUR, Sans user aujourd’hui de I’autorité que vous avez sur moi, qui seroit capable (si vous me le commandiez) de me faire sup- primer des choses que j’aurois estimées les plus justes et les plus raisonnables, je vous prie de ne faire intervenir que votre raison au jugement que je vous demande sur la réponse que j'ai faite a un certain placard qui contient une vingtaine d’asser- tions touchant l’dme raisonnable, Mon écrit que je yous envoie vous fera connaitre les raisons qui m’ont porté a y faire réponse = et, quoique leur auteur ait supprimé son nom, jé ne doute point que vous ne le reconnoissiez par le style, ou méme que vous ne Vappreniez du bruit commun, ainsi que je I’ai appris et reconnu moi-méme ; mais, puisqu’il a taché de se mettre a couvert, je ne vous le décélerai point. Seulement je vous demande un peu de patience pour cette lecture, et beaucoup d’attention ; car j'attends votre jugement pour me déterminer si je le dois donner au public, et pour cela je vous l’envoie tel que je me propose de Je faire paroitre, si vous ne l'improuvez. point. 1. A.T, conjecture aussi Huygens, Pollot, mais plut6t Heidanus ou Hoge- Jande, ses amis de Leyde oi s‘imprimaient les Nofae, On pourrait penser encore A Heereboord ; cf, Introduction, p. 17. 2, Le manuscrit de I'Institut date ces remarques du 20 décembre,

Vous aimerez peut-être aussi