UNIVERSITE DE PARIS
LA GEOMETRIE DE DESCARTES
par
M, Jean ITARD
Agrégé de l'Université,
Professeur de Mathématiques Supérieures au Lycée Henri-lV
Conférence faite au Palais de la Découverte
le 7 Janvier 1956
HISTOIRE DES SCIENCESLA GEOMETRIE DE DESCARTES
-——Inors essais accumpagnent le Discours de la Méthode
de 1637 : La Diuptrique, Les Météores, Lu Géométrie.
Celle-ci, rédigée aprés les deux uutres mémoires,
on 4
des Mall
Crest, pour Pauteui
narque une date cupitale dans l'histoire
a liques.
Vaboulissement de dix-huil années de médi-
quant 4 lhistoire générale de notre science,
Vaboulissoment de cent cinquante ang de tAlunnements révolution-
naires,
cs Malhémotiques modernes prennent un timide départ vers la
fin du xve sidele avec Rogiomuntanus, grand ustronome buvarois,
Luca Pacioli, invine eb professeur italien, ou Nicolas Chuquet, obscur
médocin parisien professant les mathématiques & Lyon. Ces Mathé-
maliciens commencent & faire quelque conflance aux procédés encore
rudimontaires do Palgdbre, alors branche bien modesto de art du
culeul, onsombly de rocetles sléréulypées pertivttant lu xolutiun de
cortuins types du problémes numériques. Sous cel humble aspect
ailleurs, cette ulgébre est un trés antique rameau de notre science,
remontant aux Sumériens, mais dunt les exubsrantes floraisons
Diophantines étaient alors oubli¢es depuis un millénuire.
Les trois Algébristes du xve sidcle, respectivement dans le De
Triangulis, la Summa, premier cours de mathéimatiques ayant eu
les honneurs de l'impression, et le non moins admirable Triparty en
la Science des Nombres resl6 manuscrit, appliquent Ja technique
algébrique a la solution de problémes numériques qui sont souvent
de nature géométrique.
Leurs successeurs du xvre siécle, singuliérement Jes ItaliensCardan,
Tactaglia ol Bombelli les suivront dans celle voie, mais surtout
feront faire & V'algébre sun plus grand pus en avant depuis les Baby-
Joniens, Si ces derniers, il y a aujourd’hui prés de quatre mille ans,
arrivdrent ala résolution de probléines que nous clussons aujourd'hui
dans le second degré, les Italiens de la Renuissance résulurent, au
milieu du xvr° sidcle les équations des Lrvisitme et quatriéine degrés.
Cependant, et cela d'une fagon indépendante de cette découverte,
Ja notation algébrique faisait des progrés considérables, d'une part
avec Chuquet, d’autre part, en Allemagne, quelque quaranteans plus:tard, avec C. Rudullf, puis stifel. La notation qui allait deminer
au xvie sidcle et au début du xvue® est celle de Stifel qu’adoptera
encore Descartes lui-méme dans ses premiers écrils. Celle de Chuquet,
trés supérieure, se retruuvera, aprés une transinissiun qui reste encore
mystéricuse, chez Bombelli en 1572, el sera suivie par Stevin.
D'autre parl, Stifel aduple en plus une nolation littérale permettant
de représonter non plus une seule, mais plusicurs inconnues.
Mais lorsque Vidle, a Ja fin du sitele, desi données et inconnues:
yéomélriques par des lettres sur lesquelles il effectue lous les culculs
do sa Lugistique Spécieuse, lursqu’il dislingue dans !'Analyse trois
parties : la Zététique qui met en équation, la Poristique qui se place
au niveau du calcul littéral, transfurme et discute les équations,
PExégétique ow Rhétique qui revient au domaine de départ arithmé-
tique uu géométrique, et énonce la solution définitive avec les calculs
ou les constructions qu’slle implique, alors les Mathématiques
modernes peuvent étre considérées comme fondées.
On pourrait croire que Descartes vient assurer direclement le
relave et prendre sa place dans Ja tradition a Ja suite méine do Vidte.
~ Les choses uo se passent cependant pas si simploment, ol le Poitevin
ne succtde pas directement au Vendéen, Les disciples de cel
ce sont, en France, Pécussais Anderson qui résidail et enseignait
& Paris, puis Beaugrand, Roberval, Mermat, et. en Anglolerre,
Marriot et Qughtred. On peut leur ajouter Ghetaldi, de Raguse, sur
TAdriatique, qui fut I'éléve successivement 4 Rume de Clavius, aux
Pays-Bas de Coignet, puis a Paris, disciple de Vidle avant de rejoindre
son pays.
En Italie proprement dite, ot les disciples de Galilée ne sont pas
algébristes, Vidte n’eut aucune influence notable.
Descartes, lorsque nous retrouvons ses pretmiors écrils, en 1618,
— ila vingt-deux ans — s'il a regu chez les pores jésuiles de
La Fitche uno solide culture mathémalique élémentuaire, environ celle
d'un de nus bacheliers, si l'on peut se permeltre ce rapprochement a
travers Je temps, Descartes ignore tout, ou presque, des Mathéma-
tiques modernes. Cependant, déja les fondements de;ses conceptions
mathématiques sont posées,
Feéru de mécanismes, passion cumpréhensible chez un jeune officier
quo tout attire vors Part do lingéni il entrevuit la construction
de courbes qu'il considére aussi géométriques que la drvile vt le
vercle, au moyen de ce qu'il appelle « ses compas », assemblages de
liges arliculées grace auxquelles un premier mouvement rectiligue
en entraine tout un ensemble de plus en plus complexe, Idée encore
obscure, mnais déjd géniale puisqu’elle s'accompagne d’uno restriction
formuléy ici, sumble-L-i!, pour In premiére fois dans histuire : sont
ae ee
-4e
og at
-
-7-
exclues de cos transmissions de mouvements celles qui feraient
passer d’une rotation unifyrme A une translation uniforme. Sont
ainsi rejetées de l’ensemble des courbes gévométriques la Quadratrice
de Dinustrate et la Spirale d’Archiméde. Un des rares domaines of
ta technique muthématique grecque s’évadait du second degré par
l'utilisation des deux seuls mouvoments qu’elly pouvait exprimer,
ce qui lui permettait de fonder en particulier toute son astronomie,
se trouve ainsi, dés 1648, bunni par Descartes du domaine de la géo-
métric, Position extréme, révolution mathématique que Descartes
ne respectera pus d’ailleurs Loujours lui-méme, laquelle Roberval
se refuse dle souscrire, dialeclique dunt Leibniz et Newton achdveront
Ja synthése par la création d’un nouvel algorilhme dépassant celui
de Descartes tout en s’en inspirant.
Nous ne savons pas si Descartes u étudié les mathématiques dans
Clavius, inais ce dernier uw joué un rdle de premier plan dans I’ Ensci-
gnement Mathématiquo des res, ot Jes mattres du jeune du Perron
étaient certainement soumis & son influence. Or, ici, le jeune malhé-
maticien rompt netlement uvec la tradition de Clavius, si plein
d'en thousiasine pour la Quadrutrice de Dinostrate lorsqu'il la découvre
dans Pappus.
Mieux, c’est en 1614, l'année méme of notre jeune honune quitte
te colldge de La I"léche, quo paraft la Descriptio de Neper, ouvrage oit
apparatt la premiére théorie des Logarithmes. Or, dés 1618, nous
le voyons, dans un trés court passage, signaler « Ja courbe des intérdts
composés », la logarithmique, que personne n’avait encore étudiée, et
déclurer que, comme la Quadratrice, elle doit étre exclue des courbes
géométriques, les deux mouvements par lesquels elle prend naissance
he pouvant se régler ’un sur l'autre ; avance d'un quart de sidcle sur
‘Torricelli et conception combien plus élevée de la nuture de cette
courbe,
On pourrail rattacher cette idée auducieuse de Descartes i son
étude contemporaine sur la chute des graves, et y voir une influence
de l'enseignement philosophiquo de ses mattres, el, par celle-ci, une
autre plus lointaine de notre grand Nicole Oresine, Mais Ja ot! le
souvenir scolaire agit seul, dans la chule des graves, Descartes se
Lrompo lourdement, alors quo 1a of il y a création personnelle (courbe
des intérats composés) il est remarquable de lucidité, C'est une
constante de sa montalité : il ne peut étre bon disciple que de lui-
méme.
Avant d'allor plus loin, sigualons en quoi Descartes, par sa pensée
encore inexperte, dépasse le trés grand Vidte. Lursque ce dernier
traile do !Anulyse Exéyéliquo, il signale que la Géométric oxpuse les
constructions des problémes plans, ceux qui pour nous sont du premier—8—
ou du second degré. Pour les problémes solides et sursolides (teu-
duisoz « du 8° of du 4¥ deyris »), il postuly Vinturentution entre deux
Groites données de position, d'un segment de longuvur dannée
dirigé vors un point donné, Cette « quasi-géométriy » ou « somi-géo-
métrie » suppléy par ce postulut aux insuffisances de le géométrie. Le
jeune Descartes va bien plus loin, dans sun inexpérience, son igno-
fancy des travaux de son devancier, son mépris du langage technique
traditionnel et son sens merveilleux du général : toutes les courbes
que tracent ses compos seront géomélriques el devront élre rogues
en gévmétrio, D’uilleurs, jumais ces fameux compas n'ont ols cons-
truils par lour inventeur, I lui suffit de les penser.
Or, la technique muthématique qui permettrait & ces conceptions,
qui ne sont encore guére que des réveries, datteindre toule leur
efiicience, Descartes no la pussede pas encore en 1618, Le Discours,
Jos Regulae surtout, nous donnent quelques upergus du long travail
| qui devait permettre au jeune imathdmaticion, en dix
der untin & une possession quasi parfaile du sun oulil
Tout autre aurait lu Jes grands prédévesseurs, singulidre-
ment Stevin, Van Roomen, vu Vidle, et, on réalits, rien ne nous
permet d’affirmer que Descartes ne parcourut pas rapidement telle
ou telle aeuvre de l'un d’eux. En 1618-4 il diseute et travaille
anatis cv grand hymme n'élail
pas un mathématicien, In 1620, nous le Lrouvens pour quelque
temps Ulin, auprés de Faulhuber qui est un algébrisle au courant
des questions a Pordre du jour.
Quant aux Anciens, Descartes a beaucoup appris dans Pappus,
peut-étro par Ja traduction latine du Commandin, pout-élre par
Vintermnédiuire de Clavius, 1] parait uussi assez au fail des techniques
de Diophante, sans qu'il soit ici encore possible de décider si la
tradition est directe, comme c'est Je cas pour Vidle et pour Fermat,
ou s'il faut admettre quelque intermédiaire, Stevin, Bombelli, ou
plus simplement Clavius.
Mais il y a surtout chez le jeune voyageur, elforl personnel, exer-
cice quasi-quolidien sur des probltmes mathématiques qui, par le
peu de documents qui nous restent, paraissent avoir porté surtout
sur des applications de lAlydbre a Ja Géométrie, singulidrement a la
Stéréométrie, dans le godt des travaux unalogues de Maurolico et de
‘Tartaglia. -
On Ie voil, pur exemple, élablir par un calcul fittéral le Ureureme
suivant : dans un tétraédre dunt un triddre est trirectungle, le carré
de Vaire do la face opposée est la somme des carrés de celles des faces
adjacentes. Puis il propose calmement une généralisution a un espace
quadridimensionnel,
ov
Vlus turd, mais avant 1629, nous le verrons, dans les Regulae,
préchur ailleurs la notion moderne dex dimensions d’un ensemble,
signulant por exemplo que les triangles, considérés quant A la gran-
deur ot d la forme, constituent un ensemble tridimensionnel.
Go lent travail de maturation oi fos punsées, les techniques, le
symbolisme, glanés & l’exlérivur au hasard de conversations dont il
Pporait friand, de lectures rapides et souvent superiicielles, sunt
onsuitu ussimilés, élaborés, recréés pur une intelligence éminemment
constructive, ce lent travail de dix années uboutil a trois créations
remarquubles el qui paraissent dtre, dans l’ordre chronologiqu
solution générale de tous les problémes des Lroisidme et quatridme
degrés par Vinlersection d'une purabolo et d'un cerele, une notation
ulgébrique qui ost ln ndlre dans son ensemble, enfin un « calcul
géumélrique » qui met en téle de lanalyse les constructions que
Vidte plagait en aboulissement de son Analyse Bxégétique,
Co qui distingue co calcul dus conceptions do Vidle, c'est le choix
@uno longueur unité, l'udyption d’un lungage purement arithmé-
que, Putilisutiun syst¢mutique des seules longueurs rectilignes.
Placé wu début mdmo de la yéuinétrie, il n'a cependant pris su forme
détinitive dans Vosprit de Descartes qu’ultérieurement a 1629, a
une dale qu’on ne peut préciser davantuge.
La notation est une heureuse synthése de co qu'il y a de meilleur
dans chacune des notations untérieures, emploi de lettres pour les
données et los inconnues, préférence accordée aux minuscules latines,
utilisation des exposants de Chuquet. On peul'suivre Vévolulion de
cotte notation dans les écrils de jeunesse, Ile est fixée, sauf l'emploi
des derniéres lettres de alphabet pour les inconnues, dés 1628 au
plus tard. Dans la géométrie elle est exposée immédiatoment apres
Je calcul segmentaire.
La construction des équations solides et sursulides par cercle et
parabole est, elle aussi, nettement antérieure @ 1628, bien qu'il
paraisse Léméraire de la daler avec Lipstorp de 1620. Il est impossible:
de savoir par quelles lectures et par quelles méditations Descartes
y fut conduit, ilo peut se raltacher cependant a une étude de Pappus
ou du Commentaire d'lutokios sur Archiméde. La fagon dont,
6: escartes ]'exposo & Beckman, en déclarant avec Penthou-
siasine qui s’empare do lui aprés chacune de ses découvertes que c'est
la plus belle de ses inventions en mathémutiques et méme la plus
belle de toutes celles qui uient 6lé faites jusqu’ici duns ces sciences,
assez différente de Vexposition du livre 11] de la Géométrie, est
intéressunte & plusieurs chefs. és cette date, Descartes sail qu'une
équatiun du quatriéme deyré a quatre racines, que celles-ci peuvent.
Stre réelles, positives uu négatives, que ses constructions en donnent
a
MMe—to~
alors lo signo, enfin qu’elles peuvent étre parfuis purement imagi-
naires, Voila un mot, imaginaire, un concept qui le hante depuis 1618,
Vour la Quadratrice el les courbes que nous appelons Lranscendantos,
il parlait déja de mouvements purement imaginaires, concevables
certes, mais non absolument préhensibles pir nolre penséc, comme
ici toutes les racines ont, du fait meme que Véquation est posée, une
existence en quelque surte spectrale, seules les réelles en possédant
une pleinement saisissuble par le mathématic:
ten 1629 que lalgébriste frangais Albert Girard publiait sun
admirable Invention Nouvelle en U'cllgebre vit des idées analogues
sont exprimées avec plus de netteté encore. On a souvent voulu
voir dans Girard un précurseur de Descurtes. 1.1 confrontation des.
dates prouve qu'il n'en est rien. A In recherche donc d'un précurseur
valable on peut alors recourir & Bombelli qui a inventé notre nombre
fou ¥— 1, son « pui di meno », Mais lu tendance de Descartes jeune
& concevuir dans un sens, it est vrai, vague el chungeant, des étres.
tnathématiques imaginaires, sa soif de kénéralisalions, permottent
de no churches aucun précursuur déterming, vt d'admetlre Poxis-
lence d'une création purement personnelle,
‘Tel est Idlat d’esprit de Descartes et l'ensemble déja fort vaste de
ses concepts mathématiques lorsqu’une influonce oxtérieury, une
suggestion de Golius, va permettre le déploiement, fin 1631, dune
conception grandiose de la Géumétrie et de lAlgébre,
Liorientaliste Golips vient de rentrer & Leyde aprés un voyage en
Orient et rapporte une riche mvisson de manuscrits arabes, 11 est
nommé professeur de mathémaltiques a l'Université od Descartes
vient de se faire immatriculer. I} ne sera jamais un mathématicien de
premier plan, mais i} joue en celte circonstance précise un rdle déter-
minant, II propose, en effet, & Descartes un probléme qui se trouve
dans Pappus : Je probléme a trois ou qualre druites dont parle
Apollonius dans une de ses préfaces. Pappus, «ailleurs, on termes
sybillins, indique une généralisation de co probléme, celle A laquolle
stattuquera notre géométre : on donne du Position des droites en
nombre pair 2 1 ou impair 2 a —~ 4, On les Sépare en deux groupes,
chacun de n droites ou l'un de n, l'autre den — 1 drvites. On cherche
le lieu des points M tels que le produit des dislances aux droites du
premier groupe soit dans un rapport donné au produit des distances
a celles du second, produit complete s'il y a lieu par un facleur
constant donné. Descartes déclare avoir mis a résoudre la question
cing ou six semaines. La solutiun qu'il en apporle occupe Ja plus
grando partie du livre 1 et du livre I! de son traité. Ile est remar-
quuable on ce qu'elle est purement analytique duns le sens moderne
du mot, celui de Viéte. Elle nous apporte ainsi l'un des premiers
-—u—
exemples de cetle fagon de traiter un probleme de Géumeétrie, suns
aucune tentative d'en élayer la solution par les raisonnements
classiques do la Géométrie synthétique Grecyue telle qu'elle était
connue a Pépuque, Premier acte d’émancipation des mathématiques
iodernes, plus audacieux que les travaux de Vidle qui w'avait
jamais rompu délibérément avec l'Antiquité classique.
Celte solution fou daulre part, ce qui manquail encore a Ja
mathématique Cart nne : une classification, une hiérarchisation
des problémes et des courbes géomélriques. Cela ne va pas sans
quelques orreurs, mais aucun des cuntumporains ou des successeurs
immeédiats n’est capable de les relever. Si Descartes affirme a tort que
toutes ses courbes géoméLriques (nos courbes aulgébriques) se raménent
au probiéine do Pappus, ce n'est que li critique historique moderne
qui signalera Verreur.
Mi sa classification n'est pus purfuite, si, & url, il groupe les courbes
nun pur Je dogré de leur équation Cartésienne, mais par classes
procédant do deux en deux degrés, soul Format qui, par des voies
différents, avait pour su purt, avant 4637 mais non pas avant
Descurles, cungu la Géométrie Analy tique, seul Format, environ 16! A
dans des lettres aux mathématiciens anglais, montrera la nécessile
dordonner les courbes suivant le degré de leur équalion.
Mais ce travail de Fermat sera le résultat d'une meditation sur
la Géométric. Signalons en passant, car vela a une Grande importance,
que Fermat se demande si toute conique pouvant se déduire de l'une
elles par projection centrale, l’on ne pourrait pas de médme déduire
toutes les cubiques par projection centrale de l'une d’entre elles, puis
toutes les quartiques par un procédé analogue, et ainsi a Iinfini.
Cette généralisution des concepliuns de Descartes est admirable,
et fausse, mais elle est le germe des travaux de Newton sur la classi-
fication des cubiques.
Ainsi Descartes, en 1632, est arrivé au but qu'il se proposait
datteindre dés 1618. Il a trouvé la différence profonde entre ses
courbes yéométriques el ses courbes mévaniques, nos Uranscendantes.
Pour les premitres, il existe une gradation qui lui permet d’en
construire lous les puints, absolument lous (cela ayant la puissance
du continu), par la solution d'un nombre fini de probldines de degré
inférieur & celui de la courbe. Les points d'une cunique se cons.
truisent a Ja réyle et au compas, ceux d'une cubique ou d'une quar-
tique par intersection d'un cercle et d'une purabole, ceux d'une
courbe d’ordre cing ou six par intersection d'une cubique parti-
culitre, sa « parabole du second genre » et d'un cercle, el ainsi de
suite.
Au contraire, les courbes mmécaniques échuppent 4 celte méthode et-Ro
ceux de leurs points qui leur sont le plus intimoment lids, foule
innombrable puisque ayant la puissance du continu, ne peuvent.
pas dtre alleints par celle méthode finitiste, Suuls sont accessibles
quelques isolés, 4 Vinfinité mis¢rablument dénoibrable.
Nous employons ici uno langue moderne, Ignorée de Descartes et
de ses cuntemporains, mais dont notre géumétre avuit une prophé-
que prescience, De 1648 @ 1632, on peut noler d’ailleurs une évolu-
tion de ses idées yeumétriques. En 1618 sont géuinéLriques les courbes
constructibles par ses compas, celles qu’un uppellera un peu plus
tard « courbes organiques », Ein 1632 sont yéométriques cules qui
rupporlées 4 un axe, Descartes n’utilise jamais nus doux axes de
courdonnées, s'oxpi mL pur une équation algébrique entre les
abscisses of les ordunnees.
Descartes affirme plusieurs fis que les courbes arganiques condui-
sent & une équation algébrique. 1] naftirme nine nie jamais la
Proposition réciproque. Newton déclarera plus tard que, pour les
courbes qui n'ont pas de points mulliples, elle est tres difficile.
Souvent mise en doute, elle n'a été pleinement dérmontroe que dans lu
seconde moilié du x1x¢ sidcle : théoréme de Kempe.
Mais voici qu’a cdté du problétue de Pappus une question d’uptique
fournit & Descartes de nouveaux élargissements & ses tuchniques. 11
stagit de l’Anaclastique, de ta courbe of des rayons issus d’un point
donné, so brisant par réfraction, convergeront vers un second point
donné. On suit que vers 1625 ou 1626, Descartes avuit découvert a
peu prés en méine temps que Snellius, Jes lois de la réfraclion. Nous
n'avons pas a faire ici historique de cette dévouverle ni & moutrer
aprés bien d'autres, que toute accusation de plagiat, ici comme
ailleurs dans 'a:uvre de Descartes, est soltement injuste.
Dans la Dioptrique, notre philosuphe expose sa découverte. tei
comme partout exposition de celui qu'on a pu appeler« lo philosophe
au masque » est étrangement différente de Ja voie suivie pour l'inven-
tion, vuie qu’on ne peut reconstiluer que Lrés hypothétiquement, La
pensée Cartésienne est si pleine et si riche que, chaque fois que nous
croyons la saisir, elle nuus échuppe.
Aprés avoir moulré que, lorsque lanaclastique est une coni
et pour un indice du réfractiun adéqual, les rayuns paralléles & axe
convergent vers le foyer, Descartes renvuie a la yéométrie pour la
généralisation. La, en effet, au livre 1, il expuse lunguement la
Unéorie de ses ovules, premier exemple de courbes définies et étudiées,
hon pur teur équation Cartésienne, mais pur des équalions: purainé-
triques. Descartes est tout entier dans cette manidre : il expose Lrds
clairement une technique, woe marche & suivre, ol immédiatement,
sans avertir, i] en aduple pour sa purt une autre, tanto sitple
i
'
.
—B— y
variante de Ia pruimidry, tuntdt fundés sur des principes lolalement
différents.
Comment a-t-il trouvé ses Ovales? Nous n’en saurons jamais rien.
Mais, dans son exposition, il donno de ces courbes, dans un cas parti-
culier, une construction qui falt intervenir le troisidme foyer, dont
il ne parle nulle part, que Roberval a failli redécouvrir, que Chasles
croira plus tard étre le premier & remarquer, et qui subsiste dans les
Extraits posthumes des papiers personnels du grand philosophe. .
Cependant exposition des propriéiés optiques des Ovales exigeuit
uno méthode algébrique do construction des tangentes. Descartes en
découvre une, C'est, quant aux principes, celle de Fermat et la
promidre de cellos de Roberval. Trois savants franguis, et eux seuls,
président ainsi, aprds Archiméde, a la naissance du calcul ditférentiel,
La querelle qui en nattra est restée célébre, Nous n’entrerons pas dans
son exposé, disant simplumoent que colte découverte commune, et
chez chucun des trois suvunts indépendante des Lravaux des deux
autres, implique pour chacun d’eux, avant 1636, une conception
plus ou moins nettle, mais suflisante, de lu géométris analy tique. .
Cette science nouvelle dovait donc naftre au xvi® siécle, suite
naturelle de l’évolutiun historique, et singuliérement des travaux
de Viate, Chacun recherchait alors I'Analyse des Anciens, persuadé
qu’on élait, depuis au moins Nonius, qu’ils nous avaient caché leur
méthodo de recherche sous l’¢légance sévére de leur exposition synthé-
lique. Vidte, le premier, avait cru reconstiluer cette Analyse antique.
I avail en réalité fondé Analyse moderne,
Cavalieri, dans le domaine restreint du calcul intégral, retrouvait
dés 1629, publiait en 1635, l'Analyse d'Archimade. Descartes et
Fermat, le premier ogissant en solitaire, reprenant sans le savoir la
marche méme de Viéte, érudition en moins, langage hermétique en
moins, simplicité d’exposition, modernisme du style en plus; le
second disciple conscient de Viéle comme de Pappus et de Diophante,
ont redécouvert mais dans un style tout nouveau, l’Analyse d’Apol-
lonius, la dépassant par la méme singuli¢rement.
On pourra done toujours trouver chez tel ou tel auteur contem-
porain ou plus ancien telle ou telle des idées émises par Descartes dans
8a Géomdirie, Mais il n'a suivi personne, ov bien il a marché d’un
méme pas que la cohorte des chercheurs de son temps. Il ne doit
rien & Marriot quoi qu’en aient dit Beaugrand, Roberval, Cavendish et,
surtout, Wallis. [1 ne doit rien, ow fort peu, tout au plus lidée d'un
exercice de son Introduction, pelit travail annexe & lu Geometric et
un peu postérieur, il ne doit rien donc & Ghetaldi, Fermat n'est sur
aucun point son précurseur, mais son é:nule, qui ignore ailleurs
tout de ses travaux jusqu'en 1636,— 14--
{1 ne doit rien non plus, tout au inuins aucune do ses idées fonda-
montales, 4 Albert
rd. II trate,
il est vrai, commoluiun petit pro-
bléme d'intercalation qui figure dans Pappus, Mais ce Probldme est
alors & la mode, traité aussi par
Vintérét en géométrie des racines
Ghetaldi, et Pesprit dans lequel
Yaborde Descartes différe totalement de celui dans lequel Pexpose
Sirard. C'est pour ce dernier un exemple numérique iustrant
tlives, C’est, pour Descurtes,
un exemply Jittéral ot ses tec niques algébriques permettent de
dégayer les racines rationnelles dans fe corps des cuefficienls de Péqua-
tivn et de rameuer uinsi un probleme sursolide en premier aspect &
un probléme plan. Lt voici juste
ent une découverte que personne
ne parlage avec Descartes : la mise au point d'une technique per-
mettant, au niveau de lu théorie des équations, do l’Analyse Poris-
tique de Viete, de reconnaitre si un polynome donne est décomposable
ou non duns le corps de ses coefficients.
A se placer au niveau élémentaire, la Géomeé!
un ouvrage parmi bien d'autres, el les ace
Uliées en apparence par les dates
émules, pleuvent de toutes parts.
de Descartes est
iuns de plagiat, jus-
de parution des travaux de ses
Mais si l'un éléve le débat, en
élevant Je niveau, si l'on pénétre uu Lravers des phrases sybillines
dans leur clurté trumpeuse, au travers des idévs cluires, bien francuises,
bien Cartésionnes, Jusqu’au cour d’une pensée d’une richesse incom.
parable, si l'on s’éléve jusyu'aux vues Grandiuses annonciatrices’ de
trois siécles de travaux géométriques ou algébriques, alors, aucu
doute n'est pussible : pus plus qu'un Corneille, un Moliére, un Racine,
un Shakespeare, Descartes n’est un Plagiaire, ct sun génie solitaire
se dresse isolé dans une Grandeur effrayante et insou, pgonnés, :
170386
“SO HAG. 1958
INDEX DES MATHEMATICIENS CITES
ANDENSON (1582-aprés 1621).
‘Avouontus ie moltié n° ‘siécle
av. JC).
Anviuiteod mort en 212 ay. JC.).
Beavuwann (mort thn 1640).
Buncnman (1588-1637).
Hosmittr (né vers 1530).
Canvan (1501-1576).
Cavariinr (159)
Cruguwr (tin .
Cravtus (1537-1612). =
ONL 1549 1025).
MANDIN (1509-1575).
Descawres (1596-1650).
Dinostnats (2* moltié ive siécle
JC).
jorawn. (2° moitié ne siete.
Divi
Euroxios (1% moitié vie sidcle).
Fautuanen (1580-1635).
Funwat (1601-1665).
Gmurarot (1560-1027),
Ginanv (1595-1632).
Goutus (1596-1667),
Hannuor (1560-1621),
Lusmnrz, (1646-1710),
Maunowico (1494-1575).
Newan (1550-1617).
NEWTON (1642-1727),
Nontus (1492-1577).
Qnusme (1320-1382),
Ovautnen (1574-1660).
Pactous (1445-1514),
Parpus (11 moitié ive sidcle).
NectononraNus (1436-1476).
Hopenvat (1602-1675).
Rupourr (mort avant 1552).
SNuLLtus (1581-1620), ;
Srevin (1548-1620).
Sttrex (1486-1567).
Tantaatia (1500-1557).
Tonnicents (1608-1647).
Van Roomen (1561-1615),
Viti: (1540-1603).ACHEVE D'IMPRIMER
Le SEIRK PiVRIER MUL NRUF CENT CINQUANTE-SIX
@UR ERS PRESSES bu LiMiniMiiK ALENCONNAISE
UE n
sw MAISON TOULIET-MALASSIS, ALENGON (ORNE) —
— BRANAKD GRISARD, DIRCTRUK GhNiRAL —
Dépoe Leger:
1956. NO ordre 4.048