Cinéma : comment la
France tente de relocaliser
l’enregistrement des
musiques de film
Crédits d’imp6t et aides territoriales
ont permis de relocaliser des
productions de films. Mais pas encore
assez souvent l’enregistrement de leur
musique. Il est vrai que la France
manque de studios adaptés. Le
17 octobre, l’Orchestre national d’Ile-
de-France inaugure le sien.
Il O <Ce matin de septembre, sans baguette,
d’un geste des bras ample et sir, le
compositeur Mathieu Lamboley dirige la
musique qu’il a écrite pour le deuxiéme
volet du dessin animé Minuscule : les
mandibules du bout du monde, dont la
sortie sur les écrans est prévue en
janvier 2019. Il a devant les yeux sa
partition d’orchestre et, juste au-dessus,
un écran qui diffuse le long-métrage de
Thomas Szabo et Héléne Giraud. Les 85
musiciens (sur 95) de l’Orchestre national
d'Ile-de-France (Ondif) réunis a Alfortville
(Val-de-Marne), peu rompus a l’exercice,
restent concentrés. II s’agit d’enregistrer
en quatre jours soixante minutes de
musique écrite et retravaillée depuis avril.
Autant dire que ¢a ne traine pas.
« Une mante religieuse qui danse la salsa »,
annonce le chef d’orchestre aux musiciens
qui portent un petit casque sur les oreilles.
ll O <ibd:
« Une mante religieuse qui danse Ia salsa »,
annonce le chef d’orchestre aux musiciens
qui portent un petit casque sur les oreilles.
Ils découvrent la partition, puisque
lenregistrement d’une musique de film
n’est jamais précédé de séances de
répétition. La, chaque prise peut étre
recommencée trois fois. Rarement plus. Le
seul mini-incident du « service » de la
matinée concerne les bassons, qui
n’avaient pas recu a temps une page de la
partition. « Sol, si bémol, sol, la bémol a la
mesure huit », explique Mathieu Lamboley.
Et cest reparti.
LOndif inaugure officiellement le
17 octobre son studio consacré aux
musiques de films. Sobrement baptisé Le
Studio, il est parrainé par Gabriel Yared —
quia recu un oscar pour la musique du
Patient anglais d’Anthony Minghella, et a
signé celle de Sauve qui peut (la vie) de
Jean-Luc Godard ou encore celles des
derniers longs-métrages de Xavier Dolan.
Le dispositif technique permettant
dutiliser l’orchestre au grand complet a
ll O 5sh 72:
Le dispositif technique permettant
dutiliser ’orchestre au grand complet a
nécessité 1,2 million d’euros
d’investissement, explique Alexis Labat,
administrateur de l’Ondif. Une cabine son
perfectionnée surplombe deux salles
équipées d’une forét de micros. Ce studio a
été testé, en juin, par Alexis Maingaud, qui
a mis en musique The Sonata d’Andrew
Desmond.
Des aides utilisées en tournage et
postproduction
Pour Minuscule 2, le monteur, Clément
Cornuau, veille, depuis sa cabine son, a la
synchronisation avec les images qui
défilent sur un grand écran. « La musique
joue un réle de narration extreémement
important dans les films d‘animation »,
précise-t-il. Chaque insecte est doté de son
propre theme musical dans cette
composition symphonique inspirée de
Ravel, de Prokofiev mais aussi de
l’Américain John Williams, l’auteur de la
ll O <composition symphonique inspirée de
Ravel, de Prokofiev mais aussi de
l’Américain John Williams, l’auteur de la
musique de Star Wars. Les chceurs et le
piano seront superposés a
lenregistrement de l’orchestre.
« De plus en plus de films sont tournés en
Ile-de-France, grace au crédit d’impot, quia
permis de relocaliser beaucoup de
tournages, mais paradoxalement, trés peu
de musiques de film y sont enregistrées »,
regrette Alexis Labat. Ces aides fiscales
sont surtout utilisées en postproduction et
en frais de tournage. C’est ce qui a poussé
Fabienne Voisin, directrice générale de
l’Ondif, a se lancer, en espérant aussi
arrondir les recettes propres de l’orchestre.
Sur le budget annuel de 12,5 millions
deuros, 10,5 proviennent du conseil
régional et de |’Etat. Le reste est issu de la
billetterie, des revenus issus des
prestations de concert et de la location
d’instruments...
LOndif a di trouver un accord avec la
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LOndif a di trouver un accord avec la
Spedidam, la société gérant les droits des
artistes-interprétes. Une premiére dont se
réjouit Katy Borie, déléguée générale de
l'Union des compositeurs de musiques de
films (UCMF).
« Le systéme est tellement syndiqué et
protégé en France —- comme aux Etats-Unis
-—, que cela fait fuir les productions a
létranger », constate-t-elle. Ailleurs, les
contraintes sont bien moindres. « Les
musiciens de l'Ondif ont accepté une
rémuneration plus élevée, qui englobe tous
les droits d'utilisation de la bande-son —
pour la télévision, les DVD, Internet...-,
alors quavant, le producteur devait obtenir
l'accord de chaque musicien pour chaque
utilisation supplémentaire », précise la
compositrice Béatrice Thiriet secrétaire
générale de l’UCMF, quia signé les
musiques des films de Pascale Ferran.
Et Radio France s’y met aussi. Selon Michel
Orier, directeur de la musique et de la
création, « nous avons vocation a nous
repositionner sur ce secteur. Notre objectif
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Et Radio France s’y met aussi. Selon Michel
Orier, directeur de la musique et de la
création, « nous avons vocation a nous
repositionner sur ce secteur. Notre objectif
consiste a enregistrer deux ou trois projets
dampleur symphonique par an. » Avant
que la musique de Valerian et la Cité des
mille planétes orchestrée par Alexandre
Desplat ne soit créée par |’Orchestre
national de France dans le studio 104 en
février 2017, la formation n’avait pas été
sollicitée pour un film depuis... 1995. Il
s’agissait du Hussard sur le toit de Jean-
Paul Rappeneau.
Loffre de studios s’est raréfiée dans
l’Hexagone
Proposer une offre musicale pour le
cinéma est devenu d’autant plus
nécessaire dans l’Hexagone que les
mythiques Studios Davout ont fermé en
avril 2017, a la suite d’une expropriation.
Ses 1200 m? étaient convoités par la Ville
de Paris pour créer une école, une créche
et des logements.
ll O <Le Studio Grande-Armée, au Palais des
Congrés, ot ont été enregistrées plus de
700 musiques de films (dont celles de The
Artist, La Forme de l'eau, Zero Dark
Thirty...), a aussi fermé ses portes le 30 juin,
«en raison d’une mesure unilatérale
d'Unibail », explique le directeur général
Zach Hanoun. Le studio s'est replié
provisoirement a Neuilly-sur-Seine (Hauts-
de-Seine) en se consacrant a la chanson, et
il espeére s'installer début novembre dans
un lieu plus vaste pour reprendre son
activité avec les orchestres. Restent aussi
La Seine, les Studios Guillaume Tell ou les
Studios Ferber.
LES TRES GROSSES PRODUCTIONS ONT
PRIS L'HABITUDE D’ALLER ENREGISTRER A
LONDRES, DANS LES STUDIOS LSO OU
ABBEY ROAD. LES MOINS FORTUNEES SE
TOURNENT VERS LES PAYS DE LEST.
« La musique de film représentait la moitié
de notre chiffre daffaires il y a cing ans, elle
ll O <sh 72:
« La musique de film représentait la moitié
de notre chiffre d'affaires il y a cing ans, elle
sest étiolée a 30 % », explique Jean-
Christophe Le Guennan manager de
Ferber. « La concurrence la plus féroce vient
de Belgique : les incitations fiscales y restent
plus intéressantes que le crédit d’impot en
France », ajoute-t-il. Méme en comptant les
frais d’hébergement du compositeur, du
chef et de l’€quipe technique, bon nombre
de producteurs choisissent le Flagey a
Bruxelles ou le Studio Galaxy, a Mol.
Lutilisation du crédit d’impot, national ou
international, et les aides territoriales au
cinéma restent assez peu utilisées pour la
musique d’un film, déplore de son cété
Katie Borie. Les producteurs préférent
relocaliser dans l'Hexagone les autres
prestations et continuent de délocaliser la
musique.
Les trés grosses productions ont quant a
elles pris I’habitude d’aller enregistrer a
Londres, dans des structures considérées
comme les meilleures de la planéte, LSO
(London Symphony Orchestra), Abbey
Road et ATR Studios « Le san v est eycellent
ll O 5ibd:
Les trés grosses productions ont quant a
elles pris l’habitude d’aller enregistrer a
Londres, dans des structures considérées
comme les meilleures de la planéte, LSO
(London Symphony Orchestra), Abbey
Road et AIR Studios. « Le son y est excellent,
le travail trés rapide », s’accordent a dire
tous les professionnels.
Les moins fortunés se tournent vers les
pays de l'Est, qui pratiquent depuis
longtemps un dumping sur les prix,
notamment en Hongrie. « Les orchestres de
Budapest sont plutét bons et
particuliérement sollicités par les majors
américaines », souligne Jeff Genie,
dirigeant de Gloria, une agence qui
s’occupe d’une quinzaine de compositeurs
de musique pour le cinéma, dont Mathieu
Lamboley, mais aussi les fréres russes
Evgueni et Sacha Galperine ou l’Australien
Warren Ellis. Les orchestres de République
tchéque n’ont pas la méme réputation.
En Macédoine, l’ubérisation de la musique
est en marche : a Skopje, le studio Fame’s,
lancé par des Francais, propose
ll O <En Macédoine, l’ubérisation de la musique
est en marche : a Skopje, le studio Fame’s,
lancé par des Francais, propose
denregistrer avec Skype. Depuis Paris, le
chef d’orchestre peut diriger un orchestre
dans la péninsule des Balkans, pour un
cout tres, trés accessible. A condition que
la partition ne soit pas trop technique.
« La musique représente en général 1% du
budget d’un film. Et encore, cette somme est
bien souvent rognée, puisquelle arrive en
fin du processus d‘élaboration de l’ceuvre »,
note Katy Borie. « Cest souvent
tardivement que la production décide
d aller chercher un compositeur. Et si lon
veut alors trouver un orchestre, ¢a devient
franchement difficile », ajoute Jeff Genie.
Les achats de droits peuvent se
révéler couiteux
Pourtant, l’autre voie, l’acquisition des
droits pour des musiques préexistantes
peut se révéler trés cotiteuse : une chanson
de Michael Jackson est facturée plusieurs
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Pourtant, l’autre voie, l’acquisition des
droits pour des musiques préexistantes
peut se révéler trés coiteuse : une chanson
de Michael Jackson est facturée plusieurs
centaines de milliers d’euros. C’est bien
supérieur a ce que cotite un compositeur
qui va travailler plusieurs mois sur une
partition, reléve Jeff Genie. Des
producteurs se rabattent aussi sur de la
« musique de librairie », de l’illustration
sonore sur un theme — romantique,
mélancolique, dramatique... Et trés
souvent, ils utilisent de la musique de
synthése, qui essaie de reproduire des
instruments de musique existants.
Par ailleurs, tous les cinéastes n’ont pas le
méme gout pour les musiques originales,
souligne Béatrice Thiriet. Martin Scorsese
écrit son scénario en écoutant de la
musique classique et a ensuite du mal a
s’en détacher, dit-elle. A l’inverse, Luc
Besson ou Jacques Audiard consacrent
habituellement un important budget a des
musiques originales.
Pour les compositeurs, écrire pour le
ll O 5ole
Pour les compositeurs, écrire pour le
septiéme art constitue un exercice trés
particulier. La musique de film obéit a
certaines régles : « Simplicité de l’écriture,
du message. Ft des nuances et des silences
d'une qualité particuliére », releve Béatrice
Thiriet. D’ailleurs, le Conservatoire
national supérieur de musique et de danse
de Paris enseigne désormais la
composition et l’arrangement pour
l'image animée et le cinéma. Pour Katy
Borie, la délocalisation des
enregistrements est « dautant plus
navrante que nous avons en France
dexcellents musiciens et de trés bons
studios ».
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