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1931-11-12a - SCHIZOGRAPHIE PDF
1931-11-12a - SCHIZOGRAPHIE PDF
Présenté par J. Lévy-Valensi, Pierre Migault et Jacques Lacan1 cet article parut dans Les Annales Médico-
Psychologiques en 1931 t. II, p. 508-522. Il fut publié également à la suite de la thèse : De la psychose paranoïaque
dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975. Les chiffres renvoient aux pages de Travaux psychiatriques
(1926-1933).
(508)
Sous le titre de schizophasie, certains auteurs2 ont mis en relief la haute valeur qui
s’attache à certaines formes plus ou moins incohérentes du langage, non seulement comme
symptômes de certains troubles profonds de la pensée, mais encore comme révélateurs de
leur stade évolutif et de leur mécanisme intime. Dans certains cas, ces troubles ne se
manifestent que dans le langage écrit. Nous tenterons seulement de montrer quelle matière
ces écrits offrent à une étude précise des mécanismes psycho-pathologiques. Ceci à propos
d’un cas qui nous a semblé original.
Il s’agit d’une malade, Marcelle C., âgée de 34 ans, institutrice primaire, internée depuis un an à la
Clinique psychiatrique. Un an et demi auparavant elle avait été internée une première fois mais était
aussitôt ressortie sur la demande de son père, petit artisan.
Mlle C. donne au premier abord l’impression d’une personne qui jouit de l’intégrité de ses facultés
mentales. Pas d’étrangeté dans sa tenue. On ne remarque à aucun moment de sa vie dans le service de
comportement anormal. Des protestations très vives à l’égard de son internement semblent d’abord
obvier à tout contact. Il s’établit néanmoins.
Ses propos sont alors vifs, orientés, adaptés, enjoués parfois. De l’intégrité de ses fonctions
intellectuelles, qui apparaît totale dans une conversation suivie, nous avons poussé l’exploration
objective par la méthode des tests. Les tests ordinaires, portant sur l’attention, la logique, la mémoire,
s’étant montrés très au-dessous de ses capacités, (76)nous avons usé d’épreuves plus subtiles, plus
proches des éléments sur lesquels porte notre appréciation quotidienne des esprits. Ce sont les « Tests
d’intention » : sens apparent et réel d’un propos, d’une épigramme, d’un texte, etc. Elle s’y est toujours
montrée suffisante, rapide et même aisée.
Notons que, si loin qu’on aille dans sa confidence, le contact affectif avec elle reste incomplet. À
chaque instant s’affirme une foncière résistance. La malade professe d’ailleurs à tout propos : « Je ne
veux être soumise à personne. Je n’ai jamais voulu admettre la domination d’un homme », etc.
Quand nous en sommes à faire cette remarque, la malade a pleinement extériorisé son délire. Il
comporte des thèmes nombreux dont certains typiques :
Un thème de revendication, fondé sur une série d’échecs prétendus injustifiés à un examen, s’est
manifesté par une série de démarches poursuivies avec une sthénie passionnelle, par la provocation de
scandales qui ont amené l’internement de la malade. Pour le dommage de cet internement, elle réclame
« vingt millions d’indemnités dont douze pour privation de satisfactions intellectuelles et huit pour
privation de satisfactions sexuelles ».
Un thème de haine se concentre contre une personne, Melle G., qu’elle accuse de lui avoir volé la
place qui lui revenait à cet examen et de s’être substituée à elle dans la fonction qu’elle devrait occuper.
Ces sentiments agressifs s’étendent à plusieurs hommes qu’elle a connus dans une période récente et
pour lesquels elle semble avoir eu des sentiments assez ambivalents, – sans leur céder jamais, affirme-t-
elle.
Un thème érotomaniaque à l’égard d’un de ses supérieurs dans l’enseignement l’inspecteur R., –
atypique en ceci qu’il est rétrospectif, l’objet du délire étant défunt et la passion morbide ne s’étant
révélée d’aucune façon de son vivant.
Un thème « idéaliste » s’extériorise non moins volontiers. Elle a « le sens de l’évolution de l’humanité ».
Elle a une mission. Elle est une nouvelle Jeanne d’Arc, mais « plus instruite et d’un niveau de
civilisation supérieure ». Elle est faite pour guider les gouvernements et régénérer les mœurs. Son
affaire est « un centre lié à de hautes choses internationales et militaires ».
Sur quels fondements repose ce délire polymorphe ? La question, on va le voir, reste problématique et
peut-être les écrits nous aideront-ils à la résoudre.
Lors de ses deux internements la malade a été examinée à l’Infirmerie spéciale. Les certificats du Dr
Logre et du Dr de Clérambault mettent en valeur le caractère paranoïaque « soit ancien, soit
néoformé », admettent l’existence d’un automatisme mental.
1.L’observation qui sert de base à ce travail a été présentée à la Société Médico-psychologique, séance du 12 novembre
1931, sous le titre de : Troubles du langage écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants du type
paranoïde (schizographie).
2 Pfersdorff.– « La schizophasie, les catégories du langage ». Travaux de la clinique psych. De Strasbourg, 1927, Guilhem
Si le caractère paranoïaque s’est anciennement manifesté chez la malade, il est difficile de le préciser
tant par l’interrogatoire, à cause des interprétations rétrospectives, que par l’enquête, car nous n’avons
eu de la famille que des renseignements épistolaires.
(77)Néanmoins, la simple étude du cursus vitæ de la malade semble faire apparaître une volonté de se
distinguer de son milieu familial, un isolement volontaire de son milieu professionnel, une fausseté du
jugement, qui se traduisent dans les faits. Ses études sont bonnes et il n’y a rien à relever jusqu’à sa
sortie de l’École normale primaire à 21 ans. Mais en possession d’un poste en 1917, elle prétend régler
son service à se façon, déjà revendique et même interprète. Après quelques années, elle se met en tête
d’accéder au professorat d’une école de commerce, réclame à cet effet un changement de poste puis
un congé et, en 1924, abandonne purement et simplement son poste, pour venir préparer son examen
à Paris. Là, elle gagne sa vie comme employée comptable, mais se croit persécutée dans toutes ses
places et en change douze fois en 4 ans. Le comportement sexuel auquel nous avons fait allusion, le
caractère très foncier des rébellions exprimées par la malade viennent s’ajouter à l’impression qui se
dégage de l’ensemble de son histoire pour faire admettre une anomalie évolutive ancienne de la
personnalité, de type paranoïaque.
Pour faire le bilan des phénomènes élémentaires « imposés » ou dits d’action extérieure, il nous a fallu
beaucoup de patience. Ce n’est point en effet seulement la réticence ou la confiance de la malade qui
interviennent dans leur dissimulation ou leur divulgation. C’est le fait que leur intensité varie, qu’ils
évoluent par poussées et qu’avec ces phénomènes apparaît un état de sthénie à forme expansive, qui
d’une part leur donne certainement leur résonance convaincante pour le sujet, d’autre part en rend
impossible, même pour des motifs de défense, l’occultation.
La malade a présenté durant son séjour dans le service une de ces poussées, à partir de laquelle ses
aveux sont restés acquis : elle nous a dès lors éclairé sur les phénomènes moins intenses et moins
fréquents qu’elle ressent dans les intervalles et sur les épisodes évolutifs passés.
Les phénomènes « d’action extérieure » se réduisent aux plus subtils qui soient donnés dans la
conscience morbide. Quel que soit le moment de son évolution, notre sujet a toujours nié
énergiquement d’avoir jamais eu « des voix » ; elle nie de même toute « prise », tout écho de la pensée,
des actes ou de la lecture. Questionnée selon les formes détournées que l’expérience de ces malades
nous apprend à employer, elle dit ne rien savoir de ces « sciences barbouilleuses où les médecins ont
essayé de l’entraîner ».
Tout au plus s’agit-il d’hyperendophasie épisodique, de mentisme nocturne, d’hallucinations
psychiques. Une fois la malade entend des noms de fleurs en même temps qu’elle sent leurs odeurs. La
malade, une autre fois dans une sorte de vision intérieure, se voit et se sent à la fois, accouplée dans
une posture bizarre avec l’inspecteur R.
L’éréthisme génital est certain. La malade pratique assidûment la masturbation. Des rêveries
l’accompagnent et certaines sont semi-oniriques. Il est difficile de faire la part de l’hallucination
génitale.
(78)Par contre, elle éprouve des sentiments d’influence intensément et fréquemment. Ce sont des
« affinités psychiques », des « intuitions », des « révélations d’esprit », des sentiments de « direction ».
« C’est d’une grande subtilité d’intelligence », dit-elle. De ces « inspirations », elle différencie les
origines : c’est Foch, Clemenceau, c’est son grand-père, B. V., et surtout son ancien inspecteur M. R.
Enfin, il faut classer parmi ces données imposées du vécu pathologique, les interprétations. Dans
certaines périodes, paroles et gestes dans la rue sont significatifs. Tout est mise en scène. Les détails les
plus banaux prennent une valeur expressive qui concerne sa destinée. Ces interprétations sont
actuellement actives mais diffuses : « J’ai cru comprendre qu’on a fait de mon cas une affaire
parlementaire… mais c’est tellement voilé, tellement diffus. »
Ajoutons ici quelques notes sur l’état somatique de la malade. Elles sont surtout négatives. Il faut
retenir : une grippe en 1918. Un caféinisme certain. Un régime alimentaire irrégulier. Un tremblement
net et persistant des doigts. Une hypertrichose marquée des lèvres. Règles normales. Tous autres
appareils normaux. Deux lipothymies très courtes dans le service sans autre signe organique qu’une
hyperhémie papillaire qui a duré une huitaine de jours. Bacillose fréquente dans la lignée maternelle.
Venons-en aux écrits très abondants. Nous en publions un choix et le plus possible intégralement. Les
chiffres qui s’y trouvent insérés serviront lors des commentaires qui vont suivre, à renvoyer aux textes.
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Daigne (6) intercepter les sons de la loi pour me faire le plus (7) propre de la terre sinon le plus (7)
érudit. Le sans soin de ma foi (8) fait passer Méphisto (9) le plus (7) cruel des hommes mais il faut être
sans doux dans les mollets pour être le plus prompt à la transformation. Mais il est digne d’envie qui
fait le jeu de la manne du cirque. On voit que etc.
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Le graphisme est régulier du début à la fin de la lettre. Extrêmement lisible. D’un type
dit primaire. Sans personnalité, mais non sans prétention.
Fréquemment, la fin de la lettre remplit la marge. Aucune autre originalité de
disposition. Pas de soulignages.
Aucune rature. L’acte d’écrire, quand nous y assistons, s’accomplit sans arrêt, comme
sans hâte.
La malade affirme que ce qu’elle exprime lui est imposé, non pas d’une façon irrésistible
ni même rigoureuse, mais sous un mode déjà formulé. C’est, dans le sens fort du terme,
une inspiration.
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Cette inspiration ne la trouble pas quand elle écrit une lettre en style normal en présence
du médecin. Elle survient par contre et est toujours, au moins épisodiquement, accueillie
quand la malade écrit seule. Même dans une copie de ces lettres, destinée à être gardée, elle
n’écarte pas une modification du texte, qui lui est « inspirée ».
Interrogée sur le sens de ses écrits, la malade répond qu’ils sont très compréhensibles.
Le plus souvent, pour les écrits récemment composés, elle en donne des interprétations qui
éclairent le mécanisme de leur production. Nous n’en tenons compte que sous le contrôle
d’une analyse objective. Nous ne donnons, avec Pfersdorff3 à toute interprétation dite
« philologique », qu’une valeur de symptôme.
Mais, le plus souvent, à l’égard de ses écrits, surtout quand ils sont anciens, l’attitude de
la malade se décompose ainsi :
a) Conviction absolue de leur valeur. Cette conviction semble fondée sur l’état de
sthénie qui accompagne les inspirations et qui entraîne chez le sujet la conviction qu’elles
doivent, même incomprises de lui, exprimer des vérités d’ordre supérieur. À cette
conviction semble être attachée l’idée que les inspirations (83)sont spécialement destinées à
celui à qui est adressée la lettre. « Celui-là doit comprendre ». Il est possible que le fait de
plaider sa cause auprès d’un auditeur (c’est toujours l’objet de ses écrits) déclenche l’état
sthénique nécessaire.
b) Perplexité, quant à elle, sur le sens contenu dans ces écrits. C’est alors qu’elle prétend
que ses inspirations lui sont entièrement étrangères et qu’elle en est à leur égard au même
point que l’interrogateur. Si radicale que soit parfois cette perplexité, elle laisse intacte la
première conviction.
c) Une profession, justificative et peut-être jusqu’à un certain point déterminante, de
non-conformisme. « Je fais évoluer la langue. Il faut secouer toutes ces vieilles formes. »
Cette attitude de la malade à l’égard de ses écrits est identique à la structure de tout le
délire.
a) Sthénie passionnelle fondant dans la certitude des sentiments délirants de haine,
d’amour et d’orgueil. Elle est corrélative des états d’influence, d’interprétation,. etc.
b) Formulation minima du délire, tant revendicateur qu’érotomaniaque ou réformateur.
c) Fonds paranoïaque de surestimation de soi-même et de fausseté du jugement.
Cette structure caractéristique du délire nous est ainsi révélée de façon exemplaire.
Voyons si l’analyse des textes eux-mêmes nous éclairera sur le mécanisme intime des
phénomènes « d’inspiration ».
Notre analyse porte sur un ensemble de textes environ dix fois plus étendus que ceux
que nous citons.
Pour conduire cette analyse sans idées préconçues, nous suivrons la division des
fonctions du langage que Head a donnée à partir de données purement cliniques4 (étude des
aphasiques jeunes)5. Cette conception s’accorde d’ailleurs remarquablement avec ce que les
psychologues et les philologues obtiennent par leurs techniques propres6
Elle se fonde sur l’intégration organique de quatre fonctions auxquelles correspondent
quatre ordres de troubles effectivement dissociés par la clinique :
(84)
– troubles verbaux ou formels du mot parlé ou écrit ; – troubles nominaux ou du sens
des mots employés, c’est-à-dire de la nomenclature ; – troubles grammatiques ou de la
construction syntaxique ; – troubles sémantiques ou de l’organisation générale du sens de la
phrase.
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Les transformations du sens des mots paraissent voisines des processus d’altération
étudiés par les philologues et les linguistes dans l’évolution de la langue commune. Elles se
font comme ceux-ci par contiguïté de l’idée exprimée et aussi par contiguïté sonore ou plus
exactement parenté musicale des mots ; la fausse étymologie du type populaire résume ces
deux mécanismes : aussi la malade emploie « mièvre » dans le sens qu’a « mesquin ». Elle a
fait une famille avec les mots mairie et marier, d’où elle tire : marri et le néologisme mairir.
Le sens est encore transformé selon le mécanisme normal de l’extension et de
l’abstraction, tels les jarrets [(39) (44) (46), etc.], fréquemment évoqués, mot auquel la
malade donne son sens propre, et « par extension » celui de lutte, marche, force active.
Des mécanismes de dérivation réguliers produisent les néologismes érudir (27) (41),
enigmer, oraie [(22) (47)], formé comme roseraie, et très fréquemment employé dans le
sens d’affaire qui produit de l’or, vendredettes (37), qui désigne ce qui se rapporte à un
cours qu’elle suivait le vendredi, etc.
D’autres mots sont d’origine patoisante, locale ou familiale, voir (28), et encore les
Respans pour les Rameaux (54), le mot « nèche » pour dire méchante, et les mots
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« tougne », d’où dérivent tougnate (23) (25), tougnasse, qui sont des injures désignant
toujours sa principale ennemie, Mlle G…
Enfin noter l’usage de mots truculents : les emmitouflés (52), les encoquinés, etc…
On peut remarquer après examen que la construction syntaxique est presque toujours
respectée. L’analyse logique formelle est toujours possible à cette condition d’admettre la
substitution de toute une phrase à la place d’un substantif. Tel l’exemple suivant (56) :
« Mais si vous voulez faire le merle à fouine et le/ tant l’aire est belle qu’il la faut majorer de
faits /, c’est que vous êtes as de la fête et qu’il nous faut tous pleurer. » Les deux (86)signes
// isolent la phrase jouant la fonction de substantif. Cette construction est très fréquente
(15) (24) (25) (29) (33) (73). Parfois, il s’agit d’adjectifs ou de formules adjectives employées
substantivement (4) (8) (17) (21), ou simplement d’un verbe à la 3e personne : « le mena »,
« le pela », « le mène rire ».
Cette forme donne d’abord l’illusion d’une rupture de la pensée ; nous voyons qu’elle en
est tout le contraire puisque la construction reprend, après que la phrase, en quelque sorte
entre parenthèses, s’est achevée.
En des passages beaucoup plus rares, le lien syntaxique est détruit et les termes forment
une suite verbale organisée par l’association assonantielle du type maniaque (60) (73), ou,
par une liaison discontinue du sens, fondée sur le dernier mot d’un groupe repris comme
premier du suivant, procédé parent de certains jeux enfantins : tel (20) : ou encore cette
formule : « vitesse aux succès fous de douleur, mais ventre à terre et honneur » (lettre non
citée). La fatigue conditionne en partie ces formes qui sont plus fréquentes à la fin des
lettres.
D. – TROUBLES SÉMANTIQUES
Ils sont caractérisés par l’incohérence qui paraît d’abord totale. Il s’agit en réalité d’une
pseudo-incohérence.
Certains passages plus pénétrables nous permettent de reconnaître les traits
caractéristiques d’une pensée où prédomine l’affectivité.
C’est d’abord essentiellement l’ambivalence. « J’ai subi, dit-elle, le joug de la défense (2) »
pour signifier exactement le « joug de l’oppression » par exemple. Plus nettement encore :
« Vous êtes atterrés parce que je vous hais au point que je vous voudrais tous sauvés » (79).
Voir encore (80).
De la condensation, de l’agglutination des images, voici des exemples. Dans une lettre
non publiée : « Je vous serais fort avant-coureur, écrit-elle à son député, de me libérer de
cet enfer. » Ce qui veut dire que, pour exprimer sa reconnaissance, elle le fera bénéficier de
ces lumières spéciales qui font d’elle un avant-coureur de l’évolution. De même, ailleurs :
« Je vous serais fort honnête de vouloir bien procéder à un emprisonnement correct dans
l’enseignement primaire. »
Le déplacement, la projection des images sont non moins avérés après qu’on a interrogé
la malade. Qu’elle interprète (plus ou moins secondairement, ceci importe peu), un passage
incohérent comme exprimant une calomnie qu’on a dû répandre sur elle, il se trouve que le
discours lui attribue à elle-même la phrase (87)incriminée. L’inverse se produit non moins
constamment. La notion de la participation semble effacer ici celle de l’individu. Et cette
tendance de sa pensée pourrait relever de l’expérience délirante du sentiment d’influence, si
l’usage du procédé que nous signalons, n’était nettement ironique et ne révélait par là son
dynamisme affectif.
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En témoigne encore la profusion des noms propres dans ses écrits (plusieurs à la suite,
joints par le signe =, pour désigner le même individu, par exemple), des surnoms, la
diversité et la fantaisie de ses propres signatures.
Notons que la malade se qualifie elle-même fréquemment au masculin (7).
Dans une composition que nous lui avons demandée sur un sujet technique qu’elle était
censé connaître, la relation se marquait bien entre le défaut de direction et d’efficacité de la
pensée et cette structure affective. Ce travail, à peu près suffisant dans son contenu général,
montrait deux ou trois fois une dérivation du discours, tout à fait hors de propos, et
toujours sous la forme de l’ironie, de l’allusion, de l’antiphrase. Ces formes. où la pensée
affective trouve normalement à s’exprimer dans les cadres logiques, étaient ici liées à la
manifestation d’un déficit intellectuel qui ne s’était pas révélé dans les tests, où elle était
passive.
Néanmoins, tout dans ces textes ne semble pas ressortir à la formulation verbale
dégradée de tendances affectives. Une activité de jeu s’y montre, dont il ne faut
méconnaître ni la part d’intention, ni la part d’automatisme. Les expériences faites par
certains écrivains sur un mode d’écriture qu’ils ont appelé surréaliste, et dont ils ont décrit
très scientifiquement7 la méthode, montrent à quel degré d’autonomie remarquable peuvent
atteindre les automatismes graphiques en dehors de toute hypnose8.
Or, dans ces productions certains cadres peuvent être fixés d’avance, tel un rythme
d’ensemble, une forme sentencieuse9 sans que diminue pour cela le caractère violemment
disparate des images qui viennent s’y couler.
Un mécanisme analogue semble jouer dans les écrits de notre malade, pour lesquels la
lecture à haute voix révèle le rôle essentiel du rythme. Il a souvent, par lui-même, une
puissance expressive considérable.
(88)
L’hexamètre rencontré à chaque ligne (66) est peu significatif et est plutôt un signe
d’automatisme. Le rythme peut être donné par une tournure sentencieuse, qui prend
parfois la valeur d’une véritable stéréotypie, tel le schéma donné par le proverbe : « À
vaincre sans péril on triomphe sans gloire », vingt fois sous-jacent à quelque formule
apparemment incohérente (31). Un grand nombre de tournures propres à certains auteurs
classiques, à La Fontaine très souvent, soutiennent son texte. La plus typique de celles-ci
est la phrase délirante qui précède le renvoi (53) et qui est calquée sur le célèbre dystique
d’Hégésippe Moreau :
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« Crois qu’à ton âge tu devrais être au retour de l’homme fort qui, sans civilisation, se
fait le plus cran de l’aviron et te reposer sans tapinois dans le plus clair des métiers de
l’homme qui se voit tailler la perle qu’il a faite et se fait un repos de son amant de foin. »
Voir encore (39) (40) (50) (64) (67).
Au terme de notre analyse, nous constatons qu’il est impossible d’isoler dans la
conscience morbide le phénomène élémentaire, psycho-sensoriel ou purement psychique,
qui serait le noyau pathologique, auquel réagirait la personnalité demeurée normale. Le
trouble mental n’est jamais isolé. Ici, nous voyons le mécanisme essentiel reposer sur une
double base :
– un déficit intellectuel, qui, si subtil soit-il, se traduit dans les productions intellectuelles,
la conduite, et fonde certainement la croyance délirante ;
– un état de sthénie passionnelle qui, diversement polarisé en sentiments d’orgueil, de
haine ou de désir, prend sa racine unique dans une tendance égocentrique.
(89)
Cet état émotionnel chronique est susceptible de variations, selon plusieurs périodes.
Périodes longues, qui révèlent une corrélation clinique avec la fréquence des phénomènes
élémentaires d’action extérieure. Périodes courtes, qui sont déterminées par l’expression
écrite des thèmes délirants.
Dans ces états d’exaltation, les formulations conceptuelles, que ce soit celles du délire ou
des textes écrits, n’ont pas plus d’importance que les paroles interchangeables d’une
chanson à couplets. Loin qu’elles motivent la mélodie, c’est celle-ci qui les soutient, et
légitime à l’occasion leur non-sens.
Cet état de sthénie est nécessaire pour que les phénomènes dits élémentaires, eussent-ils
la consistance psychosensorielle, entraînent l’assentiment délirant, que la conscience
normale leur refuse.
De même. dans les écrits, la formule rythmique seule est donnée, que doivent remplir les
contenus idéiques qui se présenteront. Dans l’état donné de niveau intellectuel et de culture
de la malade, les conjonctions heureuses d’images pourront se produire épisodiquement
pour un résultat hautement expressif. Mais le plus souvent, ce qui viendra, ce seront les
scories de la conscience, mots, syllabes, sonorités obsédantes, « rengaines », assonances,
« automatismes » divers, tout ce qu’une pensée en état d’activité, c’est-à-dire qui identifie le
réel, repousse et annule par un jugement de valeur.
Tout ce qui, de cette origine, se prend ainsi dans le texte, se reconnaît à un trait qui en
signe le caractère pathologique : la stéréotypie. Ce trait est manifeste parfois. On ne peut
ailleurs que le pressentir. Sa présence nous suffit.
Rien n’est en somme moins inspiré, au sens spirituel, que cet écrit ressenti comme
inspiré. C’est quand la pensée est courte et pauvre, que le phénomène automatique la
supplée. Il est senti comme extérieur parce que suppléant à un déficit de la pensée. Il est
jugé comme valable, parce qu’appelé par une émotion sthénique.
Il nous semble que cette conclusion, qui touche aux problèmes les plus essentiels que
nous pose le fonctionnement pathologique de la pensée, valait l’analyse phénoménologique
minutieuse, que seuls des écrits pouvaient nous permettre.