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Gaslighting

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Ingrid Bergman dans le film Gaslight en 1944


(en français Hantise).
Le gaslighting ou gas-lighting, connu sous le nom de détournement
cognitif1 au Québec, est une forme d'abus mental dans lequel l'information est
déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser
l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de
sa perception et de sa santé mentale2,3. Les exemples vont du simple déni par
l'abuseur de moments pénibles qu'il a pu faire subir à sa victime, jusqu'à la mise
en scène d’événements étranges afin de la désorienter.

Le terme provient de la pièce Gas Light (en) et de son adaptation


cinématographique. Depuis, le terme a été utilisé dans le domaine clinique et la
littérature spécialisée4,5.
Étymologie[modifier | modifier le code]
La pièce datant de 1938 Gas Light connue sous le nom d'Angel Street aux
États-Unis, ainsi que les adaptations cinématographiques de 1940 et 1944, sont
à l'origine du terme qui fait référence à l'utilisation systématique par le
personnage principal de la manipulation psychologique sur sa victime. Dans
cette pièce, le mari essaye de faire croire à sa femme et à son entourage
qu'elle devient folle en manipulant de petits éléments de leur environnement,
tout en essayant de lui faire croire qu'elle commet des erreurs et qu'elle a une
mauvaise mémoire lorsqu'elle pointe les changements. Le titre original provient
de l'affaiblissement de l'éclairage au gaz dans la maison lorsque le mari utilisait
celui du grenier alors qu'il était en quête d'un trésor caché. Sa femme remarque
justement ce changement et aborde le sujet mais son mari lui affirme qu'elle
s'imagine ce changement de luminosité.

La première occurrence de Gaslighting dans ce sens apparaît en 19566. Le


terme décrit les manœuvres utilisées pour manipuler la perception de la réalité
d'autrui. Dans un livre de 1980 à propos des abus sexuels sur
mineurs, Florence Rush résume l'adaptation cinématographique de Gas
Light par George Cukor et commente : « même aujourd'hui, le mot [gaslighting]
est utilisé pour décrire une tentative de détruire la perception de la réalité
d'autrui7. »

Fonctionnement[modifier | modifier le code]


Pour l'essentiel, le gaslighting consiste en une inversion des rôles coupable-
victime. L'objectif de l'abuseur est de supprimer les réactions d'autodéfense de
sa victime pour échapper aux sanctions qui lui sont dues. Cela lui permet
également de reproduire ses abus plus facilement.

Le gaslighting est un cas particulier de diversion basée sur des manipulations


verbales ou autrement subtiles (gestuelle, expressions faciales, intonations,
attitude, etc.). À titre comparatif, dans les phénomènes de bouc émissaire, la
culpabilité des souffrances d'un groupe est injustement attribuée à une entité
externe au groupe d'abuseurs. Alors que dans le gaslighting, la culpabilité de la
souffrance de la victime est injustement attribuée à la victime elle-même.

Dans le gaslighting, l'abuseur fait porter le chapeau des souffrances de sa


victime à la victime elle-même ou à ses attributs ou capacités mentales ou
psychologiques. Le manipulateur amène la victime à remettre en cause chacun
de ses choix, sentiments, émotions, valeurs, etc. et la fait douter de sa santé
mentale. Par exemple, pour dégrader l'estime de soi de la victime, l'abuseur
peut l'ignorer fortement, puis la reconsidérer fortement, puis l'ignorer de
nouveau, etc. Ainsi, la victime abaisse ses propres standards relationnels et
affectifs et se perçoit davantage comme indigne d'intérêt8. Mais aussi, elle ne
parvient plus à faire confiance à ses sentiments d'attachement.

Outre l'état d'inaction dans lequel le doute positionne la victime, il la rend


encore plus dépendante du manipulateur. La victime se dit parfois que si son
abuseur voit ses faiblesses, c'est qu'il est plus fort qu'elle et donc qu'elle devrait
lui faire confiance. Elle se dit aussi parfois que si son abuseur lui montre ses
faiblesses, c'est qu'il se soucie d'elle (comme un médecin montre des blessures
pour mieux les soigner).

Techniques[modifier | modifier le code]


Les manipulateurs peuvent aussi utiliser les phrases suivantes de manière
récurrente ou à chaque fois que leur pouvoir est remis en question9,10 :

• « Tu es trop susceptible. »
• « Tu prends les choses trop à cœur. »
• « Tu te fais des idées. »
• « De toute façon, tu n'es jamais content(e). »
• « Tu te trompes ou confonds (comme toujours). »
• « Ça ne va pas ? Tu dis des choses très bizarres. »
• « Tu ne sais pas ce qui est bon pour toi. » (après avoir fait souffrir)
• « Tu es seul(e) maître de ce qui t'arrive. » (après avoir mis dans une
situation compromettante sans l'accord de sa victime voire contre son
gré)
• « Tu es trop faible pour y arriver seul(e). »
• « Tu n'as aucune volonté (de t'en sortir). »
Comme décrit par l'essayiste Patricia Evans, les sept « signes
d'avertissement » du gaslighting sont :

• retenir ou réduire les informations données à la victime ;


• contrer les informations contradictoires pour s'adapter au point de
vue de l'agresseur ;
• minimiser l'information émise par la victime ;
• utiliser l'abus verbal, généralement sous forme de blagues ;
• bloquer et détourner l'attention de la victime de sources extérieures ;
• minimiser ou trivialiser la valeur de la victime ;
• affaiblir socialement la victime, en l'affaiblissant progressivement
ainsi que ses processus de pensée.
Evans considère qu'il est nécessaire de comprendre les signes avant-coureurs
afin de commencer le processus de guérison11.

Exemples cliniques[modifier | modifier le code]


Milieu familial[modifier | modifier le code]
Dans les cas de maltraitances physiques conjugales ou infantiles, le ou la
partenaire ou le parent physiquement abusif gaslighte souvent son ou sa
partenaire ou enfant victime12. Par exemple, il peut nier catégoriquement sa
violence13 jusqu'à ce que sa victime y croie par effet de force et de répétition.
Cela contribue au maintien de l'emprise.

L'emprise psychologique par le discours fait que des spectateurs extérieurs, qui
auraient autrement pris la défense des victimes, peuvent se retrouver complices
malgré eux car ils sous-estiment ou minimisent les abus. Cela renforce d'autant
plus la situation et les sentiments d'abandon et de culpabilité des victimes. Par
exemple, les spectateurs externes peuvent se dire : « Si c'était si grave, il(elle)
l'aurait déjà quitté(e) ou coupé les ponts ». Or précisément, si la victime ne se
sépare pas de son abuseur, ce n'est pas parce qu'elle n'a pas été « assez »
abusée mais parce qu'elle a été « tellement » abusée que mêmes ses
mécanismes d'autodéfense (fuite ou rébellion) sont anéantis.

Cet aveuglement des pairs peut faire partie intégrante de la structure


de gaslighting mise en place par l'abuseur. En effet, la mise au jour des
manipulations augmente les chances des victimes de s'en sortir. Notamment, la
révélation des abus est indispensable en cas de poursuites judiciaires.

Le gaslighting peut également décrire une dynamique observée dans certaines


infidélités maritales. « Les thérapeutes peuvent contribuer à la détresse des
victimes en attribuant une explication erronée à leurs réactions [...] Le
comportement du mari usant du gaslighting est un ingrédient provocateur de la
dépression nerveuse pour certaines femmes [et] de leur suicide dans le pire
des cas »14.

Milieu hospitalier[modifier | modifier le code]


Des cas de gaslighting ont été observés entre des patients et du personnel
d'hôpital psychiatrique15.

Éducation nationale (France)[modifier | modifier le code]


De nombreux cas de harcèlement moral, pouvant conduire au suicide, sont
associés au traitement des personnels enseignants par les personnels de
direction et les personnels d'inspection dans l'Éducation nationale.

Le détournement cognitif consiste alors à cibler un enseignant et à le présenter


comme responsable de dysfonctionnements structurels : sa formation, ses
pratiques pédagogiques ou sa personne seront accusées ; son témoignage et
son expérience seront remis en doute par sa hiérarchie. Un exemple célèbre
est celui du professeur Samuel Paty assassiné en octobre 2020 : alors qu'il
demandait de l'aide à la suite de menaces répétées, sa hiérarchie l'a convoqué
pour «lui rappeler les règles de laïcité et de neutralité», sans promettre de
mesures de protection fonctionnelle16. Ces stratégies de manipulation peuvent
s'insérer dans des situations de mobbing plus large, lorsqu'elles concernent
l'ensemble d'une équipe pédagogique17.

Dans une situation de harcèlement scolaire, l'enfant victime de harcèlement ne


sera pas entendu[citation nécessaire] (par ses parents ou le personnel éducatif) ou
son statut de victime sera retourné contre lui : des éléments inhérents à sa
personne expliqueraient qu'il attire à lui les violences et justifieront l'inaction de
l'entourage familial ou pédagogique pour le protéger.

Sociopathie[modifier | modifier le code]


Le gaslighting est très régulièrement utilisé par les sociopathes. Les
sociopathes sont des personnes qui, sur une base très régulière, exploitent les
autres, n'ont pas de considération pour les intérêts d'autrui et transgressent les
lois et les mœurs sociales. Mais lorsque ces derniers sont charismatiques ou
bons menteurs, ils peuvent rester indétectés de leurs victimes et des autorités
punitives, parfois même pris en flagrant délit. Pour y arriver, ils amènent leurs
victimes à douter abusivement de leurs propres perceptions18.

Effets et auto-diagnostic[modifier | modifier le code]


Selon Ramani Durvasula (en), psychologue clinicienne, ressentir un besoin
d'enregistrer ses conversations avec une personne, pour être sûr de ne pas
avoir inventé des choses, indique que l'on est très probablement victime
de gaslighting9.

Parmi d'autres indices, une culpabilité systématique : se dire « c'est (toujours)


de ma faute » au moindre désagrément.

L'introjection[modifier | modifier le code]


Dans un article influent de 1981, « Some Clinical Consequences of Introjection:
Gaslighting » (« Quelques conséquences cliniques de l'introjection :
Gaslighting »), Calef et Weinshel débattent du fait que le gaslighting implique
l'introjection et la projection d'un conflit psychique de l'auteur à la
victime. « Cette imposition est basée sur un type de transfert très particulier de
conflits psychiques dangereux ou potentiellement dangereux pour leur sujet »19.

Les auteurs explorent une variété de raisons qui expliqueraient pourquoi la


victime pourrait avoir « une tendance à assimiler et incorporer ce que les autres
extériorisent et projettent sur eux » et concluent que le gaslighting pourrait être
une « configuration structurelle hautement complexe qui englobe les
contributions de plusieurs éléments de l'appareil psychique »19.

Solutions[modifier | modifier le code]


Hilde Lindemann argumente énergiquement sur le fait que l'habileté de la
victime de gaslighting à résister à la manipulation dépend notamment de « son
aptitude à faire confiance à ses propres jugements ». L'établissement
de « contre-récits » aide la victime à retrouver « un libre-arbitre plus solide »19.

La victime doit apprendre à douter des perceptions et messages d'autrui au


moins autant qu'elle doute de ses propres perceptions. Elle doit en particulier
identifier et remettre en question les perceptions qu'elle doit à autrui, même
partiellement, par opposition aux perceptions qu'elle ne tient que de son
expérience sensorielle propre. Elle doit apprendre à décrire ses souffrances
factuellement sans minimisation, au plus proche de ce qu'elle ressent et en
toute indépendance d'autrui.

Une victime de gaslighting développe souvent des cognitions autodestructrices


qui la rendent hypertolérante à la critique, à la dévalorisation et à la violence.
Pour les aider, les acteurs extérieurs doivent savoir se mettre à la place de la
victime, être patients, compatissants, prudents et prompts à remettre leur
propre perception de la victime en question.

Gaslighting dans la fiction[modifier | modifier le code]


Films[modifier | modifier le code]
• Hantise (Gaslight), de George Cukor, 1944
• L'Amour et les Forêts, Valérie Donzelli, 2023

Sources[modifier | modifier le code]


• (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de
Wikipédia en anglais intitulé « Gaslighting » (voir la liste des auteurs).
Références[modifier | modifier le code]
1. ↑ « détournement cognitif [archive] », sur oqlf.gouv.qc.ca
2. ↑ Merriam-Webster - Gaslighting
3. ↑ Dorpat 1994, p. 91–96
4. ↑ Dorpat 1996
5. ↑ Jacobson et Gottman 1998, p. 129–132
6. ↑ (en) « Definition of GASLIGHT [archive] », sur www.merriam-webster.com (consulté
le 17 mars 2021)
7. ↑ Rush, Florence, 1918-, The best-kept secret : sexual abuse of children, Human
Services Institute, 1992, 226 p. (ISBN 978-0-8306-3907-6, OCLC 24501791, lire en
ligne [archive])
8. ↑ (en) « 7 Signs You Are A Victim Of Gaslighting [archive] », sur divorcedmoms.com, 2
juillet 2015 (consulté le 14 avril 2017)
9. ↑ Revenir plus haut en :a et b (en) [vidéo] Dr. Ramani Durvasula, What is
Gaslighting? [archive] sur YouTube.
10. ↑ Christel Petitcollin, « Je pense trop : Comment canaliser ce mental
envahissant » [archive]
11. ↑ Patricia Evans, The Verbally Abusive Relationship: How to Recognize it and How to
Respond, Holbrook, Mass.: Adams Media Corporation, 1996, 2nd éd. (lire en
ligne [archive] ).
12. ↑ R. Cawthra, G. O'Brien et F. Hassanyeh, « 'Imposed psychosis'. A case variant of the
gaslight phenomenon », The British Journal of Psychiatry: The Journal of Mental
Science, vol. 150, avril 1987, p. 553–556 (ISSN 0007-1250, PMID 3664141, lire en
ligne [archive], consulté le 5 décembre 2017)
13. ↑ Jacobson, Neil S., 1949-, When Men Batter Women : New Insights Into Ending
Abusive Relationships, Simon & Schuster, 1998, 304 p. (ISBN 978-0-684-81447-
6, OCLC 37748396, lire en ligne [archive])
14. ↑ (en) Gass, G.Z.; Nichols, W.C., "Gaslighting : A Marital Syndrome". Journal of
Contemporary Family Therapy., 1988.
15. ↑ (en) C. A. Lund et A. Q. Gardiner, « The gaslight phenomenon--an institutional
variant », The British Journal of Psychiatry: The Journal of Mental
Science, vol. 131, novembre 1977, p. 533–534 (ISSN 0007-1250, PMID 588872, lire en
ligne [archive], consulté le 5 décembre 2017).
16. ↑ Pauline Moullot, « Checknews : Samuel Paty était-il sur le point d’être sanctionné par
la rectrice de l’académie de Versailles ? [archive] », sur Libération.fr, 18 octobre
2020 (consulté le 21 avril 2023)
17. ↑ Michel Rocca, « « Mobbing » : le monde académique, un terrain propice au
harcèlement en meute [archive] », sur The Conversation, 23 novembre 2020 (consulté
le 21 avril 2023)
18. ↑ Stout, Martha, 1953-, The sociopath next door : the ruthless versus the rest of us,
Broadway Books, 2005, 241 p. (ISBN 978-0-7679-1582-3, OCLC 74470101, lire en
ligne [archive])
19. ↑ Revenir plus haut en :a b et c Weinshel, Edward M., Commitment and compassion in
psychoanalysis : selected papers of Edward M. Weinshel, Analytic Press, 2003,
360 p. (ISBN 978-0-88163-379-5, OCLC 844924535, lire en ligne [archive])

Bibliographie[modifier | modifier le code]

• (en) « Gas-lighting - Definition and More from the Free Merrian-


Webster Dictionary [archive] », sur Merriam-Webster (consulté le 23 mai
2014)
• (en) Theodore L. Dorpat, « On the double whammy and
gaslighting », Psychoanalysis &
Psychotherapy, vol. 11, no 1, 1994 (lire en ligne [archive] )
• Hélène Frappat, Le gaslighting ou l'art de faire taire les femmes,
Paris, L'Observatoire, 2023, 288 p. (ISBN 9791032927427)
• (en) Theodore L. Dorpat, Gaslighting, the Double Whammy,
Interrogation, and Other Methods of Covert Control in Psychotherapy
and Psychoanalysis, Jason Aronson, 1996, 278 p. (ISBN 978-1-56821-
828-1, lire en ligne [archive])
• (en) Neil S. Jacobson et John M. Gottman, When Men Batter
Women : New Insights Into Ending Abusive Relationships, Simon and
Schuster, 10 mars 1998, 304 p. (ISBN 978-0-684-81447-6, lire en
ligne [archive])

Lectures associées[modifier | modifier le code]


• Calef, V.; Weinshel, E.M. (January 1981). « Some Clinical
Consequences of Introjection: Gaslighting » [archive]. Psychoanal
Q. 50 (1): 44–66. ISSN 0033-
2828 [archive]. OCLC 865290402 [archive]. PMID 7465707 [archive].
• Portnow, Kathryn (1996). Dialogues of Doubt: The Psychology of
Self-Doubt and Emotional Gaslighting in Adult Women and Men.
Harvard Graduate School of
Education. OCLC 36674740 [archive] (thesis/dissertation) (offline
resource)
• Santoro, Victor (1994-06-30). Gaslighting: How to Drive Your
Enemies Crazy. Loompanics Unlimited (offline resource)
• Stern, Robin (2007-05-01). The Gaslight Effect: How to Spot and
Survive the Hidden Manipulation Others Use to Control Your
Life [archive]. Random House Digital. (ISBN 978-0-7679-2445-0) (limited
preview available online)

Liens externes[modifier | modifier le code]


• Ressource relative à la santé :
o Medical Subject Headings
• (en) George K. Simon, Gaslighting as a Manipulation Tactic: what it
is, who does it, and why [archive], Counselling Resource, le 8
novembre 2011

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