Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
E-mail : contact@ixelles-editions.com
Site Internet : www.ixelles-editions.com
Introduction
– Mon petit chéri, il faut partir !
– Attends, Maman, je joue encore !
– Non, il est temps, range tes jouets, on doit y aller !
– Attends, Mamaaaan, j’ai pas fini mon jeu !
– Bon, si c’est comme ça, je te laisse là et je pars toute seule !
Ça marche ! Mais que fait cette mère pour obtenir que son rejeton lui
obéisse ? Elle le manipule ! Elle utilise la menace – et non des moindres : la
menace d’abandon – pour le contraindre à arrêter son jeu et à la suivre,
contre sa volonté. Normal, me direz-vous ! Il faut bien rentrer chez soi et le
bambin doit obéir. Vous avez raison. Mais utiliser la manipulation dans le
cadre de l’éducation laissera des traces, surtout si elle se répète : soit
l’enfant croit sa mère, ne se sent donc pas vraiment en sécurité avec elle et
développe des craintes d’être vraiment abandonné, bonjour la confiance en
soi ! Soit il ne croit pas sa mère, comprend la manœuvre, en apprécie
l’efficacité et n’hésitera pas à l’utiliser quand bon lui semblera…
Ne vous inquiétez pas ! Avoir utilisé ce subterfuge un jour de lassitude
pour faire bouger un enfant qui ne vous écoute pas ne fait pas de vous un
mauvais parent ou un manipulateur qui s’ignore. On dira juste : « Peut
mieux faire » ! Ce que cela démontre en tout cas, c’est combien la
manipulation est efficace, facile, fréquemment utilisée et pas uniquement
par de redoutables pervers narcissiques ! Tâchons d’y voir un peu plus clair.
Nous préférons tous vivre des relations agréables. Nous avons besoin de
nous sentir respectés tels que nous sommes et nous apprécions de pouvoir
exprimer nos opinions sans crainte.
Cependant, il arrive qu’on se sente mal à l’aise avec certaines personnes,
sans vraiment comprendre pourquoi. Quelque chose dérape. Le ton vire à
l’aigre et laisse un arrière-goût suspect. On perd pied, on est tourmenté, on
culpabilise, mais on ne parvient pas à en discuter sincèrement. Nos
tentatives d’explication semblent faire plus de tort que de bien, les coups
bas nous sidèrent et les silences nous glacent. La relation se dégrade sans
que l’on sache pourquoi et on craint la confrontation. L’ancien allié s’est
transformé en ennemi et ne paraît en aucune manière vouloir faire de
compromis. On se sent pris au piège d’un jeu pervers dont on n’arrive pas à
se dépêtrer et qui semble n’avoir pour règles que la soumission, le conflit
ou la rupture.
Cela vous dit quelque chose ? Seriez-vous empêtré dans les filets d’une
relation de manipulation ?
Bien sûr, il nous arrive de temps en temps de nous sortir d’un mauvais pas
en tentant de culpabiliser autrui, qu’on accuse plus que de raison d’être la
cause de notre frustration ou en arrangeant un petit peu la vérité pour
qu’elle serve nos intérêts. Ce n’est pas très élégant, mais ça ne tue pas. On
s’en sort en se disant qu’un moment de gêne est vite passé et que l’autre fait
probablement bien pire, mais, le plus souvent, on ne s’en rend même pas
compte !
Cela dit, ces dérapages laissent souvent un sentiment d’amertume dont on
ne comprend pas toujours l’origine. Rien ne nous empêche donc de faire
notre autocritique ! Pour vous y aider, j’ai choisi délibérément d’expliquer
les attitudes et les fonctionnements du manipulateur et de la victime en les
décrivant « de l’intérieur » aussi souvent que possible, plutôt que de me
limiter aux descriptions extérieures, qui encouragent une interprétation qui
ne me paraît pas toujours juste, ni opportune : l’autre a tort et j’ai raison. Le
seul avantage de cette vision de la relation est qu’elle est reposante ! On
n’est pas invité à se mettre en question et on reste bien installé dans le
confort de ses certitudes, que ce soit celles d’un manipulateur qui s’ignore
et ne comprend pas pourquoi les gens le fuient, ou celles d’une victime qui
attend des changements chez celui qui la méprise, sans conscience de sa
participation au piège dans lequel elle s’étiole à petit feu.
Ce livre a pour but de mettre en lumière les comportements manipulatoires
interpersonnels les plus fréquents. Qu’ils se manifestent avec force et
évidence ou en toute discrétion, leur caractère toxique est constant. À haute
dose, les attaques perverses font des ravages, mais, comme pour toute
toxine, la répétition au goutte-à-goutte tue à bas bruit. Il s’agit d’un type de
relation de plus en plus répandu, une mécanique de non-respect, un travail
de sape aussi discret qu’efficace dont les protagonistes n’ont pas toujours
conscience.
Vous remarquerez une ligne conductrice tout au long de cet ouvrage, qui
illustre quelques-unes de mes convictions sur le sujet :
Pour que la manipulation s’installe, il faut qu’il y ait un lien qui ne peut
facilement se dénouer, et un enjeu, ou un contentieux. On ne manipule pas
quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’importance et qui échappera vite à la
rencontre. La manipulation s’exerce donc souvent entre parents et enfants,
frères et sœurs, conjoints, collègues, patron et employés, amis ou voisins,
c’est-à-dire entre personnes qui ont un lien et qui ont une certaine
importance les unes pour les autres. En dehors de ces conditions, il n’y a
pas de manipulation, juste des ennuis !
Bannir une relation qui est minée par les manœuvres manipulatoires est
nécessaire mais enrageant ! Le sentiment d’injustice est probablement une
des frustrations les plus dures à admettre. Mais que les manipulateurs
distillent leur petit poison en toute discrétion ou qu’ils tirent à boulets
rouges, personne n’est obligé de rester dans la ligne de mire !
Que se passe-t-il donc dans ces relations qui transforment l’amour, l’amitié
ou le respect en mal-être permanent ou même en haine ? Comment
fonctionnent ces personnalités toxiques qui semblent se nourrir du conflit ?
Comment éviter ces liens tordus dont les dégâts ne se font sentir que
sournoisement ?
C’est ce que nous allons voir ensemble. Je commencerai par dresser un
portrait général de ces personnes qui ne peuvent s’empêcher de manipuler
autrui dès que leurs désirs ne sont pas satisfaits, ainsi que celles qui leur
servent de proie, en expliquant ce qui les anime, les unes et les autres. Cette
première partie servira de tronc commun sur lequel se grefferont, en dix
points, les manières dont elles s’y prennent et comment s’en protéger.
Mon but est de vous aider à vous faire respecter et à prendre soin de vous.
Votre vie est entre vos mains.
Généralités
La manipulation n’est ni une tare ni une maladie. Le comprendre comme tel
exonérerait le manipulateur de sa responsabilité et simplifierait à tort
l’interrogation de la victime sur ses possibilités d’en sortir.
Revenons à leur enfance. Il leur a aussi manqué un cadre sécurisant qui leur
aurait permis d’intégrer les limites de leurs rêves de toute-puissance, avec
un niveau de frustration acceptable. Si l’enfant intègre au bon âge, lorsque
sa personnalité se construit, qu’il doit se contraindre à renoncer à certains
vœux, il ne sera pas poussé à contourner les règles et à manipuler les autres
pour qu’ils correspondent à ses désirs malgré eux. Un enfant doit apprendre
que tout n’est pas permis et que l’autre doit être respecté. Il intègre les
interdits et sait quand et comment se limiter.
Pour pouvoir assimiler la frustration que les règles imposent à ses désirs,
l’enfant doit lui aussi se sentir respecté en tant que petite personne valable
et singulière. Les limites frustrent mais protègent, c’est leur rôle.
Or, le rôle sécurisant du cadre est souvent mal compris et mal enseigné.
Peu de parents com-prennent bien les enjeux de cette période, d’autant plus
qu’eux-mêmes n’en ont pas toujours bien assimilé les limites.
Lorsque la loi n’est pas structurante, lorsqu’elle n’est que frustrante, elle
est « faite pour être contournée » : c’est le lit de la manipulation.
Contourner la loi, c’est manipuler. Manipuler, c’est ne pas tenir compte des
règles, des limites, de la place légitime de chacun et du respect de tous, et se
débrouiller en catimini pour obtenir ce qu’on veut : la soumission d’autrui,
son allégeance à nos désirs, pour que le monde soit comme on veut qu’il
soit, rêve perdu des enfants cadrés, mais pas du manipulateur…
Qu’elle soit réelle ou imaginée par le manipulateur, la force qui lui manque
et qui le fascine chez autrui est la force intérieure, ce socle de base si
défaillant chez lui. C’est cette qualité enviable qu’il va viser chez sa
victime, pour la briser ou s’en nourrir. Il s’en méfie comme un jaloux. Il va
d’une main la mépriser et la casser lorsqu’il y est directement confronté,
mais de l’autre, de préférence en public, il va s’en servir et s’en parer.
Les fragilités de sa victime lui servent à la garder à portée de main, afin
qu’elle ne s’éloigne pas sous les attaques violentes. Il utilise le manque de
confiance en soi de celle-ci en la valorisant suffisamment pour qu’elle ait
besoin de ce renforcement régulier, parce que, par ailleurs, il la culpabilise
en lui attribuant la responsabilité de ses propres frustrations. Ce régime de
« douche écossaise » est évidemment très déstabilisant et lui permet de
s’aliéner une personne qu’il ébranle et rattrape à sa guise.
• les rencontres qui sont imposées par les circonstances sans que quiconque
ne se soit choisi : les relations de voisinage, de locataire-propriétaire ou,
souvent aussi, dans le cadre du travail ;
• les relations où l’un choisit et l’autre pas : les relations parent-enfant à
l’évidence, mais parfois aussi au sein des entreprises ;
• les relations où les deux partenaires se choisissent : les relations amicales
et de couple.
Les situations qui sont interpellantes pour les victimes sont celles qu’elles
ont choisies sans contrainte, ou celles, non choisies, où elles acceptent
néanmoins de rester. Certes, nous le savons, il n’est pas toujours simple de
sortir d’une relation toxique, d’une part par la nature même de sa toxicité
(je te chasse, je te garde, etc.), mais aussi, d’autre part, à cause des autres
circonstances qui verrouillent la relation : éléments matériels, biens en
commun, déménagement qui coûterait cher, travail qu’on ne peut se
permettre de perdre, enfants du couple, etc. Il ne faut pas minimiser ces
complications, elles sont parfois énormes. Elles forment un frein sérieux,
mais elles ne devraient pas constituer un verrou immuable.
Rester ou quitter ?
Tout est une question de dosage. D’intensité et de fréquence des
désagréments. Un brin de manipulation ne nuit pas véritablement à la vie
sociale, mais trop, c’est trop.
Les personnalités simplement narcissiques sans être destructrices, à l’ego
surdimensionné, ces flatteurs qui dépendent de ceux qui les écoutent, sont
pénibles mais finalement assez pathétiques. En revanche, lorsqu’ils se
mettent à détruire la personnalité de leurs proches par des pratiques
perverses, il faut se faire respecter et, si ce n’est pas possible, les quitter…
Que l’on arrive à décoder ces pratiques, perverses ou non, importe peu,
finalement. Une relation qui fait du tort fait du tort. Même si on n’a pas de
réponse aux questions obsédantes (Pourquoi agit-il comme ça ? Est-ce de
ma faute ? Puis-je y changer quelque chose ?), il faut un jour se dire que
cette relation nous est nuisible et que rien ni personne n’impose qu’on se
maintienne dans cette souffrance. Nul ne mérite d’être anéanti par
quiconque.
Le courage soutient le combat pour nos idées, pour notre place et pour notre
liberté.
Le courage dresse une barrière qui empêche l’autre de pénétrer dans notre
psychisme et de le manipuler à sa guise.
Il nous est également nécessaire pour rompre un lien tissé d’amour et de
haine, pour arrêter une histoire qui fut passionnelle mais qui n’est plus
qu’une guerre de tranchées, pour quitter un emploi dont la sécurité
financière et le sentiment criant d’injustice sont les dernières raisons qui
nous maintiennent encore dans un piège qui nous broie.
Restez vigilant et maître de votre vie. Vous seul pouvez déterminer ce qui
est bon pour vous. Mon livre essaye de vous aider à clarifier les choses. Les
choix, c’est vous qui les ferez.
Parfois il est difficile de quitter quelqu’un parce que « ce serait trop lui
faire plaisir » ! Rompre la relation reviendrait à laisser le champ libre à
celui qui nous a fait du tort, comme s’il gagnait le combat. Mais ne vous
trompez pas de victoire ! Pensez à vous, d’abord. Peu importe que cela lui
fasse plaisir ou non, c’est imprévisible et les apparences sur ce point sont
bien trompeuses. Ce qui compte, c’est de sauver votre peau. Ou, à tout le
moins, conduire votre vie vers ce qui vous fait du bien, quoi qu’il vous en
coûte. On n’en a qu’une, sauf erreur de ma part ! Prenez en soin, elle est
votre unique chance.
1
La disqualification
Comment se manifeste-t-elle ?
Par des moqueries, de l’humour blessant, de la dérision, en ridiculisant et
en caricaturant les propos de l’autre.
Par des sarcasmes, du mépris, du dénigrement, des injures, des
accusations outrancières.
Par des jugements, des critiques, de la moralisation.
Par un manque d’écoute, de l’absence d’intérêt, des oublis, du silence…
Pourquoi disqualifie-t-on ?
Disqualifier scinde le monde en deux : les bons et les mauvais, et on est
évidemment du bon côté ! Dégrader l’autre est une manière aisée d’éviter
d’examiner un autre point de vue que le sien, d’avoir éventuellement à en
tenir compte et de devoir remettre le sien en question. On s’assure ainsi
que son propre regard demeure le seul qui vaille.
Ne pas attribuer de valeur à l’autre, à ses goûts et ses opinions l’amoindrit
et le déstabilise. Il risque moins d’avoir de l’ascendant.
Effets sur la victime
Lorsqu’on se sent injustement critiqué, on a besoin de s’expliquer, de se
justifier ou de se défendre, ce qui ne fait souvent qu’envenimer les choses.
On préfère alors parfois abandonner son propre point de vue, pour éviter
les ennuis, par lassitude. On développe un sentiment de culpabilité, de
rejet, de nullité, de tristesse. On perd progressivement sa propre estime et
la confiance en soi.
• Rester froid, par exemple, c’est très simple ! Il n’y a pas grand-chose à
faire ni à dire, il suffit de se taire, d’afficher un air distant, préoccupé, de
laisser le silence s’éterniser. Un mutisme dédaigneux en quelque sorte.
• Ne pas répondre est une réponse. Une réponse méprisante et non assumée.
C’est une manière de dire à l’autre qu’il ne nous intéresse pas, qu’il ne
vaut pas le temps ni la peine qu’on devrait consacrer à lui répondre.
• Ne pas tenir compte de lui, de ses demandes, de ses besoins, de son
existence. On passe devant lui sans le voir, on n’accroche surtout pas son
regard, on est sourd à ses propos. Une attitude puissamment méprisante.
• Faire attendre. Pas un retard malencontreux et exceptionnel, non, un retard
systématique ! On n’est jamais à l’heure aux rendez-vous, on tarde à
répondre aux messages, on promet « je t’appelle demain » et on fait
patienter une semaine, on a toujours quelque chose de plus sérieux à faire,
histoire de faire comprendre à l’autre, sans l’assumer, le peu d’importance
qu’il a à nos yeux.
• Critiquer une catégorie de gens dont le partenaire fait partie : les femmes
au volant, les universitaires qui pensent toujours avoir raison, les gens qui
ne font pas de sport, sa famille… La critique est diluée par la
généralisation, mais la cible est atteinte. C’est imparable, parce que si la
victime se défend on peut toujours lui dire qu’on ne parlait pas d’elle,
mais des autres, et critiquer son égocentrisme au passage !
Le manipulateur s’attaque à l’estime de soi, conduit sa victime à avoir une
image d’elle-même dépréciée, humiliée, détruite, tout en la maintenant dans
le sentiment qu’il reste son seul sauveur. L’asservir pour la sauver.
Mon mari me répète depuis quinze ans que je suis bête, parce que je
n’ai pas fait d’études. Il ne manque pas une occasion pour me rappeler
mes manquements et souligner mon ignorance. Je ne suis pas bête et
j’ai eu une bonne éducation, mais je manque beaucoup de confiance en
moi, et je n’ai pas son bagout. Il est beaucoup plus vif d’esprit et
brillant que moi, et il m’écrase chaque fois. Face à lui, je perds tous
mes moyens. Je le crains. Au début, j’ai pensé à partir, mais j’ai peur
de me retrouver seule. Aujourd’hui, je n’y pense même plus. Il me dit
que je n’intéresserais personne, que je n’ai aucun charme, mais que
lui, par bonté, me garde et me protège. Je ne sais plus que penser.4
Notons toutefois qu’il n’est pas mauvais de nous interroger nous-mêmes sur
nos réactions en cas d’échec ou de rupture. Les tendances les plus radicales
s’opposent : soit nous accusons systématiquement les autres d’en être à
l’origine, soit nous nous en attribuons toute la responsabilité en nous
culpabilisant outre mesure. Ces deux interprétations sont excessives et
rarement justes. La voie la plus intéressante est évidemment celle qui mêle
ces deux tendances. « Quelle est ma part dans cet échec ? Qu’ai-je fait qui
aurait pu être évité ? De quoi suis-je responsable, voire coupable ? Mais
aussi, quelle est la partie qui incombe à l’autre, aux circonstances et à tout
ce sur quoi je n’ai aucune prise ? » On ne peut se débarrasser entièrement
de sa responsabilité, mais on n’a pas tous les torts pour autant.
Dans les mêmes circonstances, une autre personne se serait éloignée, pour
aller cuver sa tristesse au fond de son lit. Une autre encore aurait boudé plus
ou moins ostensiblement afin de quérir un peu d’attention sans non plus se
rendre trop insupportable. Ce sont chaque fois des attitudes un peu
infantiles mais éminemment humaines. Sauf que nous ne sommes plus des
enfants et qu’on ne devrait plus gérer nos inconforts comme des gamins !
Actes de résistance
Exprimer avec fermeté qu’on n’accepte pas d’être traité d’une manière
qu’on juge inappropriée, erronée, exagérée. Exiger le respect.
Apprendre à se connaître, afin de ne pas se laisser abuser. Connaître ses
qualités et ses défauts permet de ne pas se laisser dire n’importe quoi.
Être capable de reconnaître ses manquements aide à refuser les
accusations infondées.
Demander à celui qui nous dénigre ce qu’il veut dire, exactement.
L’inviter à s’expliquer et ensuite à reconnaître son exagération, son erreur,
sa médisance…
Exiger que dorénavant ses mots ne dépassent plus sa pensée.
Ne pas tomber dans la riposte symétrique, qui nous pousserait à dire des
choses que l’on regrettera plus tard.
Acceptable ou inacceptable ?
Les moqueries font partie de l’arsenal humoristique. Elles ne sont pas
toujours agréables, certes, mais ne sont pas toutes destinées à blesser.
Bien au contraire, c’est souvent parce qu’on aime quelqu’un qu’on se
permet de le titiller. Ou se situe alors la limite entre les moqueries
espiègles et supportables et celles qui nuisent ?
La différence se marque à partir du moment où la victime manifeste sa
souffrance et que le manipulateur n’en tient pas compte. On peut être
maladroit ou brutal, sans s’en rendre compte, cela arrive à tout le monde.
Mais lorsque autrui exprime clairement combien cela lui est pénible,
demande que cela cesse et que, malgré cela, on continue à le dénigrer,
autrement peut-être, mais de manière récurrente, il ne s’agit plus d’une
maladresse, mais d’une attitude délibérée, destinée à blesser, à
déstabiliser, à amoindrir l’assurance du partenaire.
2
L’imposition
Comment se manifeste-t-elle ?
En imposant ses idées comme les meilleures, les seules, en s’établissant
comme référence pour les autres, en étalant ses connaissances, sa culture,
en se prenant pour le nombril du monde !
En ne se préoccupant pas du point de vue de l’autre, en cherchant à «
convaincre pour convaincre », à n’importe quel prix.
Par des décisions arbitraires, des faits accomplis, des menaces, de
l’autoritarisme, par la colère, les coups, le chantage…
Parfois très subtilement, en se montrant perdu, malheureux ou blessé si
l’autre n’adhère pas à la décision imposée. En se victimisant, on manipule
très bien.
Pourquoi impose-t-on ?
Parce qu’on ne supporte pas d’être bousculé par d’autres idées que les
siennes. Il faudrait en tenir compte, changer ses décisions, reconnaître
éventuellement ses manquements, ses erreurs, voire ses torts. Il faudrait
sortir de sa zone de confort et faire de la place à l’autre.
On méprise le choix, l’autonomie de pensée et la liberté d’action d’autrui
parce qu’on ne lui reconnaît pas une valeur équivalente à la nôtre.
On postule une hiérarchie dans la relation : Je suis mieux que lui, j’ai
raison, j’ai le droit, etc.
Dans cet exemple, le manipulateur inverse les polarités (voir chapitre 7), il
fait une volte-face qui lui permet d’accuser sa victime de lui faire du tort,
alors que c’est lui-même qui est à l’origine du conflit. Il se montre
incapable de modifier un tant soit peu sa conviction et de se remettre en
question. En tout cas, il n’en fait certainement pas l’effort. Il pourrait aussi
accepter (en soupirant éventuellement) d’aller voir un autre film, qui plaît
aussi à sa femme, mais le critiquer en sortant de la salle, histoire de bien
montrer le sacrifice qu’il a consenti et de culpabiliser son épouse de lui
avoir « imposé » son choix (revoilà l’inversion).
Évidemment, les membres d’un couple n’ont pas toujours les mêmes goûts
en matière de cinéma, c’est bien normal. Mais des partenaires de bonne
volonté, qui ne font pas usage de la manipulation, vont faire des compromis
et iront alternativement voir un film qui plaît à l’un ou à l’autre, sans
dénigrer les choix de chacun. Ou bien ils ne sortiront que lorsqu’on jouera
un film qui plaît aux deux. Ou encore, ils s’autoriseront des sorties séparées,
pour que chacun puisse aller voir ce qui lui plaît.
Alors que la victime espère que son interlocuteur reconnaîtra ses excès ou
ses torts et que cela le conduira à ne pas recommencer la même erreur, on
observe bien au contraire qu’il semble avoir vécu cette tentative de
déstabilisation comme insupportable et qu’il redoublera d’efforts
dorénavant pour ne plus être confronté à ce qui le dérange.
Pas de demande d’excuses, pas de remise en question, pas de scrupules. Il
imposera plus fort, plus vite et plus fréquemment, ou plus habilement, pour
bien manifester qu’il ne se laisse pas faire et qu’il a raison, un point c’est
tout.
Si le dialogue est mené avec suffisamment de doigté pour qu’il soit obligé
de prendre en compte une autre opinion que la sienne, il prétendra
probablement qu’il avait déjà pensé à cette idée et que ce n’est donc qu’une
copie de la sienne. Ou alors, une fois sorti de la confrontation, il
réaménagera aussitôt sa conviction à l’aune de ses propres intérêts, comme
avant. La leçon n’a pas porté, bien au contraire. Ce qui compte, c’est de ne
pas se laisser déstabiliser, de ne pas laisser l’autre gagner du terrain.
Actes de résistance
« Toi c’est toi, et moi c’est moi » est une ligne de conduite qui aide à
trouver les attitudes les plus saines. « C’est ta manière de voir les choses,
mais nous sommes différents. Tu es un homme, je suis une femme (ou
inversement), nous n’avons pas le même âge, ni la même expérience de
vie. Tu as tes opinions, j’ai les miennes, et elles ont autant de valeur les
unes que les autres. »
« Si j’ai besoin de tes conseils, dans un domaine où je te reconnais une
expérience plus solide que la mienne, je te le demanderai. »
Refuser d’être mis devant le fait accompli si celui-ci ne nous convient pas.
Demander à être consulté avant qu’une décision qui nous implique soit
prise.
Bien faire la différence entre ce qui peut être imposé dans le cadre d’une
hiérarchie professionnelle ou de l’éducation par exemple, et ce qui est
personnel et ne s’impose pas. Pour cela, il est important d’avoir compris
et intégré les rôles et les positionnements de chacun.
Acceptable ou inacceptable ?
Il arrive à tout le monde de prendre une décision pour autrui. Cela fait
avancer le quotidien, il s’agit parfois simplement d’être efficace. Mais
lorsque la personne qui est mise devant le fait accompli s’en montre
dérangée, ou lorsque les décisions imposées ne servent pas les intérêts de
la victime mais plutôt ceux du manipulateur, ce n’est plus acceptable. La
victime exprime sa surprise, son embarras ou son désaccord, mais, au lieu
d’amener vers un compromis, la situation s’envenime. C’est une
caractéristique des conflits empoisonnés par la manipulation : plutôt que
d’aller vers la recherche d’une solution, les discussions provoquent une
augmentation des tensions.
3
L’isolement
Comment se manifeste-t-il ?
Dénigrement des activités extérieures à la relation, sous-entendus
menaçants ou culpabilisants, dépréciations des liens affectifs externes à la
relation, interdits, jugements, surveillance, jalousie morbide…
Semer la zizanie. Diviser pour mieux régner.
Pourquoi isole-t-on ?
L’isolement vise à empêcher que l’union fasse la force. On empêche ainsi
la victime de renforcer ses idées au contact d’autrui, d’avoir du soutien, et
même du plaisir en dehors de notre influence. On l’empêche d’aimer
autrui, ce qui nous mettrait en péril.
Le manipulateur ne supporte pas que sa victime ait un autre intérêt que lui,
même s’il ne s’agit en rien d’une activité ou d’une relation qui pourrait
légitimement nourrir sa jalousie. Il n’aime pas qu’on aime ailleurs, quoi que
ce soit.
Mon père n’a jamais aimé aucun de mes amis. Lorsque je vivais
encore sous son toit (sous « son » toit, cette expression, qui était la
sienne, me glace ! Où était le mien, alors ?), il dénigrait mes amitiés de
jeunesse, trouvant toujours que mes copains étaient inintéressants, sans
envergure. Il ne m’empêchait pas de les voir mais, quand ils venaient à
la maison, il se montrait tellement froid et distant que peu à peu mes
amis ont préféré ne plus venir. Je ne m’en rendais pas compte à
l’époque, mais il les chassait sans les chasser ! Rien n’était jamais
clair avec lui, il n’assumait jamais rien. Si par contre j’allais chez eux,
mon père avait toujours une bonne raison de m’en empêcher. De cette
manière, je n’ai jamais pu développer le moindre cercle d’amis.
Mais le jour où je me suis mis à fréquenter un fils de diplomate, qui
était dans ma classe, là, subitement, il s’est montré tellement gentil
avec lui, il le flattait de manière presque ridicule, souhaitait inviter ses
parents à dîner, j’en étais très troublé : bien sûr cela me faisait plaisir
qu’enfin mon père apprécie un de mes amis, mais ses jeux de séduction
étaient tellement grossiers que j’en étais gêné à l’égard de mon copain.
Mes parents n’ont pas arrêté de nous monter les uns contre les
autres, en flattant chacun à tour de rôle et en dénigrant les absents. Ils
jonglaient avec le favoritisme, les petits secrets, la jalousie et les
menaces. Ils avaient l’art de créer des disputes entre nous, à croire
qu’ils aimaient cela. Mais par contre, ils nous répétaient à l’envi que
nous étions une famille !
Actes de résistance
Dans la mesure où le cadre nous le permet, continuer à vivre ce qui nous
fait du bien. En rassurant si nécessaire celui qui s’en inquiète sur le fait
qu’il reste important, et que l’autre relation ou l’activité choisie ne lui nuit
pas.
Maintenir les relations avec les gens qu’on aime, coûte que coûte. C’est
non seulement notre droit, mais c’est psychologiquement essentiel.
Comment se manifeste-t-il ?
Par le mépris des besoins d’intimité de l’autre et par des intrusions dans
son espace privé.
Par l’irrespect de sa propriété, l’intrusion dans sa chambre, la salle de
bains, la violation de ses tiroirs, de son ordinateur, mais aussi en
s’immisçant dans ses relations, ses propos et, le pire : dans sa pensée.
L’identité d’une personne se traduit par des zones qui lui sont propres. Des
territoires géographiques ou des propriétés : sa maison, son jardin, sa
voiture, sa chambre, son lit, son armoire… Des territoires virtuels : le
contenu de son ordinateur, de son compte en banque, de son téléphone
portable… Des objets qui lui appartiennent : ses vêtements, ses livres, ses
outils, etc. Mais aussi son intimité corporelle, qui se traduit par le respect de
son corps et de sa pudeur, et, plus subtil mais absolument essentiel, son
territoire psychique : ses goûts, ses besoins, ses idées, ses préférences, ses
décisions, ses pensées…
Mes parents ont profité de notre absence, durant les vacances avec
les enfants, pour venir poser une balustrade autour de notre terrasse.
Évidemment, ça partait d’un bon sentiment, mais ils auraient quand
même pu nous demander notre avis !
On se doute que ces parents ont voulu faire une surprise à la famille de leur
fils. Enfin, c’est ce qu’on préfère croire ! Mais le cadeau aurait eu un
meilleur goût s’il avait été précédé d’un dialogue quant à cette décision,
d’une permission de pénétrer dans le jardin de leur fils et de leur belle-fille
et d’une interrogation sur le style de balustrade souhaité par la famille !
(Mais le bon goût, c’est leur goût, évidemment !) Ce qui est caractéristique,
c’est que cette idée ne semble même pas être venue à l’esprit des parents.
On peut bien sûr faire des surprises à ses enfants, mais il y a une différence
entre un gâteau-surprise et une balustrade ! Différence frappante, et
durable !
Ce qui était frappant dans le récit de cet homme, aujourd’hui âgé d’une
cinquantaine d’années, c’est qu’il avait du mal à voir ce qui clochait ! Il se
rendait bien compte que ce n’était pas fréquent de se comporter comme ses
parents, mais il n’arrivait pas à leur en vouloir, ni à comprendre la nocivité
de leurs jeux d’adulte sur son psychisme d’enfant, parce que tout le monde
semblait se comporter gentiment avec lui. Mais il était considéré comme un
objet, une chose qu’on dépose là, à la cuisine, et qui attend sagement que
les parents aient fini « leurs affaires ». Il avait subi un tel lavage de cerveau
durant toute son enfance, par de multiples autres manipulations, qu’il
n’arrivait pas à voir ni même ressentir les transgressions aux règles de santé
psychique et au respect de l’intimité. La sexualité des parents appartient à
leur vie privée. Elle ne s’étale pas en plein après-midi, au cœur de la vie des
enfants, même avec un peignoir !
La seule chose qu’il se rappelait comme un souvenir pénible, c’était la
sévérité de son père, qui n’admettait aucune contestation sur quoi que ce
soit, et la peur liée aux résultats scolaires, aux comportements, à l’ordre
dans la chambre, aux bonnes manières à table. Mais la transgression des
limites quant à leurs jeux sexuels, il ne s’en rendait pas vraiment compte,
n’ayant aucune référence ailleurs, ne sachant pas comment se comportaient
les autres parents. C’est ce qui permet à beaucoup d’entre eux d’aller un
peu trop loin.
La seconde stratégie est le produit d’une rage de survie, qui s’est cristallisée
en habitude. Si on cède, on crève ! Donc, on résiste, par principe. On résiste
pour résister. Pour empêcher quiconque de nous dicter quoi que ce soit.
Pour dominer. On résiste avant même de penser, et donc on cesse de
penser…
Actes de résistance
Il y a « ma partie » et « ta partie ». Ma zone et ta zone. Mon corps et ton
corps. Mes idées et tes idées.
Exprimer clairement que faire respecter son territoire, quel qu’il soit,
n’équivaut pas à une agression d’autrui, même si cela nécessite de le
repousser dans « sa partie ».
Acceptable ou inacceptable ?
Il est évident que dans un groupe, familial ou amical, on a parfois besoin
de partager des territoires ou d’imposer des idées. C’est normal, aussi
longtemps que personne ne s’en plaint. Mais si l’une ou l’autre personne
se sent mal à l’aise et manifeste son désir d’être respectée, il faut que
l’intrusion s’arrête. S’en moquer est une manière de bafouer son identité
propre et ses besoins, qui sont par essence légitimes.
5
Le refus du dialogue
Comment se manifeste-t-il ?
On élude, on ne répond pas, on reste vague, on fait le sourd, on quitte la
pièce.
On dérive vers des éléments annexes, on accuse en retour, on se montre
vexé, outré, fâché, on impose son avis, un point c’est tout.
On « noie le poisson », on arrose l’autre d’un flot de paroles, on
monologue, on s’énerve.
Que fait donc un manipulateur pour éviter la discussion, sans assumer qu’il
se dérobe ? (On peut en effet très bien éviter une discussion avec gentillesse
et franchise, mais le langage simple et direct ne fait pas partie du
vocabulaire de la manipulation.) Mettons-nous un instant à sa place, histoire
de voir si nous n’agissons pas parfois de la même façon. Ce ne sont que de
petites manœuvres, chacune séparément n’est pas vraiment grave, c’est
juste un peu « moche », mais c’est l’accumulation et la répétition
systématique qui forment la boue dans laquelle s’enlisent les victimes.
Actes de résistance
Apprendre les manœuvres de communication perverse pour les détecter
immédiatement.
Bien comprendre que le but du manipulateur va être de mettre des bâtons
dans les roues.
Être bien décidé à vouloir aborder un sujet, il faut que cela en vaille la
peine. S’armer d’une immense bonne volonté, qui va servir notamment à
accepter ladifficulté de l’autre. N’oubliez pas que discuter avec un
manipulateur, c’est le forcer à faire quelque chose qu’il déteste. Un peu
d’indulgence ne nuira pas…
Expliquer ce dont on veut parler, demander à l’autre où et quand cela
l’arrangera, et obtenir son accord de principe pour une discussion sur le
sujet en question.
En début de discussion, exiger quelques règles de respect mutuel : ne pas
s’interrompre, s’écouter l’un l’autre et avoir ensuite un temps de parole
pour répondre.
Faire appel à son intelligence bien plus qu’à sa compréhension
émotionnelle. Ne pas exiger qu’il comprenne, mais qu’il accepte. Miser
sur le fait qu’il comprend rationnellement qu’on est différents et qu’on est
également respectables.
Rester extrêmement vigilant concernant toutes les manœuvres
d’évitement que le manipulateur va essayer d’utiliser. Le laisser parler,
mais le remettre chaque fois à sa place. Ne surtout pas se laisser égarer
par ses tentatives. Revenir chaque fois, patiemment, sur le sujet, aussi
longtemps qu’on n’aboutit pas.
S’il demande de différer une réponse, exiger un délai précis. N’accepter le
flou que pour les détails, sur lesquels on n’ergotera pas, mais jamais pour
ce qui a de l’importance à nos yeux.
Rester de préférence factuel, c’est plus efficace, ne pas trop utiliser le
registre émotionnel, c’est la porte ouverte à tous les dérapages.
Acceptable ou inacceptable ?
On a tous le droit de ne pas répondre à une question qui nous embarrasse.
Se taire est un droit. Le refus du dialogue est parfois la seule protection
contre des intrusions qui, elles, sont inacceptables.
Mais lorsqu’on est dans une relation que l’on souhaite maintenir, une
amitié, un couple ou une relation avec un enfant, refuser le dialogue c’est
renvoyer l’autre à son inexistence, à sa souffrance, et cela ne résout rien.
6
La chosification
Comment se manifeste-t-elle ?
On utilise l’autre comme un objet : on le prend quand on en a besoin et on
le remet à sa place ou on l’abandonne quand il est devenu inutile. On ne
l’interroge pas sur ses sentiments, ses pensées, ses émotions, c’est-à-dire
ce qui fait de lui un être humain. On ne doit donc pas en tenir compte.
Il n’existe pas de place pour une confrontation des opinions et encore moins
pour une collaboration qui conduirait à un compromis, quelle horreur !
C’est impensable pour une personnalité aussi instable intérieurement. Cet
exercice lui demanderait de lâcher du lest, de s’intéresser à une autre
manière de percevoir la situation, de tenir compte de besoins différents des
siens, toutes choses qui lui sont extrêmement inconfortables, voire
impossibles. Il faudrait pour cela une solidité, une sécurité de base que le
manipulateur n’a pas. Il lui faudrait accepter de ne pas tout dominer et de
laisser un peu de place à autrui, c’est-à-dire abandonner un peu de son
pouvoir.
Chaque fois que j’ai essayé de faire valoir mon point de vue à
l’organisateur du festival, j’ai senti que je « perdais des points » !
J’avais pourtant été engagé pour collaborer avec lui, mais j’ai fini par
comprendre que cette embauche d’un assistant n’était pas sa volonté,
bien au contraire. C’est le conseil d’administration qui l’avait
souhaitée, et pour cause… Mais, de son côté, il a toujours fait le sourd
à toutes mes propositions. C’était comme s’il voulait montrer à tout le
monde, et à lui-même avant tout, qu’il savait tout faire tout seul et que
je n’étais qu’un petit chien qui lui courait dans les pattes !
Aux yeux d’un manipulateur, on est avec lui, ou contre lui. Il ne peut
concevoir qu’on puisse avoir une autre opinion que la sienne, sans le
ressentir comme une mise en cause perturbante, menaçante, voire
dangereuse, donc à éliminer.
Ma mère est morte il y a six mois. Depuis lors, je lutte tous les jours
pour tenir la tête hors de l’eau. Mon père ne se préoccupe absolument
pas de ce que je vis. Il s’épanche comme s’il était le seul véritablement
touché. Comme s’il avait l’exclusivité de la souffrance. « Tu ne sais pas
ce que tu as perdu… », m’a-t-il dit hier soir ! C’est dingue ! J’ai perdu
ma mère, ma maman chérie, je sais très bien ce que j’ai perdu ! Sale
égocentrique !
Ce père semble parler à sa fille comme si elle n’était qu’une oreille. Une
oreille, ça ne ressent rien, ça n’a pas d’âme, pas de sensibilité. Pas de
maman, pas de chagrin. Une oreille, ce n’est pas triste, ça écoute !
La chosification fait des ravages en entreprise parce qu’il n’est pas facile de
déterminer la place normale à attribuer aux personnalités spécifiques de
chaque salarié. Le bureau n’est effectivement pas le lieu où faire étalage de
ses états d’âme, on est « employé », le terme est clair. Mais la différence,
aussi subtile soit-elle, entre employé comme un objet et employé comme un
humain, n’en est pas moins essentielle. Sentir qu’on est utilisé comme un
engin vivant, comme un simple instrument de production est insupportable.
Il est normal de servir son entreprise, mais pas comme un robot. On peut
s’investir avec enthousiasme en tant qu’être humain, avec une vision
personnelle et des idées qui, tout en restant soumises au cadre de
l’entreprise, peuvent s’avérer intéressantes pour le travail à accomplir. On
n’est pas juste un outil, un maillon d’une chaîne. Les employeurs qui le
comprennent et en apprécient les richesses arrivent à satisfaire leurs
employés, à profiter de leurs qualités et spécificités personnelles, à les
placer à des postes correspondant à leur personnalité, au bénéfice de
l’efficacité au travail et de l’ambiance générale.
Actes de résistance
Exiger d’être entendu comme une personne et pas comme un instrument
ou un obstacle.
Rappeler à son interlocuteur que chacun a sa sensibilité propre, et que la
sienne est respectable autant que la nôtre, bien qu’elle soit différente.
Acceptable ou inacceptable ?
Tenir compte de la sensibilité particulière de chacun est parfois un casse-
tête inutile. Il est quelquefois simplement nécessaire de fonctionner,
rapidement, efficacement.
Mais mépriser quelqu’un en piétinant sa sensibilité, a fortiori s’il
l’exprime, constitue un profond manque de respect.
7
L’inversion
Comment se manifeste-t-elle ?
On inverse la chronologie des événements, on leur attribue des
importances très irrationnelles, disproportionnées.
On attribue à l’autre ses propres manquements, on le rend responsable de
ce qu’on ne fait pas soi-même.
On rejette ses propres erreurs sur l’autre en l’accusant d’être à l’origine de
nos difficultés.
On fait en sorte qu’autrui soit demandeur à notre place. On inverse les
polarités.
L’inversion des polarités est une forme de manipulation des plus difficiles à
détecter mais, une fois qu’on l’a comprise, on ne peut plus l’ignorer !
Ou, j’ai envie, mais je ne peux pas, c’est interdit. Que doit-on choisir ?
C’est parfois loin d’être simple. Néanmoins, c’est à nous de résoudre ce
dilemme. On doit choisir, soit de donner raison à nos envies, soit d’écouter
ce que nous dit notre tête, cela dépend des circonstances, mais c’est notre
« popote interne ».
Par exemple, on aimerait refuser quelque chose à quelqu’un, parce qu’on
sait qu’on ne peut pas faire face à ce qu’il demande (la tête), mais on n’ose
pas dire non (les tripes). On n’assume pas. On a trop peur des
conséquences, on se garde de déplaire, on craint le conflit, on appréhende
d’être jugé. La raison nous dit de refuser, mais notre émotionnel nous en
empêche. Alors parfois, à tort, on dit oui quand on pense non, cela arrive à
tout le monde et souvent on s’en mord les doigts ensuite. Apprendre à gérer
honnêtement ce genre de dilemme fait partie de l’apprentissage qui nous
conduit à la maturité psychique de l’adulte lucide. On ne trouve pas
toujours la manière de se dépêtrer d’un conflit interne, parfois on invente
des excuses, ce qui n’est pas très sincère, mais cela évite bien des soucis.
Parfois on élude, on reste vague, on remet la réponse à plus tard, en
espérant que l’autre abandonnera. Bref, on essaye tant bien que mal de se
débrouiller avec nos petites complications internes.
Un manipulateur ne s’encombre pas de ces soucis. Il va s’arranger pour
qu’il se passe exactement ce qu’il veut, mais sans l’avoir exprimé. Sans
l’assumer, une fois de plus.
Pour mieux le comprendre, revenons un instant à sa construction
psychique. Nous avons vu que le futur manipulateur a traversé les étapes de
l’enfance en accumulant quelques lacunes importantes. Son développement
psychique est resté fragile, incomplet, voire embryonnaire. Cela ne l’a pas
empêché, en revanche, de poursuivre sa croissance intellectuelle. Bien au
contraire parfois. Apprendre lui a permis d’engranger des connaissances et
des savoirs très utiles qui lui permettront de briller, dominer et consolider
son pouvoir. Son développement intellectuel et son développement
psychique, qui idéalement devraient se poursuivre de concert, se sont pour
ainsi dire développés séparément, sans qu’il en ait la moindre conscience.
Mais cet écartèlement, parfois abyssal, entre ce qu’il sait (l’intellect, plutôt
bien développé) et ce qu’il perçoit, comprend et ressent (l’émotionnel, bien
mal en point), est une constante source de conflits internes tellement
désagréables qu’il ne peut accepter d’en être lui-même à l’origine.
Comme il est incapable de s’adapter à une réalité qui bouscule son
psychisme trop fragile, il rejette purement et simplement une partie de son
problème et le transmet à l’autre sans vergogne. C’est vraiment un viol de
l’esprit. C’est très habile. Il se débarrasse de la partie qu’il ne reconnaît pas
ouvertement en manœuvrant instinctivement afin que ce soit l’autre qui en
porte la responsabilité. Il pousse l’autre à faire ce qu’il n’endosse pas lui-
même. Et si son interlocuteur lui résiste un tant soit peu, il le rend
automatiquement coupable de son propre tourment.
Cette manière de fonctionner lui vient très facilement, il n’en éprouve
aucun scrupule et trouve même cela très normal, tant il est égocentrique. Le
problème n’est jamais de son côté. C’est toujours l’autre le responsable de
sa difficulté. Toujours. Un manipulateur ne supporte pas le moindre conflit
interne, il l’éjecte aussi sec, dès qu’il le sent. C’est donc toujours de la faute
de l’autre. Il ne se met jamais en cause et les scrupules ne le tourmentent
pas le moins du monde. Il voit le monde uniquement à partir de sa
personne. Il est le centre. S’il a froid, c’est que quelqu’un a ouvert la
fenêtre, et non parce qu’il s’est mis lui-même dans les courants d’air !
Alain et Clarisse sont amoureux et ont l’intention de se marier. Ils
sont visiblement heureux, tous leurs amis en témoignent. L’évolution
d’Alain est particulièrement réjouissante. Le jeune homme un peu
gauche et timide s’épanouit de plus en plus au contact de sa fiancée,
qui le renforce dans cette nouvelle confiance en lui.
Malheureusement, les parents d’Alain n’aiment pas Clarisse. Ils
n’apprécient pas du tout l’influence qu’elle a sur lui. Il leur semble (à
raison !) que depuis qu’Alain connaît sa compagne il s’éloigne de plus
en plus d’eux. Pourtant, il ne les critique pas, bien au contraire, cet
éloignement le culpabilise un peu, et il fait tout ce qu’il peut pour
garder un agréable contact avec ses parents.
Mais l’accueil que ceux-ci lui réservent lorsqu’il leur rend visite est
bien différent selon qu’il est seul ou accompagné. Lorsque qu’il vient
les voir seul, ils sont affectueux, gais et tout est « comme avant ». Mais
quand Clarisse est là, ils ne prêtent à leur belle-fille aucune attention
particulière, se montrent juste polis, font le strict minimum afin de
n’avoir rien à se reprocher, mais ne la considèrent pas avec plus
d’intérêt que le bouquet de fleurs qu’elle leur offre et qu’ils oublient à
la cuisine.
Elle est chosifiée. C’est très pratique pour casser quelqu’un. On ne dit
rien de désagréable, il n’y a aucune brutalité, mais l’invitée est
complètement désemparée et ne sait plus comment se comporter, ce qui
la rend un peu embarrassée, guindée, maladroitement gentille, tout ce
qu’il faut pour conforter l’antipathie que ressentent les parents.
Clarisse ne se sent pas accueillie et pourtant elle ne peut pas pointer
une parole ou un geste clair qui pourrait être reproché à ses futurs
beaux-parents.
Au retour, elle en parle à Alain, qui n’a rien vu. Ou n’a rien voulu
voir. C’est dur de commencer à faire des reproches à ses parents alors
que lui-même se sent dans une situation inconfortable : lui, le fils chéri,
l’enfant unique, va devoir faire accepter sa fiancée à ses parents qui
n’y sont pas préparés, les pauvres… Il faut qu’ils s’habituent, il vaut
mieux les ménager, ils deviennent vieux… Donc il minimise. « Ce n’est
pas grave, Clarisse, il faut les comprendre, essaye de faire un effort…
Toi aussi tu t’es comportée bizarrement. Je suis sûr qu’ils t’aiment mais
ne savent pas comment te le montrer. Tu sais, ils n’ont pas ton aisance,
ton éducation… » Et ainsi de suite. Alain patauge !
Mais les efforts de Clarisse sont vains et elle souffre d’autant plus que
ses parents à elle accueillent Alain avec beaucoup de bienveillance.
Alain voit la différence, il ne peut plus le nier. Doucement, ses yeux se
décillent et il découvre un aspect de ses parents qui le glace. Ils
n’aiment pas sa femme, sa chérie, l’amour de sa vie ! Ils ne veulent pas
de ce mariage, cela devient évident. Il en parle avec eux, mais bien sûr,
ils nient ! Ils se montrent vexés, blessés même ! « Comment peux-tu
penser ça de nous ? On a été parfaits avec elle l’autre soir ! Maman
avait préparé un de tes plats préférés ! Mais elle n’est pas comme nous,
elle nous snobe ! Elle n’a même pas terminé son assiette ! »
La conversation s’envenime ce qui leur permet de servir sur un
plateau ce qui les arrange : « Tu es sous l’influence de ta femme ! C’est
elle qui te met ces idées dans le crâne ! Tu n’es plus le même depuis
que tu la fréquentes ! Tu ne nous aimes plus ! Jamais tu ne nous avais
parlé comme ça avant ! »
C’est habile ! L’air de rien, ils ont résolu leur dilemme. Alain est coupable
de leur imposer une belle-fille qui perturbe la famille. Ils ont inversé la
dynamique, ce sont eux les victimes. Ils se victimisent, ce qui est la
meilleure manière de reporter le rôle d’agresseur sur la véritable victime de
leur non-acceptation.
La victimisation est une manipulation déguisée. Son sous-produit est la
culpabilisation. L’ensemble s’appelle l’inversion. C’est facile, nuisible et
assez indétectable.
Les parents d’Alain disent : « On était bien plus heureux avant. » Parce que
la famille, c’est eux. Eux et leur fils. Un bloc indifférencié. Un clan. Aussi
longtemps que leur grand garçon était à eux, tout fonctionnait bien. Pour
eux. Rationnellement, ils savent bien que leur fils devient un homme, mais
au fond de leur cœur, ils ne supportent pas qu’il ait sa vie, ses besoins et ses
amours, hors de leur sphère d’influence. Ils ne le reconnaissent pas, ils le
nient même, mais à l’évidence, leur refus intime d’accepter l’indépendance
affective de leur fils les rend incapables d’apprécier sa nouvelle vie, qu’ils
critiquent en douce, en rendant leur belle-fille coupable de leur mal-être.
L’inversion est subtile, parce qu’elle ne porte pas uniquement sur leur fils,
qu’ils ne peuvent imaginer responsable de ce choix qui les blesse. Clarisse
est le grain de sable qui a tout grippé. La pièce rapportée qui déséquilibre
l’édifice. L’adaptation que cela leur demande est trop difficile et le
reconnaître l’est tout autant.
Donc, il suffit de reporter leur souffrance sur Alain et leur problème est
réglé. C’est à Alain de trouver la solution. Et, à leurs yeux, il n’y en a
qu’une, évidemment ! Qu’ils n’exprimeront jamais, puisqu’ils ne
l’assument pas, mais ils manœuvrent pour se faire comprendre. Et tout cela
a lieu en sourdine, rien n’est exprimé clairement, tout est sous-entendu.
Mimiques, silences, absence d’intérêt, non-dits, telle est la panoplie des
manipulateurs discrets.
Aussi longtemps qu’Alain n’y voit pas clair, il reste écartelé entre ses
parents et sa femme. C’est donc lui qui souffre du conflit interne de ses
parents et qui essaye sans succès de le résoudre. Ils lui ont passé la « patate
chaude ». Eux n’ont plus de problème, ils l’ont expulsé et transmis à leur
fils. Ils ont inversé les responsabilités.
J’ai tenu bon, raconte encore Alain, mais quelques années plus tard,
quand notre fils est né, tout s’est reporté sur lui. Ils l’ont adopté (je
devrais dire absorbé, aspiré même !) comme si c’était leur enfant, l’ont
couvert de cadeaux, histoire de bien l’acheter, et n’ont pas supporté les
quelques restrictions que ma femme mettait à leur envahissement.
Ensuite, ils ont commencé à inventer des problèmes à notre fils, en
sous-entendant qu’il souffrait de la mésentente de ses parents !
Le chantage inverse les rôles : celui qui impose son désir se pose en victime
en cas de refus. Il signifie clairement qu’il souffre, ou va souffrir, si on
n’accepte pas son exigence. De bourreau, il devient victime. Le chantage
est la plus violente des inversions et la manière de s’en protéger est de
remettre la dynamique dans le bon sens : « C’est toi qui m’imposes ton
désir. Et de manière très piégeante, ce que je n’accepte pas. Je te demande
de me respecter et de me laisser le choix de mes décisions. »
Prêcher le faux pour savoir le vrai est également une belle petite
manipulation d’inversion dans laquelle on tombe facilement.
Acceptable ou inacceptable ?
Faire endosser la responsabilité de nos difficultés par autrui fait partie des
pirouettes qui nous permettent d’avoir la paix. Ce n’est pas honnête, mais
ce n’est pas vraiment pervers pour autant. Cela devient inacceptable
lorsque, par le chantage, on arrive à obtenir qu’autrui agisse d’une
manière qui lui nuit.
Actes de résistance
La lucidité permet de détecter de plus en plus facilement l’inversion de
polarité, et on peut la dénoncer. Se faire respecter, c’est refuser de porter
un chapeau qui n’est pas le nôtre. Cela va-t-il améliorer la relation ? Rien
n’est moins sûr. À chacun d’évaluer les avantages et les inconvénients de
ce type de résistance. Mais il est légitime de préférer ne pas se laisser
faire, quitte à s’éloigner de la personne, c’est un choix tout à fait
honorable.
Lorsqu’on sent que quelqu’un va nous passer la patate chaude, il faut
immédiatement la refuser. Soit il est encore temps (je vais te dire un
secret, mais tu ne peux pas le répéter) et on dit stop avant de l’avoir
entendu. Soit c’est trop tard, mais on refuse la clause qui verrouille. C’est-
à-dire qu’on préserve notre liberté de faire ce que bon nous semble avec le
problème, le secret, ou quoi que ce soit qui embarrassait l’autre et dont il
s’est débarrassé en nous le refilant. C’est un procédé tordu et nous
pouvons garder la liberté de ne pas jouer à ce jeu-là.
8
Le déni
Comment se manifeste-t-il ?
Par l’absence de reconnaissance de ce qui paraît pourtant évident à autrui.
On nie, on ne sait pas, on n’a pas dit, pas vu, pas fait, pas retenu.
Pourquoi nie-t-on ?
Il est plus facile de se convaincre que quelque chose de gênant n’a pas
existé plutôt que d’avoir l’honnêteté de le reconnaître et de faire l’effort
d’en tenir compte.
Mais le manipulateur ne nie pas uniquement les faits et les sentiments, il nie
aussi le conflit qu’il crée, il nie le fait qu’il blesse ou qu’il vexe lorsqu’il
nie ! Et également lorsqu’il refuse de discuter, en imputant
systématiquement la cause à autrui (inversion).
Arrête de te plaindre, je n’ai rien fait du tout ! C’est toi qui prends
tout mal ! Qu’est-ce que tu peux être susceptible, à la fin ! Chaque fois
que je dis quelque chose, tu fais tout foirer. Tu me provoques ! Alors,
faut pas t’étonner si je m’énerve !
Ce qui rend fou avec le déni, c’est que la première personne que le
manipulateur manipule, c’est lui-même. Il se ment à lui-même. Il nie ses
problèmes, il nie ses conflits internes et l’inconfort dans lequel cela le
plonge. Il ne veut pas s’en rendre compte et donc l’ignore ! Et ne peut qu’en
imputer la responsabilité à autrui !
Je n’ai aucun problème ! C’est toi qui dérailles, mon vieux ! Tu vois
des tas de choses qui n’existent pas ! C’est dans tes rêves ! Moi, je vais
très bien, moi ! Je ne souffre pas, je ne me plains de rien, je n’ai aucun
problème. Mais toi, tu ferais mieux d’aller te faire soigner !
Ce qui lui donne ces accents de vérité, c’est qu’il se croit lui-même. Sa
capacité d’introspection se limite à confirmer ses désirs et sa propre vision
du monde. Elle ne lui permet pas la remise en cause de ses
fonctionnements, parce que cela l’amènerait à se pencher sur ses
manquements psychiques, découverte qui pourrait se révéler aussi
vertigineuse qu’inacceptable.
Acceptable ou inacceptable ?
Nous avons tous de temps à autre nos petits arrangements avec la vérité.
Nous ne sommes pas obligés de tout dire, la transparence n’est pas une
obligation morale. En revanche, nier des faits qui touchent une autre
personne et, pire encore, nier la souffrance qu’elle ressent lorsqu’elle fait
l’effort de l’exprimer est une manière de la renvoyer à l’inexistence.
9
Le décervelage
Comment se manifeste-t-il ?
Par l’usage intense de l’illogique, du décalé, des demi-vérités, des
déformations de la réalité et des fausses chronologies. Rien n’est vraiment
faux, mais rien n’est vraiment vrai !
Par la culpabilisation constante, les critiques, le dénigrement et les
moqueries.
Acceptable ou inacceptable ?
Une fois de plus, les petits bidouillages avec la vérité, qui servent nos
intérêts sans pour autant faire de tort à personne, font partie des petites
manœuvres qui nous redorent le blason sans gravité.
Mais dès que ces entraves à la vérité génèrent de la souffrance chez autrui,
ils doivent être proscrits.
10
L’emprise
Comment se manifeste-t-elle ?
L’autre nous appartient, il est devenu notre prolongement, il est soumis.
On décide pour lui, on règle sa vie à l’aune de nos besoins, on obtient tout
ce qu’on veut.
On ne tient pas compte de sa singularité, de tout ce qui fait qu’il est lui-
même, bien différent de soi.
Une forme d’emprise qu’on ne peut ignorer est celle qui règne dans les
mouvements sectaires. Mais là également, il n’est pas si simple d’y voir
clair. Qu’est-ce qui définit exactement une secte ? Le bon sens semble nous
dire qu’il s’agit d’une organisation où sévit la manipulation, voire
l’escroquerie, en vue de s’affilier des adhérents qui perdent tout sens
critique, au prix parfois de leur vie. D’accord, ça c’est la secte bien ignoble,
celle dont on se dit tous qu’on ne tombera pas dedans ! Mais qu’en est-il
des croyances insidieuses que nous serinent les petits gourous en quête
d’adeptes ? Ces charlatans qui disent nous soigner alors qu’ils ne sont qu’à
la recherche d’une jouissance : celle de dominer leurs admirateurs par un
savoir « magique » qui impressionne.
Il ne faut pas chercher loin pour trouver des manipulations sous couvert de
considérations pseudo-scientifiques qui fascinent les personnalités
fragilisées en recherche de repères, qui vont abandonner le peu de sens
critique qu’elles ont encore pour adhérer corps et âme à quelque maître à
penser, thérapeute autoproclamé, magnétiseur et autre prescripteur de
poudre de perlimpinpin. La fascination pour « les gens qui savent » est un
vrai danger lorsque ces derniers croient en eux-mêmes et réfutent toute
autre référence. La recherche du pouvoir sur autrui peut en effet prendre des
allures apparemment altruistes, mais elles ne servent finalement qu’à
alimenter le narcissisme du manipulateur, voire également son portefeuille.
Pour les membres de cette coopérative, comme pour toute personne coincée
dans une relation perverse, s’ils veulent avoir la moindre chance de se sortir
de cette emprise, il va falloir lâcher certaines choses. L’argent est un moyen
indispensable pour assurer sa survie dans notre société, il donne du pouvoir
et sécurise. Le pouvoir et la sécurité sont indispensables aux manipulateurs,
et nombreux sont ceux qui vont utiliser l’argent pour enchaîner leur victime,
la manœuvrer ou l’asservir. L’argent n’est plus alors un moyen de
subsistance ou de liberté, il se transforme en moyen de pression,
d’enfermement ou de lutte. Il devient la ligature qui nous attache à celui qui
pourvoit à nos besoins, mais aussi à notre malheur…
Le lien est ce qui nous relie à quelqu’un, la ligature est ce qui nous y retient.
C’est bien différent ! La ligature nous attache, nous amarre, nous cloue au
sol. Pour s’évader, pour s’élever, comme le ballon à air chaud qui tente de
monter vers l’azur, il nous faudra couper quelques ligatures. Il nous faudra
lâcher du lest.
C’est évidemment une des clés de l’emprise : pour gagner notre liberté,
nous devons accepter de perdre certaines choses : un semblant de sécurité,
un ersatz d’amour, une illusion d’amitié, un boulot éreintant, la fausse
protection du groupe, les soins d’un gourou, l’amour dénaturé des parents
ou un peu d’argent… Au moment même, cela paraît presque impossible,
tant la destruction est forte et les habitudes ancrées, mais après, quand on
s’en est sorti, on réalise combien la prison était mortifère.
Actes de résistance
Résister, se battre, demander de l’aide, renouer des liens distendus avec
des personnes qui nous soutiennent et nous respectent.
Faire quelques pas vers la remise en question, et pourquoi pas vers la
psychothérapie.
Rompre…
Acceptable ou inacceptable ?
Un peu de domination peut être de bon aloi, d’accord, mais l’emprise est
inacceptable, toujours.
Conclusion
Vous l’avez compris, la manipulation est une dynamique qui se joue à deux,
même si les rapports de force sont très inégaux. S’il a une propension à la
domination, l’autre ne peut prendre que le territoire qu’on lui laisse. Aussi
longtemps qu’on recule, l’autre avance. Aussi longtemps qu’on se soumet,
l’autre domine. Aussi longtemps qu’on ne se respecte pas, l’autre ne nous
respecte pas non plus.
Nous avons vu quelques bons petits actes de résistance. Vous avez peut-être
essayé l’un ou l’autre. Ils sont utiles dans les cas de manipulation sans trop
de gravité, c’est-à-dire les plus fréquents, heureusement ! Ils nous aident à
remettre à sa place quelqu’un qui agit sans conscience, mais qui peut
entendre les limites qu’on impose, à juste titre. Et même s’il ne les
comprend pas ou ne les accepte pas, on a le droit de les imposer. Parce qu’il
est essentiel de se faire respecter. Avec doigté de préférence, avec force si
nécessaire, ce qui compte c’est d’être efficace. Par contre, les moyens de se
protéger conseillés dans cet ouvrage risquent bien de ne pas être opérants
dans les relations de destruction véritable. Celles-là, plus on s’y éternise,
plus on perd de plumes. La seule issue est la rupture.
La vie n’est pas parfaite et le monde n’est pas toujours juste. Il nous faudra
sans doute perdre une chose pour en gagner une autre. Il nous faudra peut-
être choisir entre la justice ou la paix. Ce choix est terriblement frustrant,
c’est vrai. Mais il est surtout frustrant lorsqu’on persiste à rêver d’un monde
trop idéalisé, un monde comme les enfants le souhaitent : juste et bon. Or le
monde n’est pas ainsi, mais il n’est pas horrible non plus. La vraie
différence entre la vie réelle et les contes de fées n’est pas tant la vision
édulcorée que ceux-ci nous délivrent, mais plutôt dans la présence du
sauveur. Les contes qui plaisent et qui perdurent à travers les époques sont
ceux qui mettent en scène des tourments communs à l’humanité et des
solutions qui soulagent et sauvent, souvent incarnées par un personnage
bienvenu, qui vole au secours de la victime. La Fée et sa citrouille,
Superman ou le Prince Charmant, peu importe le costume, le sauveur nous
délivre, avec ou sans cheval blanc ! Ici, dans notre monde bien réel à nous,
nous devons trouver en nous-même la force de mener notre barque vers ce
qui est juste et bon pour nous. Pas de fée bienveillante, pas de chevalier
servant, pas de baguette magique… Tout est en nos mains. Notre avenir est
ce que nous en ferons.
Notre vie psychique, la paix de notre âme et notre liberté de mener notre vie
vers sa réalisation la plus heureuse possible constituent la partie la plus
personnelle, la plus intime et la plus précieuse de notre existence, celle que
vraiment personne ne peut comprendre ni sauver à notre place. C’est elle
qui nous guide, qui nous nourrit, qui nous fait apprécier la joie, l’amour, les
nuances et le bien-fondé des choses. C’est elle qui nous calme face à
l’adversité et nous invite à réfléchir posément aux issues possibles. C’est
elle qui est notre axe, notre pilier central, notre colonne vertébrale,
l’inestimable source de toutes nos décisions. Grâce à elle, grâce à cette âme
solide que nous allons chercher à restaurer, nous négocierons les nouveaux
choix de notre vie avec plus de justesse et de lucidité. Nous ne nous
laisserons plus faire, nous ne serons plus attirés par des baratineurs ou des
tyrans qui nous séduisent avec de fausses promesses ou de jolis miroirs aux
alouettes.
J’ai choisi mon métier parce que j’y crois. Je crois vraiment qu’on peut tous
transformer notre vie, si elle a mal commencé, et en faire notre propre
histoire, avec nos critères de bonheur.
On peut ouvrir les yeux et cesser de rêver. On mûrit et on apprend. On tire
des leçons de la vie, des bonnes expériences, mais aussi et encore plus des
mauvaises. Elles nous invitent à prendre conscience qu’on raisonne mal,
qu’on a peur, qu’on manque de confiance en soi, qu’on ne sait pas très bien
ce qu’on aime, ni ce dont on a besoin. On peut découvrir qu’on aime mal,
peut-être parce qu’on a été mal aimé. Ces constatations sont le propre des
personnes qui ont grandi dans une famille un peu déboussolée, une famille
pas structurée, sans règle ni loi, une famille où se mêlaient les rires et les
cris, les câlins et les manipulations… Il n’est pas nécessaire de traîner un
lourd passé pour avoir besoin de se reconstruire. Et parfois même, vous le
savez maintenant, les petits dégâts peu visibles laissent des séquelles bien
plus difficiles à déceler que la violence physique. Lorsque l’esprit est mal
construit, lorsqu’on a de soi une image vague, qu’on se sent un peu comme
une coquille vide, un pantin sage ou un imposteur, on a besoin de faire le
point et d’aller à la découverte de soi-même. Ne pas se connaître peut
sembler insignifiant, et c’est pourtant une blessure intime qui est la source
de bien des déboires dans la vie. Quand on ne se connaît pas bien, on fait de
mauvais choix par exemple. On accepte un poste qui ne nous convient pas
ou on se lance dans une histoire d’amour qui nous fera bien plus de tort que
de bien. Quand on ne se connaît pas, on se cherche à travers des aventures
qui se transforment bien vite en mésaventures, les rêves tournent au
cauchemar, on court derrière on ne sait quoi, ou on se laisse dériver comme
un fétu de paille sur la rivière.
Ce livre est une petite pierre à l’édifice. Soyez lucides. Soyez courageux.
Soyez convaincus que vous pouvez faire de votre vie une belle histoire.
Ne vous culpabilisez pas du chemin accompli s’il vous paraît morne ou
mal pavé. Vous ne saviez peut-être pas où il allait vous mener lorsque vous
avez choisi de vous y aventurer. La vie est en effet une aventure, un
parcours sur lequel il faut parfois engager ses pas avec peu de visibilité et
aucune garantie. On ne peut pas toujours prévoir ce qui va arriver. Ne vous
préoccupez pas du passé. Ce qui a eu lieu a eu lieu, on ne peut plus rien y
changer. On ne peut pas recommencer à zéro non plus. Le retour en arrière
n’est jamais possible. Mais on peut réfléchir et se poser des questions. Pour
que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas. Pour ne pas tomber une
nouvelle fois dans une relation qui nous nuit. Pour ne plus accepter
l’irrespect.
Ne perdez pas votre temps. Tirez les leçons du passé, avec ou sans aide, et
tournez la page ! C’est dur, mais c’est possible. La vie n’est pas une prison,
elle n’est jamais un total enfermement. Aussi injuste cela soit-il, il faut
parfois s’en aller si on veut respirer en paix.
Vous êtes une personne respectable, quoi que vous fassiez, parce que tout
être a le droit d’exister comme il est. Mais tout être est responsable de ses
actes, de ses choix et de leurs conséquences.
Le prochain chapitre de votre vie, vous pouvez l’écrire selon vos vœux.
Vous ne devez pas subir votre vie, vous avez le loisir de la mener vers ce
qui vous fait du bien. Soyez votre meilleur ami, conseillez-vous avec
justesse. Ayez confiance, avancez courageusement, un pas après l’autre vers
la réalisation de vos désirs.
Les mécanismes pervers décrits tout au long de cet ouvrage sont parfois
utilisés par un groupuscule, véritable noyau pervers, parasite et corrupteur,
dont le mode de fonctionnement gangrène l’association au sein duquel il
s’implante (une famille, une association professionnelle ou sociale, un parti
politique, voire un pays tout entier). Il s’agit d’une petite coalition
dynamique, active et durable qui peut se former à partir de deux ou trois
personnes – mais parfois une seule personne suffit à contaminer un petit
groupe – et qui vise à l’obtention de gains narcissiques et matériels aux
dépens d’autrui. Son caractère pervers se définit à la fois par son mode de
fonctionnement dont nous avons vu la plupart des facettes et par les
personnalités qui le composent, qui sont liées par le secret et agissent dans
l’ombre à l’encontre du leadership, de la hiérarchie ou du pouvoir
démocratiquement installé. Tel un parasite, le noyau se nourrit de la
substance vitale des individus du groupe auquel il s’attaque, qui en retour
en subit l’attraction, la fatigue et les effets subversifs.
Il s’agit toujours d’une petite organisation qui se forme au sein d’un
groupe déjà constitué. Cachée, limitée dans son amplitude mais puissante
par son influence, elle va du petit groupe de pression qui parasite une
entreprise, une association ou une famille (coalition des grands-parents avec
leurs petits-enfants contre les parents, par exemple), jusqu’à l’agglomérat
rassemblé autour d’un tyran pour asservir son peuple en lui faisant miroiter
la gloire et faire la guerre. Il n’y a pas de véritables différences dans les
mécanismes utilisés pour l’établissement d’hégémonies épouvantables,
comme le nazisme, et les contaminations minables d’une petite association
obscure, si ce n’est l’ampleur. Pour que cette coalition dure, il faut quelques
conditions :
• Le rôle de chacun reste indiscernable, on ne sait pas très bien qui est
meneur, qui est mené, et ici plus encore qu’ailleurs, le plus manipulateur
n’est pas toujours celui qu’on pense, c’est la revanche des frustrés.
• Le milieu infecté doit s’y prêter : ce sera par exemple une de ces familles
closes où les générations et les rôles ne sont pas très différenciés, ou une
de ces institutions faibles où les fonctions sont peu définies, appauvries,
ou encore un de ces peuples affaiblis, humiliés, décomposés qui se
laissent happer par un noyau dictatorial. À l’inverse, une institution
féconde et d’esprit démocratique peut aussi constituer une cible idéale :
c’est la stratégie du coucou, qui ne va certainement pas parasiter un nid
stérile.
• Le noyau agit comme un aimant, il attire ceux qu’il séduit et repousse
ceux qui résistent. Il a besoin d’adeptes à recruter qu’il endoctrine avec
quelques idées aussi rudimentaires que séduisantes, et d’exclus à bafouer
qu’il discrédite avec des moyens d’humiliation perfectionnés.
5e leçon : Faire des adeptes, créer son fan-club : Pour cela, il est nécessaire
de repérer les plus fragiles, ceux qui sont un peu perdus, pas franchement
heureux, ceux qui ont passé une mauvaise nuit par exemple, et commencer
doucement le travail de sape. Deux ou trois compliments, quelques gestes
gentils et de sérieuses critiques sur le voyage et les voilà acquis à notre
cause, ça fait du bien, on se sent moins seul et on s’épaule dans la
frustration.
• il faut que ces idées fassent appel à une adversité redoutable et néanmoins
vague, parce que si celle-ci était claire, elle pourrait être démentie ;
• il faut qu’elles ne varient pas, leur permanence leur prêtant un semblant de
justesse ;
• qu’elles ne soient ni vérifiables, ni démontrables pour échapper au risque
du démenti ;
• mais surtout qu’elles ne soient pas complexes, car toute idée complexe
requiert le secours de la réflexion et des ressorts de l’intelligence.
Le noyautage pervers prend appui sur la menace d’une nuisance potentielle
et constamment suggérée mais jamais démontrée, condition impérative pour
quelque endoctrinement que ce soit.
Les menaces de fin du monde, soi-disant prévue par les Mayas, en ont fait
sourire plus d’un, mais toutes les rumeurs ne sont pas aussi mondialement
contredites ni agréablement ridiculisées. De nombreuses dérives sectaires,
politiques ou pseudo-thérapeutiques reposent sur l’usage subtil des peurs
humaines et de la crédulité des personnes affaiblies, peu instruites, naïves,
déboussolées et en recherche de solution facile à leur souffrance.
L’inconfort est évident mais il est limité dans le temps, c’est un peu
envahissant mais pas vraiment obsédant et, comme tous les petits
désagréments, on s’en accommode, mais ça épuise ! C’est la répétition de
ces petites tensions et de ces petits efforts qui est doucement usante et, à la
longue, traumatisante. Elle empoisonne la relation silencieusement et épuise
les résistances.
Voici un test qui vous permettra de passer en revue une série de critères qui
devraient déjà vous mettre la puce à l’oreille. Il concerne tout type de
relation. Combien de critères faut-il ? Les tests comportent toujours une
dimension simpliste, je ferai donc confiance au lecteur pour se déterminer
lui-même, mais à mon avis, au-delà de 5, c’est déjà suspect !
Parfois, si nous n’y prenons pas garde, ce niveau n’est que la première
marche vers des manipulations plus graves, qui minent le psychisme et font
peur, qui démolissent progressivement, qui envahissent l’esprit et détruisent
à petit feu. De la part de l’autre, que ce soit un conjoint, un parent, un
membre de la famille, un partenaire professionnel ou n’importe quelle
personne avec laquelle on entretient un lien soutenu, on ressent de la haine,
de la rage, une absence totale d’empathie et de respect. Ce niveau de
gravité-là est plus rare, mais bien plus dangereux et tout aussi invisible,
parce que perpétré dans le secret de la relation.
Quels sont les signes, que l’on devrait reconnaître en soi, qui devraient nous
alerter ? Tous les signes précédents, mais bien plus. À ce stade de gravité, il
ne s’agit plus vraiment d’un test, et honnêtement je trouve qu’un seul
symptôme, surtout s’il est récurrent ou constant, est déjà suffisant pour
conclure qu’il est plus que temps de prendre soin de soi !
Pourquoi moi ?
• Peut-être parce que j’étais vulnérable, fragilisé, incapable de réagir, une
proie facile.
• Peut-être parce que j’étais joyeux et que ma vitalité a agi comme un
aimant, je faisais envie.
• Peut-être parce que ce type de relation me semblait familière.
• Peut-être parce que je pensais ne pas pouvoir mériter mieux.
• Peut-être parce que j’étais zélé, sage, consciencieux, obéissant, soucieux
des autres et des hiérarchies, pétri du sens du devoir.
• Mais peut-être aussi parce que j’étais un peu naïf (ou innocent ? ignorant ?
nigaud ?).
• Peut-être parce que j’étais trop gentil (ou trop doux, trop mou ? Trop bon,
trop con ?).
• Peut-être parce que j’étais en manque d’amour, en besoin de
reconnaissance insatiable, seul, triste, prêt à tout pour ne plus l’être (même
à vendre mon âme ?).
• Peut-être parce que j’étais inattentif (ou sourd et aveugle ?).
• Et puis peut-être aussi par hasard. Oui, le hasard existe aussi ! On peut, un
jour de malchance, être au mauvais endroit au mauvais moment, hé oui !
Si ça n’arrive qu’une fois, qu’on s’en rend compte assez vite et qu’on met
en œuvre ce qu’il faut pour s’en sortir, oui c’était peut-être un sale coup du
hasard, la faute à pas de chance, on s’est fait piéger par hasard. Cela peut
arriver à tout le monde.
Si cela arrive une seconde fois, est-ce encore le fruit du hasard ? C’est
moins sûr ! On pourra encore dire que c’est vraiment une bien mauvaise
coïncidence ! Ah oui alors ! Mais sans doute aussi que sous des dehors bien
différents, les mêmes mécanismes ont agi. La leçon n’a pas été tirée, on n’a
pas bien compris et on est retombé dedans. Oh, quelle malchance !
À la troisième fois, plus de doute, c’est une vraie propension, quelque
chose dans ce genre de relations nous attire, quelque chose dans ce genre de
problèmes nous plaît, c’est un peu comme si nous avions une boussole
intérieure qui immanquablement nous dirigeait vers eux. Ne nous mettons
plus la tête sous le sable cette fois, si on y retourne c’est qu’on s’y retrouve.
Et pourquoi pas finalement ? Il existe des gens qui vont de procès en
procès pour un oui, pour un non, par exemple, est-ce de la malchance ? Il
existe des gens qui ont toujours des problèmes au travail, où qu’ils aillent,
est-ce de la malchance ? Il existe des gens qui vont de passions ravageantes
en passions ravageantes. Et alors ? S’ils aiment se faire ravager, c’est leur
vision du monde après tout ! On peut préférer souffrir pour jouir, non ? Cela
s’appelle le masochisme et de tout temps il a fait des adeptes. C’est un
choix de vie. Enfin, un choix ? Le problème du masochisme, c’est que dès
qu’on en prend conscience, on cesse de jouir. Donc tout le monde s’en
défend : moi ? maso ? jamais ! Mais en attendant, oui, on peut aussi décider
d’en sortir, parce qu’on a perdu assez de plumes et qu’à chaque chute on en
perd un peu plus ! Et si on veut vraiment éviter de terminer sa vie comme
un poulet déplumé, qui court désespérément après un nouveau boucher, il
faut peut-être choisir d’aller picorer ailleurs !
Annexe 3
Bien communiquer : La méthode 0-
1-2 !
Petite méthode simple, pour apprendre à communiquer des choses difficiles
à quelqu’un qui n’est pas nécessairement disposé à les entendre…
Tout le monde connaît cette situation, tout le monde a déjà vécu quelques
échecs de communication, un message qui nous revient en boomerang dans
les gencives ou au contraire qui tombe avec un son caverneux au fond d’un
précipice d’indifférence, une conversation qui tourne en règlement de
compte, en accusations croisées, en portes qui claquent…
Analysons comment nous nous y prenons : A est l’émetteur du message et
B le récepteur. C’est donc A qui est le demandeur de cette communication,
qui est en principe motivé, ce qui explique, dans la démonstration qui va
suivre, que c’est A qui fait l’effort de la remise en question. Ici, nous ne
tiendrons pas compte de B. On l’imagine peu motivé, lui, mais pas
monstrueux non plus. Une situation banale, somme toute. Néanmoins, si
nous traduisons l’importance de la motivation par une majuscule et son
absence ou sa pauvreté par une minuscule, on peut imaginer les variations
suivantes, dont découleront des adaptations au schéma qui va suivre.
Si effectivement l’émetteur est très motivé à s’exprimer et le récepteur pas
vraiment, on devrait écrire : « A vers b ». Si par contre, le récepteur veut
vraiment comprendre ce qui se passe, mais l’émetteur n’en ressent pas
vraiment la force ou le désir, on aura « a vers B ». Un couple qui veut
vraiment se comprendre s’écrira « A vers B ». C’est évidemment la
situation qui a le plus de chance de succès, contrairement au couple « a vers
b » qui passera probablement son malaise devant la télé ! La situation qui
va être analysée est celle d’un émetteur motivé, peu importe que le
récepteur le soit ou non, donc « A vers B » ou « A vers b ». On peut
observer schématiquement trois niveaux d’attention dans le chef de
l’émetteur, qui détermineront trois manières de fonctionner.
Le niveau 0 (zéro) : A n’a aucune attention (zéro attention) sur ce qu’il dit.
Il parle comme ça vient, quand ça vient, où ça vient et sur le ton qui lui
vient. Platement dit, il parle comme il vomit… Ça monte, ça sort ! Cela ne
veut pas dire que cette manière de communiquer est nulle. Elle est
spontanée, et nous savons tous combien la spontanéité a du charme et
qu’elle est un moteur important de l’humour, par exemple. Mais dans la
situation difficile qui nous occupe aujourd’hui, cette spontanéité n’est pas
de mise, elle peut même être contre-productive. Cette manière de parler est
aussi typique des situations de « brain storming ».
Ça ne marche donc pas, B n’entend rien, ne comprend pas, n’est pas
réceptif, n’est pas disponible. Cela dit, on peut toujours s’interroger sur la
persistance de ce type de comportement de la part de A, alors que les
expériences successives lui en ont montré l’inefficacité… Pourquoi A
persiste-t-il à mal communiquer avec B ? Peut-être l’échec l’arrange-t-il ?
Et qu’il peut alors continuer à critiquer, à accuser B de ne pas tenir compte
de ce qu’il lui dit ?
Le niveau 1 : A porte cette fois son attention sur une personne : lui-même.
Il attend avant de parler et se demande honnêtement ce qu’il veut dire
exactement. Il tâche de mettre ses idées au clair, de trouver les mots qui
traduisent le mieux sa pensée et, comme dit le proverbe : « Ce qui se
conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent
aisément ». Ce n’est pas si simple et facile que ça, mais c’est à l’évidence
d’un niveau largement supérieur à la communication avec « zéro
attention »…
Cela dit, lorsque le message est vraiment difficile à faire passer, que B
n’est pas le meilleur des écouteurs, ça ne marche pas toujours… Et
pourtant, on a déjà fait là un sérieux effort…
Le niveau 2 : Cette fois, A va porter son attention sur les deux personnes,
sur lui-même et sur B.
Non seulement, comme au niveau 1, il va mettre ses pensées au clair, c’est
évidemment indispensable, mais il va s’interroger sur les manières
d’améliorer la réceptivité de B… Une première partie de cette réflexion, il
peut la faire tout seul, mais ça ne suffit pas toujours. Il faut alors demander
à B.
Par exemple (chacun mettra ses propres mots sur ce modèle) : Moment de
réflexion indispensable de A : « Comment puis-je me faire comprendre de
B ? De cette personne-là, unique, telle que je la connais, avec ses difficultés
propres, ses limites, son caractère et dans le contexte actuel de notre
relation ? » Un peu comme si les oreilles de B étaient une serrure et que
c’était à A d’en trouver la clé.
Ensuite : « B, j’ai quelque chose de difficile à te dire (A dit sa difficulté),
je souhaiterais qu’on trouve un moment pour se parler (A exprime son
besoin simplement), quand est-ce que cela te convient ? J’aurais besoin
d’une heure (ou dix minutes ou cinq heures…), où pourrait-on se voir ? » (A
offre à B le choix du moment et du lieu, aide donc B à accepter.) Si, à ce
stade, B refuse, ce sera au moins un refus clair. Mais avec une ouverture
pareille, c’est déjà plus rare…
Lorsqu’on se retrouve pour discuter, A dit : « Je suis content que tu aies
accepté, ce que j’ai à te dire n’est pas facile (ou encore confus, ou
douloureux, ou risqué, etc. A redit sa difficulté. Tout ceci est facultatif
évidemment et dépend des circonstances et des interlocuteurs). J’aimerais
que tu puisses m’écouter jusqu’au bout, sans m’interrompre et je t’écouterai
après, autant que tu voudras. Mais laisse-moi parler d’abord (A définit
précisément son besoin et ouvre au dialogue respectueux). Mon but, même
si ce que j’ai à dire est difficile à entendre pour toi (et difficile à dire pour
moi) est de restaurer la relation, de nous permettre de réfléchir sur ce qui ne
va pas, d’améliorer ceci ou cela (A explique honnêtement son but). Je ne
voudrais pas qu’on se dispute, je ne veux pas te blesser » (A exprime ce
qu’il essaye d’éviter).
A s’exprime, tâche d’être clair d’emblée, écoute brièvement B s’il
l’interrompt, répond à un éclaircissement si c’est nécessaire à la poursuite
du discours, mais remet gentiment B là où il l’a demandé, à sa place
(temporaire) d’écouteur, en lui répétant calmement qu’après, lorsque A aura
dit ce qu’il essaye de dire, B pourra s’exprimer à son tour et A écoutera
avec autant d’attention et de respect.
Lorsque A a fini, il peut parfois être nécessaire de vérifier ce que B a
vraiment compris. Attention, vérifier si B a compris est parfois insuffisant
(Tu as compris ? Oui…, mais qu’en sait-on au juste ?) Dire (à un enfant par
exemple) « Qu’est-ce que tu as compris ? » ou « Qu’as-tu compris de ce
que j’ai dit ? » nous aidera mieux à vérifier ce qui est passé de notre
message.
Et puis A écoute B et ils continuent sur ce modèle aussi loin qu’ils
peuvent aller…