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Du même auteur : Animer un groupe, leadership,
communication et résolution de conflits, Paris, Éditions
Eyrolles, 2007.
Sortir des conflits avec les autres, Paris, Éditions Eyrolles,
2007 (3e édition).
Christophe Carré est enseignant et formateur en
communication. Ilanime des ateliers et des conférences sur
la régulation des conflits, lacréativité, l’affirmation de soi et
le mieux-être personnel et relationnel.
Cet ouvrage est paru dans une première édition sous le
titre Halte aux manipulateurs.
Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet
1992 interdit en effet expressément la photocopie à
usage collectif sans autorisation des ayants droit.
Or, cette pratique s’est généralisée notamment
dans les établissements d’enseignement,
provoquant une baisse brutale des achats de livres,
au point que la possibilité même pour les auteurs de créer
des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement
est aujourd’hui menacée. En application de la loi du 11
mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou
partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que
ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français
d’Exploitation du Droit de Copie, 20, rue des Grands-
Augustins, 75006 Paris.
© Groupe Eyrolles, 2004, 2007
ISBN :978-2-212-53923-3
Composé par Sandrine Rénier Achevé d’imprimer : Jouve,
Paris N° d’éditeur : 3510
N° d’imprimeur : 338826L
Dépôt légal : juillet 2007
Imprimé en France
Christophe CARRÉ
La manipulation au quotidien
La repérer, la déjouer et en jouer
Sommaire
Introduction
Pourquoi manipule-t-on ?
Le jeu de l’ego
La manipulation : une spécificité humaine ?
Ce vieux Renart
Démocratie et manipulation
L’hypocrisie ambiante
Naît-on manipulateur ?
L’intensité
Se sait-on manipulateur ?
Les bourreaux
Les victimes
Les sauveteurs
Pourquoi ment-on ?
La mythomanie
Le manipulateur
La relation
L’environnement
Le sentiment de solitude
Le sentiment de dévalorisation
Idéalisation du manipulateur
La liberté amputée
La peur
Manipulation et violence
Pervers et narcissique
Du côté de la victime
Encore et toujours…
Le piège « abscons »
Un monde subjectif
Réponse à tout
Soumission à l’autorité
La notion de dichotomie
Groupe et manipulation
Normalisation
Pensée de groupe
2 L’art de la manipulation
Choisir la cible
Le script manipulatoire
Le contact physique
Le premier pas
Le catalogage
L’amorçage
Le leurre
L’isolement de la victime
3 Manipulation et communication
L’inévitable communication…
Le contenu
La relation
La désinformation
Les arrangements de la réalité
La généralisation
La sélection
La distorsion
Les paradoxes
L’amalgame
La morale
Les exigences
La comparaison
Éviter de s’automanipuler
Cesser de culpabiliser
S’affirmer
Un sentiment de dévalorisation
L’inconstance
La carte de la sympathie
Démonter le mécanisme
L’arroseur arrosé
La contre-manipulation
La pédagogie noire
L’enfant manipulateur
Que faire ?
Que faire ?
3 La manipulation positive !
L’effet placebo
Sentiment de liberté
Proximité temporelle
Personnalisation
Non-retour
Répétition
Portée de l’acte
Réceptivité
Faibles enjeux
Justification
« Silence, on manipule »
Conclusion
Bibliographie
Introduction
La fille de Catherine
L’humour du mari
La collègue pressée
L’art de la vente
Mer ou montagne ?
La cadette
La bonne affaire
Définir la manipulation
La « manipulation », entendue dans le sens d’une
manœuvre malhonnête, est relativement récente, puisque
ce n’est qu’au XVIIIe siècle que cette acception apparaît
dans la langue française. Étymologiquement, le mot vient
du latin manipulus qui signifie « poignée ». Il est à noter
que dans la 3e édition du Littré, qui date de 1984, la
manipulation est définie comme une « exécution de
diverses opérations en chimie, pharmacie, etc. », sans qu’il
soit fait mention de sa dimension stratégique. L’édition de
1996 du Petit Robert place d’ailleurs cette occurrence en
quatrième entrée, après l’expérience de laboratoire (ou
scolaire) et l’ingénierie génétique, le geste de remise en
place des articulations et la branche de la prestidigitation
qui repose sur l’habileté des mains. Une valeur sociale
péjorative lui est accordée, renforcée par des lieux
communs : manipulations électorales, manœuvre,
tripotage, magouille…
La dimension occulte de calcul, de combinaison, de trucage
prédomine dans de nombreuses définitions. La
manipulation semble n’avoir aucune valeur créatrice,
comme si elle constituait la part sombre, l’image
dégradante et la dimension secrète de l’activité humaine et
de la vie en société.
Dans ce dernier sens, le mot manipulation, tel que nous
l’entendons aujourd’hui, a de nombreux synonymes,
d’apparition souvent plus ancienne dans la langue
française, par exemple le mot « manœuvre » donné dans le
Petit Robert comme « un moyen ou un ensemble de moyens
mis en œuvre pour atteindre un but, généralement par ruse
et artifice. Combinaison, intrigue, machination, manigance
ou, plus familièrement, fricotage, grenouillage ». On dira
souvent plus volontiers : « J’ai été victime d’une
manipulation » que « je me suis laissé prendre dans une
machination » ou « Édouard est un sale manipulateur »
plutôt que « Édouard est un sale manœuvrier ». Le mot n’a
pas la même résonance affective que ses équivalents.
Pourquoi manipule-t-on ?
Certaines personnes évoquent un peu naïvement l’image
d’un être humain naturellement bon, dont l’instinct de
coopération l’emporterait haut la main sur l’instinct de
compétition ; un être doué de raison et capable d’analyser
des faits avant de prendre une décision ; un être libre,
responsable et créatif.
Sauf à jouer les hypocrites, il faut bien reconnaître, en
toute objectivité, que la réalité économique et sociale du
monde dans lequel nous vivons contrarie sévèrement cette
vision des choses. À moins que l’homme ne vive, depuis des
millénaires, dans un paradoxe total par rapport à sa propre
nature…
En effet, la plupart du temps, les relations humaines sont
fondées sur des rapports de forces dans lesquels l’éthique
et le partage ne sont pas des valeurs phares. Il suffit de
s’intéresser, par exemple, au monde de l’entreprise, à la vie
en habitat collectif ou au cadre familial ou conjugal pour
s’en convaincre. Le fait est que nous vivons souvent la
simple présence de l’autre comme une menace pour notre
ego, pour notre espace, pour nos valeurs et nos intérêts
personnels. Selon cette approche, l’autre ne peut pas être à
côté de nous : s’il n’est pas avec nous, il ne peut qu’être
contre nous.
La première divergence de vue, le conflit le plus
anecdotique, le moindre empiètement sur nos plates-
bandes, qu’ils soient réels ou imaginaires, involontaires ou
symboliques, deviennent donc prétextes à redéfinir le
pouvoir des uns sur les autres et à rééquilibrer les rapports
de forces - l’objectif étant tout de même, à chaque fois et
pour chaque protagoniste, de triompher de l’autre.
Les choses sont ainsi ! Pour maintenir notre ego à flots et
préserver notre sphère vitale - ou l’étendre -, nous
cherchons donc, par tous les moyens, à dominer nos pairs.
Plusieurs stratégies sont à notre portée. Nous pouvons
tenter de les persuader de se rallier à notre point de vue,
essayer de les faire plier, ou encore les placer sous notre
dépendance. Nous pouvons aussi les tenir à distance ou les
éliminer, purement et simplement, soit en les fuyant ou en
les faisant fuir, soit en les détruisant psychologiquement,
soit en les supprimant physiquement.
Dans ce contexte, la manipulation est un moyen efficace,
moderne, et généralement non répréhensible, d’assurer
notre suprématie sur les autres. C’est la raison pour
laquelle, dans tous les milieux socioprofessionnels, dans
toutes les familles et à tous les âges, la manipulation existe,
à des degrés divers, et permet aux uns et aux autres de
s’influencer sans dommages physiques.
Le jeu de l’ego
Parmi les constructions personnelles qui nous poussent à
manipuler les autres, notre ego occupe une place de choix.
L’ego, que les psychanalystes appellent aussi le « moi », est
cette sorte de noyau central de notre personnalité qui nous
dirige, nous protège et nous conditionne.
Notre ego nous chuchote, sans que nous en ayons vraiment
conscience, que nous sommes supérieurs aux autres et que
c’est à juste titre que nous nous prenons pour le nombril du
monde. Il nous enjoint de nous méfier de tout ce qui
pourrait nous rendre malheureux et nous invite à nous
prendre en considération de façon prioritaire.
La manipulation est donc une pratique excellente pour
notre ego, puisqu’elle nous permet de nous placer en
position de supériorité sans nous fragiliser
personnellement. Toutefois, si l’on est démasqué, il nous
faudra trouver des parades pour protéger notre moi
manipulateur !
Ce vieux Renart
Démocratie et manipulation
Si les processus manipulatoires ne datent pas d’hier,
plusieurs auteurs, dont Fabrice d’Almeida, dans l’ouvrage
qu’il consacre à la manipulation, soulignent que la notion
elle-même commence à prendre une connotation péjorative
à partir du XVIIIe siècle.
À cette époque, les philosophes des Lumières prônent
l’émergence d’un homme nouveau, disposant d’une
conscience politique, capable de faire des choix en toute
liberté et d’exercer sa raison.
Cette vision moderne de l’homme et du monde nécessite
d’éduquer les gens et de mettre en place des lois pour les
défendre. Il s’agit, pour les philosophes libéraux, de mettre
fin à l’arbitraire monarchique et de privatiser la religion. Ils
veulent clarifier la vie sociale, discipliner et moraliser la
société, uniformiser les normes pour « huiler » les rapports
humains.
Toute tentative de tromperie, de feinte ou de
conditionnement s’oppose donc à cet idéal de transparence
et risque de compromettre « l’éveil des consciences ». La
manipulation sous toutes ses formes devient moralement
répréhensible, même s’il n’est pas possible, légalement,
d’en sanctionner tous les usages.
La manipulation entretient des rapports complexes et
ambigus avec la démocratie libérale, dans la mesure où elle
en est, pour employer une métaphore fruitière, à la fois le
fruit et le ver.
Elle en est le fruit parce que, lorsqu’on ne peut plus faire
plier quelqu’un ou le diriger par la force ou par la menace,
la tentation est grande d’adopter des techniques plus
douces, par exemple le conditionnement et la manipulation,
pour obtenir les résultats escomptés.
Elle en est également le ver qui la ronge intérieurement et
l’abîme. En effet, si la manipulation est une émanation
obscure mais logique de la démocratie libérale, elle
représente aussi ce qui remet en cause ses fondements
même : comment exercer dignement sa raison, disposer de
sa pleine faculté de juger et prôner la vertu et l’honnêteté
quand tout le monde vous manipule à qui mieux mieux pour
obtenir que vous soyez plus rentable dans votre travail, que
vous votiez « utile », ou que vous achetiez des produits
dont vous n’avez pas vraiment besoin ?
Il ne s’agit naturellement pas de faire l’apologie de la
dictature et des régimes autoritaires. Ceci étant, il est bon
de garder à l’esprit que la manipulation de l’information et
des affects est inhérente à notre société démocratique et
médiatique.
L’hypocrisie ambiante
Notre société entretient avec la manipulation des rapports
ambigus et pour le moins hypocrites.
D’un côté, tout le monde s’accorde à reconnaître que
manipuler est immoral, déloyal et déstabilisant, voire
destructeur pour les victimes, et de nombreux auteurs
stigmatisent la manipulation tout en prônant l’affirmation
de soi et l’intégrité relationnelle. D’un autre côté, les
pratiques manipulatoires et le mensonge sont monnaie
courante dans le monde politique, les affaires, la publicité,
les médias, le secteur de l’entreprise, la vente, jusque dans
la sphère privée, la vie familiale et le couple. Que croire ?
Qui croire ? Vivons-nous dans une société schizophrénique
?
En outre, comme le remarque Marie-France Hirigoyen dans
son livre Le Harcèlement moral, la violence perverse au
quotidien, nous avons tendance à être très indulgents vis-à-
vis des menteurs et des manipulateurs. Nous admirons, dit
encore cet auteur, celui qui sait jouir le plus et souffrir le
moins, alors que nous n’avons guère d’égard pour les
victimes que nous considérons comme des êtres faibles.
Cette attitude est confirmée par le fonctionnement même
de la justice française : en cas de délit, l’acte est
répréhensible pour la société, mais sans réelle prise en
compte de la victime et de ses souffrances.
Autrement dit, nos discours et nos intentions sont porteurs
d’une image négative de la manipulation, mais en même
temps, nous en acceptons les enjeux et les effets avec la
plus grande facilité. Du reste, nous n’hésitons pas à en
faire nous-même usage en cas de besoin et, par souci de
bonne conscience, nous utilisons alors des euphémismes
pour caractériser de tels procédés. Manipuler, quel vilain
mot ! Reconnaissez avec moi que vous préférez
communiquer avec efficacité, utiliser des techniques
argumentatives ou des stratégies d’influence, en tout bien
tout honneur, naturellement. Il vous arrive également
d’employer votre force de conviction, d’impulser votre
vision, d’affirmer votre autorité, ou que sais-je encore !
Les mots ont ceci d’agréable qu’ils permettent de noyer le
poisson sans gâcher l’eau de l’aquarium. Mais, dites-moi,
qu’est-ce qui se trame sous ces belles paroles sinon des
figures manipulatoires ?
Transaction du pendu
Le manipulateur, portrait
en pied
Naît-on manipulateur ?
Dès son plus jeune âge, l’enfant expérimente son pouvoir
sur ses parents et sur sa fratrie pour tenter d’obtenir ce
qu’il souhaite. Il use de « petites manipulations » en jouant
essentiellement sur la corde affective. Quel parent
résisterait aux sourires, aux larmes ou aux cris d’un plus
petit ?
Sans aller jusqu’à affirmer que la manipulation est innée
chez l’enfant, il semble en tout cas que le nourrisson
apprenne très tôt à manœuvrer ses proches en faisant
appel à la séduction, à des moyens de pression, des petits
chantages, etc. S’il ne naît pas manipulateur, il le devient
assez rapidement, à mesure que se développe sa
conscience de lui-même et des autres.
Pourquoi devient-on manipulateur ?
« L’enfant est le père de l’homme », a-t-on coutume de dire.
Chacun dispose, en effet, d’une histoire personnelle, qui ne
ressemble à aucune autre. Nous avons tous subi certaines
formes de conditionnement, vécu certains types de relation
avec nos parents, dans un milieu plus ou moins hostile ou
épanouissant pour notre personnalité. Nous avons reçu une
éducation et intégré des principes sur lesquels se fondent
nos valeurs personnelles.
À cela s’ajoutent souvent des secrets de famille, des
événements traumatiques, des deuils, des ruptures qui
imprègnent notre histoire. Si ces éléments ne sont pas à
proprement parler les causes directes de ce que nous
sommes aujourd’hui, il serait faux de dire qu’ils n’ont pas
d’incidence sur le cours de notre vie.
Certaines personnes ont pu se sentir soumises, humiliées,
honteuses, non reconnues, dévalorisées dans leur enfance
ou leur adolescence. Elles compensent aujourd’hui leurs
difficultés personnelles, leur peur d’être mises en danger
par les autres, leur manque de confiance en elles, leurs
souffrances, leurs inhibitions ou leurs échecs en dominant,
en faisant souffrir ou en manipulant les autres. Elles ont
plus ou moins généralisé ce comportement. Elles auraient
pu faire d’autres choix, mais celui-ci leur permet de
survivre.
La manipulation constitue donc pour ces personnes un
système de défense qui leur permet bon an mal an de
trouver un certain équilibre relationnel sans risquer de les
fragiliser. Cela n’excuse évidemment pas leurs actes mais
permet de les comprendre.
La plupart des manipulateurs aiment être admirés et
appréciés.
Les manipulateurs sont-ils tous
malheureux ?
Si la plupart des manipulateurs « toxiques » sont des gens
qui souffrent et essaiment leur souffrance autour d’eux,
certains sont fiers et heureux de l’être. Souvent caustiques,
ils ont parfaitement conscience de leurs agissements et
portent sur le monde un regard faussement désabusé. En
réalité, ils se réjouissent des failles du système et des
difficultés de la communication humaine grâce auxquelles
ils peuvent tirer leur épingle du jeu et exploiter leurs pairs
comme ils le souhaitent. Ces opportunistes à l’éthique
douteuse sont sans doute les manipulateurs les plus
impitoyables.
La fréquence
Une personnalité très manipulatrice affiche à l’égard du
manipulé des comportements, des attitudes et des
conditionnements malsains qui se reproduisent
périodiquement, et de plus en plus fréquemment.
L’intensité
Une personnalité très manipulatrice commence, en
général, par utiliser des techniques plutôt douces qui
peuvent, à la limite, passer pour des maladresses.
Toutefois, peu à peu, les procédés s’affirment davantage, et
les effets produits sur la cible croissent en intensité. Il
devient de plus en plus difficile pour la victime de se
défaire du conditionnement.
Se sait-on manipulateur ?
La plupart du temps, les individus à forte personnalité
manipulatrice ne se rendent pas compte qu’ils ont
généralisé des attitudes et des comportements toxiques,
pas plus qu’ils n’ont conscience des dégâts qu’ils peuvent
causer autour d’eux. On peut donc être un manipulateur
qui s’ignore et participer à des scénarios complexes,
comme ceux qui sont décrits ci-dessous, sans même se
rendre compte de la perversité de ces jeux.
Manipulateur, nous sommes souvent la première victime de
nos propres conditionnements…
Les bourreaux
Certains individus autoritaires, sûrs d’eux et de leur bon
droit, convaincus d’avoir naturellement toujours raison,
manipulent les autres en les persécutant. Ils pensent savoir
précisément ce qui doit être fait pour que tout fonctionne
comme il convient. Ils imposent violemment leurs règles,
menacent, dénigrent ou critiquent leurs victimes.
Tyranniques, il peut même leur arriver de pratiquer
l’affrontement musclé.
Leurs conduites sont primitives, mais ils n’en ont pas
trouvé ou cherché de plus efficaces. Les bourreaux ont, la
plupart du temps, choisi ce rôle pour se rassurer, parce
qu’ils ont vécu des frustrations, des souffrances, ou encore
parce qu’ils reproduisent des modèles parentaux. Ils
considèrent que chacun n’a que ce qu’il mérite. Leur devise
pourrait être : « Si vous vous laissez manipuler, c’est parce
que vous le voulez bien. »
Les sociétés démocratiques modernes imposant, nous
l’avons vu, des limites réglementaires et culturelles à
l’autoritarisme et à la domination franche et ouverte
d’autrui, elles ont généré une figure plus perfide du
bourreau, celle du harceleur. Le harceleur agit
indirectement, par des moyens détournés. Il ne s’implique
pas publiquement et évite de se salir les mains. Aux
discours clairement manipulateurs, il préfère les messages
allusifs ou évasifs, utilise des intermédiaires ou pratique le
sous-entendu, l’ironie, le sarcasme ou le syllogisme.
Il exploite aussi abondamment les éléments de la
communication non verbale, qui présentent pour lui un
double intérêt : ils sont équivoques et engagent davantage
la responsabilité de celui qui les interprète que celle de
celui qui les utilise. Le message est flou, ce qui laisse au
bourreau harceleur la possibilité de corriger le tir dans le
sens qui lui convient, au moment où cela lui convient.
Je te tiens, ordure.
Si tu ne fais pas ce que je te demande, plie bagages.
Tu ne dois pas faire ceci.
Tu dois faire cela.
Cela ne marchera jamais.
Tu es trop ceci.
Tu n’es pas assez cela.
Les victimes
L’usage commun voudrait que l’on range les personnes
manipulées du côté des victimes et les manipulateurs du
côté des bourreaux. Pour envisageable qu’elle soit, une
telle classification n’est pas totalement opératoire et peut
conduire à fantasmer l’image de la pauvre victime ainsi que
celle du méchant manipulateur. En outre, les choses sont
assez rapidement faussées car certains manipulateurs
utilisent avec habileté le registre de la victimisation pour
asseoir leur pouvoir sur les autres.
Jouer les victimes consiste à pleurer sur son sort, affirmer
que l’on a tout fait pour s’en sortir mais que, décidément,
la chance n’est pas avec soi, ou que tout le monde vous en
veut, sauf peut-être votre mère, et encore, cela reste à
prouver ! Tous ces ressorts manipulatoires fonctionnent
plutôt bien, même s’ils ne durent qu’un temps.
Se faire passer, consciemment ou non, pour une victime
atténue la méfiance de l’autre, l’invite à la compassion et
stimule son besoin de secourir son prochain, surtout
lorsqu’il est apparemment plus malheureux que soi. La
victime joue sur ce registre affectif. Elle a besoin d’être
aimée, rassurée, protégée, pour apaiser sa peur archaïque
de l’abandon. Comme tout le monde, serait-on tenté de
dire. Oui, mais avec davantage de dramatisation et
d’exigences personnelles.
La victime se laisse dépasser par les événements, mais
d’une certaine manière, cela ne lui déplaît pas, puisque
cette attitude lui permet de renvoyer les problèmes et les
responsabilités sur les autres.
Les sauveteurs
Les sauveteurs manipulateurs ont besoin que les autres
dépendent d’eux. Pour cela, ils inventent des prétextes : ils
veulent se rendre utiles plus souvent qu’à leur tour,
insistent pour aider les personnes fragiles, démunies ou
incapables d’agir, et jouent les bons samaritains avec une
rare délectation. Cet altruisme de surface cache en réalité
la satisfaction prioritaire d’intérêts personnels. Si le
sauveteur s’empresse d’intervenir pour faire preuve de
solidarité à l’égard de sa victime, il profite également de
cette opportunité pour apporter sa vérité, ses solutions, ses
interprétations, et s’assurer de son pouvoir sur ses
protégés.
On peut sans doute compter sur le sauveteur manipulateur,
mais certainement pas pour se sortir d’une mauvais passe !
Le sauveteur ne souhaite pas ruiner son entreprise. S’il
aidait la personne en difficulté à aller mieux, à trouver des
moyens efficaces pour se ressaisir et devenir autonome, il
saborderait son propre rôle et ne pourrait plus bénéficier
des satisfactions personnelles qui sont son objectif
prioritaire. La motivation du sauveteur manipulateur est en
fait égoïste : son aide inadaptée représente surtout un
moyen astucieux d’atténuer sa propre détresse en se
donnant l’illusion de la bonne conscience.
Ce système relationnel fonctionne d’autant mieux que
l’autre apprécie le rôle de victime et consent volontiers à
abandonner son autonomie et ses responsabilités pour
manipuler le sauveteur avec ses propres armes. Il s’agit, on
le voit, d’un jeu pervers complexe où les protagonistes sont
tout à la fois manipulés et manipulateurs.
Menteurs, mythomanes et
manipulateurs
Maladie mortelle
Concours d’entrée
Amitié sincère
Et vous ?
Pourquoi ment-on ?
Jusqu’à l’âge de sept ans le mensonge fait partie du
développement normal de l’enfant qui affabule pour
inventer un monde magique. L’adulte qui use du mensonge
le fait, lui, de façon généralement plus vraisemblable et
poursuit, sciemment ou non, des objectifs plus complexes.
Pourquoi ment-on ? La première des raisons semble être
l’amour de soi. Les personnes en mal de reconnaissance
utilisent le mensonge pour être aimées, admirées et donner
une bonne image d’elles-mêmes. Elles construisent, au
fond, un deuxième moi qui va les aider à vivre avec leur
moi réel. Dans ce cas, le mensonge est l’expression d’un
manque qui répond souvent à un trouble lié à la petite
enfance. Le menteur est déçu de ne pas être ce qu’il rêvait
d’être.
La deuxième des raisons est une forme de délicatesse pour
l’amour des autres : le mensonge pieux en est l’illustration.
Vouloir épargner ses proches, leur éviter d’avoir accès à
des informations qui risquent de les décevoir, de les
inquiéter, de les choquer ou de les déstabiliser, ces
motivations sont à la source de nombreux mensonges. Elles
les expliquent mais, d’un point de vue éthique, ne les
justifient pas et de toutes façons, installent inévitablement
une complémentarité entre le menteur et la personne
dupée. Car cette dernière n’a généralement pas choisi
d’être trompée.
La troisième des raisons trouve ses fondements dans le
conformisme social : il y a, en société, des conventions, des
règles à respecter, des choses qui se disent, d’autres qu’il
est préférable de taire pour maintenir le lien
communautaire et la vie collective. Si quelqu’un vous
demande si vous allez bien, vous répondrez presque
invariablement oui, même si ce n’est pas le cas. Vous
trouverez toujours que le tajine aux dattes de votre amie
est excellent même s’il vous donne des haut-le-cœur toute
la soirée. Bref, il y a un mensonge commun, sociétal et de
bon aloi.
La quatrième raison pose le mensonge comme règle
d’échange ! Il y a un en effet des personnes qui mentent
aux autres de façon presque systématique et tirent de cet
exercice un plaisir immédiat qui leur permet, d’une part
d’embellir un quotidien qu’elles jugent trop fade, d’autre
part de prendre le pouvoir sur les autres. Cette
réminiscence de la pensée enfantine, ce mélange entre ce
qui est et ce qu’on voudrait qui soit, n’est pas sans poser
question à l’âge adulte. Car embellir la réalité, c’est aussi
une façon de la refuser. Vouloir dominer autrui, c’est aussi
reconnaître à mots couverts que l’on en a peur.
Lâcheté, malveillance, cupidité, immaturité ou troubles
psychologiques sont également des causes qui peuvent
entraîner la pratique occasionnelle ou régulière du
mensonge.
La mythomanie
Les mythomanes sont des gens qui ont une tendance
excessive à mentir, à fabuler, à simuler, mais sans que ces
comportements répondent à une stratégie ou à un calcul. Il
s’agit plutôt d’actes impulsifs destinés d’abord à se mentir
à soi-même pour fuir la réalité et trouver un certain
équilibre. Le mythomane est par exemple capable
d’imaginer de faux enlèvements, de porter illégalement un
uniforme ou de créer les pires rumeurs. Il ne se rend plus
compte de son mensonge. À certains degrés de la
pathologie, il finit même par y croire !
Les causes de la mythomanie sont diverses. Elles sont
souvent liées à des carences affectives, à un manque
d’estime de soi qui se traduisent par un refus de la réalité.
Le mythomane parvient difficilement à faire la part du vrai
et du faux. Il reste dans l’enfance et expérimente un désir
de toute-puissance sur les autres à travers ses
affabulations, ses exagérations ou ses dissimulations.
Les effets de la
manipulation
La personne manipulée
La manipulation peut avoir des conséquences
psychologiques plus ou moins préoccupantes et déclencher
des troubles, notamment sur les plans physiologique,
intellectuel et éthologique - stress, anxiété, phobies
sociales, lassitude, découragement, faiblesse, problèmes de
sommeil, troubles de la digestion, pannes sexuelles,
addiction à l’alcool, aux neuroleptiques, au tabac, aux
substances hallucinogènes, démobilisation, troubles de
l’attention, de la mémoire, etc.
Ces symptômes font partie des incidences les plus
fréquentes des procédés manipulatoires sur les personnes
manipulées. Ils se traduisent à des degrés divers et
persistent plus ou moins longtemps selon les individus.
Le manipulateur
En installant progressivement le processus de domination
de l’autre, la personne manipulatrice sera attentive aux
réactions de sa victime afin d’évaluer, consciemment ou
non, l’efficacité de son emprise. Les informations qu’elle va
recueillir lui permettront d’orienter ses actions pour
modifier ou renforcer le dispositif de soumission et de
conditionnement. La manipulation influe donc également
sur les attitudes et les comportements du manipulateur, qui
va parfois jusqu’à se sentir investi d’un pouvoir suprême
sur les autres.
La relation
En agissant comme elle le fait, la personne manipulatrice a
tendance à se couper de plus en plus de tout ce qui relève
d’une relation symétrique fondée sur l’empathie et la
reconnaissance de l’autre. Elle instaure, au fur et à mesure,
une relation dont la nature s’avère de plus en plus
pathologique et qui aboutit, dans les cas extrêmes, à faire
de l’autre un objet. Cette déshumanisation de la victime
peut entraîner son aliénation pure et simple et réduire ses
possibilités de sortir du « programme » qui lui est infligé.
D’une relation initiale en principe fondée sur l’équité, on
passe donc à une relation complémentaire de type
soumission/domination dans laquelle, paradoxalement, le
dominateur peut aller jusqu’à détruire la victime dont il a
pourtant besoin pour satisfaire son désir de pouvoir.
L’environnement
Sauf rare exception, la manipulation n’intervient jamais
dans un milieu privé complètement coupé du monde
extérieur et des autres. Il est toutefois fréquent que la
manipulation « durable » et perverse échappe, du moins en
apparence, aux personnes qui se trouvent dans l’entourage
des protagonistes.
En réalité, ces proches perçoivent un certain nombre
d’indices qui dénotent une ambiguïté relationnelle, mais ils
ne savent pas quel sens leur attribuer. Ils négligent donc
ces informations qui manquent de clarté. Et surtout, ils ne
souhaitent pas prendre la responsabilité d’intercéder dans
les relations d’autrui. C’est la raison pour laquelle les
proches sont évidemment eux aussi influencés, quelquefois
à leur insu, par le climat relationnel manipulatoire.
Êtes-vous manipulé ?
1. Où et quand était-ce ?
2. Comment les choses se sont-elles passées ?
3. Quel mode opératoire le manipulateur a-t-il utilisé
pour vous manipuler ?
4. Avez-vous senti les choses arriver ?
5. Qu’avez-vous éprouvé sur le moment ?
6. Quelles ont été vos émotions ? Comment se sont-elles
traduites au niveau corporel (accélération du rythme
cardiaque, transpiration, gorge serrée, douleurs
abdominales, etc.) ?
7. Comment avez-vous réagi à la stratégie du
manipulateur ?
8. Pendant les heures qui ont suivi la manipulation, que
vous êtes-vous dit, qu’avez-vous ressenti ?
9. En avez-vous parlé autour de vous ? À qui ? Comment
?
10. Comment ont réagi les personnes à qui vous vous
êtes confié ?
11. Comment avez-vous vécu les choses le lendemain ?
Les jours suivants ?
12. Quand vous évoquez ce souvenir, ressentez-vous
encore aujourd’hui des sensations désagréables ?
Pouvez-vous analyser ces sensations ?
Le sentiment de solitude
C’est la raison pour laquelle la personne manipulée
dissimule cet événement traumatisant à son entourage ou
le minimise par peur d’être jugée négativement ou de
passer pour quelqu’un de faible. Ce faisant, elle se prive
d’un dialogue qui pourrait être salutaire, et se referme sur
elle-même. Elle se sent seule avec cette lourde difficulté.
Le sentiment de dévalorisation
La personne manipulée attendait quelque chose de sa
relation avec le manipulateur, et elle a l’impression d’avoir
été trahie. En outre, son sentiment de dévalorisation est
proportionnel aux espoirs qu’elle fondait dans l’évolution
des échanges. Plus cette personne attachait de prix à la
relation et plus elle avait des certitudes quant à sa
pérennité, plus ce sentiment est douloureux.
Par exemple, découvrir que l’on se fait manipuler par son
conjoint, en qui l’on avait toute confiance depuis des
lustres, a généralement des effets autrement plus
destructeurs que la tactique du commercial qui s’emploie à
nous vendre un matériel dont nous n’avons nul besoin.
Idéalisation du manipulateur
C’est en effet, pour la personne manipulée, une façon
d’entretenir la relation sans risquer de la mettre en danger
ou d’entrer en conflit avec le manipulateur. Au pire, elle
s’attribue tous les torts, se décrit comme quelqu’un de «
nul » et encense son agresseur. En acceptant le rôle de
souffre-douleur et en reconnaissant toutes les qualités au
manipulateur, la victime offre ses failles et compromet ses
chances de sortir de l’emprise manipulatoire.
La liberté amputée
Lorsqu’elle n’agit pas contre son agresseur, la personne
manipulée lui abandonne un peu de sa vie et de son
épanouissement personnel. Elle perd une partie de son
libre arbitre et de ses capacités à se réaliser en tant que
personne parce qu’elle se sent toujours soumise aux
malversations, aux regards, aux jugements, aux critiques
de son manipulateur. Elle ne se sent plus totalement libre
de faire ce qu’elle veut.
La peur
La victime reconnaît sa souffrance mais ne l’écoute pas
vraiment. Elle se sent l’objet de la domination, voire de la
haine du manipulateur, et elle a le sentiment, dans les cas
les plus graves, qu’elle ne va rien pouvoir faire pour
échapper à son emprise, qu’aucun changement n’est
possible. Elle a également conscience de perdre une partie
de sa pensée propre et se sent de plus en plus isolée dans
son problème. Ces éléments vont provoquer une anxiété
chronique. Elle va vivre en permanence sur ses gardes,
toujours dans l’attente d’une réaction négative du
manipulateur. Elle a aussi peur de le décevoir.
Le passage de manipulé à
manipulateur
Quand elle n’aboutit pas à redéfinir la relation sur des
bases plus saines, la manipulation toxique est un gaspillage
relationnel qui clôt toute possibilité d’échange authentique
et a la fâcheuse tendance à s’autoproduire.
Il arrive, en effet, que la personne victime de manipulation
se mette elle-même à employer des moyens détournés, non
pas toujours pour contrer son agresseur, mais pour le
manipuler avec ses propres armes.
La personne manipulée peut également chercher à
contraindre son entourage et ses proches : puisque la
manipulation semble être un outil efficace et économique
pour obtenir quelque chose de quelqu’un, pourquoi ne
l’utiliserait-elle pas pour son propre compte ?
Manipulation et violence
Faire violence à quelqu’un, c’est agir directement contre lui
ou l’obliger à agir contre sa volonté en employant différents
moyens comme la force ou l’intimidation. Il existe
différentes formes de violence qui se manifestent par des
actions plus ou moins visibles et conduisent à la destruction
symbolique ou physique de l’autre.
À côté de la violence brutale et répressive, l’on trouve donc
des formes moins directes, plus artificieuses, plus
insidieuses, parmi lesquelles la manipulation et ses dérivés.
L’on est bien sûr tenté de considérer que la manipulation
n’est pas à proprement parler violente dans ses moyens.
C’est vrai qu’il n’y a ni « casse », ni coups, ni blessures
visibles. Les attaques verbales sont le plus souvent
dissimulées derrière des insinuations, des non-dits. Les
manipulateurs les plus pervers ne prennent jamais le risque
de se faire piéger par leurs propres mots. Il n’en demeure
pas moins qu’au regard des effets produits, la manipulation
est bel et bien une forme effective de violence.
La victime agit contre sa volonté, contre ses intérêts. Si le
sourire du manipulateur fait oublier la puissance de ses
mâchoires, la morsure n’en est pas moins douloureuse. La
manipulation est une violence sournoise.
Pervers et narcissique
La perversion et le narcissisme sont des termes utilisés en
psychiatrie et en psychanalyse pour désigner des
perturbations des désirs et des comportements chez une
personne.
Le narcissisme est une tendance à l’admiration démesurée
et exclusive de soi-même. L’amour de soi est un élément
normal de la personnalité. Mais lorsque cet amour de soi
s’associe à un besoin excessif d’être admiré et à une
aversion pour les autres, l’on a affaire à une personne
souffrant d’un trouble de la personnalité narcissique.
La perversion est une altération de la personnalité qui
conduit la personne qui en souffre à satisfaire
prioritairement ses désirs et ses besoins sans tenir compte
des autres. Le pervers éprouve même une jouissance
particulière à faire mal aux autres et cette méchanceté est
généralement volontaire et calculée.
Le pervers narcissique est au croisement de ces deux
tendances. Selon les termes de Marie-France Hirigoyen1,
c’est un prédateur, sûr de lui, quiengage un véritable
processus de destruction de sa victime pour devenir le
maître de la relation et faire de l’autre son objet, sans
aucun remords, sans aucune compassion, mais avec un
plaisir certain.
Le pervers narcissique…
Du côté de la victime
Elle est en réalité une cible à abattre psychologiquement et
un objet de jouissance vampirisé, dépouillé de sa sensibilité
et de sa créativité. Tout risque d’interruption de la relation
d’emprise provoque d’ailleurs chez le pervers narcissique
une fureur destructrice. Mais parallèlement, en
poursuivant la relation, la victime contribue à sa propre
désintégration. Il s’agit là d’un paradoxe dont il est difficile
de s’extraire. En effet, la plupart du temps la victime est
trop hébétée pour réagir. Elle se sent niée, coupable de ce
qui arrive et incapable de se révolter. La haine absolue
mais sournoise dont fait preuve le pervers narcissique se
répète à longueur de journée et la victime finit par ne plus
savoir où elle en est. Elle se retrouve prise dans un piège
infernal d’où elle ressort, au mieux, lessivée et vidée de son
énergie vitale.
Le maintien de la relation avec un pervers narcissique peut
aboutir aux pires souffrances, à une profonde tristesse
associée ou non à des comportements addictifs et à des
tendances suicidaires pour la victime. La dépression et, en
dernière instance, la maladie ou la mort sont
malheureusement parfois au rendez-vous.
La victime…
Les ressorts de la
manipulation
Je passe une semaine de vacances ensoleillées, au sud de
l’île de San José, avec ma femme et mes trois enfants. Nous
sommes assez proches de l’aéroport de la Providence, ce
qui raccourcit la durée des transferts en autobus, en même
temps que nos nuits de sommeil ! Sur l’île, en cette saison,
le tourisme bat son plein et les charters font un incessant
ballet sur le tarmac de la Providence. Y compris la nuit !
Sans doute le vendeur de l’agence l’ignorait-il. Peut-être
pas…
Un matin, nous quittons notre hôtel pour une promenade
dans les petites rues fleuries de la ville où nous résidons,
lorsque nous sommes abordés fort plaisamment par deux
charmantes jeunes femmes souriantes, au décolleté
vertigineux et aux longues jambes bronzées. Après un
échange de mots aimables et rassurants, ces ravissantes
créatures, qui adorent la France et visitent fréquemment
notre région, nous offrent de participer à un jeu gratuit.
C’est très simple : il suffit de gratter la partie grisée d’une
carte afin de découvrir ce que nous avons gagné. Comme
nous avons de beaux enfants, qu’elles adorent les Français
et que, à leurs yeux, nous sommes des gens très
sympathiques, elles font une exception : chacun d’entre
nous a droit à son ticket jeu, ce que, en principe, la règle
interdit. Il ne faudra rien dire à personne. C’est promis ?
Nous promettons et grattons, très heureux de la concession
qui nous est accordée. La chance est avec nous : ma femme
décroche une journée gratuite de location pour une
automobile de catégorie D avec climatisation et lève-vitre
électrique. Le grand luxe !
Les demoiselles nous assurent qu’une telle gratification est
rare. En pleine saison, elles n’offrent pas deux jours de
location automobile par mois. Les enfants, quant à eux, ont
gagné, un ballon de plage et un teeshirt. Bravo ! J’ai pour
ma part eu moins de veine. Mon ticket est perdant. Les
demoiselles sont désolées. L’une d’elles, la mine contrite et
l’œil langoureux, me pose la main sur l’épaule en
s’inquiétant de ma déception dans un français
approximatif. Je la rassure. Il serait mal venu de me
plaindre.
Quoi qu’il en soit, nos sympathiques hôtesses nous
félicitent et nous invitent à les accompagner en taxi pour
récupérer nos cadeaux. Pas d’inquiétude : la course est
réglée. Comment donc… Ne serait-il pas plus simple
qu’elles déposent les lots directement à notre hôtel ? Leurs
sourires disparaissent, elles froncent les sourcils et nous
avons le sentiment désagréable de leur faire de la peine.
Elles nous concèdent quelques explications : à San José, la
vie est chère et elles ne doivent leur subsistance qu’au
nombre de touristes qu’elles « invitent » à une petite
réception dans une résidence proche. Si nous acceptons de
nous rendre à cette réception qui ne nous engage à rien,
elles pourront bénéficier d’une rétribution en échange de
notre visite. La saison a très mal commencé pour elles.
Nous ne pouvons pas imaginer combien ce job devient
difficile. Elles nous enjoignent de leur rendre ce petit
service. Cela ne nous prendra pas plus d’une heure - n’est-
ce pas fort peu de chose, au regard d’une semaine de
vacances ? - et le taxi nous reconduira à notre hôtel. C’est
promis.
Impatients de récupérer leurs cadeaux, les enfants nous
pressent d’accéder à la demande des jeunes femmes, ce
que nous acceptons bien volontiers, l’air faussement
détaché de notre belle générosité. Altruistes que nous
sommes !
Le taxi nous conduit dans un palace où nous dégustons
quelques apéritifs avant de visiter des appartements
luxueux, cornaqués par un vendeur expérimenté qui met en
œuvre tous les moyens dont il dispose pour nous faire
signer un bon d’achat d’une semaine de vacances à vie
dans ces lieux magiques. Peine perdue. Nous n’avons pas
un sou vaillant et notre vigilance nous souffle de ne pas
accéder aux offres de crédit qui nous sont faites.
Nous demandons toutefois à bénéficier de notre journée de
location automobile, bien facilement gagnée il est vrai, et
les enfants ne manquent pas de réclamer leurs babioles.
La location gratuite s’avéra ne pas l’être autant que cela.
Au terme d’une magnifique excursion, nous retrouvâmes
notre splendide automobile mais sans les roues et
l’assurance minimaliste qui accompagnait notre contrat ne
couvrant pas ce genre de désagrément, nous fûmes
contraints de mettre la main au portefeuille pour payer le
rapatriement du véhicule et le remplacement des quatre
roues. Le tout pour une somme astronomique. Mais n’est-
ce pas ce qui fait le charme des vacances à l’étranger ?
Dans cette mise en scène bien huilée, largement exploitée
par certains professionnels du « time-sharing » et doublée
d’une probable escroquerie, plusieurs leviers
manipulatoires ont été utilisés pour nous inciter à dire oui
sans réfléchir, presque mécaniquement, à nos charmantes
manipulatrices professionnelles, alors que nous avions
programmé une simple balade en famille. Vous retrouverez
ces leviers dans les pages qui suivent.
En effet, nous nous intéresserons, dans la deuxième partie
de cet ouvrage, à ces questions cruciales pour comprendre
les processus manipulatoires : pourquoi sommes-nous
manipulables et comment les manipulateurs s’y prennent-
ils pour nous prendre dans leurs filets ? Quels ressorts
communicationnels font-ils jouer à notre insu et comment
leur scénario est-il construit ?
Vous pourrez expérimenter à titre personnel (mais en toute
intégrité !) plusieurs techniques manipulatoires afin de
prendre conscience de leur efficacité sur vous-même et sur
les autres. Ces exercices développeront votre acuité et
votre aisance relationnelle.
Chapitre 1
Pourquoi sommes-nous si
facilement manipulables ?
L’automanipulation
Dans notre vie courante, nous réagissons très souvent selon
des structures de comportement déterminées, des
programmes automatiques que nous respectons à la lettre.
Un tel mode de fonctionnement est avantageux et
économique puisqu’il nous dispense d’inventer de nouvelles
conduites chaque fois que nous nous trouvons devant une
situation en apparence analogue à une autre déjà vécue.
Par exemple, lorsque nous savons déjà piloter une
automobile, débrayer et passer les vitesses ou négocier un
virage, nous n’avons pas besoin de réapprendre à chaque
nouvel usage de quelle façon fonctionne cette automobile.
Nous reproduisons un schéma d’action répétitif qui nous va
très bien, puisqu’il nous laisse la possibilité de penser à
autre chose tout en nous permettant de nous déplacer d’un
point à un autre.
Là où le bât blesse, c’est lorsque nous généralisons ce type
de « pilotage automatique » à des activités beaucoup plus
complexes que le simple pilotage d’une automobile. Je pense
notamment à tout ce qui touche aux relations humaines. Si
nous nous comportons, par exemple, toujours de la même
manière avec les autres, sans tenir compte des personnes
qui sont en face de nous, simplement parce que nous avons
expérimenté un comportement qui nous semble faire
l’affaire, nous aurons sans doute à faire face à des
désillusions.
Dans une situation nouvelle, nous branchons notre «
photocopieur interne » et nous dupliquons des approches ou
des comportements antérieurs, convaincus que cette façon
d’agir nous fournira les résultats escomptés. Voilà comment,
sans même en avoir conscience, nous nous manipulons nous-
même en nous cantonnant dans des actes répétitifs, peu
onéreux, rigides et sécurisants. Cette forme de
rationalisation du réel nous coupe de nos perceptions « ici et
maintenant », de notre connaissance intuitive et de nos
capacités de nous adapter à une situation inédite. Elle nous
fait également prêter le flanc aux vélléités manipulatoires.
Que cela soit conscient ou non, rationaliser
systématiquement nos expériences du réel est une forme de
manipulation que l’on emploie contre soi-même car chaque
contexte, chaque situation sont singuliers.
Encore et toujours…
Quelle attitude adoptons-nous quand nous commettons une
erreur de jugement ou d’analyse ? Et, à votre avis, comment,
réagissons-nous lorsque nous constatons que les choix que
nous avons faits ne sont pas les bons ou quand ce que nous
faisons ne marche pas ?
Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, nous en «
rajoutons une couche ». Autrement dit, nous persévérons
dans notre comportement initial sans nous douter que, à
nouveau, nous sommes en train de nous manipuler nous-
même. C’est un peu comme si nous multipliions nos efforts
pour enfoncer un clou, mais sans nous préoccuper de savoir
s’il est planté dans la bonne planche, ni même s’il est bien
dans une planche ! Et nous cherchons tout ce qui peut
justifier cette attitude, plutôt que d’accepter de reconnaître
que nous nous sommes trompés.
Le manipulateur va pouvoir retourner cette tendance à son
profit pour nous faire agir contre nous-même.
Le piège « abscons »
Dans leur Petit traité de manipulation à l’usage des
honnêtes gens, Beauvois et Joule appellent piège abscons
cette « tendance qu’ont les gens à persévérer dans un cours
d’action, même quand celui-ci devient déraisonnablement
coûteux ou ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés ». Ils
l’associent au phénomène de la dépense gâchée : plus nous
avons investi en temps, en argent ou en énergie dans un
processus, plus nous avons tendance à persister dans nos
choix.
L’exemple classique est celui de la voiture usagée pour
laquelle nous commençons à engager des frais de
réparation. Si nous ne fixons aucune limite raisonnable à
nos débours, nous risquons d’être pris - sentimentalisme
aidant - dans une escalade de dépenses gâchées. En effet : «
N’est-il pas dommage d’expédier à la casse un véhicule dont
on vient de refaire l’embrayage et les freins, uniquement
parce que l’alternateur a rendu l’âme ? » Peut-être… Mais
au final, la facture globale risque d’être salée.
Les choses sont identiques lorsque nous nous piégeons
nous-même en persistant dans des comportements ou dans
des actions qui, de toutes façons, ne pourront pas nous
apporter les bénéfices escomptés.
Un monde subjectif
Chaque jour, des milliers d’informations nous proviennent
de notre environnement, or nous n’avons ni le besoin, ni les
moyens, ni le désir de toutes les traiter. Pour ne conserver
que les informations qui nous sont utiles, c’est-à-dire celles
qui nous permettent de survivre, de nous adapter, d’agir ou
de conserver notre autonomie, notre cortex élague celles qui
lui semblent superflues. Pour réaliser ce travail, il s’appuie
notamment sur les expériences antérieures que nous avons
mémorisées. Mais il effectue ce travail de tri de façon tout à
fait singulière. Et, même si nous avons vous et moi des
expériences de la réalité très proches, notre approche du
monde reste entièrement subjective, totalement soumise à
ce que nous sommes, à nos perceptions, notre culture, nos
croyances et nos valeurs personnelles. Il existe donc à peu
près autant de façons de voir le monde qu’il existe d’êtres
humains sur cette planète.
Pourtant, nous imaginons souvent naïvement que la réalité
est telle que nous la percevons. Rien de plus et rien de
moins que cela ! Et nous sommes convaincus que ce que
nous croyons constitue une vérité intangible que personne
ne peut remettre en question.
Confondre l’idée que nous nous faisons du monde avec le
monde lui-même constitue immanquablement une
manipulation que nous exerçons contre nous-même et une
défaillance dans notre propre traitement des informations
qui peut nous coûter de lourdes déssillusions.
Solution
Réponse à tout
Ce n’est pas parce que nous nous posons une question
qu’elle a obligatoirement une réponse. Ce n’est pas parce
que nous trouvons une réponse à cette question que cette
réponse est la seule et unique bonne réponse, de manière
ferme et définitive, contrairement à ce que,
malheureusement, nous pensons souvent. Nous entretenons
cette illusion selon laquelle, dans le monde qui nous
entoure, tout aurait un sens, une fonction, une signification
ou une explication rationnelle.
Si cette attitude est rassurante - rien ne peut nous échapper,
nous pouvons tout savoir, tout connaître, tout analyser (et le
milieu scientifique a pendant très longtemps manqué
d’humilité à ce sujet) -, elle est aussi très présomptueuse
puisque, dans un certain nombre de domaines, l’univers
résiste au saucissonnage et aux équations. Une molécule
d’eau est formée de deux atomes d’hydrogène pour un
atome d’oxygène, mais elle est bien davantage que ce simple
assemblage atomique.
La logique binaire classique qui fait merveille dans nos
ordinateurs échoue à traiter des phénomènes complexes
comme les relations humaines, l’humour, la créativité ou la
poésie. En effet, les machines que nous avons créées pour
étendre notre accaparement du monde n’acceptent pas le «
jeu » au sens mécanique du terme. De plus, bien que notre
environnement soit en perpétuel changement, nous
soumettons à notre analyse des images arrêtées, des
fragments de réalité.
En somme, vouloir observer et rationaliser le monde dans
lequel nous vivons est aussi simple que de se baigner dans
les vagues tout en se contemplant soi-même, allongé sous un
parasol, depuis la plage. Et croire que le monde peut être
appréhendé dans sa totalité avec les outils de la raison
humaine est une nouvelle forme d’automanipulation à
laquelle nous cédons bien volontiers.
Soumission à l’autorité
Peut-être avez-vous vu le film I comme Icare avec Yves
Montand, au cinéma ou à la télévision. Dans ce film, réalisé
par Henri Verneuil en 1979, l’une des expérimentations sur
l’obéissance, conduites par le professeur Stanley Milgram
dans les années 1965-1974, est mise en scène. Les résultats
sont édifiants. Imaginez-vous dans ce scénario diabolique…
Vous avez répondu à une petite annonce dans un journal
pour participer à une expérience sur les effets de la punition
et de la douleur lors de l’apprentissage. Subir un châtiment
corporel permet-il de mieux apprendre ?
Vous arrivez au laboratoire de l’université qui conduit cette
recherche en même temps qu’un autre homme. Vous êtes
reçus tous les deux par un expérimentateur en blouse
blanche qui se présente comme étant l’assistant du
professeur. Il a l’air autoritaire. Il vous explique que vous
allez jouer, vous et l’autre homme, l’un le rôle du maître,
l’autre celui de l’élève. Le principe est le suivant : chaque
fois que l’élève fournit une réponse erronée à la question qui
lui est posée par le maître, ce dernier lui administrera un
choc électrique de plus en plus puissant.
Vous et l’autre homme tirez au sort pour connaître la
distribution des rôles. Vous serez le maître, lui l’élève.
L’élève est conduit dans une pièce contiguë tandis que vous
vous installez derrière un pupitre, aux commandes de la
génératrice électrique qui va produire les chocs punitifs.
Vous pouvez voir, à travers la paroi vitrée qui vous sépare de
la pièce voisine, que l’élève est sanglé sur une sorte de
chaise électrique et qu’on lui place une électrode au
poignet.
À titre d’indication, l’assistant du professeur vous fait tester
le choc le plus faible pour que vous puissiez en mesurer les
effets désagréables. Vous disposez en face de vous de
curseurs échelonnés de 15 volts en 15 volts jusqu’à 450
volts, mais les seules indications dont vous disposez sont
inscrites sur des étiquettes : choc léger, choc modéré, choc
fort, choc très fort, choc intense, choc puissant, choc très
puissant, etc. Sur les deux derniers curseurs ne figurent
plus que les symboles XXX.
L’assistant du professeur vous demande de lire à l’élève une
liste de noms associés à des objectifs : mer agitée, ciel bleu,
canard sauvage… L’élève doit mémoriser les associations de
mots puis, chaque fois que vous lui proposez un nom de la
liste, vous donner l’adjectif correspondant. À chaque erreur
de sa part, il reçoit la décharge électrique que vous lui
administrez depuis votre poste de contrôle. D’abord 15 volts
à la première erreur, puis 30 volts à la deuxième, 45 volts à
la troisième, etc.
Chaque fois que vous actionnez un curseur, vous pouvez
observer que des lumières clignotent, vous entendez des
bruits électriques, un bourdonnement, puis les
manifestations sonores de l’élève. Au début, il maugrée, puis
il crie qu’il souffre et finit par hurler. À 150 volts, il se
détache sous l’effet de la douleur et demande que
l’expérimentation soit stoppée. Il n’en peut plus. Mais il est
rattaché sur son siège et l’expérimentateur vous demande
d’une voix monocorde de poursuivre l’expérimentation pour
laquelle vous avez été engagé. « Vous n’avez pas le choix. »
Vous protestez. Vous transpirez. Vous tremblez. Vous
bégayez ou riez de manière compulsive. Vous vous sentez
mal, très mal… Jusqu’où irez-vous ?
Placés dans cette situation, 63 % des sujets qui ont joué le
rôle du maître acceptent totalement la méthode
expérimentale et poursuivent jusqu’aux 450 volts mortels,
totalement soumis aux injonctions qui leur sont données par
l’autorité médicale. En réalité, l’élève est un acteur,
complice de l’expérimentateur, et les chocs électriques
utilisés pour le punir sont parfaitement imaginaires. Il a
simulé la douleur, l’évanouissement puis la mort. Le maître
était le véritable sujet de cette expérience.
Dans I comme Icare, le procureur (Yves Montand), qui a
assisté derrière une glace sans tain à l’expérience, finit par
s’étonner que « dans un pays civilisé, démocratique et
libéral, les deux tiers de la population soient capables
d’exécuter n’importe quel ordre provenant d’une autorité
supérieure ».
Ces expérimentations, aussi célèbres qu’elles ont été
controversées à l’époque, nous montrent avec quelle facilité
nous acceptons, sans nous en rendre compte, de nous
soumettre à l’autorité, supposée ou réelle, d’une personne,
même si cela nous trouble ou provoque notre souffrance.
Nombreux sont les manipulateurs qui parviennent à nous
faire renoncer à notre sens moral et notre éthique
personnelle en utilisant ce ressort manipulatoire puissant :
notre obéissance docile à l’autorité, même usurpée. À
l’inverse, les bourreaux peuvent également arguer de ce
principe d’obéissance à un ordre provenant d’une autorité
supérieure pour tenter de se disculper ou justifier leur acte
devant la justice. Après la Seconde Guerre mondiale, par
exemple, des policiers français collaborateurs qui ont livré
des Juifs à l’ennemi ont utilisé cette ligne de défense.
La notion de dichotomie
Manipuler, ce n’est pas bien. L’honnêteté paye toujours. Les
conflits montrent notre incapacité à bien communiquer avec
les autres. Quand on aime quelqu’un, on doit lui être fidèle.
Le racisme est une très mauvaise chose. On peut tout dire à
un ami. L’argent ne fait pas le bonheur. Tous les hommes
naissent libres et égaux. De la discussion jaillit la lumière. À
cœur vaillant, rien d’impossible. Il faut qu’une porte soit
ouverte ou fermée…
Nous pourrions allonger indéfiniment la liste des valeurs,
des croyances, des principes ou des jugements qui
gouvernent nos pensées, nos actes et notre vie. Une chose,
toutefois, est sûre : ces affirmations parfois péremptoires
traduisent ce dont nous rêvons tous : accéder au bonheur,
vivre dans un monde meilleur, mieux nous accorder avec nos
pairs. Il suffit pour se convaincre de l’importance de cette
préoccupation dans notre monde moderne d’arpenter les
rayons des librairies.
La difficulté vient de ce que nous utilisons des prescriptions
morales, des principes ou des raisonnements qui nous sont
personnels ou qui sont propres à nos groupes
d’appartenance pour définir ce qui est bien et ce qui est
mal, ce qui est bon ou mauvais, ce qui est juste et injuste, ce
qui est socialement acceptable et ce qui ne l’est pas. Cette
approche binaire simplifie à outrance des choses souvent
complexes par nature. Et nous avons l’illusion de pouvoir
établir facilement des passerelles entre le monde qui est et
celui dont nous rêvons. Ce biais ouvre encore une fois la
porte à toutes les manipulations. D’une part, les personnes
manipulatrices vont pouvoir peser sur le levier de nos
croyances et de nos valeurs pour nous influencer ou nous
placer devant des paradoxes. Le dispositif fonctionnera
d’ailleurs d’autant mieux qu’elles sont fortement ancrées en
nous. D’autre part, nous nous manipulons nous-même en
imaginant qu’une ligne nette démarque le bien du mal, le
faux du vrai, le juste de l’erreur.
Nos jugements de valeur, nos convictions, nos principes et
notre morale sont des affaires personnelles et non des
vérités objectives. Nous nous abusons lorsque nous les
imposons comme des diktats. Nous nous leurrons également
quand nous indexons certaines vérités à la loi du plus grand
nombre : ce n’est pas parce que nous sommes plusieurs à
penser la même chose que nous avons forcément raison. Ce
n’est pas non plus parce qu’on est seul à défendre une idée
ou un point de vue qu’on a nécessairement tort.
Groupe et manipulation
Dans un groupe, même si, de toute évidence, vos
observations sont fondées, il y a environ quatre chances sur
dix pour que vous vous conformiez au jugement collectif, en
contradiction avec le vôtre, surtout si le groupe est unanime
contre vous. Comme souvent - nous y reviendrons -, cette
forme de manipulation est d’abord une automanipulation,
car les membres du groupe ont rarement conscience de
l’influence que le collectif exerce sur eux.
Normalisation
Un groupe a naturellement tendance à exercer une pression
sur ses membres pour que ceux-ci réduisent leurs
différences individuelles et convergent vers un consensus. Il
s’agit de parler d’une même voix, comme un seul homme. Ce
phénomène est d’ailleurs d’autant plus présent que les
membres du groupe sont confrontés à une situation qui leur
pose problème. En effet, dès que l’un d’entre eux semble
compétent, aux yeux de ses pairs, pour régler une difficulté,
la norme du groupe a tendance à se rapprocher de la norme
individuelle portée par cet individu.
Intrinsèquement manipulatoire, la situation l’est donc
encore davantage lorsqu’une personne se présente comme
porteuse de solutions avec l’intention de flouer le groupe et
de prendre le pouvoir sur ses membres.
Pensée de groupe
Le psychologue social Irving Janis emploie le terme de «
pensée de groupe » pour désigner les processus collectifs de
nature manipulatoire qui peuvent conduire un groupe très
cohésif à prendre des décisions stupides, absurdes ou
délirantes.
Qu’est-ce que la pensée de groupe ? Pour Janis, c’est la «
façon de penser que les personnes adoptent quand la
recherche de l’accord devient si primordiale dans un groupe
qu’elle tend à l’emporter sur une évaluation réaliste des
autres possibilités d’action ». Le groupe finit par se
manipuler lui-même en affichant des choix qui finalement ne
conviennent à personne !
La pensée de groupe engendre de nombreuses erreurs,
notamment lorsque le groupe doit prendre des décisions
importantes. La tendance à rechercher à tout prix un
consensus, la volonté de gommer les antagonismes et la
pression toujours plus forte vers la conformité, peuvent
engendrer des phénomènes manipulatoires et rendre le
groupe et les individus qui le composent incapables de
collecter des informations pertinentes et d’agir
raisonnablement.
L’art de la manipulation
Choisir la cible
Nous l’avons vu, nous sommes plus ou moins influençables
et les personnes manipulatrices vont d’abord évaluer notre
degré de sensibilité aux manœuvres persuasives. En effet,
elles redoutent par-dessus tout d’avoir affaire à des
individus à la personnalité très affirmée qui entreraient en
résistance et mettraient leurs desseins en péril.
La première tâche du manipulateur consiste donc à bien
choisir sa cible pour assurer un « rendement » maximum à
son entreprise. Naturellement, il peut lui arriver de se
tromper sur notre compte. Nos conduites ou nos
comportements peuvent le surprendre, être contraires à
ses attentes, et nous pouvons même lui opposer une
pratique de contre-manipulation. Dans ce cas, il est rare
qu’il persiste très longtemps. Lorsqu’il se sent sur le point
d’être démasqué, le manipulateur se tire de la situation par
une pirouette avant de jeter l’éponge ou d’envisager
d’autres modes relationnels.
Pour nous « photographier » et obtenir une image aussi
fidèle que possible de ce que nous sommes, le manipulateur
va donc nous jauger et tenter de déceler nos failles. Pour
cela, il est attentif à quelques-unes de nos spécificités
susceptibles de lui indiquer jusqu’à quelle limite il pourrait
exercer son influence. Ces traits sont liés à des principes
fondamentaux du comportement humain.
La ruse d’Eduardo
Articles de mode
Le script manipulatoire
Lorsque vous décidez de consacrer une journée à la pêche
à la ligne, vous n’attendez pas tranquillement, au bord de
l’eau, que les poissons se précipitent dans votre panier.
Vous devez rechercher des appâts, monter un hameçon
adapté en fonction du type et de la taille de poisson visé,
préparer votre ligne, plomber votre fil et disposer d’une
canne assez longue pour vous éloigner du rivage afin
d’éviter que le poisson n’aperçoive votre ombre. Bref, vous
choisissez les meilleures conditions possibles pour que
votre journée de pêche se solde par une bourriche bien
remplie.
La personne manipulatrice va fonctionner de la même
manière que le pêcheur, et prendre le temps nécessaire
pour chacune des étapes indispensables à la mise en place
du dispositif manipulatoire.
Le contact physique
La demande minime
Le premier pas
Le catalogage
Le « love bombing »
L’amorçage
Ça déménage !
L’isolement de la victime
Manipulation et
communication
Un beau parleur !
L’inévitable communication…
Les manipulateurs le savent bien : dès qu’ils mettent en
place une stratégie, posent une question ou font une
remarque à une personne, cette personne ne peut pas ne
pas réagir, d’une manière ou d’une autre - que ce soit par la
colère, l’indifférence, le mutisme, le rejet ou la passivité. Et
ce sont précisément ces réactions qui vont servir
d’indicateurs au manipulateur et lui permettre d’affiner son
dispositif.
Si la personne visée est très soucieuse de son image, il
essaiera de la flatter ou de la dévaloriser ; si elle aime la
franchise et l’honnêteté, il peut répondre dans le même
registre, pour la mettre en confiance, ou conspirer en
silence ; si la personne n’est pas sûre d’elle, il lui imposera
sa vision personnelle ou tentera de la culpabiliser ; si elle
est secrète, il prêchera le faux pour savoir le vrai, etc.
En somme, il utilise cette impossibilité de ne pas
communiquer de façon habile et machiavélique pour
recueillir de l’information (on dit aussi du feed-back) et
adapter son comportement en fonction des situations et des
protagonistes. Les moyens utilisés peuvent prendre des
formes variées et tabler sur les différentes composantes de
la communication.
Le contenu
Le contenu représente le premier niveau de la
communication : l’information brute, les données
échangées, le message, sans le moindre « habillage » et
sans aucune intention précise. Le contenu, c’est ce que j’ai
à dire, de façon basique, l’information que je veux
transmettre à l’autre. Par exemple, quand je dis : « Il fait
12 degrés ce matin », je délivre un élément d’information
précis, réel, vérifiable sur un thermomètre : il fait 12 ˚C ce
matin. Toutefois, sauf à pratiquer la télépathie, ce contenu
ne peut pas voyager librement sans support physique ni
média (ma voix, un morceau de papier, un message
enregistré, des ondes, etc.) À partir du moment où il
transite par un vecteur relationnel, quel qu’il soit, le
message porte inévitablement l’empreinte de ce support et
des personnes qui sont en interaction. Ma voix tremble-t-
elle ? Ai-je l’air en colère parce qu’il fait 12 ˚C ? Comment
l’autre va-t-il interpréter le fait que je lui dise qu’il fait 12
˚C ? Comme une simple information ? Comme une façon
détournée de lui signifier qu’il n’est pas suffisamment
couvert ? Comme une agression car lui-même avait prévu
une journée chaude ?
La relation
La relation est le second palier de la communication, celui
où se joue la part la plus importante et la plus humaine de
l’échange. La relation englobe le contenu, agit de façon
importante sur lui et indique comment le message doit être
compris.
Certaines personnes comparent cette part relationnelle de
la communication à un simple emballage de paquet cadeau.
La métaphore est, à mon sens, incorrecte, dans la mesure
où la relation est bien davantage qu’un simple habillage. Si
l’on peut, en effet, imaginer une relation sans le moindre
contenu - un paquet vide en quelque sorte -, en revanche,
aucun contenu ne peut exister sans une quelconque
enveloppe relationnelle. La relation constitue un passage
obligé qui conditionne tout le reste.
Consciemment ou non, les manipulateurs perçoivent cette
distinction entre le contenu et la relation, et ils savent que
toute incohérence entre les deux, tout décalage entre le
fond et la forme, le moine et son habit, pourrait les mettre
en situation délicate. C’est la raison pour laquelle ils
s’arrangent pour brouiller les pistes, entretenir la
confusion et déjouer les règles d’une communication de
qualité.
La désinformation
La généralisation
La sélection
Les paradoxes
L’amalgame
La morale
Les exigences
La comparaison
Les mots que nous utilisons ne sont pas innocents. Ils sont
chargés de sens et agissent comme des signaux sur les
personnes à qui nous les destinons. Utiliser à dessein
certains mots ou groupes de mots, dans l’espoir de
déclencher des réflexes conditionnés chez l’auditeur est
également une manœuvre manipulatoire.
Un sacré tempérament !
Télé réalité
Harcèlement
Conflits familiaux
Nicolas a 35 ans. Il a vécu une enfance qu’il juge plutôt
difficile : outre des déménagements à répétition et des
difficultés à créer des liens d’amitié avec d’autres
personnes, il a subi les brimades et les moqueries de son
père, militaire de carrière. Surtout, ce père autoritaire,
intransigeant, souvent brutal et méprisant, n’a pas
accepté l’homosexualité de son fils lorsqu’elle s’est
révélée, à l’adolescence. Nicolas a dû quitter le domicile
familial à 16 ans pour éviter de faire supporter à sa mère
une situation intenable. Mais son équilibre affectif et
psychologique a été durement secoué. Aujourd’hui,
Nicolas suit une psychothérapie pour tenter de «
raccrocher les wagons ». Madame V., sa thérapeute, a su
instaurer une relation de confiance avec Nicolas afin de
faire tomber ses défenses réactionnelles. Ensuite, elle lui
prescrit en douceur des comportements qui lui
permettront de changer en insistant sur les bénéfices
qu’il va pouvoir en retirer. Elle passe des contrats avec
lui. Madame V. utilise des techniques manipulatoires dans
un but honorable : sauvegarder l’intégrité psychologique
de Nicolas.
Comment désamorcer la
manipulation
Enrayer la manipulation
Des chapitres précédents se dégagent trois attitudes
fondamentales qui permettent d’empêcher ou de bloquer
les manipulations toxiques, surtout lorsqu’elles risquent de
nuire gravement à votre équilibre personnel et relationnel.
Ces trois attitudes sont les suivantes :
1. Éviter d’être soi-même manipulable ;
2. Reconnaître rapidement les personnes manipulatrices ;
3. Disposer d’outils pour stopper l’emprise manipulatoire.
Éviter de s’automanipuler
Dans de nombreuses situations quotidiennes, nous nous
mettons en « pilotage automatique » et nous nous
cantonnons dans des actions économiques, répétitives,
sécurisantes, sans même nous rendre compte qu’elles sont
parfois inadaptées à la situation que nous vivons - c’est ce
que nous avons vu au chapitre 5. En agissant ainsi, nous
préparons le terrain pour les manipulateurs. Alors,
comment éviter de se manipuler soi-même pour limiter
l’emprise des autres ?
Cesser de culpabiliser
S’affirmer
Une personne qui s’affirme ne cherche pas à plaire ou à
convaincre à tout prix. Elle se sent libre de choisir sa vie,
sait afficher ses positions personnelles et faire valoir ses
droits, sans mépriser pour autant ceux des autres. Elle se
montre à l’aise dans la rencontre et ne craint pas le face-à-
face dès lors qu’il est nécessaire. Les conflits ne lui font pas
peur. Quand elle doit formuler une demande, elle ne tourne
pas autour du pot pendant des heures, mais annonce
clairement la couleur. Elle ne juge pas les autres, mais
s’autorise à leur signaler les comportements qui vont à
l’encontre de ses intérêts ou de ses besoins personnels.
Vous reconnaissez-vous dans ce portrait ?
Les personnes déterminées ne sont généralement pas des
proies faciles pour les manipulateurs, qu’elles découragent
vite.
Un sentiment de dévalorisation
L’une des tactiques essentielles du manipulateur consiste à
faire en sorte que la personne manipulée doute d’elle-
même, de ses capacités, de ses expériences, de ses
connaissances, de ses valeurs, de son passé. Il va donc tout
mettre en œuvre pour que vous perdiez confiance en vous-
même et que vous vous coupiez de vos besoins, de vos
intérêts et de vos convictions.
Si vous sentez que cette personne vous respecte de moins
en moins et qu’elle tient peu compte de vous, si sa
fréquentation vous incite à penser que vous ne valez rien,
si vous avez le sentiment persistant de compter pour du
beurre, de perdre un peu de votre liberté et de votre
pouvoir de décider de ce qui est bon pour vous, et ce
régulièrement, c’est sans doute que vous avez affaire à une
personnalité manipulatrice.
L’inconstance
En général, le manipulateur ment sur son propre compte
avec une aisance remarquable et il multiplie les masques
pour se faire apprécier, pour fausser les pistes, pour inciter
la personne manipulée à douter de ses propres perceptions.
En fonction de la situation et de l’environnement dans
lequel il évolue, le manipulateur excelle dans l’art de
changer de rôle, d’attitude et de comportement. Avec lui,
on ne sait jamais « sur quel pied danser ». Il est inconstant,
apparaît inconsistant et l’on ne peut jamais connaître,
derrière les masques, la voix intérieure qui reste
silencieuse. Tout dialogue vrai, toute médiation semblent
compromis. Le manipulateur ne souhaite pas tomber le
masque et libérer son personnage réel, car cela serait trop
risqué.
D’ailleurs, la perspective d’une relation claire et honnête
l’angoisse, d’autant que son pouvoir repose justement sur
sa multiplicité et sur sa capacité à cultiver l’ambiguïté et à
fausser toute tentative de mise à nu de sa personne. Sa
versatilité protège sa fragilité. Tour à tour séducteur,
homme d’esprit, il saura aussi se transformer en manager
impitoyable, en amoureux contrit ou en conjoint jaloux, dès
que la situation le lui imposera. Une personne qui présente
de tels symptômes est potentiellement « toxique ».
La carte de la sympathie
Souriant, aimable, flatteur, sympathique, généreux, le
manipulateur, comme le pervers narcissique, est en général
quelqu’un d’agréable au premier abord. Toutefois, s’il
souhaite vous séduire, s’il manifeste un plus grand intérêt à
votre égard, c’est avant tout pour vous inciter à adopter
des conduites dont il pourra tirer profit. Dès lors, vous
adoptez à son égard un mode de comportement dont il sera
difficile de vous défaire par la suite, même si lui modifie
son propre comportement.
En réalité, nous avons tous tendance à juger rapidement
les gens que nous rencontrons pour la première fois et à
nous tenir à cette première approche. Cette persistance
cognitive nous conduit à sélectionner prioritairement
toutes les informations qui peuvent renforcer notre
première impression, et à écarter les autres, c’est-à-dire
que nous préférons chercher ce qui confirme notre
sentiment initial. De plus, nous n’aimons guère reconnaître
que nous nous sommes trompés. Pour le manipulateur, il
est donc essentiel de faire bonne impression dès la
première rencontre. Cela ne signifie pas, bien entendu, que
tous les gens que l’on trouve charmants lors d’un premier
contact sont fatalement des manipulateurs !
Cette phase de « séduction aimable » et prévenante n’est
pas un atout systématique. En effet, certains manipulateurs
peuvent utiliser d’autres ficelles pour attirer votre attention
: attitude énigmatique, étalage de sa science, victimisation,
appel à la « maman » qui sommeille en vous, romantisme à
vif - dans ce domaine, les figures sont légion.
En pratique
Avec un manipulateur…
Démonter le mécanisme
Cette technique figure au nombre de celles qui donnent
souvent de très bons résultats lorsqu’il s’agit de neutraliser
la manipulation. Il faut expliquer par le menu à la personne
qui vous manipule ce qu’elle est en train de faire, avant de
lui indiquer les éventuelles conséquences de sa conduite.
Vous pourrez ensuite lui donner votre point de vue sur la
question. En dévoilant sa méthode au grand jour, vous la
déstabilisez et pointez son attention sur votre maîtrise du
sujet.
Par exemple, si une personne vous offre un petit cadeau
avant de vous demander un service, vous pouvez lui
expliquer que sa démarche s’appuie sur le principe de la
réciprocité : dans la mesure où vous avez accepté le petit
cadeau, vous vous sentez obligé de rendre le service
demandé. Cela s’appelle une dette forcée. Ceci étant dit,
vous pouvez quand même lui préciser que la méthode ne
vous paraît pas très loyale. Observez la réaction de votre
interlocuteur, vous en apprendrez beaucoup sur son
compte…
L’arroseur arrosé
Voici quelques années, un ministre de l’Intérieur avait
caressé le projet de « terroriser les terroristes ». Sachez
que vous pouvez, de la même manière, retourner l’arme
des manipulateurs contre eux-mêmes. Il est d’ailleurs facile
de manipuler un manipulateur, puisque, en vous
manipulant, il vous fournit son propre mode d’emploi.
Autrement dit, en utilisant des méthodes détournées pour
vous faire agir contre vos intérêts, la personne
manipulatrice vous offre aussi les clés de la contre-
manipulation. Ses agissements la mettent, d’une certaine
manière, sous votre dépendance. Comme elle a besoin de
vous, elle vous offre un levier sur lequel vous pouvez peser
gaillardement !
La contre-manipulation
Selon un principe emprunté aux thérapeutiques
homéopathiques, Similia similibus curantur. Contre-
manipuler revient à employer une technique manipulatoire
pour désamorcer la manipulation, autrement dit, à soigner
le mal par le mal. On va dans le même sens que le
manipulateur, on utilise des comportements et des
procédés identiques aux siens, pour l’inciter à prendre
conscience de la nocivité de ses actes et à changer de
conduite. La contre-manipulation nécessite un peu
d’entraînement et une certaine souplesse dans son
utilisation. Chaque situation étant singulière, les résultats
ne sont pas garantis à 100 %, et il convient de veiller à
faire en sorte que le remède ne devienne pire que le mal.
Contre-manipuler doit avoir des vertus pédagogiques. Il ne
s’agit pas de devenir plus manipulateur que le
manipulateur lui-même ! Apprenez également à sortir
rapidement de ce jeu si vous sentez qu’il tourne à
l’escalade symétrique.
Suivez le guide !
Un peu d’introspection…
La pédagogie noire
Cette forme d’éducation manipulatoire a été décrite par
Alice Miller dans son livre C’est pour ton bien. Elle consiste
à abuser de son pouvoir d’adulte sur les enfants pour les
contraindre à adopter des conduites de soumission et de
docilité. L’humiliation, le chantage, les menaces, les
punitions, l’enfermement, la privation de nourriture, les
châtiments corporels, tous les moyens sont bons pour
briser la volonté des enfants et les conditionner afin d’en
faire des citoyens apeurés et obéissants. Au XVIIIe et au
XIXe siècle, ces pratiques étaient très courantes. Elles
ontcontribué à former des générations d’individus bafoués.
Alice Miller explique que de tels méfaits sont à l’origine de
comportements destructeurs de la part des enfants
concernés, une fois qu’ils sont parvenus à l’âge adulte.
Selon elle, notamment les psychoses, la violence, la
criminalité, l’usage de stupéfiants sont les expressions des
souffrances endurées pendant la petite enfance.
Aujourd’hui, les choses ont évolué. Les enfants sont
davantage reconnus comme des individus, leurs
souffrances et leurs paroles sont davantage prises en
compte. Est-ce à dire que toute manipulation parentale,
que tout abus de pouvoir de l’adulte sur l’enfant a disparu ?
On aimerait le croire… Les violences physiques infligées
aux enfants sont peut-être moins fréquentes, mais
l’emprise parentale reste très forte et de nombreux enfants
font encore les frais des frustrations, des rancœurs ou des
insatisfactions de leurs ascendants.
L’enfant manipulateur
Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent eux aussi à
manipuler leurs parents pour obtenir un avantage, une
reconnaissance, un cadeau, pour évincer leur fratrie, ou
carrément prendre le pouvoir à la maison. Les enfants
manipulateurs utilisent principalement des ressorts
affectifs et sentimentaux pour faire craquer leurs parents.
Ils pleurent, jouent les bébés, font des caprices, formulent
des plaintes, ont des exigences et savent se montrer câlins
ou irréprochables pour en retirer des bénéfices. À d’autres
moments, ils pourront utiliser le chantage affectif ou créer
de toutes pièces un conflit entre les parents afin d’installer
un désordre qui leur sera profitable.
Ces stratégies fonctionnent encore mieux quand les
parents ont tendance à culpabiliser pour toutes sortes de
raisons : présence insuffisante à la maison, manque de
temps à consacrer à la vie familiale, lassitude, sentiment de
ne pas en faire assez pour sa progéniture. Ces carences
sont souvent compensées par des conduites de « rattrapage
» : autorisation de regarder un film à la télé malgré l’heure
tardive, achat de confiseries, de consoles de jeux, de
vêtements griffés, pour que l’enfant soit « comme les
autres », invitation à dormir dans la chambre des parents,
etc. De telles attitudes renforcent les pratiques
manipulatoires de part et d’autre : l’enfant copie son
milieu. Si l’on traite avec lui de manière détournée, il
répondra de la même façon et il sera difficile d’entretenir
avec lui des rapports basés sur la franchise.
Que faire ?
Commencez par regarder les choses en face en faisant
abstraction de tout ce qui relève de l’affectif, et prenez le
temps de la réflexion. Vous pouvez relire la section Êtes-
vous en présence d’une personnalité manipulatrice ? et
tenter d’identifier si votre partenaire appartient à cette
catégorie. Inutile de se voiler la face éternellement et de
fantasmer une relation idéale avec un manipulateur. Si
votre conjoint adopte de nombreux comportements
toxiques à votre égard, sans doute ne pourrez-vous pas le
changer du tout au tout du jour au lendemain. Ne soyez pas
plus royaliste que le roi. Cependant, ne restez pas isolé
face à cette situation. Parlez-en autour de vous, à des
personnes capables d’une écoute sincère et qui ne vont pas
vous juger ou vous donner leur propre interprétation des
choses. Ce peut être un ami, un proche, quelqu’un digne de
confiance. Il existe en outre des professionnels. Le repli sur
soi est la pire des attitudes, car il renforce le sentiment de
culpabilité et le déni de soi.
Êtes-vous toujours amoureux de cette personne ou restez-
vous avec elle pour les motifs évoqués plus haut ? De son
côté, est-elle encore capable de porter un regard positif sur
vous, de vous montrer du respect ? Comment voyez-vous
l’avenir dans un an, cinq ans, dix ans, avec cette personne ?
Prenez le temps de réfléchir à cette question.
Si vous n’éprouvez plus rien l’un pour l’autre, fuir peut être
une solution salutaire, mais il faut savoir encore une fois
que si votre conjoint est un pervers narcissique, il tentera
par tous les moyens de vous empêcher de partir. Il vous
faudra de la lucidité, du courage et une belle énergie pour
gagner votre envol. En cas de nécessité, n’hésitez pas à
faire appel à la loi, à laquelle il faut parfois avoir recours
pour assurer sa sécurité. En outre, une rupture implique un
travail de deuil et de reconstruction personnelle, à l’issue
duquel il sera possible de pardonner, de cesser de ressentir
de la haine et de ne plus se maltraiter soi-même.
Si vous éprouvez encore des sentiments amoureux l’un
pour l’autre mais que votre conjoint utilise la manipulation
contre vous, utilisez les techniques de contre-manipulation
présentées au chapitre 8, et prenez de la distance.
Conservez un jardin secret et offrez-vous des espaces de
liberté, du temps pour vous. Accordez-vous des
satisfactions personnelles en dehors de votre couple et
défendez votre dignité bec et ongles. Pratiquez une
discipline artistique ou sportive. Ne vous évertuez surtout
pas à rechercher un dialogue impossible avec l’autre. En
effet, il est souvent difficile de dialoguer de manière
constructive avec un conjoint manipulateur, en particulier
s’il maîtrise mieux que vous l’art de l’éloquence et de la
dialectique. Parler est inutile quand on ne s’entend pas. Si
vous sentez que la discussion tourne en rond, qu’il cherche
à vous enfermer dans de fausses logiques ou dans ses
principes moraux, laissez tomber. Toutefois, n’opposez pas
un refus systématique lorsque c’est l’autre qui recherche le
dialogue. Le mutisme est aussi une forme de manipulation.
Si vous avez des enfants, veillez à ne jamais les associer
aux difficultés de votre couple.
Que choisir ?
Aide-toi…
Que faire ?
Si l’amitié est plus forte que tout, vous devez vous arranger
pour recadrer les choses, sans vous fâcher avec vos amis.
Vous souhaitez qu’ils changent de comportement avec vous,
mais en préservant votre relation. Pour cela, vous pouvez
utiliser la méthode non violente présentée précédemment.
Vous pouvez également jouer sur le même registre qu’eux
en adoptant des attitudes similaires, ou les contre-
manipuler sans agressivité. Ils devraient très vite prendre
conscience de leurs penchants manipulatoires et modifier
leur comportement. Une autre solution, déjà présentée,
consiste à démonter méticuleusement le mécanisme
manipulatoire pour expliquer ce qui se passe : « Il était
prévu que tu arrives dimanche matin avec Viviane et
Charly. Nous sommes vendredi et vous arrivez à huit, les
mains vides. Je n’ai pas eu l’information concernant ce
changement de programme. Je me trouve devant un fait
accompli et je n’ai plus la possibilité de faire machine
arrière. Je réprouve ce procédé que je trouve indélicat. »
Vos amis sont peut-être ce que vous avez de plus cher, mais
vous devez aussi apprendre à leur dire : « Non, stop, tu vas
trop loin. » S’ils se vexent, réfléchissez à la nature de cette
relation. Au fait, pourquoi sont-ils vos amis ?
Chapitre 3
La manipulation positive !
La psychologie de l’engagement
La psychologie de l’engagement fonde tout processus
manipulatoire. Vous pouvez en utiliser les ressorts pour
manipuler les gens positivement. Elle repose sur un
principe très simple : contrairement aux idées reçues, ce ne
sont pas nos sentiments et nos croyances qui déterminent
nos comportements mais, tout au contraire, ce sont nos
comportements et nos actes qui influencent notre pensée et
notre caractère. Autrement dit, nous ne faisons pas ce que
nous pensons, mais ce que nous pensons découle de ce que
nous faisons. Lorsque nous nous sommes engagés dans une
action, nous trouvons de bonnes raisons pour expliquer et
poursuivre cette action. Il ne s’agit nullement d’hypocrisie
de notre part mais d’un souci de cohérence entre ce que
nous faisons et ce que nous sommes. Par ailleurs, plus le
lien entre un individu et ses actes est puissant, plus
l’engagement est important.
Ce sont nos actes qui déterminent nos pensées et pas nos
pensées qui déterminent nos actes.
Cette base théorique va à l’encontre des représentations
psychologiques habituelles selon lesquelles, pour faire
changer quelqu’un, il suffirait de le faire penser
différemment, de lui donner des explications, de le motiver,
de le raisonner. En réalité, pour faire changer quelqu’un, il
est beaucoup plus efficace d’obtenir de lui une petite action
susceptible de le préparer à accomplir de nouvelles actions
qui l’engageront davantage.
On peut manipuler quelqu’un en obtenant de lui qu’il fasse
un premier pas et en l’incitant à répéter cette action.
Sentiment de liberté
Proximité temporelle
Personnalisation
Non-retour
Répétition
Plus l’acte est répété, plus l’engagement est profond (si j’ai
prêté ma machine à coudre à de multiples reprises à ma
voisine, j’aurai davantage de difficultés à refuser de la lui
prêter à nouveau que si c’était la première fois qu’elle me
sollicitait).
Portée de l’acte
Réceptivité
Faibles enjeux
Justification
« Silence, on manipule »
La dernière règle à respecter est de garder le silence sur
votre démarche : même si les gens sont satisfaits du
changement intervenu dans leur vie, si vous leur fournissez
des explications sur la méthode employée, ils ne vous
pardonneront pas de les avoir manipulés. Personne ne veut
accepter de jouer le rôle de la marionnette dont on tire les
fils, et cette image colle plutôt à la réalité.