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L’ART DE DÉCODER LE

LANGAGE DES YEUX


MICHEL PICARD, Ph. D.

L’ART DE DÉCODER LE
LANGAGE DES YEUX
Un outil de communication
Conception de la page couverture et mise en pages :
Christian Campana – www.christiancampana.com
Photographie de la couverture : Depositphotos
Photographies : Istockphoto, Depositphotos, Michel Picard
Figures : Michel Picard

Tous droits réservés


© 2022, BÉLIVEAU Éditeur

Dépôt légal : 3e trimestre 2022


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada

ISBN : 978-2-89793-252-7
ISBN Epub : 978-2-89793-253-4

567, rue de Bienville


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À Lorraine, pour son regard avisé
À Julie-Andrée, pour son regard unique
À ma maman, pour son regard constant
AVANT-PROPOS

Tout ne peut pas se mesurer en mètre, en degré, en litre ou en


minute. Quelquefois, pour ne pas dire souvent, nous devons nous en
remettre aux expériences empiriques pour parfaire nos
connaissances. Les sciences sociales n’y font pas exception. Leurs
recherches portent sur un sujet hautement incontrôlable et imparfait :
l’être humain.

Le débat sur le caractère scientifique du langage corporel semble


créer un intérêt que je ne comprends pas et qui m’apparaît futile et
sans fondement. Prenons exemple sur la psychologie. Personne ne
doute de la probité des principes qui la soutiennent. Pourtant, la
solution suggérée pour un client pourrait ne pas s’appliquer à un
autre en raison justement de la spécificité de chaque cas. À
l’inverse, le même cas peut être assujetti à des interprétations
divergentes, voire contradictoires. Cela dit, les nombreuses
références et la reconnaissance des pairs confirment son caractère
scientifique L’analyse du langage corporel suit une méthodologie de
recherche tout aussi rigoureuse et sérieuse.

Le langage corporel diffère de la psychologie. Il n’explique pas les


raisons derrière le mouvement. Il n’est pas, non plus,
comportementaliste. Il n’impose aucune manière d’agir dans le but
d’obtenir un résultat quelconque. C’est un outil de communication,
une discipline qui vise à décoder le message.

À l’instar des recherches en matière de détection du mensonge,


dont les travaux du Dr Aldert Vrij1 font acte de référence, le langage
non verbal poursuit sa quête d’une reconnaissance scientifique. Fort
d’une collaboration à l’échelle internationale, cette technique est
vouée à un avenir prometteur. Au-delà de la rhétorique, gardez
seulement à l’esprit que les corps policiers, l’armée, les services de
renseignement et bon nombre de professionnels l’utilisent en raison
de son caractère pragmatique et opérationnel

Cela dit, l’outil demeure imparfait. Au lieu de tirer des conclusions


fermes, je préfère suggérer une tendance. En langage corporel,
nous observons l’allure générale de l’individu, ses émotions et ses
micromouvements dans le but d’identifier une convergence de sens.
Après tout, il ne fournit pas de réponse, mais plutôt un
questionnement supplémentaire qui correspond mieux à son
approche
Gardez toujours un esprit critique, autant à l’égard de l’information
qu’on vous transmet que dans votre compréhension de l’analyse
d’un indicateur. Je m’en remets aux lecteurs pour poursuivre les
recherches en matière de langage corporel et soutenir le
développement de la connaissance.
 
1  Aldert Vrij, Ph. D., est professeur en psychologie sociale au département de
psychologie de l’Université de Portsmouth en Angleterre.
POURQUOI ME REGARDES-TU
COMME ÇA ?

Le regard sérieux et autoritaire d’une mère à l’endroit de son enfant


le ramène à l’ordre sans avoir besoin de lui expliquer verbalement ce
qu’elle exige. Les yeux d’une personne, à la perte d’un être cher,
traduisent la peine et la douleur sans qu’elle ait à exprimer son
désarroi. Ceux du fautif repentant reçoivent l’absolution de celui ou
celle qui lui retourne un regard plein de compassion. Tout le monde
connaît l’adage : les yeux sont le miroir de l’âme. Ce vieux proverbe
français, dont l’origine remonte aux écrits d’Émile Littré, illustre bien
le rôle des yeux dans la communication. Le reflet du miroir de l’âme
est d’une pureté que même l’obscurité de la parole ne peut
assombrir, parce que le corps et, surtout, les yeux ne peuvent pas
mentir !

Au début des années 90, une très bonne amie m’initie à la


programmation neurolinguistique. Elle s’amuse un peu à mes
dépens et me demande de répondre à quelques questions. Intrigué,
je ne connaissais pas le but de sa démarche : vérifier le mouvement
de mes yeux. Elle me présente alors son père, un psychanalyste qui
utilise cette technique dans le cadre de ses thérapies. Il n’en fallait
pas plus pour piquer ma curiosité et développer une passion pour
l’analyse du langage corporel et, tout particulièrement, celui des
yeux.

Exception faite des communications téléphoniques ou par textos,


la plupart des conversations mettent les interlocuteurs en présence.
En effet, une réunion où tout le monde est réparti autour d’une table
de conférence laisse paraître une série de bustes. Vous ne verrez
que la tête et les épaules d’un commis à demi caché derrière son
comptoir. Des amis s’assoient l’un à côté de l’autre. Quelques mots
doux dits dans la plus grande intimité amènent votre partenaire à se
coller à vous. Idéalement, du point de vue de l’analyse du langage
corporel, nous préférons une communication face à face. Mais la vie
se charge de nous compliquer les choses avec de nombreux
obstacles. Quoi qu’il en soit, à moins de faire exprès, les yeux
demeurent toujours accessibles.

Véritable livre ouvert, ils réagissent sans filtre. À titre


d’interlocuteur ou de simple spectateur, vous serez en mesure de
voir et de scruter le regard de l’autre. J’espère seulement que la
lecture de ce livre ne vous incitera pas à les dissimuler.
Ma passion pour l’analyse du rôle des yeux dans la
communication vibre aussi fortement qu’au premier jour. Des
décennies de recherche et une formation diversifiée en
programmation neurolinguistique ainsi qu’en langage corporel
s’ajoutent à des observations empiriques variées. Mon expérience
professionnelle, dans le secteur privé et public, les rencontres
amicales, les événements sociaux ont également contribué à
l’amélioration de mes connaissances. Ils ont affiné mon
interprétation des fuites du regard et rectifié le tir à l’égard de
certaines croyances. Un premier constat  : l’étude du langage
corporel en général, et plus particulièrement celui des yeux, évolue
constamment.

La région oculaire, à elle seule, regorge de secrets. Nous allons


commencer avec la configuration des yeux, qui nous lance une
première alerte sur l’état intérieur de la personne, comme une
marque indélébile de son passé ou de son état d’esprit actuel. Son
éloquence positionne l’interlocuteur dans la communication. D’entrée
de jeu, vous observerez un malaise, une indisposition ou, a
contrario, un grand intérêt, de l’enthousiasme ou de la tristesse. Dès
cette première étape, vous serez en mesure de préciser votre
questionnement

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la principale fonction


des yeux consiste à regarder. Du point de vue de l’analyse du
langage corporel, l’analogie prend toute son importance. On touche
la région pour voir plus, ou moins. Par exemple, un contact au
niveau de l’œil ou d’un sourcil soutient le rappel de certaines
images, réelles ou inventées. Ainsi, un autocontact ou une
microdémangeaison à cet endroit vous indique que l’interlocuteur
cherche à voir quelque chose.

Au-delà du regard, les yeux parlent. Ce sont des joueurs clés


dans le partage des émotions. Vous savez déjà qu’on ne sourit pas
avec la bouche, mais bien avec les yeux. Voilà un exemple qui
démontre bien leur rôle. À leur manière, ils réagissent conformément
aux émotions universelles qui sont  : la joie, la surprise, la peur, la
colère, la tristesse, le dégoût et le mépris.

À mon avis, ils performent à leur meilleur au moment de la


réflexion. Ils vous permettent de vous recueillir et de vous couper de
l’extérieur pour mieux vous concentrer. D’ailleurs, il est toujours plus
difficile de compléter une tâche cognitive quand l’autre vous regarde
droit dans les yeux. Sceptique  ? Demandez à quelqu’un de vous
poser une question arithmétique élaborée et tentez de répondre en
le regardant droit dans les yeux. Je parie que vous ne tiendrez pas
15 secondes avant que vous fuyiez du regard pour la résoudre.

Les yeux vous aident à gérer la communication avec autrui. Les


mouvements oculaires permettent notamment de vous protéger
contre un regard envahissant, importun ou de conserver, sinon de
donner votre droit de parole. Cette introduction vous invite à
découvrir un côté insoupçonné de la stratégie visuelle.

Tout cela nous conduit vers une compréhension plus moderne du


rôle de la fuite du regard au moment de la réflexion, avant même
d’avoir entamé la réponse verbale. Elle ne dure qu’une fraction de
seconde. Ce sont des mouvements rapides, subtils, incontrôlables,
non prémédités. Cela tombe bien puisque nous nous concentrons
principalement sur les gestes mi-conscients, qui s’avèrent plus
probants. Nous découvrons des zones (ou quadrants) dont la
signification passe du cognitif à l’émotionnel, du visuel à l’auditif,
sans oublier le kinesthésique. L’analyse du langage corporel
demande beaucoup de pratique. Prenez le temps d’observer la
direction du regard et prenez note du verbatim. Vous percevrez
mieux la cohérence entre la source où les yeux puisent l’information
et le propos.

L’importance de la fuite du regard dans la réflexion m’amène


brièvement à parler de son rôle dans l’apprentissage.
Malheureusement, nous comptons trop peu de recherches pour
statuer sur leur contribution. Toutefois, elles suggèrent quelques
pistes de compréhension du processus d’apprentissage chez les
enfants, notamment ceux présentant des troubles du spectre de
l’autisme et du syndrome de Williams.

Finalement, la question inévitable de la détection du mensonge


refait surface. Cet ouvrage souhaite remettre les pendules à l’heure.
De nombreuses recherches, extérieures au monde du langage
corporel, jettent des bases solides sur la définition d’un mensonge et
sa détection. À cet égard, les yeux et plus particulièrement la fuite du
regard sont victimes, depuis trop longtemps, de mauvaises
interprétations. Ce sera l’occasion idéale de discuter de leur rôle,
d’en présenter toutes les possibilités, mais surtout d’en circonscrire
les limites.

Cet ouvrage propose humblement quelques hypothèses sur la


manière dont les yeux interviennent dans le langage corporel. Cette
technique relève des sciences de la communication et demeure
assujettie au caractère inexact et imparfait de son principal sujet
d’étude  : l’Homme. Mais les constats recensés jusqu’à aujourd’hui
accroissent ma confiance dans le bien-fondé de l’analyse du
langage corporel et justifient tous les efforts à se creuser les
méninges pour mieux voir ce que disent les yeux.
1
Les règles de lecture

«  Tels sont les yeux, tel est le corps. »


Hippocrate2

55  —  38  —  7. Non, ce ne sont pas les numéros de la prochaine


trifecta  ! Ces trois chiffres représentent la répartition du contenu
d’une communication. C’est l’héritage d’Albert Mehrabian,
professeur émérite en psychologie à l’Université de Californie. Il
nous explique que, premièrement, les gestes effectués pendant
l’échange comptent pour 55 %. La fluctuation, l’intonation, le registre
et d’autres caractéristiques vocales accaparent 38 %. Cela laisse un
mince 7% au verbal.
Je vous propose d’aborder la communication selon deux niveaux.
Le premier implique l’aspect physique et visuel. Pendant la
conversation, vos oreilles et vos yeux agiront comme récepteurs et
émetteurs. À ce niveau, toute la dimension du langage corporel
intervient. Bien avant de prononcer la première parole, vous
remarquez déjà l’allure de votre interlocuteur : son tonus musculaire,
ses émotions, la vitesse de ses gestes et ses réactions. Ici,
l’expression «  vous n’avez qu’une seule chance pour faire bonne
première impression  » acquiert tout son sens. Toutefois, les
observations visuelles se poursuivront bien au-delà de la première
prise de contact. L’analyse du langage corporel demeure un
processus continu.

Les éléments non verbaux représentent 93 % du message. Je


vous invite à vous prêter à l’exercice à la maison. Regardez votre
téléviseur et baissez le volume. Vous allez fort probablement saisir la
teneur des propos et l’esprit de la conversation sans entendre ce qui
se dit. Remontez le son et confirmez votre interprétation. Vous
réaliserez la prédominance du langage corporel dans la
communication

En ce qui a trait à la portion résiduelle de 7% que l’on attribue aux


mots, soyons équitables et redonnons à la parole ses lettres de
noblesse. Vous devez évidemment porter attention au message de
votre interlocuteur. Cela devient encore plus critique au moment d’y
associer un micromouvement. La petitesse de la région oculaire
accroît le défi.
Le second niveau de la communication reconnaît justement
l’importance de la dimension verbale. C’est là que nous évaluons le
poids des mots. Voyez la différence entre les deux phrases
suivantes :
« J’ai aimé cette expérience. »
« J’aimais cette expérience. »

La première indique que l’expérience est bel et bien terminée. Le


passé composé suggère une coupure définitive. Dans la seconde,
l’interlocuteur conserve un lien et aime encore l’événement au
moment où il parle. Au-delà des mots et des temps de verbe, les
microdémangeaisons et des mouvements oculaires ajouteront une
profondeur au sens du message.

Lors d’un interrogatoire, nous portons une attention particulière,


notamment, au niveau des détails du récit du témoin. Sans entrer
dans l’étude du mensonge, qui fera l’objet de quelques
commentaires à la fin cet ouvrage, l’expérience montre que la
précision fluctue selon l’implication de l’individu. Celui qui souhaite
taire les actions qu’on lui reproche s’exprimera en termes plus
vagues au moment de décrire l’événement sous enquête. A
contrario, une personne innocente ne lésinera pas sur les détails.
L’analyse du verbal exige plus de temps et d’attention. Cela apporte
un défi additionnel si vous l’ajoutez à l’observation du langage
corporel.

Dans le cadre de ce livre, nous allons demeurer au premier


niveau et tenter d’affiner vos réflexes. J’utiliserai les expressions
«  langage corporel  » et «  langage non verbal  » sans distinction et
dans le sens le plus large, c’est-à-dire ce qui représente 93 % de la
communication.
Mises en garde
Tout au long de ce livre, je vous fournirai quelques outils pour mieux
lire le langage des yeux. Toutefois, ce genre d’exercice d’analyse
nécessite quelques mises en garde.

1. Une science inexacte


Je rappelle que nous portons notre attention essentiellement sur les
mouvements ou les réactions mi-conscientes qui, par définition, ne
sont ni prémédités ni raisonnés. Ils expriment physiquement le réel
message. Nous partons du principe que le corps ne ment pas. Ainsi,
un geste conscient manquerait d’authenticité et deviendrait moins
révélateur. Il pourrait fausser le propos. L’analyse du langage non
verbal se contente d’interpréter seulement, sans jugement.

Cette technique ne relève pas non plus de la psychologie. Nous


ne cherchons pas à savoir pourquoi une personne exécute tel ou tel
mouvement. Nous qualifions la nature de celui-ci. Prenez l’exemple
d’un artiste devant sa toile à l’aube de sa création. Nous observons
le mouvement du pinceau, décrivons les couleurs et la
représentation du tableau. La responsabilité d’expliquer pourquoi le
peintre a choisi telle ou telle couleur, le contexte dans lequel l’œuvre
s’inscrit et ce qu’elle signifie pour lui incombera au psychologue.

Notre sujet d’étude vise le message réel qui résulte de la


cohérence entre le geste et le texte. Considérant la nature imparfaite
de l’émetteur, ses particularités et sa spécificité, chaque individu
devient presque un cas d’espèce. Bien que le langage non verbal se
prête à l’interprétation de grands principes universels (p. ex.
l’expression du sourire), beaucoup de facteurs peuvent intervenir et
fausser la donne. Lorsque quelqu’un sourit, il n’a pas besoin de vous
le dire de façon explicite. Les éléments corporels qui traduisent la
joie  : les commissures des lèvres relevées, les fentes palpébrales
légèrement fermées et, peut-être au passage, quelques rides,
parlent d’eux-mêmes. Les indicateurs d’un véritable sourire se
reconnaissent facilement, mais ce qui fait sourire quelqu’un pourrait
ne pas provoquer la même réaction chez une autre personne.

Au surplus, des obstacles (murs, fenêtres, etc.), notre propre


perception des choses, nos croyances et autres biais à l’analyse
attirent des conclusions hâtives ou carrément erronées.

Ce faisant, détruisons tout de suite un premier mythe. Nous allons


utiliser les termes «  ouvert  » et «  fermé  ». Évitez d’associer
l’ouverture à un signe positif et, a contrario, la fermeture à quelque
chose de négatif. Parlons plutôt, dans le premier cas, d’un
accroissement de la réceptivité. Flirter, sursauter de peur devant un
film d’horreur, avoir une main gagnante aux cartes, s’étonner au récit
d’une catastrophe ou à l’expectative d’une bonne affaire, autant
d’exemples qui semblent contradictoires, mais qui peuvent
provoquer l’ouverture des paupières.

Ainsi, la fermeture de l’œil ne correspond pas nécessairement à


une réaction négative. La fatigue ou le stress peut entraîner la
fermeture partielle d’un œil ou des deux yeux. Cette même
configuration se retrouvera aussi dans le regard inquisiteur. Elle peut
traduire un signe de faiblesse, de protection, comme elle peut
indiquer un intérêt.

2. L’horizon de sens
Pris hors contexte et sans lien avec d’autres indicateurs corporels,
un geste isolé revêt peu d’intérêt. En fait, il ne signifie rien. Il doit
s’inscrire dans une liste de plusieurs items dans le but de dégager
une tendance. Par exemple, le fait d’avoir les deux yeux bien grands
ouverts peut traduire une émotion de peur ou illuminer le visage de
quelqu’un empreint d’une grande curiosité. Le but consiste à prendre
du recul et éviter la tentation de tirer des conclusions hâtives.

L’observation d’un geste met en évidence un item corporel qui


s’ajoute à plusieurs indicateurs pour fournir ce qu’on appelle un
horizon de sens3. Nos assertions ne portent aucun jugement quant
à la convergence ou la divergence de sens obtenue par le cumul
d’indicateurs corporels.

Le but consiste à comprendre le vrai message et l’horizon de


sens vous aidera à fignoler vos questions ou votre interprétation
pour y arriver. Par exemple, la paupière droite abaissée suggère un
état de stress chronique. En réalité, cette caractéristique physique
n’apparaît pas nécessairement chez tous ceux qui en souffrent, mais
on le remarque dans bien des cas. En revanche, une personne en
bonne santé aura moins de chances de présenter une telle
configuration des yeux. C’est donc dire qu’il faut garder une marge
de manœuvre dans l’interprétation de l’horizon de sens que vous
observerez afin d’optimiser votre compréhension du message. Une
confirmation requiert plus de questions.

3. Mensonge, où te caches-tu ?
Nous pouvons conclure au mensonge de deux façons seulement : 1)
vous possédez des preuves irréfutables, 2) vous obtenez des aveux.
Ceux qui cherchent le mensonge à travers les items corporels,
notamment au niveau des yeux, seront déçus. L’analyse du langage
corporel n’est pas un détecteur de mensonges, mais elle peut aider.

Toutefois, l’acuité de vos observations vous fournira un avantage


avec votre capacité à identifier les contradictions entre le geste et le
message. Vous devez reconnaître et exploiter ces alertes pour
arriver à une communication authentique, c’est-à-dire où le geste
accompagne le propos de façon cohérente. Un questionnement
pertinent amène l’interlocuteur à préciser sa réponse et, ainsi, à
rectifier cette contradiction, sinon, dans le cas d’un mensonge,
passer aux aveux.

Les pseudospécialistes qui prétendent, par exemple, qu’une fuite


du regard vers le haut et à droite suggère un mensonge n’ont
aucune crédibilité. Sans jouer sur les mots, l’analyse du langage
corporel se consacre à la recherche d’un message cohérent. Sa
contribution dans la détection du mensonge reste instrumentale.
Toutefois, la pratique rend meilleur et améliore la perspicacité.

Les yeux bougent à la vitesse de votre réflexion. Dans la plupart


des cas, ceux de la personne à qui vous avez posé une question ont
déjà identifié les éléments de la réponse. Ils se déplacent pour
puiser l’information à la source, ce qui fournit une indication quant à
sa nature bien avant et bien plus rapidement que la parole ne
l’exprime. Ainsi, vous apprécierez la cohérence ou l’incohérence de
la réponse verbale. Par exemple, on devrait regarder vers le haut à
l’appel du cognitif (un visage connu, le calcul mental, etc.) et vers le
bas si cela relève de l’émotionnel4.
En revanche, si quelqu’un se dit désintéressé, mais que son œil
droit devient plus grand que le gauche, probable qu’il cache son jeu.

Voyez-vous, le langage corporel nage dans les trames de gris,


rien n’est noir ou blanc. L’inexactitude des sciences sociales, la
tendance d’un horizon de sens, la contradiction qui ne signifie pas
nécessairement un mensonge, pour ne nommer que quelques
exemples, recommandent la prudence avant de tirer vos
conclusions. La qualité de vos observations dépendra de la rigueur
de votre analyse et cela requiert de la pratique. Soyez patient.

Gauche, droite, gauche, droite…


Pour débuter l’étude de la configuration des yeux, je vous propose
un bref survol du fonctionnement de nos hémisphères cérébraux en
faisant référence à la logique cérébrale. Loin de moi l’idée de vous
résumer un cours de neurologie. Cela dit, comprenez que l’Homme
agit de la même manière depuis des millénaires. Alors, profitons du
fait que, pour une rare fois, nous pouvons tirer avantage de
quelques universalités.

La logique cérébrale fait référence à la gestion croisée de la


gestuelle. Autrement dit, l’hémisphère droit gère le côté gauche du
corps, et l’hémisphère gauche, l’autre côté. En effet, le cerveau se
divise en deux hémisphères qui, bien qu’ils communiquent entre
eux, possèdent des fonctions spécifiques. L’analyse, le langage, la
logique et la science relèvent de l’hémisphère gauche. Le droit,
quant à lui, se caractérise par des réactions plus intuitives, créatives
ou artistiques. Il intervient principalement de façon plus instinctive et
spontanée.
Cette distinction nous permet de qualifier la nature des gestes.
Lorsque le côté droit entre en jeu, nous considérons que la raison du
déclenchement d’un mouvement provient d’une source extérieure à
la personne. Autrement dit, elle ne l’a pas provoqué de sa propre
initiative. Cela s’applique aussi au niveau du visage et, bien sûr, des
yeux. En revanche, sur le côté gauche, on fera référence à des
éléments intimes, donc intérieurs à l’individu. Quelqu’un qui
s’implique dans son propos et qui vous inviterait à le rejoindre
devrait normalement vous tendre la main gauche5. Bien que la
distinction droite/gauche vous donne un premier item à inclure dans
votre horizon de sens, elle est assujettie à l’influence des obstacles :
un mur, une paroi, une fenêtre, etc. Ce sont des biais à l’analyse qui
pourraient amener l’interlocuteur à utiliser sa main gauche tout en
discutant de choses rationnelles. La référence gauche/droite fournit
de bons indicateurs, vous devez seulement demeurer conscient de
votre environnement.

2  Médecin grec, scientifique, citations.ouest-france.fr/citation-hippocrate


3  On estime qu’un horizon de sens doit inclure entre 10 et 20 items corporels.
4  Plusieurs scientifiques ont démontré que le regard se dirige vers le haut pour une
réponse qui relève du domaine cognitif. Ce n’est que par défaut que la plupart des
analystes en langage corporel ou en PNL concluent que la fuite du regard vers le bas
fait référence aux émotions. Même si l’ensemble des observations tirées de recherches
empiriques vont dans ce sens, il arrive que quelqu’un appelle une émotion en regardant
vers le haut.
5  Le jeu des mains s’avère plus complexe que la simple référence gauche/droite.
L’alternance des mains dans la communication dépend d’une quantité importante de
facteurs qui ne sont pas expliqués ici. Dans le cadre de ce livre, la référence gauche/
droite se limite aux grandes lignes seulement.
2
La configuration des yeux

«  Tu as de beaux yeux, tu sais ! »


Jean Gabin

Un soir un peu frisquet, la place publique est bondée. Un accordéon


joue en arrière-scène. Un couple s’éloigne de la foule affairée.
L’homme tient sa compagne galamment par le bras. Ils s’arrêtent
quelques instants pour un moment d’intimité et c’est alors qu’il la
regarde tendrement et lui dit  : «  Tu as de beaux yeux, tu sais6  !  »
Quelle belle façon d’introduire les configurations des yeux et leurs
significations !
Du point de vue du langage corporel, la configuration des yeux
fait allusion à des formes rondes, fermées, symétriques ou
asymétriques. Vous connaissez bien l’expression «  tu as les yeux
fatigués ». Elle illustre l’état d’âme d’une personne et sûrement pas
le fait qu’elle sort du gymnase après un dur entraînement.
L’épuisement que nous prétendons voir chez l’autre se manifeste par
une configuration unique, différente de celle d’un sourire ou de la
peur.

Aux fins de notre analyse, nous cherchons l’authenticité, c’est-à-


dire une cohérence entre le geste et le propos. Notre défi réside
dans la captation des changements en cours de discussion. Il est
primordial d’établir une base de référence, d’identifier l’état
« normal » de la personne, par exemple lorsqu’elle n’est pas en train
de communiquer. À ce moment, vous pouvez déterminer si un œil
s’est agrandi ou s’est refermé, si les yeux sont plus ouverts ou si une
paupière est anormalement affaissée.

Une bonne analyse requiert de la méthodologie. Rappelez-vous


que le corps ne ment pas. Il retransmet, sans filtre, le fond de notre
pensée. Nous portons notre attention surtout sur les gestes mi-
conscients. Ils se déclenchent sans préméditation, sans
raisonnement, même si on peut en prendre conscience en cours
d’exécution. Ainsi, pour commencer, observez le côté où les
mouvements s’effectuent. Incidemment, les questions d’ordre
personnel se manifestent avec l’œil gauche et celles plus
rationnelles, sur l’autre. Votre plus grand défi consiste à capter le
micromouvement, ici une configuration ou une fuite du regard, dès
sa survenue. Nous utilisons l’expression « le ballon qui passe » pour
illustrer un petit geste subtil et rapide à un moment précis de la
communication.

Qu’est-ce qu’un regard normal ?

Les standards de référence s’appliquent exclusivement à chaque


individu. En fait, vous devez reconnaître le regard courant qu’il porte
sans affect extérieur. Cela constituera la ligne de base d’analyse à
partir de laquelle vous pourrez observer des changements dans la
configuration.

Les grands yeux ronds d’un enfant traduisent une innocence et


une curiosité caractéristiques de leur âge. En revanche, la sagesse
et la maturité de l’adulte font place à un ratio visuel tout à fait
différent où l’œil semble plus petit par rapport au reste du visage.
Dans la plupart des cas, nous parlerons de symétrie et de
proportionnalité tout en tenant compte des exceptions d’ordre
physique.
La configuration des yeux fait référence à l’état d’esprit ou au
niveau d’implication de l’interlocuteur dans la communication. En
aucun temps, nous n’établissons un diagnostic médical. Notre
interprétation associe un indicateur (geste, mouvement oculaire,
etc.) à une situation particulière. C’est par le questionnement que
vous confirmerez ou infirmerez votre hypothèse, votre horizon de
sens.

Configuration no 1 — Cela me touche


Voici un premier exemple de l’application de la logique cérébrale.
Dans la photo ci-après, vous remarquerez que l’œil gauche semble
un peu plus grand que l’autre. Comme je l’ai mentionné
précédemment, une réaction du côté gauche implique une
dimension émotionnelle. Ainsi, cette configuration montre que la
personne est touchée.

À ce stade-ci, difficile de conclure sur la qualité positive ou négative


de l’affect émotif. Les sourcils restent relaxes, le centre du front et le
haut du nez ne présentent aucune contraction ; pour l’instant, rien ne
suggère une réponse à un événement négatif. Sans plus
d’informations, l’ouverture de l’œil gauche indique une plus grande
réceptivité. Seule la combinaison avec d’autres items corporels nous
permettra de conclure sur le caractère positif ou non.

Configuration no 2 — Cela m’intéresse

Sur la base de la configuration précédente, nous comprenons


encore la manifestation d’un intérêt à la différence qu’il se situe du
côté rationnel. Nous parlons d’un intérêt intellectuel. Sur la photo, la
paupière supérieure droite est légèrement plus élevée que celle de
gauche. La fente palpébrale droite descend un peu plus bas que
celle de gauche. Ici, nous supposons une sollicitation de
l’hémisphère gauche à l’égard d’un propos ou au rappel d’un
événement extérieur à l’individu.

Ces deux premières configurations illustrent des exemples où un


œil apparaît plus grand que l’autre, en position normale.
Configuration no 3 — Le stress émotif

Dans cet exemple, c’est le contraire. L’œil gauche devient plus petit
que le droit. Cette réaction de « fermeture » suggère une difficulté ou
une protection. Le chagrin, par exemple, pourrait entraîner cette
configuration du côté gauche.

Dans la seconde photo, la jeune femme partage le dur récit d’une


agression sexuelle dont elle fut la victime. Au rappel de certains
détails, son œil gauche se ferme légèrement par rapport à l’autre.
Vous conviendrez que ce genre de situation peut facilement
enclencher un stress émotif.

Configuration no 4 — Le stress rationnel


Je suis convaincu que vous avez compris, avec les trois premiers
exemples, comment interpréter le côté où la réaction se produit et la
subtilité entre l’ouverture et la fermeture de l’œil. En suivant la même
logique, cette quatrième configuration suggère une fermeture que
l’on peut associer au stress, mais de manière rationnelle puisqu’elle
se manifeste sur l’œil droit.

Ici, la jeune femme relate plusieurs situations difficiles de


dépendance qu’elle a dû surmonter dans les dernières années.
L’influence néfaste de certains membres de sa famille explique
l’origine de ce stress et entraîne cette réaction au rappel de ces
souvenirs.

Configuration no 5 — Les paupières lourdes


L’expression « tu as l’air d’avoir les yeux fatigués » ne pourrait pas
trouver une meilleure configuration que celle des paupières lourdes.
Tout le système semble ralenti, comme une lumière dont on diminue
l’intensité. On y voit un état de fatigue temporaire ou chronique avec
des paupières lourdes et affaissées de façon symétrique.

Dans cet exemple, les paupières tombent et le visage est relâché.


Cet indicateur de fatigue temporaire pourrait aussi suggérer une
situation chronique si la configuration devenait permanente. On
pourrait même déceler, tout en évitant de donner un diagnostic
médical, des signes avant-coureurs de dépression. J’insiste que seul
un spécialiste de la santé peut établir un tel diagnostic. En ce qui
nous concerne, prenez note des items corporels qui s’apparentent à
la fatigue.

Configuration no 6 — La tristesse chronique


Le professeur Paul Ekman7 a élaboré une série de six émotions
universelles qui incluent la tristesse. Considérant une sollicitation de
l’hémisphère droit, le résultat se remarque du côté gauche. Il
suggère un affect négatif qui peut provoquer une réaction de
fermeture et de protection. La configuration se traduit par
l’affaissement de la paupière gauche. Dans ces circonstances, nous
parlons de tristesse chronique.
La photo montre une jeune femme qui répond à une série de
questions concernant la violence conjugale dont elle fut victime. Elle
persiste à défendre son agresseur, mais, au moment de discuter du
bien-être de ses enfants, ses craintes sont réelles, mais aussi
permanentes. L’effet se répercute dans la configuration de ses yeux.

Dans le cas qui nous intéresse, l’affaissement de la paupière se


compare à un geste de lourdeur. Il n’a rien à voir avec un clin d’œil. Il
se manifeste lors du clignement. La rapidité et la subtilité du
mouvement le rendent difficile à observer, mais l’analyse vidéo au
ralenti montre clairement la différence entre les deux paupières.

Configuration no 7 — Le stress chronique

À l’inverse, lorsque la paupière de l’œil droit s’affaisse, on transpose


l’interprétation avec une dimension extérieure à la personne. Nous
obtenons une configuration de stress chronique. La photo présente
la même jeune femme pendant la même entrevue en train de
partager le souvenir d’un événement violent en présence de l’un de
ses enfants. Son récit provoque une réaction immédiate de son œil
droit.
Configuration no 8 — Je ne veux rien voir

Dans cet exemple, constatez l’effort clair et net à dissimuler une


partie de l’œil. Les deux fentes palpébrales montent et obstruent la
vue. C’est particulièrement évident lorsque vous remarquez les traits
tirés sous les yeux et sur le nez. Cette configuration suggère la
volonté de ne pas regarder, comme en fait foi l’expression du dégoût
illustrée sur la photo.

Configuration no 9 — Grrrrrrrr !

Nous commençons une série de configurations qui dévoilent le


sanpaku, c’est-à-dire la région blanche de l’œil qui se situe en
dessous et au-dessus de l’iris. L’apparition du sanpaku entraîne
plusieurs interprétations qui varient entre la dépendance à l’alcool ou
à d’autres substances et la surconsommation de produits comme le
sucre. Loin de moi l’idée de vous imposer une analyse biologique ou
physiologique et je vous laisserai déguster votre chocolat en toute
quiétude.

Ce premier exemple concerne l’état de colère. Sur cet aspect,


nous pouvons aussi nous référer à l’éthologie, biologie du
comportement, qui s’intéresse tout particulièrement aux
comportements non verbaux et au rôle du corps lors des interactions
courantes chez les animaux dans leur cadre de vie habituel. Les
mammifères, comme les chiens et les chats, réagissent
émotionnellement et expriment notamment la colère, la peur, la
tristesse, la surprise et la joie. Ainsi, en combinant un certain nombre
d’items corporels, un premier horizon de sens suggère la colère à
l’apparition des deux sanpakus du bas.

Sur la prochaine photo, la jeune femme parle de son combat


contre des problèmes de consommation et de comportements
sexuels inappropriés. Son récit s’inscrit dans un horizon de sens qui
propose un état de mal-être intérieur ou une peur d’être découverte.
Dans ce cas, la tête reste droite. Nous constatons surtout cette
situation dans l’allure générale de la personne. Autrement dit, une
réaction qui perdure au lieu d’être temporaire

Configuration no 10 — L’épuisement
professionnel

Le sanpaku peut apparaître sur un œil à la fois. Sa manifestation


sous l’œil droit suggère un épuisement professionnel.

Configuration no 11 — Une mauvaise image de


soi
Dans la suite logique des choses, un sanpaku visible sous l’œil
gauche seulement suppose une dimension personnelle et, dans ce
cas-ci, nous parlons d’une mauvaise image de soi. Vous avez
remarqué que la largeur du trait blanc sous l’iris diffère chez chaque
individu. Pour le moment, aucune étude ne nous permet de vérifier si
l’ouverture du sanpaku s’accroît avec l’intensité du problème.

Configuration no 12 — Sauve qui peut !


Cette configuration montre la proximité entre la peur et la surprise.
En réponse à-un événement terrifiant, le visage s’étire de bas en
haut. Le menton descend, la bouche s’ouvre (quelquefois pour
émettre un cri). Les sourcils s’élèvent au maximum et laissent les
yeux grands ouverts avec les caractéristiques d’un sanpaku au-
dessus des deux iris. Du point de vue de la configuration des yeux,
la peur et la surprise se différencieront au niveau des sourcils.
La peur s’inscrit souvent comme émotion principale. Elle ne dure
qu’un bref instant pour être immédiatement remplacée par une autre
émotion. Lorsque quelqu’un vous fait sursauter, la peur se
transforme en surprise ou en joie, si vous réagissez bien, sinon en
crainte ou en tristesse, si vous le prenez plus mal.

Configuration no 13 — Les yeux d’un enfant

Cette configuration traduit à merveille l’innocence et la sincérité des


grands yeux arrondis d’un enfant. Elle signifie la curiosité. Cette
similitude entre les yeux d’un enfant et ceux d’un adulte de même
configuration suggère une implication volontaire de la personne.
Toutefois, ne confondez pas les grands yeux arrondis avec la
configuration précédente.

Vers la fin du livre, nous allons analyser les quadrants des yeux,
c’est-à-dire la région vers laquelle le regard se dirige, pour récupérer
l’information avant de répondre. Une de ces régions se trouve au
centre du visage où l’individu regarde droit devant. Cette
configuration amène deux interprétations opposées  : d’un côté, un
état d’hyperconcentration, de l’autre, un regard vide. Dans le premier
cas, on appelle tous ses sens. Une situation plus stressante qu’à
l’habitude ou une question complexe entraîne ce genre de réaction.
Dans le second, la personne a décroché de l’échange. Elle semble
ailleurs, d’où le regard absent.

Configuration no 14 — Je te surveille !


Finalement, notre dernière configuration se trouve pratiquement à
l’opposé de la précédente. Les yeux se ferment légèrement, comme
pour préciser le regard. Contrairement au regard ébloui par le soleil,
celui-ci ramène son focus sur un point d’intérêt en particulier. Les
paupières et les fentes palpébrales tendent à se rejoindre.

Que ce soit au niveau de la configuration ou du mouvement des


yeux, je place la région oculaire au haut de la liste des items
corporels les plus significatifs. Gardant à l’esprit les premières mises
en garde, un questionnement additionnel à l’observation de cet
indicateur s’avère toujours pertinent.

Encore une fois, votre objet consiste à accumuler le plus grand


nombre d’items corporels pour accroître la probité d’un horizon de
sens. Ainsi, malgré son utilité incontestée, l’étude exclusive des yeux
ne fournit pas suffisamment d’indicateurs. La configuration des yeux
représente un premier pas dans la découverte de leur rôle dans le
langage corporel.

6  Phrase mythique que l’acteur Jean Gabin lance à sa partenaire, Michelle Morgan, dans
le film « Quai des brumes » de Marcel Carné.
7  Paul Ekman est un psychologue américain et professeur émérite de l’Université de
Californie. Il a notamment inspiré la série télévisée « Lie to me ». Ses nombreuses
recherches ont permis d’identifier six émotions de base qui sont : la joie, la surprise, la
peur, la colère, la tristesse et le dégoût. À la suite de ses travaux, d’autres chercheurs
ont ajouté le mépris.
3
Les émotions

«  L’œil n’a qu’un seul défaut, c’est de tout


exprimer. »
Albert Lemoine

Dans son ouvrage «  De la physionomie et de la parole  », Albert


Lemoine, philosophe français du XIXe siècle, analyse et commente
la manière dont les peintres de son époque illustrent les émotions.
Avec une approche physionomique, il nous dit que les passions se
manifestent partout, bien sûr, mais surtout par le visage. Mais sa
plume philosophique s’exprime dans un langage des plus
romantiques  : «  … C’est que l’âme est unie à tout le corps, mais
particulièrement au cerveau. Le visage se compose de bien des
parties qui se disputent le premier rôle dans l’interprétation des
passions, au point que nous ne saurions dire lequel l’emporte pour la
puissance expressive, des yeux ou de la bouche, des joues ou du
front… Les yeux, sans doute par leur feu et leurs mouvements, font
bien voir l’agitation de l’âme, mais ils ne font pas connaître de quelle
nature est cette agitation. Le sourcil l’emporte encore sur le nez et
sur la bouche, parce que ces parties suivent plutôt le mouvement du
cœur que celui du cerveau8.  » Son analyse des diverses doctrines
de l’époque se résume à merveille dans cette fabuleuse phrase  :
«  … dans le langage des passions, l’œil n’a qu’un défaut, c’est de
tout exprimer. »

Aujourd’hui, lorsque nous parlons d’émotions, nous nous


tournons vers les travaux de Paul Ekman. Malgré le caractère
exclusif de chaque être humain, les recherches du professeur
établissent des standards universels que la communauté scientifique
reconnaît pratiquement de façon unanime. Je rappelle qu’il a
identifié six émotions de base  : la joie, la surprise, la peur, la
tristesse, la colère et le dégoût. D’autres ont, par la suite, poursuivi
son travail pour en ajouter une septième : le mépris.

Malgré cette apparence de consensus, un débat persiste. Les


émotions sont-elles universelles ou culturelles ? En fait, ce qui nous
fait peur ou nous réjouit est personnel et principalement culturel.
Autrement dit, les mêmes événements qui vous font sourire, ou vous
effraient, pourraient laisser quelqu’un d’autre totalement indifférent.
Mais les recherches du professeur Ekman ne visaient pas à évaluer
l’impact culturel dans l’expression de l’émotion, mais plutôt la
manière dont cette émotion s’exprime. Cela signifie que, dans tous
les cas, l’extériorisation de la joie, par exemple, se reconnaît par des
réactions faciales similaires. Étonnamment, dès l’âge de trois ou
quatre ans, les tout-petits manifestent des réponses semblables à
celles des expressions faciales variées d’adultes, dont le sourire et
les pleurs. Au surplus, un enfant aveugle s’exprimera avec les
mêmes traits caractéristiques.
Au-delà de son expression, l’émotion sert d’outil de
communication. Elle amène une régulation dans les échanges de la
vie sociale. Une personne joyeuse n’a pas vraiment besoin de la
verbaliser. Son visage, notamment les commissures de ses lèvres
qui montent, les fentes pal-pébrales légèrement relevées et peut-
être quelques rides, la traduisent. Je vous propose une petite
expérience. Répondez aux questions de vos amis exclusivement
avec une réaction faciale. Laissez vos émotions parler pour vous.
L’éthologie, l’étude de la biologie du comportement des animaux
dans leur habitat naturel, montre jusqu’à quel point ceux-ci nous
enseignent beaucoup sur la gestion de nos relations par la seule
utilisation des émotions. Nous remarquons chez les animaux de
compagnie, notamment les chats et les chiens, que les émotions
contribuent à déterminer leurs interactions et leur place dans la
relation. Sans émotion, il n’y a pas de communication et, s’il n’y a
pas de communication, il n’y a pas d’échange, donc pas de vie
sociale.
C’est la même chose pour les êtres humains. Contrairement aux
robots, nos échanges sociaux sont inévitablement empreints
d’émotion. Leur expression communique, sans mot dire, ce que
nous pensons. En réalité, la qualité de nos échanges varie en
fonction du degré de transparence des émotions.

Nous transmettons nos émotions, positives ou négatives,


agréables ou désagréables, en les partageant (émotion extravertie)
ou en les gardant pour soi (émotion introvertie). Nous possédons
peu d’outils pour faire comprendre à l’autre que votre émotion lui est
adressée ou si vous la refoulez. L’intensité de certaines émotions
entraîne une expression verbale sans nécessairement vouloir dire
que la personne souhaite la partager. Sinon, faute de paroles, vous
vous en remettez au langage corporel pour observer l’extra-version
ou l’introversion. Dans tous les cas, les yeux jouent un rôle important
et confirment ce désir de partager ou non cette émotion.

C’est écrit dans tes yeux

Une personne brandit son bras vers l’avant avec le poing bien fermé.
Comment savoir si elle nous menace, se réjouit, affirme sa
supériorité ou encore célèbre une belle victoire  ? Cet item en soi
demeure peu significatif et vous devrez l’inclure dans une liste des
indicateurs corporels pour obtenir un horizon de sens plus probant.
La lecture d’une émotion passe par une bonne compréhension de
son processus de déclenchement. Mais qu’est-ce qu’une émotion ?
La langue française à elle seule utilise plus de 150 synonymes.
Alors, voyons ensemble les indices qui nous permettent de
reconnaître une véritable émotion9.

Premièrement, rappelez-vous que les signaux émotionnels sont


universels. Lorsque le professeur Ekman a présenté différentes
mimiques à des personnes d’origines distinctes, les réponses à la
question « Quelle est l’émotion exprimée ? » se ressemblaient, outre
quelques nuances d’ordre culturel. Au surplus, certains théoriciens
suggèrent que les enfants se développent notamment avec des
éléments d’information analogues (par exemple les traits du visage)
de sorte qu’ils construisent des comportements similaires entre eux,
peu importe leur appartenance ethnique.
Deuxièmement, il existe des expressions comparables chez
l’homme et les autres primates. On reconnaît chez ces derniers les
émotions de peur ou de colère. En fait, comme c’est le cas pour
toutes les espèces de vertébrés, ces réactions contribuent aux
systèmes de communication interindividuelle, les hommes n’ayant
tout simplement pas inventé les émotions.

Troisièmement, chaque émotion s’appuie sur un contexte


physiologique spécifique. Les nombreuses expériences du
professeur Ekman ont démontré qu’une personne qui mime une
émotion sans qu’on l’ait préalablement informée de sa nature
finissait par la ressentir.
Quatrièmement, les événements déclencheurs sont universels.
Tous les scientifiques acceptent cette prémisse, mais avec réserve.
En effet, la pratique prouve que les points communs de ce qui
déclenche telle ou telle réaction ne s’appliquent pas de façon aussi
évidente que la théorie le suggère. Le contexte culturel, les traditions
ou les idéologies sociales peuvent influencer la manifestation de
l’émotion. Autrement dit, une expression de joie s’initie à partir
d’événements similaires dans la plupart des cas. Cela dit, ce qui fait
sourire une personne pourrait ne pas provoquer la même réaction
chez une autre de culture différente. En revanche, les items qui
représentent l’émotion, quant à eux, restent universels.
Cinquièmement, les réactions émotionnelles sont cohérentes. Les
indicateurs caractéristiques d’une émotion correspondent
spécifiquement à son expression. L’individu qui exprime réellement
la colère montre les traits de la colère et vice versa. C’est le cas
lorsqu’une seule émotion entre en jeu et qu’aucun affect extérieur ne
vient interférer. Toutefois, nous devons nuancer notre
compréhension de la cohérence. Certaines circonstances exigent de
restreindre, sinon de retenir ses émotions et, par conséquent, leur
expression, par exemple si elle n’est pas convenable ou par excès
de contrôle. Nous observons alors une contradiction dans
l’expression de l’émotion et la réelle émotion.

Sixièmement, le déclenchement s’exécute rapidement. Puisque


les réactions physiologiques surviennent en une fraction de seconde
et que les mimiques se calculent en termes de millisecondes,
l’événement déclencheur doit nécessairement intervenir de façon
très rapide.
Septièmement, la durée est limitée. On parle ici de l’expression
de l’émotion et non de l’état d’esprit qui perdure par la suite. Lorsque
vous réagissez avec peur, vous ne gardez pas les sourcils relevés,
les yeux et la bouche grands ouverts pendant des secondes, encore
moins pendant plusieurs minutes. L’humeur qui suivra, quant à elle,
peut persister pendant des heures, voire des jours.

Huitièmement, le mécanisme de perception est automatique. Une


émotion s’exprime brusquement, de façon non volontaire ni
raisonnée. Au surplus, dans le cas où la personne souhaiterait
consciemment contrôler l’expression de cette émotion, d’autres
indicateurs la trahiraient, par exemple les fluctuations vocales.

Finalement, la survenue est spontanée. La combinaison des


qualificatifs rapides, spontanés, involontaires et limités rend
l’expérience émotionnelle difficile à éviter délibérément. Vous pouvez
toujours l’anticiper et donc la diminuer, mais cela ne l’annule pas
pour autant.
Dans le cas des émotions, le visage devient un vecteur de
transmission efficace en raison des nombreux traits caractéristiques
qui les définissent. Le système de codification d’action faciale du
professeur Ekman nous aide à lire les indicateurs sous forme de
mimiques dont la combinaison identifie l’émotion. Nous verrons par
la suite comment les yeux interviennent dans son expression.

Le système de codification d’actions faciales correspond à une


liste d’items corporels du visage. Il se résume essentiellement aux
points suivants : le menton, la bouche, les lèvres, le nez, les joues,
les paupières et les sourcils. Il nous reste à observer comment
chacune de ces parties réagit. Le recours au système pour la
révision des sept émotions universelles facilitera l’identification de
celle qui se cache derrière le message, sans égard au langage
verbal.

Plusieurs ouvrages font état de ce système de codification


d’action faciale, mais les exercices que vous retrouverez sur le site
Internet du professeur Ekman10 vous fourniront un instrument utile
pour pratiquer la reconnaissance des émotions.

La joie

a. Sourcils relaxes, décontractés ;

b. Fentes palpébrales légèrement relevées  ; donc, petites


rides de chaque côté des yeux ;

c. Bouche plus ou moins ouverte selon l’intensité ;

d. Commissures des lèvres relevées.

La tristesse
a. Coins intérieurs des sourcils relevés ;

b. Sourcils relevés alors que les yeux se ferment ;

c. Possibilité d’un œil gauche plus petit que l’œil droit ;

d. Sanpaku du bas probable ;

e. Commissures des lèvres abaissées ;

f. Menton peut être relevé.

La peur
a. Sourcils relevés ;

b. Sanpaku du bas ;

c. Yeux grands ouverts ;

d. Commissures des lèves vers les côtés ;

e. Lèvre inférieure descendante.

Le mépris
a. Coins intérieurs des sourcils abaissés ;

b. Nez plissé ;

c. Côté droit de la lèvre supérieure relevé ;

d. Lèvre inférieure légèrement fermée.

Le dégoût (semblable au mépris, mais à


gauche)

a. Coins intérieurs des sourcils abaissés ;

b. Nez plissé ;

c. Lèvre supérieure relevée (sinon côté gauche) ;

d. Lèvre inférieure légèrement fermée.

La colère
a. Intérieur des sourcils abaissé ;

b. Paupières supérieures peu visibles ;

c. Pupilles dilatées ;

d. Glabelle visible au haut du nez ;

e. Narines ouvertes ;

f. Lèvre supérieure relevée qui laisse voir les dents ;

g. Si la bouche est fermée, les lèvres peuvent être serrées ;

h. Possible sanpaku du bas si la tête est penchée vers


l’avant.

La surprise
a. Sourcils relevés ;

b. Yeux ouverts ;

c. Possible sanpaku du haut si la tête part vers l’arrière ;

d. Bouche ouverte.

Précédemment, nous avons parlé de l’extraversion ou de


l’introversion dans l’expression des émotions. Leur classification
comprend trois critères. Tout d’abord, observez le tonus musculaire :
l’hypertonie ou l’hypotonie. Ensuite, déterminez le caractère
agréable ou désagréable. Finalement, est-ce que la personne
partage l’émotion ou la garde pour elle ? Ainsi, ces possibilités nous
offrent huit combinaisons que nous allons survoler en insistant
exclusivement sur le rôle des yeux. Pour simplifier la compréhension
de chacun des huit types d’émotion, je vais suggérer, à titre indicatif
seulement, un exemple pour mieux les illustrer.

1. La joie (hypertonique, agréable, extraverti)


Les yeux plus petits ne suggèrent pas un refus de voir. On remarque
la fente palpébrale inférieure, légèrement relevée. Les rides de
chaque côté de l’œil s’avèrent aussi révélatrices. Le regard
décontracté montre une ouverture des pupilles normale. Il se
maintient droit devant, sinon vers le haut, accompagné de nombreux
clignements des paupières.

2. La satisfaction (hypertonique, agréable,


introverti)
Comme pour la joie, les yeux demeurent petits en raison des fentes
palpébrales légèrement relevées. Le regard est décontracté et se
situe toujours dans la dimension cognitive. On note une diminution
des clignements des paupières. Introvertie, la personne ne cherche
pas nécessairement à établir un contact visuel pour jouir de son
émotion.

3. La sympathie (hypotonique, agréable,


extraverti)
Les yeux ouverts cachent les sanpakus. Le caractère extraverti peut
s’observer lorsque les fentes palpébrales se rétractent légèrement,
comme pour mieux voir ; une forme de complicité.

Le lien se confirme avec des sourcils extrêmement mobiles et les


coins intérieurs à peine relevés qui expriment la tendresse. Enfin,
cette émotion ne se reconnaît pas par une forte tonicité musculaire,
d’où l’hypotonie. Évidemment, l’horizon de sens qui converge vers
cette combinaison de critères s’appuie sur d’autres items corporels,
par exemple la tête qui penchera vers la gauche.

4. Le calme (hypotonique, agréable,


introverti)
Cette émotion ressemble à la sympathie, à la différence de son
caractère introverti. Les mêmes caractéristiques visuelles et un
regard similaire rapprochent ces deux types d’émotion.

5. La tristesse (hypotonique, désagréable,


extraverti)
Ce changement de registre se répercute bien évidemment au niveau
des yeux presque mi-clos. On voit mieux les paupières supérieures
tombantes. Le sanpaku du bas peut apparaître. Dans certains cas,
l’œil gauche devient plus petit. Nous remarquons une légère
élévation des coins intérieurs des sourcils. Le peu de clignements
des paupières indique une réserve à communiquer avec l’autre.

6. L’indifférence (hypotonique, désagréable,


introverti)

Moins expressive, l’introversion s’affirme alors que la personne ne


tient pas compte de l’autre. On remarque une fixité des yeux. Le
regard se déconnecte en se dirigeant vers le bas et à gauche. Les
paupières clignent peu ou pas. Le sourcil droit se relève dans
l’éventualité d’un désir de distanciation. On retrouve certaines
caractéristiques de la tristesse.

7. La colère (hypertonique, désagréable,


extraverti)

Les yeux et les sourcils s’expriment fortement. Les yeux fixent l’autre
avec les pupilles dilatées (dans les cas évidents de colère). L’œil
droit, plus participatif et plus vif que le gauche, traduit une certaine
vigilance et une mise à distance. Les sourcils forment un « V » avec
de grosses rides verticales au centre. La glabelle est bien
prononcée. Lorsque la tête se penche légèrement vers l’avant, les
yeux s’élèvent et laissent paraître le sanpaku du bas. Du même
coup, les paupières du haut disparaissent. Si la tête reste bien
droite, les yeux seront un peu plus fermés en raison de la
rétractation des fentes palpébrales inférieures.

8. La peur (hypertonique, désagréable,


introverti)
Paradoxalement, cette émotion montre des signes apparents
importants qui ne cherchent pas nécessairement à être
communiqués à l’autre. Les yeux s’ouvrent considérablement. On
pourrait voir le sanpaku du haut et, à l’extrême, celui du bas aussi.
Lorsque la peur s’exprime, c’est tout le visage qui s’étire. Les
sourcils sont relevés, notamment au centre, afin d’illustrer le
caractère désagréable. Le regard sera tiré vers le bas dans une
recherche émotionnelle.

8  Albert Lemoine, De la physionomie et de la parole, Paris, Édition Bibliobazaar, 1865,


224 p.
9  Jacques Cosnier, Psychologie des émotions et des sentiments, Éditions Retz, Paris,
1994.
10  www.paulekman.com/ Une certification est aussi disponible à la réussite des divers
entraînements proposés.
4
Les microdémangeaisons

«  Il est bon de lire entre les lignes, cela fatigue


moins les yeux. »
Sacha Guitry11

Le corps ne ment pas ! C’est une prémisse importante et révélatrice


dans l’analyse du langage non verbal. Cela signifie qu’un
micromouvement ou une réaction, tout en tenant compte du contexte
dans lequel il s’exécute, confirmera ou infirmera la teneur du propos.
Je ne parle pas ici de détection du mensonge, mais plutôt de la
recherche de l’authenticité  : la cohérence du geste et de la parole.
Brièvement, l’analyse du langage corporel s’effectue en trois étapes.

La première consiste, d’abord et avant tout, à porter votre


attention sur l’allure générale de la personne, l’évaluer dans son
ensemble, des pieds à la tête. La rigidité ou la souplesse de son
corps, la vitesse de ses déplacements et sa démarche font partie de
la liste des items qui fournissent les premières indications d’un
horizon de sens. En ce qui a trait aux yeux, vous devez identifier
l’état normal du regard et leur configuration.

Ensuite, vous devez reconnaître la ou les émotions. Même si


elles se manifestent sur l’ensemble du corps, elles s’expriment
surtout sur le visage. Ces items alimenteront aussi votre horizon de
sens.

Finalement, il vous reste à capter les micromouvements, ces


petits gestes subtils effectués avec les mains. Je rappelle
l’importance de la logique cérébrale pour mieux définir la nature du
contact. Quelle main touche quelle partie du corps, du visage ou, en
ce qui nous concerne, l’œil ?

Nous divisons le corps en plusieurs segments. Chacun d’eux


représente une fonctionnalité. Par exemple, on associera le cou à la
communication. Quelqu’un qui peine à dévoiler un secret ou cherche
comment vous dire quelque chose pourrait porter la main à sa
gorge. Nous établissons les mêmes liens avec les jambes (liens
avec l’environnement), le bassin et les hanches (énergie et
sexualité), le ventre (acquis et possession), le torse (ego) et les bras
(liens affectifs). Le visage ne fait pas exception. Nous combinons les
oreilles aux affects auditifs, la bouche à la parole et, évidemment, les
yeux à la fonction visuelle.

On identifie trois types de micromouvements. Le premier, fixe,


suggère une aide à la réflexion ou à la concentration, à la limite, un
décrochage par rapport à l’environnement. C’est ce qui arrive
lorsqu’on tombe dans la lune.

Le deuxième, la caresse, rassure et réconforte. L’image du maître


de cérémonie qui se frotte les mains, heureux d’accueillir son
auditoire, tente, en réalité, d’apaiser une certaine nervosité. Dans la
plupart des cas, les micromouvements s’avèrent positifs.

Enfin, le dernier s’exécute sous forme de microdémangeaisons.


Lorsque nous analysons le langage corporel et que nous faisons
remarquer à l’autre qu’il s’est gratté à un endroit donné, il répond
sans hésiter que c’est parce que ça piquait. Et il a tout à fait raison.
Ces microdémangeaisons consistent en une réaction physiologique
déclenchée par le cerveau dont le signal aboutit sur le segment du
corps conformément à sa fonctionnalité. Elles expriment une
contradiction entre le message et la position réelle de la personne.
Elles ne signifient pas un mensonge, mais plutôt une différence
entre ce qui est dit, ou non, et ce que l’individu pense vraiment. Par
exemple, on se gratte la tête à la résolution d’un problème difficile.
On frotte l’intérieur de l’oreille pour un propos que l’on ne souhaite
pas entendre. La contradiction qu’illustre le micromouvement met
l’emphase sur l’inconfort et la véritable intention de l’interlocuteur.

Si vous respectez cette méthodologie en trois étapes, les


microdémangeaisons, malgré leur rapidité d’exécution, vous
paraîtront très évidentes. L’absence d’un barème d’évaluation de
l’état «  normal  » et authentique de l’autre vous amènera vers une
conclusion incomplète et erronée. Nous utilisons l’expression «  le
ballon qui passe  ». Autrement dit, pendant la communication, un
petit geste inusité, subtil, surgit sans raison apparente. Pensez-y,
pourquoi se gratte-t-on la tête pour résoudre un problème  ? Au
constat de ce micromouvement, vous devrez associer le propos et le
contexte pour mieux définir sa signification, la nature de la
contradiction, son véritable message.

Lecture à vue
Puisque nous nous consacrons seulement à l’étude des yeux,
voyons les principales composantes de la région oculaire.

L’analyse du langage des yeux inclut les sourcils et propose


plusieurs points de contact. Pour optimiser notre compréhension des
mouvements portés vers cette région, nous devons respecter
quelques règles de lecture.
Règle de lecture no 1
D’ores et déjà, nous avons établi que ce qui provoque un
autocontact au niveau de l’œil fait référence à une fonction visuelle.
Alors, la première règle de lecture consiste à identifier quel œil fait
l’objet de la microdémangeaison.

À gauche, elle suggère une dimension personnelle. D’ailleurs,


demeurez attentif à l’œil prédominant lorsque l’on s’adresse à vous.
L’œil gauche traduit la volonté de créer un lien avec l’autre. Il
favorise la proximité.

En revanche, si le côté droit entre en jeu, nous parlons de


rationalité, mais aussi de distanciation, voire de vigilance.
Conformément aux principes de la logique cérébrale, nous
comprendrons que le propos ou la situation qui a provoqué ce
micromouvement sur ce côté provient de l’extérieur à la personne.
Règle de lecture no 2

Quelle main effectue la microdémangeaison  ? Si la main gauche


intervient, la réaction devient plus spontanée, peut-être même
émotive. À l’opposé, avec la droite, la personne pourrait chercher à
se couper de l’autre.

Règle de lecture no 3
Finalement, la direction précise la signification du geste. Un
micromouvement qui commence sa course au centre du visage et
qui se déplace vers l’extérieur, par exemple vers les oreilles,
suggère de l’ouverture. Autrement dit, si la personne veut voir
quelque chose, le mouvement indique qu’elle le souhaite encore
plus. Dans le cas contraire, c’est-à-dire vers l’intérieur, on parlera de
fermeture. Si on reprend l’exemple précédent, la personne ne veut
donc plus voir.

Règle de lecture no 4
La dernière règle de lecture concerne la position géographique où
s’effectue le micromouvement. Notre sujet d’étude nous restreint à la
fonction visuelle. Pour le reste du visage, l’importance de la réaction
s’accroît lorsque le micromouvement se dirige au centre du visage et
devient plus accessoire s’il s’en éloigne. La région des yeux est plus
limitée, mais cette règle pourrait s’appliquer sur deux points de
contact en particulier.

Les microdémangeaisons de l’œil


Par l’entremise d’une microdémangeaison, la personne vous indique
si elle veut en savoir plus ou moins sur l’élément qui requiert un
coup d’œil. La seule exception se trouve à la zone numéro 5 qui
revêt une dimension émotionnelle.

Le sourcil, cet inconnu


Même s’il fait partie de l’œil, le sourcil possède une double
fonctionnalité  : le lien et le visuel. Souvent, lorsqu’une personne
insiste sur l’importance de son message, elle hausse les sourcils.
C’est comme si elle vous posait la question « Comprends-tu ce que
je te dis  ?  » Ce mouvement appuie l’intention d’établir une bonne
communication. Toutefois, sa nature dépend du sourcil qui intervient
de façon isolée. Un sourcil gauche surélevé fait place à une plus
grande proximité, à l’intérêt de mieux connecter avec l’autre.
Lorsque le sourcil droit se relève, l’individu veut se distancer.

Ensuite, on lui reconnaît une fonction visuelle. L’interlocuteur


sollicite un sourcil s’il souhaite revoir ou non une image comme si
elle était projetée dans sa tête. Les microdémangeaisons au niveau
des sourcils se remarquent facilement. Ainsi, en appliquant les
règles de lecture, nous obtenons les interprétations suivantes.

Sourcil droit Sourcil gauche

Mouvement vers l’extérieur

Je revois ou j’imagine des images qui Je revois ou j’imagine des images


me sont extérieures. Par exemple personnelles. Par exemple je revois
j’imagine une scène que l’on m’a décrite. l’endroit où j’étais la veille.

Mouvement vers l’intérieur

Je ne veux pas revoir ou imaginer des Je ne veux pas revoir ou imaginer des
informations visuelles qui me sont informations visuelles et personnelles,
extérieures. Par exemple on me suggère c.-à-d. le refus de revoir des souvenirs
d’imaginer la scène d’un accident. douloureux.

Voir au-delà
L’interprétation d’une microdémangeaison dans la région oculaire
laisse place à de nombreuses nuances et subtilités. Gardons les
choses simples et tenons-nous-en aux grandes lignes, les principes
qui guident la création de l’horizon de sens.

Les paupières supérieures et inférieures


Lorsque quelqu’un vous dit que vous vous êtes mis le doigt dans
l’œil, il suppose que vous n’avez pas compris. Autrement dit : vous
n’avez rien vu. Cette analogie illustre la personne qui exprime son
souhait (à gauche) ou sa détermination (à droite) de voir (position
ouverte) ou non (position fermée) quelque chose. Un contact au
niveau des paupières supérieures (en référence à ce qui est
apparent) ou inférieures (ce qui est caché) doit suivre une direction
pour indiquer l’intention. Ouvre-t-il la paupière pour mieux voir ou la
ferme-t-il  ? Par exemple, vous ne savez pas ce que cache votre
enfant qui se présente à vous les deux mains dans le dos et la
bouche pleine de crème au chocolat. Vous vous doutez bien de la
réponse, mais vous aimeriez quand même le voir. Vous pourriez
abaisser votre fente palpébrale droite pour percer le mystère. À la
limite, devant le mensonge innocent qu’il vous soumet en niant avoir
touché au gâteau, vous pourriez carrément tirer votre paupière
inférieure vers le bas en lui répondant gentiment « Mon œil ! » avec
un grand sourire. Ainsi, les microdémangeaisons de l’œil nous
donnent les résultats suivants.

Paupière droite Paupière gauche

Mouvement vers l’extérieur

J’aimerais ou je veux voir ce qui se J’aimerais ou je veux voir ce qui se


cache derrière ce que je vois. (Rationnel) cache derrière ce que je vois.
(Personnel)

Mouvement vers l’intérieur

Je n’aimerais pas ou je ne veux pas voir Je n’aimerais pas ou je ne veux pas voir
ce qui se cache derrière ce que je vois. ce qui se cache derrière ce que je vois.
(Rationnel) (Personnel)

Mouvement vers le bas

Accentue la volonté de voir. (Rationnel) Accentue le souhait de voir. (Personnel)


Le creux de l’œil
Lorsque la microdémangeaison ouvre l’œil vers le bas (flèches
descendantes), le désir de mieux voir persiste à la différence que le
mouvement se situe au centre du visage, ce qui en augmenterait
l’importance. En revanche, une microdémangeaison qui se
concentre directement au creux de l’œil (les deux points aux
extrémités de l’œil près du nez) implique une dimension
émotionnelle. Cela donne le résultat suivant.

Œil droit Œil gauche

Je crois que ce que je te dis te touche. Cela me touche et m’indispose.

11  Dramaturge, comédien, réalisateur, scénariste français, citations.ouest-france.fr


5
Les clignements des paupières

«  Comme les yeux savent parler quand il n’y a


plus de mots. »
Francine Ouellette12

Les paupières supérieures sont la partie mobile des yeux et le


réflexe de clignement les protège des corps étrangers13. Elles
empêchent aussi l’œil de se dessécher14 en répandant des
sécrétions, comme les larmes, sur la surface du globe oculaire. Les
cils, quant à eux, déclenchent un clignement des paupières au
moindre contact avec un objet ou un souffle d’air. Dès son premier
jour, le nouveau-né commence à cligner des paupières à une
fréquence aux alentours de deux clignements par minute15. Cette
fréquence s’accélère jusqu’à l’âge de quatorze ans environ pour
atteindre une quinzaine de clignements par minute. Elle demeurera
la même pendant toute sa vie d’adulte.

Dans l’analyse du langage corporel, le clignement des paupières


représente plus qu’un simple mouvement réflexe. C’est aussi un
indicateur de la manière dont on acquiert, gère et transmet de
l’information16. Les yeux expriment le rapport à soi et révèlent nos
émotions. Selon les circonstances, les gens clignent des paupières
lentement ou rapidement, beaucoup ou pas du tout. Par exemple,
pendant une entrevue, une personne stressée peut cligner plus
souvent des paupières. Cependant, après avoir repris confiance, le
niveau de stress et les clignements des paupières diminuent. Alors
comment analysons-nous le clignement des paupières ?

Entre autres choses, un individu cligne des paupières lorsqu’il


enregistre de l’information. Autrement dit, au moment d’acquérir une
donnée et de la stocker dans le cerveau, le clignement des
paupières fonctionne de la même manière que le bouton « entrée »
de votre clavier d’ordinateur.

Nous clignons aussi davantage des paupières lorsque nous


sommes émus. Est-ce l’accumulation des larmes qui sollicite les
paupières  ? Est-ce en raison de la difficulté de la situation  ? Les
deux ?

Cela dit, comment interpréter la haute fréquence du clignement


des paupières entre une personne qui engrange un grand nombre
d’informations et celle qui exprime une émotion forte ?
Il s’inscrit dans une liste d’items corporels afin d’en déduire le bon
horizon de sens. Un individu ému a les yeux plus humides,
contrairement à celui qui enregistre de l’information.

Le clignement des paupières ne se compare pas à la fermeture


totale ou partielle des yeux dont nous avons parlé dans la logique
cérébrale.
En revanche, une personne qui ne participe pas à la conversation
ou qui est perdue dans ses pensées (être dans la lune) arrêtera de
cligner des paupières. À l’opposé, dans les situations où elle
s’investit réellement, principalement lorsqu’elle fait preuve de
vigilance, la fréquence des clignements diminue, sinon cesse. La
raison paraît fort simple. Elle ne veut rien manquer de ce qui se dit.
Cela devient plus évident si elle sent le besoin de se protéger. Sans
entrer dans le détail, nous verrons que, dans la recherche du
mensonge, l’absence de clignement des paupières peut indiquer un
état de vigilance supérieure, alors que la personne qui vous répond
s’assure que vous gobiez son histoire17. De la même manière,
comment différencier quelqu’un qui s’évade dans l’au-delà d’un autre
à l’attitude particulièrement vigilante  ? La nature de la
communication vous fournira les indices nécessaires. L’individu qui
choisit la lune comme refuge n’engage pas, sinon peu d’interaction.
Il se trouve bel et bien en face de vous avec un regard absent. Ce
« décrochage » se remarque dans l’ensemble du visage, notamment
dans les yeux où les paupières inférieures auront tendance à être
plus détendues. Dans le cas contraire, dans un état de vigilance,
l’œil perce. L’interlocuteur ne veut rien manquer. Les yeux
deviennent plus crispés. Son regard vif se dirige directement sur
vous.

Le clignement des paupières et les émotions


Outre ses fonctions physiologiques, le clignement des paupières
participe en temps réel à la communication. Selon les circonstances
et à sa manière, il transmet une information d’ordre cognitif ou
émotionnel. Avec ce que nous savons jusqu’à maintenant, comment
pouvons-nous les catégoriser ?
Tout d’abord, nous avons établi que nous ne tenons pas compte
des mouvements conscients, comme les clins d’œil volontaires, ou
ceux qui sont issus d’un trouble physique, par exemple une paralysie
faciale. Ensuite, notre discussion sur la configuration des yeux
suggère qu’un œil peut paraître plus petit que l’autre en raison de
l’abaissement d’une paupière. Cette configuration peut apparaître
sur un seul œil ou les deux en même temps. Ici, la logique cérébrale
joue un rôle déterminant.
Finalement, il reste des clignements des paupières qu’on appelle
forcés et qui sont provoqués par une réaction physique prononcée.
Si on prend l’exemple du dégoût, les paupières, surtout la partie
inférieure des fentes palpébrales, se ferment par contraction des
joues.

En plus de ses fonctions physiologiques, ce micromouvement


nous indique le niveau de présence de la personne dans la
communication ou le degré d’émotion dans l’échange. Ainsi, le
clignement des paupières se déclenche de trois façons : spontanée,
volontaire ou réflexe. Puisque nous nous attardons aux gestes
inconscients, nous tentons d’évaluer la signification des clignements
spontanés des paupières.

La dimension émotionnelle nous fait réaliser un certain nombre de


choses. Sans égard aux raisons du clignement, la « fermeture » du
mouvement suggère beaucoup plus que le simple refus de voir et
illustre un fait scientifique très intéressant. Bien que temporaire et de
très courte durée, le clignement des paupières déconnecte certaines
parties du cerveau18. Il survient une désactivation des éléments du
système visuel, ce qui implique qu’on ne peut pas prendre
conscience de ses propres clignements. Cela suppose aussi qu’une
désactivation à répétition, comme dans le cas d’une fréquence
rapide de clignement des paupières, laisse libre cours à l’expression
de messages émotifs et de l’état psychologique de la personne.

Dans le cadre de ses travaux de doctorat en psychologie sur


l’effet de la musique sur la douleur, le docteur Mathieu Roy19 nous
apporte une lumière sur le clignement des paupières. Le scientifique
a cherché à vérifier l’incidence de la musique sur un réflexe
émotionnel, le clignement des paupières. Il soumet que si différentes
musiques pouvaient provoquer du stress ou de la joie, cela devrait
donc pouvoir s’observer sur le clignement des paupières. Ses
résultats confirment cette hypothèse. «  Avec la musique
désagréable, les clignements deviennent plus intenses, plus rapides
et plus fréquents qu’avec la musique agréable20. »

Les conclusions de ses recherches du domaine musical nous


interpellent dans la mesure où, selon l’approche du langage
corporel, une personne clignera des paupières à répétition pour
indiquer le passage d’une émotion négative. Faute de ne pas
pouvoir transposer cette réaction en photo, nous pouvons affirmer
que l’analyse de nombreuses vidéos nous a permis de constater que
lorsque l’on s’apprête à dire quelque chose de difficile, voire de
désagréable à l’égard de l’autre, on cligne des paupières
rapidement, et ce, au moins à deux reprises.

Présence et attention
Les yeux et le clignement des paupières nous en disent long sur la
qualité de la participation de notre interlocuteur dans la conversation.
Elle se divise en deux. En premier, nous parlons du niveau de
présence  : la qualité de l’implication. Une personne présente
interagit. Le vendeur qui s’acharne à vous convaincre qu’il vous offre
l’occasion du siècle ne rate pas l’opportunité de nourrir son propos et
de vous vendre sa salade. A contrario, combien de fois vos
arguments avec votre ado préféré se sont-ils heurtés à une absence
sans équivoque ?

Le deuxième état concerne le niveau d’attention  : la qualité de


l’interaction. Une personne attentive répond et communique avec
son interlocuteur de façon active et pertinente. À l’opposé, l’essentiel
du contenu de la conversation risque d’échapper à celui ou celle qui
de porte pas attention.

Dans un monde idéal, les gens discutent en restant présents et


attentifs. Ce faisant, les yeux et les sourcils bougent et réagissent
activement. Par analogie, on parle d’un état d’esprit spéculaire,
c’est-à-dire que, comme un miroir, il reflète bien l’aller-retour des
échanges. J’aimerais apporter une petite nuance. La présence et
l’attention n’excluent pas la possibilité d’un jeu de rôle. Un état
spéculaire n’empêche pas une communication, par exemple entre
deux personnes conquérantes ou soumises. Pour l’instant, restons-
en à la mobilité des yeux et des sourcils.
Toutefois, les niveaux de présence et d’attention varient à
l’intérieur d’un même échange. Indépendantes l’une de l’autre, la
présence et l’attention fluctuent au fil de la conversation. La
prédominance de l’une ou de l’autre modifie l’attitude de
l’interlocuteur. Vous parlez sans écoutez, vous écoutez ou parlez
sans regarder, autant de combinaisons qui influencent la qualité de
la communication.
L’absence d’attention ouvre deux possibilités. Dans l’exemple de
notre vendeur acharné, nous ne doutons pas de la qualité de la
présence et de l’attention des deux parties au moment de se
présenter l’une à l’autre. Toutefois, au fur et à mesure que le
vendeur argumente, son attention risque de diminuer tout en
demeurant aussi présent. Il devient spectaculaire, non pas par la
beauté du geste, mais plutôt par le déséquilibre entre sa présence et
son absence d’attention. Physiquement, il interagit avec vous, d’où
sa présence accrue. Malheureusement, son discours unidirectionnel
vise exclusivement à vous convaincre. Malgré l’échange verbal, il est
moins « attentif » à vos besoins.
Enfin, l’absence d’attention et de présence chez l’autre suggère
un état spéculatif. La personne fait le pari de participer à la
conversation sans s’impliquer.

Dans les deux cas précédents, l’absence d’attention se


remarque, entre autres choses, par l’absence de clignement des
paupières et une réduction des réactions au niveau du visage. Vous
l’aurez deviné, dans le dernier exemple, il n’y a pratiquement aucune
participation.

Focus
Les yeux maintiennent ou coupent le lien pendant la communication.
Comme je l’ai mentionné, la configuration fournit sa part de
message. En ce qui a trait aux clignements des paupières, ils
indiquent le niveau de participation dans l’échange. Aussi, la qualité
du regard ajoutera à votre appréciation de l’implication de l’autre.
Lorsque vous discutez avec quelqu’un, vous savez si votre
interlocuteur vous regarde réellement. Quelqu’un peut se placer droit
devant vous, les yeux dans votre direction (nous parlons de
focalisation du regard) et vous sembler complètement déconnecté.
De la même manière, une personne pourrait ne pas vous regarder,
donc défocaliser, tout en participant à la discussion. Nous parlons ici
de regards actifs ou passifs.

Un «  voyage dans la lune  » s’accompagne habituellement d’un


mode passif, peu importe s’il se dirige vers vous (focalisation) ou
vers l’extérieur (défocalisation).
Nous préférons tous un regard franc, participatif et impliqué dans
la conversation, autrement dit, une focalisation active. Mais ne
croyez pas que le caractère actif de la focalisation sur vous signifie
inévitablement l’honnêteté, la sincérité et l’authenticité. La personne
qui tente par tous les moyens de vous convaincre de gober son
entourloupe focalisera de façon très active. De la même manière,
celle qui cherche à ne pas se tromper dans son histoire, dont vous
doutez de la véracité, pourrait regarder ailleurs (défocalisation),
toujours en mode actif, pour trier les éléments de son récit. Elle
regarde à l’extérieur, mais apparaît vraisemblablement très
concentrée. Ce n’est pas parce que quelqu’un vous regarde droit
dans les yeux que vous devriez donner à l’autre l’absolution sans
confession, surtout dans le cas d’une participation active des
sourcils et peu de clignements des paupières.

12  Écrivaine canadienne.


13  De l’œil au cerveau, quelques aspects de la vision, Séquence 8, SN012,
CNED — Académie en ligne.
14  Andreas Bulling, Jamie A. Ward, Hans Gellersen, Gerhard Tröster, Eye Movement
Analysis for Activity Recognition.
15  Stephen Juan, Why do babies blink less often than adults ?
www.theregister.co.uk/2006/06/30/the_odd_body_blinking/, 30 juin 2006.
16  Daniela Palomba, Michela Sarlo, Alessandro Angrilli, Alessio Mini, Luciano Stegagno,
Cardiac responses associated with affective processing of unpleasant film stimuli,
International Journal of Psychology 36(1), PubMed, Avril 2000, pp. 45–57.
17  Je rappelle que l’analyse du langage corporel n’est pas un détecteur de mensonges.
Elle sert principalement à noter les contradictions entre les gestes et la parole. Le
dernier chapitre sur le mensonge vise justement à démystifier cette croyance. Dans les
circonstances, l’identification des contradictions permet le développement d’un meilleur
questionnement pour s’assurer de la véracité des faits, de l’authenticité de la
communication.
18  Davina Bristow, John-Dylan Haynes, Richard Sylvester, Christopher D. Frith, Geraint
Rees, Blinking Suppresses the Neural Response to Unchanging Retinal Stimulation,
Current Biology, Vol. 15, Juillet 2006, pp. 1296–1300.
19  Mathieu Roy, Jean-Philippe Mailhot, Nathalie Gosselin, Sébastien Paquette, Isabelle
Peretz, Modulation of the startle reflex by pleasant and unpleasant music, International
Journal of Psychophysiology, 2008.
20  op. cit.
6
Les yeux et le cerveau

«  Une rengaine, c’est un air qui commence par


vous entrer par une oreille et qui finit par vous
sortir par les yeux.  »
Raymond Devos21

Nous réalisons que les yeux représentent plus qu’un simple


instrument optique. Avec les états de présence et d’attention, ils
servent aussi à écouter. À tout le moins, ils vous indiquent la qualité
de la participation de votre interlocuteur. Encore plus intéressant, ils
appuient la réflexion et, avec ce constat, j’ouvre une toute nouvelle
partie sur leur rôle dans le langage corporel. Nous avons déjà une
petite idée de leur contribution avec le clignement des paupières.
Avec les prochains chapitres qui portent sur les mouvements
oculaires, nous comprendrons mieux l’efficacité de l’intervention des
yeux dans le processus de réflexion.

Essentiellement, nous puisons l’information (il peut s’agir d’une


image, d’un son ou d’un bruit, d’une émotion, etc.) en regardant
dans la direction qui correspond à la source où elle se trouve. Les
yeux vont aussi vous indiquer de quelle manière la personne
construit sa réponse avant qu’elle ne vous la transmette
verbalement. Et c’est là toute la beauté de la chose.

Je vous propose de nous attarder sur le rappel des images. Sans


tomber dans la synthèse scientifique, nous savons que les
informations de nature cognitive entraînent le regard vers le haut
alors que, par défaut, les émotions appellent le regard vers le bas22.
Avec cette seconde partie sur les mouvements oculaires, nous
ouvrons la porte à un tout autre univers, depuis la formation
d’images jusqu’à la création de la mémoire en passant par la gestion
de la communication et les modes d’apprentissage.

Les yeux et le cerveau


Voyons comment les yeux forment notre image du monde. Je ne
suis pas ophtalmologiste et encore moins neurologue. Mon objectif
consiste à vulgariser les résultats des nombreuses recherches sur
les mouvements oculaires et la nature des informations recueillies
des suites de ces mouvements pour les appliquer à l’analyse du
langage corporel23.
La direction de la fuite du regard indique si la source de
l’information revêt un caractère cognitif, auditif ou émotionnel. Mais
où les yeux vont-ils la puiser dans notre cerveau  ? Quels stimuli
déclenchent les mouvements oculaires et facilitent l’acquisition des
connaissances, l’apprentissage et le rappel de l’information  ? Voilà
quelques pistes d’intérêt qui guideront notre compréhension des
mouvements oculaires.

Notre perception du monde

Si on réduit le processus visuel en deux étapes, la création d’images


résulte d’une stimulation des photorécepteurs rétiniens qui sont à
l’origine des messages nerveux. Prenons l’exemple de cette
magnifique pointe de gâteau au chocolat en guise de stimulus.
Ensuite, il se produit une construction mentale à partir des
messages nerveux reçus au niveau du cerveau24.
Les messages nerveux, qui proviennent de la rétine de chaque
œil, aboutissent au cortex occipital, qui se trouve à l’arrière du
cerveau, un peu comme un projecteur qui lance son image sur un
grand écran. Après réception, des aires spécialisées prennent
l’information en charge et la décryptent en fonction de leur
expertise25.

L’objet visuel se retrouve donc en position antérieure (cortex


occipital). À ce moment-ci, ce n’est pas une idée que vous avez
derrière la tête, mais plutôt une image. Aussitôt projetée, elle
chemine vers l’avant et les neurones qui semblent stimulés par cette
image oscillent entre deux niveaux (inférieur et supérieur)26.

En raison de sa spécificité, chaque lobe gère les informations


dans le but de les concrétiser. D’un côté, les neurones qui sont
localisés dans le lobe supérieur, c’est-à-dire dans le cortex pariétal,
vont s’activer pour tenter de reconnaître la dimension spatiale de
l’objet. Lorsque vous vous rappelez une situation complexe, par
exemple un voyage, cette partie du cerveau entre en jeu et s’occupe
de la dimension géographique et physique de votre souvenir27. À ce
stade, il est trop tôt pour savoir si cette région initie le mouvement
oculaire vertical quand les gens réfèrent à des informations de
niveau cognitif. Nous nous trouvons encore au niveau de la
perception qui exige la contribution d’autres régions cérébrales.

J’ai mentionné précédemment que les neurones oscillaient entre


divers niveaux hiérarchiques. La stimulation requiert aussi les
services du cortex temporal qui représente la voie dorsale de la
reconnaissance. Il traite les formes et les couleurs. D’autres régions
participent également aux fonctions de perception, notamment, le
gyrus fusiforme qui entre en jeu lors de la reconnaissance des
visages. Grosso modo, voilà le chemin parcouru par l’information.
Mon approche peut vous sembler simpliste, et sûrement pas
scientifique, mais cette vulgarisation résume deux choses  : 1) la
transmission et la perception d’une image depuis les yeux jusqu’au
cerveau et, 2) le processus de création, de stockage et de rappel.
C’est une bien modeste entrée en matière sur le fonctionnement de
la mémoire.

La mémoire, une faculté qui entrepose


Pour l’instant, je m’attarde à ce qui concerne le niveau cognitif qui
représente l’essentiel des recherches sur les mouvements oculaires
et sur la mémoire. À ma connaissance, peu, sinon aucune étude n’a
porté sur la relation entre les mouvements oculaires et les stimuli
d’ordre émotif.

À quoi sert la mémoire  ? Sans nous en rendre compte, nous


prenons beaucoup de choses pour acquises. Sans effort, nous
pouvons tous nous rappeler l’image d’une chaise, d’un coucher de
soleil ou un air de musique. Vous ne vous émerveillez pas de la
facilité avec laquelle vous décrivez à quoi ressemble votre chien ou
récitez quelques lignes d’une fable de La Fontaine. Vous les avez
apprises et mémorisées. Au moment de ramener ces choses à votre
esprit, vous sollicitez votre mémoire et vos yeux bougent dans un
sens ou dans l’autre au rappel de cette information.

Le processus mnémonique passe à travers quatre étapes, tel


qu’illustré par les chercheurs Atkinson et Shiffrin en 1968.
Premièrement, il y a le stimulus, l’«  input  », qui provient de votre
environnement. La première fois que vous avez mis vos mains sur
une chaise à l’aube de vos premiers pas, il y a de fortes chances
que vous n’aviez aucune idée du mot associé à cet objet, mais son
image vous était maintenant acquise. Lorsque vous avez appris que
le mot «  chaise  » correspondait à cette chose, vous avez
immédiatement établi le lien. Dorénavant, dès que vous entendrez
«  chaise  », vous solliciterez votre mémoire, sans égard aux
différentes images que vous aurez entreposées, en utilisant les
mêmes canaux cérébraux. Ensuite, telle la mémoire vive d’un
ordinateur, la mémoire sensitive agit comme première étape pour
toute information entrante. Ce processus dure quelques fractions de
seconde, voire quelques secondes. Mais aussitôt entrée, aussitôt
sortie. Elle transite vers la mémoire à court terme. Cette troisième
étape de mémorisation peut contenir entre 5 et 7 items et s’active
pendant 15 à 30 secondes. Finalement, la mémoire à long terme
gardera de grandes quantités de données pendant plusieurs
années, même des décennies28. C’est le grenier de nos souvenirs.

Nous n’avons pas encore considéré les images fabriquées de


toutes pièces. Imaginer le père Noël en maillot de bain sur une
planche de surf ou votre chien en train de vous préparer le souper
demande de la créativité. Cette illustration vous était étrangère. Vous
avez dû vous former une image et l’acquérir avant de l’entreposer
dans votre bibliothèque personnelle.

Ce processus d’imagerie sollicite les parties du cerveau reliées à


la perception visuelle et, par analogie, à la compréhension du
langage, alors que l’action utilise celles reliées à l’action29. En
gardant à l’esprit notre principal objectif d’établir le lien entre les
mouvements oculaires et les régions cérébrales, reprenons les
étapes de la mémorisation, depuis l’input jusqu’à la mémoire à long
terme.

Dans quel tiroir ai-je stocké l’information ?


Nous savons que les images que nous avons entreposées dans
notre mémoire résultent de l’acquisition d’une connaissance réelle
ou du fruit de notre imagination. Mais est-ce que ces images se
retrouvent au même endroit dans notre cerveau ?

Le souvenir d’expériences antérieures et l’imagination


d’événements futurs utilisent un réseau de régions cérébrales
commun qui inclut les régions pariétales médiales, les régions
préfrontales et latérales, les régions temporales médiales et
temporales, les régions visuospatiales postérieures et la région
gauche de l’hippocampe. Retenez simplement les principales
régions, nommément, les régions pariétales et temporales, et
ajoutez-y un petit nouveau : l’hippocampe.

Les scientifiques se sont creusé la tête à fouiller dans la nôtre


pour constater que le processus de visualisation d’événements
futurs requiert l’activation du côté droit de l’hippocampe. En ce qui a
trait aux événements passés, c’est le côté gauche qui intervient30.
On a demandé à des participants de fabriquer un événement futur
en tentant d’être le plus précis possible. On cherchait à identifier
quels centres neuraux entraient en jeu. Ils en sont venus à la
conclusion que l’exercice engage principalement le côté droit de
l’hippocampe. Retenez bien cette particularité lorsqu’il sera question
des quadrants des yeux, un peu plus loin dans cet ouvrage.

Étonnamment, l’élaboration des détails a entraîné un


chevauchement marqué des régions, y compris celles impliquées
dans la mémoire autobiographique, les références personnelles et
l’imagerie d’épisode et de contexte31. Autrement dit, même en
fabriquant un événement futur, les sujets ont sollicité le souvenir
d’images ou d’événement passés. Il restait donc vérifier si
l’encodage de l’événement futur, c’est-à-dire l’acquisition et
l’intégration d’un événement nouvellement créé, avait réussi. Étant
donné la complexité du processus visuel, les chercheurs ont dû
confirmer cet encodage en observant la participation d’autres
régions, notamment les régions postérieures et antérieures droites
de l’hippocampe, par l’exécution de fonctions communes connectées
à un réseau comprenant le gyrus parahippocampique et diverses
régions corticales.

Si cet encodage ne se réalise pas, seul l’hippocampe antérieur


communique avec le réseau précédent. Malgré cela, sans solliciter
nécessairement l’ensemble du réseau, vous pouvez quand même
entreposer les images, fruit de votre imagination, dans votre
mémoire32. Une première hypothèse commence à se dessiner. Au
moment du rappel, les yeux bougent. Considérant la différence entre
un événement passé et un événement futur, et les nombreux
systèmes neuraux qui entrent en jeu dans l’un ou l’autre des cas,
force est de croire qu’ils ne se déplaceront pas dans le même sens
selon que l’image fait partie de votre passé ou résulte d’une pure
fabrication.

Bien que nous tentions de trouver la différence entre le passé et


le futur en nous référant aux fuites du regard, le fait que quelqu’un
puisse ajouter des images réelles à une image créée complique la
donne. Impossible, pour l’instant, d’affirmer avec certitude que votre
interlocuteur fait appel à son souvenir, sinon à son imagination sur la
seule base des mouvements oculaires.

Vous comprenez que l’objectif consiste à établir un lien entre la


direction des mouvements oculaires et un point géographique ou
physique d’une région cérébrale. Mais la recherche ne permet pas
de définir l’endroit précis où l’on peut retrouver une information. Par
exemple, si une région spécifique du côté gauche de votre cerveau
entreposait une image réelle, nous pourrions plus facilement
expliquer pourquoi les yeux regardent vers la gauche lorsque la
personne se remémore un événement passé.

Nous devons reconnaître que les tests ont porté essentiellement


sur des notions cognitives. L’observation des mouvements oculaires
vers le haut confirme le lien entre le déplacement vertical du regard
et la dimension cognitive. Ce n’est que par défaut que l’on conclut
que la fuite du regard vers le bas suscite une dimension émotive.
Toutefois, cela n’exclut pas qu’un mouvement vers le haut puisse
aussi être associé à une émotion. Ainsi, à la lumière de notre
compréhension sur le fonctionnement du cerveau en mode rappel,
peut-on encore démontrer comment il influence la direction du
mouvement oculaire en fonction de la nature de l’information ?

21  Comédien belge, album Ouï-dire, Universal Music, 1977-1982.


22  La relation regard vers le haut pour le cognitif et vers le bas pour l’émotionnel n’est pas
immuable. Peu d’exemples confirment la recherche cognitive vers le bas, mais
plusieurs observations empiriques ont démontré des fuites du regard vers le haut dans
un contexte émotionnel.
23  Les recherches en optométrie, en neurologie et en psychologie portant sur les yeux et
les mouvements oculaires sont nombreuses et diversifiées. L’analyse du langage
corporel s’appuie sur une grande quantité de ces recherches.
24  CNED, De l’oeil au cerveau: quelques aspects de la vision, Séquence 8, Académie en
ligne, SN 12, p. 43.
25  Ibid., p. 53.
26  Andrez Bordziak, A Current Model of Neural Circuitry Active in Forming Mental Images,
« Medical Science Monitor », 2013, no 19, p. 1149.
27  Ibid., p. 1150.
28  Tiango Lourenço, Synthèse, psychologie cognitive 2011, Université de Lausanne, p. 11.
29  Roel M. Willems, Daniel Casasanto, Flexibility in embodied language understanding,
« Frontier in Psychology », Juin 2011, Vol. 2, Article 116, p. 4.
30  Andrez Bordziak, A Current Model of Neural Circuitry Active in Forming Mental Images,
« Medical Science Monitor », 2013, no 19, p. 1151.
31  Ibid.
32  Ibid., pp. 1151–1152.
7
Les saccades

«  Elle n’a pas seulement des yeux qui voient,


elle a des yeux qui montrent. »
Daniel Pennac33

Pour l’instant, nous avons cheminé depuis «  l’input  » jusqu’à


l’entreposage et nous avons déterminé les régions cérébrales
impliquées dans le processus de rappel. Il manque encore le lien
entre la direction du mouvement oculaire et les endroits précis, dans
le cerveau, qui semble donner aux yeux les instructions de se
déplacer dans un sens ou dans l’autre.
En 2012, Ehrlichman et Micic suggéraient que la relation
« mouvement oculaire » et « mémoire à long terme » était le fruit de
l’évolution historique du cerveau34. Étant donné que le
développement de nouvelles structures ne se fait pas au détriment
d’anciennes, mais plutôt se construit sur une base existante,
Ehrlichman et Micic soumettent l’hypothèse que l’habileté à
récupérer une information mémorisée à long terme se serait
développée dans un système neural déjà en place et permettrait le
rappel dans un environnement visuel. Certains participants ont émis
le commentaire à l’effet qu’ils bougeaient constamment les yeux en
essayant de retrouver une réponse dans leur tête. Cette analogie
soutient la théorie de l’existence d’un circuit neural qui implique la
mémoire à long terme et le mouvement oculaire35. Des recherches
contemporaines appuient maintenant cette thèse que la mémoire à
long terme peut initier un mouvement oculaire36. Mais avant
d’identifier cet élément déclencheur, c’est-à-dire le lien entre la
source de l’information et la direction du mouvement, tentons de
comprendre ce que signifient un mouvement oculaire, une saccade,
et quelles sont ses fonctions ?

Pourquoi nos yeux bougent-ils lorsque nous


parlons ?
La recherche sur les mouvements oculaires date des années
Woodstock. Elle voit le jour sous la rubrique «  phénomène du
mouvement latéral des yeux ». Au début, on remarque que les gens
fuient temporairement leur interlocuteur du regard lorsqu’ils
répondent à une question. Cette «  fuite du regard  » correspond à
une réponse motrice déclenchée par l’asymétrie de l’activation des
hémisphères cérébraux. Rappelez-vous le chapitre sur la logique
cérébrale. Les chercheurs de l’époque suggéraient qu’un
mouvement oculaire vers la droite se produit lorsque la personne
répond à une question d’ordre rationnel, par exemple de type verbal,
en raison de l’expertise de l’hémisphère gauche. Ainsi, quand
l’hémisphère droit engendrait une fuite du regard vers la gauche, la
réponse devait se rapporter à une information visuelle, comme une
image37. Malheureusement, l’hypothèse de l’activation des
hémisphères croisés n’a jamais pu être prouvée. Le résultat de la
plupart des tests ne dépassant pas le seuil de 50 %, l’absence de
différenciation entre les mouvements verticaux et horizontaux, et le
compte non tenu de l’influence de l’environnement38 expliquent en
partie les raisons qui discréditent cette théorie39. Donc, la logique
cérébrale peut justifier l’autocontact sur un œil, mais pas les
mouvements oculaires. Cette idée, moins saugrenue qu’on le croit,
est peut-être tout simplement mal interprétée40,41. Dans tous les cas,
elle encouragera d’autres travaux qui préciseront le mécanisme de
la fuite du regard.

Ainsi, la question demeure entière. Quelle est la raison de ces


mouvements  ? Pourquoi les personnes ne se regardent-elles pas
continuellement ? Une des réponses propose que le regard soutenu
vers l’interlocuteur distraie et rende la réflexion plus difficile.

Plusieurs recherches empiriques appuient cette théorie,


notamment celles portant sur la fuite du regard. Elles ont démontré
qu’elle peut survenir pour libérer les ressources cognitives, surtout
lorsqu’un individu doit réfléchir plus profondément avant de
répondre42. À ce moment-ci, on se pose tous au moins deux
questions. Premièrement, est-ce que la direction a une incidence sur
la réflexion ou la nature de l’information ? Deuxièmement, est-ce que
le mouvement oculaire sert à autre chose qu’à réfléchir et nous
empêcher de nous mettre le pied dans la bouche ?

Les yeux ne regardent pas nécessairement chaque fois qu’ils


focalisent sur un objet ou une personne. Les recherches sur les
mouvements oculaires proposent trois types de regard43.

Tout d’abord, on reconnaît le regard spontané. Ce regard


correspond en quelque sorte à la réponse «  Non merci, je ne fais
que regarder  » que vous donnez en magasin, par exemple.
Différents stimuli, comme les nouveautés, la complexité et
l’incongruité, déclenchent le mouvement oculaire du regard
spontané. C’est un peu comme le magasinage. Des éléments tels
les formes et les contours attirent l’œil. Vous remarquez ce qui vous
saute aux yeux.

Ensuite, il y a le regard intéressé, celui qui vise un objectif.


Contrairement au regard spontané, il recherche une information bien
précise.
Finalement, il nous reste le regard en réflexion, celui de quelqu’un
qui ne semble pas attentif. Prenez garde, ce manque apparent
d’attention peut aussi signifier une réflexion interne. Lorsqu’on
demande à quelqu’un d’épeler son prénom à l’envers, ses yeux
bougeront de la droite vers la gauche, comme s’il visualisait le mot et
récitait les lettres.

Au surplus, nous pourrions ajouter le regard manipulateur, celui


qui cherche à modifier l’élément d’une scène quelconque. D’ores et
déjà, vous réalisez que ces types de regard rejoignent les notions de
focalisation et de défocalisation actives et passives que j’ai
précédemment soulevées.

Ainsi, certains types de regard remplissent des fonctions


précises, sinon utiles, comme pour les mouvements oculaires. Au
début, j’ai mentionné que les premières recherches, même peu
concluantes, ont quand même motivé d’autres analyses qui nous
permettent de mieux comprendre le rôle des fuites du regard. Au
début des années 2000, des cerveaux plus contemporains ont
proposé trois types de mouvement oculaire44. Le premier type de
mouvement oculaire représente l’activité principale des yeux, c’est-
à-dire de voir, de regarder son interlocuteur pendant la conversation.
C’est le contact visuel qu’on pourrait aussi associer à la focalisation
active.

Le deuxième type de mouvement oculaire s’appelle le geste


déictique. Ce regard sert à montrer. La personne « pointe » avec ses
yeux et non avec son doigt. Celle qui pose ce geste ne s’implique
pas dans la conversation. Sa réaction l’amène à regarder ce à quoi
elle va faire référence dans la seconde qui suit. Ce mouvement
pourrait s’associer à la défocalisation active. Mais gardons une
marge de manœuvre dans l’interprétation du rapprochement. En
effet, dans certaines occasions, notamment dans le cas de réponses
qui relèvent du domaine socioaffectif, les yeux se déplacent vers la
gauche ou vers la droite en parlant de choses positives ou
négatives, de préférences ou de déplaisirs. La fuite des yeux peut
aussi jouer un rôle dans l’expression diachronique d’une réponse où
les événements passés se situent plutôt à gauche alors que les
événements futurs tendront plus vers la droite. La défocalisation
devient donc passive lorsque la personne « voit » l’image qui illustre
son propos en utilisant ses yeux comme un pointeur. Dans tous les
cas, les yeux montrent de la même manière que votre index ou votre
main.

Finalement, il reste le geste non déictique. Ce mouvement des


yeux sert essentiellement à écarter de l’information en délestant une
surcharge cognitive et faire place à la réflexion. C’est probablement
la meilleure représentation de l’expression « fuite du regard45 ». Les
chercheurs poursuivent en affirmant que la remémoration requiert
une double tâche  : 1) le rappel lui-même et 2) l’attention à
l’environnement pour toute indication non liée mais pertinente. Plus
la tâche s’annonce difficile, plus les ressources se mobilisent vers la
tâche du rappel. Alors pourquoi un exercice de récupération
d’information cognitive entraîne-t-il un tel mouvement ? Parce que la
fuite du regard permet à un individu de se détacher momentanément
de son environnement actuel et de faciliter son rappel46.

Les mouvements oculaires participent à la communication,


incluent la réflexion et la gestion de l’information. Nous n’avons pas
encore identifié le lien entre la direction du mouvement oculaire et la
région du cerveau susceptible de le déclencher. Toutefois, sa
manifestation reste significative, surtout au niveau des mouvements
inconscients, et demeure utile en analyse du langage corporel. Ce
sont des mouvements personnels initiés par soi et non par l’autre. À
preuve, des recherches similaires portent sur les mouvements
oculaires d’individus qui parlent à une représentation virtuelle d’une
personne47. Les résultats convergent avec ce que nous venons de
voir.

Les fuites du regard48 et le cognitif


Nous bougeons constamment les yeux. Ce n’est pas un tic nerveux,
encore moins de la gymnastique oculaire. Ces fuites du regard nous
aident à gérer l’information ou la situation. En fait, les chercheurs
leur attribuent trois rôles  : la recherche cognitive, la gestion de
l’intimité et l’alternance de la prise de parole49.

Lorsqu’on vous demande de vous rappeler un paysage, un décor


ou d’exécuter un calcul mental, vous fuyez du regard avant de
répondre. Pour l’instant, nous ne nous attardons pas à la direction
de la fuite du regard. Nous comprenons seulement que la recherche
cognitive provoque cette fuite. Ce mouvement du regard vous
permet de vous détacher de l’autre pour faciliter le rappel de
certaines informations. Aussi, plus la question est compliquée, plus
la réponse est élaborée, plus longtemps durera la fuite du regard50.

Le second type de fuite du regard survient lorsque quelqu’un vous


«  dévisage  ». Le regard soutenu d’un interlocuteur peut vous
importuner. Ce geste se compare à une invasion contre laquelle
vous vous protégez par l’entremise de la fuite du regard. Cette
gestion de l’intimité effectue une coupure dans l’échange, une
cassure du lien pour vous permettre de retrouver votre zone de
confort.

Finalement, pendant la conversation, une tierce partie cherchera


à prendre la parole. Pendant son propos, vous utiliserez la fuite du
regard pour lui indiquer que vous souhaitez ne pas être
interrompu51. Ainsi, la personne qui désire intervenir ne peut pas
attirer votre attention pendant cette fuite du regard. On l’appelle le
« turn-taking ».

Ces trois fonctions remplissent un rôle bien précis pour trois types
d’intervention et à des moments différents. Par exemple,
l’expérimentation tend à démontrer que le mouvement oculaire au
niveau cognitif s’exécute avant la réponse alors que la fuite de type
« turn-taking » s’active pendant que l’autre parle.

En ce qui a trait à la gestion de l’intimité, bien que cette fuite du


regard survienne pendant la réponse52, restez prudent au moment
de l’analyse. Les tests n’ont vraisemblablement pas permis de
vérifier s’il s’agissait plutôt d’une recherche cognitive additionnelle.

La fuite du regard et la réflexion


Le lien entre la fuite du regard et la recherche cognitive ne laisse
plus de doute. Malgré le peu de littérature sur cette question,
l’essentiel des travaux répertoriés jusqu’à maintenant tend à
confirmer ce lien. Toutefois, des scientifiques se sont penchés sur le
lien entre la fuite du regard et le processus interne de réflexion. Ils
soutiennent qu’elle la facilite dans la mesure où elle réduirait la
charge cognitive53. En moyenne, les individus bougent leurs yeux
deux fois plus souvent lorsqu’ils ont recours à leur mémoire à long
terme que pour les autres tâches n’exigeant pas d’exercice
mnémonique. Ce mouvement peut aussi s’exécuter quand les
personnes se placent face à face, dans la noirceur et les yeux
fermés54. Étant donné qu’il ne remplit pas de fonction visuelle, les
chercheurs parlent de «  regard non visuel55  ». En analyse du
langage corporel, nous pourrions dire défocalisation.
Certains d’entre eux demeurent perplexes quant à la définition de
la fonction «  non visuelle  » chez les sujets qui avaient les yeux
fermés56. Toutefois, les résultats des tests ont démontré de
meilleures performances aux questions mathématiques quand les
participants répondaient après avoir fermé les yeux, et moindres si la
fuite du regard se dirigeait vers un stimulus visuel. Les résultats les
plus faibles apparaissaient lorsqu’ils regardaient le chercheur
directement dans les yeux57. On observe le même résultat chez les
enfants58, malgré la différence de fréquence du mouvement des
yeux chez les enfants de moins de six ans.

On a noté, tant chez les enfants de onze ans que chez les
adultes, une fuite du regard principalement vers le haut lorsqu’ils
répondaient à des questions de nature cognitive. Les chercheurs
croient au lien entre les mouvements oculaires latéraux et la pensée.
Ils soutiennent que les deux utilisent le mécanisme neural qui se
trouve dans le cortex préfrontal latéral et dans d’autres régions
corticales associées aux mouvements des yeux59. Cela tend à
corroborer la dimension cognitive des quadrants visuels tant en
analyse du langage corporel qu’en programmation neurolinguistique
et confirme la signification du mouvement oculaire vers le haut.
Se déconnecter cognitivement de son environnement exige des
efforts et justifie la fuite du regard. Cela dit, l’effort physique requis
semble moindre que celui nécessaire pour ignorer consciemment
son environnement alors qu’il nous bombarde d’informations60.

Ainsi, nous pouvons confirmer l’existence de mouvements


oculaires significatifs et utiles surtout au moment de la réflexion.
Seulement, en raison de la concentration des tests portant
essentiellement sur des questions d’ordre cognitif, nous n’avons pas
trouvé d’équivalence lorsque les fuites du regard interviennent
pendant le rappel des émotions.

Les recherches de Joseph Le Doux sur le « cerveau émotionnel »


discutent des circuits et des fonctions cérébraux dans l’intégration
d’émotions. Cependant, elles ne permettent pas encore d’établir un
lien entre le point d’origine au niveau cérébral et le mouvement
oculaire. Le neuroscientifique mentionne clairement que les
mécanismes cérébraux sous-jacents à la conscience émotionnelle et
aux sentiments humains sont très peu connus, parce que la
principale difficulté réside dans l’incapacité à les mesurer61. On ne
pourra confirmer ce même type d’appui qu’en démontrant que le
réseau neural intervient autant dans le cognitif que dans l’émotif.
Pour le moment, nous devons nous satisfaire du constat que les
mouvements oculaires consistent à faciliter le rappel au niveau
cognitif et pour la réflexion.

En dépit des nombreux efforts scientifiques, il existe peu ou pas


de travaux qui ont trait à la direction spécifique des mouvements
oculaires. Autrement dit, impossible, sur la base des recherches
actuelles, d’établir si le caractère visuel, auditif ou émotionnel de
l’information influence la fuite du regard. Au surplus, nous n’avons
pas trouvé de référence concernant les mouvements oculaires dans
des conditions qui n’exigent aucune réflexion62, les moyens
d’évaluer ou d’analyser ces mouvements n’existant tout simplement
pas.

Nous tenons pour acquise l’amélioration de la mémoire à court


terme au moment de se rappeler une information visuospatiale
quand la personne regarde vers la gauche. Le mouvement vertical
ne semble pas influencer la performance, mais on reconnaît
néanmoins une activation des régions de l’hémisphère droit qui
contribue à la mémoire visuospatiale63. Au mieux, les participants
utilisant une stratégie visuelle obtiennent de meilleurs résultats
lorsque la fuite du regard se dirige dans le quadrant supérieur
gauche64.

Bref, nous savons que les saccades, les fuites du regard,


permettent de modifier la direction du regard. Elles se déplacent de
façon horizontale, verticale ou oblique. La plupart des recherches
démontrent que ces mouvements vont dans des sens différents,
présentent les éléments déclencheurs et identifient les zones
cérébrales qui entrent en jeu65. Malheureusement, nous ne pouvons
pas rattacher ces mouvements à une dimension visuelle, auditive ou
émotionnelle. Nous devons donc nous en remettre aux observations
empiriques qui, en tenant compte du contexte, nous permettent de
valider la direction d’une fuite du regard et la dimension sollicitée.
Pour ce faire, nous devons comprendre le principe des quadrants
visuels.

33  Écrivain français, citation de Monsieur Malaussène (1995), dicocitations.lemonde.fr/


reference_citation/77006/Monsieur_Malaussene_1995_/20.php
34  Howard Ehlichmand, Dragana Micic, Why do people move their eyes when they think ?,
« Current Directions in Psychological Science », 2012, p. 98.
35  Ibid.
36  Ibid., p. 99.
37  Ibid., pp. 96–97.
38  Dans l’analyse du langage corporel, il faut tenir compte de l’environnement dans lequel
l’interlocuteur se trouve. Certains facteurs, comme un obstacle, un mur ou une fenêtre,
peuvent influencer le mouvement oculaire dans le sens contraire. Ces obstacles
s’appellent des « biais systémiques ».
39  J.G. Beaumont, A. W. Young, I. C. McManus, Hemisphericity : A critical view,
« Cognitive Neuropsychology », 1984, no 1 (2), p. 195.
40  Ibid., p. 197.
41  Benjamin C. Storm, Arturo E. Hernandez, Cognitive Consequence of Asymmetrical
Visual Distraction, « The Journal of General Psychology », 2007, Vol. 134 (4), p. 421.
42  Howard Ehrlichman, Dragana Micic, Why do people move their eyes when they think ?,
« Current Directions in Psychological Science », 2012, p. 96.
43  Daniel Kahneman, Attention and Effort, Prentice Hall, New Jersey, 1973.
44  Louis-Philippe Morency, C. Mario Christoudias, Trevor Darrell, Recognizing Gaze
Aversion Gestures in Embodied Conversational Discourse, « ICMI », Nov. 2006, p. 2.
45  Note de l’auteur. Dans le cadre des recherches sur les mouvements oculaires, on utilise
aussi le terme « saccade ». Nous ne savons pas s’il existe une différence entre la fuite
du regard et les saccades bien que certaines recherches me portent à croire que les
saccades correspondent à des mouvements oculaires dont fait partie la fuite du regard.
Aux fins du présent travail de recherche, j’emploierai les différents termes de
mouvements oculaires sans distinction en favorisant l’expression « fuite du regard »
dans le contexte de la défocalisation passive.
46  Arthur M. Glenberg, Jennifer L. Schroeder, David A. Robertson, Averting the Gaze
Disengages the Environment and Facilitates Remembering, « Memory & Cognition »,
1998, Vol. 26 (4), p. 657.
47  Louis-Philippe Morency, C. Mario Christoudias, Trevor Darrell, Recognizing Gaze
Aversion Gestures in Embodied Conversational Discourse, « ICMI », Nov. 2006, p. 1.
48  Je me penche essentiellement sur le rôle du geste non déictique, autrement dit la fuite
du regard, et de l’intérêt qu’il représente dans la recherche d’une meilleure
compréhension de la communication et du message de son vis-à-vis.
49  Sean Andreist, Bilge Mutly, Michael Gleicher, Conversational Gaze Aversion for Virtual
Agents, Article indépendant, p. 1.
50  Arthur M. Glenberg, Jennifer L. Schroeder, David A. Robertson, Averting the Gaze
Disengages the Environment and Facilitates Remembering, « Memory & Cognition »,
1998, Vol. 26 (4), p. 652.
51  Sean Andreist, Bilge Mutly, Michael Gleicher, Conversational Gaze Aversion for Virtual
Agents, Article indépendant, p. 4.
52  Ibid., p. 7.
53  Arthur M. Glenberg, Jennifer L. Schroeder, David A. Robertson, Averting the Gaze
Disengages the Environment and Facilitates Remembering, « Memory & Cognition »,
1998, Vol. 26 (4), p. 651.
54  Howard, Ehrlichman, Dragana Micic, Why do people move their eyes when they think ?,
« Current Directions in Psychological Science », 2012, p. 96.
55  Ibid.
56  Ibid., p. 98.
57  Lucy Markson, Kevin B Paterson, Effects of gaze aversion on visual-spatial imagination,
« British Journal of Psychology », University of Leicester, pp. 3–4.
58  Serena Mastroberardino, Annelies Vredeveldt, Eye-Closure increases children’s
memory accuracy for visual material, « Frontiers in Psychology », Mars 2014, Vol. 5,
Article 241.
59  Les tests impliquent des questions mathématiques seulement. Deborah M. Riby,
Gwyneth Doherty-Sneddon, Lisa Whittle, Face-to-face Interference in Typical and
Atypical Development, « Development Science », Blackwell Publishing, 2012,
Royaume-Uni, p. 282.
60  Arthur M. Glenberg, Jennifer L. Schroeder, David A. Robertson, Averting the Gaze
Disengages the Environment and Facilitates Remembering, « Memory & Cognition »,
1998, Vol. 26 (4), p. 651.
61  Joseph LeDoux, Rethinking the Emotional Brain, NIH Public Access, Avril 2013, p. 18.
62  Howard Ehrlichman, Dragana Micic, Why do people move their eyes when they think ?,
« Current Directions in Psychological Science », 2012, p. 99.
63  Christophe Carlei, Dirk Kerzel, Gaze Direction Affects Visuo-Spatial Short-Term
Memory, « Brain and Cognition », Elsevier Inc, 2014, no. 90, p. 63.
64  Ibid., p. 66.
65  Marine Vernet, Coordination des mouvements oculaires dans l’espace 3D chez
l’homme : Substrat cortical étudié par TMS, « Thèse de doctorat de l’Université Paris 6
Pierre et Marie Curie », École doctorale cerveau cognition comportement, présentée en
2010, p. 36.
8
Les mouvements
diachroniques et les quadrants
visuels

«  Un regard est dans tous les pays un langage.


 » Georges Herbert66

Dans le chapitre sur les clignements des paupières, nous avons


discuté de l’importance de la logique cérébrale. Étant donné leur
nature essentiellement mi-consciente, la compréhension du rôle de
chaque hémisphère dans la sollicitation d’un côté du visage ou du
corps m’apparaît pertinente. En ce qui a trait aux mouvements
oculaires, les recherches ont démontré que cette idée d’activation
croisée n’influence pas leur direction. Donc, ce qui déclenche la fuite
du regard ne dépend pas de la logique cérébrale qui, elle, intervient
lors des clignements des paupières. En fait, nous portons notre
attention à l’aspect linguistique et, plus particulièrement, à l’évolution
de l’écriture.

Selon la région, en Mésopotamie, en Égypte ou en Chine, on


estime que l’écriture a vu le jour il y a presque 12 000 ans. Certaines
n’ont presque pas changé, c’est le cas des idéographies chinoises,
alors que d’autres se sont modernisées. L’écriture, probablement
une des plus grandes inventions humaines, traduit visuellement
notre langue au fil de ses transformations. Ainsi, j’utiliserai
l’expression «  approche diachronique  » quand je ferai référence à
l’influence de l’écriture dans l’exécution de certains gestes aux fins
de l’analyse du langage corporel. En plus de la dimension
linguistique, l’approche diachronique reflète un affect culturel. La
plupart des pays occidentaux écrivent de gauche à droite
contrairement à la culture araméenne67 dont l’écriture va de la droite
vers la gauche. Cette différence a une incidence directe sur
l’interprétation du passé et du futur.
Lorsque vous demandez à un jeune enfant d’écrire une lettre à
ses grands-parents bien-aimés, il placera sa feuille blanche devant
lui et positionnera son crayon au haut et à gauche de la page.
Conceptuellement, cela signifie que le début de la ligne se trouve à
gauche. Conséquemment, la progression logique du passé vers le
futur suit cette ligne de pensée. En langage corporel, les personnes
s’expriment avec leurs mains en appliquant ce raisonnement. Sans
égard à la main utilisée, un interlocuteur qui décrit un événement
avec une allégorie de détails chronologiques pointera vers la gauche
au moment d’évoquer les faits les plus anciens. Il terminera son
geste vers la droite au fur et à mesure qu’il avance dans sa
chronologie. Dans l’analyse de plusieurs vidéos, les yeux se
substituent aux mains pour effectuer la même chose.

Il nous manque, malheureusement, tout un pan de recherche qui


expliquerait les directions des fuites du regard en lien avec la nature
de l’information. Si nous reprenons les expériences au niveau
cognitif, nous constatons que personne n’a été en mesure de
démontrer si le déplacement vers la droite ou vers la gauche
dépendait d’une information différente. Les scientifiques ont identifié
les régions sollicitées, dont l’hippocampe, par le rappel d’images
connues et celles qui restaient inactives si le sujet devait en créer
une. Donc, les travaux que nous avons recensés ne confirment pas
que la direction d’un mouvement oculaire respecte la nature
évoquée (un souvenir) ou fabriquée (l’imagination) d’une image.

Nous devons nous en remettre aux observations empiriques pour


démontrer que, sans égard à l’aspect cognitif ou émotionnel, la
nature de l’information influence effectivement la fuite du regard.

Nous savons déjà que le cognitif entraîne une fuite du regard vers
le haut. Ce n’est que par défaut que nous prétendons qu’un
mouvement vers le bas implique une recherche d’information de
niveau émotionnel. Étant donné que cette déduction n’est basée que
sur des observations empiriques, je vous recommande de garder
une certaine réserve considérant que d’autres disciplines,
notamment la programmation neurolinguistique (PNL), proposent
une nomenclature différente. Deuxièmement, la logique cérébrale
n’établit pas de lien entre l’activation des hémisphères et la fuite du
regard. La controverse entourant ces recherches découle d’une
insuffisance de mesures et de rigueur. En revanche, les
observations empiriques nous fournissent un meilleur éclairage des
différences entre le côté gauche et le côté droit, ce qui nous permet
de suggérer que la dimension diachronique peut expliquer les fuites
du regard de chaque côté. Le langage corporel tire profit de ces
deux observations et nous propose une répartition des fuites du
regard en quatre quadrants.
Le premier correspond à la case « futur cognitif » avec une fuite
du regard vers la droite et vers le haut68. Cette fuite du regard sous-
entend que la personne crée l’image ou l’événement auquel elle fait
référence. Le mouvement oculaire vers le haut implique une
dimension cognitive, c’est-à-dire une information abstraite, par
exemple le récit d’un rêve.
Le second quadrant correspond à la case «  passé cognitif  ». La
dimension cognitive demeure. L’approche diachronique explique le
mouvement vers la gauche, c’est-à-dire le passé. Cela suggère que
l’interlocuteur connaît l’information. J’effectue quand même une mise
en garde concernant le caractère «  connu  » de l’information. Pour
l’instant, personne n’a cherché à savoir si une image obtenue par le
fruit de l’imagination devient acquise lors des rappels subséquents.
Cela pourrait signifier que le stockage des informations se déplace
et se transforme après une première assimilation. J’en appelle aux
scientifiques parmi vous qui s’intéressent à la question. Je propose
de vérifier si l’individu sollicite les mêmes ondes cérébrales selon
que la remémoration porte sur une image connue ou sur le fruit de
son imagination, à partir de la seconde fois où on demande de
retrouver la même information.
Le troisième quadrant nous ramène dans le futur, mais du côté
des émotions. Nous avons ici une première différence avec la PNL
qui considère ce quadrant en lien avec une information
kinesthésique. Pour l’instant, je propose d’interpréter la dimension
kinesthésique du point de vue du ressenti et, par conséquent, selon
une dimension émotionnelle. Le caractère futur de cette fuite du
regard suggère que l’interlocuteur n’a pas réellement vécu cette
émotion.

Il nous reste un quatrième quadrant qui implique une dimension


émotionnelle et passée. En dépit des nombreuses vidéos qui
soutiennent cette appellation, notez que, dans le cas de la PNL, on
parle de dialogue interne.
Je sens déjà que vous tentez d’établir un lien entre une de ces
quatre fuites du regard et la détection du mensonge. Éliminons
immédiatement un premier mythe. Le « futur cognitif » n’est pas un
indicateur de mensonges. Je répète qu’un seul item corporel, en soi,
ne signifie pas grand-chose. La mise en contexte et, surtout,
l’inclusion dans un groupe plus important d’items corporels nous
fourniront un horizon de sens plus probant. On peut mentir en
regardant n’importe où.

Les yeux de la programmation


neurolinguistique (PNL)
La PNL, nouvelle conception de la communication et du
comportement humain développée en 1975, prend son essor un peu
après la période où les chercheurs se sont intéressés aux
mouvements oculaires. Mise au point grâce aux observations de
Virginia Satir, Milton H. Erickson, Fritz Perls et d’autres grands
maîtres de la thérapie, cette technique a connu sa popularité avec le
travail de messieurs Richard Bandler et John Grinder69.

Brièvement, la PNL vise à modifier certains comportements qui


font obstacle à la communication en «  reprogrammant  » le
processus d’encodage et de décodage d’une situation problématique
chez l’individu et à l’amener vers une solution correctrice70. Sans
débattre la teneur des fondements de cette discipline, sa
compréhension des mouvements oculaires mérite notre attention.
Nous avons établi qu’en mode réflexion, les yeux fuient dans une
direction qui correspond à une dimension précise. La photo d’une
personne bien-aimée se trouvera donc dans une dimension
cognitive (regard vers le haut) alors que le malaise d’un incident
regrettable pourrait solliciter une dimension émotionnelle ou
kinesthésique (regard vers le bas).

Comme dans toute technique d’analyse du langage corporel, des


pièges se dressent sur notre chemin de sorte que des fuites du
regard peuvent vous induire en erreur. La manière dont nous posons
les questions en fait partie. Par exemple, la réflexion n’est pas une
activité visuelle. Donc, si vous demandez à quelqu’un à quoi il pense
et que vous vous attendez à une description visuelle, vous risquez
d’obtenir un résultat aléatoire et non concluant. Les questions
imprécises, ou qui impliquent simultanément plus d’une fonction,
entraîneront des réponses confuses et non probantes.

Alors, voyons en quoi la PNL nous suggère une analyse des


fuites du regard légèrement différente. Tout d’abord, au lieu d’utiliser
les termes «  passé  » et «  futur  », elle fait plutôt référence aux
caractères « évoqué » et « fabriqué ». L’emploi de ces deux termes
m’apparaît plus pratique et plus représentatif. En effet, l’évocation
implique le rappel d’une chose stockée mais oubliée. Nous n’avons
toujours pas la certitude que la remémoration se limite au rappel de
faits vécus et non d’une image inventée. À l’opposé, en ce qui a trait
au caractère fabriqué, nous faisons plutôt référence à l’imagination
ou à la création. Cela suggère, d’un côté, que l’information n’existe
pas au départ et, de l’autre, qu’elle provient de l’extérieur de
l’individu. Ainsi, le souvenir d’un être aimé relève du rappel évoqué.
En revanche, la photo de mon chien avec des oreilles de lapin et un
tutu me demandera un minimum de créativité, de fabrication et,
probablement, un regard vers la droite.

De plus, les caractères «  évoqué  » et «  fabriqué  » s’appliquent


essentiellement au niveau cognitif. La dimension émotionnelle fait
place à de nouvelles nomenclatures. Du côté «  futur émotionnel  »,
on retrouve plutôt une dimension kinesthésique et, de l’autre, le
dialogue interne.

Une autre différence importante consiste à inclure une dimension


auditive. On reconnaît plusieurs niveaux de fuite du regard et, pour
la première fois, nous parlons du rôle des oreilles. Ici, la nature
auditive de certaines informations se distingue de celle de
l’information abstraite comme le calcul mental.

Ainsi, la programmation neurolinguistique nous propose un


tableau des quadrants des yeux plus élaboré.
Révisons brièvement chacune de ces positions.

1.  Le quadrant visuel évoqué. Dans ce cas, la fuite du regard se


déplace au niveau cognitif et traduit un rappel de la mémoire
d’une information connue. L’exemple de la photo d’un être bien-
aimé s’inscrit dans ce quadrant.
2.  Le quadrant auditif évoqué. La fuite du regard se dirige encore
au niveau cognitif et le rappel de la mémoire concerne un son.
Entendre à nouveau sa chanson favorite répond à ce critère.

3.  Le quadrant du dialogue interne. Même si nous ne


mentionnons pas le caractère émotionnel, nous ne l’excluons pas
pour autant. Ne rien ressentir pendant un dialogue interne ferait
de nous des robots.
4.  Le quadrant visuel fabriqué. On retourne dans la dimension
cognitive à la différence que l’information n’existe pas, en tout
cas, pas encore. Je n’ai toujours pas réussi à imaginer mon chien
avec des oreilles de lapin et un tutu de ballerine !

5.  Le quadrant auditif fabriqué. La similitude avec son vis-à-vis,


du côté évoqué, s’arrête au fait que l’interlocuteur ne connaît pas
ce son.

Au passage, j’attire votre attention sur deux activités qui sollicitent


une fuite du regard, soit du côté évoqué, soit du côté fabriqué. La
première consiste à réciter un texte par cœur. Cette activité amène
la personne à fuir du regard d’un côté comme de l’autre au niveau
auditif. La recherche du texte combine la mémoire visuelle du
document et le son appris des mots, l’apport auditif. La seconde
s’observe notamment en musique alors que les membres d’un
groupe doivent rester à l’écoute les uns des autres. C’est encore
plus évident pendant une improvisation.

6.  Le quadrant kinesthésique. Vous pouvez recevoir et percevoir


de l’information par le ressenti. Cela suppose une intégration qui
passe par des voies différentes de l’auditif ou du visuel. L’écoute
d’une pièce musicale, la vue d’un paysage mémorable pourraient
vous donner la chair de poule ou des frissons dans le dos.

La justesse de votre analyse dépendra de celle de vos questions.


Par exemple, si vous me demandez  : «  Que pensiez-vous lorsque
vous êtes tombé dans l’eau froide ? », je me souviendrai de l’endroit
où l’événement a eu lieu, des sons environnants et de la sensation
de la température glaciale de l’eau. Ma réflexion est relativement
complexe. Votre défi consiste à développer un questionnement de
façon à circonscrire un type de réponse. La question « Connaissez-
vous cette personne ? » semble plus claire, plus directe, plus facile à
répondre. La remémoration du visage de la personne entraînera une
fuite du regard à droite ou à gauche selon que votre interlocuteur est
familier ou non avec cette personne. Toutefois, s’il réagit
émotionnellement à son rappel, il devrait regarder vers le bas.

Bien déduire implique de bien questionner. Votre analyse ne doit


pas laisser place aux interprétations et au jugement de valeur.

66  Prêtre, poète, écrivain et homme politique anglais, Jacula prudentum (1651), www.mon-
poeme.fr/citations-george-herbert.
67  On fait aussi référence au langage afro-asiatique.
68  Pour les fins de l’analyse en langage corporel, nous interprétons toujours les directions
en partant du point de vue de la personne en face de nous, et non du nôtre. Par
exemple, si je parle du côté droit, c’est celui de l’interlocuteur, donc ma gauche.
69  Richard Bandler, John Grinder, Les secrets de la communication, les techniques de la
PNL, Éditions Le Jour, Montréal, 1982.
70  On retrouve aussi l’emploi de cette technique en psychologie et en psychanalyse.
9
Les quadrants visuels

«  Si la bouche peut t’induire en erreur, les yeux,


eux, ne trahissent jamais. »
Proverbe africain71

Des années d’observation, le visionnage de milliers


d’enregistrements vidéo et les travaux de mes prédécesseurs
m’ouvrent la porte pour vous proposer une nouvelle approche dans
l’analyse des fuites du regard. Une modeste contribution à la
recherche continue sur le langage corporel.
Depuis le milieu du siècle dernier, l’étude des yeux, des
mouvements oculaires ou de la fuite du regard connaît une évolution
importante qui mérite toute notre considération. De toutes les parties
du corps, seuls les yeux, à mon avis, offrent un message aussi
complet et complexe à la fois.

D’un côté, le message est clair et véridique. Parce que le corps


ne peut pas mentir, on peut encore moins diriger la fuite du regard
pour induire l’autre en erreur. Vous ne pouvez pas la fausser en
raison de la rapidité et de la nature involontaire de ce mouvement
inconscient. La fuite du regard ne peut pas mentir, mais n’amène
pas la vérité pour autant. Le regard cherche l’information là où elle
se trouve. C’est à vous de valider la cohérence de la réponse
verbale avec la source de cette information. Si les yeux puisent une
image dans le passé cognitif, cela signifie que la personne se
remémore un souvenir familier. La fuite du regard nous indique alors
qu’elle connaît cette image. Elle ne statue pas sur la véracité de
l’image. Ce constat s’effectue en comparant la réponse verbale de
l’individu et la source d’où il récupère son information. Avant de dire
si l’autre personne vous dit la vérité ou si vous croyez qu’elle ment,
assurez-vous que vous parlez de la même personne.

Les fuites du regard ne se limitent pas à une suite de coupures et


de reprises du contact avec son vis-à-vis. Au-delà de l’image, elles
traduisent un processus de réflexion. Par exemple, à la question
« As-tu de la peine ? », on peut répondre par une fuite du regard qui
suggère un rappel d’une émotion. Seulement, malgré la simplicité de
la demande, la personne pourrait réfléchir en faisant appel à plus
d’une source d’information. Dans l’hypothèse qu’elle soit gênée, la
fuite du regard se promènera entre plusieurs quadrants, illustrant le
chemin parcouru par sa réflexion avant d’arriver à sa réponse.

Ainsi, les déplacements fluides, mais extrêmement rapides des


fuites du regard, nous obligent à revoir la distribution des quadrants.
La nature de l’information ne peut pas être catégorisée et placée
dans quatre boîtes hermétiques et différentes. Les dimensions
émotionnelles et cognitives, passées et futures sont trop limitées
pour englober l’ensemble des propos d’une conversation. D’ailleurs,
l’ajout des deux distinctions supplémentaires par la PNL le
démontre. Donc, revoyons nos références dans la distribution des
quadrants visuels et tentons de les redéfinir à travers une grille plus
représentative des fuites du regard.

Les yeux vont dans tous les sens


Pour redéfinir les quadrants visuels, nous devons reconsidérer la
nature de l’information qui correspond à la source vers laquelle se
dirige la fuite du regard.

Le cognitif, une valeur sûre


À travers toutes les incertitudes de l’analyse du langage corporel,
nous pouvons nous satisfaire des résultats des recherches qui
suggèrent que la dimension cognitive entraîne une fuite du regard
vers le haut. Ce n’est que par défaut que nous accordons la
dimension émotionnelle à une fuite du regard vers le bas. L’étude de
plusieurs centaines de vidéos me fait abonder dans ce sens.
Dans le chapitre précédent, j’ai mis en évidence la différence
subtile entre la dimension émotionnelle et la dimension
kinesthésique. Ainsi, il ne m’apparaît pas opportun de catégoriser la
fuite du regard vers le bas autrement que par la dimension
émotionnelle. Une émotion peut s’accompagner d’une réaction
physique et, à l’inverse, une réaction physique ou kinesthésique peut
entraîner le ressenti d’une émotion. Je crois que l’appellation
«  émotionnelle  » rend justice à une fuite du regard vers le bas.
Toutefois, je rappelle mon commentaire à l’effet que rien n’empêche
qu’une fuite du regard vers le haut soit motivée par une dimension
émotionnelle. Observez les gens qui chérissent un être suprême et
qui lèvent les yeux au ciel, remplis d’émotion. Il ne vous reste qu’à
poser la question de savoir quelle dimension la personne privilégie.

Les yeux et les oreilles


Nous avons vu que la PNL sépare le visuel de l’auditif. Considérant
que les fuites du regard se promènent comme une aiguille dans un
oscilloscope, je ne vois pas pourquoi les frontières entre le cognitif et
l’émotionnel devraient rester hermétiques et ne permettre aucune
transition.

Au départ, je fais une distinction entre le visuel et l’auditif, mais je


les maintiens dans le domaine cognitif. En prenant l’exemple de
poèmes récités par cœur, demandons-nous si les fuites horizontales
du regard, qui font référence à la dimension auditive selon la PNL,
doivent demeurer au niveau cognitif. Est-ce que, pendant le récit, la
personne voit dans sa tête le texte ou plutôt les images qu’il lui
inspire ?
Toutefois, je demeure ambivalent sur la portée de la dimension
auditive du côté cognitif ou émotionnel. Mon questionnement
provient essentiellement de l’étude de la musique. Nous ressentons
le langage universel de la musique de différentes manières. Une
mélodie peut procurer un bien-être qui fait surgir une émotion forte
ou rappelle l’image d’un événement heureux.

L’écoute et l’apprentissage de la musique exigent une


participation auditive incontestée. Le visuel intervient au moment de
la lecture à vue, mais elle démontre sa primauté dans le cas des
musiciens qui jouent par oreille et les non-voyants. Je fais
volontairement abstraction des malentendants qui réussissent, avec
toute mon admiration, à « sentir » la musique. Beethoven serait fier.

Nous notons l’apport important de la dimension auditive au


moment de performer. Est-ce que l’artiste fait appel à une seule ou
plusieurs dimensions pour reproduire la pièce  ? Se réfère-t-il, de
mémoire, à sa partition ? Se fie-t-il au caractère auditif de la mélodie
qu’il a apprise par cœur ou aux sensations harmoniques des
accords ?

Le chevauchement de la portion auditive sur les autres


dimensions semble indéniable et justifie sa présence comme zone
tampon entre le visuel et l’émotionnel.

Le passé et le futur
La culture influence la signification de la fuite du regard. En raison
des différences, notamment entre les cultures occidentale et
araméenne, la nomenclature «  passé-futur  » demeure-t-elle
pertinente ?
Parallèlement à la PNL, nous acceptons que la dimension
«  évoquée  » suppose que l’information est déjà acquise, donc
s’inscrit dans notre passé. Mais cette question ne pose pas un
problème, mais celle du futur nous turlupine. Je m’explique. Une
image construite ne fait pas partie de notre passé. Dans l’éventualité
que notre mémoire n’entrepose pas cette information, on peut
difficilement parler de futur. Pour cette raison, l’opposition
diachronique «  passé-futur  » me semble restrictive et contre-
productive. Je propose plutôt une nomenclature plus généraliste.

Intérieur et extérieur

L’intérêt d’utiliser cette nomenclature au lieu de «  passé-futur  »


s’inspire des principes de la logique cérébrale. Étonnamment, je
reprendrai l’approche de la logique cérébrale, c’est-à-dire la gestion
des hémisphères. Concentrons-nous sur la nature de l’information
transmise au moment où le geste s’effectue. Nous parlons de
laisser-aller, de spontanéité, de choses intimes. Un souvenir
d’enfance, le visage de notre premier amour, notre passion des
animaux nous fournissent des exemples d’affects personnels.

Ainsi, ce qui nous sera « imposé » sera un intrant qui trouvera sa


source à l’extérieur de l’individu. L’image de mon chien avec des
oreilles de lapin, une mélodie inconnue et l’influence de l’autre sur
moi me sont extérieures. La sollicitation du côté droit de la fuite du
regard suggère que l’information nécessite une approche plus
rationnelle. Cette fonction de l’analyse relève de l’hémisphère
gauche72 lorsque les événements proviennent de l’extérieur de
l’individu.

Les zones tampons


Revisitons la répartition des quadrants et de leur dimension et
questionnons les frontières qui les unissent. Existe-t-il entre la
dimension intérieure et extérieure ou le cognitif et l’émotionnel une
zone aussi révélatrice que les quadrants de base ?

L’interprétation des zones tampons peut différer selon la frontière


qu’elles chevauchent. Prenons la frontière entre la dimension
intérieure et extérieure au niveau cognitif. Nous restons toujours
dans la sphère cognitive. Toutefois, on peut nuancer le dosage de
part et d’autre. Par exemple, quelqu’un qui vénère l’au-delà ou qui
parle de quelque chose de grandiose aura tendance à lever les yeux
vers le ciel et en plein centre. Quelles sont les composantes
intérieures et extérieures à l’information  ? Cela dépendra du
contexte, bien sûr. Ainsi, la frontière du côté émotionnel proposera
une zone tampon entre l’affect extérieur et intérieur, plus personnel.

La seule véritable différence se situe probablement à la frontière


du cognitif et de l’émotionnel où un mélange de deux dimensions
s’insère dans une nouvelle dimension à caractère auditif. Elles ne
travaillent pas de façon hermétique, mais force est de constater le
besoin d’ajouter cette réalité.

Finalement, une zone tampon ultime se pointe au centre de tous


ces quadrants et correspond, ni plus ni moins, à l’inclusion de toutes
ces dimensions.

Les quadrants visuels


En définitive, tout ce travail m’amène à développer une nouvelle
nomenclature des quadrants visuels qui tient compte d’un plus grand
nombre de fuites du regard, sous leur forme déictique ou non
visuelle. Je vous propose neuf quadrants. Toujours du point de vue
de l’interlocuteur, les deux axes principaux se répartissent de la
façon suivante.

Horizontalement, de gauche à droite, les fuites du regard


voyagent de l’intérieur vers l’extérieur en passant par une zone de
transition que nous qualifierons d’abstraite. Verticalement, la
distribution cognitive et émotionnelle demeure, mais s’illustre mieux
par la division des trois fonctions, à savoir le visuel, l’auditif et
l’émotionnel. Les quadrants visuels se distinguent et s’identifient
ainsi.
La définition que je vous propose pour chacun des quadrants
s’applique dans un environnement culturel occidental. Je rappelle
quand même que l’interprétation de chacun des quadrants suggère
plutôt que d’imposer l’horizon de sens. C’est lorsque la fuite du
regard est mise en contexte qu’elle devient plus significative.

Ve  —  Visuel extérieur. Nous nous situons dans la zone


cognitive. La fuite du regard dans cette région indique que la
personne construit l’image ou l’événement auquel elle fait référence.
Elle ne semble pas familière avec l’information que vous lui
demandez ou qu’elle souhaite partager.

Va  —  Visuel abstrait. Toujours dans la zone cognitive, le


qualificatif «  abstrait  » suggère un effort d’imagerie sans aucune
réalité visuelle, concrète ou tangible. Par exemple, vous connaissez
le chiffre «  3  » sans toutefois pouvoir l’identifier. Votre processus
demeure dans la zone cognitive, mais dans une opération abstraite.
C’est notamment la position par excellence du calcul mental. La
dimension spirituelle ou l’objet de votre admiration entraîne aussi
une fuite du regard dans cette direction.

Vi — Visuel intérieur. À l’inverse du quadrant visuel extérieur, la


personne rappelle à sa mémoire une image connue, un événement
familier. Le débat d’une fausse image, préalablement fabriquée et
subséquemment intégrée, demeure toujours ouvert. Un
questionnement approfondi permettra de faire la part des choses.

Ae  —  Auditif extérieur. Premier quadrant de la zone tampon,


entre le cognitif et l’émotionnel, la fuite du regard se dirige vers la
droite, au niveau de l’horizon. Il suggère le rappel d’un effet sonore
(un son, un mot, un bruit, une musique, etc.) que votre interlocuteur
n’aurait normalement jamais entendu. La dimension extérieure
prédomine sur le dosage entre le cognitif et l’émotionnel.

HC  –  Hyperconcentration. Cette zone centrale attire


particulièrement notre attention. Les circonstances dans lesquelles
nous avons effectué ces observations varient entre deux extrêmes.
D’un côté, c’est l’absence absolue de toutes les dimensions. C’est
un regard vide, un regard qui ne voit rien, le regard de celui ou celle
qui est dans la lune ou déconnecté. De l’autre côté, c’est le regard
perçant de celui qui a besoin de tous ses sens pour se concentrer,
un état d’extrême vigilance.

Ai — Auditif intérieur. Nous revenons à une zone tampon, mais


du côté évoqué et connu. Elle regarde à gauche et à l’horizontale, et
repasse dans sa tête le texte appris en mémoire, entend à nouveau
son air favori.

Ee  —  Émotionnel extérieur. Le caractère extérieur de ce


quadrant se marie bien avec l’interprétation kinesthésique de la PNL.
Une fuite du regard vers le bas et vers la droite suggère que
l’individu ressent physiquement quelque chose qui vient de
l’extérieur. Son lien avec la source lui permet d’identifier la
provenance de cet intrant au moment du ressenti. Une personne
vous importune, une autre vous complimente, la vue d’un
événement douloureux vous attriste, autant de possibilités qui
entraînent cette fuite du regard.

Ea — Émotionnel abstrait. La fuite du regard vers le bas et au


centre se veut impersonnelle. Même si elle concerne l’individu qui
réagit de la sorte, c’est comme si elle parlait de l’information à la
troisième personne. Au pire, l’intrant pourrait ne pas affecter la
personne, sinon elle s’en distancie.

Ei  —  Émotionnel intérieur. Finalement, la dernière fuite du


regard dans la zone émotionnelle suggère un regard introspectif.
C’est le regard du confessé. La personne est intimement et
privément liée à l’événement relaté, au sentiment qui y est attaché.
L’idée du dialogue interne que nous retrouvons en PNL s’inscrit bien
dans cette région.

L’objectif de bien comprendre les quadrants visuels et de bien


interpréter les fuites du regard consiste à valider à l’avance la nature
de l’information et la relation entre celle-ci et l’interlocuteur. Ne
cherchez pas le mensonge à chaque mouvement oculaire et, de
grâce, ne fixez pas l’autre dans l’attente de la prochaine fuite du
regard. Ces mouvements subtils et très rapides requièrent de la
pratique et de la discrétion.
Bien humblement, je vous recommande de ne pas vous entraîner
avec votre conjoint (e) afin de préserver la qualité de votre vie de
couple. Mais cela ne vous empêche pas de regarder… juste pour
voir !

71  Le Bahunde en proverbes (1905).


72  Tucker D. M., Williamson P. A. « Asymetric neural control systems in human self-
regulation », Psychological review, no 91.
10
Les stratégies de visualisation

«  Les yeux sont le miroir de l’âme, celui qui sait


y voir est rarement trompé.  »
Pierre-Claude-Victor Boiste73

Dans le chapitre précédent, nous n’avons considéré que la source


où se loge l’information. Avec les neuf quadrants visuels, nous nous
sommes munis d’un instrument de lecture qui améliore notre
compréhension du message de notre interlocuteur. Mais comme je
l’ai mentionné, seuls les yeux parlent avec une éloquence aussi
complète et complexe à la fois. Ainsi, nous devons pousser l’analyse
des quadrants visuels au-delà du propos lui-même.

Lorsque quelqu’un s’adresse à vous, répond à une question ou,


simplement, écoute une conversation entre personnes, il réfléchit
continuellement. La réception des intrants verbaux, la perception des
items corporels et la résonance de son message enclenchent un
processus de réflexion qui sollicite plus d’une source d’information.
Les multiples fuites du regard illustrent la mécanique de cette
réflexion, le cheminement mental que parcourt l’individu.

Notre perception du monde


Chacun de nous voit le monde à sa façon, selon son propre système
de perception et qui passe par les cinq sens  : la vue, l’ouïe, le
toucher, le goût et l’odorat. Inévitablement, nous ne développons pas
chaque sens de la même manière et probablement pas à son plein
potentiel. Certains apprennent mieux en regardant, d’autres, en
écoutant. C’est ainsi qu’on arrive à distinguer les personnes
visuelles ou auditives.

Afin que chaque personne puisse encoder et décoder


l’information le plus efficacement possible, elle privilégie un de ses
sens avec lequel les autres vont collaborer. Cette stratégie se reflète
pendant la transmission du message. Notez la différence entre ces
deux textes :
« Je ne vois pas à quoi tu veux en venir.
Ça ne m’apparaît pas une bonne idée de montrer des plans dans un
état aussi peu avancé. »
« Tu n’entends pas ce que je te dis.
Tu ne convaincras personne avec
ce résultat inachevé. »

Dans les deux cas, l’interlocuteur exprime son désaccord. Dans le


premier, on recense les mots « voir », « apparaître » et « montrer »,
un exemple d’une stratégie visuelle. Dans le second, «  entendre  »,
« dire » et « convaincre » suggèrent un raisonnement auditif.

Cette première observation devient pertinente lorsque vient le


temps de poser des questions justes et efficaces pour obtenir des
réponses de bonne qualité. Cela offre l’occasion de porter attention
à la dimension verbale, le fameux 7 %. Si votre vocabulaire décrit
une approche visuelle et s’adresse à une personne essentiellement
auditive (cela vaut aussi pour le caractère kinesthésique), des
quiproquos et des propos confus peuvent affecter la communication.
Utilisez un vocable qui la rejoint directement pour faciliter sa
stratégie de réflexion et vous permettre une meilleure lecture de ses
fuites du regard.

Une seconde observation consiste à mieux comprendre les fuites


du regard en fonction de la stratégie de réflexion. Par exemple, une
personne visuelle pourrait commencer à réfléchir avant de répondre
par une première fuite du regard dans la zone visuelle intérieure. Si
la réponse ne trouve pas son information dans cette zone, les
mouvements oculaires se multiplieront. Voyons quelques exemples
de stratégies de réponse combinant les fuites du regard.

Question no 1 : Qu’y avait-il sur la table pour le petit déjeuner ce


matin ?

Réponse no 1 : Du lait, de la confiture, des rôties et un verre de


jus d’orange.
Réponse de la fuite du regard  : Un seul aller-retour dans la
zone visuelle intérieure. Elle a pris une photo de la table et vous a
décrit ce qui s’y trouvait : une image évoquée.

Question no 2 : Qu’y avait-il sur la table pour le petit déjeuner ce


matin ?

Réponse no 2 : Du lait, de la confiture, des rôties et un verre de


jus d’orange.
Réponse de la fuite du regard : une première fuite du regard se
dirige vers la zone visuelle intérieure, suivie d’un déplacement vers
la zone visuelle extérieure et d’un retour à la zone visuelle intérieure.
Par cette démarche, la jeune femme consulte sa mémoire pour voir
ce qui se trouvait sur la table pour le petit déjeuner, mais elle
cherche un élément qui semble absent pour, finalement, ne
confirmer que ceux qui s’y trouvaient.

Si les dernières fuites du regard étaient demeurées dans la zone


visuelle extérieure, vous auriez pu douter de l’exactitude de
l’information, auquel cas des précisions additionnelles auraient pu
être demandées.

Voyons un exemple dans un autre registre.

Question no 3 : Qu’est-ce que cette personne t’a fait ?

Réponse no 3 : C’est compliqué…

Voilà un bel exemple d’une réponse verbale vraisemblablement


incomplète. L’interlocuteur nécessite une réflexion additionnelle ou
ne veut pas répondre.

Réponse de la fuite du regard  : Une première fuite du regard


dans la zone visuelle extérieure suggère qu’elle ne sait pas
comment répondre à la question. Pour des raisons personnelles, elle
se sent peut-être incapable de répondre, mais la question rejoint un
aspect émotionnel avec un déplacement dans la zone émotionnelle
extérieure. La question implique la participation d’une tierce partie
qui semble avoir soulevé une sensibilité émotive. Finalement, un
dernier mouvement oculaire vers la zone émotionnelle intérieure
nous fait croire que quelque chose la touche directement. Sa
réponse verbale se trouve à mi-chemin entre la description de ce
qu’elle ressent et le refus de répondre. Cette omission ne signifie
pas un mensonge.

Parlant de mensonge, l’exemple suivant réduit la portée de


certains mythes. À la question : « Connaissez-vous Monsieur X (un
collègue)  ?  », voyons ce que les deux fuites du regard pourraient
suggérer comme conclusion.
Réponse no 1 : Oui ! Elle regarde dans sa bibliothèque d’images
connues et reconnaît Monsieur X.

Réponse no 2 : Non ! Elle regarde dans sa bibliothèque d’images


connues et nie reconnaître Monsieur X.

Réponse no 3 : Oui ! Elle ne semble pas connaître Monsieur X,


mais prétend le contraire.

Réponse no 4 : Non ! Elle ne semble pas connaître Monsieur X


et nie le connaître.
Nous discuterons plus en détail des aspects du mensonge à la fin
de cet ouvrage. Gardez à l’esprit qu’un seul indicateur corporel ne
garantit pas la vérité ou le mensonge puisqu’il s’avère peu
significatif.

Étant donné la rapidité et le caractère révélateur des fuites du


regard (pour ne pas dire indiscrètes), vous pouvez maintenant suivre
le cheminent de la réflexion de votre interlocuteur. Vous n’aurez qu’à
lui demander de se rappeler un événement et de bien observer
l’allégorie de mouvements oculaires. L’exemple que je vous propose
répond à la question : « Comment s’est passée ton entrevue ? »
« J’ai failli arriver en retard en raison du trafic. »

« J’ai pris l’ascenseur, juste derrière le bureau d’information. »

« On était coincés comme des sardines. »

« Il y avait une espèce de musique des années 50. »


« La femme devant moi empestait le parfum. »

« L’ascenseur donne directement à la réception du bureau. »

« Je n’ai même pas eu le temps de m’asseoir qu’ils m’ont appelée. »

«  Je suis arrivée dans la salle de conférence, la vue était


magnifique. »
« L’entrevue s’est super bien passée, ils étaient très gentils. »

« Ça a duré vingt minutes et je suis partie. »

« Ils ont dit qu’ils m’appelleraient d’ici deux jours. »

« J’adorerais travailler pour cette grande entreprise. »


« Bon, pour l’instant, j’attends. »

Cet exercice théorique vous donne un exemple de la manière


avec laquelle un interlocuteur gère sa réponse. Le premier
commentaire, « J’ai failli arriver en retard en raison du trafic », aurait
tout aussi bien pu provoquer d’autres réactions.

Une première possibilité montre une fuite du regard vers la zone


visuelle intérieure, c’est-à-dire le rappel à sa mémoire d’une image
connue. Elle revoit la densité du trafic qui l’empêche d’arriver à
l’heure. Elle regarde l’embouteillage, la quantité de véhicules qui
l’entourent de l’endroit où elle se trouve à un moment donné.
La seconde illustre une fuite du regard émotionnel extérieur. Cela
aurait suggéré que la situation l’indispose. Elle ressent un malaise
face au risque d’être arrivée en retard.

Une troisième option propose une fuite du regard dans la zone


visuelle extérieure. Elle se questionne sur ce qui aurait pu lui arriver,
par exemple une réception plus froide de ses hôtes, une porte
fermée, des bureaux vides, etc.

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fuite du regard. Elle révèle


simplement la source de l’information et la stratégie de réflexion.
Observer et suivre les mouvements oculaires correspond, ni plus ni
moins, à lire une histoire. Tout ça se fait de façon inconsciente,
involontaire et non raisonnée. La fuite du regard précise l’horizon de
sens en raison de son caractère mi-conscient.

Une bonne captation des mouvements oculaires extrêmement


rapides, subtils et révélateurs facilitera la fluidité de la conversation,
quelquefois au détriment de l’interlocuteur qui s’étonnera de la
justesse de vos propos. Je me rappelle une anecdote pendant un
souper avec des amis. J’ai demandé à un de leur fils s’il fréquentait
quelqu’un. À peine ai-je complété ma question que le jeune homme
fuit immédiatement du regard. Il a déjà répondu avant même d’avoir
prononcé une syllabe. Je lui ai alors dit qu’il n’avait plus besoin de
me répondre et lui ai expliqué qu’il venait de voir le visage de sa
blonde. Ainsi, il ne lui restait qu’à me donner son nom. Rassurez-
vous, cet événement s’est déroulé dans la bonne humeur et les gens
autour de la table connaissaient ma passion pour l’analyse des yeux.
Je recommanderais néanmoins une certaine prudence à intervenir
de la sorte pour éviter que votre promptitude crée un inconfort, voire
un malaise qui compromette la suite de l’échange.
À l’opposé, les mouvements peuvent aussi induire en erreur et
entraîner des conclusions trop rapides et fausses. Mais est-ce que
les gestes conscients deviennent ainsi sans importance  ?
Absolument pas. En ce qui a trait à notre analyse des yeux et des
fuites du regard, pourquoi ne pourraient-ils pas faire œuvre utile et
servir à quelque chose de constructif ainsi que fournir une
information additionnelle ?

73  Lexicographe et poète français, Le Dictionnaire universel, 1843.


11
Les yeux comme mode dans
l’apprentissage

« Aujourd’hui, je vois la vie, avec les yeux du


cœur.  »
Gerry Boulet74

Pendant une de mes formations, le professeur relate l’anecdote


suivante. Une mère, préoccupée par la réussite scolaire de son
enfant, consulte un expert pour améliorer son apprentissage. Elle
s’inquiète de sa difficulté à mémoriser. Le spécialiste le rencontre et
simule une séance de travail avec lui. Il lui propose de placer un
gentil dragon derrière son épaule gauche pour l’aider dans ses
devoirs. Le jeune élève déposera les données qu’il souhaite retenir,
une à une dans sa gueule. Par la suite, il n’aura qu’à regarder
dedans pour les récupérer. On le rassure à l’idée que cela ne
correspond pas à de la tricherie sous prétexte que personne ne voit
le dragon. À la suite de la consultation, sa remémoration s’améliore
considérablement. Que s’est-il passé réellement ? L’expert a exploité
la zone visuelle intérieure en plaçant un dragon à l’endroit où l’enfant
devra lever les yeux, c’est-à-dire vers la gauche et vers le haut, pour
« voir » l’information. Étant donné qu’un mouvement du regard dans
cette direction sollicite de l’information mémorisée, il privilégie ce
quadrant du regard pour faciliter l’accès à de l’information qui lui est
normalement connue. Donc, à chaque fois qu’il souhaite retrouver
une information, l’enfant fuit du regard vers la zone visuelle
intérieure, là où se trouve son nouvel ami, le gentil dragon.

Fuite du regard et mémoire


Les travaux dans le domaine cognitif ont clairement prouvé l’utilité et
l’efficacité de la fuite du regard pour couper le lien avec
l’interlocuteur avant de s’engager dans une activité cognitive75. Les
chercheurs ont effectué une expérience avec des enfants de cinq
ans, une clientèle avec une fréquence des fuites du regard inférieure
à celle des adultes.

De façon générale, la fréquence des fuites du regard diminue


pendant l’écoute, contrairement au moment où l’on parle. Elle
augmente pendant la réflexion, ce qui tend à démontrer qu’elles
appuient la concentration au moment de recourir à de l’information
mémorisée ou, par exemple, pour le calcul mental. En même temps,
il se crée une coupure avec l’autre personne. Plus les questions sont
compliquées, plus les adultes fuient du regard76. On a aussi noté
cette utilisation accrue des mouvements oculaires chez des enfants
de huit ans.

Pendant l’une de leurs expériences, des adultes devaient


répondre à des questions arithmétiques de niveau facile à difficile.
Les chercheurs ont constaté que lorsqu’ils ferment les yeux pendant
la réflexion, les résultats s’améliorent et deviennent plus précis. Le
contraire survient quand ils regardent leur interlocuteur droit dans les
yeux. Toutefois, on note peu d’amélioration pour les questions
extrêmement faciles ou, à l’opposé, extrêmement difficiles.

On a aussi demandé à un groupe d’enfants de six à dix ans de


compléter les tâches du jeu, Monsieur Peanut77. La performance ce
ceux qui devaient regarder le visage d’une personne devant eux
pendant dix secondes diminuait, comparativement à celle des autres
qui regardaient ailleurs, soit le plancher ou un motif en mouvement.
La plupart des expériences qui exigent de fixer du regard une autre
personne pendant la réflexion semblent réduire la qualité de la
réflexion, démontrant ainsi la contribution des fuites du regard.

Sachant que les enfants de moins de cinq ans fuient moins du


regard, on leur a posé une série de questions pour vérifier si les
mouvements oculaires pouvaient apporter cette même contribution à
la réflexion et à la concentration. Les résultats obtenus se sont
avérés similaires à ceux des adultes en ce qui a trait aux questions
très faciles et très difficiles. En revanche, dans la plupart des cas,
l’expérience a démontré que la capacité à répondre à des questions
d’ordre arithmétique et verbal augmente considérablement en
entraînant un enfant de cinq ans à fuir du regard. Une des raisons
qui expliquent pourquoi les questions très faciles ne se traduisent
pas par une amélioration repose simplement sur le fait que ce type
de questions (par exemple 2 + 2) ne laisse pas de place au
perfectionnement. L’amélioration de la capacité à répondre s’évalue
dans un contexte où les questions exigent un plus grand travail
cérébral, donc offrent un potentiel de perfectionnement.

La littérature est variée et bien documentée en ce qui a trait aux


bienfaits des mouvements oculaires. Un consensus existe sur
l’impact positif des fuites du regard et l’amélioration du rappel
d’images en mémoire, et sur l’impact plus négligeable dans le cas
d’une stimulation sonore. La plupart des études concluent qu’une
brève fuite latérale du regard juste avant la remémoration améliore
grandement le processus de rappel78. Les recherches se
poursuivent notamment dans le domaine thérapeutique alors qu’on
évalue l’acuité des stimulations visuelles.

Fermer les yeux pour mieux voir


J’ai eu la chance d’œuvrer dans le milieu des enquêtes. À titre
d’ancien analyste aux renseignements criminels, j’ai eu l’occasion
d’assister à plusieurs interrogatoires. Évidemment, un des nombreux
défis consiste à recueillir une information juste et probante.
Toutefois, en dépit des meilleures intentions du monde, les versions
sincères et véridiques d’un même événement divergent.

Des chercheurs ont questionné une centaine d’enfants dont l’âge


variait de huit à onze ans79. Ils se penchaient sur les moyens par
lesquels on peut améliorer la mémoire et, surtout, la précision de
l’information lors d’un témoignage. On leur a montré un vidéo-clip
d’environ cinq minutes d’un voleur en action, après quoi on les a
interrogés. Ils ont démontré que le fait de fermer les yeux ou de
regarder un écran vide pendant le processus de rappel augmente
substantiellement le nombre de réponses correctes. Les détails
visuels offraient de meilleurs résultats, mais pas dans le cas des
détails auditifs ou sonores. De plus, les résultats observés chez les
enfants semblaient similaires à ceux des adultes.

Apprentissage et neurodéveloppement
L’apprentissage chez les enfants fait l’objet d’un intérêt scientifique
soutenu qui nous offre une littérature variée et très élaborée,
notamment en ce qui a trait aux fuites du regard et à leur impact sur
la charge cognitive. Même si les interprétations diffèrent légèrement
d’un chercheur à l’autre, personne ne remet en question les
fonctions des fuites du regard. Au surplus, celles-ci jouent un rôle
suffisamment influent pour amener certains professionnels à se
pencher sur les mouvements oculaires dans le cas d’enfants atteints
du trouble du spectre de l’autisme et du syndrome de Williams. Je
vous propose un bref survol des résultats80 de diverses expériences
visant à évaluer les performances cognitives chez les enfants au
développement normal et ceux qui souffrent de l’un de ces deux
syndromes. La plupart des travaux impliquaient la recherche
d’images ou le calcul mental. Cela exclut du même coup la
dimension émotionnelle.

Depuis le début, nous portons attention aux yeux et aux


mouvements oculaires de notre vis-à-vis. Mais est-ce que notre
propre regard influence l’autre ? Notre façon de regarder les enfants
à développement typique («  enfant DT  »), les enfants autistes
(«  enfant TSA  ») et les enfants atteints du syndrome de Williams
(«  enfant SW  ») pourrait avoir un impact sur leur capacité à
performer dans le processus de rappel.

Nous avons déjà démontré qu’au moment de réfléchir, les enfants


performent moins bien lorsqu’ils regardent le visage de leur
intervieweur que s’ils regardent ailleurs. Toutefois, regarder
quelqu’un en face permet non seulement de maintenir la
communication, mais aussi de percevoir un grand nombre
d’indicateurs qui viennent compléter le sens réel du propos. Quand
nous regardons quelqu’un, nous transmettons un message clair qui
signifie que nous souhaitons entrer en communication avec cette
personne. Contrairement aux animaux qui peuvent interpréter un
regard direct comme une menace, les humains l’utilisent dans un
contexte de collaboration.

Ainsi, dans le cadre des diverses recherches auprès de trois


catégories d’enfants (DT, TSA et SW), une première observation
indique que les enfants DT performent moins bien dans certaines
tâches lorsque l’intervieweur regarde leur feuille. Le contraire se
confirme s’il regarde les enfants. Cette différence dans la
performance n’existe pas chez les enfants TSA81. Le fait que l’on
regarde sa feuille crée une distraction chez l’enfant DT qui s’éloigne
de sa tâche. L’étude suggère de réunir les conditions optimales pour
maximiser les performances d’apprentissage d’un enfant. Plus
spécifiquement, certains d’entre eux auront besoin d’un contact
visuel constant et soutenu. Dans le cas où certains tests évaluent le
quotient intellectuel d’un enfant pour établir un classement ou une
admission dans une école par exemple, il apparaît important de
comprendre l’influence des facteurs individuels et contextuels pour
optimiser leur performance.

Toutefois, en ce qui a trait à l’impact du contact visuel dans l’un


ou l’autre des trois groupes d’enfants, aucun d’eux ne semble affecté
de façon différente par le regard de l’intervieweur. Les enfants TSA
le regardent de la même manière que les enfants DT et performent
avec les mêmes résultats. Au surplus, contrairement à ce qui avait
été anticipé, les résultats des enfants TSA n’étaient pas pires que
ceux des enfants DT, considérant l’interaction directe avec un adulte
qu’ils n’ont jamais vu auparavant. Une première nuance s’impose
dans la mesure où les enfants TSA et SW ont un peu plus de mal à
soutenir le regard qu’un enfant DT82.

L’effet du regard influence l’intégration et la gestion de


l’information. Si nous tentons de soutenir le regard de quelqu’un qui
s’adresse à nous, notre propre discours commence à en souffrir
pour finalement arriver à perdre le fil de notre idée. Les enfants
performent mieux s’ils peuvent fuir du regard pendant qu’ils pensent.
En ce qui a trait aux enfants TSA et SW, nous constatons que leur
fuite du regard fonctionne différemment.

Nous comprenons que les enfants TSA possèdent un déficit en


communication et en interaction sociale. Cela se reflète notamment
dans leur façon d’établir un contact visuel atypique qu’on peut
remarquer dès leur jeune âge. Or, les recherches démontrent un
accroissement des fuites du regard atypique lorsque l’enfant TSA
commence à intégrer l’information très tôt durant l’interaction,
conformément au processus d’acquisition de la charge cognitive.
Une fuite du regard pourrait signifier que l’enfant n’a pas besoin de
stimulus visuel, comme le regard direct de son intervieweur ou de
son professeur, pour enclencher son travail cérébral. En fait, l’enfant
TSA regarde ailleurs plus souvent qu’un enfant DT pendant l’écoute
qui suscite normalement moins de mouvements oculaires. En
revanche, la fréquence des fuites du regard pendant la phase de
réflexion ressemble à celle de l’enfant DT83.

Contrairement aux enfants TSA, l’attention au visage que porte


un enfant SW peut prendre un certain temps, mais, une fois acquise,
il y reste accroché plus intensément. Malgré cela, durant une
conversation, face à face avec un enfant SW, celui-ci semble utiliser
les fuites du regard de façon similaire à celle d’un enfant DT.

En résumé, l’intégration d’information de niveau cognitif se


compare chez les trois groupes d’enfants et l’impact apparemment
négatif sur la charge cognitive ressemble à celui du regard soutenu.
Du même coup, cela signifie que le fait d’insister auprès d’un enfant
TSA ou SW pour nous regarder dans les yeux pendant qu’il pense
(une demande trop souvent répétée) peut influer sur sa capacité à
se concentrer84.

74  Auteur-compositeur québécois, « Les yeux du cœur », Album Rendez-vous doux, 1988.
75  Fiona G. Phelps, Gwyneth Doherty-Sneddon, Hannah Warnock, Helping Children
Think : Gaze Aversion and Teaching, Stirling University, Article soumis le 14 juillet 2004.
76  Arthur M. Glenberg, Jennifer L. Schroeder, David A. Robertson, op. cit.
77  On présente aux enfants une feuille de papier sur laquelle apparaît le visage d’un clown
avec des points de couleur. On remplace cette feuille par une autre sur laquelle il y a le
visage d’un clown sans couleur. La tâche consiste à placer des jetons de couleur aux
mêmes endroits que sur la page originale.
78  Sander Nieuwenhuis, Bernet M. Elzinga, Priscilla H. Ras, Floris Berends, Peter Duijs,
Zoe Samara, Heleen A Slagter, Bilateral saccadic eye movements and tactile
stimulation, but not auditory stimulation, enhance memory retrieval, Brain and
Cognition, Elsevier, 2012.
79  Serena Mastroberardino, Annelies Vredeveldt, Eye-closure increases children’s memory
accuracy for visual material, « Frontier in Psychology », Vol. 5, Article 241, 24 mars
2014.
80  Je présente un résumé des différents résultats à titre indicatif seulement. Du point de
vue du langage corporel, ces résultats nous intéressent étant donné le lien avec
l’analyse des yeux. J’espère qu’ils serviront la cause des lecteurs qui doivent gérer les
défis qu’apportent les troubles du syndrome de l’autisme et de Williams.
81  Terfe Falck-Ytter, Christoffer Carlström, Martin Johansson, Eye Contact Modulates
Cognitive Processing Differently in Children with Autism, Society of Research in Child
Development, Vol. 0, no 0, 2014.
82  Deborah M. Riby, Gwyneth Doherty-Sneddon, Lisa Whittle, Face-to-Face Interference in
Typical and Atypical Development, Development Science, 15 :2, 2012.
83  Deborah M. Riby, Gwyneth Doherty-Sneddon, Lisa Whittle, Gaze Aversion as a
Cognitive Load Management Strategy in Autism Spectrum Disorder and Williams
Syndrome, The Journal of Child Psychology and Psychiatry, 53 :4, 2012.
84  Deborah M. Riby, Gwyneth Doherty-Sneddon, Lisa Whittle, Face-to-Face Interference in
Typical and Atypical Development, Development Science, 15 :2, 2012.
12
La détection du mensonge

«  L’acheteur a besoin de cent yeux ; le vendeur,


d’aucun.  »
George Herbert85
Ce n’est pas moi !
Qu’est-ce que prédire l’avenir, lire dans les pensées et détecter le
mensonge ont en commun  ? Tous trois sont impossibles. Nous
pouvons douter, deviner ou demeurer perplexes, mais sans
questionnement additionnel, les chances de percer le mensonge se
comparent à jouer à pile ou face. L’art du mensonge s’exprime de
différentes manières en utilisant diverses stratégies propres à
chacun. Donc, l’analyse des yeux peut-elle nous aider à détecter le
mensonge ? Non… et oui !

Cette réponse volontairement confuse met en lumière le


caractère nébuleux du mensonge. Dans ce domaine, rien n’est noir
ou blanc. Mais cette réalité passionne suffisamment pour en faire
l’objet de nombreuses recherches. Nous allons tenter de
comprendre les tenants et aboutissants du mensonge et autres
stratégies de détection. Pour ce faire, nous nous référons aux
travaux du Dr Alder Vrij86, professeur en psychologie à l’Université
de Portsmouth. Ses observations nous aideront à établir un
rapprochement avec notre analyse des yeux.

Qu’est-ce qu’un mensonge ?


Dieu merci, le mensonge ne fait pas partie des sept péchés capitaux
et arrive seulement en huitième place dans les 10 commandements.
S’il fallait aller en enfer sur cette base, nous serions tous
condamnés, d’autant que la religion ne fait pas de distinction entre
les différents types de mensonge.

Malgré sa mauvaise réputation, le mensonge est, quelque part,


un facilitateur d’interactions sociales. Prenons le type de mensonge
le plus évident, à savoir celui qui traduit une contradiction87. Sur une
échelle à trois niveaux, ce type de mensonge se place à l’échelon le
plus élevé dans la mesure où le propos se trouve carrément à
l’opposé de la vérité.

Si l’on réduit l’intensité d’un cran, le second type de mensonge


inclut l’exagération qui consiste à surestimer ou sous-estimer les
faits. Par exemple, vous amplifiez vos remords d’être arrivé en retard
pour calmer la déception ou la colère de vos amis et collègues. Vous
« enjolivez » votre curriculum vitae dans le but d’obtenir un emploi.

Finalement, au plus bas niveau, on parle d’omission. Cette


interprétation incomplète de la vérité induit en erreur. Lorsque la
relation intime inappropriée entre une personne en position d’autorité
et une subalterne fait la une des journaux, tout le monde doute de la
probité de l’explication offerte en conférence de presse. Seulement,
personne ne peut la prouver. L’accusé du tribunal public soumet une
demi-vérité.

Alors pourquoi mentons-nous ?

Souvent, nous mentons pour obtenir un gain ou éviter une perte.


Mais chaque circonstance possède son mensonge, que ce soit pour
des raisons psychologiques, pour éviter d’être embarrassé ou pour
protéger quelqu’un. Combien de fois avez-vous tenté de remonter le
moral de quelqu’un alors que vous saviez pertinemment qu’il y avait
peu ou pas de solution ? Après une perte d’emploi, un divorce, une
défaite sportive, nous voulons réconforter, encourager, relever ou
soutenir l’autre, en dépit de notre incapacité à assumer ce que nous
avançons. Mais, comme on le dit souvent, c’est bon de l’entendre.
Enfin, les mensonges sociaux, quant à eux, préservent l’harmonie
et la qualité de la relation conjugale, amicale et professionnelle. Par
exemple, comment dire à quelqu’un que sa nouvelle coupe de
cheveux ressemble à un film d’horreur de série B, si vous ne pouvez
pas corriger la situation ? Votre partenaire vous demande si sa perte
de poids paraît. Vous et moi connaissons la seule et unique réponse
à cette question…

Ainsi, le quotidien amène son lot d’occasions de mentir et la


plupart des gens ne s’en sortent pas si mal. Des chercheurs ont
démontré que dans une conversation de dix minutes alors que les
parties faisaient connaissance, les participants ont menti en
moyenne deux fois et les trois quarts ont avoué avoir menti durant
toute la session. Les nombreuses raisons pour lesquelles on ment
maintiennent les relations sociales et, quelque part, une certaine
harmonie. Correct ou non, cela peut s’avérer nécessaire. De toute
évidence, personne ne s’est retrouvé en enfer pour ça.

Il reste encore plusieurs mythes


Bien que le mensonge semble une pratique courante, nous ne
saisissons pas encore son modus operandi, ce qui laisse place à
l’émergence de quelques mythes. Nous croyons, à tort, que les gens
agissent nerveusement et évitent le contact visuel lorsqu’ils mentent.
C’est inexact. Selon la personnalité, ou même le degré
d’intelligence, il n’y a pas de comportement typique et encore moins
unique relié au mensonge.

Tout d’abord, nous sous-estimons notre habileté à mentir. Nous


sommes convaincus de la transparence de nos émotions et de nos
pensées. Ensuite, nous affirmons posséder une morale plus forte
que les autres, parce que la prétention d’être un bon menteur
donnerait une mauvaise image de soi. Finalement, nous nous
souvenons plus facilement des énormes mensonges que des tout
petits qui, pourtant, sont beaucoup plus nombreux.

Cette méconnaissance ou cette évaluation erronée de notre


relation avec le mensonge s’ajoute à notre tendance à éviter de
trouver le mensonge. Peut-être ne voulons-nous pas connaître la
vérité  ? Nous préférons nous faire dire que nous avons perdu du
poids que de réaliser l’usage d’une simple courtoisie. Peut-être
avons-nous peur des conséquences ? Apprendre l’infidélité de notre
conjoint entraîne des répercussions plus importantes que le seul
rétablissement des faits. Peut-être ne savons-nous pas comment
gérer la vérité et réinstaurer sa confiance ?

Un autre mythe sur lequel nous reviendrons plus tard suggère


que le menteur fuit du regard. Non seulement cela est faux, mais, en
fait, c’est tout à fait le contraire.

Comment devenir un bon menteur ?


Comme dans toute chose, la pratique rend meilleur. Alors, quand
commençons-nous à mentir  ? Certains chercheurs sont d’avis que
les enfants peuvent mentir de façon délibérée dès l’âge de quatre
ans. D’autres croient que les enfants commencent à mentir plus tôt,
au moment où ils ont compris qu’ils peuvent établir un rapport de
force avec l’autre. Les parents parmi vous se souviendront des
nombreux petits mensonges de vos bambins qui, somme toute,
servaient à se protéger d’une réprimande éventuelle.

Un menteur efficace est, quelque part, un bon acteur. Que ce soit


sur scène, au petit ou au grand écran, les acteurs jouent avec
crédibilité. Cette « seconde nature » est le fruit d’un travail rigoureux,
bien sûr, mais requiert quand même certaines qualités. Parmi elles
on reconnaîtra le contrôle émotionnel qui, notamment, aidera l’artiste
à gérer calmement la situation malgré son trac. Comprendre le
niveau de nervosité chez un menteur explique l’importance de
maîtriser ses émotions. Ensuite, le contrôle social amène l’acteur à
bien se positionner dans sa réalité virtuelle. À cet égard, un bon
fraudeur s’assure d’exercer un contrôle sur son environnement pour
éviter d’échapper une parole ou un geste révélateur. Finalement, il
excellera par la qualité de son jeu et la cohérence de ses
expressions faciales.

L’étude des émotions par le professeur Ekman nous permet de


vérifier la cohérence des émotions avec le message. Rappelez-vous
le seul exemple où l’on ne sourit pas avec la bouche, mais bien avec
les yeux. Ainsi, un faux sourire pourrait trahir l’expression de bonne
humeur que le menteur prétend. Toutes ces qualités bénéfiques au
menteur visent un objectif : vous convaincre et paraître sincère.

Si nous étions affligés du syndrome de Pinocchio, cela nous


faciliterait grandement la vie à la vue du nez qui s’allonge au fur et à
mesure que le mensonge s’étale. On peut reconnaître des
différences dans le langage corporel d’une personne honnête et
celui d’un menteur. Cela dit, le changement de comportement ne
s’effectue pas automatiquement et l’absence de déclencheur précis
nous empêche de conclure au mensonge. Nous ne pouvons donc
pas établir de lien direct entre le langage corporel et le mensonge.
Prenons l’exemple d’un individu extraverti et introverti. Le premier se
reconnaît par son côté social. Il intervient plus fréquemment en
raison de sa propension à maintenir plusieurs interactions de bonne
qualité. Ainsi, il mentira plus souvent que la personne introvertie. En
effet, cette dernière ne vise pas le même objectif en termes de gains
sociaux. Sa réserve l’amène à dire la vérité, même dans des
circonstances inappropriées.

De plus, chaque personnalité se comportera différemment au


moment de mentir. Si la personne extravertie se caractérise
normalement par son exubérance, elle réduira ses mouvements
pendant le mensonge. À l’opposé, la personne introvertie aura
tendance à se démener comme si elle devait déployer plus d’effort
pour justifier son propos. La nervosité se manifeste par une réserve
inhabituelle, pour l’un, et une gesticulation plus apparente, pour
l’autre. Dans les deux cas, plus le risque est élevé, plus la
découverte de la vérité s’annonce lourde de conséquences, plus les
chances de développer une gestuelle particulière augmentent.
Toutefois, cette différence peut s’avérer subtile si on part du fait que
la plupart des mensonges contiennent une grande partie de vérité.
L’enfant qui nie avoir mangé les gâteaux, la bouche pleine de
chocolat, répondra de façon très transparente et très détaillée en ce
qui a trait aux événements qui précèdent et qui suivent le moment
fatidique du larcin. Donc, la portion fausse ne représente qu’un petit
pourcentage de l’ensemble du propos et nous laisse peu de temps
pour capter les changements dans la gestuelle, la fluctuation vocale
et le choix du vocabulaire.
C’est difficile de faire deux choses à la fois
Mentir demeure une activité exigeante et requiert un effort mental
accru. Il vous faut créer une histoire, être en mesure de la répéter de
la même manière chaque fois qu’on vous la demande et maintenir
une apparence sincère et honnête, sans exagération dans votre
gestuelle et votre discours. Tout cela se fait simultanément alors que
vous gardez votre interlocuteur à l’œil afin de vous assurer qu’il gobe
chaque mot de votre entourloupe. La difficulté de cette activité
s’explique par le fait qu’un menteur prend plus conscience du gain
anticipé par son mensonge que dans le cas d’une personne franche.

C’est le cas d’un conseiller financier frauduleux, soucieux de


l’image qu’il doit refléter. Il doit se montrer honnête pour éviter d’être
découvert et de subir de graves conséquences, comme se faire
arrêter par la police. Le menteur sait que sa crédibilité n’est pas
garantie. Cela l’oblige à regarder les réactions de son vis-à-vis avec
beaucoup plus d’intensité pour s’assurer que le mensonge
fonctionne. Ce constat du professeur Vrij suggère qu’un menteur
serait amené à ne pas cligner des yeux, sinon beaucoup moins que
la moyenne, justement pour maintenir le regard sur l’interlocuteur.
Cela signifie que lorsque quelqu’un vous dit  : «  Je te regarde droit
dans les yeux et je te dis que… » sans cligner des paupières, vous
devez investiguer plus à fond la soi-disant vérité.

Quelques recherches tendent à démontrer que les personnes qui


accomplissent des tâches cognitives complexes effectuent moins de
clignements des paupières. Elles prennent plus de pauses, hésitent
et commettent plus d’erreurs pendant leur discours, et attendent plus
longtemps avant de répondre. La complexité des tâches cognitives
entraîne une réduction des mouvements des bras et des mains, et
un accroissement des fuites du regard. Plus la personne est
intelligente, plus elle est à l’aise à mentir. Celles que l’on qualifie de
moins intelligentes peinent à gérer les nombreuses tâches requises
pour mentir efficacement. Voyez par vous-même. Demandez à
quelqu’un de marcher vers vous en bougeant allègrement, sans
restriction. Maintenant, demandez-lui de retourner à son point de
départ et de revenir dans votre direction, de la même manière, mais
en exécutant un calcul arithmétique compliqué que vous lui
donnerez au fur et à mesure qu’il avance. Remarquez son
changement de vitesse et la diminution de l’ampleur de ses
mouvements.
Lors du mensonge, nous essayons de paraître le plus crédibles
possible et prenons des moyens pour protéger notre image. Les
comportements qui accompagnent le mensonge se contrôlent plus
difficilement et pourraient fournir des indices révélateurs.
Conformément aux recherches portant sur la fuite du regard, la
quantité d’opérations cérébrales requise pour accomplir une tâche
cognitive expliquerait pourquoi une personne va fuir du regard. Elle
doit absolument faciliter sa réflexion. Le travail mental qu’exige le
mensonge pourrait néanmoins justifier la présence d’un certain
nombre de mouvements oculaires. Cela signifie que la fuite du
regard n’est pas un indicateur de mensonge. J’opine aussi dans ce
sens. Malheureusement, nous ne possédons pas suffisamment de
données pour l’infirmer ou le confirmer. Les analystes du langage
corporel ne contestent pas ce fait, du moins, ils ne devraient pas.
Considérant qu’un mensonge se construit avec une grande part de
vérité, le recours au domaine cognitif et les mouvements oculaires
afférents s’imposent. Nous ne doutons pas de la probité des
mouvements oculaires. Nous portons plutôt notre attention sur leur
direction en tenant compte du contexte dans lequel s’inscrit le
message. L’observation d’une contradiction au niveau de la fuite du
regard ne permet pas de conclure au mensonge, mais devrait
déclencher un questionnement additionnel pour comprendre les
raisons de cette contradiction.

L’évaluation du comportement de l’individu à l’état normal devient


primordiale. Compte tenu du fait que la tâche cognitive complexe
peut entraîner un changement de rythme dans le comportement du
menteur, celui-ci aura tendance à bouger de façon plus délibérée
tout au long de son propos. Toutefois, il essaiera d’éviter les
mouvements qui ne semblent pas essentiels. Certains d’entre eux
sembleront planifiés, répétés et non spontanés. Vous constaterez
une distorsion au niveau de la rigidité corporelle et de l’inhibition.

Ce n’est pas moi !


La différence entre un mensonge et la vérité repose sur une
question de crédibilité, dans le cas présent, très fragilisée. La
prétention d’honnêteté d’un menteur ne se légitime pas. Il rencontre
plus de difficulté à endosser ce qu’il avance en raison de scrupules
moraux, d’absence d’implication émotionnelle ou du manque de
connaissance et d’expérience pour soutenir son propos. Ensuite, il
doit fournir un effort supplémentaire pour convaincre l’autre. À
l’opposé, une personne franche se préoccupe moins de ce qu’elle
projette de sorte qu’elle pourrait avoir l’air moins honnête que le
menteur. À cet égard, la question de l’image vient brouiller les cartes
de l’analyse du langage corporel. Une vérité n’est pas toujours
absolue. Des incertitudes peuvent s’insérer dans le récit honnête et
faire paraître l’individu plus suspect qu’en réalité. La personne
honnête n’a aucun problème à cligner des paupières ou à fuir du
regard. Cette réaction traduit un certain laisser-aller, comme si elle
acceptait de se rendre vulnérable en fermant les yeux. Cette attitude
peut vous amener à croire faussement que la personne honnête
vous ment.

Au moins, nous avons rectifié le mythe qu’un menteur fuit


nécessairement du regard. Il portera une attention particulière à son
comportement pour diminuer toute suspicion à son égard, il aura
tendance à vous regarder droit dans les yeux, sans cligner des
paupières et sans fuir du regard. Ce constat vient à l’encontre de
l’état normal du processus cognitif de réflexion qui requiert une
contribution des mouvements oculaires. Dans l’analyse du langage
corporel des yeux, ce regard fixe constitue probablement un des
éléments les plus intéressants et les plus probants. Il est faux de dire
que la fuite du regard indique un mensonge. La plupart des
chercheurs s’entendent aussi là-dessus.

L’analyse du langage corporel de même que la programmation


neurolinguistique parlent largement de la fuite du regard sans établir
de lien direct avec le mensonge. Pourtant, plusieurs spécialistes,
notamment dans le milieu policier, croient à tort la relation étroite
entre les deux. Je le répète, à lui seul, un item ne vaut pas grand-
chose et, en conséquence, peut encore moins confirmer ou infirmer
le mensonge. Quoi qu’il en soit, nous devons réitérer l’importance
d’accumuler le plus grand nombre d’items corporels pour créer un
horizon de sens. Malgré ces précautions élémentaires, gardez une
réserve dans l’élaboration de l’horizon de sens. Il ne fait que mettre
la lumière sur une contradiction qu’il faut investiguer plus à fond.

En revanche, un regard fixe ne signifie pas automatiquement que


l’on vous ment. Je rappelle le chapitre sur les quadrants visuels et la
zone de l’hyperconcentration qui se caractérise par ce type de
regard.

Certaines personnes regardent les autres directement dans les


yeux sur une base constante. C’est du moins une hypothèse que
soumet l’analyse du langage corporel en ce qui a trait aux personnes
montrant des signes du syndrome de l’autisme.

À titre indicatif, notons que les chercheurs DePaulo, Lindsay et


Associés88 proposent une liste d’items corporels qui suggère
quelques différences entre le mensonge et la vérité. Dans la partie
mensongère du message, on remarque que la pupille des yeux est
plus dilatée. On peut ressentir une plus grande tension dans la voix,
un port de tête plus relevé, une pression plus fréquente des lèvres et
reconnaître un visage moins sympathique89. Le récit mensonger
semble plus ambivalent. Un menteur demeure incertain et s’implique
moins dans sa communication. Il utilise une répétition de mots et de
phrases.

Pourrez-vous détecter le mensonge ?


Les observations effectuées lors de l’analyse du langage corporel
servent à déterminer s’il existe, apparemment, une contradiction
entre le message et la signification du geste. Devant ce qui
ressemble à une incohérence, vous devez poser plus de questions.
Les seules façons de percer le mensonge résident dans la
possession d’une preuve irréfutable ou d’un aveu de la part de votre
interlocuteur.

Les adultes sont de meilleurs menteurs que les enfants. Nous


savons qu’un menteur aura tendance à regarder droit dans les yeux
de l’autre. Pour ce faire, il doit faire preuve d’empathie. Les enfants
de moins de six ans ne possèdent pas cette capacité à se mettre à
la place de l’autre en raison de la surcharge cognitive et des
éléments de nervosité plus importants que chez les adultes.

Finalement, les gens ne mentent pas de la même manière. Il n’est


donc pas possible de dresser une liste des indicateurs corporels
spécifiques. Rappelez-vous l’importance d’accumuler le plus grand
nombre d’items corporels convergents ou divergents pour votre
horizon de sens.
Les yeux s’expriment comme le reste du corps  : ils ne mentent
pas. Mais ils ne rétablissent pas la vérité. Ils ne font que vous
transmettre, de la façon la plus transparente qui soit, la vraie nature
de l’information qui accompagne le propos. Cela dit, avec de la
pratique et de la persévérance, il est raisonnable de croire que vous
pourrez reconnaître un mensonge jusqu’à environ 70 % des cas.

85  Jacula Prudentum, 1651, dicocitations.lemonde.fr/citations.


86  Alder Vrij, Detecting Lies and Deceit, Pitfalls and Opportunities, 2nd ed, Wiley,
Angleterre, 2008.
87  En psychologie, on utilise essentiellement les termes « mensonge », « exagération » et
« petits mensonges » (traduction de l’anglais « white lies »), alors que la population
générale peut aussi employer d’autres mots pour expliquer la même chose, par
exemple la contradiction pour le mensonge.
88  Bella M. DePaulo, James J. Lindsay, Brian E. Malone, Laura Muhlenbruck, Kelly
Charlton, Harris Cooper, Cues to Deception, Psychological Bulletin, 2003, Vol. 129, no.
1, pp. 74-118.
89  Les chercheurs n’expliquent pas les critères qui définissent un visage moins
sympathique. Une étude approfondie des indicateurs corporels au niveau du visage et
une bonne lecture des émotions pourraient nous aider à identifier ces critères et
comprendre pourquoi on utilise l’expression « visage moins sympathique ».
Conclusion

«  Le Bon Dieu nous a donné deux yeux et une


bouche, c’est pour regarder deux fois plus qu’on
parle. »
Moi

Même si vous restez immobile, vos yeux parlent. Ils valident la


cohérence du message, précisent le propos et contextualisent la
réflexion. Vous anticiperez la réponse de l’autre avant qu’il n’ait
prononcé sa première syllabe. Les yeux ne mentent pas, mais
n’avouent pas non plus. Ils puisent l’information à la source et
interviennent de façon transparente.
La région oculaire (les yeux, les paupières et les sourcils) apporte
une profondeur à l’échange. Elle indique la nature du lien avec
l’interlocuteur, exprime ses réactions, définit sa prise de position vis-
à-vis le message. Ses déplacements aident à réfléchir et à
apprendre.

De façon générale, les yeux traduisent l’état d’âme de la


personne. Arrive-t-elle devant vous avec un regard franc et direct,
intéressée avec des yeux d’enfant ? Est-elle déprimée, touchée ? Ce
premier questionnement, qui s’inscrit dans l’analyse de la
configuration des yeux, rappelle l’importance de porter une première
attention sur l’individu dans son ensemble. Impatients de connaître
la signification d’une microdémangeaison, nous omettons trop
souvent l’évaluation de l’allure générale, incontournable à
l’établissement d’une base de référence et à l’observation des
changements. Une trop grande anticipation peut entraîner des
conclusions erronées.

Une approche méthodique exige, ensuite, de noter les émotions.


Les recherches en la matière excèdent le seul domaine du langage
corporel, comme en font foi les travaux du professeur Ekman. Les
émotions s’expriment essentiellement au niveau du visage de façon
relativement probante. D’ailleurs, des professionnels ont développé
des logiciels de reconnaissance faciale pour identifier les émotions,
notamment à des fins de marketing. Je ne commente pas sur
l’efficacité de cette technologie, mais cela confirme le rôle des yeux
dans la lecture des émotions.

Après avoir observé l’allure générale et les émotions de votre


interlocuteur, vous pourrez enfin vous attarder à tous ces petits
gestes d’autocontact : les microdémangeaisons. Nous savons qu’un
micromouvement vers l’extérieur du visage suggère une ouverture,
et une fermeture en sens contraire. Ainsi, l’individu veut « voir », plus
ou moins selon le cas. Il convient de rappeler que le mouvement
isolé ne possède pas de poids significatif. Sa mise en contexte et
son lien avec d’autres indicateurs corporels contribuent à la
définition d’un meilleur horizon de sens.

Jusqu’à maintenant, nous avions étudié l’aspect relativement


passif des yeux qui ne dévoilait que la pointe de l’iceberg. Qu’on le
veuille ou non, les yeux diront tout sans filtre, sans que vous
puissiez intervenir. Les mouvements oculaires intéressent plusieurs
membres de la communauté scientifique. Le nombre considérable
de données nous démontre l’importance des fuites du regard dans la
communication et dans l’apprentissage. Dommage que des
détracteurs rejettent du revers de la main les observations
empiriques séculaires que l’analyse du langage corporel s’affaire
humblement à rationaliser. Nous ne cherchons pas le Saint-Graal.
Nous tentons simplement de comprendre l’être humain dans sa
façon de s’exprimer et d’apprendre.

Par conséquent, le débat que je propose sur les neuf quadrants


visuels vous soumet ma modeste contribution pour l’avancement
des recherches. Tout ne s’évalue pas en millisecondes ou en
degrés. Ma réflexion s’appuie sur de nombreuses références
scientifiques et observations empiriques. La vérité absolue n’existe
pas dans l’étude de l’Homme. Je ne peux que suggérer une façon
plus contemporaine d’analyser ses mouvements oculaires. À vous,
maintenant, de pousser ces recherches à un autre niveau.

Finalement, reconnaître que les fuites du regard n’indiquent pas


le mensonge ne constitue en rien un échec. Au contraire. Je suis
d’avis que les prétentions qui soutiennent un tel lien induisent le
public en erreur et je ne peux qu’observer les intérêts mercantiles de
ceux qui souhaitent vendre leur expertise en la matière. Cela dit,
même les scientifiques qui se penchent sur le mensonge admettent
le rôle du langage corporel. L’étude de la détection du mensonge
n’identifie pas des items corporels précis. Elle propose de
comprendre les différences entre le comportement d’une personne
franche et honnête, et celui d’un menteur. L’analyse en langage
corporel ne cherche pas le mensonge, elle souligne les
contradictions. Vous me direz que je joue sur les mots. Pas du tout !
Contradiction n’est pas un synonyme de mensonge. Une analyse
sérieuse et structurée du langage corporel observe la
microdémangeaison, remarque la fuite du regard, met en lumière la
contradiction et suggère une interprétation qui s’inscrit dans un
horizon de sens. Comme je l’ai toujours soutenu, le mensonge se
confirme à l’aide d’une preuve ou d’un aveu.

L’analyse du langage corporel est une discipline, certains diront


un art. Convenons d’un outil de communication pour décoder un
message. Le débat sur son statut scientifique est non fondé et futile.

Il reste encore beaucoup de travail. Nous valorisons la


collaboration entre l’approche empirique et la recherche scientifique.
Les yeux parlent. À vous de voir !
À PROPOS DE L’AUTEUR

Titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en sciences politiques,


Michel Picard se passionne sur le renseignement de sécurité dès
son entrée à l’université. Il confirme son grand intérêt avec une
première enquête à propos d’une secte religieuse aux ramifications
internationales. Après une année d’infiltration dans l’organisation, les
résultats de son analyse se retrouvent dans son mémoire de
maîtrise. En même temps, il collabore avec Jean-François Boyer,
journaliste d’enquête, à la rédaction de son livre La Secte Moon,
publié aux éditions La Découverte. Cette première expérience a
confirmé son intérêt pour le renseignement, l’enquête et la rédaction.

Au début de sa carrière, il occupe le poste d’inspecteur des


douanes pour l’Agence des services frontaliers du Canada, où il se
familiarise avec une autre dimension du renseignement avant de
passer au secteur privé. Là, il cumule les fonctions de directeur
sénior de la pratique des douanes d’un grand cabinet comptable et
de chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et à l’École des
hautes études commerciales (HEC). Au surplus, on requiert son
expertise en vue de la mise sur pied de cours sur le blanchiment
d’argent.

Pendant plus de vingt ans, l’auteur se spécialise sur les questions


de fraude. Il utilise ses connaissances en matière de criminalité
financière dans ses fonctions d’analyste aux renseignements
criminels au sein de l’Équipe intégrée de la police des marchés
financiers de la Gendarmerie Royale du Canada. Fort de plusieurs
années d’expérience, il crée le programme de deuxième cycle de
lutte à la criminalité financière offert à l’Université de Sherbrooke.

À titre d’analyste-expert, on reconnaît ses qualités de


vulgarisateur. Il commente les dossiers de fraude auprès des
chaînes télévisées et radiophoniques du Québec. Auteur et
conférencier international, il publie plusieurs articles, entre autres
dans la revue Journal of Financial Crimes et enseigne en Amérique
du Nord, en Europe et en Afrique.

Au milieu des années 90, il porte un intérêt particulier sur le rôle


des yeux dans la communication, notamment à travers la
programmation neurolinguistique (PNL). Après l’obtention de son
titre de praticien, il se dirige vers l’analyse du langage corporel,
discipline qu’il se permet de tester abondamment dans le cadre de
ses expériences professionnelles et sociales. Chercheur et éternel
étudiant, il n’hésite pas à remettre en question les références
techniques, scientifiques et pédagogiques pour parfaire son
expertise dans une discipline aussi pragmatique que pertinente  : le
langage corporel.

Facebook : @MichelPicardPublications
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RÉFÉRENCES WEB

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Votre corps parle même si vous n’avez pas prononcé une parole. Mimiques,
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