Vous êtes sur la page 1sur 9

CAIRN.

INFO : Matières à réflexion

Trauma et résilience

Chapitre 18. Psychothérapie des victimes de traumatismes sexuels

Samuel Lemitre, Adeline Laloum

Dans Trauma et résilience (2012), pages 197 à 206

PrécédentSuivant

Chapitre

Dans ce chapitre, les auteurs abordent les éléments clés du processus thérapeutique engagé auprès
des victimes de traumatismes sexuels. En théorisant les aspects techniques du traitement psychique,
ils souhaitent montrer que la psychothérapie est un espace où sont mises en œuvre des stratégies de
soin structurées et modélisées qui ne doivent rien au hasard. En partageant avec le lecteur les
questions cliniques et les problèmes techniques soulevés dans ces psychothérapies, ils souhaitent
aussi permettre au lecteur d’entrer dans le cœur même du processus thérapeutique. Ils espèrent
pouvoir l’aider à mieux comprendre ce qui se joue pour ces patients souvent meurtris, et montrer
comment il est possible d’engager avec eux une dynamique résiliente.

Formes cliniques des violences sexuelles

Qu’est-ce que le traumatisme ? Étymologiquement ce terme nous renvoie à une « blessure avec
effraction ». L’événement traumatique produit un choc soudain et violent qui entraîne une véritable
commotion psychique empêchant toute élaboration mentale. En effet, un tel choc engendre une
décharge massive d’affects et une désorganisation profonde des systèmes de référence du sujet
confronté au sentiment mortifère d’une fin imminente et inévitable. Le trauma est donc
confrontation à la mort. Le moi est sidéré par un réel irreprésentable, effractant brutalement le
système pare-excitant qui se trouve débordé. Des mouvements de lutte internes violents vont
s’engager, ayant pour principale conséquence de délier la pensée, les représentations et les affects.
Cet impact traumatique conduit, la plupart du temps, à une anesthésie de la pensée qui ne peut plus
appréhender l’avenir et qui empêche de comprendre ce qui a été vécu. Le trauma entraîne aussi
l’émergence de défenses « protectrices » comme l’évitement, mécanisme à l’œuvre dans le transfert
qui constitue l’un des principaux obstacles à la psychothérapie. Le traumatisme, lorsqu’il est sexuel,
est renforcé par la honte d’avoir été le « lieu d’un acte sexuel » subi, sans accord ni réciprocité. Il
contraint à une extrême passivité qui place la victime au rang d’objet, et annihile du même coup tout
sentiment d’exister.

Il existe des différences qualitatives dans les formes de la violence sexuelle. Celle-ci peut survenir une
fois, se répéter dans le temps, avec une brutalité apparente ou, au contraire, sous la forme d’une «
séduction douce », avec un ou plusieurs agresseurs ou de multiples agressions commises par
différents auteurs. Lorsque le clinicien évalue l’impact traumatique d’une situation violente, il ne doit
pas négliger ces différences. Il doit aussi explorer quelle est la nature du lien qui lie la victime à
l’agresseur. Dans les agressions sexuelles sur enfants, 85 % des auteurs sont des familiers. Il peut
alors se nouer un lien pathologique susceptible d’accroître l’emprise psychique du bourreau.
N’oublions pas aussi que la majorité des victimes sont des enfants ou adolescents vulnérables, isolés
socialement ou ayant des carences affectives et qui recherchent le soutien d’un adulte « aimant ».

Les caractéristiques de sexe et de genre peuvent aussi avoir une influence. Chez un enfant, par
exemple, le système des identifications sexuelles secondaires encore fragile peut être ébranlé par
l’agression sexuelle. Celle-ci peut infléchir un choix d’objet flou ou mal structuré, ce qui peut avoir
des conséquences importantes à l’âge adulte. Enfin, l’âge de la victime au moment de l’agression est
un élément déterminant car l’impact traumatique sera corrélé aux développements psychoaffectifs
et psycho-sexuels. Le clinicien doit donc évaluer le niveau de maturation sexuelle de la victime par
rapport à celui de l’agresseur car, lorsqu’un acte sexuel est imposé à un enfant ou un jeune
adolescent, celui-ci ne peut pas saisir ce qui se passe. Comme le souligne Ferenczi (1932), le vécu de
la sexualité entre les adultes et l’enfant est radicalement différent. Il y a rencontre entre deux
mondes qui ne peuvent pas se comprendre, et cette irruption soudaine de la sexualité génitale
adulte dans le monde de tendresse de l’enfant produit un effet particulièrement désorganisateur. La
gestion émotionnelle de l’agression ainsi que les défenses mobilisables sont aussi différentes selon
l’âge de développement. Un enfant encore dépendant de son entourage aura en effet plus de
difficulté à remettre en question le comportement de ses parents lorsque ceux-ci exercent sur lui une
violence physique ou sexuelle. Il pourra se dire que s’ils se comportent ainsi, c’est certainement
parce qu’il le mérite, parce qu’il n’a pas été sage. Autour de l’impact traumatique peut donc surgir la
culpabilité, lorsque la victime a le sentiment d’avoir « laissé faire », ou d’être complice de quelque
chose. Cet aspect est d’autant plus prégnant lorsqu’il existe des liens d’attachement ou quand les
actes ont été répétés dans le temps, parfois plusieurs années, car la victime se reproche de n’avoir «
rien fait » pour empêcher que cela se reproduise.

À la difficulté de devoir énoncer ce qui s’est passé, notamment au décours des auditions judiciaires,
s’ajoute parfois la douleur de ne pas être cru, ou de ne pas être entendu. Car l’agression sexuelle se
joue toujours à plusieurs, mais souvent sous le dictat du silence, du secret imposé par des menaces
plus ou moins explicites : « ce sera notre secret », « ce sera pire si tu en parles ». Dans l’imaginaire de
la victime, parler peut-être vécu comme plus dangereux encore que de se taire : « Si tu parles, tu vas
être placé » « tu vas tuer ta mère si tu lui dis ». La solidité du soutien familial est donc un élément
important pour l’évaluation des potentialités résilientes de la victime, car un environnement sécure
nommant l’interdit laisse espérer un pronostic évolutif plus favorable. A contrario, l’abandon des
poursuites, ou le déni de l’entourage, peut amplifier l’impact traumatique dans la mesure où il y a
non-reconnaissance, annulation de l’histoire traumatique qui empêche de comprendre ce qui s’est
passé.

Thématiques centrales dans la psychothérapie des victimes de violence sexuelle

Plainte et répétition

La plainte occupe une place importante dans le suivi des victimes de traumatismes psychiques. Pour
le clinicien, la difficulté dans le travail autour de ce symptôme tient à son caractère répétitif et
envahissant, qui fait obstacle à l’élaboration d’un autre discours sur le trauma. La plainte émane du
sentiment de préjudice et ordonne « réparation », mais tant que ce qui s’est produit est vécu par la
victime comme « irréparable », rien ne fait cesser la plainte. On a d’ailleurs parfois constaté que
celle-ci se renforce après jugement, car contrairement à ce qui est attendu, le jugement et la
condamnation de l’auteur ne suffisent pas à réparer le préjudice moral. La psychothérapie doit donc
permettre d’engager un travail de réparation narcissique permettant progressivement à la victime de
sortir de la plainte et d’élaborer un autre récit sur ce qui a été vécu. Car dépasser le traumatisme,
c’est sans doute accepter l’idée douloureuse qu’il ait pu survenir à nos dépens. La persistance d’un
discours de plainte peut être une manifestation clinique du traumatisme qui s’exprime à travers ce
symptôme de répétition.

Pour Freud, la répétition signe l’échec d’une résolution psychique d’un conflit. Dans « Au-delà du
principe de plaisir » (Freud, 1920), il précise que « ce qui demeure incompris fait retour, tel une âme
en peine, il n’y a pas de repos jusqu’à ce que soient trouvés résolution et délivrance ». La répétition
est au premier plan des névroses traumatiques, car l’objet du trauma, justement, ne trouve aucune
forme d’élaboration mentale. Contrairement à l’abréaction, la répétition n’offre aucun dégagement
car les conflits ont tendance à s’actualiser en permanence, via les symptômes de reviviscence : « je
revois la scène comme si j’y étais… », « les souvenirs et les cauchemars, tout me ramènent sans cesse
en arrière ». La répétition peut donc être l’indicateur d’un blocage du processus thérapeutique et
doit conduire le thérapeute à examiner les conditions susceptibles d’être liées à ce problème. Cela
peut être le fait d’une difficulté technique pour le thérapeute, qui ne parvient pas à trouver un mode
d’intervention offrant au patient une mise en sens et un dégagement. Mais cela peut aussi attester
d’une identification forte aux aspects de victimisation, conduisant le thérapeute à ressentir les
mêmes sentiments d’impuissance que son patient. Dans ce cas, il s’agit avant tout d’une difficulté
d’ordre transférentielle, qui doit être travaillée avec des pairs ou dans un cadre de supervision. La
répétition, lorsqu’elle s’exprime à travers un discours de plainte et de préjudice, peut aussi être liée à
la difficulté, pour le patient, d’accepter de quitter une place de victime offrant un certain nombre de
bénéfices secondaires. Exister comme victime, c’est parfois avoir le sentiment d’exister enfin aux
yeux de quelqu’un. Dans ce cas, la plainte peut apparaître comme un cri qui revendique une
existence propre : « si vous ne m’entendez pas en tant que sujet singulier, entendez-moi au moins
comme victime ». Dans de tels cas, il peut être difficile pour le thérapeute de modifier les schémas de
victimisation tant que ces bénéfices secondaires n’ont pas été mis au jour. Cependant une
interprétation hâtive des avantages que le patient peut tirer de ses symptômes risque d’être vécue
comme blessante. Il est donc important que le thérapeute attende l’installation d’une solide relation
de transfert avant d’intervenir sur cette question. Il doit le faire sans jugement, en invitant le patient
à réfléchir au sujet cette plainte : « J’ai remarqué que nos séances débutaient souvent par une
plainte, à propos de la procédure qui n’avance pas, de vos soucis financiers, de votre famille qui ne
vous comprend plus, des hommes politiques qui ne s’engagent pas, à propos du temps qu’il fait…
l’avez-vous déjà constaté vous aussi ? », « …cette plainte vous apporte-t-elle un apaisement ? », etc.

Honte et culpabilité

Les victimes de violences sexuelles manifestent la plupart du temps de la honte et de la culpabilité.


Honte d’avoir été le « lieu » d’un acte sexuel non consenti. Cela génère un profond dégoût de soi, le
sentiment d’être sale, souillé et abîmé. Cette atteinte parfois grave dans l’estime et l’image de soi
engendre des troubles narcissiques dont les conséquences relationnelles peuvent être importantes :
« Comment peut-on s’intéresser à moi, je n’évoque que du dégoût », « pour les hommes, je ne suis
bonne qu’à ça… je ne dégage que du sexe, je suis sale ». En règle générale, le renforcement de
l’estime de soi par un étayage bienveillant du thérapeute permet peu à peu d’atténuer le sentiment
de honte, mais, quand est-il de la culpabilité ? Ce sentiment conduit souvent l’entourage à exprimer
des formules de réassurance un peu plaquées : « mais non, tu n’y es pour rien », « ce n’est pas ta
faute ». Ces réactions renforcent généralement l’isolement de la victime car toute tentative
artificielle de déculpabilisation revient à nier sa parole et elle ne se sent pas entendue. Le sentiment
de culpabilité est réel. Il est donc recommandé de ne pas déculpabiliser trop précipitamment le
patient, au risque de négliger la fonction de ce symptôme dans son économie psychique.
Déculpabiliser une victime ne fait que renforcer son sentiment, car pour elle, se sentir coupable, c’est
ne pas renoncer à l’idée « d’y être pour quelque chose et croire qu’il aurait été possible de faire
basculer le destin ». La culpabilité est « moteur de survie », car elle permet de lutter contre le
sentiment d’impuissance. Même si nous devons situer le champ des responsabilités : le responsable
c’est l’agresseur, il faut donc éviter de toucher trop rapidement à ce symptôme, au risque
d’apparaître, pour la victime, comme « quelqu’un qui ne comprend pas ».

Activité pulsionnelle et libidinale

Certains traumas sexuels provoquent une rupture des barrières de l’intime et un épanchement
libidinal hors des limites du self. Parfois, cette fracture du psychisme entraîne un écoulement de la
vie pulsionnelle sur l’extérieur et une sexualisation massive du lien à l’autre. Cette manifestation
peut s’accompagner d’une hystérisation de contact : transfert de séduction, regard langoureux,
tenues et postures aguichantes, recherche inadéquate de proximité, etc. Dans d’autres cas, on
observe au contraire un gel pulsionnel impactant directement l’activité libidinale, qui conduit
certaines victimes à une privation, en refusant toute forme d’activité sexuelle. Cela est
particulièrement compromettant lorsque le traumatisme survient à l’adolescence, car le blocage de
la libido perturbe de développement naturel de l’activité sexuelle post-pubertaire. Chez certains
adolescents ayant été victime d’abus sexuels au cours de l’enfance, on observe aussi souvent un
retard de développement qui peut être compris comme un refus inconscient d’entrer dans la
sexualité. L’activité pulsionnelle ne se destine cependant pas exclusivement à nourrir la libido. Elle
alimente aussi la pulsion épistémophilique et, comme on l’a vu précédemment, certains traumas
infantiles peuvent entraver durablement le développement intellectuel et l’investissement de la
pensée. Toutes ces questions engagent donc une réflexion sur le destin de la pulsion dans la période
post-traumatique, mais aussi sur l’identité et sa construction à long terme, car celle-ci est aussi mise
en jeux par le traumatisme sexuel.

Construction identitaire et systèmes identificatoires

L’agression sexuelle provoque une blessure narcissique profonde à laquelle s’ajoute parfois une
atteinte du sujet dans ses fondements identitaires. Certaines croyances fondamentales (Janof
Bulman, 1992) qui permettent habituellement de vaincre la peur de la mort et d’investir le monde
externe sont alors anéanties. L’insouciance de vivre, le caractère bienveillant du monde environnant,
l’idée d’un monde qui a du sens et l’idée de sa valeur propre sont, par exemple, des croyances
fondamentales qui ne vont désormais plus de soi. Lors d’événements traumatiques, leur remise en
question apparaît comme un signe clinique signalant la perturbation profonde des systèmes de
référence de l’individu et une modification de l’être au monde. Toute personne confrontée à une
expérience de victimisation majeure se sent vulnérable. Elle pense qu’elle n’est plus digne d’amour,
que la vie n’a pas de sens et que le monde est extrêmement dangereux. Un tel bouleversement peut
avoir un impact sur la construction identitaire même du sujet et entraîner des décompensations
psychopathologiques graves. Le trauma peut provoquer des dépressions majeures, parfois même des
effondrements psychotiques. Dans d’autres cas, une idéation paranoïaque peut apparaître avec des
thèmes de persécution et de complot, entraînant un décrochage plus ou moins marqué à la réalité.
On peut d’ailleurs supposer que, plus l’atteinte identitaire est importante, plus le traitement sera
long.

Lorsqu’un enfant subit des violences sexuelles répétées, sans violence, de la part d’un adulte de
l’entourage proche, se noue alors entre l’agresseur et la victime une relation complexe. Un système
d’attachement les solidarise l’un l’autre, l’enfant abusé ressentant souvent et naturellement un
sentiment de tendresse pour son bourreau. Le lien qui les unit peut être aliénant et conduire, dans
certains cas, à la répétition de systèmes d’attachements violents. L’une des bases conceptuelles de
cette répétition est ce que Ferenczi a décrit sous le mécanisme identification à l’agresseur. Si la
victime est un enfant, une partie constitutive de son identité va se structurer par identification aux
parents violents. Par un mécanisme primitif d’incorporation du mal, il peut développer le sentiment
d’être mauvais et se structurer une identité polymorphe, à la fois victime et agresseur. Dans
certaines familles, l’enfant ne peut être investi que comme bouc émissaire, support de toutes les
projections hostiles et rejetantes. Dans de tels contextes, il peut avoir le sentiment de n’exister aux
yeux de son entourage que comme un mauvais enfant, à battre ou à violer : « Tu n’es bon qu’à
recevoir des baffes. » Aux questionnements identitaires de l’adolescence (« qui suis-je »), certains ne
trouvent alors pas d’autres réponses que d’exister en tant que victime, ce qui peut les conduire à se
survictimiser dans leurs relations aux pairs ou à reproduire les violences subies.

Grandes étapes du traitement

L’accueil et l’établissement du transfert

Face aux reviviscences qui font effraction de manière intrusive dans le moi, la victime va
généralement chercher à se protéger dans un mouvement de repli relayé par des défenses rigides.
Pour le psychothérapeute, la difficulté réside dans la possibilité de lever ces défenses afin de pouvoir
engager le traitement. Initialement, le patient évitera d’en parler, et toute tentative du thérapeute
de le faire sera vécue comme un acte de trahison ou de menace. Avant toute autre initiative, le
thérapeute devra donc veiller à la mise en place d’une dynamique de transfert solide, en instaurant
un climat de confiance et de sécurité. Il semble toujours bon, même si cela peut faire partie d’un
savoir implicite, de préciser les règles (confidentialité, rythme, devoirs de protection, attitude de non-
jugement) afin de faciliter l’instauration d’un cadre contenant. Le thérapeute peut aussi préciser ce
qu’il doit faire et pourquoi il doit le faire : « Je suis la pour vous, pour prendre soin de vous. Ce ne
sera pas toujours facile, parfois même cela pourra être douloureux. Je vous propose de vous
exprimer aussi librement que possible, sans peur du jugement, car je ne suis pas là pour vous juger.
Je suis là pour comprendre ce qui se passe en vous afin de vous apporter toute mon aide. »
Interpréter le ressenti possible du patient à l’évocation du trauma peut aussi renforcer les
identifications empathiques : « Il me comprend, puisqu’il devine ce que je ressens. » Enfin, le
thérapeute peut esquisser ses intentions en termes de stratégies de soin, car cela peut contribuer à
rassurer le patient sur la direction à prendre et lui donner un sentiment de « compétence du
thérapeute ». Au départ, l’attitude thérapeutique sera donc très explicative et peu interprétative,
afin de permettre au patient de se situer dans ce cadre tout lui laissant la possibilité de s’en saisir à
son rythme.
Catharsis, abréaction émotionnelle et vécu contre-transférentiel

La catharsis est souvent recherchée dans l’abréaction des troubles émotionnels en lien avec les chocs
traumatiques. Cette technique thérapeutique consiste à aider le patient à décharger les affects
pathogènes par une verbalisation de ce qui a été vécu au moment du traumatisme. Elle constitue
une composante essentielle des débriefings post-traumatiques et son efficacité a été démontrée
pour le traitement des chocs émotionnels « immédiats ». La question se pose cependant pour les
traumatismes anciens. Dans de tels cas, le retour trop brutal des souvenirs traumatiques peu
engendrer une désorganisation massive des systèmes de défense, au point d’entraîner une
fragilisation plus importante que l’état initial. L’abord du traumatisme commande donc une certaine
prudence, et on peut considérer que cela est d’autant plus vrai que le traumatisme est ancien.
Toutes les thérapies basées sur des techniques de réminiscence (EMDR, hypnose) procèdent
d’ailleurs de façon progressive jusque ce que les capacités fonctionnelles du moi soient jugées aptes
à contenir le retour des souvenirs traumatiques. A contrario, certains patients vont rechercher
activement à prendre appui sur la fonction cathartique du cadre clinique en sollicitant un rendez-
vous, souvent précipitamment, au cours duquel ils vont vouloir « tout dire ». Ces personnes n’ont
généralement jamais parlé de leur trauma et n’ont pas d’autre demande que de pouvoir « déposer »
quelque part, dans un lieu symbolique externe, ce qui a été vécu. Il est fréquent d’ailleurs que ces
patients ne reviennent pas consulter, ou pas dans l’immédiat, cette démarche constituant pour eux
une étape préalable dans le travail d’évacuation du trauma.

Dans de tels contextes cliniques, les réactions contre-transférentielles sont souvent intenses. Le
thérapeute pourra se sentir salit d’avoir été le dépositaire de tant de souffrance ou de violence
humaine. Il pourra se sentir instrumentalisé par un patient l’ayant sollicité en urgence pour
finalement ne jamais revenir. Il pourra aussi avoir le sentiment d’être annulé dans son intégrité, en
ayant l’impression de n’avoir pas été considéré comme une « personne » aux yeux du patient. Le
clinicien peut se sentir coupable d’éprouver des émotions négatives face à un sujet qui réactualise
dans le transfert son expérience victimaire. À l’opposé, des expériences infantiles de carences et de
manques peuvent générer des espoirs de réparation fortement idéalisés. Il incombe alors au clinicien
d’offrir une relation thérapeutique qui, tout en favorisant une réduction de la détresse, ne cherche
pas à réparer toutes les blessures du passé. Dans certains cas, de véritables attaques de la pensée
(Bion, 1974) peuvent contaminer le psychisme du clinicien envahit par le sentiment « qu’il n’y a rien à
faire ni rien à comprendre ». Celui-ci doit garder sa capacité de distanciation, afin de prendre
conscience que tout cela vient en écho aux symptômes du patient. Il doit examiner l’ensemble de ses
réactions : colère et agressivité, sentiment d’ennui ou d’impuissance, volonté d’abandonner le
patient à son sort, conduite d’évitement… et mettre en place des espaces d’échanges avec son
équipe clinique lui permettant de dénouer les impasses transférentielles et contre-transférentielles.

Retour aux expériences traumatiques

Paradoxalement, le thérapeute sait qu’il doit encourager l’émergence de ressentis en lien avec l’état
traumatique s’il veut améliorer l’état clinique du patient. Ce travail favorise l’expression d’affects
douloureux et de sentiments parfois difficiles à assumer tels que la haine, la colère, le doute, la
révolte, la peur, la dépression, l’incompréhension de ce qui a été subi, l’expression de fantasmes de
meurtre, de torture de l’agresseur. La libération de ces mouvements permet à la personne de
réunifier corps et psyché et du même coup d’accéder à des émotions positives jusque-là
anesthésiées. En somme ce travail, aussi douloureux soit-il, permet la vie et non plus seulement la
survie. Si au départ, l’effraction traumatique provoque une sidération pouvant s’apparenter à une
forme de mort psychique, la reprise d’un élan vital permet cette progression. Mais celle-ci n’est pas
continue. Elle procède par paliers, avec des périodes régressives fréquentes. L’amélioration de l’état
psychique de la victime passe de façon contradictoire par des moments difficiles de désespoir et de
décompensations dépressives, néanmoins nécessaires, et qu’il faut pouvoir soutenir afin d’espérer
un rétablissement. Le patient peut aussi recouvrir des pans entiers de souvenirs jusque-là masqués
par une amnésie partielle. Dans ce processus, le psychothérapeute exerce une fonction de moi
auxiliaire. Il constitue un appareil psychique de support, mettant à la disposition du patient son
monde de représentations mentales et sa capacité de mise en lien. L’appareil psychique sain du
thérapeute ouvre d’autres voix permettant une mise en sens du trauma qui ne soit pas une
explication, mais un cheminement vis-à-vis de cet événement, au regard de l’histoire personnelle. Là
ou les victimes se questionnement afin de savoir « pourquoi » cela est-il arrivé, le thérapeute doit les
aider à comprendre, à travers l’expérience douloureuse, « qui l’on est », « ce que l’on découvre de
soi dans l’épreuve » et « ce que l’on en tire pour l’avenir »… Il s’agit en fait de rendre le patient plus
résilient.

Facteurs de résilience

Souvent, le patient se sent coupable et se condamne, car il pense être la cause de tout. La
psychothérapie doit donc permettre d’assouplir l’activité surmoïque très active dans l’étape post-
traumatique. Le moi auxiliaire du thérapeute doit se mettre au service du moi fragilisé du patient en
renforçant la barrière de défense contre les attaques du surmoi, qui constituent des formes
introjectées de l’agresseur. « Pensez-vous vraiment que vous êtes nulle ? Ce jugement me paraît
radical. Pensez-vous possible de nuancer un peu tout cela ? » Une fois l’équilibre restauré dans les
activités entre le moi et le surmoi, le thérapeute doit réintroduire des attentes idéales afin de
permettre au patient de se projeter dans un nouvel avenir. Dans cette dernière étape, le clinicien
cherche à mobiliser les potentialités résilientes du patient. À ce stade du travail, le talent du
thérapeute n’est plus une théorie, mais une capacité d’être avec le patient qui le révèle à lui-même.
Le patient doit donc découvrir des potentialités nouvelles ou insoupçonnées. Cependant, les patients
ont-ils tous cette aptitude résiliente ? Même si pour la quasi-totalité des patients, il est possible
d’observer une amélioration de leur qualité de vie, avec une diminution, voire une disparition, des
symptômes cliniques, une valorisation narcissique et un allégement de la culpabilité, tous ne sont
peut-être pas résilients, au sens de transformer le traumatisme en une force. Les plus résilients
d’entre eux semblent bénéficier d’une facilitation intellectuelle avec dépassement de la pensée
factuelle et une mise en lien avec la pensée émotionnelle. Ils semblent aussi présenter un imaginaire
plus exacerbé, de l’humour et une capacité de dérision développée. Ils bénéficient aussi de liens
sociaux-affectifs solides, d’une capacité à aller à la rencontre de l’autre, de créer des liens, mais
surtout de se décentrer de soi pour s’intéresser à autrui. Chez les enfants, leur capacité à susciter de
l’attachement et à se distancer des parents maltraitant, en prenant appui sur des figures
identificatoires substitutives plus soutenantes (un oncle, un grand-parent, les parents d’une famille
d’accueil) est un élément de bon pronostic. Nous ne saurions être exhaustifs, mais cela permet de
comprendre que les potentialités évolutives du patient victime de traumatismes sexuels dépendent
de facteurs propres au tempérament et au rôle de l’environnement social comme élément
facilitateur de l’évolution.

Conclusion
La psychothérapie des victimes de traumatismes sexuels confronte le clinicien aux problèmes de la
violence humaine dans tout ce qu’elle a de douloureux et d’intolérable. Face à tant d’adversité, le
thérapeute doit apparaître comme un être sensible, profondément humain, mais suffisamment
ferme pour contenir la violence et contrer les manœuvres défensives mise en jeux dans le transfert.
Fondamentalement, ce travail se structure selon deux axes : un premier axe de restauration du self
permettant de réhabiliter l’estime de soi et le sentiment de valeur propre. Un second axe de
réappropriation du self permettant une meilleure responsabilisation du patient qui doit parvenir à se
positionner comme sujet agissant, et non plus comme sujet-objet dépossédé de libre arbitre. La
parole doit resituer le patient comme sujet de la loi, mettre fin au désir de vengeance et à la haine
projective qui ne font que reproduire les cycles de la violence. La thérapie doit aussi aider le patient à
rompre avec les pactes familiaux délétères. Elle doit lui permettre d’emprunter la voie de la
réconciliation et de trouver, dans ce cheminement personnel, un désir plein et des potentialités
nouvelles.

Mis en ligne sur Cairn.info le 20/12/2019

https://doi.org/10.3917/dunod.lemit.2012.01.0197

PrécédentSuivant

CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Avec le soutien du CNL

À propos

Éditeurs

Particuliers

Bibliothèques

Organisations

Abonnement Cairn Pro

Listes publiques

Dossiers

Rencontres

Contact

Cairn International (English)

Cairn Mundo (Español)

Cairn Sciences (Français)

Authentification hors campus

Accès via Université Internationale de Rabat


Aide

© Cairn.info 2023

Conditions générales d’utilisation

Conditions générales de vente

Politique de confidentialité

Vous aimerez peut-être aussi