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Evaluation de l’Unité d’Enseignement

Responsabilité, Ethique, Législation,


Déontologie
Lalla Hasna AYADAurélie DEGNIEAUNicolas GIRODAnne-Laure LEVESQUE

Master Infirmier en Pratique Avancée

Janvier 2024
Le cas et son contexte
Description brève de la situation
Point de vue Médical

Nuit du 13 nov 2015. Attentats du Bataclan.


Mme E et Mme J, blessées par balles au cou et à la tête, retrouvée sur Mme E.
Prise en charge par la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris, (Même ambulance)
Transférées aux urgences de l’Hôpital Hôpital d’Instructions des Armées (HIA Bégin)
Afflux massif de blessés.
Mme E. PEC / Bloc opératoire (plaie ORL).
Mme J décède dès l’arrivée aux urgences de Bégin (emmenée chambre mortuaire)
Description brève de la situation
Contexte Social et familial de Mme E.

35 ans, sans enfant.


Profession : Psychologue
En couple avec Mme J (décédée suite de ses blessures)

Leurs familles - Très présentes - Vivent à Paris.


Famille de Mme E mise au courant du décès de leur ‘belle-fille’.
PEC par la cellule psychologique de l’HIA.
Le retour de Mme E en réanimation

Consignes post-opératoires :
- Extubée Post-op immédiat (chirurgie réparatrice oesophagienne). Risque d’adhérence de la sonde d’intubation/Ventilateur agressif.
- CI Benzodiazépine (Inhalation / Troubles de vigilance)
- Surveillance du risque hémorragique (Lâchage de sutures - 2 redons à sécuriser)
- Antihypertenseur (Limiter les risques de saignements - HTA– Tachycardie) - Hypothermie.
- PEC de la douleur ( morphine SB).
- Gérer les stress adrénergiques (peur, pleurs, angoisse, colère)
- Surveillance neurologique.

Est inscrit en rouge sur la PM :


“ Surtout, ne pas annoncer, ne pas affirmer,ni lui faire comprendre que son amie est
décédée.”
Pourquoi ce cas? Enjeux relationnels ?
Mme E a le souhait de savoir et pose rapidement la question :
“Comment va mon amie?”
La souffrance soignante s’installe : un malaise professionnel
ainsi qu’un conflit de valeurs.

Ce débat éthique s’est naturellement installé dans notre groupe car

- DIRE OU NE PAS DIRE ? -


«Dire, ou ne pas dire, c'est là la question éthique. Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches du
mensonge outrageant, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à la confronter par une annonce ?» Anne
Rocher paraphe William Shakespeare, « Il faut sauver le patient L » En réa, dilemme éthique au temps du Covid.
Quelles sont les positions de chacuns?
2 Médecins (Chirurgien et Réanimateur) = Garants du bien médical
- Ne pas annoncer le décès (sécurité physique).
- Pas de possibilité de reprise au bloc opératoire (état de crise, blocs surchargés).
- Réévaluée à 72H.
Ide de jour : Respect de la décision médicale (Risques physiopathologiques).
Equipe de nuit : Respect du droit de l’autonomie. “C’est son droit à l’information, c’est sa
vie! “
Famille de Mme E. : Connaît la vérité - Ambivalence décisionnelle - Accepte la décision
médicale - Détient un secret difficile - Conséquences à terme.
L’analyse éthique
Quel est le questionnement éthique?
Principe d’autonomie et dignité
Est-elle apte à entendre la vérité? Est-elle compétente?
Ne sommes-nous pas dans le paternalisme médical?
La considérons-nous pleinement comme un sujet avec ses besoins propres?
Avons-nous respecté son autonomie en décidant du rythme auquel on juge qu’elle peut
apprendre la vérité ?

Principe de justice :
Ce contexte permet il une décision éclairée? (bon moment, bonne action)
A-t-elle droit à l’information ? Lui doit-on la vérité ?
Quel est le rôle de la confiance en soi-même et vis à vis de Mme E?
Equité / Égalité : Peut-on ou doit-on choisir?
Peut-on s’opposer individuellement ?
Est-ce que l’intégrité soignante est mise en cause? Si oui, de quelle façon?
Quel est le questionnement éthique? (2)
Principe de bienfaisance :
Le maintien dans l’incertitude relève-t-il de la bienfaisance?
Sommes-nous réellement dans l'intérêt (seul) du patient ?
Ne serait-ce pas nuisible à une alliance thérapeutique ?

Principe de non malfaisance : serment Hippocrate, “s’abstenir de ne pas faire le mal.”


Et si Mme E. mourrait sans avoir reçu l’information?
Garder la vérité ,ne serait il pas priver Mme E de son travail de deuil?
Les conséquences du « dire » sont-il plus malfaisantes que de « ne pas dire »?
Alternatives et options possibles
> Lui dire : respect de sa dignité, de son droit de savoir. Mme E est compétente et autonome
> Ne pas lui dire : respect du bien médical physique
en gardant le silence ? malgré le risque de nuire au “care” au profit du “cure”
ou
en manipulant l’information ? changer l’histoire par empathie? par sympathie? tenir un
discours flou qui confond la vérité ?
> brouillard éthique
Contraintes déontologiques et juridiques
- DIRE -
Pour Mme E

“C’est la mettre devant l’irréparable, mais au moins elle sait!”

La vérité apaise et permet l’alignement intérieur en lien avec le ressenti : Mme E pourra démarrer
son travail de deuil car le secret enferme et la vérité libère.
Mme E a le droit de savoir: la respecter n’est-ce pas lui permettre de rester autonome et la
considérer comme telle en répondant à sa demande?
Ne pas savoir génère du stress, de l’angoisse: c’est à l’encontre du bien médical et de la
bienfaisance.

Article R4127-35 code santé publique “Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il
conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui
propose…Un pronostic fatal doit être révélé qu’avec circonspection mais les proches doivent être
prévenus… »
- DIRE -
Pour E. Kant, “mentir est manquer de respect à la personne à qui l’on ment, que l’on trompe délibérément ;c’est aussi se
manquer de respect à soi-même”.

Coté soignant

Demande du courage et le sens de la responsabilité : cela engage aussi le soignant en terme de


relation d’aide et de soutien
Cohérence dans l’attitude pour prodiguer les soins, cela facilite la PEC au final et assure le bien
médical
“Ne pas dire”, ne serait-ce pas finalement la projection de nos propres craintes ou angoisses?
Ne pas dire risque de créer une distance, une gêne. Perte de la “proximité affectionnée” dont parle
Pascale Molinié.
Évite d’altérer la relation soignant/soigné, ressource pour la patiente dans ce contexte. Altération de
la qualité de notre “care”!
Pour ne pas perdre son intégrité de soignant
Car on ne peut décider pour autrui et présumer des propres forces de la patiente
‘La vérité supprime notre droit naturel à l’espoir et provoque la désespérance …
La vérité qui ne peut être reçue n’est pas à dire, elle perd ses droits quand elle
s’identifie à l’insupportable fatalité’

C. Bruaire, Une éthique pour la médecine


- NE PAS DIRE -Pour Platon, “le mensonge est condamnable, sauf en médecine.”

Pour le respect de la décision médicale


Pour le respect du principe de la non malfaisance
Pour aider à améliorer “sa remise en santé”: maintien ou récupération d’un dynamisme
physique et psychique
Pour respecter le rythme auquel on pense qu’elle peut entendre la nouvelle ?
Pour lui laisser un espoir ? (dans le but de l’apaiser, de la détendre: bienfait médical)
Pour la protéger, la préserver “par sympathie”
Pour lui éviter du stress (bien médical)
Choix difficile mais raisonnable au vu du risque de complications et des fragilités de la
patiente
Dire est un acte qui change le futur de celui qui le reçoit. Choix du bon moment?
La décision, sa justification
et sa mise en oeuvre
Choix de l’option et ses justifications- NE PAS DIRE -
Choix compliqué/riche en débats/beaucoup de changements d’opinion .
Pas de bonne ou mauvaise décision ( Intentionnalité ++ )
Idéale pour nous : dire avec temporalité = Mais est-ce ne pas dire.
Ne rien dire pour ne pas nuire
Pour Anne Rocher : “Si l’annonce entraîne la mort, alors on a le droit de la cacher”
“L'annonce est un processus plus qu’un moment” Ce qui montre bien le besoin de temps .
Situation complexe du “Bataclan”, les blocs surchargés…
Mais aussi pour le bien médical (assistance physique) car pour nous Mme E est autonome
mais n’est pas encore compétente pour entendre cette annonce.
Partie opérationnelle
“La décision prise entraîne d’autres micro-décisions complexes”

Un objectif / Informer Mme E au bon moment. Une action importante / une réunion collégiale
En organisant une réunion (pendant le temps du bloc opératoire) on privilégie la collégialité sur
l'individualité sur la prise de la décision.
Programme les critères de l’annonce du décès pour l’adhésion des soignants afin de limiter
“le regret résiduel” en introduisant la temporalité .
Mettre en place des stratégies de “coping” pour maintenir la communication et la confiance afin
d’éviter les malaises, le silence, l’évitement qui induisent l’isolement.
Limiter l’accès aux informations / Impliquer les proches pour le respect du principe d’égalité .
Cette bonne prise en soins aboutira à une “annonce au bon moment” lui permettant de
démarrer son processus de deuil
Rôle de l’IPA
Dans cette situation l’IPA pourrait avoir 2 grands rôles.

Rôle d’expertise / conseil en :


Organisant la réunion de collégialité (temporalité, modalités)
Animant le débat et permettre à l’ensemble des soignants de s’exprimer
Etant un soutien auprès des soignants.

Rôle de collaboration / leadership en :


Étant vecteur de communication (soignants/médecins/famille/psychologue)
Favorisant le lien de confiance.
Participant au retour d’expérience (Retex) en lien avec Médecin Réa-Urg-Bloc - Cadre du
service
Bibliographie
Bruaire Claude. (1978). Une éthique pour la médecine.

HAS. (2008). Annoncer une mauvaise nouvelle.

Hœrni Bernard. (s. d.). Le mensonge médical peut-il être une valeur éthique ?

Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (1).

Marzano Michela. (2012). Les enjeux éthiques du silence : Dire, taire, mentir.

Rocher Anne. (2020, juin). « Il faut sauver le patient L » En réa, dilemme éthique au temps du Covid.

Rouvillois Frédéric. (2011). Gyrophare éthique pour soldats de crise.

Royal Benoit. (2010). L’éthique du soldat français : La conviction d’humanité.


Spranzi Marta, (2023) Cours d’éthique
“La Vérité ou le Mensonge sont tous les deux potentiellement mortels.”
aAnne Rocher.

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