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Manuscript_c523b3267ca57526aa8dce87fe8bf490

Dochead dossier
Sous-dochead Parcours de soins du patient victime d’un accident vasculaire cérébral
psychologie
Réaménagement psychique dans les suites d’un accident vasculaire
cérébral
Carla Machado
Psychologue

Service de neurologie, Hôpital Lariboisière, AP-HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France

Adresse e-mail : carla.machado@aphp.fr (C. Machado).

Résumé
L’accident vasculaire cérébral (AVC) est souvent à l’origine d’un traumatisme psychique qui
découle de la confrontation avec la maladie grave potentiellement mortelle. Chaque patient
y réagit de manière unique. Souvent, des mouvements psychologiques tels que la sidération
sont observés. Ils peuvent faire l’objet d’un réaménagement résilient grâce au travail des
soignants que le patient rencontrera au cours de son parcours de soins.
© 2018
Mots clés – accident vasculaire cérébral ; parcours de soins ; réaménagement psychique ;
soignant ; traumatisme

Summary à venir
© 2018
Keywords à venir

Quand le patient reprend conscience après un accident vasculaire cérébral (AVC), le


traumatisme le marque de son empreinte. Il provoque l’irruption soudaine, sans prémisses,
de la question de la mortalité. Le premier jour de cette nouvelle vie, où la personne prend
conscience justement de la fragilité de celle-ci, du sentiment d’être passé près de la mort, et
du fait que, pour elle aussi, tout peut s’arrêter, sans préavis, elle comprend que rien ne sera
plus jamais comme avant (encadré 1).
Avant ce jour, la mort concernait les autres ; bien sûr, le patient pouvait intellectuellement le
comprendre, il savait que cela pouvait arriver, mais après un AVC, c’est dans son corps qu’il
vit cette douloureuse rencontre. Ce n’est plus la même chose quand la mort a été frôlée,
lorsque des mots sont prononcés la concernant. La mort s’immisce ainsi, mais aussi le
handicap, le fauteuil roulant, l’impossibilité de s’occuper de ses enfants. Désormais, la
moindre sensation de fourmillements ou de douleur à la tête réveillera cette peur que tout
cela ne recommence. C’est dans ces moments-là qu’il peut comprendre combien
l’événement qu’il a vécu a pu être traumatisant pour lui.

T1 Place du trauma
Le trauma désigne la marque, l’empreinte laissée dans le psychisme d’un individu par un
événement particulièrement significatif pour lui [1].
C’est un phénomène complexe qui suscite l’effroi et met en échec la capacité de
symbolisation. Il constitue un concept fondamental dans les spécialités médicales

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somatiques comme la neurologie. En effet, dans ces services où les maladies graves, parfois
mortelles, sont discutées, il s’agit pour le patient de ne pas se laisser aspirer par la
dépression post-annonce.
Ce mécanisme à l’œuvre est à l’origine, dans les premiers temps, de cette sensation “d’arrêt
sur image”, comme une cassure dans la sensation d’être. Cette rupture entraîne une
difficulté à se représenter ce qui arrive, comme si les mots manquaient, comme si le patient
ne parvenait plus à parler de lui, de ce qu’il ressentait, de ce qu’il vivait dans son corps.
Lorsqu’il va bien et que la maladie grave est loin de lui, ce traumatisme peut être
intellectualisé, c’est-à-dire admis et compris, mais il ne peut être à ce point ressenti dans
toute sa chair. Lorsque se produit cet arrêt de l’appareil psychique (“à penser”), par
sidération, le patient peut se trouver dans une situation où les sensations émotionnelles
sont repoussées et où il ne peut parler de la peur et des angoisses qui l’assaillent depuis le
moment fatidique de l’AVC.

T1 Cheminement vers l’acceptation


TEG1 Le travail du psychologue relève de la mise en mots de cet événement pour que le
trauma entrave le moins possible le fil de vie du patient [2]. Il s’agit en effet de retrouver la
capacité de se raconter, en intégrant cet “accident de vie” dans la narration de sa
biographie.
Le travail d’acceptation est long. Il demande en premier lieu d’admettre l’événement, la
maladie, le handicap quand il est présent ; admettre, pour le patient, qu’il peut aussi
“continuer à être” en l’absence de séquelles (et ce n’est pas plus simple, contrairement à ce
que nous pourrions imaginer). Puis, il s’agit d’accepter ce qui est là, ce qui fait partie du
patient à jamais : cette jambe un peu boiteuse, cette articulation moins fluide, ou encore
cette main un peu trop raide ; comprendre, aussi, qu’il n’est pas réduit à ses manques, ses
défaillances et ses “facultés en moins”.
TEG1 La question du sens est partie prenante de ce travail d’acceptation. Parfois, une cause
de l’AVC est identifiée, mais pour les personnes jeunes, souvent, les questions restent sans
réponses.
Le trauma, dans ses effets psychiques, se constitue par sa déliaison pulsionnelle et son
inscription corporelle : il s’agit de la trace que le trauma laisse sur et dans le corps, la
séquelle physique, cognitive et/ou psychique. Le lien psyché-soma est mis à mal par la
défiance que l’événement neurologique impose à cette dyade habituellement fusionnelle.
En cas d’AVC, comme pour d’autres maladies somatiques graves, l’enjeu se situe dans le
corps du patient. Le rapport à celui-ci devient parfois une énigme, une sorte de méfiance
s’installe, toutes les perceptions jugées anormales deviennent autant de signes d’alerte qui
plongent le patient dans l’angoisse d’une récidive.
TEG1 Le cheminement vers l’acceptation revient à un travail de mise en lien entre son
corps, d’une part, et ses émotions et ses pensées, d’autre part. Il s’agit d’abord pour le
patient de se réapproprier son corps. Le travail avec les soignants est alors primordial. Les
soins de nursing ont valeur des premiers contacts maternels, au sens de Winnicott [3,4],
dont le but serait de retrouver une unité corporelle qui permettrait dans un deuxième temps
un transfert d’unité dans la vie psychique du patient. Le corps qui fait défaut est un peu
(beaucoup) le psychisme qui vacille.

T1 Soutien des soignants


Les soignants qui sont présents à chaque instant, de jour comme de nuit, en unité
d’hospitalisation aiguë comme en rééducation, permettent un étayage initial du patient. Ils
deviennent comme des miroirs sur lesquels celui-ci vient s’adosser pour reprendre
contenance et dignité. Les gestes les plus élémentaires d’hygiène et d’accompagnement
quotidien prennent valeur de baume réparateur sur cette blessure narcissique ouverte par
l’AVC. L’aide-soignante, l’infirmière, l’orthophoniste, le kinésithérapeute, chacun, par sa
spécificité, son domaine de compétences, permet au patient de se réapproprier ce corps
devenu étranger par le handicap qui le traverse.
Les gestes répétés inlassablement jour après jour sont autant de marches gravies dans le
long chemin de la récupération physique, psychique et sociale. Ce travail de fourmi
contribue à retrouver le socle, parfois perdu, du sentiment d’être. Il s’agit également de
récupérer quelque chose, de l’avoir à nouveau : cela peut être de l’assurance, une posture
ou une allure.

T1 Conclusion
Après un AVC, il faut beaucoup de temps au patient, parfois plusieurs années, avant de
retrouver celui qu’il a été ou, tout du moins, celui qu’il accepte de devenir. Chaque soignant
apporte sa contribution à cet incroyable réaménagement psychique et physique, par son
regard, sa main tendue, afin de permettre au patient passant par cette douloureuse épreuve
de l’AVC de retrouver un sourire et une dignité nouvellement acquise.

Les points à retenir


• L’AVC constitue un traumatisme psychique pour le patient et son entourage.
• Le traumatisme peut être responsable d’une entrave à la reprise de son fonctionnement
psychologique antérieur.
• Les soignants ont valeur d’étayage dans le réaménagement somatopsychique du patient.

Références

[1] Bokanowski T. Traumatisme, traumatique, trauma. Rev Fr Pychanal. 2002;66:745-57.


[2] Machado C, Boucherat-Hue V. L’économie du handicap psychique “invisible” dans
l’accident vasculaire cérébral : un colmatage de l’effondrement narcissique ? In:
Dumet N, Fernandez L. Psychopathologie clinique du somatique : 12 études de cas. Paris:
In Press; 2016. p. 317-34.
[3] Winnicott DW. Jeu et réalité. Paris: Gallimard; 1975. p. 112.
[4] Winnicott DW. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot; 1969. p. 53.

Mettre l’encadré sur une colonne + la marge


Encadré 1. Réveil après un AVC
Catherine vient d’ouvrir les yeux. Elle se demande où elle est. Peut-être est-ce un rêve ?
Non, bien sûr, tout cela paraît trop réel. Il y a quelque chose, un appareil, qui n’arrête pas de
sonner, un vrai vacarme, elle l’entend mais ne sait pas encore d’où vient le son. Elle a
l’impression qu’elle l’entend depuis des heures. Elle ne peut plus bouger le côté droit, ni la
jambe ni le bras.
TEG1 Les souvenirs remontent, au rythme des bips de l’appareil et de ce brassard qui lui
serre le bras régulièrement. Ah oui… Le dîner avec son mari et son fils, la douleur dans la
tête depuis le matin, et tout à coup, le “clic” qu’elle a entendu et puis plus rien, jusqu’à
maintenant. La douleur s’est estompée mais pourquoi le bras ne bouge-t-il toujours pas ?
TEG1 Elle se demande ce qui se passe, la peur commence à monter, l’angoisse aussi. Il y a
quelqu’un à côté d’elle, une jeune femme, une infirmière sûrement. Catherine lui demande
– maladroitement, car elle parle mal – ce qui se passe, pourquoi elle est là et ce qui lui
arrive. L’infirmière la regarde, ce moment lui semble durer très longtemps. Dans sa tête, les
pensées tournent en boucle à une vitesse folle.
TEG1 La jeune femme lui explique qu’elle a fait un AVC. Catherine ne comprend pas tout de
suite. C’est impossible, elle vient de fêter ses 40 ans ! Ce n’est pas d’elle dont parle
l’infirmière. Et pourtant, doucement, l’horreur s’immisce dans le réel de Catherine.

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