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Analyse de la tirade de la reine Phèdre

Introduction :

Phèdre de Racine est une pièce qui obéit bien à toutes les règles de la tragédie classique : unité de
lieu, unité de temps, unité d’action, fatalité tragique poursuivant le personnage principal, et bienséance.
L’extrait soumis à notre étude est la troisième scène du premier acte voit formulé le premier aveu de la
pièce. Toute la scène est tendue vers la révélation de l’amour incestueux qu’elle éprouve pour Hippolyte,
le fils de son mari. Dans sa tirade, Phèdre considère son amour comme un crime, mais elle plaide en
montrant combien elle lutte contre la fatalité. On se demande ainsi en quoi cette tirade de Phèdre inspire
terreur et pitié. Pour répondre à ceci, nous allons d’abord analyser les manifestations physiques de la
passion amoureuse. Ensuite, nous étudierons le passage du culte de Vénus au culte d’Hippolyte. Enfin,
nous aborderons les conséquences violentes d’une passion dévastatrice.

I. Le récit des manifestations physiques de la passion amoureuse

Expression lyrique d’un je souffrant. Alexandrin = vers noble. Ponctuation forte.


Parataxe =Juxtaposition des 3 propositions = Rythme ternaire, traduit le coup de foudre et ses
manifestations physiques. Rapport de cause conséquence : seule vue de l’être aimé évoqué par pronom
personnel « le » et déterminant possessif « sa » agit sur Phèdre : polyptote vis/vue. Rougis à la césure de
l’alexandrin se construit en antithèse avec pâlis : dérèglement, perte des repères : « un trouble » : perte de
contrôle, victime plus que coupable.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler : Sensations physiques : Deux hémistiches : forme
négative perte de la vue et de l’usage de la parole
Mes yeux : synecdoque : aliénation, comme si dédoublement, comme si extérieure à son propre corps.
Mot corps à la césure : insistance sur la dimension physique, sensorielle.
Et transir et brûler : rythme binaire : parallélisme avec jeu d’antithèse froid/chaud, accentué par la
polysyndète « et » : d’un extrême à l’autre, folie, déraison
Brûler à la rime annonce les feux de l’amour : motif du feu associé à la thématique amoureuse : cliché.
Cause explicitée à la césure avec insistance assonance en [u] reconnus/Vénus : déesse de l’amour.
Vers 7 malédiction divine : rimes signifiantes redoutables, inévitables : Phèdre victime d’une malédiction
familiale d’un sang qu’elle poursuit, tragédie : ne peut échapper à son destin
Amour passion = souffrance = supplice, torture = terme hyperbolique = martyr pour Phèdre

II. Du culte de Vénus au culte d'Hippolyte : aucune échappatoire possible

Par des vœux assidus je crus les détourner : les = les feux de l’amour, les tourments
Lexique religieux : essaie de s’attirer les grâces de la déesse en s’attachant à son culte.
De victimes moi-même à toute heure entourée : victimes = sacrifices animaux. Phèdre apparaît elle-même
comme une victime sacrificielle avec le pronom tonique moi-même à la césure. Phèdre = proie = victime.
Destin de Phèdre tracé : condamnée à mort = suscite la pitié
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée : quête de soi. Rime : raison égarée = thème de la folie,
passion contraire à la raison, aux lois humaines = aimer son beau fils = inceste. Classicisme : raison >
passion. Condamnation de l’amour passion par le janséniste Racine. Adjectif : incurable : passion
amoureuse présentée comme une maladie : amour = mal,
Terreur et pitié : hyperbolique et redondant
D'un incurable amour remèdes impuissants ! adjectifs à préfixe négatif : impossibilité d’échapper à cet
amour coupable
Ma main/ma bouche : aliénation, Phèdre semble absente à elle-même. Dédoublement
Quand implorait le nom de la déesse,/J'adorais Hippolyte : enjambement : prénom de l’être aimé rejeté à
la césure du vers suivant : obsession, verbe hyperbolique « adorer » : confère à Hippolyte la place d’une
divinité, se substitue au culte de la déesse Vénus
J'offrais tout à ce dieu que je n'osais nommer : posture sacrificielle, soumission absolue à l’être aimé,
conscience de la faute, ne peut exprimer, avouer cet amour, verbaliser

III. Les conséquences violentes d’une passion amoureuse dévastatrice

Je l’évitais partout. Ô comble de misère !


Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
ô =Interjection tragique : lamentation désespérée
Misère : terme hyperbolique : malheur et souffrance : inspire la pitié
Rimes signifiantes misère/père : lien familial entrave cet amour : tabou de l’inceste explicité
Aucune échappatoire pour Phèdre qui ne peut échapper à son amour obsessionnel pour son beau-fils, la
ressemblance physique entre le père et le fils est aussi une source de souffrance.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter : Phèdre = sujet clivé, oser : entreprend une action
J’excitai mon courage à le persécuter : Phèdre essaie de reprendre le contrôle d’elle-même, d’agir et de
ne plus être agis : rôle de tortionnaire.
persécuter : terme fort violent : Tourmenter par des traitements cruels = inspire terreur
Affecter : Joue la comédie, simuler, se fait passer pour une méchante belle-mère : rimes riches opposent
idolâtre/marâtre : associent adoration et persécution, l’une étant la cause de l’autre
épithète “injuste” : effet d’insistance voire redondance. Mots mis en valeur à la césure : ennemi, chagrin,
exil : termes négatifs hyperboliques : amour proche de la haine
Je pressai son exil ; et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
Enjambement final : verbe « arrachèrent » traduit la violence : Phèdre est la cause de la rupture entre le
père et le fils, le fils est chassé du palais. Termes “seins et bras” qui se rapportent au corps : manifestent
la rupture du lien biologique entre le père et le fils, annonce la catastrophe finale : La malédiction finale
de Thésée contre son fils, qui entraînera sa mort. Phèdre ni coupable ni victime.

Conclusion :

À travers cette tirade, le personnage de Phèdre concentre les exigences de la tragédie classique :
poursuivi par la vengeance de Vénus, la passion qu’elle ressent pour Hippolyte en fait à la fois une
victime, innocente, mais aussi une criminelle au coeur coupable, et une idolâtre. Le récit qu’elle fait de
ses souffrances inspire à la fois la pitié et la terreur. Le spectateur est terrifié par la violence des
sentiments mais il ne peut s’empêcher de compatir en voyant les tentatives désespérées de Phèdre pour
apaiser la colère de Vénus. Après avoir longtemps dissimulé les élans de son cœur, Phèdre laisse aller sa
confidence jusqu’à montrer toute la violence et toute la douleur du sentiment qu’elle éprouve pour son
beau-fils. Dans sa bouche, alors qu’on entend la voix d’une femme au bord de la folie, la naissance de son
amour pour Hippolyte est racontée comme un coup de foudre, en dépit des luttes constantes qu’elle a
menées pour éloigner l’objet de son affection de ses pensées et de son obsession.

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