Vous êtes sur la page 1sur 4

Module : Approches du texte littéraire

Semestre : 3
Département : Langue et Littérature françaises
Professeur : Abdelouahed Hajji
Année universitaire : 2023/2024
Commentaire composé (2) /Acte IV, Scène 6
PHÈDRE

Ah ! douleur non encore éprouvée !


À quel nouveau tourment je me suis réservée !

Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,


La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,
Et d’un cruel refus l’insupportable injure,
N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.
Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?
Comment se sont-ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ?
Tu le savais : pourquoi me laissais-tu séduire ?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ?
Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence :
Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux !
Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;
La mort est le seul dieu que j’osais implorer.
J’attendais le moment où j’allais expirer ;
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur de trop près observée,
Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir.
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;
Et sous un front serein déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.
Jean Racine, Phèdre, Paris, Pocket Classiques, 2018 pour cette édition.

1
Avec Phèdre, Jean Racine devient l’un des grands dramaturges du XVIIe siècle. Son
écriture est profondément inspirée par le classicisme, une tendance à l’ordre et à
l’équilibre. En ce sens, Phèdre respecte les règles du théâtre antique. C’est une pièce
de théâtre inspirée des grandes pièces de l’Antiquité. Elle met en scène les péripéties
d’un amour incestueux entre l’éponyme Phèdre, épouse du roi de Trézène, et son beau-
fils Hippolyte

Tout au long de la pièce, Phèdre décrit sa souffrance due à l’impossibilité de réaliser


cet amour moralement interdit. Dans cette perspective, l’intrigue de Phèdre est
essentiellement centrée sur la passion amoureuse de Phèdre. En effet, la relation entre
les personnages est animée par la passion : Oenone aime Phèdre, tandis qu’Hippolyte
aime Aricie, l’ennemie héréditaire de son père. L’adhésion de Racine à une intrigue
unique, nourrie par d’autres fils d’intrigue, cristallise l’appartenance de cette pièce au
mouvement classique, notamment le genre de la tragédie.

Dans ce passage, Phèdre découvre l’amour entre Hippolyte et Aricie : un nouveau


sentiment, celui de la jalousie, s’ajoute à sa « fureur » à cause du caractère passionnel
de son amour. Il s’agira d’étudier le thème de la jalousie comme crise la plus
douloureuse pour le personnage dans son rapport à la passion amoureuse, tout en
soulignant le caractère surprenant et stupéfiant de cette découverte. Il sera également
question de rappeler le caractère coupable et fatal de l’amour de Phèdre.

De prime abord, l’expression de la surprise de l’éponyme est marquée par l’utilisation


de phrases exclamatives, suggérant l’étonnement du personnage. Le rythme de la phrase,
qui passe de l’interjection « Ah ! » à une phrase nominale, « douleur non encore
éprouvée », matérialise l’étonnement du personnage et, ipso facto, la douleur physique
et morale causée par cette découverte. C’est une exclamation qui laisse Phèdre sans voix.
Cette surprise est également soutenue par le questionnement et par l’expressivité de son
discours caractérisé par un caractère sentimental et lyrique
L’interrogation de Phèdre devient un véritable interrogatoire, comme en témoigne le
passage des pronoms de la troisième personne du singulier « ils » aux pronoms
personnels de la deuxième personne « Tu ». Ce passage implique sa nourrice Oenone,
tandis que le pronom indéfini « on » élargit l’interrogatoire à la cour. Cet élargissement

2
de l’interrogatoire révèle le caractère vulnérable de Phèdre, qui croit que les amours
d’Hippolyte et d’Aricie sont connues de tous sauf d’elle-même. Elle se fait ainsi passer
pour la victime d’un complot, une conspiration soutenue par le vocabulaire de la
dissimulation : « trompé mes yeux », « furtive ardeur », « séduire », « Dans le fond des
forêts allaient-ils se cacher ? ». L’histoire de Phèdre est une projection fantasmée.

La douleur du personnage culmine dans l’évocation de la « fureur », signifiant le


dérèglement du comportement qui peut caractériser certaines folies. Il y a également un
système comparatif entre l’accumulation des tourments endurés par le personnage et la
jalousie, présentée comme une passion triste supérieure aux autres sentiments tristes.
L’état psychologique du personnage semble être bloqué par cette découverte, comme le
soulignent ces mots négatifs : « mes craintes, mes transports », « la fureur de mes feux,
l’horreur de mes remords ».

La présence des verbes négatifs reflète l’état critique du personnage : « n’était qu’un
faible essai du tourment que j’endure ». De plus, il y a une antithèse entre la félicité des
amants et le désespoir de Phèdre. L’interjection « Hélas ! » souligne la désillusion de
l’héroïne, désillusion appuyée par la différence entre l’image idyllique de l’amour entre
les amants (Hippolyte et Aricie) et sa souffrance. Le bonheur et la légitimité de l’amour
du couple Hippolyte-Aricie sont soulignés par le lexique de la lumière : « jour » et
« clair ». L’évocation de l’aube suggère également le topos de la rencontre matinale
entre les amants. Ce tableau met l’accent sur la source du malheur de Phèdre : le
caractère interdit de son amour pour Hippolyte. L’amour d’Hippolyte pour Aricie, en
revanche, est légitime, comme l’expliquent les mots « pleine licence » et « innocence ».
Il s’agit d’un lexique positif qui reflète la sérénité de la relation.

Ce tableau harmonieux dressé par Phèdre lève le voile sur son désespoir, comme
l’illustre la dislocation du pronom tonique à l’initiale du vers « Et moi », qui marque la
rupture entre l’idylle d’Hippolyte et le malheur de Phèdre, malheur appuyé par
l’opposition : « Triste rebut de la nature entière ». Le jugement négatif porté par
l’adjectif exprimant une forte émotion négative souligne à bien des égards l’isolement,
et met en scène la culpabilité et le désir de pitié. En effet, ce jugement fait appel au
registre pathétique.

3
L’antithèse entre le jour et la nuit reflète le caractère tragique de Phèdre. Si la lumière
définit l’amour d’Hippolyte et d’Aricie, la nuit renvoie à Phèdre. « Je me cachais au
jour, je fuyais la lumière ». Ce parallélisme met en évidence les éléments négatifs qui
donnent un sens négatif à l’évocation de la nuit, et expliquent la culpabilité de Phèdre.
Le triste tableau de la vie de Phèdre est aggravé par le champ lexical de la mort : « La
mort est le seul dieu que j’osais implorer ». Il s’agit de rendre compte du désespoir de
Phèdre par l’évocation de la mort. On note également la confusion des sentiments du
personnage. Son désespoir atteint son paroxysme lorsqu’elle évoque le bonheur des
amants.

Cette description donne un ton pathétique et tragique à l’extrait. La situation


douloureuse, l’utilisation du lexique affectif, la description de l’état de souffrance,
notamment physique et psychologique, révèlent le désespoir du personnage ! Les
modalités interrogatives et exclamatives marquent les reproches adressés à la
confidente. Ces modalités expriment la jalousie comme thème principal de ce passage.
La double situation (heureuse pour les amants, malheureuse et tragique pour Phèdre)
appelle le désir de vengeance comme manifestation de la jalousie. Le désir de mort de
la rivale renforce cette attitude. Racine met ainsi en scène la lutte de l’héroïne contre
son destin, alors qu’elle traverse la crise de jalousie. Il met également en scène le procès
de Phèdre, juge d’elle-même et juge d’autrui : Aricie et Oenon. L’histoire souligne la
culpabilité tragique de Phèdre.

La découverte de l’amour d’Hippolyte pour Aricie renverse la situation et provoque


la jalousie de Phèdre. Les sentiments de honte et de culpabilité cèdent la place à la
jalousie. Phèdre apparaît sur scène comme un personnage submergé par ses sentiments
et par la fatalité soutenue par Vénus, la honte et la rivalité. Phèdre est consciente que
l’amour entre Hippolyte et Aricie détruit toute possibilité de réaliser son amour, même
sur le plan imaginaire. De ce point de vue, elle est déchirée par un nouveau mal : la
jalousie. Il s’agit de dresser le portrait du personnage tragique. Le dramaturge répond
ainsi à l’esthétique classique de la mise à nu des souffrances de l’héroïne.

Vous aimerez peut-être aussi