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Lecture Linéaire n°11 – La peau de chagrin, Partie 3, « L’Agonie » - La mort de Raphaël de

Valentin. Parcours Associé – les romans de l’énergie, création et destruction.

➔ Début de l’intro, reprendre les corrigés précédents.


Il s’agit ici des dernières lignes du roman, avant l’épilogue. Raphaël, qui a pourtant lutté contre
lui-même afin de ne plus éprouver le moindre désir et demeurer en vie, ne parvient plus à
réprimer son envie de posséder Pauline. Celle-ci, qui vient de découvrir le pouvoir de la Peau
et la voit se rétrécir dangereusement, souhaite mourir afin que Raphaël ne puisse plus la désirer
et qu’il demeure en vie. Nous assistons donc au final du chapitre de l’Agonie.
Lecture de l’extrait.
PB : En quoi ce passage apparaît-il comme un combat entre le désir et la mort ?
Délimitation des mouvements : Des lignes 1 à 7, nous assistons à une scène agitée pour les 3
personnages ; des lignes 8 à 15, nous observons le sursaut du désespoir ; des lignes 16 à la fin,
une fin inévitable ?

[NB/ Le terme « agonie » vient du grec ancien qui prend le double sens de « combat » et de
« concours ». L’agonie désigne donc la dernière lutte de la nature contre la mort et par
extension, l’état d’un mourant juste avant la mort. ]

1e mouvement : une scène agitée pour les 3 personnages.


Le passage débute à l’acmé (+ haut point) de la tension dramatique. Pauline, qui a compris que
le désir de Raphaël le condamnait à mort est terrifiée de le voir fou de désir. Cette erreur se
traduit par de nombreux signes physiques mis en valeur par l’énumération hyperbolique de la
première phrase : « cri terrible sortit du gosier … ses yeux se dilatèrent, ses sourcils violemment
tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur ». Les adjs terrible, tirés + adv
terriblement + inouïe témoignent avec force de l’atrocité du spectacle auquel Pauline assiste.
Les termes apparaissent comme des sortes de didascalies, dans ce qui s’apparente à une
véritable scène de tragédie.
Le lien entre la volonté de Raphaël de la posséder, ses « désirs furieux » et le rétrécissement
de la peau, donc de sa vie, est explicite avec l’expression « à mesure que », qui marque la
simultanéité des actions. Elle fait le lien entre les verbe de taille : « grandissait » et « se
contractait », pour représenter la proportionnalité du désir qui annihile la peau, et son
espérance de vie. La personnification de la peau qui « chatouillait » la main de Pauline apparaît
comme décalée dans ce passage : elle met davantage encore en valeur l’aspect fantastique de
la Peau puisqu’elle paraît animée d’une âme au caractère moqueur.
Un mouvement s’opère alors, entre Pauline qui s’enfuit et R qui lui court après. Mais les 2
verbes « elle s’enfuit/ courant après elle », ne renvoient pas à une scène de poursuite
amoureuse. Au contraire, ils traduisent ici une forme de violence dans le mouvement et dans
la scène, que met également en valeur la répétition du « cri », d’abord pour Pauline et ensuite
pour Raphaël.
Les nombreuses exclamatives exprimées par R traduisent l’excessivité de son désir. La gradat°
« je t’aime, je t’adore » et la répétit° du V. de volonté « je veux », insistent sur ce point. R désire
Pauline : « Je te veux », même s’il est conscient que ce désir entraînera sa mort : « je veux
mourir à toi ». Le terme « moribond » rappelle d’ailleurs au lecteur que le personnage est sur
le point de mourir.
Ainsi, le désir de Raphaël est si puissant qu’il lui donne l’énergie ultime, malgré son agonie en
cours, de courir après Pauline.
2e mouvement : le sursaut du désespoir.

Les deux expressions « une force singulière » et « dernier éclat de vie » qui ouvrent le 2e
mouvement marquent la détermination de R à posséder Pauline malgré son état. Les verbes
d’action et de volonté « jeta x2 » ; « brisa », « voulut », dont il est sujet soulignent la puissance
extraordinaire qui l’anime alors qu’il est aux portes de la mort. L’exagération de son transport
est également affirmée par l’hyperbole de son comportement : « jeta la porte à terre ». R ne
contrôle plus sa raison, ni ses gestes qui semblent le dépasser, et fait preuve d’un dernier élan
de force décuplée.
La détermination et l’énergie sont exacerbées par l’attitude de Pauline qui, en voulant se tuer,
offre en réalité un tableau extrêmement sensuel d’elle-même. En effet, les termes qui la
décrivent évoquent davantage une scène d’amour qu’une tentative de se donner la mort. Elle
se présente « à demi nue, se roulant sur un canapé », voulant « se déchirer le sein ». Plutôt que
d’apaiser la fureur de R, c’est l’inverse qui se produit, puisqu’elle attise d’autant plus le désir de
ce dernier. Son attitude semble lascive : elle se montre elle-même animée par une passion,
mais qui va à l’encontre de celle de Raphaël : « cheveux épars, épaules nues, vêtements en
désordre ». Pauline représente Thanatos, là où Raphaël aurait souhaité l’Eros. Cette envie de
Pauline trouve son aboutissement dans l’hyperbole « mille beautés » dont la proposition
subordonnée relative « qui augmentèrent son délire » vient rappeler l’effet produit sur le
mourant.
Cependant, R est avant tout sous l’emprise de la passion comme le souligne l’expression « ivre
d’amour ». Il ne semble plus contrôle ses actes : il se « jette », tel un animal, sur Pauline
devenue « proie », avec « légèreté », antithèse qui dénote le combat entre pulsion amoureuse
et volonté de vivre.
Enfin, le chp lex de la mort « prompte mort, s’étrangler, serrer le nœud, lutte avec la mort,
horrible désespoir » est intimement lié à la description sensuelle de Pauline : les deux idées
sont développées conjointement, révélant le combat entre le désir et la mort.

3e mouvement : une fin inévitable ?


En réponse à la description sensuelle de Pauline, la description de R à cet instant de la scène
peut également évoquer une étreinte et la jouissance amoureuse. Désormais qualifié par la
périphrase « le moribond », on met l’accent sur sa « respiration », un « râle » qui « semblait
partir de ses entrailles », la fougue de sa passion qui le fait mordre « pauline au sein ». Son
attitude bestiale est à la fois signe de son désir et de son agonie.
Deux explications peuvent être avancées pour justifier la mort du jeune homme : la première
réaliste, lorsque le narrateur évoque les signes de la tuberculose qui le ronge. La 2 nde,
fantastique lorsqu’il décrit « le désir qui dévorait toutes ses forces », rappelant le pouvoir
mortifère de la peau de chagrin (et le dernier vœu prononcé, supposons-le : « je veux mourir à
toi »…).
La scène n’a pas perdu de sa violence, malgré les cris qui semblent peu à peu se tarir, comme
le montre la gradat° descendante : « les sons étranglés du râle / ne pouvant bientôt plus former
de sons » qui s’achève sur la dépouille de R avec périphrase finale : « le cadavre ».
La violence est physique ici puisque R ne pouvant plus s’exprimer par des mots agit comme une
bête sauvage lorsqu’il attaque Pauline en la mordant.
L’aspect bestial de la scène se retrouve également chez Pauline qui se replie : « s’était
accroupie dans un coin », sur le cadavre, comme une bête traquée protégeant une dépouille.
L’attitude de Jonathas, elle-même violente lorsqu’il « tente d’arracher » R à Pauline, souligne
la détermination de celle-ci à protéger son mort.
En effet, c’est bien de « son » mort qu’il s’agit, à en croire l’expression « il est à moi » prononcée
au D.D à la suite de la fin du combat. La Q ? rhétorique sur laquelle s’achève le récit « ne l’avais-
je pas prédit ? » rappelle la prémonition de Pauline qui avait annoncé à R qu’il ferait un mariage
riche avec une femme qui serait la cause de sa perte… sans savoir alors qu’il s’agirait d’elle-
même.

CCL/ Ce dénouement aux tonalités fantastiques autant que réalistes frappe le lecteur par sa
dimension théâtrale : la scène, pleine de cris et de fureur, mêle le désir à la mort, Eros à
Thanatos. Elle s’achève sur une lutte violente des héros contre eux-mêmes. La mort de R est le
point d’aboutissement de la thèse philosophique développée dans l’ensemble du roman : les
désirs, excessifs, épuisent l’énergie vitale et détruisent les hommes.

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