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Texte 3 : « Une Charogne »

Introduction :

Charles Baudelaire, auteur du XIX° siècle est surtout connu pour son œuvre majeure Les
Fleurs du Mal, parue tout d’abord en 1857, puis condamnée pour «outrage à la morale
publique et aux bonnes mœurs» est rééditée en 1861, expurgée de 6 poèmes. Ce poète est au
carrefour de diverses influences comme le romantisme, le parnasse et le symbolisme dont il
sera un des précurseurs.

« Une charogne », poème XXVII, est extrait de la section « Spleen et Idéal » qui est une
suite de poèmes évoquant l’amour, la femme. « Une charogne » marque une rupture. Ce
poème se compose de 12 quatrains, à la métrique croisée entre alexandrins et octosyllabes. Il
évoque la promenade d’un couple, à la manière d’un poème lyrique amoureux, puis les amants
découvrent soudainement un cadavre en décomposition. C’est un poème canonique qui a
contribué au succès des Fleurs du Mal. Le public a été sensible aux aspects provocants et
parodiques du sujet traité. La femme cède sa place au cadavre, elle n’est plus au centre du
poème.

Mouvements du texte : de la description à l’invocation

 V.1 à 36 : évocation d’un souvenir. Au cours d’une promenade amoureuse le


poète s’adresse à sa bien-aimée pour rappeler un souvenir horrible de la
découverte de la charogne, il en fait une description

 V.37 à la fin : justification de hideuse réminiscence en évoquant l’avenir du


destin funeste de la femme qui est comparée à la charogne.

Problématique : En quoi la vision horrible de la charogne constitue-t-elle un prétexte à


l’expression de la beauté ?

Piste de lecture :

 V.1 à 36 : le souvenir d’une charogne donnée à voir

 V.37 à 48 : allusion au moment où la bien-aimée sera dans cette situation

Premier mouvement :
Dans le premier quatrain un contexte heureux est décrit, c’est une promenade amoureuse avec
un cadre bucolique avec deux personnes. L’auteur s’adresse à sa bienaimée et raconte un
souvenir vécu à 2 « se rappeler » « nous vîmes » passé simple qui évoque l’action achevée.
« Ce beau matin d’été si doux » adjectif mélioratif et « si doux » l’intensifie.
« Au détour d’un sentier » rend l’atmosphère agréable et correspond à la campagne.
La douceur va être interrompue par le vers 3 avec une sensation et vision de dégoût « baragne
infâme.
Elle renvoie au premier vers « objet». 3 âmes » et « infâmes » : rime significative, âme est
affective et infâmes négatif. Cela reflète la femme aimée et la charogne.
Aux vers 4 « sur un lit semé de cailloux », on a « lit » sensation positive et « cailloux » ça rompt
la positivité et ça ramène à la douleur : disharmonie (laideur et beauté).

Dans le deuxième quatrain, on a une description de la charogne détaillée.


Avec « Jambes en l’air » il associe la charogne a la femme = connotation sexuelle érotique.
Harmonie des sonorités « femmes » et « infâmes » : négatif qui renvoie à la charogne.
« Ouvrez son ventre » renvoie à la femme le ventre à l’air : vision à nouveau érotique et
négative envers elle.

A partir du vers troisième quatrain, Baudelaire poursuit le contraste entre la beauté de la nature
« le soleil rayonnait » qui s’oppose par antithèse avec le laid « pourriture ».
Au v10 « comme la fin de la cuire à point » : ironie de l’auteur qui fait une allusion culinaire
déplacée (cuisson de la charogne). «Le ciel » qui fait écho au « soleil »puis « carcasse superbe »
à « pourriture ».
A début du 4eme quatrain on a « Carcasse superbe », laideur fascinante associée à une
fleur« comme une fleur épanouie » : contraste laid beau. Vision visuelle avec « le ciel
regardant » « le soleil rayonnait » : personnifications.
« Si forte » intensifie la puanteur « était si forte que vous vous crûtes évanouis »
L’hypotypose se sert beaucoup des sens.

Dès le 5e et 6e quatrain, on peut ajouter l’odeur au dégout, des micros organismes s’agitent sur
la carcasse « mouches » « larves » qui se nourrissent. La profusion est rendue par une
métaphore « noirs bataillons » comme des soldats nombreux, invasion des larves qui prennent
pour proie la charogne.
Cette strophe est visuelle et crue en sensations, une scènes très vivante est associée au
cadavre : contraste entre le mouvement : « sortait » « coulait » « descendant » ainsi que le
gérondifs « s’élançant en pétillant » puis un enjambement v19/20 qui représente la vie, et
l’immobilité qui représente la mort. Le mouvement est montré par comparaison « comme une
vague » « comme l’eau courante » « comme un épais liquide ».
On retrouve une sollicitation auditive : « étrange musique » « mouvement rythmiques » « agite
et tournes ».

L’évocation de l’art pictural nous fait partir dans un rêve qui est un souvenir « les formes
s’effaçaient et n’étais plus qu’un rêve. Le poète re crée des souvenirs. Le champ lexical de la
peinture est présent : « ébauche » « toile » « peinture », l’auteur s’imagine créé un tableau par
les mots, il lâche la réalité mais y revient au v33 « une chienne inquiète » retour à l’initial avec
la chienne qui veut manger. Au v34: un spectacle, la chienne mange la carcasse pour sa vie. «
Epiant » v35 reprend la vision dans laquelle : la vie n’est possible pour les animaux sans la mort
du cadavre.

2ème mouvement :
Au vers 37 « vous serez semblable à cette ordure » il s’adresse à la femme avec son futur. Il
insiste sur l’aspect horrible « ordure » « horrible infection ». Il va créer des antithèses avec la
charogne et des métaphores poétiques : « étoiles de mes yeux » « soleil de ma nature » « ange
et passion » « ma beauté » v40: opposition encore de la beauté et de la laideur : « ossement »
« vermine » avec « passion » et « divines ».
Au v41 « telle » renvoie à la comparaison : la beauté de la femme est vouée à disparaître.
Baudelaire fait aussi une célébration de la mort « ô ! » mais la femme garde son côté négatif.
Dans l’avant dernier quatrain « sous l’herbe » réfère au cercueil puis « moisi parmi les
ossements ». La charogne est la « vermine ». On a « mangée de baisés » : adoration de la
femme
Dernière strophe: renvoie la vision de l’idéal Baudelairien de l’amour.
Les 2derniers vers montrent la victoire de l’amour« essence divine ». « Décomposé » renvoie à
la mort et le mystique. 3 étoile » « ange » champ lexical du sacré : sens final de l’idéal

Conclusion :

Ainsi, ce poème est une illustration parfaite du projet de Baudelaire d’extraire la beauté
du mal ou de l’horrible. L’âme de Baudelaire est tiraillée entre deux forces Eros (désir) et
Thanatos (mort). En effet, il fait du sujet central du poème une charogne décrite de façon très
visuelle et choquante pour la comparer à sa bien-aimée quand il en évoque son destin funeste.
La modernité de ce texte est manifeste dans le fait qu’il détourne les codes traditionnels
comme pour s’en moquer. Tout d’abord, on reconnait la poésie romantique et plus largement la
poésie lyrique qui exalte l’amour idéalisé. Le v.1 renvoie à ce titre à l’élégie que l’on retrouve
dans « Le Lac » de Lamartine « Un soir t’en souvient-il nous voguions en silence ». De plus,
l’évocation de la nature est un thème cher aux romantiques comme la femme idéalisée et
sacralisée (3 derniers quatrains) Mais tout cela est dégradé, rejeté par la proximité de la
charogne. Baudelaire inscrit au cœur de son projet la mort en la magnifiant ce qui fait la
modernité de son œuvre. Il affirme ainsi la sublimation de l’art. Le poète-alchimiste qu’il est,
transforme bien la boue en or.

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