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Explication linéaire n°1: une charogne de baudelaire

Introduction:
Charles Baudelaire se situe à la croisée des mouvements du Romantisme, du
Parnasse et du Symbolisme. Il publie une première fois son recueil intitulé Les
Fleurs du Mal en 1857. Mais le livre fait l’objet d’un procès pour atteinte à la
moralité.
« Une charogne », poème extrait de la section Spleen, illustre cette conception
provocatrice de la poésie puisque le titre annonce un thème qui peut choquer le
lecteur mais en même temps, il se présente comme un poème d'amour puisqu'il
s'adresse à la femme.
: Nous pourrons donc nous demander de quelle manière et dans quel but
Baudelaire a fait de ce sujet associé à la laideur un thème poétique.
Nous montrerons d'abord que le spectacle de la mort provoque à la fois répulsion
et fascination. Puis nous étudierons la résurrection artistique proposée par le
poète. Enfin, nous verrons que Baudelaire détourne de façon ironique des thèmes
et une conception du genre hérités de la tradition poétique.

I. Un spectacle suscitant à la fois la répulsion et la fascination (strophes 1


à 3)
Strophe 1:
Avec le verbe au passé-simple « vîmes », (v.1), il semble évoquer le souvenir d’un objet
agréable aperçu lors d’une promenade romantique. Mais nous nous rendons compte au
vers 3 que cet objet est une “infâme charogne”. L’adjectif « infâme'' amplifie la vision de
l’animal en décomposition et accentue la répulsion des spectateurs. Placé à la rime, il
fait écho à « mon âme » (v.1), ce qui renforce le décalage entre l'attente suggérée au
début du poème et l'apparition de cette charogne
Strophe 2:
Différents éléments de la description, relevant du champ lexical de la luxure, donnent
au corps une posture obscène : « les jambes en l'air » (v.5), mais aussi les adjectifs
« nonchalante et cynique » (v.7). La répulsion que ressent le lecteur est ainsi accentuée
par une gradation ménagée dans la description du cadavre aux vers 6 et 8 « brûlante et
suant les poisons » ; « Son ventre plein d’exhalaisons ».
Strophe 3:
L’allégorie du « soleil » (v.9) et de la « grande Nature » (v.11) surtout, proposée avec une
majuscule, donnent une idée de toute-puissance divine. L'antithèse entre « rayonnait », à
la césure et « pourriture » à la rime (v.9) renforce cette idée d'opposition entre le divin et
le mortel.
II. Une résurrection artistique (strophes 4 à 9)
Strophe 4:
Le poète et la femme sont des spectateurs mais la nature l’est aussi : « Et le ciel regardait »,
rappelant la présence divine de la strophe précédente. L’oxymore “Carcasse superbe”
transforme la carcasse en en bel objet, pour la nature la carcasse est belle comme une fleur,
on le voit grâce à la comparaison “comme une fleur s’épanouir” qui rappelle les fleurs du
mal, il extrait la beauté du mal.

Strophe 5:
La 5ème strophe présente une gradation dans l'horreur : le placement à la rime des
termes « putride » (v.16) et « liquide » (v.18) produit une vision saisissante du corps
pourrissant. La répulsion est aussi accentuée par la description précise de la
décomposition du corps sous l'action des êtres qui s'en nourrissent : « les mouches [qui]
bourdonnaient » (v.17) et « [les] larves » (v.19) donnent une dimension hyper réaliste et
presque horrifique à la scène.

Strophe 6:
Pour montrer l’effet de cette description de la vermine, le poète la présente comme un
mouvement global et continu à l’aide de l’imparfait à valeur durative : « Tout cela
descendait, montait comme une vague » (v.21), La description d'abord répulsive d'une
vie qui se nourrit de la mort évolue peu à peu en une image plus poétique d'une mort qui
devient source de vie « le corps […] vivait en se multipliant » (v. 24),

Strophe 7:
Les comparaisons permettent également de dynamiser la description de la charogne : «
Comme l’eau courante et le vent / Ou le grain qu’un vanneur .
On oublie peu à peu l'objet concret repoussant, notamment grâce à la périphrase qui
désigne les insectes : « Et ce monde » (v. 25).
Strophe 8:
Une nouvelle analogie, avec l'art pictural cette fois, donnée par la métaphore filée de la
peinture : « Une ébauche » (v.30) ; « Sur la toile » (v.31). Baudelaire efface l'horreur, la
transforme artistiquement.

Strophe 9:
L’aboutissement de cette abstraction poétique graduelle est un retour brutal à la réalité,
La crudité du spectacle reprend ses droits dans cette strophe, avec la mention de la
chienne qui se nourrit du cadavre. L'horreur est surtout ramenée par le détail évoquant
le démembrement de la carcasse : « reprendre au squelette / Le morceau qu’elle avait
lâché » (v.36), Ce mélange de la vie et de la mort est également un élément susceptible
de créer la répulsion.
III. Des thèmes et une conception du genre hérités de la tradition poétique
détournés par l’ironie (strophes 10 à 12):

Strophe 10:
Le tiret, le connecteur « Et pourtant » (v.37) et l'adresse à sa destinataire « vous serez » (v.
37) marquent un nouveau temps dans le poème. Le passage au futur simple (de
l'indicatif) indique également un changement de registre : le poète était dans la
remémoration, il est maintenant dans la prédiction. La désignation de la femme aimée,,
sur deux vers, est empathique et repose sur des lieux communs : « Étoile de mes yeux,
soleil de ma nature, […] mon ange, ma passion » (v.39-40). Leur accumulation provoque
une ironie profonde, renforcée par la forme exclamative. La femme est louée mais en
même temps promise au sort de la charogne, qui est une image de son futur. Ce dernier
mouvement constitue donc une prophétie cruelle.

Strophe 11:
La périphrase « après les derniers sacrements » (v. 42) semble adoucir l'idée de mort,
mais cet euphémisme est contredit ensuite par la description précise de la
décomposition : « Moisir parmi les ossements » (v. 44)..

Strophe 12:
La juxtaposition d’une scène macabre et d’une scène érotique est reprise ici : « dites à la
vermine / Qui vous mangera de baisers » (v.45) : la métaphore « qui vous mangera de
baisers » (v.46) met en relation la destruction de la vermine qui dévore, avec une image
érotique donnée par l'expression « manger de baisers ».
Baudelaire utilise le motif du Carpe diem, puisqu'il associé les thèmes de l’amour et de
la mort. À la fin du poème, Baudelaire met en évidence la capacité de sublimation de
l'art qui seul peut préserver la beauté de la femme : " Que j'ai gardé l'amour et l'essence
divine / De mes amours décomposés"

Conclusion:
Pour conclure nous avons dans cette explication linéaire que Baudelaire passe par
plusieurs étapes: tout d’abord, un spectacle suscitant à la fois répulsion et fascination,
ensuite une résurrection artistique et enfin des thèmes et une conception de genre
hérités de la tradition poétique et détourné par l' ironie.
Ainsi, à travers ce long poème, Baudelaire se livre à un faux poème lyrique. En effet, la
promenade amoureuse se transforme en provocation cynique. Le poète évoque la mort
de sa bien-aimée de façon répugnante, sordide. Pourtant, à travers l’écriture poétique, il
parvient à transfigurer la laideur en beauté sonore. Faut-il voir dans ce poème un
memento mori? Un carpe diem rappelant en creux qu’il faut profiter de l’instant présent car
la jeunesse et l’amour ne sont pas éternels?

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