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Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle


Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,


Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées


D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie


Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,


Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Etude linéaire 2 : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, section « Spleen et Idéal », «LXXVIII  Spleen »

Introduction

Accroche : Présenter Baudelaire, le recueil Les Fleurs du Mal, la section et définissez le spleen

Le mot spleen vient de l’anglais et signifie « rate ». Dans la médecine ancienne, les organes
étaient le siège des émotions. La rate provoquait l’humeur noire, la mélancolie. Aujourd’hui,
on parlerait de mal être, de dépression. Chez Baudelaire, c’est un tourment de l’esprit, une
angoisse existentielle.

Caractérisation du texte : Le poème est composé de vingt alexandrins, organisés en cinq


quatrains. Les quatre premières strophes sont composées d’une seule longue phrase, 3
subordonnées de temps correspondent au 3 premières strophes et la proposition principale est
dans la 4ème strophe. La structure est lourde, répétitive, comme l’ambiance de ce poème dans
lequel le poète tente de définir le spleen.

Problématique : Comment l’écriture poétique permet-elle de dire le spleen ?

Axes

I Les circonstances du spleen : le monde extérieur


s’acharne sur le monde intérieur
1) Circonstances climatiques (V1à 4)

Un paysage extérieur, un climat pesant

La conjonction de subordination « Quand » ouvre le poème et se retrouve au début des 3


premières strophes, chaque strophe correspond à une subordonnée de temps et à un élément (ciel,
eau, terre). Dans chaque strophe, les conditions du spleen sont données.

Ici, ce sont des conditions météorologiques pesantes : « le ciel » est caractérisé par des adjectifs
qui évoquent l’écrasement: « bas et lourd », le verbe « pèse » suggèrent une atmosphère pesante,
lourde. Le verbe est au présent d’habitude, de vérité, il s’agit d’une situation récurrente.

La comparaison avec le couvercle : « comme un couvercle » s’oppose à l’infini du ciel. L’idéal


baudelairien est une élévation de l’esprit vers le ciel (voir l’Albatros), ici aucune élévation n’est
permise à cause de ce ciel écrasant. Par ailleurs, le terme « couvercle » est prosaïque et renvoie à
un réel peu idéalisé.

Cette idée d’écrasement, de manque d’horizon est reprise au vers 3 où l’horizon devient borné :
« l’horizon embrassant tout le cercle », embrassant et cercle renvoient à l’enfermement et
bornent l’horizon.

Ce paysage extérieur conduit à un mal-être du poète


Le terme « ennui » rappelle le poème « Au lecteur » qui ouvre le recueil. Dans ce poème,
Baudelaire compare l’Ennui (avec une majuscule) aux plus grands monstres de l’univers. Pour
Baudelaire, l’Ennui est un tourment de l’esprit une véritable torture. Dans ce poème, « ennuis »
est au pluriel et associé à l’adjectif : « longs ennuis » pour insister sur le tourment. Le v4
évoque une ambiance sinistre : « noir », « triste », « nuit ». L’oxymore « jour noir » insiste bien
sur l’absence de lumière, de blancheur et sur le côté sombre du paysage. Tout est sombre, le
comparatif insiste sur l’absence de couleur « jour plus triste que les nuits ».

2) Circonstances « terrestres », le paysage

La strophe s’ouvre sur « Quand », 2ème subordonnée de temps du poème.

Le paysage est étroit et humide : « la terre est changée en un cachot humide », « les murs »,
« cognant », « plafond pourri », le verbe « changer » évoque une métamorphose du paysage en
cachot.

Ce paysage est peuplé de « chauves-souris », animaux peu agréables qui fréquentent les caves, les
grottes. Les chauves-souris sont comparées à l’Espérance. L’Espérance est une notion abstraite,
ici associée à un animal concret, il s’agit d’une allégorie (représentation d’une idée abstraite
sous une forme concrète).L’ Espérance « bat les murs », « se cogne à des plafonds pourris », elle
n’a pas de place dans le paysage du poète. A travers l’allégorie, on comprend que dans un paysage
fermé, humide, le poète s’ennuie et n’a pas d’espoir d’idéal. C’est le spleen.

3) La pluie, l’eau

3ème subordonnée de temps introduite par « Quand », on attend toujours la proposition principale.
La répétition des subordonnées évoque l’Ennui. L’écriture poétique représente un peu le spleen.

On retrouve l’idée d’enfermement déjà présente dans les deux premières strophes : « prison »,
« barreaux ». La prison est dessinée par les gouttes de pluie. Le poète se retrouve alors en proie
à des visions cauchemardesques : « un peuple muet d’infâmes araignées ». L’araignée est un insecte
connoté péjorativement : elle a un aspect répugnant et imprévisible (elle piège dans ses filets).
Par ailleurs, la quantité d’araignées donne un côté plus angoissant « peuple » évoque une grande
quantité et « araignées » est au pluriel. Elle est un monstre qui envahit l’esprit du poète (phobies,
angoisses, folie…)

Avec le pronom de1ère personne du pluriel « nos cerveaux », le poète ne parle pas que de lui mais
de l’humaine condition.

Dans les trois subordonnés, l’extérieur est fermé et peuplé d’animaux terrifiants qui peu à peu
passent de l’extérieur à l’intérieur du poète et des hommes.

II Le spleen, un mal qui nous atteint tous.


1) Une folie
Dans la 4ème strophe, arrive la proposition principale attendue depuis 12 vers et des verbes
d’action : « sautent », « lancent ». Le sujet de ces actions est surprenant, décalé : « les
cloches ». On peut se demander si ces cloches sont à l’extérieur ou si elles sonnent dans la tête du
poète.

On peut penser à une vision du poète, le son des cloches devient animal : « hurlement »,
« geindre » et le vocabulaire de la folie est présent : « furie », « cloches sautent », « les esprits
se mettent à geindre ». La diérèse sur « opiniâtrement » allonge le mot et la plainte, 6 syllabes, un
hémistiche. Le poète bascule dans la folie.

2) Le combat entre l’Angoisse et l’Espoir ou la défaite de l’Espoir

La dernière strophe s’ouvre par des images d’enterrement triste  et lent: « longs corbillards »,
« défilent lentement ». L’absence de sons, marquée par la double négation : « sans tambours ni
musique » accentue le côté sinistre.

Le déterminant possessif « mon âme » signifie clairement que ces visions sont internes, ce sont
celles du poète. Tout se passe dans son esprit, pas dans le paysage qui l’entoure.

Le poème se termine par un combat à l’intérieur du poète entre Espoir et Angoisse. Les deux
termes prennent une majuscule. « L’Espoir » est mis en valeur par un contre rejet, il est isolé
(Un élément syntaxique débute à la fin d’un vers pour se poursuivre sur le vers suivant) mais sa
défaite est brièvement évoquée : « vaincu, pleure ». La victoire de l’Angoisse est plus détaillée
v19/20.

Le rythme de ces vers (18/19) est saccadé pour illustrer le combat et les sonorités finales sont
sifflantes : « AngoiSSe », « atroCE », « deSpotique ». L’Angoisse est comme un pirate qui marque
le territoire gagné avec un drapeau. Le poète est vaincu par le Spleen, l’Angoisse. Le possessif
« MON crâne » montre bien qu’il s’agit d’une défaite personnelle.

Le paysage extérieur a fini par provoquer des visions et l’Angoisse : Le Spleen. L’écriture
poétique décrit le paysage extérieur et les visions intérieures du spleen. Les images, les
sons, le rythme du Spleen apparaissent dans ce poème.

Lien pour l’émission de France culture : Ecoutez révisez (pour travailler la lecture et l’analyse des
œuvres)

https://www.franceculture.fr/emissions/ecoutez-revisez

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