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- Spleen 4 (quand le ciel bas et lourd pèse

comme une casserole)

INTRODUCTION
«Je suis le roi d’un pays pluvieux, Riche mais impuissant, Jeune et pourtant très
vieux », telle est la définition antithétique que fait Charles Baudelaire de lui-
même dans l’un des quatre poèmes intitulés «Spleen». Dans la dernière de ces
poésies du même titre, placée dans la section «Spleen et Idéal», cette même
dualité se retrouve sous les traits d’un combat entre l’Espérance et l’Angoisse.
Rappelons que le terme « Spleen » est emprunté à l’anglais. Il désigne la rate,
siège de l’humeur selon les Anciens. C’est donc une profonde mélancolie, que
nous qualifierions aujourd’hui de dépression, que nous livre le poète dans ce
texte. L’insertion dans la section « Spleen et Idéal » donne à voir deux postures
de l’homme, l’une tournée vers un Idéal qui serait une aspiration vers le haut,
vers la spiritualité notamment et l’autre, au rebours, qui tendrait vers le bas, où
logerait le spleen. Dès lors, comment ce poème nous délivre-t-il un paysage
extérieur reflétant la condition intérieure du poète? C’est d’abord la mélancolie
qui nous est dépeinte par Baudelaire ainsi qu’un paysage romantique dans
lequel le poète se retrouve prisonnier. Enfin, tel une épopée, le poème est le lieu
d’un combat allégorique.

I)Baudelaire spleen ou un paysage romantique


La mélancolie, sens que Baudelaire a donné au mot « spleen », regroupe un
ensemble de thèmes/ Ici tous les stéréotypes de la mélancolie sont représentés:
l’obscurité, la pluie, l’ennui, le dégoût.

A. Un jour pluvieux
Dès le premiers vers, le décor mélancolique par excellence est planté : « quand
le ciel bas et lourd pèse ». Ensuite, la pluie est omniprésente tout au long du
poème : « humide », « la pluie ». celle-ci est associée à un paysage noir,
emblème de la mélancolie avec l’oxymore « un jour noir » ou encore « nuits »
qui nous offre un tableau sombre et angoissant. De plus, cette humidité et cette
noirceur sont mêlées à une impression de détérioration et de putréfaction
comme en témoignent des formules telles que « plafonds pourris » ou « cachots
humides ». La pluie semble donc agir et altérer le paysage extérieur. Le poète
nous livre un paysage sombre et pluvieux dans lequel l’ennui vient renforcer
cette vision maussade et s’installer.

B. Un jour d’ennui ou le spleen de Baudelaire


Ensuite, le champ lexical de l’ennui avec des termes tels que: « longs ennuis »,
« triste » semble planter une atmosphère lugubre. La forme du poème corrobore
cette idée tant les participes présents sont nombreux: « embrassant, gémissant,
cognant, battant, étalant ». Or cette forme montre une action en cours de
déroulement à laquelle s’ajoute une notion de lenteur et une notion de longueur
qui reflètent cet ennui. L’utilisation de nombreuses phrases complexes renforce
ce sentiment d’ennui qui règne dans le poème et auquel le poète se trouve
confronté. Finalement, le poète semble enfermé dans ce paysage pluvieux et
ennuyeux sans qu’aucune échappatoire ne s’offre à lui.

II) Baudelaire spleen. Un poète prisonnier de sa mélancolie

A. Une impression de cloisonnement


D’abord, tous les éléments mentionnés semblent enfermer le poète: le ciel, la terre et
la pluie. Le ciel, en effet, « comme un couvercle », la terre « changée en un cachot
humide », la pluie « imite les barreaux » d’une prison. L’enfermement physique du
poète nous est dépeint comme inévitable. Tout semble le confiner dans un espace clos
duquel il ne peut s’échapper. cette idée se trouve renforcée par les antithèses telles
que le ciel que l’on trouve volontiers associé à l’horizon. Or ce dernier suppose une
ouverture infinie de l’espace qui est ici réduit à la circonférence d’un couvercle. La
comparaison réduit ainsi l’espace, le ferme et contribue à écraser le poète oppressé.
En outre, l’horizontalité du ciel contraste avec la verticalité du mouvement du
couvercle vers le bas. De plus, une rondeur se dégage du poème du poème
« couvercle », « cercle », qui oppresse et clôt l’espace. Se dégage une impression
claustrophobe qui étouffe le poète. Cet enfermement est également rendu par la forme
de poème composé de cinq quatrains. Au fond, le poème semble enfermé dans sa
propre forme de rimes croisées dont le schéma se reproduite de manière
systématique. Le poème semble figé imitant par là-même la condition du poète et de
son sentiment d’enfermement. En effet, malgré des tentatives vaines d’évasion, le
poète se heurte indéfiniment aux cloisons.

B. Des barrières infranchissables


Ainsi, l’espace est représenté comme une prison. La pluie, par exemple, est la
métaphore des barreaux de la prison: « la pluie étalant ses immenses traînées, d’une
vaste prison imite les barreaux ». Par ailleurs, la terre est décrite telle un « cachot
humide ». Les limites, les barrières sont nombreuses et empêchent le poète de
s’évader comme par exemple le mot « couvercle » qui enferme et oppresse, « les
murs et plafonds » du cachot qui renvoient le poète et son espoir dans la prison, les
« barreaux » qui délimitent la prison. Finalement, le poète, où qu’il aille, se heurte à
des cloisons qui le renvoient à sa condition de prisonnier. Cet enfermement physique
reflète l’enfermement mental et intérieur du poète, muré dans sa douleur.

C. Un enfermement intérieur
Ce sont les sons de la douleur que le lecteur perçoit entre ces vers. Un champ lexical
de la souffrance très dense est développé pour décrire l’état intérieur du poète:
« affreux hurlement, geindre, pleure, triste, gémissant ». Une idée de soumission à la
souffrance se dégage de ces mots ainsi qu’une plainte sonore. Le lecteur entend ici les
sons de la douleur. Finalement, le poète semble pris au piège dans cette souffrance, ce
qui est accentué par la métaphore des araignées et de ses « filets » dont les araignées
ne peuvent s’extirper. C’est un malaise intérieur qui nous est dépeint, un dégoût de la
vie où se mêlent ennuis, souffrance et enfermement. le poète semble soumis mais
tente d’échapper à cet état et nous livre une bataille épique et allégorique entre
« Espoir et Angoisse ».

III. Une épopée ou la lutte allégorique du poète


La volonté du poète se dégage de cet état qu’est le spleen et nous donne à voir un
combat qui prend différents aspects: métaphorique, allégorique, duquel le poète ne
sortira pas vainqueur.
A. Une métaphore animalière du spleen baudelairien
D’abord, un crescendo se met en place et une intensification opère. Elle se traduit par
une tentative de rébellion du poète. Pour cela, la métaphore animalière est utilisée. En
effet, nous pouvons noter une allégorie de l’Espérance. Effectivement, Baudelaire
compare l’Espérance à une « chauve souris » dans le deuxième quatrain. Pourtant, la
chauve souris, animal nocturne, aveugle et mal aimé, semble lier l’espérance à un
symbole maléfique. C’est la colombe qui serait plus naturellement et symboliquement
représentante de l’espoir. Cet animal qu’est la chauve souris serait-il de mauvaise
augure pour le poète? L’Espérance ainsi représentée, aveugle et affolée, semble
vouée, l’échec et préfigurer la défaite du poète face au spleen. D’ailleurs, alors
qu’elle essaie de s’échapper, « battant les murs de son aile timide » et « se cognant la
tête à des plafonds », elle n’y parvient pas. Elle nous est décrite comme fragile,
affolée et se blessant mais finalement toujours prisonnière. C’est un premier échec de
l’Idéal et de l’Espérance. A ce combat s’ajoute celui entre le poète et l’araignée,
symbole de la prison et du spleen. C’est une image de dégoût qui se dégage de la
description des araignées avec l’expression « peuple muet d’infâmes araignées » et
semble prendre possession de l’esprit du poète. Ces araignées associées au spleen et à
l’enfermement semblent prendre le pouvoir, « tendre les filets au fond de nos
cerveaux », ce qui déclenche une nouvelle crise chez le poète dans les deux quatrains
qui suivent. La bataille atteint son paroxysme.

B. La victoire du spleen ou la mort intérieure du poète


Les deux derniers quatrains montrent le poète en crise et une bataille qui atteint un
seuil maximum soudainement comme en témoignent les mots « tout à coup, sautent,
furie, hurlement ». Une violence se dégage de ce quatrain, se traduisant par les
nombreuses occlusives [k] et [t] qui véhiculent une certaine agressivité. Le poète,
malgré la lutte qu’il mène, semble perdre du terrain face au spleen. En effet, les
hurlements ne deviennent-ils pas des gémissements comme le montre le verbe
« geindre »? La défaite semble se dessiner inexorablement et l’énergie du désespoir
s’évanouit peu à peu. En effet, le rythme semble s’allonger et s’étendre comme en
témoigne l’adverbe « opiniâtrement », dont la diérèse fait rallonger ce mot qui occupe
à lui seul tout le deuxième hémistiche. Par ailleurs, cette défaite annoncée nous est
confirmée dans la strophe qui suit, mise en valeur typographiquement, par le tiret qui
la détache. Dans cette strophe, s’ouvre un champ lexical de la mort: « corbillards,
sans tambours ni musique, défilent » tel un cortège funèbre. De plus, le silence
contraste avec les hurlements notés auparavant. C’est un silence de mort qui règne.
Les cloches semblent sonner le glas de la mort du poète qui n’a pu échapper au
spleen. Enfin, la dernière image « sur mon crâne incliné plante son drapeau noir »
évoque la soumission finale du poète qui s’avoue vaincu et annonce la victoire
allégorique de l’Angoisse, donc du spleen. Le changement de rythme rend compte de
cette défaite où une certaine lenteur succède à l’emballement précédent. Ici,
« lentement », le poète annonce sa défaite: « l’Espoir vaincu pleure ». En outre la
rime finale, « Espoir/noir » sonne la défaite finale. Ainsi, le drapeau noir symbolise le
deuil mais aussi le drapeau des pirates. Il suggère le naufrage du vaisseau. Notons
que dans Les Fleurs du Mal, le poète est souvent représenté par un navire, coulé par
les pirates que représenterait le Désespoir. Le « crâne incliné » serait alors l’image du
bateau qui s’enfonce dans la mer. Le naufrage est donc définitif.

Conclusion du commentaire Baudelaire spleen


Ce poème nous fournit une description de ce qu’est le spleen, ce mélange de
mélancolie, d’ennui, de dégoût, qui gagne le poète jusqu’à provoquer chez lui une
crise, un mal de vivre qu’il ne parvient pas à vaincre. Les deux allégories que sont
l’Angoisse et l’Espoir matérialisent son combat intérieur. Ainsi, le paysage extérieur
reflète le paysage intérieur de Baudelaire. Le poète semble d’ailleurs s’inspirer ici de
la tradition romantique pour laquelle la nature est imprégnée de mélancolie, comme si
les sentiments de l’auteur se projetaient sur ce qui l’entoure. Citons à tire d’exemple
« Le Lac » de Lamartine où l’on retrouve le même fonctionnement littéraire.

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