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L'ESS ENTIEL DU COU RS

Vic tor Hugo, r

Les Contemplations
(livres I à IV)
Lorsque les poèmes des Contemplations sont publiés,
en 1856, Victor Hugo est déjà un auteur reconnu et
une figure politiq ue impor tante. Écrit en grand e partie
duran t son exil, ce recuei l occupe une place bien
partic ulière dans son œuvre colossale . Avec ces vers,
Hugo trouve un espac e capab le d'accu eillir le sou venir
de sa fille morte en 1843. Dans sa préface, il précise Victor Hugo.

que « ce liv re doit être lu comm e on li rait le livre d'un


mort. » Il ajoute que le recuei l se présen te aussi comm e
« les Mémoires d'une âme ».

du cadre champétre. Hugo nous con fronte à morte I Hélas I q ue Dieu m 'assis te 1 ., Ce
Itinérair e poétiqu e
la souffrance, à la pauvreté, à la solltude ou q u at riëm e livre s'achève sur un h ommage
à l'i njustice, comme dans« Mélancho lia ., ou à Charles Vacq uerie, qui venait d 'épouser la
D Jn l1vrP 1 l'autre
dans « Le maitre d'ét udes ». La voix poétique fille du poète et qui s'est noyé avec elle en
Ce recu eil est organJsé avec soin, et les quatre
semble parfois vaciller. évoquant elle-mém e tentant d e la sa uver. L'amour se mêle donc
p rem iers Uvres qu i le composen t n 'échappent
des « heures de doute » (Ill, 3). Cette voix se à la tristesse.
pas à cette rëgle. Chaque pa rtie semble pos-
séder son unJté et sa couleur. Dans le premier brise dans le livre IV, qui entame le cycle inti·
tu lé « Aujourd 'hui 11. Tou t se passe comme De~ jalons autobiog raphiques
livre.« Aurore "· le poète peut installer u n
s'il était impossible d 'évoquer d irect em ent L'itinérair e a menant le lecteur à passer d'un
cad re bucollque ou encore évoquer " le firma·
m en t [... ] p lein de la vaste clarté " (I. 4). Sa voix le « 4 septembr e 1843 », jour de la mort de livre à l'autre semble d 'autant p lus orga·
se fa lt au ssi ferme lorsqu'll s'agit de se dres· Léo poldine Hugo. Ce s q u elqu es poëmes n isé qu'il est accompa gné de nombreu ses
se r « contre un act e d 'accusatio n " (I. 7). Le pour sa fill e, pour reprendre le titre de cette dates. Hugo pose lei d es jalo ns pour guider
d euxième livre creuse souvent ce silJon, pour section. évoquent un passé heureu x et u n la lecture. C'es t égalemen t ce que suggère
laisser s'épano uir cette « âme en fleur 11 . Les présent marqué par la t ristesse. comme dans la ré pa rtition e n deux grands ensembles
deux llvres suivant s sont plus som bres. Dans le ci nqulëme poème : « Son regard reflétait intitu lés « Autrefoi s (1830 -1843) " e t
« Les lu ttes et les rêves "· nous sommes loin la clarté de son âme./ [...] Et d ire qu'elle est " Aujourd' hui (1843-1855) "· L'o rganisatio n
L' ESSENT IEL DU COU RS

st si minutieuse que, dans le livre IV, le trol - t andis que la noirceur du présent m enace
e
slèrnC poè me évoque l ' année du décès de souvent la gaieté d'« a utrefois». UN ARTICLE DU MONDE
Léopoldine : 43- Méme si cette dernière n'est À CONSULTER
pas nommée, à l'inverse de Charles Vacquerie, Lil lutte contre IL' ,1lr nc,, • Les malheurs de Dldlne p. 62-64
le recueil comporte un grand nombre de liens Ce nouvel Orphée doi t cependant lutter pour (Christian Colombani, le Monde daté du
explfcf tes avec la vi e du poète. Ces rappels Impose r son chant. SI la voix du poète est 30.01 .1993)
autoblogr.apbiques donnent le sentiment que ferme ou enjouée dans les premiers livres,
c'est bien son âme qu'il explore et met à nu e lle apparaît de plus en plus menacée par
sous nos yeux. lis donnent à ce recueil des la tentation du silence. C'est qu 'il fa ut, pou r let ltre du sixiè me et dernier livre. Souvent
allures de mémoires. Hugo, parvenir à dire l'indicible. C'est en cc 11le ciel s'ouvre à ce cha nt comme une oreille
sens que le blanc qui suit la date du 4 sep- immense» et" l'infini tout enlier d'extase se
Un voyage lyrique tembre 1843 Impose un vide menaçant. Le soulève » (1, 4). Ce te rme d'extase fait particu-
poème suivant montre que ce go uffre a lièrement sens puisqu'il montre la capacité
un e trouble e nglou ti trois a nnées. Le poète pa rvient à du II je » à sortir de lui-mê me pour s'avancer
Le recue il. malgré quelq u es accents polé- reprendre la parole, mals li semble usé, d'a u- vers ce qui le dépasse.
miques, est souvent lyrique. Hugo multiplie tant que le deuil de sa fille rejoint le souvenir Aussi le poète évoque-t-U souvent Dieu ou
tout au long du recueil les références au d'une mère partie trop tôt : Je ciel, et tout ce qui, en somme, représente
mythe d'Orphée. « Oui, je suis le rêveur[ ... ) Il est temps que je me repose : !'Infiniment grand, comme à la fi n de« Billet
et j'entends ce qu 'Orphée ente ndit. » , pro- Je suis terrassé par le sort. du matin» : 11 Nous avons l'infini pour sphère
dame-t-il par exemple (!, 27). Comm e Orphée, Ne me parlez pas d'autre chose et pour mllleu, / L'éternité pour âge : et, notre
le poète manie la lyre. C'est ce qu'annonce par Que des ténèbres où l'on dort / amour, c'est Dieu. » Cette âm e voyage donc
exemple le deuxième poème du recueil : « Le Le temps se fige d a n s un prése n t qui tout au long des Contemp lations, pour aller
poète s'en va dans les champs ; il admire./ 11 n 'avance plus, et les verbes au futur, da ns dans le passé. m a is au ssi p ou r explorer
adore ; il écoute en lui-m ême une lyre » . Le bien des poèmes, sont associés à des marques d'autres univers et même d 'autres corps.
poète « écoute en lu i-même » et nous invite de la négation.
à explorer les troubles du " je ». Les marques C'est pourtant précisément en exhibant ses D'un sublime a l'autre
de la première personne d u si ngulier sont fêlures que le poète parvient à lutter contre ce Le sublime n'est pourta nt pas toujours là où
no mbreuses, ce qui p er met d'in scrire ce silence qui pourrait avoir raison de sa parole. le lecteur l'attend. Un puissant mouvement
recueil dans le registre lyrique et l'histoire Un renversement s'opère alors, et les mots, traverse le recueil e n nous ramenant sans
du mouvement romantique. sans nier la douleur ou le doute, l'emportent cesse vers les êtres huma ins, qui font eux
Les ém otions se heurtent souvent dans su r la page bla nche. Le lien avec le lecteur, aussi partie de ce grand tout.
les quatre premiers livres. Certes, le "de uil " d'un bout à l'autre de ces quatre livres, a fina- Si le romantisme a parfois été accusé de se
amène le poète à exprimer l'ampleur de sa lement raison de la solitude dont se plaint un concentrer sur le II moi », Hugo affirme dans
doule ur. Le lecte ur est invité à compatir, poète incompris, attaqué ou brisé. sa préface que ce « moi » mène au « nous » :
c'est -à-d ire à souffrir avec les différent s « Ce livre cont ient, nous le répétons, autant
personnages des Contemplations. Le poète Ouvertures l'individualité du lecteur que celle de l'auteur.
se montre même sensible au calvai re d' un Homo sum. Traverser le tumulte, la rumeur,
cheval agonisant « sous Je bloc qui l'écrase Une quete metaphys1que le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur,
et le fouet qui J'assomme ». Cette quête qui mène le« je» vers son passé le silence ; se reposer dans le sacrifice, et, là,
On n'o ubliera tout efois pas que, fidèle prend au ssi des accents mitaphysiques. La contempler Dieu ; commencer à Foule et finir
à son esthétique faite de contrastes, Hu go voix poétique cherche souvent à II all er au à Solitude, n'est-ce pas, les proportions indivi-
mani e avec brio l'art du clair-obscur. Un bord de l'infini », comme l'a nnon ce Hugo duelles réservées, l'histoire de tous ? »
instant de lumière peut éclairer l'obscurité dès la préface et comme le souligne encore

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