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I – « Demain dès l’aube », poème lyrique à caractère autobiographique

« Demain dès l’aube » est un poème à caractère autobiographique, dont le thème renvoie à la mort
de Léopoldine et à la difficulté psychologique éprouvée par le poète à se recueillir sur sa tombe. La
dimension lyrique y est omniprésente. Le pèlerinage à pied vers la tombe de Léopoldine laisse à
Victor Hugo le temps de se pencher sur ses sentiments et d’explorer le chagrin lié au deuil. Si ce
poème a connu et connaît encore un grand succès, c’est en raison de l’émotion qu’il suscite, face à
des sentiments qui touchent par leur universalité.

La dimension autobiographique du poème

La dimension autobiographique du poème est fortement marquée. A partir du second vers, on note
l’anaphore de « je », qui se répète jusqu’au vers 5 et se répète au début du vers 9. Aux vers 2 et 3,
l’emploi du pronom personnel de la première personne contribue à la scander le rythme : « je partirai
/ je sais » au vers 2, suivi de la répétition de « je sais » au vers 3. On notera que le second « je » se
situe au début du deuxième hémistiche, où il est mis en valeur après la césure. Cette position
stratégique dans le vers, tout comme l’anaphore que nous évoquions, contribuent à placer la
première strophe du poème dans un cadre fortement autobiographique.

La première personne est rappelée dans le premier vers de la seconde et de la troisième strophes. Le
pronom personnel est suivi d’un verbe d’action, ce qui marque la détermination. Pourtant, ces actions
semblent accomplies de manière machinale et le poète est surtout centré sur ses sentiments, comme
l’indique le vers 5 : « les yeux fixés sur mes pensées ». La dimension autobiographique fournit donc le
cadre externe à une méditation sur la séparation, la mort et le deuil.

Un dialogue imaginaire

La solitude du poète est mise en évidence par l’adjectif « seul », détaché par la virgule au début du
vers 7. Pourtant, cette solitude semble remplie de souvenirs et alimentée par le dialogue imaginaire
qu’il entretient avec sa fille Léopoldine. Ainsi, un autre personnage est indirectement présent dans le
poème. Le « tu » répond constamment au « je ». Si le poète a choisi la solitude, c’est précisément
pour pouvoir mener ce dialogue intérieur avec Léopoldine et se sentir proche d’elle, en ce jour
particulier, qui revêt pour lui une valeur spirituelle.

Dans la première strophe, un lecteur qui ne serait pas au fait de la biographie du poète pourrait
d’ailleurs penser à un dialogue amoureux. L’intimité est évoquée par « vois-tu », tandis que « tu
m’attends » ou encore « je ne puis demeurer loin de toi » marquent la force de l’attachement.
Léopoldine n’est pas nommée. C’est ainsi que l’ambiguïté est conservée jusqu’à l’avant-dernier vers,
où le mystère du pèlerinage est levé par le mot « tombe ».

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La structure du poème est de ce point de vue remarquable. En effet, si la première strophe évoque
une sorte d’impatience liée au rendez-vous, avec un rythme assez vif et des alexandrins marqués par
de nombreuses coupes, la strophe 2, composée d’une seule et longue phrase, indique le moment de
la méditation et du recueillement. Léopoldine en est absente. Enfin, la dernière strophe renoue avec
la dimension biographique par l’évocation de la tombe et l’ancrage géographique, avec la mention de
Harfleur.

« Demain dès l’aube » est un poème à caractère autobiographique, dans lequel la dimension lyrique
est centrale. Porté par le rythme du poème, le lecteur comprend peu à peu que le rendez-vous avec
l’aimée est en réalité un rendez-vous avec la mort et la fille décédée du poète. Solitude, deuil, mais
aussi nature comme reflet des sentiments témoignent de l’inspiration romantique de Victor Hugo.

II – L’exploration romantique de la souffrance

« Demain dès l’aube » est marqué, nous l’avons vu, par le lyrisme. La tonalité est souvent pathétique.
Mais il s’agit d’un pathétique qui s’inscrit dans la tradition romantique, dont Victor Hugo est l’un des
chantres. La méditation poétique touche ainsi souvent à la mélancolie et c’est la nature qui vient
consoler la douleur du père en deuil.

La souffrance du deuil et de la solitude

La perte de Léopoldine, fille préférée de Victor Hugo, a pour conséquence la solitude. Celle-ci est
mise en évidence tout au long du poème, mais plus particulièrement dans la strophe centrale, une
strophe pivot pour l’expression des sentiments et de la douleur. Le vers 8 exprime cette souffrance
par un rythme spécifique, qui détache l’adjectif « triste ». La comparaison qui suit est elle aussi
évocatrice : « et le jour sera comme la nuit ».

Cette nuit intérieure ou nuit de l’âme fait penser à la mélancolie caractéristique des états
romantiques. A la strophe 2 toujours, le poète fait son autoportrait dans le malheur. Il s’imagine « le
dos courbé » par la souffrance. « Les mains croisées » évoquent, quant à elles, le recueillement ou la
prière. Au vers 7, le poète insiste sur sa solitude, qui fait de lui un « inconnu », comme si la perte de
sa fille était liée à une perte d’identité. On peut imaginer aussi qu’il s’agit d’un choix : bien que Victor
Hugo soit célèbre, il renonce à cette célébrité pour aller se recueillir sur la tombe de sa fille, en père
et non en écrivain renommé.

La nature comme confidente

Le lecteur comprend d’ailleurs que cette solitude est voulue et choisie. Le poète ne cherche aucune
interaction, il ne croise personne sur son chemin. Seule la nature semble capable d’être la confidente
de sa douleur et de l’apaiser. Comme souvent dans le Romantisme, campagne et forêt sont en accord
avec le sentiment de mélancolie du poète.

Le cadre initial est brossé dans la première strophe : « campagne » et « montagne » se rejoignent à la
rime. Ce cadre disparaît entièrement dans la strophe 2 au profit du regard qui se tourne vers
l’intérieur et vers les pensées. Le décor initial est presque fantomatique, marqué par la couleur
blanche et les couleurs pâles de l’aube. Le contraste avec le décor final ne pourrait donc pas être plus
frappant. Dans la strophe 3 éclatent des couleurs vives, « l’or du soir », mais aussi « le houx vert » ou
« la bruyère en fleur ». La fin du voyage se traduit par une sorte de feu d’artifice de teintes, même si
le poète confie ne s’intéresser ni au coucher de soleil (vers 9), ni au tableau charmant que dessinent «
les voiles au loin descendant vers Harfleur ».

On notera néanmoins que le « houx vert », plante vivace, apporte une touche de vivacité, presque
une touche d’espoir, parmi les couleurs de sang du crépuscule.

Le poète inscrit donc son expérience personnelle et ses sentiments dans le cadre plus vaste de la
pensée romantique : le deuil est vécu avec intensité, comme une solitude absolue, mais la nature
apporte le réconfort.

III – Un pèlerinage aux multiples facettes

L’expérience vécue par le poète se développe selon plusieurs facettes, que la magie de la poésie
combine pour créer un message universel. Ainsi, le pèlerinage sur la tombe de Léopoldine se
présente d’abord comme un voyage réel, inscrit dans la temporalité ; mais il s’agit aussi d’un voyage
intérieur et c’est ce qui donne à ce pèlerinage sa dimension spirituelle, voire mystique.

Un voyage dans l’espace et dans le temps

Le poème présente un certain nombre de repères dans l’espace. Ils ne sont pas toujours précis et la
plupart du temps, Victor Hugo se contente de brosser un décor fait de montagnes, de forêts et de
zones de campagne. Il y a néanmoins, alors que le mystère du poème est en passe d’être résolu, une
indication géographique précise, avec la mention de Harfleur, port normand proche du Havre. Le
voyage du poète est décrit comme une sorte de périple, dans la mesure où il parcourt différents
paysages. La thématique du voyage est d’ailleurs renforcée par la mention des voiliers qui se rendent
à Harfleur. Il s’agit là, cependant, d’un type de voyage dont le poète se détourne, puisqu’il indique : «
je ne regarderai pas […] les voiles au loin ».

Ce sont surtout les repères temporels qui sont importants dans le poème : ils recouvrent la durée
d’une journée. Le poète part le matin, à l’aube (vers 1) pour se rendre sur la tombe et y arrive le « soir
», au vers 9. Le voyage se déroule à pied, ce qui impose un rythme lent. On peut ainsi observer que
dans la première strophe, les coupes des alexandrins suggèrent un rythme de marche assez appuyé,
parfois heurté. Au vers 1, par exemple, le rythme est 2 + 2 + 8 et au vers 2, 4 + 2 + 6. La marche n’est
pas régulière, comme si l’émotion imposait une avancée heurtée. La strophe 3, quant à elle, suggère
une atmosphère d’automne, avec le houx toujours vert, et la « bruyère en fleurs ».

Il faut signaler enfin l’utilisation particulière des temps dans le poème : le futur simple marque la
détermination du poète, mais rappelle aussi qu’il s’agit d’un voyage en pensées, qui n’aura
effectivement lieu que le lendemain. D’où l’importance de l’adverbe « demain », premier mot du
poème.

Un voyage spirituel

Le voyage de Victor Hugo est donc principalement un voyage intérieur et spirituel. Il s’agit d’un
pèlerinage à part entière. La temporalité est, nous l’avons vu, celle d’une journée. Mais une lecture
métaphorique de cette temporalité permet d’évoquer la représentation imagée d’une vie humaine.
Ainsi, pour une journée, Hugo revit en pensée le temps de la naissance à la mort de Léopoldine. La
nature symbolise l’existence. Le trajet parcouru devient un chemin de vie.

Sur ce chemin, le poète fait l’expérience de l’attente et du désir, qui dominent la première strophe. Il
plonge aussi dans la souffrance et la solitude : c’est ce que nous montre la strophe 2. La dimension
spirituelle de cette étape du pèlerinage est très forte. La privation est marquée par les deux
hémistiches parallèles du vers 6 : « sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit ». On pourrait
presque voir dans ce passage une nuit noire de l’âme, comme celle que décrivent les mystiques. Alors
qu’à la strophe 1, le poète est sensible aux paysages qu’il traverse, il se détourne du monde dans
l’expérience intérieure de la strophe 2.

C’est ce qui le rend, en quelque sorte, digne de retrouver Léopoldine. La dernière strophe peut alors
être comprise comme un contraste entre les séductions du monde, avec les « ors du soir qui tombe »
et la simplicité des retrouvailles spirituelles. On notera le parallélisme « ni » / « ni » qui marque le
rejet. Le poète, quant à lui, aspire à un bonheur plus simple, qui s’exprime dans la modestie des fleurs
de bruyère. La nature éternelle résonne comme une promesse mystique.

Conclusion

« Demain dès l’aube » est un poème lyrique et pathétique, fortement marqué par la sensibilité
romantique. Victor Hugo y évoque son deuil et la douleur face à la perte de Léopoldine. Le poème
relate le pèlerinage que l’écrivain avait l’habitude de faire sur la tombe de sa fille. Ce pèlerinage
apparaît peu à peu comme un véritable voyage spirituel, une représentation symbolique du chemin
de vie. Si ce poème continue d’émouvoir les lecteurs année après année, c’est en grande partie grâce
à la simplicité apparente de l’écriture et à l’expression de sentiments profondément humains. La
dimension autobiographique est dépassée et le poème atteint à l’universalité.

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