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CHAPITRE I – ALCHIMIE POÉTIQUE : LA BOUE ET

L’OR

Explication linéaire n°1 ‘Ma bohème’

Eléments de contextualisation
Le 2 novembre 1870, Rimbaud alors agé d’à peine 16ans écrivait dans une de ses lettres
adressées à son professeur Georges Izambard : « Que voulez-vous, je m’entête affreusement à
adorer la liberté libre ». Justement, Épris de cette liberté, il fugue en octobre 1870 et rédige,
durant son vagabondage, 22 poèmes qui deviendront Les Cahiers de Douai. Paul Verlaine le
surnomme d’ailleurs: « L’Homme aux semelles de vent » en raison de son amour pour le
voyage, pour la vie de bohémien. Rimbaud a été influencé par le mouvement romantique qui a
précédé le sien, et le dernier poème de son receuil Les Cahiers De Douai "Ma Bohème" peut être
considéré comme une continuation de l'héritage romantique puisqu’il met un accent sur les sentiments et
l’adécuation de l’homme et de la nature, bien que le gout prononcé de Rimbaud pour la liberté le pousse à
se détacher de ses premières admirations pour les poètes romantiques.
Caractérisation du texte
En effet, Ma Bohême est un sonnet à l’apparence traditionnelle puisqu’il est écrit en alexandrins et
composé de rimes embrassées dans les deux premiers quatrains suivies de deux tercets aux rimes plates et
croisées.
Les rimes sont suffisantes et riches en plus d’une alternance entre rimes féminines et masculines.
Cependant, bien que l’inscription dans une forme classique semble primer dans ce poème,il
n’hésite pas à introduire des entorses se dérobant aux « lois rigoureuses » classiques du genre. Ce
désir de liberté que l’on retrouve dans la structure, nous le retrouvons également dans le titre qui
nous fournit une clé essentielle puisque le poème s’articule autour de l’évocation d’une « bohème
» personnelle et s’apparente au récit d’un vagabondage physique, imaginaire et métaphorique
d’un adolescent pour qui la Nature devient un lieu de réconfort, d’harmonie et de création
poétique. En somme, une expérience triviale devient l’occasion d’une transmutation poétique( de
la boue à l’or)car elle est présentée positivement comme source de réconfort, de plaisirs
sensoriels et de création poétique.Lecture expressive du texte (1min)

Mouvements du texte (3e étape)


Puisqu’il s’agit d’un sonnet, il propose naturellement une opposition entre les quatrains et les
tercets, on peut donc observer une première partie insistant sur le mouvement (le récit
personnel d’un vagabondage volontaire : v. 1 à 7 qui est marqué par la misère mais en
harmonie avec la nature) tandis qu’une seconde suggère plutôt une pause dans l’errance, le
jeune homme s’asseyant et contemplant la Nature inspiratrice qui lui permet de transformer la
bohème en expérience poétique: v. 7 à 14).

Problématique6 (4e étape)


Dès lors, nous nous demanderons en quoi l’écriture rimbaldienne transforme l’expérience triviale
d’une vie de bohème en un moment poétique d’harmonie avec une Nature inspiratrice.

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CHAPITRE I – ALCHIMIE POÉTIQUE : LA BOUE ET
L’OR
Eléments d’explication linéaire (5e étape)
Le premier quatrain introduit les idées majeures du poème que le titre avait déjà esquissé
puisque qu’il évoque le récit personnel d’une fugue volontaire qui malgré la misère permet à Rimbaud
d’etre en harmonie avec la nature inspiratrice. En effet, le pronom personnel ‘je’ dès le premier vers
annonce une énonciation à la première personne qui va se maintenir tout au long du poème, en plus des
déterminants possessifs avec un polyptote « mes » / « mon » qui permettent de lire dans ce poème
l’autoportrait d’un vagabond, s’inscrivant ainsi dans le lyrisme cher aux romantiques. La dimension
personelle du poème est d’autant plus renforcé par l’expression «les poings dans mes poches
crevées » qui désigne posture typique de l'adolescent révolté qu’était Rimbaud.
La suggestion d’un déplacement vient compléter le titre avec un verbe de mouvement (« je m’en
allais ») repris anaphoriquement au v. 3. Cette répétition de « allais » en début de vers impose l’idée d’une
volonté personnelle assumée. Cette fugue n’a pas de but précis comme le montre l’absence de
subordonnée de lieu ou de but au 1 er vers. Cette première strophe est marquée par une imprécision
spatiale car aucun lieu n’est mentionné autres que celui de la « Grande-Ourse » à la strophe suivante, mais
aussi une intemporalité q u i s e p o u r s u i t j u s q u ’ a u p r e m i e r t e r c e t . C e s
i m p r é c i s i o n s r e n f o r c e n t l e s e n ti m e n t d ’ e r r a n c e
géographique mais aussi temporelle.
Si la misère est suggérée par son réseau lexical dès les premiers moments du poème
avec l’adjectif« crevées », le poème transforme d’emblée la connotation négative associée
traditionnellement à la bohème en une expérience positive et exaltante comme le montre les termes
antithétiques ‘crevées’ et ‘idéal’ à la rime des vers 1 et 2.
Le récit s’inscrit au passé. Outre le passé composé du v. 4 avec ‘j’ai revées’, Rimbaud emploie
des verbes à l’imparfait à valeur durative qui montre que l’errance dure, se prolonge, avec par
exemple ‘devenait’ du deuxième vers ou encore ‘j’étais’ du troisième vers.
Au v. 3, à la césure, l’apostrophe « Muse » introduit le thème de la création poétique, déjà
insinué par le sous-titre ‘fantaisie’ et prolongé par le verbe rêver achevant la strophe. Cette
« muse » semble imprécise encore, mais le 2nd. hémistiche esquisse une relation amoureuse
à l’image d’un amour courtois des romans du Moyen Âge qui montre à quel point cette muse est
en harmonie avec le poète. Et la proximité de « Muse » avec le substantif « ciel » peut d’ores et
déjà suggérer l’idée d’une Nature inspiratrice, que la suite du poème confirmera. Les
métaphores qui sont caractéristiques de la poésie sont omniprésentes avec les métaphores du
paletot « deven[ant] idéal » (vers 2) et du vagabond se transformant en « féal ».(vers3)

Le second quatrain insiste davantage sur la Nature et prolonge l’idée d’un vagabondage, physique,
symbolique et poétique.
Le 5e vers suggère à nouveau la pauvreté, à travers ses adjectifs antéposés (« unique » et «
large ») et le substantif à la rime « trou ». L’irrévérence sociale du « poète maudit » affleure alors
dans le « large trou » de sa culotte qui expose à la face du monde un postérieur
provocateur,Rimbaud dresse son propre portrait en se montrant révolté contre les valeurs
bourgeoises. L’irrévérence sociale se double alors d’une irrévérence poétique puisque le v. 6,
notamment, s’écarte des normes du sonnet traditionnel, avec son tiret à l’initiale et son rejet sur le v. 7.
Le v. 8 vagabonde lui aussi hors des normes classiques de la poésie avec son tiret au début et son
assonance dissonante en (ou) ‘doux frou frou’ . 

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L’OR
Nous retrouvons à nouveau des termes renvoyant à l’itinérance (« égrenais » après la césure du
v. 6 ; le substantif « course » au v. 6 ). Mais à cela s’ajoute une nouvelle information , le fait que
ça soit avant tout la bohème d’un enfant a v e c le terme « culotte » d u c i n q u i è m e v e r s
et la mention de la « Grande-Ourse » du vers 7.
Cet enfant abandonné ‘le petit poucet’ est receuilli et trouve refuge chez la nature complice et
harmonieuse avec lui. L’errance au cœur de la Nature devient support d’exercices spirituels et de libre
imagination (le v. 6 est un écho au v. 4 avec la dérivation « rêvées »/ « rêveur »)
les v. 7 et 8 quant à eux offrent plusieurs images indiquant une harmonie entre le poète et la
Nature avec la métaphore du v. 7 assimilant le Ciel au toit d’une « auberge », l’appropriation
des « étoiles » du « ciel » avec le possessif de 1ère personne « mes », la contemplation de la
Nature par le poète mentionnée par la personnification des étoiles au v. 8, les sollicitations visuelles («
Grande-Ourse », « étoiles ») et auditives (« doux frou-frou »). On retrouve l ’ image chère à Rimbaud
de la Nature maternelle dans le Dormeur Du Val des cahiers de Douai par exemple.
Le Premier tercet introduit une pause contemplative, en opposition aux déplacement sans
réel but suggérés par les quatrains. Il prolonge aussi l’harmonie entre la Nature et l’adolescent
fugueur. L’épithète détachée « assis » à l’initiale du 2nd hémistiche du v. 9 et les verbes de
perception « écoutais » et « sentais » mettent le poète vagabond en position d’observateur : On
retrouve des synesthésies que suscite le contact avec la Nature chez le poète lors de sa bohème :
la vue était convoquée par les « étoiles au ciel » lors de la strophe précédente et l’est encore ici
(« ces bons soirs ») vers 10, et s’ajoutent le toucher (« sentais ») vers 10, l’ouïe (« j’écoutais
»)vers 9, tandis que les jeux d’allitérations redoublent la sollicitation auditive (en [r]’ au bord des
routes’ vers 9, [t ‘sentais des gouttes’ vers 10], [v]’ comme un vin de vigueur’vers 11).
L’évocation des « gouttes de rosée » sur le « front » au dernier vers de ce tercet et la
comparaison avec « un vin de vigueur » renforcent l’idée d’une harmonie avec une Nature muse,
à l’origine d’une ivresse poétique.
Puis, C’est dans la dernière strophe que culmine la transmutation poétique : la fugue,
physique, devient une fugue poétique. On a un adolescent bohémien se décrivant en pleine
création artistique et achevant de transfigurer son environnement naturel. Les termes et images
renvoyant à l’activité poétique dominent : le participe présent « rimant » est mis en valeur après
la césure du v. 12, l’adjectif « fantastiques » renvoie à l’imagination, le substantif « lyres »
suggère métonymiquement la création poétique. On voit que le poète délire à l’image de
l’homophonie de l’avant dernier vers ‘comme des lyres’ ‘comme délire’. Ainsi, l’ombre des arbres
et les « souliers » sont personnifiés et les triviaux « élastiques » deviennent des cordes
d’instrument de musique sous l’effet de l’imagination du jeune poète.

la conclusion :
- En guise de synthèse, je pense que l’expression« pied près de mon cœur » illustre très bien
tout ça, car au-delà de la description prosaïque de la posture tout en souplesse de ce bohémien
qui imite le joueur de lyre avec son lacet, dit métonymiquement tout à la fois l’importance
affective de cette errance, tout autant que sa dimension poétique, o n p e u t v o i r d a n s l e
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t e r m e « pied » un synonyme de « syllabe ». La Nature, protectrice et maternelle, devient le lieu
de l’inspiration du poète et lui souffle des images révélant une nouvelle perception du monde. La
bohème qui est une expérience plutot triviale devient l’occasion de la création poétique. Ce poème est
représentatif de l’adolescent insouciant rimbaldien des Carnets de Douai : « c’est de la fantaisie,
toujours » écrivait Rimbaud à Izambard pour lui présenter une de ses œuvres. Ce désir de
liberté et la légéreté dont fait preuve Rimbaud est suggéré également par le sous titre qui par le
biais des Parenthèses Implique une distance, introduit la dimension burlesque. Finalement,
Doit-on prendre au sérieux ce récit fantaisiste ? De toute façon, « on n’est pas sérieux, quand
on a 17 ans »9…que l’on retrouve dans le 1er vers de « Roman », autre poème issu des Cahiers de Douai.)

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