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Lecture linéaire « Le soleil » de Baudelaire

1857 : occupait la 2 ème place dans la section « Spleen et Idéal » / 1861 :


remplacé par « Albatros ». Il y a une correspondance entre ces deux poèmes car
dans ces deux textes Baudelaire décrit, par-delà son texte, sa vision du poète et
de la poésie.

Le poème occupe la deuxième place de la section » Tableaux parisiens »


juste après « Paysage » qui annonce le cadre printanier développé dans « Le
soleil »

3 mouvements distincts :

• strophe 1 : description triste et froide du faubourg

• Strophe 2 : description bucolique et champêtre des bienfaits du soleil

• Strophe 3 : rapprochement poète -soleil

Pb : Quelle image de l'action poétique donne ce texte ?

ETUDE

Le titre : idée de nouveauté, de nouveau jour, de joie, d’élévation supérieure

Strophe 1

Cette atmosphère positive et élevée, annoncée par le titre, est mise à mal
dès le 1er vers avec le CCL et la relative qui placent ce poème dans un univers à
la lisière entre deux mondes « le faubourg », un univers moderne mais sale, vieux
et synonyme du mal, de perversion comme le connote l’expression « secrètes
luxures » au vers 2

L’irrégularité et le malaise ressentis dans ce lieu se retrouvent dans les


allitérations en R qui balaient cette 1ère strophe. De même les labiales
(« faubourg », « pendent », « persiennes »), les dentales (« du » , « pendent »,
« des ») hachent le rythme des deux premiers vers. La vétusté de ce lieu se
marque également par le jeu d'enjambements aux vers 1 et 2 qui font
visuellement pendre ses « masures » mais aussi le contre rejet interne plaçant «
abri » à la césure déstructurée de l'alexandrin créant ainsi une harmonie peu
agréable, d’autant plus que la lecture doit insister sur le « nes » de persiennes, le
tout connote l’instabilité.

A ce cadre urbain, s’oppose un cadre champêtre, les deux sont mis en


relation par la structure en parallèle des deux hémistiches « Sur la ville et les
champs// sur les toits et les blés », ville et campagne sont tous deux victimes du
« cruel soleil » (à noter l’oxymore)

Ce lieu n'est pas seulement irrégulier il est aussi mal moralement preuve
en est la mise à la rime de « masures » et « luxure ». De plus, il est source de
solitude pour le poète. Cette 1ere personne isolée et unique dans ce poème
ressort visuellement et symboliquement. C'est un poète en difficulté qui est
présenté dans cette strophe. Cette difficulté est marquée par les allitérations
en R et T. La solitude ressort également de l’adjectif « seul » placé à la césure.

Le poète semble enfermé dans un lieu à la frontière, à la lisière mais qui


n'est pourtant pas un lieu de séparation mais un vrai lieu d'alchimie entre
l'ancien et le moderne comme l'illustre l’énumération qui associe des termes
opposés du vers 4, mais aussi le parallèle des deux derniers vers qui combine
l’univers poétique du rêve, des « vers » et des « mots », à l’univers prosaïque de
la ville avec les « pavés » et le participe présent « heurtant ».

Nous assistons ici à une véritable mise en abîme de l'acte poétique car
l’écriture elle-même dans cette strophe trébuche, joue le hasard (« hasards de
la rime ») et fait rimer « les pavés » avec « rêvés ». L’acte poétique est un acte
difficile et long comme le montrent les deux derniers participes présents «
trébuchant » (cf à l’Albatros ?) et « heurtant » aux sonorités dures en « r » et «
t », de même l’acte d’écriture est comparé à un combat comme le connote le
terme « escrime »

C’est donc un véritable paysage dysphorique que nous présente ici le poète
dans cette présentation de la ville ou plus particulièrement du faubourg.

Strophe 2

La description sombre et presque angoissante de la strophe 1 laisse place à


une véritable description pittoresque et champêtre d’un cadre bucolique et
enlevé et la strophe est beaucoup plus douce dans ses sonorités (cf vers 11 qui
mêle les sifflantes et les liquides)

Le « soleil cruel » devient par périphrase méliorative « le père nourricier


». Et, par là même un véritable sentiment d’élévation se met en scène. Sentiment
marqué notamment par le vocabulaire connotant la vie, l’agrandissement,
l’élévation : « Eveille, s’évaporer, vers le ciel, remplit, rajeunit, croître, mûrir,
fleurir » mais aussi par l’allitération en « L » qui parcourt cette strophe, et
enfin, le point d’exclamation qui la finit. La figure de l’énumération qui occupe
l’ensemble de la strophe, accompagnée de l’anaphore de la conjonction de
coordination « Et », donne également à l’ensemble de cette strophe ce sentiment
de plein, de richesse.

Le soleil est ici totalement personnifié et il agit de manière positive, il est


celui qui réveille et qui fait grandir « éveille, s’évaporer, remplit, rajeunit », il
ordonne et les moissons obéissent (cf v.15)

Si cette strophe, par son paysage bucolique, qui peut faire penser par
certains égards à « l’Hymne de la mort » de Ronsard (« De ce commun Soleil, qui
n’est seulement chère / Aux hommes sains et forts, mais aux vieux chargés d’ans
/ Perclus, estropiats, catarrheux, impotents »), semble très traditionnelle en
s’inscrivant dans l’univers pastoral, la modernité et l’alchimie Baudelairienne ne
disparaissent pas pour autant. C’est ainsi en faisant rimer des termes prosaïques
avec des termes poétiques comme « chloroses » (anémie causée par un manque
de fer, étiolement et jaunissement des végétaux qui manquent de chlorophylle)
et « roses » ou « béquilles » et « jeunes filles » ou en jouant sur la mise en
abyme que Baudelaire met en avant sa modernité et son alchimie.

De fait, la mise en abyme se poursuit dans cette strophe puisque, le terme


« vers » est associé aux « roses », et se retrouve aussi dans son homonyme
« vers » (v.10) mais aussi par l’allitération en « v ».

Strophe 3

La strophe débute sur une circonstancielle de temps qui rompt le cadre


doux et bucolique de la strophe 2. De plus le mouvement d’élévation initié dans le
huitain précédent est ici stoppé, du moins au vers 17 avec le verbe « descend ».
Cependant très vite le mouvement repart vers le haut avec l’emploi du verbe très
connoté et très traditionnel « ennoblit ».

A l’inverse des autres comparaisons, là c’est le soleil qui est comparé au


poète ce qui renforce d’autant plus l’idée de supériorité de ce dernier, mais aussi
sa capacité d’élévation. Il faut donc relire la strophe 2 en imaginant le poète
comme « père nourricier » et non le soleil. C’est bien le poète qui est capable de
transfigurer la banalité, le sordide. C’est lui l’alchimiste

C’est une véritable association de positif et de négatif qui s’inscrit dans


cette dernière strophe à la fois dans les termes mais aussi dans les sonorités qui
alternent entre les sonorités dures comme les « r », les dentales [t] et les
sonorités douces comme les liquides [l] et les fricatives [v]. Le monde apparaît
corrompu (« villes » rime avec « vile ») et malade (« hôpitaux »)
Le chiasme final montre cette alchimie possible mais difficile. Le
complément de manière « sans bruit et sans valet » renvoie à la solitude du poète
déjà évoquée dans la strophe 1. Le vers 18 résonne comme une véritable
définition globale de l’art de Baudelaire et de son recueil. Le poète appartient au
monde « des nués » où il se meut « aux confins des sphères étoilées » et comme
le soleil il peut transcender le monde d’en bas.

Quelques idées pour la Conclusion

« Le soleil » est un poème hommage à la poésie et au poète.

C’est une clé de lecture de la section « Tableaux parisiens » mais aussi de


toute l’œuvre Baudelairienne : le poète se doit de s’emparer des choses rejetées
jusque-là par la poésie, s’emparer de la boue pour en faire de l’or. Comme le soleil
il en est capable.

Ouvrir sur « L’Albatros » ou sur le projet d’épilogue.

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