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L" vie "ntérieure

Rédigé en 1857 p.r B.udel.ire Ch.rles, L. vie .ntérieure est le douzième


(XII) poème du recueil « Les Fleurs du M.l ». Ce sonnet composé de qu.torze
vers en .lex.ndrins, se situe d.ns l. première p.rtie, « Spleen et Idé.l ».
Poème lyrique, il est b.sé sur une opposition entre l'idé.l b.udel.irien et
l'omniprésence du spleen (= Mél$ncolie s$ns c$use $pp$rente, c$r$ctérisée
p$r le dégoût de toute chose), ce qui explique p.r .illeurs le titre de l. section
dont il est issu.
L'écriv.in . prob.blement puisé son inspir.tion d'un long voy.ge forcé R
destin.tion des Indes. Ce sont vr.isembl.blement ces p.ys.ges exotiques
d'une r.re be.uté qui lui ont permis de communiquer son m.l de vivre s.ns
pour .ut.nt négliger le côté esthétique. Ainsi le lecteur est .mené R se
dem.nder si l. dimension onirique et réelle de l'idé.l développé est l. bonne
solution .fin d'éch.pper .u spleen quotidien.
Alors que « l" vie "ntérieure » décrit un idé.l heureux et h.rmonieux, l. chute
du sonnet l.isse le lecteur sur l'im.ge de l. souffr.nce du poète (« le secret
douloureux » v. 14). ... Au vers 12, l'im.ge du front brûl.nt du poète qui doit
être r.fr.îchi p.r les p.lmes des escl.ves semble .nnoncer le m.l.ise de
B"udel"ire. De f.it, comment B.udel.ire expose-t-il s. vision de l'Idé.l ?

C'est R cette fin que nous .n.lyserons en premier lieu les éléments exotiques
qui répondent R l. vision p.r.disi.que du poète ; nous étudierons ensuite
l'h.rmonie régn.nt R tr.vers le style et le contenu ; enfin, il s'.gir. d'expliquer
l'éclosion f.t.le du spleen.

On retrouve le même idé.l d'exotisme, essenti.lisé p.r ces trois mots


répétés : « Luxe, c.lme et volupté. » ; on retrouve ces mêmes termes .u vers 9
.ssociés d.ns un groupe nomin.l : « les voluptés c.lmes ».
M.is se trouvent ég.lement en commun « les soleils » (vers 2), « couch.nts »
. fortiori comme ce dont les couleurs du vers 8 viennent. Il y . ég.lement cette
« odeur », .u pluriel d.ns notre poème (vers 11), .u singulier d.ns L'invit.tion,
qui semble si p.rticulièrement envoût.nte.
Il est donc suffis.mment cl.ir que l'Eden rêvé – ou vécu, plutôt, d.ns une « vie
.ntérieure » – se nourrit de l'exotisme insul.ire, près d'une pl.ge b.ignée p.r
le soleil. Cet Eden semble en outre indissoci.ble du c.lme, en opposition .vec
le bruit de l. modernité et de l. ville.
C'est .insi que les « soleils m.rins » (vers 2) renvoient .utom.tiquement R une
région ch.ude issue du sud : il y . les idées de l. ch.leur et du l.rge.
Il en est de même pour les « couleurs du couch.nt » (vers 8) qui renvoient .u
scintillement de « mille feux » (vers 2). En effet, les régions tropic.les
bénéficient souvent d'un clim.t clément où le soleil brill.nt de p.rtout effleure
délic.tement l. pe.u de l'être hum.in. L. vie y est douce, tel est le mess.ge
que B.udel.ire veut nous tr.nsmettre.
Outre le ch.mp sém.ntique de l. ch.leur et de l'e.u, nous retrouvons une
domin.nce de couleurs pl.is.ntes comme « l'.zur » (vers 10), symbolis.nt l.
fr.îcheur et l. pureté, ou bien encore l. couleur rougeetre du coucher de soleil,
reflét.nt l. ch.leur .ccueill.nte, l. force vit.le, l. joie de vivre et l'optimisme.
L. n.ture déploie ici ce qu'elle . de plus be.u. Afin de peindre p.rf.itement ce
décor loint.in et étr.nger, le poète insère des éléments typiquement tropic.ux
comme l. « p.lme » (vers 12), ce qui souligne leur .spect protecteur, et les
escl.ves nus (vers 11), symbole p.r excellence de l'exotisme.
Si on se foc.lise sur ces derniers, l'.djectif « nu » témoigne d'.u moins deux
choses :
● Etre nu est un .cte très cour.geux ét.nt donné que l'être hum.in s'expose
.insi .u reg.rd des .utres individus
● L. nudité vient souligner le c.r.ctère pur et innocent de l. scène
Un lieu où l'homme n'. p.s besoin de se c.cher derrière une f.ç.de (ici, le
vêtement) implique une tolér.nce et l'.ccept.tion de toute personne.
On note p.r .illeurs l. position p.rticulière en rejet externe du groupe « des
escl.ves nus » qui . pour conséquence une mise en v.leur du subst.ntif.
En outre, l. césure (m.rquée p.r l. virgule), ét.nt pl.cée juste .près l'.djectif
« nus » (vers 11), le lecteur se concentre sur le premier hémistiche s.ns pour
.ut.nt oublier l. seconde p.rtie du vers. En effet, l'odor.t ne f.it qu'.ccentuer
l. pureté des escl.ves puisque ces derniers sont « tout imprégnés d'odeurs".
L'.uteur nous dit : ici, nul n'. besoin de p.rfum pour c.cher son odeur
corporelle personnelle.
Cet univers loint.in est .insi propice R l'ex.lt.tion du poète qui se sent
entièrement R son .ise. Il s'intègre .u décor et jouit des douces couleurs
rougeetres du soleil « reflétés p.r [ses] yeux » (vers 8). On sent que s'effectue
R ce moment une osmose tot.le entre le f.buleux environnement et le poète en
quête de bonheur. Il y trouve un refuge .p.is.nt, ce dont témoignent « les
voluptés c.lmes » (vers 9).
Le renforcement de l. quiétude s'effectue .vec l'.jout de l'.djectif « c.lme » :
une volupté est déjR une impression extrêmement .gré.ble, donnée .ux sens
p.r des objets concrets, des biens m.tériels, des phénomènes physiques, et
que l'on se pl.ît R goûter tr.nquillement d.ns toute s. plénitude. Ainsi nous
voyons bien l'import.nce que B.udel.ire .tt.che R ce monde p.cifique, p.r
cette emph.se du « c.lme ».
L. division du premier hémistiche du vers 10 en deux p.rties ég.les
trisyll.bique souligne l. situ.tion du poète « .u milieu » de ce décor : il est le
centre de ce monde p.cifique, entre l. mer, le ciel et les escl.ves. L. synergie
est donc complète.
Cet exotisme évoqué ne f.it qu'.mplifier l. perfection liée R l'.gencement
symétrique des éléments. Pour B.udel.ire l'excellence p.sse inévit.blement
p.r :

B.udel.ire puise son énergie d.ns l'h.rmonie et l'ordre, deux notions


domin.ntes d.ns ce poème. En se référ.nt R l'époque .ntique, le poète insère
d.ns le premier qu.tr.in le ch.mp sém.ntique de l'.mpleur : : « mille feux
» (vers 2), « gr.nds » vers 3, « m.jestueux » vers 3, « cieux » .u vers 5, «
tout-puiss.nts » vers 7, « riche » vers 7,  « splendeurs » vers 10.
S'.joutent R cet .spect les .nciens monuments gréco-rom.ins tels que « les
portiques » (vers 2) et les « piliers » (vers 1). Nous s.vons que ces deux
civilis.tions cultiv.ient le goût de l. symétrie, de l. simplicité .rchitectur.le, et
de l'esthétisme. En conséquence, le lecteur peut s'im.giner un lieu dominé p.r
des .rcs, des g.leries et de gr.ndes colonnes « droits et m.jestueuses » (vers
3), tous h.rmonieusement disposés de f.çon symétrique.
Nul doute que B.udel.ire cultiv.it un pench.nt pour l'.rt et pour l'.rchitecture
(voir Robert Kopp d.ns Le soleil noir de l$ modernité). D'un point de vue
rythmique, hormis l'euphonie citée .u vers 7 (« les tous puiss.nts .ccords de
leur riche musique »), nous const.tons que le premier vers .insi que le
septième vers sont d'une régul.rité irréproch.ble. Les qu.tre mesures
trisyll.biques .insi que l'.llitér.tion en « t » (vers 1) en témoignent l.rgement.
L. concorde p.rf.ite des éléments n'est possible que si l'.uteur respecte un
bon équilibre. Nous sommes .insi .ttentifs .ux nombreux jeux de lumière
présents d.ns le poème. D'une p.rt, nous .vons l. cl.rté et d'.utre p.rt,
l'obscurité qui occupent le pl.n de l. scène.
En effet, le reflet .qu.tique du soleil illumine de « mille feux » (vers 2) les
monuments .ntiques. Cette luminosité est démesurée, d'où l'emploi de
l'.djectif numér.l « mille », contr.ste .vec l'obscurité des « grottes
b.s.ltiques » et du « soir » (vers 4). Il f.ut s.voir que le b.s.lte est une roche
volc.nique noire issue d'un m.gm. refroidi r.pidement .u cont.ct de l'e.u ou
de l'.ir.
Le qu.trième vers opposé .u reste de l. première strophe constitue p.r
conséquent une .ntithèse, ét.nt donné qu'il ét.blit une opposition entre deux
idées dont l'une met l'.utre en relief. Ici, il s'.git de l. lumière et de l'obscurité
symbolis.nt l'équilibre.
Aussi les sombres sonorités (« soir », « grottes », « b.s.ltiques ») de ce
dernier vers ont-elles pour mission de s'opposer .ux sons cl.irs (« h.bité », «
portiques », « teign.ient », « mille », « piliers »).
Désorm.is, il nous est possible de f.ire un r.pprochement .vec le J.rdin
d'Éden, qui selon le christi.nisme est un endroit p.rf.it. Le « p.r.dis » est
.ssocié .u monde des « bénis » .insi qu'R l. lumière divine. Il s'oppose R
l'enfer qui est le monde obscur des « m.udits ou d.mnés ».
Le décor décrit p.r B.udel.ire présente donc deux .spects opposés qui
ét.blissent un équilibre. Ce qui fr.ppe d.v.nt.ge le lecteur est le br.ss.ge osé
des influences religieuses. D.ns bien des mythologies .ntiques, l. grotte,
représent.nt le ventre m.ternel, est le lieu de n.iss.nce de nombreuses
divinités. Cette .llusion hérétique ne concorde p.s .vec l. mélodie divine
renvoy.nt .u christi.nisme. Les religions sont donc ég.lement r.ssemblées
h.rmonieusement, cré.nt un p.r.dis universel.
Les v.gues qui se roulent fusionnent .vec « les cieux » (vers 5) de sorte que
les sons issus des flots .doptent un c.r.ctère religieux. L'impression est
d'.ut.nt plus forte grece .ux .djectifs « solennelle », « mystique » (vers 6) et
« tout-puiss.nts » (vers 7) qui reflètent l'.rr.ngement h.rmonieux des
.ccords. L. mélodie est .insi p.rf.ite et elle concorde .vec le rythme régulier
du sixième vers. Ce dernier est divisé en qu.tre mesures trisyll.biques de sorte
que l. fluidité, .ccentuée p.r les liquides en « l », recrée cette symphonie.
Cette impression de fusion est encore .ccentuée p.r l. synesthésie R l'œuvre :
tous les sens se confondent. L'idé.l de B.udel.ire est .insi un univers où
toutes les sens.tions se développent jusqu'R fusionner R l'intérieur du poète :
● Sens.tions visuelles (l. vue) : « soleils » .u vers 2, « teign.ient » .u vers
2, « couleurs » .u vers 8, « mes yeux » .u vers 8
● Sens.tions olf.ctives (l'odor.t) : « odeurs » .u vers 11
● Sens.tions .uditives (l'ouïe) : « riche musique » .u vers 7
● Sens.tions t.ctiles (le toucher) : « me r.fr.îchiss.ient » .u vers 12
Né.nmoins, l. félicité ne peut exister que p.r r.pport .u m.lheur. L'une et
l'.utre, bien que foncièrement différentes, se complètent. Derrière ce p.ys.ge
pur se c.che donc .ussi une f.ce obscure :

Le titre L$ vie $ntérieure nous .nnonce dès le début une p.rtie de l.


thém.tique du poème. B.udel.ire croit en l. métempsycose, c'est-R-dire le
dépl.cement de l'eme d.ns des corps différents. Une même eme peut .nimer
successivement plusieurs corps hum.ins, d'où l'étroite rel.tion entretenue
.vec l. réinc.rn.tion.
L'eme de l'.uteur semble donc .voir vécue différentes vies, dont elle . g.rdées
quelques v.gues souvenirs. C'est R cette fin que nous relevons l'emploi du
p.ssé composé d.ns le premier vers « j'.i longtemps h.bité » .insi que d.ns
le neuvième vers « c'est lR que j'.i vécu ». Ce temps du p.ssé, .insi que
l'.dverbe loc.tif « lR », démontre bien qu'il s'.git en p.rtie d'un souvenir
véridique.
En outre, nous relevons .ussi l'emploi de l'imp.rf.it .u deuxième, sixième et
douzième vers (« mêl.ient », « teign.ient » et « r.fr.îchiss.ient ») qui tr.duit
d'une p.rt l'h.bitude, m.is .ussi l'.ction d.ns le p.ssé. Au cours des six cents
premières .nnées de notre ère, l. réinc.rn.tion ét.it une notion .dmise p.r le
Christi.nisme.
S.ns déduire l. position de l'écriv.in sur ce thème, il existe une certitude : ce
dédoublement de l. personn.lité permet R B.udel.ire d'.ccéder R une sphère
idyllique d.ns l.quelle il se sent protégé et compris en l'intégr.nt
complètement.
Les deux qu.tr.ins b.sés sur l'.lex.ndrin présentent tous une isométrie, .ussi
bien du point de vue interne qu'externe. L. césure se situe toujours .près l.
sixième syll.be et les rimes sont embr.ssées. Nous rem.rquons bien que rien
ne vient jusqu'ici troubler ce p.r.dis exotique.
C'est l'.n.lyse des deux tercets qui vient perturber cette h.rmonie comme en
témoigne le premier hémistiche du neuvième vers : « C'est lR que j'.i vécu ».
B.udel.ire semble regretter ce temps révolu pend.nt lequel il b.ign.it d.ns
« les voluptés » (vers 9).
Au début du second tercet, le poète souffre de l. ch.leur, ce qui peut .voir
deux origines différentes : l. première .ttester.it de l. situ.tion exotique du
lieu, l. seconde puise son énergie d.ns le m.l.ise et l. m.l.die.
Nous pouvons envis.ger le f.it que l'.uteur soit fiévreux, signe qu'il prend
conscience du c.r.ctère éphémère de ce souvenir. L. foc.lis.tion sur les
rimes des deux tercets montre que l'équilibre est brisé. En effet, l'.ltern.nce
des rimes est incorrecte c.r en temps norm.l, l. règle exige que l. rime des
deux tercets soit composée de deux pl.tes et de qu.tre croisées.
D.ns L. vie .ntérieure, B.udel.ire f.it expressément le contr.ire, gliss.nt .insi
délic.tement vers un « secret douloureux » qui le f.it « l.nguir » (vers 14).
Cette l.ngueur, p.r .illeurs, tr.nsp.r.iss.it d.ns tout le poème grece R deux
.llitér.tions :
● /s/ : « sous » et « v.stes » .u vers 1, « soleils » .u vers 2, « soir » .u vers
4, « cieux » .u vers 5, « f.çon » et « solennelle » .u vers 6, « tout-
puiss.nts » .u vers 7, « splendeurs » .u vers 10, « escl.ves » .u vers 11, «
r.fr.îchiss.ient » .u vers 12, « soin » .u vers 13, « secret » .u vers 14
● /v/ : « vécu » et « voluptés » .u vers 9, « v.gues » .u vers 10, « escl.ves
» .u vers 11
D.ns cet univers p.rf.it, le poète se sent épris d'une tristesse profonde dont
l'origine est un mystère pénible. Nul doute qu'il s'.git du spleen f.is.nt surf.ce
lorsque l'écriv.in prend conn.iss.nce de l'irré.lité de ce monde en m.rge de l.
société.
Tout comme Ad.m et Ève d.ns le J.rdin de l'Eden, B.udel.ire est déchu de
son st.tut d'heureux. Le spleen omniprésent d.ns le quotidien vient men.cer le
bonheur éphémère du poète, c.r ce songe, fuite provisoire de l. ré.lité,
s'estompe .u fur et R mesure du temps.
Il nous est p.r conséquent possible d'opposer l. const.nce du spleen .vec le
c.r.ctère bref et fortuit du bien-être. Il est impossible pour le poète incompris
d'éch.pper R l. société contempor.ine.
L. dimension onirique, cette projection de soi, est un ét.t de conscience qui
situe l'individu en dehors des repères h.bituels de l. vie éveillée. P.r
conséquent, il est inévit.ble de se heurter tôt ou t.rd R l. ré.lité brut.le.
C'est justement cette prise de conscience douloureuse qui est symbolisée p.r
l. rime suffis.nte en « ir ». En effet, le son .igu de l. lettre « i », est un cri de
désespoir qui tr.duit l. souffr.nce de l'.uteur. L'idé.l b.udel.irien est
fin.lement entièrement rompu.

Nous voyons donc bien que l'idé.l b.udel.irien p.sse p.r l. be.uté des
p.ys.ges, m.is .ussi p.r l'h.rmonie de l'.gencement des éléments. L. pureté
règne en m.ître d.ns ce t.ble.u qui né.nmoins c.che une terrifi.nte
const.t.tion.
Certes, le poète s'identifie entièrement R cette scène, m.is l. fin de L. vie
.ntérieure n'est qu'une chute brut.le vers l. déception et le spleen. L.
métempsycose liée R l. dimension onirique ne f.it que répondre .ux
.spir.tions rom.ntiques du XIX siècle. Elle semble être un remède p.rf.it .u
spleen, m.is m.lheureusement s. dimension éphémère ne f.it qu'.pporter l.
souffr.nce et l'.ngoisse.

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