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1ERE - SEQUENCE 4 : LES FLEURS DU MAL, Charles Baudelaire, 1857 et 1861

« Le laid peut-il constituer un objet et/ou un sujet poétique ? »

Lecture linéaire n°11 : « Correspondances »

Texte à annoter

1 La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

5 Comme de longs échos qui de loin se confondent


Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,


10 Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,


Comme l'ambre, le musc1, le benjoin et l'encens2,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », « Correspondances », 1857

1 Ambre, musc : parfums précieux, d’origine animale, et très odorants.

2 Benjoin, encens : substances résineuses aromatiques, qui brûlent en répandant une odeur pénétrante.

QUESTIONS
1. Travail préalable :
a. Quel titre donneriez-vous à ce passage ?
b. Résumez vos impressions en trois mots.
c. Quels sont les principaux mouvements de ce texte ?
2. Analyse : dans chaque mouvement, repérez au moins trois procédés que vous interpréterez
(relevé/repérage dans le texte => procédé => interprétation).
ASTUCE : coloriez dans le texte les éléments qui vous paraissent les plus pertinents pour illustrer vos impressions, avant d’en analyser
les procédés.
3. Projet de lecture : Quelle question poseriez-vous pour organiser votre explication ?
1ERE - SEQUENCE 4 : LES FLEURS DU MAL, Charles Baudelaire, 1857 et 1861
« Le laid peut-il constituer un objet et/ou un sujet poétique ? »

Lecture linéaire n°11 : « Correspondances »

Eléments de correction
Éléments de contexte
• Contexte d’écriture
• Rappels sur la vie de Charles Baudelaire
• Présentation du texte

Baudelaire, « maudit » au XIX° Siècle, souffre de son statut de poète qui aspire à l’Idéal
mais qui est condamné à vivre dans un monde vil et trivial. Ainsi, tiraillé entre le Spleen et l’Idéal,
le poète introduit la section du même nom par quatre poèmes qui reflètent ce désir d’élévation de
l’âme au-dessus du monde qu’il juge abject et générateur de mal-être, de Spleen. Ainsi, le poème
« Correspondances » se trouve en quatrième position après « Bénédiction », « L’Albatros » et «
Élévation » dans d’édition de 1861. Cet ensemble de poèmes représente un véritable manifeste
poétique dans lequel le poète revendique son désir de libération tant dans la forme des poèmes que
dans leur fond basé sur la théorie des correspondances. Ce poème se présente comme un véritable
art poétique, c’est-à-dire la formulation d’un projet esthétique (celui du Symbolisme) illustré par
des exemples. Ce sonnet rend compte de la figure du poète et de sa fonction. Seul mortel capable
de déchiffrer la « forêt de symboles » c’est-à-dire les signes cachés de l’univers, et ainsi atteindre un
idéal, grâce aux correspondances...
Lecture expressive du passage

Projet de lecture
• Comment Baudelaire propose-t-il dans ce poème une esthétique nouvelle, faisant de la poésie un
moyen privilégié de déchiffrement du monde ?
Mouvements du passage – Annonce du plan pour répondre au projet de lecture
• Strophe 1 : une nature mystérieuse et sacrée
• Strophe 2 : la synesthésie
• v.9 à 12 : un monde de symboles cryptés et opposés
• v.13 à 14 : le poète : un intermédiaire entre le monde sensible et le monde spirituel

OU

• v.1 à 8 : exposé de la théorie


• v.9 à 14 à 19 : illustration

Strophe 1
Ce sonnet, poème à forme fixe composé de deux quatrains et de deux tercets, se présente comme
un manifeste de l’art « symboliste ».
Vers 1 => personnification : la Nature est assimilée à un être vivant (majuscule, « vivants piliers »
= arbres) et comparée, grâce à l’utilisation de la métaphore, à un temple (point commun =
spiritualité). Ce qui lui donne, dans un premier temps, une dimension mystique, mystérieuse (lieu
clos, impénétrable), puis une dimension matérielle, un lieu où l’homme entre en communion avec
le monde spirituel. La nature devient architecture : lien art/nature.
Le présent de vérité générale « est » = propos qui se veut universel.
L’enjambement au vers 2 crée un effet d’attente.
Adverbe « parfois » = caractère occasionnel de l’action.
« confuses paroles » : paroles à déchiffrer => la nature est détentrice d’un sens caché // « forêts
de symboles » : opacité, symboles confus, impénétrables.
Opposition entre la Nature et l’homme (en général) :
- La Nature = stabilité, éternité, image atemporelle (// beauté antique du « temple »
associée à la beauté romantique des « vivants piliers »), figée.
- L’homme = éphémère qui passe (euphémisme = mourir), sans s’arrêter (mouvement
ininterrompu : présent de vérité générale).
La Nature connaît l’homme « regards familiers » mais ce n’est pas réciproque.
La « forêt de symboles » devient comme un immense poème qui recèle un sens caché « de
confuses paroles ». Symboliquement, il faut apprendre à déchiffrer les signes (les paroles et les
regards = moyens pour comprendre le monde, dialogue (//sens de « correspondance » échange
épistolaire, par lettres) entre la nature et l’homme).

Strophe 2
La deuxième strophe est traversée par la comparaison qui crée une unité dans une nature
mystérieuse et inintelligible « ténébreuse et profonde ». Cette unité repose sur le principe de la
synesthésie : les différents sens (perceptions) sont omniprésents et communiquent entre eux =>
proposition principale retardée au v.8.
Champ lexical des sens :
- « échos », « sons » = ouïe (renforcé par les allitérations au v.5, 6-7 : de l, k = répétition de
sons qui créent un écho)
- « ténébreuse », « clarté », « couleurs » = vue
- « parfums » = odorat
L’idée de complémentarité des sens va être mise en évidence par les rimes embrassées suffisantes
(confondent/répondent + rime interne : profonde), le rythme binaire « vaste comme la nuit et
comme la clarté », l’antithèse (nuit/clarté) = étendue sans limites et les verbes pronominaux « se
confondent »/ »se répondent » => continuité, échange.

Vers 9 à 12
Le premier tercet s’ouvre sur la tournure impersonnelle « il est » : présent de vérité générale = « il
existe ». Les sens sont de nouveau mélangés « parfums » : odorat, « frais », « doux » = toucher,
« verts » = vue, « hautbois » = ouïe
Évocation de deux types de symboles interprétables = messages cryptés.
Symboles qui sont opposés (de nouveau, on retrouve la comparaison) :
- Vocabulaire mélioratif (« parfums frais », « doux », « hautbois », « verts » renforcé par
l’allitération en f au v.9 (caractère rassurant), chairs d’enfants : innocence, simplicité,
parallélisme v.10 (=équilibre, mélodie agréable), « hautbois » = modération musique
classique, « pairies » = bucolique.
- Vocabulaire péjoratif : « corrompus » = mal, culpabilité, « riches » = riches de sens
(expansions infinies), « triomphants » de l’homme. Corrompus comme le mal, triomphants
comme l’artiste qui y trouve de la beauté, riche comme la beauté elle-même.
Opposition soulignée par l’emploi du tiret (on entend une 2e voix : échange, correspondance) qui
laisse entendre le regret, la plainte du poète avec un groupe ternaire dont la tonalité est élégiaque.
L’enjambement au vers 12 crée une continuité entre les deux strophes, renforcée par l’assonance
en i. L’association « expansion »/ « infinies » donne le vertige, comme le poème = complémentarité
infinie.
Rimes croisées = moment de basculement.

Vers 13 et 14
Les deux derniers vers constituent la pointe du sonnet = rimes suivies.
L’énumération enivrante s’attache à des parfums très précis = les perceptions les plus singulières
déploient un univers. Ambre (minéral solide), musc (liquide), benjoin et encens (végétaux), encens
= matières qui vont du plus solide au plus évanescent. Se termine par l’encens = parfum spirituel
utilisé lors des cérémonies religieuses.
« expansion », « infinies », « transports » = élévation. Enivrement de l’homme, transporté dans un
au-delà = voyage (//correspondance). Par l'intermédiaire du parfum, l'homme réalise la fusion
entre le corps et l'esprit et peut aspirer à l'idéal.
Ce sont des parfums « corrompus » car ils sont artificiels et non pas naturels, tout comme la poésie
de Baudelaire est un artifice qui transforme la Nature en Art.
Baudelaire donne au poète le rôle d’intermédiaire entre le monde sensible et son sens caché. La
perception du monde devient une compréhension spirituelle du monde.

Conclusion

Le symbolisme part du principe que chaque chose matérielle sur terre est le symbole, la
correspondance d’une chose spirituelle. Le sonnet « Correspondances » ajoute à cette relation
verticale une relation horizontale : chaque chose matérielle, perçue par les sens, évoque,
correspond à une autre chose matérielle, sensible. Charles Baudelaire montre qu’à partir du
spectacle de la Nature (symboles sensoriels), l’homme est transporté, s’il prend le temps
d’observer les symboles à déchiffrer. Le contact entre les différents sens (synesthésie) crée des
correspondances qui guident l’homme vers l’au-delà et sa spiritualité. Le rôle du poète est de
saisir ces différentes correspondances (mystérieuses), il est un intermédiaire entre le monde
sensible et le sens caché. La poésie est une manière de mieux comprendre le monde.

[Ouverture : sur le reste de l’œuvre, un autre texte du parcours, œuvre cursive, œuvre d’art,...] :

 Les Fleurs du Mal, « Parfum exotique » = triomphe des correspondances.


 Lettre du Voyant, Arthur Rimbaud => « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète
se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »
+ son poème « Voyelles » sur la notion de synesthésie (analyse en 4 minutes :
https://www.franceinter.fr/emissions/un-ete-avec-rimbaud/un-ete-avec-rimbaud-06-aout-2020 )
 Stéphane Mallarmé : la poésie doit rester hermétique, compréhensible uniquement pour
certains initiés.

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