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Université de Namur

Département Éducation & technologie

FAGR M401 - Éducation scolaire et société


Première partie : l’école dans la société
M. Romainville

Notes de cours

Année académique 2016-2017


Le cours théorique « Éducation scolaire et société » est composé de deux parties. La
première vise à décrire, dans une perspective macrosociologique1, les relations qui unissent
l’école et la société. La société investit massivement dans l’école2 : cette dernière absorbe
chaque année autour de 7% de la richesse produite par les pays industrialisés (Aghion &
Cohen, 2003). En Belgique comme dans d’autres pays, l’Éducation est devenu le principal
poste du budget de l’État (21,2% dès 1975) (Wynants et Paret, 1998). Avec l’extension de la
scolarité, les enseignants constituent désormais une des catégories professionnelles les plus
nombreuses. L’école a aussi imprimé sa marque sur toute la vie sociale. Des institutions se
modèlent sur elle (cf. les « auto-écoles » ou les « écoles des parents ») ; elle dicte son rythme
à la société entière (cf. les « vacances scolaires »), de manière à ce qu’en définitive, tout un
chacun raisonne davantage en année scolaire qu’en année civile…

C’est dire l’importante attention que les sociétés modernes accordent à l’éducation
scolaire. C’est sans doute aussi que l’école joue un rôle essentiel dans le développement de
nos sociétés modernes. Quelles sont les fonctions de l’école ? À quoi « sert »-elle ? Quelles
sont les missions que la société lui assigne explicitement ? Ces missions et fonctions3 ont-
elles évolué avec le temps ? Quelle est l’histoire et quelle est la genèse de l’institution
scolaire ? Sa structure actuelle ? Ses « dysfonctionnements » en regard des espoirs que la
société a placés en elle ? Pourquoi la société doute-t-elle de son école ? L’école actuelle est-
elle « efficace », « inégale », « juste », « méritocratique » ? Comment décoder son
fonctionnement, expliquer ses « dysfonctionnements » ?

Cette première partie a pour ambition d’apporter quelques réponses à ces questions, en
veillant à discuter surtout de leurs implications sur la manière dont de futurs professeurs
auront à gérer leur « métier d’enseignant ». Autrement dit, on cherchera à dégager, des
analyses historiques et sociologiques proposées, ce qu’elles ont encore d’actuel et les grilles
d’analyse qu’elles suggèrent de l’école d’aujourd’hui. Ce travail d’appropriation
professionnelle est en particulier suggéré dans des encadrés spécifiquement dédiés à cet
aspect du cours, intitulés « Éclairages sur les débats actuels et sur le métier d’enseignant ».

La seconde partie du cours, prise en charge par E. Charlier, prolonge ces questions et vise,
dans une perspective davantage microsociologique, à décrire les processus qui produisent ces
réalités structurelles, dans des contextes variés (l’établissement…) et à travers les
comportements des différents acteurs (direction, enseignants, élèves…).

1
La macrosociologie examine les structures et les relations sociales dans la société entière, considérée
globalement.
2
Cette affirmation pourrait paraître provocante, voire ironique à l’heure où l’on ne cesse de réclamer un
« refinancement » de l’enseignement. Il s’agit ici simplement d’observer que les dépenses d’éducation
représentent une part importante des budgets des états modernes.
3
Pour bien comprendre une institution sociale, il convient de distinguer ses missions (soit les buts que lui
assigne explicitement une société) et ses fonctions (soit les effets qu’elle y produit et les rôles qu’elle y joue,
mais sans que ces effets et rôles soient nécessairement explicités et revendiqués comme objectifs affirmés).

FAGR M401 – M. Romainville 2 Notes de cours (2014-2015)


1. NATURE SOCIALE DE L’ÉDUCATION
1.1 Une définition sociale de l’éducation (Durkheim)
1.1.1 Une « socialisation de la jeune génération »
Selon Durkheim (père fondateur de la sociologie francophone, en particulier de l’éducation),
l’éducation est une « chose éminemment sociale ». Il la définit comme « une socialisation de
la jeune génération (pas encore mûre pour la vie en collectivité) par la génération adulte ».
L’éducation met donc les jeunes en contact avec une société déterminée, particulière pour les
y préparer et pour qu’ils puissent s’y intégrer.

1.1.2 Réfutation d’une définition « idéale » et universelle


En proposant une telle définition, Durkheim s’oppose aux conceptions traditionnelles de
l’éducation qui avaient tendance à « gommer » son aspect social. Ces dernières mettaient
plutôt en avant la recherche du développement de l’individu. Par exemple, pour Kant,
l’éducation vise à « développer dans chaque individu toute la perfection dont il est
susceptible ». Pour Mill, il s’agit de « faire de l’individu un instrument de bonheur pour lui-
même et pour ses semblables ».

À l’opposé de ces définitions individualistes, immuables et intemporelles, Durkheim


montre que l’éducation a fortement varié selon le temps et selon le pays (cf. tableau 1).
Chaque société a donc une éducation qui s’impose aux individus : selon sa célèbre formule,
« il est vain de croire que nous pouvons élever nos enfants comme nous voulons… »
(Durkheim, 2003 [1922], p. 45).

1.1.3 Une double fonction sociale : unifier et diversifier


L’éducation vise un double objectif : elle prépare chacun à la vie collective (apprentissage
de valeurs, de grands principes, de normes de comportement socialement acceptées par telle
société), en fonction d’un certain idéal de l’homme que chaque société se définit. Elle vise
aussi à former les jeunes à exercer des fonctions spécialisées correspondant aux exigences
de la division du travail (fonction de répartition des individus).

« L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas
encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant
un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société
politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné »
(Durkheim, 2003 [1922], p.51).

1.1.4 Une vision fonctionnaliste et positiviste de l’éducation


Partageant les croyances de l’époque en une évolution heureuse des sociétés vers davantage
de progrès, la vision sereine de Durkheim peut nous apparaître idéaliste. Le conflit est en effet
absent de sa conception de l’école : chacun est à sa place selon son « destin » et selon ses
mérites, la « culture » assure l’unité nationale et permet de dépasser les particularismes ;
l’école diffuse les valeurs de la société, la « religion de la patrie » ; elle sélectionne et promeut
ceux qui le méritent. La perspective au sein de laquelle se développe la théorie de Durkheim
est la reproduction immuable des hiérarchies sociales. L’éducation est conçue comme un
« long fleuve tranquille »…

FAGR M401 – M. Romainville 3 Notes de cours (2014-2015)


1.1.5 Une éducation morale triple… correspondant à l’école de l’époque
Durkheim assigne trois éléments au programme de l’éducation morale : la discipline,
l’attachement au groupe et l’autonomie de la volonté (l’intériorisation progressive des normes
collectives permettant le développement de la capacité à juger de manière autonome).

Cette vision de l’éducation correspond bien au fonctionnement de l’école de l’époque : des


exemples en sont donnés au cours à partir d’ouvrages dont le roman de Jules Vallès
« L’Enfant » (1879) et à un des tout premiers manuels « pédagogiques » de fiction, « le Tour
de la France par deux enfants », de G. Bruno (1877).

Il est, par ailleurs, instructif d’observer que si cette éducation morale a progressivement été
« chassée » de l’école en particulier à partir de la fin des années 19604, elle a depuis lors
effectué un certain retour via « l’éducation à la citoyenneté ». Au début des années 1990,
« l’éducation à la citoyenneté » a en effet été réintroduite, sous une forme ou sous une autre,
au sein de nombreux systèmes éducatifs en réponse aux évolutions à la fois de la société
(déconstruction du lien social, difficulté à intégrer une jeunesse de plus en plus diverse
culturellement, diminution de la participation démocratique) et de l’école elle-même (montée
de l’indiscipline et de la « violence » scolaire, nécessité d’éduquer certains jeunes avant de les
instruire) (Romainville, 2008).

1.2 Nature éminemment sociale de l’éducation et donc de l’école


Retenons surtout de la définition de Durkheim que l’école n’est pas seulement un lieu
d’apprentissage de contenus disciplinaires et de « matières » scolaires. Elle est aussi un espace
d’enjeux sociaux, politiques et idéologiques. Elle est dès lors investie par des groupes sociaux
dans une optique stratégique, notamment par le pouvoir politique qui ambitionne de la
transformer et, de manière plus générale, par la société qui lui confie des missions et pour
laquelle elle exerce des fonctions (qui peuvent être contradictoires).

On ne peut donc traiter valablement les questions éducatives et scolaires sans s’interroger
sur les finalités qu’assigne notre société à l’éducation et à l’école en particulier. Comme le
signale Durkheim, tout acte éducatif passe par une définition préalable des finalités, de l’idéal
de l’homme que chaque société souhaite former (cf. sens des verbes latins à l’origine du mot
éducation : educere (sortir de, tirer l’Homme de sa nature sauvage5) et ducere (conduire).

C’est ainsi que des finalités complètement différentes ont été assignées à l’éducation à
travers l’histoire. Ces finalités étaient en harmonie avec la vision que l’on avait de la société
et de la place qui devait y prendre l’individu (cf. tableau 1).

4
Sous la pression des idées de « mai 68 » notamment, dont un des plus célèbres slogans sonnait le glas d’une
telle éducation à l’école : « il est interdit d’interdire ».
5
Selon un rapprochement célèbre de Cicéron, la culture de l’esprit et la culture des champs ne sont qu’une
seule et même conquête de la nature par le travail : l’éducation consiste à extraire, de la nature sauvage de
l’homme, les qualités qui le feront vivre de manière sociale.

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Périodes Finalités dominantes
Époque contemporaine Développer l’autonomie, l’esprit critique ainsi que les
compétences professionnelles et culturelles, vivre ensemble,
citoyenneté…

Siècle des Lumières Former à juger par soi-même en se basant sur la raison

Renaissance Faire de chaque individu un être profondément humain

Moyen Âge Former le « bon » chrétien en vue de son salut et de


l’établissement du règne de Dieu sur terre

Antiquité Préparer l’élite à diriger et former chaque citoyen selon les


besoins de la société
Tableau 1 : les finalités assignées à l’éducation à travers l’histoire (Jocelyn, 2005, p. 47)

Éclairages sur les débats actuels et sur le métier d’enseignant

1. Une des grilles de lecture de la « crise » actuelle de l’école réside d’ailleurs dans
le fait que la société :
§ assigne à l’école des missions qui peuvent être contradictoires, quant aux
orientations précises à privilégier (ex. la question du « devoir à domicile » en
regard des objectifs généraux du décret « Missions » de 1997) ;
§ lui assigne peut-être un peu trop de missions6 : elle doit non seulement instruire,
mais aussi éduquer, voire fabriquer le citoyen de la démocratie égalitaire ;
§ lui assigne des missions, en partie incompatibles avec ses fonctions (ex. école de
la réussite de tous et fonction de répartition sociale des individus7).
2. Un grand nombre de questions pédagogiques sont, au fond, des choix de sociétés
et devraient être traitées comme tels.

6
Signe de cette inflation de la commande sociale adressée à l’école, l’université d’été de l’enseignement
catholique était consacrée dès 2008 au thème « L’école envahie ». Les participants étaient invités à s’interroger
sur les nombreuses tâches nouvelles que l’on demande à l’école d’accomplir, de l’éducation à la citoyenneté (cf.
ci-dessus) à l’éveil de la conscience politique en passant par l’initiation à l’écologie, la lutte contre le racisme et
l’éducation à la santé. Autre signe de cette évolution, 70% des enseignants français de collège interrogés en 2008
considèrent que leur métier consiste aujourd’hui avant tout à « éduquer et socialiser » devant la transmission des
connaissances (La Lettre de l’éducation, mai 2008, p. 596). Enfin, la rapidité avec laquelle les médias se sont
tournés vers l’école à la suite des attentats djihadistes de janvier 2015 montre à quel point la société attend
beaucoup de son école : « est-ce à l’école de ‘combattre les cons par l’éducation’ ? » était le titre abrupt d’une
double-page consacrée par Le Soir du 13 janvier à ce qui se faisait (ou devrait se faire) à l’école en termes
d’apprentissage de la citoyenneté, du vivre-ensemble et du respect des valeurs fondamentales telles que la liberté
d’expression, la séparation des pouvoirs…
7
L’observation des sociétés traditionnelles montre que seules les deux formes les plus élémentaires
d’organisation sociale (la bande [quelques dizaines d’individus] et la tribu [quelques centaines]) ne connaissent
pas ou peu de différenciation sociale : pas de chef explicite, pas d’administration, pas d’impôt destiné
notamment à la survie ceux qui ne produisent pas, prise de décision en tête-à-tête… Au-delà de ces formes, une
répartition sociale des individus est systématiquement observée, que ce soit dans les chefferies ou a fortiori dans
les États qui sont apparus environ 3.400 ans avant notre ère : spécialisation économique, hiérarchisation sociale
liée, chef reconnu, administration chargée de la redistribution… (Diamond, 2013). À chaque génération, la
répartition des individus au sein de cette hiérarchie sociale doit être assurée et, dans nos sociétés modernes,
l’école en est un agent particulièrement décisif.

FAGR M401 – M. Romainville 5 Notes de cours (2014-2015)


Prenons la question du mode de constitution des classes : vaut-il mieux regrouper les
élèves en classes de niveau (homogènes) ou constituer des classes hétérogènes,
mélangeant les « forts » et les « faibles » ? La recherche nous montre que l’effet global
(sur la moyenne de tous les élèves) de la constitution de classes de niveau est proche de
zéro, mais que cette dernière engendre, d’une part, un effet différencié positif chez les
forts et négatif chez les faibles (Dupriez & Draelants, 2003). Il s’agit donc bien d’un
choix de société : souhaite-t-on privilégier le brassage des talents et l’égalité des chances
ou la sélection précoce des meilleurs ? La compétition ou la coopération ? Un
raisonnement similaire pourrait être tenu pour pratiquement toutes les questions
pédagogiques, comme celle du choix entre un premier degré commun ou une
spécialisation précoce.
3. Plus que ce que l’on pense spontanément, l’école ne fait donc souvent que
refléter des faits de société. Trois exemples sont développés au cours : la question
du « niveau » (l’évolution des connaissances et des compétences des élèves ne fait
que refléter leur importance relative dans la société) ; celle des réseaux (le
découpage de l’enseignement reflète la « pilarisation8 » de la société belge ; les
inégalités sociales (les pays qui ont réussi à réduire les inégalités scolaires sont
ceux qui ont su d’abord réduire les inégalités sociales9 de niveau de vie et de
sécurité économique (ex. la Suède)). Bien sûr, l’école, en retour, participe ou
renforce ces faits de société. Elle peut aussi se donner comme mission de les
modifier.
4. Le caractère social de l’éducation met à mal l’espèce de religion de l’immobilisme
scolaire, en vogue chez ceux qui réclament un « moratoire » face à la soi-disant
« cascade » de réformes qui se serait abattue sur notre école. Si l’éducation scolaire
vise vraiment à préparer les nouvelles générations à la société, il est dans l’ordre des
choses qu’elle s’adapte et évolue, que les programmes changent… Quand elle ne le
fait pas, elle est d’ailleurs vertement remise en cause (cf. la suppression des
universités françaises, corrompues et sclérosées, par la Révolution et les critiques de
l’école du XVIIIe par les encyclopédistes qui lui reprochaient (déjà !) de ne pas avoir
su s’adapter au développement du commerce et de l’industrie).

8
Selon une image classique de la société belge comme temple grec, les grandes familles (catholique,
socialiste et libérale) jouent le rôle de « piliers », de colonnes, compartimentant la vie sociale, tout en réunissant
en leur sommet leurs élites respectives (Wynants, 1998). Chaque « famille » développe un réseau complexe
d’organisations prenant en charge ses membres, du berceau à la mort (clinique, école, mutuelle…).
9
Même si inégalités scolaires et inégalités sociales sont en réalité peu corrélées. Ce n’est pas parce qu’un
pays est égalitaire que son école le sera automatiquement et vice versa. Une exception notable à cette règle : la
relation est par contre importante lorsque l’emprise du diplôme sur les carrières sociales est forte, les familles
durcissant alors une compétition scolaire plus cruciale encore (Dubet, Duru-Bellat & Vérétout, 2010).

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2. GENÈSE DE L’INSTITUTION SCOLAIRE
Sans remonter à Mathusalem10, il convient de s’interroger rapidement sur l’origine de notre
école secondaire actuelle. D’où provient-elle ? Pour répondre à quels besoins ? Qui a donc
inventé l’école (secondaire) ? Nous nous contenterons ici de rappeler les principales étapes
qui ont conduit à la forme de l’enseignement secondaire tel qu’on le connaît aujourd’hui.

2.1 Création des universités médiévales (XIIe – XIIIe siècles)


Dès 1170, les premières formes d’universités voient le jour à Paris et à Bologne. Au XIIIe
siècle, elles se constituent réellement en « universitas », c’est-à-dire en corporation, en
communauté de maîtres et d’étudiants11. Fort éloignées de nos universités actuelles, ces
« universités » moyenâgeuses sont avant tout des associations d’individus, cherchant à obtenir
un certain nombre de privilèges, sur le mode des corporations médiévales. Ces corporations
sont très souvent privées de locaux et parfois de maîtres, comme à Bologne. Pour la petite
histoire, un des premiers diplômes décernés par ces universités était la « licentia docendi »,
soit l’autorisation d’enseigner, notamment au sein des écoles préparatoires à l’université (les
« collèges », cf. ci-dessous), en quelque sorte l’ancêtre de l’agrégation…

C’est la Faculté des Arts qui joue, dans cette université médiévale, le rôle de notre
enseignement secondaire actuel : on y entrait très jeune (à 13 ou 14 ans seulement) et l’on s’y
préparait à l’une ou l’autre des facultés « supérieures » (à finalité « professionnelle », dirions-
nous aujourd’hui) : droit, médecine et théologie.

2.2 Formation des « collèges » (XIVe – XVe siècles)


La moralité des étudiants universitaires de l’époque était loin d’être exemplaire. Débauche,
ivrognerie, rixes, voire crimes sont monnaie courante.

« L’étudiant ès arts court la nuit tout armé dans les rues, brise la porte des maisons,
remplit les tribunaux du bruit de ses esclandres. Tout le jour, des passantes viennent déposer
contre lui, se plaignant d’avoir été frappées, d’avoir eu leurs vêtements mis en pièce ou leurs
cheveux coupés. » (cité par Durkheim, 1999 [1938], pp. 134-135)

« L'étudiant court parmi les rues et les places, les tavernes, les chambres des prostituées,
les spectacles publics, les cérémonies et les chants, les repas et les banquets, les yeux vagues,
la langue pendante, l’esprit pétulant, l’aspect négligé. » (cité par Rouche, 2003, p. 421)

Se forment alors, à côté de l’université, des maisons d’un genre nouveau, les collèges, au
sein desquels les étudiants trouvent le couvert et le gîte, ainsi que des répétiteurs, qui
complètent l’enseignement universitaire, mais qui le préparent aussi. En effet, il fallait
maîtriser les rudiments du latin pour entrer à l’université et, pour les familles qui ne pouvaient
pas payer un précepteur, le « collège » deviendra vite cet enseignement « moyen »,

10
Ou plutôt à Charlemagne, puisque on dit de lui qu’il a eu cette idée folle d’inventer l’école…
Effectivement, Charlemagne aurait fondé l’Ecole du Palais, dont il confia la direction à Alcuin, un des plus
grands savants que comptait alors l’Europe. Il a surtout conseillé à ses évêques de multiplier, dans leur diocèse,
des institutions préparatoires à cette école supérieure, premières écoles « de paroisse » (Durkheim, 1999). Mais
ce type d’école, à visée évangélique première et réservée à une toute petite élite, reste très éloignée de notre
système éducatif actuel.
11
« Universitas magistrorum et scolarum »

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préparatoire à l’enseignement supérieur. De plus, les étudiants vivant dans les collèges sont
ainsi moins exposés aux désordres décrits ci-dessus. Pour les humanistes qui « découvrent »
l’adolescence, il est en effet capital que cet âge charnière durant lequel le jeune est
« malléable et fragile » soit encadré par des institutions ad hoc. Les collèges se multiplient au
point que l’inscription d’un étudiant universitaire dans un de ces collèges devient obligatoire
dès les années 1450.

L’étape suivante est « l’internement » des maîtres eux-mêmes au sein des collèges.
Progressivement, les maîtres rejoignent à leur tour les collèges, qui se transforment souvent en
« internats » et c’est désormais dans leurs murs que se donnent les enseignements
préparatoires aux Facultés supérieures : le secondaire est né… Il n’est bien sûr pas encore
désigné comme tel, mais c’est alors que se crée ce palier intermédiaire entre le primaire et
l’universitaire. Et l’on voit bien qu’il est notamment né d’un souhait de contrôle de la
scolarité, d’un souci d’ordre, d’organisation, de discipline et de réglementation qui va
s’emparer de la forme scolaire naissante (cf. point 2.3).

2.3 Création de la « forme scolaire » (XVe et XVIe siècles)


Dès lors que le passage par un collège se systématise, se créent alors, selon Vincent (1980),
une nouvelle forme de relation sociale (la relation pédagogique) et une nouvelle organisation
typiquement scolaire12, qui, pour l’essentiel, est encore celle de nos établissements
secondaires actuels. Cette « forme scolaire » se caractérise par les traits suivants :

§ une relation pédagogique organise de manière formelle (intentionnelle, consciente,


explicite, réglée) la transmission d’un savoir par un maître (défini par son statut et sa
qualification) à destination d’élèves ;
§ la constitution de la « classe » comme groupement stable et régulier d’élèves de même
niveau ;
§ le passage d’une classe à l’autre est subordonné à un examen (promotio), présenté en fin
de semestre ou en fin d’année ;
§ l’enseignement se déroule dans un local spécifiquement adapté (tableau noir, craies,
estrade…), lui-même situé dans un bâtiment entièrement dédié à l’enseignement, en
dehors des contingences de la vie « réelle » ;
§ sous la férule d’un maître, qui peut compter sur la collaboration d’élèves dont la
discipline était aussi la responsabilité (les décurions) ;
§ tout au long d’un temps scolaire bien spécifique (sonnerie, horaire, rythme des
vacances…) ;
§ autour de programmes et de règles scolaires qui vont être édictés en grand nombre et qui
régissent non seulement la progression des enseignements, mais aussi la vie sociale à
l’école.

Cette « forme scolaire » a bien pour mission de discipliner la jeunesse et de l’inciter au


travail. Elle s’est aussi créée en réaction aux limites de l’apprentissage traditionnel, tel que le
compagnonnage.

C’est d’ailleurs au 16ème siècle qu’apparaît une tout nouvelle littérature pédagogique :
pour la première fois dans l’histoire scolaire, des penseurs élaborent des systèmes théoriques

12
qui, à partir de là, différencie fortement le fonctionnement de l’école des autres formes que peut revêtir
l’éducation comme la formation « sur le tas » (par exemple, le compagnonnage) ou l’éducation informelle.

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et/ou se répandent en critiques sur le système scolaire naissant (Rabelais (1494-1553) et
Érasme (1467-1536), d’abord ; puis Montaigne (1533-1592) et Comenius13 (1592-1670)
ensuite.

C’est aussi à cette époque que des congrégations religieuses vont se spécialiser dans
l’instruction et dans la « catéchisation ». Elles prennent progressivement le contrôle de la
plupart des « collèges » : les jésuites et les frères des écoles chrétiennes notamment. Ces
congrégations vont aussi produire des guides précis des études : la « Ratio Studiorum »14 en
1599 et « La conduite des écoles » en 1720, premiers manuels de conduite d’une classe.

La culture humaniste qui constitue le centre de cet enseignement (latin, grec et grands
auteurs classiques) installe une distinction dont notre enseignement souffre encore
actuellement entre les activités manuelles, perçues comme médiocres et les hautes activités
intellectuelles gratuites, mais censées être formatrices de l’esprit.

Éclairages sur les débats actuels et sur le métier d’enseignant

1. La création de cette « forme scolaire » a signé la constitution de l’école comme


lieu artificiel, en dehors des contingences du réel. Elle s’érige donc en sanctuaire,
protégé du monde. Elle définit, pour la première fois dans l’histoire, un lieu « à
part », tout entier consacré à l’éducation et à la formation. L’école ne va pas
cesser, dans la suite, de balancer entre deux tendances : entre une école proche
de la vie et une école « sanctuaire », à l’abri des passions du monde, cette
indépendance étant considérée comme le garant de la possibilité de dépasser les
particularismes régionaux, sociaux et familiaux et de permettre ainsi aux élèves
d’apprendre des choses qu’ils n’auraient jamais apprises « dans leur monde ».
Ultérieurement, on reprochera à l’école d’être « trop fermée sur elle-même » et
d’ignorer les besoins tant de l’enfant que de la société.

2. Du point de vue didactique, toute l’histoire de l’école peut aussi être lue comme
un vaste mouvement de balancier entre deux principes issus de ces deux
tendances : la finalisation et la didactisation (cf. cours de Psychopédagogie).
Régulièrement le balancier est ramené dans l’autre sens quand on s’aperçoit des
dégâts qu’il a commis dans le sens inverse. Idéalement, l’enjeu de toute « bonne »
pédagogie serait d’articuler et d’équilibrer ces deux principes.

13
Coménius publie ainsi le premier grand ouvrage de Didactique dès 1657 : la « Didactica magna ou l’art
universel d’enseigner tout à tous ». Il sera considéré comme le « Galilée de l’éducation » tant son œuvre se
révèle sur de nombreux points en rupture avec les pratiques de l’époque (par sa pédagogie réaliste notamment :
« les choses avant les mots ») et contient des éléments précurseurs de nombreuses évolutions ultérieures, dont le
constructivisme.
14
La « Ratio atque institutio studiorum societas Jesus », publiée en 1599, a fait l’objet récemment d’une
nouvelle édition chez Belin (1997).

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2.4 La Révolution française : l’instruction publique pour tous
(Condorcet)
La révolution va penser, beaucoup plus largement que par le passé, le « projet d’instruire »,
projet qui va d’ailleurs prendre progressivement l’ascendant sur le « projet d’éduquer »
surtout à la religion, ce qu’ont fait jusque-là les églises. Se développe alors l’idée qu’un
peuple « éclairé et instruit » est seul à même de faire entendre ses (nouveaux) droits de
citoyen. Condorcet, en particulier, formalise ce projet ambitieux, notamment dans ses célèbres
« Cinq mémoires sur l’instruction publique ». On présentera au cours l’introduction de cet
ouvrage fondamental, qui annonce explicitement l’objectif de démocratisation de l’accès au
savoir, leitmotiv des politiques éducatives des siècles suivants.

2.5 Le siècle d’or de la pédagogie : le XIXème


Comme nous venons de le dire, la révolution n’a pas été avare d’idées innovantes et
créatrices : la « classe » a même été momentanément supprimée et remplacée par une
organisation en « cours » (un même professeur suit ses élèves dans une « branche » durant
toute la scolarité). Mais elle a échoué à faire accoucher les organes et les structures qui
auraient réalisé ces idées.

Au total, l’état de l’enseignement reste assez chaotique au début du 19ème , même s’il
s’agit d’une préoccupation grandissante. La qualité de l’instruction est médiocre. Cet aspect
est bien visible dans un genre littéraire qui voit le jour à cette époque : le roman pédagogique
(Tison, 2004). Comme le montrent, par exemple, les romans d’Erckman-Chatrian, la
condition des enseignants de l’époque n’est guère enviable : mal payés, ils sont obligés
d’exercer des activités complémentaires, comme sonner les cloches ou balayer l’église ! On se
« résout » à exercer ce métier peu considéré, pour des raisons triviales : les maîtres sont
exemptés du service militaire ! Le sort des élèves n’est pas meilleur : les maîtres commencent
par frapper et discutent ensuite… Quelques passages du roman cruel « Histoire d’un sous-
maître » suffisent à couper court à toute nostalgie et à montrer que la dévalorisation du métier
sont évoqués au cours.

De plus, l’absentéisme scolaire est important, surtout lors des travaux des champs et les
classes sont surpeuplées : autour de 1870, les classes de 80, 100, voire 120 enfants ne sont pas
rares. Seule une petite proportion des maîtres est diplômée (ex. 22% des instituteurs en 1860).
En conséquence, l’analphabétisme ne recule guère : on ne compte, en 1866, que 47,2% de la
population capable de lire et d’écrire.

Le but premier de l’instruction reste de former de bons citoyens, respectueux de l’ordre


établi et surtout de bons chrétiens : la catéchèse occupe à l’école une place au moins aussi
importante que les compétences de base, dans les écoles gérées par l’Église bien sûr, mais
aussi dans les écoles « publiques » : à titre d’exemple, quand les collèges royaux sont créés à
la suite de la suppression de la Compagnie de Jésus, ces établissements conservent pourtant la
devise : « Ad majorem Dei gloriam »…

Cependant, sur la base des idées des Révolutionnaires, les autorités publiques cherchent
progressivement à améliorer la qualité de l’enseignement, au début dans une perspective
assez « paternaliste » : il s’agit de réconcilier les pauvres avec leur condition et de « relever »
les classes populaires en leur inculquant les valeurs d’ordre, de propreté, d’économie et de
prévoyance. Ultérieurement d’autres acteurs (socialistes et démocrates-chrétiens)
revendiqueront une amélioration et une généralisation de l’instruction comme moyen
d’émancipation sociale et d’accès à la citoyenneté véritable. Les plans d’étude vont se

FAGR M401 – M. Romainville 10 Notes de cours (2014-2015)


succéder : on en dénombre, en France, 15 durant le 19ème et plus de 75 arrêtés, décrets et
circulaires entre 1802 et 1887. Dès 1833, la loi Guizot, en France, fait obligation à toute
commune ou groupe de communes d’entretenir une école élémentaire et à chaque
département d’entretenir une école normale, pour former les maîtres. Mais c’est surtout Jules
Ferry qui sera considéré comme le père de l’école obligatoire : sa loi de 1882 rend
l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. La progression de la scolarisation est en
marche : elle touchera, dès l’entre-deux guerres, le secondaire puis le supérieur dans le dernier
tiers du XXe siècle. Tous les pays européens seront touchés par cette évolution, mais il nous
faut commencer ici une histoire spécifiquement « belge » de l’enseignement (point 3).

C’est aussi à la fin du 19ème siècle que la pédagogie et la didactique se développent et


acquièrent leurs lettres de noblesse. Le premier cours de « la science de l’éducation » est
inauguré à la Sorbonne en 1883. Confrontée à la massification de l’école primaire, l’école est
acquise à l’idée qu’il ne suffit pas de mettre un élève en présence d’un contenu de
connaissance pour qu’il se l’approprie ipso facto. Il devient dès lors indispensable de
s’occuper de la manière dont ce contenu doit lui être présenté et de la manière dont l’élève le
reçoit.

FAGR M401 – M. Romainville 11 Notes de cours (2014-2015)


3. COURTE HISTOIRE DU SECONDAIRE EN
BELGIQUE
3.1 La liberté d’enseignement (1831), à l’origine de la « guerre des
réseaux »
L’histoire de l’enseignement en Belgique est celle d’une longue suite d’épisodes de rivalité
entre l’Église et l’État pour le contrôle de l’éducation. Aux moments les plus forts de cette
rivalité, on parlera même de « guerres scolaires », la première entre 1879-1884 et la seconde
en 1954-195515. La première « guerre scolaire » a trait au primaire et est lancée par
l’obligation faite, en 1879, aux communes d’avoir une école neutre et laïque, les cours de
religion devant se donner en dehors des heures scolaires (obligation abrogée en 1884).

La question de la « liberté de l’enseignement » est donc au cœur de notre histoire et peut


même être considérée comme constitutive de notre État : si les catholiques participent à la
révolution de 1830, c’est en partie parce que, sous le régime hollandais, l’instruction avait été
confiée aux autorités publiques. Les différents régimes antérieurs (autrichiens et français)
avaient, eux aussi, pris le parti d’un enseignement public et avaient posé de lourdes
restrictions à l’enseignement privé d’inspiration chrétienne. Un des premiers actes juridiques
du Gouvernement provisoire de 1830 fut d’ailleurs d’abroger les arrêtés entravant la liberté
d’enseignement, dans le cadre plus général de la défense de la liberté d’expression, de pensée
et de culte.

Dès 1831, la liberté d’enseignement est garantie dans notre droit, mais sous une formule
dont l’ambiguïté et l’imprécision portent les germes de tous les conflits ultérieurs16. Si la
conception de la liberté d’enseignement était particulièrement large au début du XXe siècle17,
elle a ensuite été précisée autour de deux formes : la liberté active (appartenant au PO
d’ouvrir et d’organiser une école selon leurs valeurs philosophiques) et la liberté passive
(appartenant aux usagers et notamment aux parents de choisir l’école de leurs enfants et
l’enseignement d’une religion ou de la morale). Cependant, cette liberté d’enseignement doit
s’articuler autour de droit à l’éducation dont jouit tout enfant (Rasson & Rasson-Roland,
2012°), ce qui implique que la qualité de l’enseignement doit être prise en compte dans
l’appréciation des limites à la liberté d’enseignement (ex. échec répété d’un élève scolarisé à
domicile, trop inégalités de l’offre entre établissements engendrée par une hiérarchisation trop
poussée des établissements scolaires…).

Tous les épisodes de cette guerre de largement plus de cent ans ne seront pas rappelés ici,
mais ils furent nombreux et intenses18 : quand les catholiques sont au pouvoir, ils cherchent à

15
Notamment en vue de discipliner le futur électorat, quand l’obligation scolaire ira de pair avec
l’instauration du suffrage universel (première guerre scolaire) et pour le contrôle des moyens financiers qui vont
être alloués de manière massive à l’école secondaire en train de se massifier (seconde guerre scolaire).
16
L’article 17 de la Constitution de 1831 stipule en effet que « L’enseignement est libre. Toute mesure
préventive est interdite. »
17
Elle incluait ainsi la liberté d’ouvrir une école, d’exercer la profession de professeur sans qualification
officielle ( !), la liberté des méthodes et de programmes…
18
Les deux camps ont recours à des « armes de destruction massive » : sanctions spirituelles ( ! ), rupture des
relations avec le Vatican, démantèlement des écoles communales, mise en disponibilité de personnel…

FAGR M401 – M. Romainville 12 Notes de cours (2014-2015)


christianiser le réseau officiel ; quand les anticléricaux les en chassent, ils s’efforcent de
laïciser l’enseignement. Un (dernier ?) armistice est signé en 1959 et scellé dans le « Pacte
scolaire » qui, en garantissant les droits suivants, renforce le cloisonnement de la société
belge :
§ le libre choix de l’établissement par les parents : au-delà de la liberté de l’offre,
garantie par la Constitution, le Pacte « bétonne » une liberté de l’usager (de choisir son
établissement) ;
§ le choix entre la religion et la morale dans les écoles de l’État ;
§ la liberté pédagogique des réseaux en termes de programmes et de méthodes ;
§ la gratuité de l’enseignement secondaire.

Cette histoire douloureuse a profondément marqué notre enseignement et a forgé une de


ses caractéristiques19 : la « liberté subsidiée ». L’État s’est ainsi longtemps contenté de jouer
un rôle de suppléance, en soutenant et en supervisant de l’extérieur des écoles organisées par
d’autres instances (églises, communes, provinces…), tout en les subsidiant. C’est ainsi que
l’école catholique scolarise plus d’un jeune sur deux (en 2003, 42% des élèves du primaire,
59% au secondaire et, au supérieur, 12 des 29 Hautes Écoles et la moitié du secteur
universitaire). Les communes (au primaire) et les provinces sont aussi bien présentes dans le
champ de l’enseignement.

La sécularisation de la fin des années soixante (ex. forte baisse de la pratique religieuse) a
rendu les anciens clivages idéologiques plus flous. Les parents ne choisissent dès lors plus le
réseau libre par conviction, mais sur la base de critères moins liés à leur conviction religieuse,
mais plus en rapport avec un supposé « esprit » de l’école libre (accueil de la personnes,
convivialité…) tournant autour de ce que les sociologues ont appelé une « chrétienté
socioculturelle ». De plus les différentes réformes mises en route (ex. définition des mêmes
compétences terminales cf. point 3.7) et les directives administratives de plus en plus pointues
(ex. les règles de réaffectation) aboutissent à un rapprochement de fait des traits fonctionnels
et organisationnels des réseaux. Ainsi, les professeurs de l’enseignement libre sont
directement payés par la Communauté française. Les écoles libres reçoivent des subsides de
fonctionnement presque identiques (75%, selon le Pacte scolaire) à ceux qui sont octroyés aux
établissements « officiels ». Certains se lancent alors dans des tentatives désespérées
d’identification de spécificités qui fonderaient un projet éducatif particulier (ex. débat au sein
du Ségec autour de la « raison large »). La « dépilarisation » de l’enseignement sera même
prônée lors du « mai 68 » de notre enseignement que provoquent les grèves des années 1990 :
les Assisses de l’enseignement.

De temps à autre, la hache de guerre est encore déterrée, mais de manière moins
belliqueuse et sans autant de conséquences sociales, comme ce fût le cas en 1997 à propos des
« avantages sociaux » accordés aux écoles communales et provinciales. Un décret de 2001
précise cette notion et en établit la liste. En décembre 2004, un jugement de la cour d’appel de
Liège a confirmé cependant que cette liste n’était pas exhaustive, ouvrant ainsi la porte à de
nouvelles actions en justice menées par des écoles libres estimant faire l’objet de

19
que nous ne partageons, en Europe, qu’avec les Pays-Bas. Dans les autres pays, les établissements publics
constituent l’ossature principale du système scolaire (au-delà de 90% en Irlande, en Finlande, en Allemagne et
en Suède et jamais en dessous de 70% ailleurs) (Ministère de la Communauté française, 2004).

FAGR M401 – M. Romainville 13 Notes de cours (2014-2015)


discrimination (classes de dépaysement et classe de neige). La guerre scolaire a encore de
beaux restes20…

3.2 La scolarité obligatoire et gratuite jusque 14 ans (1914-1921)


Déjà inscrite dans le programme de la Ligue de l’enseignement dès 1864 et proposée dans un
projet de loi de van Humbeeck en 1884, la scolarité primaire obligatoire et gratuite jusqu’à 12
ans ne sera pourtant assurée, contrairement à la plupart de nos pays voisins, que bien des
années plus tard par la loi du 19 mai 1914. Mais il faut encore une loi de 1921 qui renforce les
contrôles, durcit les sanctions et réduit les exceptions pour rendre effective cette obligation
scolaire, étendue dès cette époque jusqu’à 14 ans.

Bien sûr, elle ne fait, d’une certaine manière, qu’enregistrer et officialiser une évolution en
route depuis la moitié du 19ème : la massification progressive de l’instruction élémentaire
(cf. tableau 3). Dès 1842, la première loi organique de l’enseignement primaire belge impose
aux communes l’obligation, soit d’entretenir une école primaire, soit d’adopter une école
« privée ».

Taux scolarisation au
primaire

1843 48%

1872 65%

1911 95%

Tableau 3 : pourcentage d’élèves instruits à l’école primaire (Wynants & Paret,


1998)

Ce long combat est corrélatif à deux autres luttes sociales majeures : d’une part, celle de
la réglementation du travail des enfants et, d’autre part, celle de l’obtention du suffrage
universel. En effet, il a fallu attendre 1884 pour qu’un arrêté royal interdise le travail des
enfants en dessous de 12 ans pour les garçons et de 14 ans pour les filles21. Et le suffrage
universel est acquis, sauf pour les femmes, en même temps que l’obligation scolaire (1919)22.

L’influence des sciences humaines naissantes n’est pas négligeable : elles ont, entre
autres, contribué à changer l’image de l’enfance, maintenant séparée de l’âge adulte et ayant
des besoins spécifiques, qui nécessitent une mise à l’écart des contraintes du monde du
travail.

20
Elle a notamment été ravivée en 2011 lorsqu’une circulaire « pro-IVG » a été envoyée à l’ensemble des
écoles. L’administration estimait qu’il était de son devoir d’informer les jeunes filles de leur droit ; des
défenseurs de l’école libre y ont vu une dangereuse atteinte à la liberté de leur réseau d’éduquer selon leurs
normes.
21
Le recensement industriel de 1846 dénombrait encore 21% d’ouvriers de moins de 16 ans.
22
Le droit de vote est octroyé à tout citoyen masculin de plus de 21 ans. Les femmes ne peuvent cependant
voter qu’aux communales. Elles peuvent se présenter comme candidates aux communales et aux législatives,
mais avec l’autorisation de leur mari ( !). Le suffrage universel mixte n’est octroyé qu’en 1948.

FAGR M401 – M. Romainville 14 Notes de cours (2014-2015)


La prolongation de cette obligation scolaire est assez tôt envisagée, notamment lors de la
crise des années 1920 en vue (déjà !) de limiter le chômage des jeunes : un arrêté royal rend
ainsi la scolarité de 14 à 16 ans obligatoire dans les régions industrielles particulièrement
touchées.

Il faut cependant bien voir que cette massification de l’instruction reste organisée en voies
parallèles et que le principe de prédestination sociale n’est donc pas remis en cause
fondamentalement. Coexistent ainsi trois types d’écoles primaires :
§ les écoles primaires « ordinaires », prolongées par un quatrième degré (pour les
enfants du peuple) ;
§ la section préparatoire à l’école moyenne assurant le degré inférieur des humanités
modernes (bourgeoisie) ;
§ la section préparatoire aux humanités complètes (classiques ou modernes) assurées
dans les collèges et les athénées.

Éclairages sur les débats actuels et sur le métier d’enseignant

À l’époque, la sélection sociale est EXTERNE à l’école : c’est la naissance qui


fixe en quelque sorte le destin social d’un individu et donc aussi le parcours
scolaire auquel il peut prétendre. Une des sources du malaise actuel de l’école est
que ce système injuste et figé, mais paisible a été bousculé et que la sélection est
progressivement devenue INTERNE à l’école : la hiérarchie des filières et des
établissements classe et répartit les individus sur la base de critères qui ne seraient
prétendument plus sociaux, mais strictement scolaires : le mérite, l’effort et les
aptitudes. C’est sur la base de leurs résultats scolaires que les individus
connaissent des destins sociaux différents. On sait malheureusement que les écarts
de résultats scolaires restent fortement liés à l’origine sociale (cf. point 6).
L’école vit mal ce nouveau rôle que lui a confié la société. Elle donne d’elle-
même une image en définitive beaucoup plus cruelle, paradoxalement, que
l’ancien système pourtant profondément injuste.

3.3 Gratuité, massification et démocratisation de l’enseignement


secondaire
Durant les « Trente glorieuses » (1945-1975), la croissance économique est au rendez-vous et
la hausse du niveau de vie est considérable. L’évolution démographique et l’allongement de la
scolarisation entraînent une augmentation considérable de la population scolaire … et un
gonflement des budgets alloués à l’éducation.

Taux fréquentation 15-16 ans 18-19 ans

1956-1957 54,3% 23,8%

1965-1966 72,5% 32,1%

FAGR M401 – M. Romainville 15 Notes de cours (2014-2015)


Tableau 4 : augmentation des taux de fréquentation (Wynants &Paret,1998)

Part des dépenses


d’éducation dans budget de
l’État

1850 2%

1900 8,6%

1930 8,7%

1960 16,8%

1975 21,2%

Tableau 5 : Part des dépenses d’éducation dans budget de l’État (Wynants &Paret, 1998)

L’État-providence prend ainsi résolument en charge la massification du secondaire (qui


reçoit ce nom à cette époque) et réorganise toute sa politique scolaire : constitution d’un
réseau d’écoles de l’État, étendue de la gratuité au secondaire, règles de passage, titres-requis,
grilles horaire, programmes. Les structures de l’enseignement sont également revues, le
secondaire étant désormais divisé en :
§ deux cycles : l’inférieur, considéré comme une prolongation normale de la scolarité
primaire, et le supérieur ;
§ trois formes : le général, le technique et le professionnel, entre lesquelles des
passerelles sont théoriquement prévues.

Les résultats sont à la mesure des efforts : la population du secondaire triple entre 1950
et 1970. On parlera même d’explosion scolaire, voir de « dilatation incontrôlée » de
l’enseignement. Or, il faut bien voir que cette extension quantitative amène inexorablement
des modifications qualitatives. À l’école, un changement d’échelle provoque souvent un
changement de nature : on ne peut plus s’adresser à l’ensemble d’une classe d’âge comme on
s’adressait aux privilégiés de jadis ; des méthodes deviennent inadaptées, toute une pédagogie
est à réinventer.

Au fur et à mesure de ce développement de la « forme scolaire » secondaire, la sélection


sociale externe cède sa place à une logique de sélection sociale interne à l’école sur la base
d’une élimination progressive des « maillons faibles » soi-disant scolairement et d’une
logique de « relégation » progressive dans des filières moins prestigieuses : cette double
logique est contenue en germes dans les nouvelles structures naissantes et notamment dans la
distinction entre les trois formes d’enseignement (général, technique et professionnel) (cf.
encadré ci-dessus).

L’intérêt pour la prolongation de la scolarité obligatoire renaît lors de la crise économique


des années septante. En définitive, la loi du 29 juin 1983 définit une nouvelle scolarité
obligatoire et gratuite23, de 12 années (de 6 ans à 18 ans), subdivisée en deux phases :

23
Quand on parle ici de gratuité, c’est en référence au fait que l’État prend en charge les frais inhérents à
l’organisation de l’école (salaires des enseignants & frais de fonctionnement) et interdit aux établissements
d’exiger des droits d’inscription ou autre minerval direct ou indirect. Il reste que cette école « gratuite » coûte

FAGR M401 – M. Romainville 16 Notes de cours (2014-2015)


§ à temps plein, jusque 15 ans ;
§ à temps partiel, avec contrat d’apprentissage si le jeune le désire, ensuite.

La relation entre cette augmentation de la scolarité et le chômage des jeunes semble claire,
comme l’indique l’exposé des motifs de la loi de 1983 : « le désœuvrement et l’oisiveté des
jeunes doivent être combattus ».

Le mouvement vers la démocratisation (cf. point 6) du secondaire se déroule en plusieurs


étapes. Dans un premier temps, les autorités publiques se contentent de faire disparaître les
obstacles financiers qui empêchent les jeunes de milieu populaire de poursuivre leurs études24
L’État cherche, sans remettre en cause fondamentalement le système, à « corriger » quelques-
unes de ses erreurs, en faisant accéder à l’élite une petite proportion des « mieux doués »
parmi les enfants de milieux modestes.

Dès les années soixante et avec la massification du secondaire, c’est une politique plus
ambitieuse de « l’égalité des chances » qui se développe. On commence à s’émouvoir du fait
que la fréquentation des trois formes du secondaire soit à ce point liée à l’origine sociale de
l’élève. De manière plus générale d’ailleurs, c’est à cette époque que s’initient des enquêtes
larges qui dévoilent l’ampleur de la relation entre sélection scolaire et origine sociale (cf. les
travaux de Bourdieu & Passseron (1964, 1970)). Cette préoccupation d’une plus grande
égalité des chances sera à l’origine de l’enseignement rénové.

Une des voies suivies par les autorités publiques pour favoriser cette démocratisation
touche à la lente évolution des modalités d’accès au supérieur. Une loi de 1890 imposait la
possession d’un certificat d’humanités gréco-latines (sauf pour les ingénieurs). Dès 1947, on
reconnaît la possibilité pour les détenteurs d’un certificat d’humanités « latin-math » et
« modernes scientifiques » d’accéder aux seules filières scientifiques. C’est la loi dite
« d’omnivalence » du 8 juin 1964 qui bouleverse ce système : tous les diplômes d’humanités
modernes et d’humanités classiques (et même certains diplômes du secondaire technique)
ouvrent la porte à n’importe quelle filière du supérieur, pour autant que l’élève réussisse un
« examen de maturité » (examen devant un jury interne à l’école).

3.4 L’enseignement « rénové » (1971)


Mis en chantier dès 1969, l’enseignement rénové est officialisé par la loi du 19 juillet 1971.
Trois cycles sont distingués au sein du secondaire, cette structure visant à reculer le choix
définitif d’une filière vers 15-16 ans. La mise en place d’un premier degré d’observation
indifférencié25 est censée favoriser un choix de la filière qui soit plus indépendant de l’origine

cher aux parents. En effet, chaque école peut réclamer des frais dans les domaines suivants : accès aux activités
culturelles et sportives, photocopies, prêt de livres, abonnements à des revues… De plus, les frais annexes (achat
de matériel scolaire, photo de classe) peuvent parfois peser lourd dans le budget d’un ménage modeste. D’après
une enquête de la Ligue des familles, le coût moyen par enfant d’une année scolaire (hors frais de repas et de
transport) était, en 2006, de 474 (Le Soir du 26/01/2006).
24
Par la gratuité de l’enseignement, mais aussi par des fonds (comme le Fonds des Mieux Doués en 1921),
de réduction de minerval, de prêts remboursables puis de « bourses d’études » (1954).
25
Cependant, le seul fait que l’élève s’inscrive, non pas dans une sorte de collège unique, mais d’emblée
dans un établissement à dominance de filières générales, techniques ou professionnelles viendra rapidement
fausser le jeu. Ainsi, le type d’attestations fournies dépend du type d’établissements : les attestations A (réussite)
sont plus nombreuses dans les établissements n’organisant que du général. Les attestations B (réussite avec

FAGR M401 – M. Romainville 17 Notes de cours (2014-2015)


sociale de l’élève et davantage en lien avec ses goûts, intérêts et aptitudes. Les trois cycles
sont :
§ le cycle d’observation, qui permet aux jeunes de « s’essayer » dans diverses activités et
aux enseignants d’observer les « dons » et les « intérêts » des enfants ;
§ le cycle d’orientation ;
§ le cycle de détermination.

La mise en place d’une structure d’enseignement commune, unifiée et polyvalente, qui


prolonge en quelque sorte le primaire, s’observe dans l’ensemble des pays européens (la
« comprehensive school » au Royaume-Uni (1964) et le « collège unique » français (1975),
par exemple). Elle correspond à un besoin d’allongement général de la scolarité de base,
appelée ensuite « enseignement du fondement ».

Des méthodes nouvelles sont aussi prônées : les méthodes actives, globales et
« fonctionnelles » du côté de l’enseignement et les méthodes d’évaluation continue dans le
domaine de l’appréciation des acquis. On l’a souvent dit, les ambitions du rénové ne
manquent pas d’audace, un optimisme pédagogique certain est de mise et correspond bien à
ce qui constituera la fin des « Trente glorieuses » : ainsi, l’évaluation sera « qualitative26,
collégiale, informative, prédictive, corrective et globale », rien de moins ! (Beckers, 1998,
p.111).

L’enfant s’étant imposé à côté de l’élève, il s’agit aussi de l’épanouir, de développer ses
aptitudes, ses intérêts, ses goûts, ses « riches potentialités » qui devraient, seules, déterminer
son parcours scolaire. L’école est aussi invitée à s’ouvrir à d’autres aspects que le seul
développement cognitif de l’élève : créativité, sport, art…

Deux forces ayant chacune un ancrage idéologique et politique différent ont présidé à la
naissance du rénové et ont permis qu’un consensus politique se dégage à son propos : un
projet d’émancipation sociale plutôt porté par les socialistes et les démocrates-chrétiens et un
projet « personnaliste » d’épanouissement individuel prôné par les classes moyennes et les
catholiques.

Lancé en 1971, le rénové est généralisé en 1975. La distinction entre enseignement


secondaire de type I (rénové) et de type II (traditionnel) est toutefois maintenue puisque, en
vertu de la liberté d’enseignement, le rénové, en tant que réforme comportant des éléments de
méthodes, ne peut être imposé aux établissements de l’enseignement « libre ». Il faut
cependant préciser que :
§ la grande majorité de ces établissements adopteront rapidement le type I (80% dès
1980) ;
§ le type II ne représente plus aujourd’hui que 3% de la population scolaire du secondaire
en CfB, alors qu’il reste plus important en Communauté flamande ;
§ les deux types sont soumis, dès 1976, aux mêmes réglementations administratives
concernant l’admission, le passage de classe et les sanctions des études.

restriction) sont, quant elles, plus nombreuses au sein des établissements qui disposent des trois filières (Beckers,
1998).
26
Ce qui sera à l’origine de la disparition (éphémère, elle aussi) de la note chiffrée…

FAGR M401 – M. Romainville 18 Notes de cours (2014-2015)


Pétri d’optimisme27, voire de naïveté, le rénové a eu le malheur, alors que sa mise en
œuvre exigeait des moyens nouveaux,28 de voir le jour quelques années seulement avant le
choc pétrolier de 1973 et la crise des finances publiques que ce dernier va engendrer. Dès
1982, on parle déjà de « rénover le rénové » et nos gouvernants se montrent avant tout
soucieux d’en revenir à des politiques éducatives moins hardies, moins ambitieuses et surtout
moins coûteuses…

D’autant plus que les espoirs de démocratisation que portait le rénové semblent déçus (cf.
point 6). Paradoxalement, la multiplication des options et des filières a, au contraire, accentué
la possibilité pour les familles « au courant du fonctionnement scolaire » de développer des
stratégies visant à maintenir la stratification sociale et à « profiter » au mieux des arcanes
scolaires (choix établissement, des options pour assurer un « niveau » de la classe…). Le
désenchantement est donc au rendez-vous…

Les contraintes budgétaires de plus en plus pesantes aboutissent à la crise de 1990 :


grèves et manifestations des enseignants se multiplient. En 1995, dix milliards d’économie
supplémentaires sont annoncés, les grèves sont relancées en 1995-1996. Agoras et autres
« Assisses de l’enseignement » ne peuvent déboucher que sur des engagements « qualitatifs »,
disait-on à l’époque, les caisses étant vides. Le décret « Missions » de 1997 (cf. 3.6) en sera,
en partie, issu.

Le rénové n’a donc jamais vraiment été aboli, mais il a plutôt été progressivement
« détricoté » par diverses mesures : relèvement des normes de création d’options, suppression
des demi-classes, conseil de classe sorti de l’horaire des professeurs, restriction des options,
standardisation de la grille horaire du deuxième degré… Il serait cependant injuste de
prétendre qu’il ne reste rien du rénové. Des structures ont subsisté (les trois degrés, même
s’ils ont perdu leur appellation). Surtout, des idées pédagogiques ont essaimé, comme l’idée
de base de constituer un premier degré commun et indifférencié à valeur de socle commun et
d’observation des goûts et des aptitudes.

3.5 La communautarisation de l’enseignement (1988)


La fragmentation communautaire est à l’œuvre en Belgique au moins depuis les années 1960.
Ainsi, dès 1961, le ministère de l’Éducation est dédoublé avec la création d’un ministre
adjoint néerlandophone. En 1969, le département de l’éducation est divisé en deux entités
administratives, avec deux ministres à part entière à leur tête.

Même si les Communautés sont créées dès 1970, l’enseignement n’est définitivement
communautarisé que par la révision de la Constitution du 15 juillet 1988. Cette révision
constitutionnalise aussi les garanties du Pacte scolaire et les consolide même (ex. égalité des
étudiants, parents et enseignants des réseaux devant la loi).

Seules trois compétences restent fédérales : la fixation de l’obligation scolaire, les


conditions minimales pour l’obtention des diplômes et le régime des pensions.

27
notamment sur la capacité qu’aurait l’école de changer, à elle seule, la société, nous y reviendrons…
28
notamment pour les heures de « rattrapage », pour les conseils de classe, pour l’observation des élèves,
pour la multiplication des options au nom du respect de l’individualité de chacun, pour la constitution de demi-
classe, etc.

FAGR M401 – M. Romainville 19 Notes de cours (2014-2015)


3.6 Le décret « missions » (1997)
Fruit d’une série d’évolutions que nous venons d’évoquer et des Assises de l’enseignement de
199529, le décret du 17 juillet 1997, dit décret « Missions »30, vise pour l’essentiel, comme son
nom l’indique, à doter le système éducatif de balises claires concernant les objectifs et les
résultats à atteindre. Signalons que cette question des missions de l’école aurait été considérée
comme insolite jusqu’à une date très récente : il existait en effet un consensus social fort, mais
implicite, autour du rôle social de l’institution scolaire. La liste des missions et des fonctions
s’étant considérablement allongée et diversifiée, c’est sans doute parce que ce « contrat
social » implicite a été rompu que notre société s’est sentie obligée de coucher, noir sur blanc,
les missions de son école. Dans son chapitre II, le décret définit, pour la première fois
explicitement, les objectifs généraux de l’enseignement en Communauté française.

Les quatre objectifs suivants doivent désormais être poursuivis « simultanément et sans
hiérarchie :
§ promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des
élèves ;
§ amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui
les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie
économique, sociale et culturelle ;
§ préparer tous les élèves à être des citoyens responsables capables de contribuer au
développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux
autres cultures ;
§ assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale. »

On peut repérer, dans ces objectifs, :


§ de belles continuités, par rapport au rénové notamment (ex. l’épanouissement
personnel), mais aussi des ruptures (prendre une place active dans la vie
économique) ;
§ des logiques différentes (humaniste, utilitariste et sociale) qu’il n’est pas aisé de
poursuivre « simultanément » (cf. les différentes attitudes prise par rapport à la
question du devoir à domicile) ;
§ de possibles conflits entre ces « missions » officiellement attribuées à l’école et ses
« fonctions » effectives dans la société (ex. fonction de sélection interne).

Le décret précise aussi un certain nombre d’éléments concernant les structures de l’école
propres à atteindre ces objectifs généraux. C’est ainsi qu’il introduit :
§ le projet d’établissement ;
§ des organes de participation, tel que le conseil de participation ;
§ des possibilités de recours (interne et externe) contre les décisions du conseil de
classe.

29
Au milieu des années 1990, l’enseignement est touché par une série de mouvements sociaux à la suite de
mesures de rationalisation et en particulier de réduction drastique des emplois. Pour sortir des grèves, la ministre
de l’enseignement lance un vaste processus de consultation qui aboutira à ces Assises.
30
Le texte de ce décret du 17 juillet 1997 qui fixe le cadre de travail légal de l’enseignant et qui devrait dès
lors constituer un de ses livres de chevet est disponible, comme bon nombre de textes fondamentaux régissant
notre enseignement, à l’adresse suivante : http://enseignement.be/gen/syst/structures/structure.asp

FAGR M401 – M. Romainville 20 Notes de cours (2014-2015)


Ce décret restera aussi dans l’histoire comme celui qui a « lancé » l’approche par
compétences.

3.7 L’approche par compétence (2001)


C’est le décret de 1997 qui a inscrit les compétences dans les tables de la loi. Il a, en effet,
été précisé, dès l’article 8 du décret, que, pour atteindre les objectifs généraux qui viennent
d’être décrits (cf. ci-dessus), « les savoirs doivent être abordés dans la perspective de
l’acquisition de compétences ». Des groupes de travail inter-réseaux ont ensuite été chargés
de définir ces compétences, à approuver par le Conseil. Des documents complémentaires31 ont
donc été publiés :
§ en mai 99 : « socles de compétences » pour le premier degré ;
§ de fin 99 à 2001, publication, par discipline, des « compétences terminales » (3e
degré) ;
§ de nouveaux programmes ont enfin été concoctés par les différents réseaux.
Ils sont en application depuis septembre 2001. Leur conformité aux « compétences
terminales » a dû préalablement être approuvée par le ministère.

Si la « réforme des compétences » (décrite en détail dans le cours de Psychopédagogie) a


autant soulevé de difficultés et de résistances, c’est qu’au-delà des positions de principe sur
lesquelles il est aisé d’obtenir un consensus (ex. lutter contre les « savoirs morts » (cf. 4.1)),
de nombreuses questions n’ont pas vraiment été résolues avant de lancer de manière
précipitée sa mise en œuvre. Sans doute, une introduction plus lente et faisant l’objet
d’évaluations intermédiaires aurait été nécessaire.

3.8 La mondialisation « pédagogique »


La mondialisation n’est pas qu’économique : elle touche aussi l’école. Les années 1990 ont
été marquées par l’irruption, dans les débats sur l’école, d’acteurs internationaux, l’OCDE en
tête32.

En particulier, le rapport que cet organisme a consacré à la Belgique en 1993 (OCDE,


1993) a fait l’effet d’une bombe à fragmentation tant il dénonçait un certain nombre d’aspects
de notre enseignement secondaire surtout. Il stigmatisait d’abord le fait que notre
enseignement était un des rares systèmes éducatifs à ne disposer :
§ ni de définition standardisée des niveaux d’études attendus à chaque pallier de la
scolarité ;
§ ni de système d’évaluation EXTERNE mesurant ces niveaux.

Ce même rapport s’étonnait ensuite que notre enseignement secondaire coûte plus cher que
celui de nos principaux voisins, sans pourtant être plus efficace. Le surcoût était
essentiellement dû, d’après les experts de l’OCDE, aux normes d’encadrement nettement plus
favorables chez nous. Cet électrochoc constituera une des sources, d’une part, du décret
« Missions » et de la vaste opération de définition des compétences terminales et des socles de
compétences (cf. ci-dessus) et, d’autre part, des diverses mesures de restriction budgétaire qui
marqueront la fin des années 1990.

31
documents également disponibles sur le site http://www.enseignement.be/index.asp
32
D’autres organismes font aussi entendre leur voix : l’UNESCO et la Commission européenne avec son
« Le livre blanc sur l’éducation et la formation », publié en 1995.

FAGR M401 – M. Romainville 21 Notes de cours (2014-2015)


Comme un malheur n’arrive jamais seul, c’est aussi à cette époque que la folie des
classements internationaux s’empare de l’école. Le syndrome « eurovision » se répand
comme une traînée de poudre et chaque pays vit dans la crainte de la prochaine diffusion des
résultats de tests internationaux (de type PISA) qui risquent de mal le « classer »33. On peut
s’interroger sur cette étrange soumission des États à des indicateurs, certes utiles, mais
discutables (Romainville, 2002). On montrera au cours, à partir de quelques questions de
PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves34) et de quelques-uns de
ses résultats, que ce système d’évaluation internationale standardisée est loin d’être sans
reproche :
§ en omettant de replacer chaque système éducatif dans son contexte historique et
socioculturel, ces évaluations comparent en définitive des pommes et des
poires (notamment en termes de taux de scolarisation des différents pays). Un exemple
frappant est l’aveuglement35 avec lequel la Finlande est présentée comme un paradis
pédagogique et une école paisible et égalitaire. Elle l’est en effet jusque 16 ans, mais
nettement moins ensuite. Ainsi, même s’il n’y a effectivement pas de redoublement
explicite, seuls 50% des élèves intègrent le lycée après leurs études de collège et l’entrée à
l’université s’apparente à un véritable concours hyper-sélectif (25% des bacheliers
seulement y accèdent). La sélection est d’autant plus impitoyable que tardive (Leguérinel,
2013). Un autre exemple réside dans l’adoration dont fait preuve l’OCDE vis-à-vis du
système éducatif sud-coréen dont les élèves n’arrivent à d’excellents résultats scolaires
qu’au prix de leçons particulières harassantes, ce qui semble jouer sur leur moral : les
jeunes sud-coréens figurent parmi ceux qui se déclarent les moins heureux à l’école (Le
Courrier international, n° 1244, p. 36). C’est ainsi que, de manière cocasse et alors que les
piètres résultats belges à PISA étaient vilipendés dans la presse, une enquête de
Newsweek classait la Belgique 19e pays du monde en soulignant qu’un domaine dans
lequel notre pays excelle … n’est autre que l’éducation grâce à un taux de scolarisation de
99% et un âge moyen de scolarité de 15,9 ans !
§ PISA et surtout sa présentation médiatique amplifient des différences de moyenne
finalement assez restreintes ;
§ PISA mesure la maîtrise de compétences particulières, à l’aide d’outils particuliers,
ce qui a pour conséquence que les biais culturels y sont fortement présents.

Il est donc salutaire de rappeler que PISA ne mesure que très partiellement l’efficacité de
notre enseignement, tant ses objectifs, les compétences mesurées et les outils de mesure sont
peu représentatifs de notre école. Une étude de Bruno Suchaut (2014) a d’ailleurs montré que
la corrélation entre les résultats des élèves suisses au test PISA et ceux que ces mêmes élèves
obtiennent aux épreuves cantonales n’est guère élevée : ce qui est mesuré par PISA est donc
assez différent de ce qui est enseigné couramment dans les classes. Cette même étude observe
aussi que la hiérarchisation de PISA est très sélective, très peu d’élèves suisses pouvant avoir
l’espoir de figurer au top du classement de niveaux de compétences. Enfin, l’influence de

33
La presse fait ses choux gras de ce genre de palmarès, qui agite de landerneau politique durant quelques
jours. Puis tout le monde s’empresse de passer à autre chose… On montrera quelques exemples de ces
emballements médiatiques, fort éphémères et souvent approximatifs.
34
Cf. le site assez complet de l’OCDE :
http://www.pisa.oecd.org/pages/0,2987,en_32252351_32235731_1_1_1_1_1,00.html
35
Mais sans doute ne s’agit-il pas vraiment d’aveuglement de la part de l’OCDE qui promeut ainsi un modèle
bien particulier d’école.

FAGR M401 – M. Romainville 22 Notes de cours (2014-2015)


l’origine sociales est nettement plus grande sur les résultats PISA que sur les résultats
cantonaux, comme si PISA se focalisait sur des acquisitions non scolaires reflétant plus
directement les inégalités sociales.

Des voix de plus en plus nombreuses36 s’élèvent d’ailleurs pour une plus grande prise de
distance des politiques par rapport aux résultats aux tests PISA et recommandent une pause
dans le processus au nom de ses résultats pervers :

- attention des politiques excessivement braquée sur le classement et focalisation de


leurs efforts sur la remontée à court terme dans ce classement ;
- désintérêt pour des objectifs moins mesurables de l’éducation et pourtant au moins
aussi importants ;
- approche trop centrée sur les « life skills », qui sont en réalité peu l’objet de nombreux
programmes scolaires, à tort ou à raison ;
- influence trop forte des analystes de l’OCDE non élus démocratiquement et aux biais
de pensée évidents en matière de « bonne école ».

Le mérite de PISA est quand même d’avoir relevé, une fois de plus, un fameux problème
de justice que connaît l’école en CfB : les variables socioculturelles prédisent, plus
qu’ailleurs, les résultats aux tests, signe que la démocratisation de notre enseignement est loin
d’être acquise (cf. 7).

3.9 Vers une restauration ?


Il nous faut aussi évoquer un mouvement récent, diffus, mais bien réel que l’on pourrait
qualifier de tentative de restauration. En effet, dans différents domaines, les discours prônant
un certain retour vers l’école du passé se multiplient. On veut rétablir l’autorité, le
vouvoiement, on s’étend sur les effets néfastes de la mixité et du « laisser aller » qu’aurait
enfanté « mai 68 ». La dictée devrait, selon certains, être réhabilitée et plus généralement, on
devrait en revenir aux « bonnes vieilles méthodes ». Il a même été question de réinstaurer les
« bourses au mérite » en France.

On en vient ainsi à développer une certaine nostalgie de l’école de jadis (cf. le succès du
pensionnat de Chavagnes sur M6), en omettant la plupart du temps ce que cette école avait
d’inégalitaire, d’injuste, de triste et de brutal (cf. points précédents).

Dans le même sens, les pédagogies de « l’auto-socio-construction du savoir » sont aussi


sérieusement remises en question, alors qu’elles avaient largement dominé le paysage
pédagogique durant les 20 dernières années. O. Rey montre notamment comment l'illusion
que l'on ne doit rien au passé et tout à soi-même (ce qu’il appelle le fantasme de l’homme
auto-construit) a fait de véritables ravages dans les politiques éducatives. Comme le montre le
changement d’orientation des enfants dans les poussettes qui a eu lieu autour des années 1970,
« aux transmissions autoritaires d’une génération à l’autre s’est substituée, dans l’idéal
pédagogique, une auto-construction de l’enfant à travers l’élaboration de ses savoirs et
l’expression de soi » (p. 235).

36
Notamment une lettre collective de plusieurs dizaines d’académiques :
http://www.theguardian.com/education/2014/may/06/oecd-pisa-tests-damaging-education-academics

FAGR M401 – M. Romainville 23 Notes de cours (2014-2015)


Après le culte de l’individualisme tel qu’il a été prôné par le mouvement de mai 1968, la
société souhaite désormais que l’école retrouve explicitement son rôle de transmission des
valeurs morales et civiques nécessaires à la vie collective. Ainsi, l’article 2 du projet de loi
Fillon d’orientation pour l’avenir de l’école stipule que « la transmission des valeurs de la
république est au cœur des missions de l’école, soulignant ainsi la dimension morale et
civique de sa vocation » (Ministère de l’éducation nationale, 2005). En parallèle et comme
pour bien montrer que cette évolution dépasse les clivages gauche / droite, le texte
préparatoire au Contrat pour l'école37 en Communauté française précisait que l’école a pour
mission de faire vivre ces valeurs en son sein même : « l’école est le lieu par excellence où se
développent les bases d’une citoyenneté active dans une société démocratique, solidaire et
interculturelle. » (p. 75)

Un ouvrage représentatif de ce mouvement de restauration est évoqué au cours, celui du


philosophe et éphémère ministre de l’éducation nationale, Luc Ferry (cf. tableau 6)
Jusque dans les années 1960 À partir de 1968…

§ Collectif > Individuel § Individuel > Collectif


§ $ valeurs communes § Individualisme
§ principes supérieurs donnent sens à l’action § Individus = producteurs de leurs propres
(Religion, Raison, Progrès, …) principes
§ l’individu s’efforce de réaliser, dans sa vie § norme collective est considérée a priori
et à l’école un « programme institutionnel » comme contraire à l’épanouissement
(Dubet) personnel
§ Savoirs au centre du système § Élève au centre du système
§ « Élève » = invité à se hisser jusqu'à la § « Élève » = doit devenir « ce qu’il est » en
réalisation d'idéaux supérieurs épanouissant sa personnalité
§ Souci des héritages § Expression de soi
§ Respect autorité § Esprit critique
§ Mérite, effort, travail § Spontanéité
Tableau 6 : Les « méfaits » de Mai 68 sur l’école, selon L. Ferry (2002)

Si un regard dans le rétroviseur peut parfois corriger des errements, cette tentation
rétrograde est sans doute le signe d’un manque de vision d’avenir claire et mobilisatrice
autour de l’école. On voit d’ailleurs ressurgir cette nostalgie chaque fois que l’école a du mal
à trouver ces marques. Face à un tel mouvement, il faut souligner que
§ « l’âge d’or » de l’école est un mythe, tout au plus peut-on parler de points d’équilibre (ex.
les années 1920 pour le primaire : méthodes au point, reconnaissance sociale des
instituteurs, effectifs raisonnables… ) ;
§ « la nostalgie n’a pas d’avenir » puisque les choses sont totalement différentes aujourd’hui
et qu’il est parfaitement illusoire de vouloir réinstaller des méthodes de jadis qui ne
correspondraient plus ni à nos objectifs ni à la culture environnante (ex. le nombre de
jours de classe qui diminue corrélativement à l’apparition de la « société des loisirs »,
l’effritement de l’autorité dans l’ensemble de la société chez les parents eux-mêmes alors
qu’ils réclament pourtant son retour à l’école) : « l’histoire ne repasse jamais les plats ».

37
Soumis pour avis et consultation sous l’intitulé « Projet de Contrat stratégique pour l’éducation ».

FAGR M401 – M. Romainville 24 Notes de cours (2014-2015)


3.10 Le Contrat pour l’école (2005)
Dans la continuité du décret « Missions », la Ministre Marie Arena a lancé, en 2004, un large
processus de consultation et de concertation, autour d’un projet de « Contrat stratégique pour
l’éducation ». Ce processus a abouti à la publication, en mai 2005, d’un « Contrat pour
l’école »38, sorte de plan de bataille à court et à moyen terme de l’école en CfB.

Ce plan est articulé en trois parties. La première partie dresse un tableau succinct des 4
problèmes principaux que rencontre l’école en CfB :
§ insuffisante maîtrise des compétences de base. Malheureusement, la seule source à la
base de ce constat est…PISA ;
§ trop grand nombre d’échecs (cf. 4.3) ;
§ trop grande ségrégation entre établissements (cf. 6.3) ;
§ orientation par l’échec vers le qualifiant.

Sur cette base, 6 objectifs généraux sont définis, assez précisément et parfois en termes
d’indicateurs chiffrés. Par exemple, l’objectif 3 est « d’augmenter le nombre d’élèves à
l’heure » et on évaluera l’atteinte de cet objectif sur les critères suivants : 90% d’élèves à
l’heure en fin de primaire et 55% en fin de secondaire.

Suivent alors une volée de 50 mesures, rassemblées autour de 10 priorités. La plus


spectaculaire est sans doute le renforcement de l’encadrement professoral dans les premières
années (là où tout se joue en termes de compétences de base), notamment pour gérer,
autrement que par l’échec, les premières difficultés scolaires (cf. 4.3). Les autres mesures sont
assez diversifiées et vont de la restauration des manuels au « bac » de fin de primaire, en
passant par une amélioration du statut du directeur.

3.11 La saga des décrets « inscription » et « mixité » (2007-2010)


Une des priorités du « Contrat pour l’école » était de mettre fin aux « écoles ghettos », pour
des raisons qui seront développées aux points 6.2.4 et 6.3. La première tentative de Marie
Arena (2007) consistait en un décret dit « inscriptions » qui fixait une date d’inscription
unique et un seul mode de sélection possible des élèves : l’ordre d’arrivée des demandes
(« premier arrivé, premier inscrit »). Le résultat a été maigre en termes de promotion de la
mixité sociale, mais médiatiquement désastreux : des files se sont formées devant certains
établissements, obligeant des parents à « camper » jusqu’à deux nuits avant la date fatidique.

En 2008, le nouveau Ministre de l’éducation, Christian Dupont, fait abroger ce décret et en


promulgue un nouveau dit « mixité », mais tout de suite baptisé décret « lotto » par ses
détracteurs puisque son principe était de tirer au sort, en cas d’inscriptions qui dépassent les
capacités d’accueil de l’école, les élèves qui y seront effectivement inscrits. Ce décret
provoque pratiquement le même tollé, au point d’être lui aussi abandonné…

En 2010, une nouvelle Ministre de l’enseignement supérieur, M.-D. Simonet, élabore une
troisième épure, fondée sur un formulaire unique à remplir par les parents (comportant un
maximum de 10 préférences) à rentrer dans une des écoles choisies. En cas de dépassement
des demandes pour un établissement, une optimalisation est réalisée par une commission
externe, le CERI, sur la base de multiples critères, dont la distance entre le lieu de résidence et

38
un site particulier a été créé autour de ce Contrat : http://www.contrateducation.be

FAGR M401 – M. Romainville 25 Notes de cours (2014-2015)


l’établissement (cf. http://www.inscription.cfwb.be/) De plus, un quota de places est réservé
dans chaque école au profit d’élèves moins favorisés pour autant qu’il y ait des demandes.

Cette saga montre bien qu’il est particulièrement délicat de concilier deux principes a
priori également souhaitables : la liberté de choix de l’école par les parents (cf. 3.1) et la
volonté publique de lutter contre une trop forte hiérarchisation des établissements. On
comprend aussi comment, dans une logique individuelle, les parents souhaitent apporter un
soin particulier à l’éducation et donc aussi à l’instruction de leurs enfants (et on s’en réjouit
même…), tout en adhérant aussi à l’idée d’une régulation de ces comportements familiaux par
l’autorité publique, au nom du bien commun et de la justice. La marge de manœuvre est sans
doute très étroite et on doit se poser la question de savoir si les restrictions éventuelles à la
liberté des parents sont proportionnées par rapport au but qu’elles poursuivent et si elles sont
socialement « acceptables ». L’idée d’un « tirage au sort », par exemple, régissant l’avenir
scolaire des enfants ne rencontre guère ces deux critères.

FAGR M401 – M. Romainville 26 Notes de cours (2014-2015)


4. LES DÉFIS ACTUELS DE L’ÉCOLE
Une des leçons que nous pouvons tirer des chapitres précédents est que l’école cherche en
permanence à s’adapter aux défis que la société lui pose, explicitement (cf. les objectifs
généraux décrits dans le décret « Missions »), mais aussi implicitement. Il faut dès lors nous
interroger sur les enjeux actuels de la scolarité, autrement dit sur les défis que notre société
lance aujourd’hui à son école. Ces défis tracent le cadre général du travail enseignant et
constituent les éléments moteurs des différentes réformes en cours. On n’adhère d’ailleurs à
ces dernières qu’à la condition d’avoir pris la pleine mesure des défis qui les ont fait naître.
C’est l’objectif de ce point 4.

4.1 Lutter contre les « savoirs morts »


Depuis son invention, la forme scolaire (cf. 2.3) n’a eu de cesse de se développer et d’acquérir
de plus en plus d’autonomie par rapport à la société. Des distinctions typiquement scolaires
sont apparues, comme les « disciplines ». Des outils ont été spécifiquement créés pour l’école,
la grammaire, par exemple.

Quand la forme scolaire, avec la massification du secondaire, a envahi l’espace social et a


accaparé les deniers publics à un point jamais atteint auparavant, on a commencé à
s’interroger sur ses (r)apports au monde et sur ses effets : au fond, que reste-t-il de toutes ces
années que passent désormais les jeunes à l’école ? Que savent-ils et que savent-ils faire à leur
sortie des études ?

Des recherches ont alors montré qu’à côté de progrès indéniables l’école avait aussi la
fâcheuse tendance à faire acquérir des connaissances peu « mobilisables », des « savoirs
morts ». Il s’agit de savoirs « scolaires », que les élèves ont pourtant semblé maîtriser un
temps (au moins pour les « régurgiter » le jour de l’examen…), mais qui ne constituent pas
pour eux de véritables outils pour penser le monde et pour y agir. Tout se passe comme si ces
savoirs avaient été déposés par les élèves dans des tiroirs spécifiques de leur mémoire,
étanches les uns par rapport aux autres. Les élèves n’ouvrent ces tiroirs qu’à l’école, lors des
évaluations et ils s’empressent de les refermer aussitôt. Surtout, ces « savoirs morts » ne
semblent pas ébranler leur savoir naturel, antérieur aux apprentissages : les élèves continuent
donc de raisonner, de voir le monde comme ils le faisaient avant leur entrée à l’école.

D’autres recherches ont par ailleurs mis en évidence la faillite relative d’une pédagogie
de la transmission de connaissances. Quand on se donne la peine de mesurer ce qu’il reste
d’une intense année de labeur scolaire, on est surpris de constater qu’une grande partie des
programmes est rapidement oubliée par les élèves (cf. les recherches de Lieury, citées dans
Romainville, 1998).

Ces résultats sont d’autant plus regrettables que d’autres études montrent, en parallèle, que
notre école échoue à installer des acquis de base (lecture, écriture, calcul…), alors qu’elle
semble perdre son temps à couvrir des programmes académiques, pléthoriques et ésotériques.
Des enquêtes, comme celle réalisée en 2008 par l’APED39, montrent également que notre
enseignement n’assure pas à tous les jeunes les connaissances nécessaires à l’exercice d’une
citoyenneté critique.

39
Un questionnaire, soumis à 3000 rhétoriciens, cherchait à savoir si ces derniers maîtrisaient les
connaissances de base du « citoyen critique ». Les résultats, parfois déconcertants, sont disponibles sur le site :
http://www.ecoledemocratique.org Ainsi, 26% des jeunes ignorent que le Congo fut une colonie belge…

FAGR M401 – M. Romainville 27 Notes de cours (2014-2015)


On pourrait s’interroger longuement sur les multiples causes de ces phénomènes :

§ explosion et parcellisation des connaissances scientifiques et techniques et tendance


de l’école à chercher à suivre ce mouvement ;

§ spécialisation accrue des enseignants ;

§ surcharge, complexification outrancière et inadaptation des programmes qui


découlent des deux premiers points.

Quoi qu’il en soit, il semble que ce soit la répétition de ce type d’observations qui a
conduit l’ensemble des pays fortement scolarisés à opérer une sorte de retour sur l’essentiel
(« Back to the basics »). Chez nous, il s’agit sans doute d’une des sources majeures de
l’approche par compétences : celle-ci vise en effet à faire des connaissances scolaires des
« outils pour penser et pour agir », des « savoirs vivants » en quelque sorte…

4.2 Répondre aux besoins d’une « société du savoir » et d’une


« économie de la connaissance »
L’idée selon laquelle l’éducation participe à la « richesse des nations » est aussi vieille
qu’Adam Smith : dès le 18ème cet économiste considère que l’accroissement de compétences
auquel l’école participe constitue une forme importante de « capital humain ». Cette thèse
recevra ensuite de multiples confirmations empiriques (Aghion & Cohen, 2004 ; Gravot,
1993 ; Vandenberghe, 2004) :
§ sur le plan individuel, il est désormais acquis que le niveau d’instruction est en relation
étroite avec le salaire et la probabilité de trouver un emploi ;
§ sur le plan collectif, un lien tout aussi fort est relevé entre le niveau global d’éducation
d’un pays et son développement économique.

Cette théorie du capital humain a poussé les États modernes à accroître la scolarité de ses
jeunes tout au long du 20ème siècle. La « quantité » d’éducation, mesurée par le nombre
d’années d’étude, n’a d’ailleurs cessé de croître, avec en Belgique, des disparités régionales
récentes et inquiétantes entre la Flandre et la Wallonie en décrochage (Vandenberghe, 2004).
Quoi qu’il en soit, on voit bien que la société attend aussi de l’école qu’elle développe le
capital humain dont son économie a besoin40.

Cette approche instrumentale de l’école s’est accentuée quand la société a basculé dans une
« société du savoir » et l’économie dans une « économie de la connaissance ». Il est, de ce
point de vue, significatif que deux projets du milieu des années 2000 de « réorientation » de
l’école fassent explicitement référence à l’apport indispensable de l’école à la « société
cognitive » :

« Jamais l’évolution de la société n’a été autant influencée par les connaissances et les
compétences de chacun. Augmenter le niveau d’éducation, c’est porter la société à un plus
haut niveau de maîtrise de sa destinée et permettre à chacun de mieux prendre part à la

40
« Éducation X Financement = Compétitivité », c’est par cette formule lapidaire que le « think thank »
Lisbon Council résume le défi lancé à l’Europe : son succès économique y est présenté comme strictement
dépendant du développement du capital humain et donc de la revalorisation des systèmes éducatifs des pays
membres.

FAGR M401 – M. Romainville 28 Notes de cours (2014-2015)


construction de notre société. » (Projet de Contrat stratégique pour l’éducation, C.F., 2005, p.
15)

« À l’ère de la société de l’information, la connaissance est plus que jamais la clef du


développement personnel et le fondement du progrès des nations. » (Projet de loi Fillon, 2005,
p.15)

La crise de 1973 a également participé à mettre au premier plan cette fonction instrumentale,
privée et publique, de l’école, avec cependant une nouvelle coloration, celle de la nécessaire
maîtrise des dépenses publiques. Investir dans l’école parce qu’elle participe au
développement du capital humain, d’accord, mais à doses plus homéopathiques et en
s’assurant alors plus étroitement de son « efficacité ». Alors que jadis, le secondaire réservé à
une élite était considéré comme une initiation « gratuite » (cf. les gréco-latines) à la vie de
bourgeois, les parents et la société tout entière, touchés par la crise, expriment désormais des
préoccupations plus pragmatiques : trouver un emploi, maîtriser les langues étrangères,
l’informatique… Ils accentuent ainsi la pression exercée sur l’école secondaire, massifiée et
désargentée. En témoigne une courte phrase issue de l’exposé des motifs du projet de loi
Fillon, qui pose bien le « marché » que passe la société avec son école :

« En contrepartie41 de l’effort considérable consenti par la Nation, celle-ci attend de son


école une élévation globale du niveau de formation initiale des Français et une solution
efficace aux principaux problèmes qui lui sont posés. » (Projet de loi Fillon, 2005, p.2)

Des voix de plus en plus nombreuses remettent cependant en question ce qu’elles


dénoncent comme un « dogme non vérifié » selon lequel l’augmentation continuelle du
niveau d’éducation constitue un facteur de croissance (e.g., Duru-Bellat, 2006). On fait
notamment remarquer que la quantité d’éducation pourrait être un effet, davantage qu’une
cause, de la croissance. Par ailleurs, les emplois appelés à se développer (e.g., soin aux
personnes âgées) ne requièrent pas forcément de très hautes exigences de diplômes. Il y aurait
donc une limite à une politique visant toujours davantage de diplômés de plus en plus élevés.

Signalons enfin que l’instrumentalisation de l’école n’est pas qu’économique. Plus


généralement, la société attend aussi de son école qu’elle participe à son développement
global et harmonieux tant dans les domaines culturel et social que démocratique :

« La maîtrise par tous des compétences et savoirs de base, le vivre ensemble à l’école, la
sensibilisation à l’acte d’entreprendre, l’éducation à la citoyenneté qui favorise la prise de
conscience des valeurs démocratiques et le dialogue interculturel sont des fondements de la
cohésion sociale et un vecteur de croissance. » (Projet de Contrat stratégique pour
l’éducation, C.F., 2005, p. 12)

Cette instrumentalisation s’est accompagnée d’une inflexion des demandes sociales


adressées à l’école. En effet, dans une « société du savoir », on observe une rapide
obsolescence de ces savoirs. Cette source importante de capital humain évolue à un rythme
effréné et les savoirs auxquels l’école forme les jeunes sont quasi dépassés quand ils en
sortent. Dès lors, les attentes de la société s’orientent davantage vers des demandes de
compétences « transversales », de savoir-faire, voire d’attitudes : autonomie, créativité, esprit
critique, réflexivité, capacité d’apprendre tout au long de sa vie, à travailler en équipe, à

41
Souligné par nous.

FAGR M401 – M. Romainville 29 Notes de cours (2014-2015)


apprendre à apprendre… Même si ce type de demandes n’est pas dénué de paradoxes : on
voudrait en effet des élèves réflexifs, mais aussi rapides ; critiques mais aussi respectueux des
règles collectives...

On a donc assisté à une étrange revalorisation du paradigme humaniste42 : « formons


l’homme à être homme et il saura occuper toute place ». D’un certain point de vue, notre
école pourrait faire sienne la célèbre devise de Montaigne qui, dans « De l’institution des
enfants » (1580), prônait déjà « Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine ».

Par ailleurs, du point de vue individuel cette fois, l’enjeu de la scolarité n’a jamais été
aussi grand pour les enfants et leurs familles : elle conditionne en effet l’accès à l’emploi et
plus généralement elle détermine de niveau de vie (santé, salaire…). On comprend alors le
développement d’une forte compétition pour l’obtention des diplômes considérés comme des
« biens positionnels » : choix des écoles « élitistes », choix des filières sélectives, cours
particuliers, « pédagogisation » de la vie familiale (cf. 6.3).

4.3 Une école de la réussite


Une autre révolution « copernicienne » de notre école réside dans le lent passage d’une
culture de la sélection à « l’école de la réussite ». L’école des années 1960-1970 produisait
beaucoup d’échecs : elle fonctionnait sur le principe général de l’élimination progressive des
« maillons faibles ».

Le redoublement était pratiqué de manière intensive notamment parce qu’il était


considéré comme la modalité à privilégier pour remédier aux difficultés d’apprentissage.
Dans la suite, ce soi-disant remède a été critiqué pour trois raisons principales :
§ son coût (plus de jeunes redoublent, plus d’enseignants sont engagés…). Le
redoublement aurait ainsi coûté 416 millions d’euros en 2010, soit 11,6% du budget
consacré à l’enseignement obligatoire ;
§ l’iniquité de la décision : en l’absence d’épreuves standardisées externes, la décision
du redoublement est tributaire de la classe et de l’établissement dans laquelle se trouve
l’élève. De plus, la probabilité de redoubler dépend fortement de l’origine sociale de
l’élève et, plus curieusement, du mois de sa naissance. Les enfants nés en décembre
ont en effet trois fois plus de « chances » de connaître un redoublement que ceux qui
sont nés en janvier.
§ l’inefficacité du remède
- des études montrent qu’on n’observe pas de progression majeure du niveau de
l’élève par le seul redoublement : faire plus et une deuxième fois de la même chose
n’est manifestement pas une recette pédagogique concluante, sauf parfois dans les
dernières années du secondaire. De plus, les élèves qui redoublent connaissent une
progression moindre que des élèves comparables, faibles, mais qui ont été promus
(Paul, 2004).
- un regrettable effet « boule-de-neige pédagogique » se met souvent en place à la
suite d’un redoublement : le « redoublant » est sujet à discrimination, il se
démotive, notamment par rapport aux matières qu’il avait réussies. Son estime de

42
Rousseau dans « L’Émile » (p. 42) a été l’initiateur d’une telle conception :« Vivre est le métier que je veux
lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre. Il sera
premièrement homme : tout ce qu’un homme doit être, il saura l’être, au besoin il s’adaptera à tout ce qui
arrivera vers lui et la fortune aura beau le faire changer de place, il sera toujours à la sienne.»

FAGR M401 – M. Romainville 30 Notes de cours (2014-2015)


soi en pâtit et il ne lui reste plus, bien souvent, qu’à consolider une image de
« cancre » averti et fier de l’être, qui lui assurera au moins un certain respect auprès
des siens. Les enseignants le prennent en grippe et le cercle vicieux se met en
place…

En temps de crise des finances publiques, il est assez facile de comprendre que passe à la
trappe un remède qui est, d’une part, critiqué par des pédagogues et dont la suppression,
d’autre part, permettrait d’engranger de sérieuses économies. C’est ce qui a été fait en
interdisant de doubler plus d’une fois dans le primaire43 et en créant un cycle de deux ans sans
doublement possible pour le premier degré, lors de sa réforme initiée en 199444. Il est
pourtant évident que supprimer le remède ne fait pas disparaître la maladie45. Il aurait donc
fallu, comme dans les pays qui pratiquent la « promotion automatique » (passage automatique
dans la classe supérieure), consacrer les moyens dégagés par la suppression du redoublement
à l’élaboration d’outils de pédagogie différenciée et à l’engagement de personnel éducatif
auxiliaire (logopèdes, orthopédagogues…). Le récent « Contrat pour l’école » (3.10) va
timidement dans ce sens, puisqu’il renforce l’encadrement des premières années.

Cette réorientation des moyens aurait été d’autant plus nécessaire que « l’attachement » de
notre école au redoublement était le signe que ce dernier remplissait un certain nombre de
fonctions latentes (Draelants, 2006) :

§ une fonction de gestion de l’hétérogénéité des élèves et des classes, surtout au premier
degré ;
§ une fonction de positionnement hiérarchique et symbolique : chaque établissement
se définit ainsi une place et une réputation (d’exigence, de sérieux ou
d’accompagnement des élèves en difficulté) au sein d’un « quasi-marché » scolaire ;
§ une fonction de régulation de l’ordre scolaire : le « bâton » du redoublement est
censé inciter les élèves au travail scolaire et au respect des règles du métier d’élève.

Combattre le redoublement passe donc par la mise en place de mécanismes permettant


d’assurer ces fonctions par d’autres moyens.

Depuis de longues années, la lutte contre le redoublement est au cœur des politiques de
gestion de l’école en Communauté française, le Contrat pour l’école de 2005 en étant
l’apothéose. La lutte contre l’échec est un de ses 6 objectifs prioritaires : « D’ici 2013, les
actions menées et les efforts accomplis doivent permettre de tendre vers 90% d’élèves à
l’heure en fin d’enseignement primaire (venant de 80%) et 55% d’élèves à l’heure en fin
d’enseignement secondaire (venant de 40%). » (p. 7)

43
Décret de 1995 sur « l’école en cycles ».
44
Un décret de 2001 du ministre Hazette est cependant venu quelque peu amender cette disposition en
prévoyant l'organisation d'une année de remédiation en cours de cycle, destinée aux élèves qui rencontrent de
« grosses difficultés » en première. Même si cette année complémentaire ne constitue pas à proprement parler
un « redoublement de l'année antérieure », certains ont jugé qu’elle rouvrait la porte aux pratiques anciennes.
45
Encore que, dans le cas de redoublement « injuste » (par exemple, d’un élève « moyen » dans une école
élitiste), c’est précisément le remède qui engendre la maladie. Mais dans le cas de difficultés scolaire avérées,
faire passer l’élève dans l’année ultérieure sans rien faire de plus ne permet pas non plus de les résoudre ipso
facto.

FAGR M401 – M. Romainville 31 Notes de cours (2014-2015)


On perçoit donc mieux pourquoi notre enseignement se définit, même si l’expression est
maladroite, comme une « l’école de la réussite », c’est-à-dire une école cherchant à gérer
autrement que par l’échec les difficultés scolaires et à assurer au plus grand nombre le
fondement de ce que doit maîtriser un citoyen. On parle désormais d’une recherche de
« l’égalité des acquis de base » (cf. 7.3.3).

Au fond, notre enseignement secondaire pourrait faire sien la finalité qu’avait assignée
Jules Ferry, dès 1880, à l’enseignement primaire obligatoire : « Ne pas embrasser tout ce qu’il
est possible de savoir, mais bien apprendre ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ». C’est bien
cette idée qui est derrière la notion de « socles » et de compétences terminales conçues
comme un maximum pour la certification, même si elles permettent un dépassement pour la
formation (cf. 3.7.2).

4.4 Démocratiser l’enseignement


Depuis Condorcet (2.4) et surtout depuis les « Trente Glorieuses » (3.3), l’école est considérée
comme un puissant levier de justice sociale. L’objectif de démocratisation est donc au cœur
des défis actuels de l’école. Cet objectif a d’ailleurs été explicitement repris dans le décret
« Missions » (objectif 4) et il sous-tend bon nombre de réflexions et de pistes d’action du
« Contrat pour l’école » de 2005. Un chapitre entier est donc consacré à ce défi central au sein
du présent cours dédié à l’étude des relations entre l’école et la société (point 6).

4.5 Redonner du sens au travail scolaire


Dernier défi et non des moindres : un des aspects les plus exigeants du métier actuel
d’enseignant consiste à lutter contre la crise de sens du travail scolaire que connaitraient les
élèves : démotivés, ils ne percevraient plus le sens du travail scolaire. Bien sûr, relever les
quatre premiers défis que nous venons d’évoquer est sans conteste une bonne manière de
redonner du sens au travail scolaire. Un élève sera, en effet, davantage « motivé » par une
école qui :
§ lui transmet des « savoirs vivants » qui l’aident à comprendre le monde ;
§ développe des compétences utiles à la société ;
§ le fait réussir à maîtriser des acquis de base ;
§ joue son rôle d’ascenseur social.

Cependant, il est à craindre que cela ne suffise ni en toutes circonstances, ni pour tous les
élèves, tant la crise du sens paraît profonde. Pour la comprendre, il nous faut d’abord préciser
d’où elle provient. Trois raisons principales peuvent être évoquées.

§ Tout travail scolaire est avant tout une formation, une préparation à la vie ultérieure :
son sens n’est que rarement à chercher uniquement en lui-même (ex. tel concept
mathématique « prépare » à tel autre, tel repère historique permettra de donner du sens
à telle pièce dans un musée…). Or, les élèves d’aujourd’hui ont plutôt tendance à
chercher des motifs immédiats d’investissement : en cela, ils ne reflètent d’ailleurs, une
fois de plus, que l’esprit du temps… Il y a donc une sorte de décalage entre l’école
(qui fonctionne sur le temps long, le temps de la réflexion, du délai, de l’apprentissage
qui constitue toujours un détour) et la société environnante (du temps court, du
zapping, du « tout, tout de suite », de la réaction spontanée, de l’émotion).

§ Par ailleurs, les jeunes générations ont été éduquées dans un culte grandissant de
l’individualité et de l’expression de soi. Rien d’étonnant dès lors qu’ils expriment
plus ouvertement et plus franchement leur malaise scolaire. Les élèves actuels ne sont

FAGR M401 – M. Romainville 32 Notes de cours (2014-2015)


peut-être pas plus « démotivés » que leurs aînés46, mais quand cela leur arrive, ils en
font part immédiatement et frontalement…

§ Enfin, le diplôme d’enseignement secondaire a perdu, à la suite de sa généralisation,


une bonne part de son utilité sociale : les jeunes savent que les études secondaires sont
indispensables, mais aussi insuffisantes : « Sans le bac, on a rien, mais avec le bac on
n’a pas grand-chose... ». Au sein de sections « fortes », cette motivation permet malgré
tout de donner un sens minimal aux études, mais l’effort demandé peut rapidement être
jugé disproportionné. Dans les filières dites de « relégation », cette motivation devient
malheureusement inopérante…

Dans ce contexte, les jeunes peuvent donc éprouver des difficultés à se motiver pour
l’école. Ils le font quand même, bon gré mal gré, en se rattachant aux trois sources de
motivation décrites au cours de Psychopédagogie : l’intérêt intellectuel, les « palliatifs »
didactiques et les … notes (Barrère, 1998).

Même si elles obéissent sans doute à des contingences particulières47, on voit aussi
comment les réformes peuvent être lues comme des tentatives de l’école de répondre aux
nombreux défis que lui lance la société. Ainsi, l’approche par compétences pourrait participer
à relever les défis suivants :
§ celui des « savoirs morts » certainement puisqu’une compétence n’est rien d’autre
qu’un savoir vivant ;
§ ceux de la démocratisation et de l’école de la réussite, en fixant des balises
maximales pour la certification et en incitant les enseignants à travailler en classe
les compétences transversales ;
§ celui des nouvelles demandes de la société du savoir, en axant la formation sur des
connaissances « mobilisables » pour la résolution de problèmes du monde « réel » ;
§ celui enfin de la crise du sens, en confrontant les élèves à des situations dans
lesquels leurs savoirs peuvent être mobilisés et « faire sens ».

46
La littérature nous offre de très nombreux témoignages historiques d’élèves peu intéressés par l’école, de
Saint Augustin (qui considérait la répétition des tables de multiplication comme une véritable torture) à Gide en
passant par Jules Vallès qui dédie en 1879 son roman « L’enfant » « à tous ceux qui crevèrent d’ennui au
collège »…
47
Dans une attitude poujadiste fort en vogue, il est ainsi de bon ton de prétendre que les réformes ne
constitueraient que des lubies individuelles, mises en œuvre par les politiciens et les responsables de
l’administration de manière à laisser leur nom à la postérité.

FAGR M401 – M. Romainville 33 Notes de cours (2014-2015)


5. STRUCTURE ET ACTEURS DE L’ENSEIGNEMENT
EN CF
5.1 Les structures
Les structures générales de l’enseignement en CF sont brièvement présentées au cours oral,
pour l’essentiel sur la base d’une broche éditée par le Ministère48, particulièrement complète
et claire et qui est, de plus, disponible à l’adresse suivante :

http://www.enseignement.be/gen/syst/publications.asp

5.2 Les acteurs


Sans entrer dans les détails de la myriade d’acteurs intervenant dans l’école de la
Communauté française, le tableau suivant présente l’essentiel des acteurs de ce formidable
« mammouth ».

Enseignement officiel Enseignement libre

Organisé par la Subventionné Subventionné Subventionné Non


Communauté confessionnel, non subventionné
essentiellement confessionnel
catholique (95%) (Decroly,
Bruyères,
Verseau, …)

Pouvoirs Ministre Commune, Congrégations,


organisateurs Province, … évêchés, curés de
paroisse, …

872 en 1990

Regroupement CEPEONS SéGEC FELSI


de P.O.

Association de FAPEO UFAPEC


parents

Tableau 8 : Les acteurs de l’école en CF

48
« Petit guide pratique de l'Enseignement obligatoire en Communauté française »

FAGR M401 – M. Romainville 34 Notes de cours (2014-2015)


6. LES INÉGALITÉS SOCIALES DE CARRIÈRE
SCOLAIRE
Dans le cadre de ce cours consacré aux relations entre l’école et la société, il est
particulièrement important de revenir sur le quatrième défi évoqué au point 4, celui de la
démocratisation de l’enseignement.

On parle d’inégalité sociale quand on observe une distribution inégale, entre les membres
d’une société, des ressources de cette société, due aux structures mêmes de cette société et
faisant naître un sentiment49 d’injustice auprès de ses membres. Nos sociétés démocratiques
ne s’accommodent plus de certaines inégalités autrefois considérées comme des fatalités. Par
exemple, l’explication de carrières différentes par la seule naissance n’est plus jugée
satisfaisante. Nos sociétés modernes cherchent donc soit à légitimer les inégalités de manière
la plus juste possible (par exemple, par le talent ou le mérite), soit à les atténuer si aucune
légitimation ne semble socialement satisfaisante.

Les inégalités sociales devant l’éducation sont perçues comme doublement injustes : en
tant que telles d’abord (les enfants de telle classe sociale n’ont pas accès à telle filière), mais
surtout en tant qu’elles agissent comme courroie de transmission des inégalités sociales (cf. la
théorie de la reproduction (7.1)).

La démocratisation de l’école est le mouvement de réduction dans le temps de ces


inégalités sociales devant l’éducation, réduction qui doit être appréhendée d’un triple point de
vue : l’accès, la réussite et le parcours scolaire.

6.1 Démocratisation ?
Il nous faut d’abord distinguer plusieurs « types » de démocratisation :

§ la démocratisation quantitative, qui a trait à la diffusion de l’instruction,


appréhendée comme un bien. Il y a démocratisation quantitative lorsque certaines
couches sociales accèdent à un niveau d’enseignement qui, auparavant, leur était en
bonne part inaccessible. C’est, à l’évidence, le cas, tout au long du XXe siècle, de
l’enseignement secondaire. Cette démocratisation est, en quelque sorte, assurée par la
seule massification : l’allongement général de la scolarité a permis à davantage de
jeunes de faire des études secondaires, puis l’obligation scolaire a définitivement
résolu cette question, du moins en termes d’accès (cf. ci-dessous). On parle de
démocratisation UNIFORME lorsque l’accès élargi profite à tous les milieux sociaux,
les inégalités se déplacent, mais restent de même ampleur.

§ Pour qu’il y ait démocratisation qualitative, il faut que les couches sociales les plus
défavorisées aient tiré plus de profit que les autres de l’élargissement de l’accès. On
parle alors de démocratisation ÉGALISATRICE : les taux d’accès des groupes « en
retard » tendent à rattraper ceux des groupes favorisés, ce qui est aussi nécessairement
le cas dès que les taux d’accès approchent de 100%. On doit cependant aussi

49
Il n’existe donc ni définition « objective » ni seuil absolu d’une inégalité sociale. Il faut surtout qu’elle soit
ressentie comme telle par des groupes d’individus au sein d’une société. En conséquence, plus les goûts et les
aspirations (exemple, faire des études supérieures) s’homogénéisent dans une société, plus « apparaîtront » des
inégalités. Et plus les progrès de l’égalité seront visibles, plus les inégalités subsistantes seront jugées
insupportables (Savidan, 2007).

FAGR M401 – M. Romainville 35 Notes de cours (2014-2015)


s’interroger aussi sur la démocratisation qualitative de la réussite (les taux de réussite
des enfants provenant de milieux différents se rapprochent-ils ?) et surtout sur la
démocratisation qualitative des parcours scolaires (les enfants des différents milieux
s’inscrivent-ils dans les mêmes filières à proportion égale ?). Et, de ce point de vue, le
processus de démocratisation global (e.g., augmentation constante de l’accès au
secondaire) peut se solder par des écarts croissants de parcours. Par exemple, si on
affine l’analyse, on pourrait s’apercevoir que la filière choisie dépend de plus en plus
de l’origine sociale : on parle alors de démocratisation SEGREGATIVE.

6.2 Bref état des lieux des inégalités sociales face à l’école
Un bilan synthétique de la démocratisation de notre enseignement secondaire n’est guère
aisé à dresser, notamment
§ parce qu’il n’existe, de ce phénomène, ni définition incontestée ni modalités de
mesure admises par tous (cf. 6.1) ;
§ parce que les premiers effets visibles de la démocratisation constituent plutôt des
« problèmes » aux yeux des acteurs : classes plus hétérogènes, difficultés
pédagogiques inédites, impression de baisse du niveau… Pour apprécier les effets
moins visibles (mais prioritaires) sur les bénéficiaires notamment en termes de
destins sociaux des jeunes défavorisés plus enviables et plus justes, il faut recourir à
des méthodologies complexes, comparant par exemple le destin de jeunes de même
âge et de même niveau social, les uns vivant dans une région ayant connu une
réforme pédagogique visant à la démocratisation et les autres dans une autre
région50 (Maurin, 2007).
§ parce que les données empiriques restent rares et parcellaires pour la Communauté
française. Nous utiliserons donc parfois des sources de pays voisins.

Il faut d’abord remarquer que les inégalités se mettent en place très précocement, bien
avant l’entrée au secondaire. Ainsi, dès 6 mois, des relations existent entre le développement
et la « qualité » du milieu familial des enfants. À 5 ans, la prise en compte de facteurs
familiaux (valeurs, style éducatif...) explique déjà 70% du développement cognitif et
langagier de l’enfant. On sait aussi que le redoublement au primaire, même s’il est désormais
rare, est fortement lié à l’origine sociale : par exemple, le seul fait d’avoir une mère titulaire
d’un diplôme accroît les chances d’un enfant de plus de 11% de réaliser un parcours « sans
faute ».

Dans le même sens, Van Haecht a montré que le pourcentage d’enfants en retard en fin de
première année primaire (redoublement) dépend de la profession du chef de famille.

Pourcentage d’élèves en retard

50
À l’encontre du pessimisme ambiant faisant douter de la nécessité de poursuivre le mouvement de
démocratisation et lorsque l’on se donne la peine de recourir à de tels types d’étude, on constate que la première
vague de démocratisation surtout a eu de vrais effets bénéfiques sur les carrières sociales des jeunes défavorisés
et sur l’équité d’accès aux carrières enviables (Maurin, 2007).

FAGR M401 – M. Romainville 36 Notes de cours (2014-2015)


Ouvriers non qualifiés 24%

Cadres 3,4%

Moyenne 15,4%

Tableau 9 : pourcentages d’élèves en retard en première primaire (Beckers, 1998, p.


135)

Les disparités du niveau des enfants à l’entrée du secondaire sont, en conséquence, assez
impressionnantes : les 10% d’élèves les plus forts réalisent des performances trois fois
supérieures aux 10% les plus faibles et ces différences sont associées au milieu social. Ces
écarts se creuseront encore tout au long de la scolarité, par plusieurs mécanismes :
§ le jeu subtil du choix de l’établissement, de la filière et des options garantissant de
« bons groupes » d’élèves (latin et allemand) ;
§ l’importance croissante du travail personnel (donc de l’accompagnement familial
(6.3)).

6.2.1 L’accès
L’obligation scolaire ayant été portée à 18 ans, les éventuelles inégalités d’accès doivent
plutôt être recherchées du côté de :
§ l’ACCÈS AU DIPLÔME de l’enseignement secondaire : on montrera qu’un double bilan
peut ici être établi. D’une part, il reste des écarts majeurs de probabilité d’accès au
diplôme secondaire selon le diplôme obtenu par les parents (et singulièrement la mère).
Mais, côté positif, ces écarts se sont réduits entre 1960 et 2000 (Vandenberghe, 2004).
§ l’ACCÈS À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. Un bilan moins favorable peut ici être
établi : les écarts ne se sont guères réduits depuis 1960 (Vandenberghe, 2004).

6.2.2 La réussite
Les données spécifiques à la CF sont assez rares, on l’a dit. On peut néanmoins se faire une
idée des écarts de réussite selon l’origine sociale à partir d’une série d’études ponctuelles.
Nous avons déjà évoqué les études sur l’accès au diplôme, indicateur bien entendu de réussite.
Autre exemple, la fréquentation de la première « accueil » (ancêtre de la première
« différenciée »), signe d’échec au primaire, est, elle aussi, en relation avec le milieu de
l’élève.

Fréquentation de la première
« accueil » (1982)

Agriculteurs 7%

Ouvriers 9%

Sans profession 28%

Cadres 2%

Enseignants 1%

Tableau 10 : fréquentation de la première « accueil » en fonction de l’origine socio-culturelle


(Beckers, 1998, p. 132)

FAGR M401 – M. Romainville 37 Notes de cours (2014-2015)


PISA (cf. 3.8) fournit également quelques données éclairantes sur les écarts sociaux de
réussite scolaire en Communauté française de Belgique. Ainsi, le pourcentage d’enfants
accusant un retard scolaire est très variable selon leur origine sociale. Les 10% les plus
favorisés des enfants de 15 ans ne sont que 17% à avoir connu un redoublement alors que les
enfants issus des 10% des familles les plus défavorisées connaissent un taux d’échec de 65%.
Dans le même sens, 80% des enfants des 10% des familles les plus favorisées sont scolarisés
dans l’enseignement général, contre 11% seulement des enfants issus des familles les plus
défavorisées (Hirtt, 2005).

6.2.3 Les parcours


Comme nous l’avons dit, la croissance des effectifs au secondaire s’est accompagnée d’une
diversification des filières. C’est donc maintenant via les processus d’orientation vers les
filières les plus « rentables » que les groupes sociaux les plus avantagés cherchent à renforcer
leurs avantages scolaires et, paradoxalement, nous avons vu comment le rénové y a participé
malgré lui (3.4).

La fréquentation des filières reste donc assez fortement liée à l’origine sociale des élèves et
cette tendance est stable dans le temps, en dépit des belles promesses du rénové.

Choix filières au 3ème Professions Employés Sans


degré libérales profession

Enseignement général 65,9% 49,9% 15,7%

Enseignement 19,8% 22,2% 29,1%


technique

Enseignement 14,3% 27,9% 55,2%


professionnel

Tableau 11 : choix de filières du 3ème degré en fonction de l’origine socio-culturelle (Beckers,


1998, p. 133)

Les avis d’orientation du conseil de classe constituent un instrument puissant de


sédimentation de ces inégalités sociales. Plusieurs études ont montré que les processus
d’orientation scolaire accentuent en fait la relation entre origine sociale et carrière scolaire.
Ainsi, à compétences scolaires égales (mesurées par un test externe), les enfants de cadre ont
une probabilité de 22% supérieure à celle des enfants d’ouvriers d’accéder à la quatrième
année générale (Duru-Bellat, 1988). Cette étude est examinée en détail au cours, car elle est
éclairante à plus d’un titre : d’abord, elle concerne un palier crucial de la scolarité, équivalent
à la fin de notre premier degré et ensuite, parce qu’elle se fonde sur un indice neutre et externe
de la valeur scolaire des élèves, montrant ainsi que notre école n’est pas aussi
« méritocratique » qu’elle le prétend…

Une étude plus récente a étudié le jugement porté par des enseignants sur l’opportunité de
la poursuite d’une filière générale par un élève « moyen », pour lequel ils disposaient du
bulletin final de l’année antérieure. Ce jugement dépend fortement de l’origine sociale
annoncée de l’élève. Il « suffit » que l’élève soit présenté comme étant d’origine défavorisée
pour que la proposition d’orientation vers l’enseignement général baisse de près de 30%
(Mangard & Channouf, 2007).

FAGR M401 – M. Romainville 38 Notes de cours (2014-2015)


6.2.4 Les compétences de base
Enfin, un dernier type d’inégalités sociales face à l’école a trait aux différences d’acquis
scolaires entre élèves d’origines sociales différentes (Ministère de la Communauté française,
2004 ; Dupriez & Vandenberghe, 2004). Selon PISA en particulier (et indépendamment de
notre plus ou moins bon « score » moyen, cf. 3.8), c’est en Communauté française et en
Allemagne que les écarts de résultats selon le statut socio-économique des familles sont les
plus importants. D’ailleurs, si dans tous les pays le niveau socio-économique des parents est
prédictif du score des élèves, c’est de nouveau en Communauté française et en Allemagne que
ce lien est le plus fort : les variables socioculturelles prédisent chez nous, plus qu’ailleurs, les
résultats aux tests.

Autrement dit, notre école peine à être « méritocratique », à annuler l’effet des chances
inégales de départ de chacun et à assurer effectivement à tous « les mêmes chances
d’émancipation sociale », alors qu’il s’agit d’un de ses objectifs prioritaires (cf. 3.7). Une des
explications de ce phénomène inquiétant réside dans les structures mêmes de notre
enseignement et en particulier dans la très forte ségrégation que l’on y observe entre
établissements. PISA confirme d’ailleurs que la Communauté française et l’Allemagne se
caractérisent aussi par de très importantes différences de résultats selon les établissements.
Une sorte d’apartheid pédagogique s’est véritablement mis en place, cantonnant les élèves les
moins favorisés dans des établissements de relégation et leur offrant ainsi des occasions
d’apprendre moindres qu’aux autres.

Dans la plupart des pays, on constate de manière plus générale que les écarts de niveau
scolaire entre élèves d’origines sociales différentes ont tendance à s’accentuer depuis 20 ans,
signe donc que l’origine sociale pèse de plus en plus sur le niveau scolaire, autrement dit que
la démocratisation, de ce point de vue, est en recul (La Lettre de l’éducation, 591, 2008).

6.3 Genèse des inégalités sociales


Il est capital, dans ce cours d’agrégation, de s’interroger sur les facteurs qui freinent la
démocratisation et ceux qui génèrent les inégalités sociales face à l’éducation, de manière à
ouvrir des pistes de réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour les atténuer. Ces facteurs
sont bien sûr de natures diverses.

Bien sûr, une partie de ces facteurs sont extérieurs à l’école, comme l’inégalité des
richesses des familles. Ainsi, nous avons déjà signalé que la Suède est un des seuls pays qui a
réussi à diminuer les inégalités sociales face à l’école essentiellement par des politiques
externes au milieu scolaire : sécurisation des classes populaires, restriction de l’échelle des
revenus, politiques d’emploi et de redistribution égalisant les conditions de vie des familles,
amélioration des structures de garde des jeunes enfants homogénéisant leurs conditions de
développement (Duru-Bellat, 2006 ; Meuret & Morlaix, 2006).

Au départ, ce sont d’ailleurs les barrières institutionnelles et financières auxquelles se


heurtaient les jeunes de milieux populaires (cf. 3.3) qui ont retenu l’attention des études
cherchant à identifier la genèse des inégalités.

Ces barrières ayant été progressivement supprimées (gratuité, allocation d’études…), on


s’est ensuite tourné vers les obstacles culturels, notamment liés aux effets de
l’environnement familial. Au sein de la théorie de la reproduction en particulier (7.1), le
« capital culturel » des familles, détenu et transmis, va être considéré comme prépondérant.
En effet, la culture scolaire n’est neutre ni dans ses contenus ni dans ses formes (types de

FAGR M401 – M. Romainville 39 Notes de cours (2014-2015)


langage, de lectures, normes de comportements…). Certaines familles préparent mieux que
d’autres à cette culture scolaire : des élèves sont « chez eux » à l’école, parce qu’on y valorise
les mêmes choses, d’autres y restent des « étrangers de l’intérieur ». Les familles y préparent
de différentes manières :
§ par leur style éducatif familial ; les familles pratiquant un contrôle et un soutien
élevés (encouragement au travail scolaire, normes claires de comportement à la
maison et à l’extérieur, surveillance stricte des horaires et des contacts, importance
accordée au dialogue) ont des enfants qui réussissent mieux à l’école que les
familles « permissives » et les familles « autoritaires ». Ces familles, soit trop
permissives et relationnelles (papa et maman copains), soit trop autoritaristes,
n’assurent pas suffisamment les prémices des comportements disciplinés. Le style
d’éducation qu’elles offrent à leurs enfants ne colle pas à celui qui est valorisé à
l’école et qui suppose à la fois un respect du sursis et des limites et une capacité
d’autonomie assez importante. Une éducation familiale combinant astucieusement
encadrement minimal, soutien, disponibilité affective, culture explicite des talents
et encouragement à l’autonomie – telle qu’on la rencontre dans les milieux
enseignants, ce n’est pas un hasard (Da-Costa Lasne, 2012) – a un effet préparatoire
certain sur les comportements de l’enfant à l’école : il s’y retrouvera à l’aise,
comme un poisson dans l’eau ;
§ par leurs loisirs (le piano plutôt que le rugby…) et leurs pratiques culturelles (les
musées des Beaux-Arts plutôt que Walibi) ;
§ par leur suivi et leur accompagnement du travail scolaire (cours particuliers51,
accompagnement des leçons et des devoirs, achat d’encyclopédies, connexion à
Internet, …) ;
§ par des valeurs favorables à l’affiliation scolaire (goût de la culture gratuite,
politesse, sens de l’effort, apprentissage du délai, rapport distancié au langage
(Lahire, 1994)…)
§ par le développement d’aspirations élevées pour leurs enfants : on observe en effet
un phénomène d’auto-limitation des aspirations des familles socialement moins
favorisées.

Une observation fine des pratiques éducatives familiales (Lareau, 2009) montre que les
classes moyennes américaines sont obsédées par une sorte de culture volontariste des talents
de leurs enfants. Ils inscrivent ces derniers, dès le plus jeune âge, à une importante quantité
d’activités et de loisirs au nom de leur valeur éducative. De plus, au sein même de la famille,
ils surveillent en permanence l’activité de leurs enfants et interviennent dans un but
explicitement éducatif, notamment pour les préparer à entrer en interaction positive avec les
« institutions » (école, hôpitaux, cercles sportifs…). Les familles plus pauvres, tout aussi
« aimantes » vis-à-vis de leurs enfants, adoptent, quant à elles, une attitude de protection et de
soin, censée assurer le développement « naturel » de leurs enfants. Se trouvant eux-mêmes
dans une attitude de dépendance et de soumission aux « institutions », ils ne préparent pas
leurs enfants à se considérer et à se comporter comme des personnes ayant des droits et du
pouvoir sur leur vie.

51
De plus en plus de sociétés privées proposent désormais aux jeunes des cours de rattrapage et de
préparation aux examens. À titre d’exemple, une des dernières arrivées sur le marché en 2008 (EDUCADOMO)
demande 75 euros de frais de dossier et d’inscription et 27 euros par heure de cours. Aucun cadre légal n’entoure
jusqu’ici ce type d’activités. Le risque est évidemment d’en arriver à un système scolaire de plus en plus dual,
l’accompagnement scolaire voire la remédiation étant réservés aux familles disposant de revenus suffisants.

FAGR M401 – M. Romainville 40 Notes de cours (2014-2015)


De ce point de vue, nombreux sont ceux52 qui ont vertement critiqué l’ambition
« démesurée » de certains nouveaux programmes issus de l’approche par compétences (cf.
3.7.4). En complexifiant ainsi à outrance les exigences et en mettant la barre « trop haut »
sans s’assurer que les bases sont acquises (exemple, la simple chronologie en histoire), on
creuse le lit de la sélection sociale puisque seuls s’en sortiront les élèves très doués ou ceux
qui bénéficient chez eux d’un appui de haut niveau. Pour le dire plus cruellement encore
« L’école enseigne de telle manière qu’un enfant n’y brille que si sa famille l’instruit
autrement. » (extrait de la Lettre évoquée ci-dessus).

Enfin, on s’intéresse de plus en plus aux obstacles de nature institutionnelle tenant au


système scolaire lui-même : sélection précoce, absence de tronc commun long, hiérarchie
des établissements (cf. 6.2.4) et des filières aboutissant à la création d’un « quasi-marché »
scolaire au sein duquel :
§ les usagers « avertis » sélectionnent, puisqu’ils en ont la liberté en Belgique, les
meilleures écoles et les meilleures filières ;
§ les écoles cherchent à répondre aux attentes de leurs « clients », pour conserver leur
part de marché.

On s’aperçoit alors que l’école est aussi une partie du « problème » : ses structures mêmes
(cf. ci-dessus), mais aussi ses acteurs. C’est ainsi que l’on s’interroge, par exemple, sur les
« effets maîtres » et les « effets établissements », autrement dit les caractéristiques des acteurs
qui semblent être plus efficaces et plus justes que les autres (cf. deuxième partie). De là est
aussi né le souci d’instaurer une plus grande mixité sociale au sein des établissements et des
filières. Le Contrat pour l’école en fait même un de ses objectifs centraux (cf.3.10 et 3.11) 53.

Éclairages sur les débats actuels et sur le métier d’enseignant

1. Un des soucis de l’enseignant qui cherche à œuvrer à la démocratisation est de


mieux expliciter les trop nombreux implicites de l’école, autrement dit de
clarifier le contrat didactique : « En effet, les étudiants de classe cultivées sont
les mieux (ou les moins mal) préparés à s’adapter à un système d’exigences
diffuses et implicites puisqu’ils détiennent, implicitement, le moyen d’y
satisfaire. » (Bourdieu & Passeron, 1964, p. 113). De nombreuses pratiques se
sont développées (cf. cours de Psychopédagogie) dans ce sens au secondaire :
feuille d’objectifs, évaluation formative…
2. Une autre piste d’action réside dans le souci de développer, à l’école même, les
compétences méthodologiques dont la maîtrise constitue un gage de succès
scolaire : « En l’état actuel de la société et des traditions pédagogiques, la
transmission des techniques et des habitudes de pensée exigées par l’École

52
cf., par exemple, le numéro 6 de la Lettre de la fondation pour l’innovation politique, intitulée « Refonder
l’école » (http://www.fondapol.org/).
53
Cet aspect du Contrat illustre à merveille le fait que la société imprime ses marques à l’école. En effet si la
mixité sociale n’a guère progressé à l’école, comme le signale à juste titre le Contrat, on pourrait se demander si
elle a progressé ailleurs, dans le logement par exemple. Quant à la marge de manœuvre dont disposerait l’école
pour faire changer une structuration sociale bien ancrée, on se rend mieux compte de son étroitesse à la lecture
d’une des pistes envisagées par le document préparatoire au Contrat, qui relève du vœu pieux : « permettre aux
parents d’oser le choix de la mixité » ( !)

FAGR M401 – M. Romainville 41 Notes de cours (2014-2015)


revient primordialement au milieu familial. Toute démocratisation réelle suppose
donc qu’on les enseigne là où les plus défavorisés peuvent les acquérir, c’est-à-
dire à l’École. » (idem, p. 111). C’est ainsi que des efforts (cf. cours de
Psychopédagogie) ont été entrepris pour initier les élèves au résumé, à la prise de
notes, à la mémorisation,…
3. L’évaluation formative précoce est aussi essentielle dans toute politique de
démocratisation de l’école. En effet, il est particulièrement important de ne pas
laisser s’accumuler les difficultés des élèves défavorisés et de fournir rapidement
des informations en retour sur la qualité de leurs apprentissages, surtout à
destination de ceux qui seront peu suivis chez eux.
4. Une réflexion critique est aussi à mener sur les « pédagogies nouvelles », car
elles ont tendance à « favoriser les favorisés ». En effet, ces pédagogies
fonctionnent sur la base de valeurs peu familières aux familles populaires comme
l’égalité des personnes ou le rapport désintéressé au savoir. De plus, leur
organisation « invisible » est plus difficile à décoder et, en négligeant
l’évaluation, elles laissent s’accumuler les écarts. Enfin, elles ont tendance à
privilégier les objectifs de haut niveau et à mépriser le drill, la systématisation et
la structuration.
5. On devrait aussi s’interroger sur le contenu même de l’enseignement, en y
analysant notamment les rapports entre la culture dominante et la culture des
groupes minoritaires ou fragilisés.
6 Enfin, une réflexion critique devrait aussi porter sur les devoirs54 et travaux à
domicile et plus généralement sur l’accompagnement de la scolarité. En
particulier, il faudrait veiller à ce que les élèves disposent de l’ensemble du
matériel nécessaire à réalisation des devoirs et que le travail à domicile ne fasse
que prolonger ou renforcer des apprentissages déjà installés à l’école et ne soit pas
l’occasion de découverte « sur le tas » de compétences essentielles (e.g., la
synthèse). L’école peut également soutenir les parents via un guide ou des ateliers
afin de les aider à organiser et à encadrer leurs enfants dans la réalisation des
devoirs. La réinstauration d’études dirigées gratuites pourrait également venir en
aide aux « orphelins de 16 heures » (selon la célèbre expression de Nicolas
Sarkosy), c’est-à-dire à ces élèves qui sont livrés à eux-mêmes après l’école, sans
appui de leurs parents pour les aider à travailler et sans que ceux-ci ne puissent
leur offrir un accompagnement payant55.

54
D’autant que des études (Chouinard, 2006) ont montré que la quantité de devoirs n’est guère en relation
avec le rendement scolaire, surtout lorsque ces devoirs ne sont ni corrigés ni commentés. De plus, contrairement
à une idée reçue, les devoirs ne semblent pas favoriser le développement d’une discipline personnelle et le sens
des responsabilités, en tout cas en l’absence de supervision éclairée et structurée des parents.
55
Le développement du soutien scolaire extérieur à l’école est considérable : multiplication des écoles de
devoir (de 45 en 1990 à 210 en 2009), apparition de sociétés privées (par exemple, Educadomo, lancé en 2005,
comptait déjà 2.500 familles affiliées en 2009), multiplication des sites Internet spécialisés jusqu’au très douteux
« faismesdevoirs.com »… (Le Soir, 6 mars 2009)

FAGR M401 – M. Romainville 42 Notes de cours (2014-2015)


7. L’ÉVOLUTION DES ANALYSES THÉORIQUES
SUR L’ÉCOLE
7.1 Les théories classiques macro-sociologiques de la reproduction
Dans leur célèbre ouvrage « La reproduction » (1970), Bourdieu et Passeron présentent une
vision implacable de l’école, comme outil de reproduction des inégalités sociales. Cette
théorie a considérablement influencé la sociologie de l’école. Ces deux auteurs se proposent
de dévoiler la fonction réelle de l’école, à savoir la reproduction des rapports de domination
observés dans la société. L’école remplit d’autant mieux cette fonction qu’elle jouit d’une
autonomie relative (indépendance apparente des agents). Les classes dominantes réussissent
ainsi à reproduire, de génération en génération, leur dominance via les titres scolaires obtenus.
Comme elles ont su imposer, par une violence symbolique, leur arbitraire culturel, elles ont en
quelque sorte « naturalisé le social », en faisant croire que leurs enfants sortent légitimement
vainqueurs de la compétition scolaire, en fonction de leurs plus grandes compétences et de
leurs efforts.

Le schéma de pensée est bien connu (cf. schéma ci-dessous). Les inégalités sociales
engendrent, via la socialisation familiale différenciée, une forte inégalité de compétences et de
dispositions des enfants face à l’école (maîtrise des codes langagiers, vision du monde…).
Comme cette dernière ignore ces différences et, au contraire, traite tous les élèves comme
égaux en droits et en devoirs, elle ne peut aboutir qu’à observer, à la sortie, des différences
d’acquis scolaires (dont les titres et les qualifications) qui correspondent en réalité aux
différences sociales de départ. Les différences de réussite scolaires vont, à leur tour, justifier
et légitimer les positions sociales dominantes de celles et ceux qui détiennent les diplômes et
les titres scolaires les plus élevés. Au total, les structures sociales de départ auront été
reproduites via l’école. De plus, pour rendre encore plus légitime cette reproduction,
« l’idéologie du don » va convaincre les tenants de la compétition scolaire que les inégalités
finales d’acquis sont en définitive imputables aux dons de départ, inégalement répartis par
Dame Nature (cf. la bosse des maths) et que l’école est impuissante face à de tels
déterminismes « naturels ». Cette idéologie fait accepter comme justes des évaluations qui ne
font pourtant qu’entériner des inégalités sociales préexistantes.

Inégalités sociales (capital économique & culturel)


¯
Inégalités de compétences et de dispositions face à l’école
¯
Une école « indifférente aux différences »
¯
Inégalité de résultats scolaires (réussite, niveaux de sortie) ¬ « DONS»
¯
Légitime de la reproduction des inégalités sociales

Cette théorie massive, implacable et défaitiste a profondément marqué tous les discours sur
l’école et a même paralysé toute tentative d’analyse plus qualitative du fonctionnement de
l’école puisqu’elle « expliquait » ce fonctionnement par sa seule fonction globale de
reproduction sociale, ce qui est quand même assez réducteur.

FAGR M401 – M. Romainville 43 Notes de cours (2014-2015)


De plus, elle a largement participé au processus de « désenchantement de l’école » : alors
que l’école était considérée naguère comme l’agent le plus efficace de l’égalité sociale (cf.
Condorcet), la théorie de la reproduction dénonce le fait qu’elle est à tout le moins
« complice » de l’inégalité et de l’injustice. Sa légitimité est atteinte, une crise de confiance
s’ouvre. Un climat de doute et d’interrogation s’installe et pour la première fois depuis
longtemps, on doute qu’il faille encore développer l’enseignement (cf. l’ouvrage d’Ivan Illich
« Une société sans école »).

Il est, de ce point de vue, significatif que les deux documents récents de projet de loi
d’orientation sur l’école, au-delà des clivages politiques gauche/droite, partent d’un même
constat douloureux et jugé, par les deux textes, comme étant « grave » :

« Plus grave56 encore, chacun reconnaît que l’ascenseur social ne fonctionne plus dans la
société française. L’écart se creuse entre les chances de réussite des enfants des milieux les
plus favorisés et ceux dont les parents sont ouvriers, sans emploi ou d’origine étrangère.
L’origine sociale pèse lourd sur l’égalité des chances. » (Projet Fillon, 2005, p. 18)

« Notre système éducatif ne parvient pas à réduire des inégalités de résultats. Plus grave57,
il a tendance à reproduire ces inégalités. Il ne joue plus suffisamment le rôle d’ascenseur
social. » (Projet de Contrat stratégique, 2005, p.39)

La théorie de la reproduction a été dotée d’un tel pouvoir de séduction que les
confirmations empiriques ont été longtemps jugées superflues. Quand des chercheurs ont pris
la peine de la soumettre à l’épreuve des faits, on s’est rapidement aperçu que de nombreuses
observations semblaient infirmer ou, du moins nuancer, cette macro-théorie :

§ le lien entre les titres scolaires et les positions sociales existe, mais il semble plus
lâche et moins déterministe que ce que suppose la théorie de la reproduction (ex.
montée importante du chômage chez les jeunes fortement diplômés) ;

§ les normes scolaires dominantes ont quand même évolué au cours du temps (ex.
latin-grec puis mathématiques). Comment l’expliquer si l’arbitraire scolaire était
reproduit de génération en génération ?

§ Comment expliquer aussi la meilleure réussite scolaire des filles au sein d’un
système social où la domination masculine aurait dû, selon cette théorie, assurer sa
« reproduction » ?

§ De nombreuses « anomalies » ou trajectoires atypiques par rapport à ce modèle ont


été vite repérées (ex. Daverne, 2009) :

o des familles au capital culturel important ne parviennent pas à réunir ni le


temps (cadres surinvestis dans leur travail) ni les conditions (divorce,
mauvaises relations affectives…) pour le transmettre à leurs enfants qui
échouent dès lors à l’école ;

56
Souligné par nous.
57
idem

FAGR M401 – M. Romainville 44 Notes de cours (2014-2015)


o certaines de ces familles, a priori favorisées face à l’école, exercent sur
leurs enfants une pression trop forte les amenant à craindre de ne pas « être
à la hauteur » et en définitive à éviter la voie tracée, l’héritage étant trop
lourd à porter ;

o certaines de ces familles aisées ont parfois transmis leur capital culturel
selon des modes finalement très éloignés des formes de l’apprentissage
scolaire et qui ne les préparent donc pas au formalisme scolaire (ex.
« promenades libres » dans les musées) ;

o d’autres familles, au capital pourtant faible, font brillamment réussir les


leurs en développant des stratégies compensatrices (e.g., « survalorisation »
de la réussite à l’école chez les parents illettrés, en s’appuyant sur leurs
enfants pour régler des démarches administratives ou patrimoine culturel
détenu et trasmis, dans certaines familles populaires, par les frères et sœurs
aînés) ;

§ des écoles et des enseignants se montrent particulièrement efficaces à faire mentir


les prédictions de la théorie de la reproduction. Celle-ci sous-estime donc la marge
de manœuvre dont disposent les acteurs de l’éducation.

Dès le milieu des années 1980, on a dès lors estimé qu’on ne pouvait plus considérer
l’école comme un système monolithique imprimant sa marque partout, de la même façon et
inexorablement. La place et la marge de manœuvre des acteurs (parents, élèves, enseignants)
de l’école sont apparues comme loin d’être négligeables : chacun d’eux participe à
« construire » les parcours scolaires par ses actions spécifiques.

7.2 Les théories plus actuelles centrées sur l’acteur


En partie donc en réaction à la théorie de la reproduction, des analyses du rôle des acteurs se
sont développées surtout dans les années 1990. En filigrane de ces analyses, on retrouve une
conception « postmoderne » d’un sujet qui ne peut (et ne veut) plus se définir uniquement à
partir de ses rôles sociaux et construit résolument sa subjectivité. Il devient impossible
d’affirmer que le système détermine l’action de chacun. On reconnaît alors à l’acteur (élève,
enseignant, établissement) une capacité d’initiative et d’action sur sa propre vie et sur celle
d’autrui.

On a commencé alors à s’intéresser à la facette subjective de la vie scolaire. Par exemple,


on cherche à mieux comprendre comment les enfants de milieux différents construisent
activement leur « rapport au savoir » et comment les élèves vivent leur expérience scolaire
(cf. deuxième partie).

7.3 Que serait une école « juste » ?


En guise de conclusion, nous nous interrogerons sur ce que devrait faire l’école pour être
« juste », ou plus modestement pour être la moins injuste possible, essentiellement à partir
d’un ouvrage de Dubet (2004), un des meilleurs spécialistes de la question. L’originalité de
son approche est de considérer qu’au-delà de l’égalité de chances, première forme de justice
scolaire, notre école moderne doit inventer et assurer d’autres types de justice.

FAGR M401 – M. Romainville 45 Notes de cours (2014-2015)


7.3.1 L’égalité méritocratique des chances
L’égalité des chances selon le mérite est la forme la plus ancienne de justice scolaire. Elle
découle d’un principe de base de nos sociétés démocratiques, que l’article 6 de la Déclaration
des droits de l’homme a formulé : « Tous les citoyens étant égaux, sont également admissibles
à toutes dignités, places et emplois publiques selon leur capacité et sans autre distinction que
celles de leurs vertus et de leurs talents ». Même si ce principe est longtemps resté lettre
morte pour l’école secondaire, on a cherché, dès le milieu du XXe siècle, à ce que les élèves,
libres et égaux en droit, aient au départ les mêmes chances de réussite face à l’école.

Cette égalité des chances est censée établir des inégalités sociales justes, peu
contestables : les élèves disposant des mêmes chances au départ, il est légitime que ceux qui
« réussissent », grâce à leur mérite (aptitudes et effort) occupent les places les plus adaptées à
leurs compétences. Elle permet donc de concilier deux principes fondamentaux : l’égalité
entre les individus et la nécessaire division du travail dans nos sociétés modernes.

La notion de mérite est au centre de cette première conception de « l’école juste ». Cette
notion connaît un succès considérable dans nos sociétés marquées par l’individualisme car
elle permet de se penser comme « propriétaire de soi-même et de ses productions » et comme
responsable de ses choix et donc de son avenir (Savidan, 2007). Pourtant, il n’est pas sûr que
le mérite soit strictement individuel. L’individu n’est d’ailleurs jamais totalement propriétaire
de son mérite, de ses talents, de ses compétences, voire de ses dispositions. Même les dons
innés d’un individu n’existent que potentiellement et ne viennent à maturation que sous
certaines conditions assurées par d’autres (ses parents, ses enseignants...). Le « mérite scolaire
» en particulier ne constitue bien souvent que la transformation de déterminants sociaux en
talents personnels58.

Par ailleurs, une stricte application de l’égalité méritocratique des chances voudrait que
tous les enfants partent exactement du même point, ce qui supposerait qu’ils aient été éduqués
par des parents également compétents et dans des conditions matérielles, intellectuelles,
sociales et affectives proches ou que ces enfants aient été retirés à leurs parents et éduqués
collectivement, comme l’avait proposé Platon… On voit bien l’absurdité du propos et donc le
caractère fictif de cette première forme d’égalité59.

D’ailleurs, alors que la massification avait assuré que les conditions d’une telle égalité
soient réunies, les résultats ont été décevants : de profondes inégalités sociales persistaient à
l’école (cf. point 6). La seule égalité des chances ne produit donc pas l’égalité des résultats.
On s’est alors aperçu que « l’arbitre n’est pas impartial » : l’école « truque » la compétition
scolaire qui devrait révéler le pure mérite des élèves. Par exemple, l’école traite moins bien
les élèves les moins favorisés, en les concentrant dans des établissements plus « difficiles » et
en leur offrant dès lors moins de chances d’apprendre. On a déjà évoqué toute la perversité de
cette sélection sociale désormais interne à l’école et qui apparaît dès lors « juste » : ceux qui y

58
Rawls, un des grands théoriciens actuels de la « justice », écrit ainsi que « La mesure dans laquelle les
capacités naturelles se développent et arrivent à maturité est affectée par toutes sortes de conditions sociales et
d’attitudes de classe. Même la disposition à faire des efforts, à essayer d’être méritant, au sens ordinaire, est
dépendante de circonstances familiales et sociales heureuses. » cité par Savidan (2007), p. 259.
59
Toujours selon Rawls, « le principe de l’équité des chances ne peut être qu’imparfaitement appliqué, du
moins, aussi longtemps qu’existe une quelconque forme de famille », cité par Savidan (2007), p. 259

FAGR M401 – M. Romainville 46 Notes de cours (2014-2015)


échouent n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, ils avaient l’occasion d’y réussir, ils n’ont pas
saisi leur chance, tant pis pour eux.

Tout en affirmant donc ce premier principe d’égalité des chances, mais en sachant qu’il
s’agit largement d’une fiction nécessaire, l’école se doit donc de poursuivre un autre projet :
l’égalité distributive des chances.

7.3.2 L’égalité distributive des chances


L’école, dans ce deuxième projet, reconnaît que la seule affirmation de l’égalité de tous au
départ ne suffit pas et qu’il lui appartient dès lors de mieux « distribuer » les chances. Elle
doit d’abord veiller à une meilleure égalité de l’offre : moins de disparités sociales entre
établissements, moins de regroupements d’élèves défavorisés, moins de classes homogènes. Il
faudrait aussi qu’elle assure une plus grande transparence de l’offre : si vraiment l’école est
un quasi-marché, tous les « consommateurs » devraient être également avertis de son
fonctionnement (ex. importance du choix des options).

Elle devrait, de plus, donner plus et surtout mieux à ceux qui ont moins. C’est ainsi que
les établissements en discrimination positive bénéficient de normes d’encadrement plus
favorables. En CfB, les subsides de fonctionnement des écoles sont désormais calculés non
seulement en fonction de nombre d’élèves (comme auparavant), mais aussi en fonction de
leur origine socio-économique. Chaque élève est en effet « indicé » en fonction du quartier où
il est domicilié. Le Contrat pour l’école suggérait d’aller plus loin en utilisant aussi cette
banque de données pour calculer l’encadrement professoral attribué à chaque école. Évoquée
à la va-vite en deux courtes lignes assez hermétiques en fin de document, cette mesure était
pourtant l’une des plus révolutionnaires du Contrat.

L’école n’est donc plus autorisée à se murer derrière une apparente « indifférence aux
différences » : elle doit au contraire réserver aux élèves un traitement différentiel selon la
singularité de leur histoire. Poussée jusqu’au bout, cette logique peut aboutir à une politique
des « quotas », comme celle qu’une Grande École française (Sciences Po) pratique
désormais : quelques places sont réservées à des élèves de ZEP qui bénéficient d’un
encadrement et d’une aide spécifique.

7.3.3 L’égalité des acquis de base


En imaginant que l’école réussisse à mettre en œuvre ces deux premiers projets, aurait-on à
faire à une école enfin « juste » ? Pas encore complètement si le sort réservé aux vaincus,
même s’ils sont été triés « justement », semble « injuste ». En effet, les inégalités engendrées
par une compétition juste sont acceptables tant qu’elles ne dégradent pas la condition des
moins favorisés (cf. inégalités des salaires qui ne peuvent affecter un salaire minimum). Par
exemple, une école au sortir de laquelle les meilleurs, même s’ils ont été sélectionnés
« justement », connaîtraient cent fois plus de choses que les moins bons ne serait pas encore
considérée comme « juste ».

On s’intéresse donc, dans cette troisième conception de l’école juste, à ce qui est dû à tous
les élèves, indépendamment de leur réussite et de leur échec. Une école « juste » devrait, dans
cette conception, assurer que tous les citoyens maîtrisent un socle commun de connaissances
et de compétences.

Cette culture commune constitue l’essentiel à faire acquérir aux uns et, pour, les autres,
elle doit plutôt représenter un tremplin pour aller plus loin dans les études. Elle ne doit donc

FAGR M401 – M. Romainville 47 Notes de cours (2014-2015)


pas être conçue comme un nivellement par le bas ; comme dans les domaines sportifs et
culturels, les pratiques de masse de qualité accroissent en même temps la qualité des élites.
Cet aspect est socialement crucial, car à chaque fois que cette idée de « socle » resurgit, elle
est associée dans l’espace public et médiatique au spectre du « nivellement par le bas ». Pa
exemple, lors des débats précédant les présidentielles de 2007 en France, Nicolas Sarkozy
s’est élevé contre « l’égalitarisme » en tant que « logique absurde du nivellement qui tire
toute la société vers le bas » et en tant que « politique qui consiste à déshabiller Pierre pour
habiller Paul ».

Si cette idée de « socle commun » est finalement assez ancienne60, elle ne figure au rang
des finalités politiques explicites que depuis les années 1990. Les diverses tentatives
d’installer ce socle ont toutes buté sur la redoutable question de son contenu : que devrait
obligatoirement garantir à tous les élèves l’école obligatoire ? C’est ici que les ennuis
commencent… (Le Monde de l’éducation, janvier 2005). Certains penchent pour un « socle »
instrumental, composé de « modes de pensée et de savoir-faire fondamentaux »
indispensables à la maîtrise de toutes les matières scolaires. Edgar Morin propose, quant à lui,
« 7 thèmes » : la condition humaine, l’identité terrienne… La Commission européenne
suggère de définir le socle par des compétences clés : la « numéracie » (!), la littéracie… Plus
récemment, le socle du collège français a été redéfini autour des axes suivants : les langages
fondamentaux (français, langues vivantes, numérique…) ; apprendre à apprendre ; formation
de la personne et du citoyen ; l’Homme et le monde, les sciences et les techniques ; l’activité
humaine dans un monde en évolution.

Chaque proposition de socle reçoit sa volée de bois vert, souvent corporatiste. Ainsi, quand
un ministre (Fillon) a suggéré d’inscrire « la pratique d’au moins une langue vivante
étrangère » dans le socle, l’association des enseignants d’arts plastiques s’est demandé
pourquoi ne pas inclure aussi « au moins un art » et le lobby des professeurs d’éducation
physique a réclamé « au moins une discipline sportive »…

7.3.4 L’égalité des effets sociaux


Enfin, une quatrième exigence d’une école juste pourrait être posée : si les trois projets décrits
ci-dessus arrivaient à être mis à exécution, il resterait à s’interroger sur l’effet, juste ou non,
des inégalités scolaires sur les inégalités sociales et sur le caractère « juste » de ces dernières.

En effet, une école qui aurait justement sélectionné les meilleurs, en ayant assuré à tous
une égalité des chances de départ, et qui procurerait à ces « élus », par les diplômes obtenus,
tous les avantages possibles en termes d’emploi, de salaire, de pouvoir et de carrière ne serait
pas encore considérée comme totalement juste.

On pourrait ainsi viser à une plus grande séparation des sphères de justice, les inégalités
scolaires n’entraînant pas aussi automatiquement et aussi fortement des inégalités
économiques et sociales. Il est peut-être injuste que les diplômes, même obtenus
« justement », commandent aussi étroitement les carrières et que la diversité de carrières
entraîne des conditions de vie trop différentes. Certains en appellent dès lors à une
« déscolarisation » de la société, qui ferait que tout ne se joue plus complètement et

60
On fait souvent référence à la célèbre phrase de Jules Ferry (1880), assignant à la nouvelle école primaire
obligatoire l’objectif suivant : « Ne pas embrasser tout ce qu’il est possible de savoir, mais bien apprendre ce
qu’il n’est pas permis d’ignorer. »

FAGR M401 – M. Romainville 48 Notes de cours (2014-2015)


définitivement à l’école. Au minimum, il s’agirait d’offrir davantage d’occasions de « retenter
sa chance », par exemple par le biais de l’enseignement de promotion sociale ou par celui de
la formation professionnelle. Trop d’école tue l’école (Dubet, Duru-Bellat et Vérétout, 2010).

Plus fondamentalement, de plus en plus d’auteurs critiquent la notion d’égalité des chances
(une synthèse de ces critiques a été réalisée par Savidan en 2007), notamment parce qu’elle se
fonde sur un raisonnement trop individuel et qu’elle ne peut suffire à constituer un idéal
collectif. Il ne suffit en effet pas de proclamer que chacun a eu les mêmes chances au départ
pour organiser une société, encore faut-il se demander à quel idéal collectif on souhaite
aboutir en termes de bien commun. Pour le dire de manière plus directe, une société juste
n’est pas seulement une société au sein de laquelle les individus auraient la possibilité de
s’affronter « à armes égales »…

Par ailleurs, une école juste doit aussi traiter les vaincus de manière juste : éviter les
jugements portés sur les personnes, offrir à chacun un domaine dans lequel il puisse briller.
Chaque élève doit être reconnu comme tel et traité comme un sujet singulier. Un des rôles de
l’école est aider tous les élèves à grandir, ce qui devrait la pousser à n’humilier personne et à
convaincre chacun de sa valeur, parfois en dehors du champ des seules connaissances
« scolaires ». Pour le dire autrement, l’école doit aussi s’attacher à former des individus
indépendamment de leurs « performances » et de leurs « mérites » dans les domaines
scolaires. On doit rappeler que l’école ne peut avoir pour mission première de produire une
société plus juste (c’est à la société elle-même de poursuivre cet objectif), mais qu’elle doit
surtout éduquer, produire un monde plus humain et que ses finalités doivent être pensées en
termes pédagogiques d’épanouissement et de formation personnelle, notamment du citoyen.

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FAGR M401 – M. Romainville 52 Notes de cours (2014-2015)


TABLE DES MATIERES
1. NATURE SOCIALE DE L’ÉDUCATION ............................................................................................ 3
1.1 UNE DÉFINITION SOCIALE DE L’ÉDUCATION (DURKHEIM) ................................................................. 3
1.1.1 Une « socialisation de la jeune génération » ................................................................................... 3
1.1.2 Réfutation d’une définition « idéale » et universelle ........................................................................ 3
1.1.3 Une double fonction sociale : unifier et diversifier .......................................................................... 3
1.1.4 Une vision fonctionnaliste et positiviste de l’éducation ................................................................... 3
1.1.5 Une éducation morale triple… correspondant à l’école de l’époque .............................................. 4
1.2 NATURE ÉMINEMMENT SOCIALE DE L’ÉDUCATION ET DONC DE L’ÉCOLE .......................................... 4
ÉCLAIRAGES SUR LES DÉBATS ACTUELS ET SUR LE MÉTIER D’ENSEIGNANT .......................................................... 5
2. GENÈSE DE L’INSTITUTION SCOLAIRE ............................................................................................ 7
2.1 CRÉATION DES UNIVERSITÉS MÉDIÉVALES (XIIE – XIIIE SIÈCLES) ............................................................. 7
2.2 FORMATION DES « COLLÈGES » (XIVE – XVE SIÈCLES) ............................................................................. 7
2.3 CRÉATION DE LA « FORME SCOLAIRE » (XVE ET XVIE SIÈCLES) ............................................................... 8
ÉCLAIRAGES SUR LES DÉBATS ACTUELS ET SUR LE MÉTIER D’ENSEIGNANT .......................................................... 9
2.4 LA RÉVOLUTION FRANÇAISE : L’INSTRUCTION PUBLIQUE POUR TOUS (CONDORCET) ............................. 10
2.5 LE SIÈCLE D’OR DE LA PÉDAGOGIE : LE XIXÈME ....................................................................................... 10
3. COURTE HISTOIRE DU SECONDAIRE EN BELGIQUE .................................................................. 12
3.1 LA LIBERTÉ D’ENSEIGNEMENT (1831), À L’ORIGINE DE LA « GUERRE DES RÉSEAUX » ........................... 12
3.2 LA SCOLARITÉ OBLIGATOIRE ET GRATUITE JUSQUE 14 ANS (1914-1921) ................................................ 14
ÉCLAIRAGES SUR LES DÉBATS ACTUELS ET SUR LE MÉTIER D’ENSEIGNANT ........................................................ 15
3.3 GRATUITÉ, MASSIFICATION ET DÉMOCRATISATION DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE .......................... 15
3.4 L’ENSEIGNEMENT « RÉNOVÉ » (1971) .................................................................................................... 17
3.5 LA COMMUNAUTARISATION DE L’ENSEIGNEMENT (1988) ....................................................................... 19
3.6 LE DÉCRET « MISSIONS » (1997) ............................................................................................................. 20
3.7 L’APPROCHE PAR COMPÉTENCE (2001) ................................................................................................... 21
3.8 LA MONDIALISATION « PÉDAGOGIQUE » ................................................................................................. 21
3.9 VERS UNE RESTAURATION ? .................................................................................................................... 23
3.10 LE CONTRAT POUR L’ÉCOLE (2005) ...................................................................................................... 25
3.11 LA SAGA DES DÉCRETS « INSCRIPTION » ET « MIXITÉ » (2007-2010) .................................................... 25
4. LES DÉFIS ACTUELS DE L’ÉCOLE ..................................................................................................... 27
4.1 LUTTER CONTRE LES « SAVOIRS MORTS » ............................................................................................... 27
4.2 RÉPONDRE AUX BESOINS D’UNE « SOCIÉTÉ DU SAVOIR » ET D’UNE « ÉCONOMIE DE LA CONNAISSANCE »
............................................................................................................................................................................ 28
4.3 UNE ÉCOLE DE LA RÉUSSITE .................................................................................................................... 30
4.4 DÉMOCRATISER L’ENSEIGNEMENT .......................................................................................................... 32
4.5 REDONNER DU SENS AU TRAVAIL SCOLAIRE............................................................................................ 32
5. STRUCTURE ET ACTEURS DE L’ENSEIGNEMENT EN CF ........................................................... 34
5.1 LES STRUCTURES ..................................................................................................................................... 34
5.2 LES ACTEURS ........................................................................................................................................... 34
6. LES INÉGALITÉS SOCIALES DE CARRIÈRE SCOLAIRE ............................................................. 35
6.1 DÉMOCRATISATION ? .............................................................................................................................. 35
6.2 BREF ÉTAT DES LIEUX DES INÉGALITÉS SOCIALES FACE À L’ÉCOLE......................................................... 36
6.2.1 L’accès ............................................................................................................................................ 37
6.2.2 La réussite....................................................................................................................................... 37
6.2.3 Les parcours ................................................................................................................................... 38
6.2.4 Les compétences de base ................................................................................................................ 39
6.3 GENÈSE DES INÉGALITÉS SOCIALES ......................................................................................................... 39
ÉCLAIRAGES SUR LES DÉBATS ACTUELS ET SUR LE MÉTIER D’ENSEIGNANT ........................................................ 41
7. L’ÉVOLUTION DES ANALYSES THÉORIQUES SUR L’ÉCOLE ............................................... 43
7.1 LES THÉORIES CLASSIQUES MACRO-SOCIOLOGIQUES DE LA REPRODUCTION .......................................... 43
7.2 LES THÉORIES PLUS ACTUELLES CENTRÉES SUR L’ACTEUR ..................................................................... 45

FAGR M401 – M. Romainville 53 Notes de cours (2014-2015)


7.3 QUE SERAIT UNE ÉCOLE « JUSTE » ? ........................................................................................................ 45
7.3.1 L’égalité méritocratique des chances ............................................................................................. 46
7.3.2 L’égalité distributive des chances .................................................................................................. 47
7.3.3 L’égalité des acquis de base ........................................................................................................... 47
7.3.4 L’égalité des effets sociaux ............................................................................................................. 48
RÉFÉRENCES ................................................................................................................................................ 49
TABLE DES MATIERES .............................................................................................................................. 53

FAGR M401 – M. Romainville 54 Notes de cours (2014-2015)

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