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Bulletin de psychologie

Sociologie de l’éducation et éducation sociale


A. Vial

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Vial A. Sociologie de l’éducation et éducation sociale . In: Bulletin de psychologie, tome 15 n°203, 1962. pp. 618-623;

doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1962.8673;

https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1962_num_15_203_8673;

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A. VIAL

Sociologie de l’éducation
et éducation sociale

Tout d’abord nous nous emploierons à élu¬ termes de nos réflexions, doit permettre d’es¬
cider l’expression « Sociologie de l’Education », pérer une définition enrichie de la Sociologie
qui n’est simple qu’en apparence, ainsi qu’il de l’éducation.
arrive souvent lorsque se nouent des vocables *

de nature différente.
Ce n’est, en effet qu’en apparence que l’ex¬ « L’Ecole est proprement la société des en¬
pression « Sociologie de l’Education » définit fants : une société d’un certain genre, bien
clairement et distinctement son objet (éduca¬ distincte de la famille, bien distincte aussi de
tion) et ses méthodes (sociologie). En un sem¬ la société des hommes. Beau sujet pour le
blable problème, les méthodes et les fins ne sociologue ». Ainsi s’exprimait, le 10 août 1925,
peuvent être séparées sans courir de risques un philosophe et un maître qui fut un manieur
graves, en particulier sur le plan éthique. Quoi d’idées et un meneur d’âmes : Alain.
qu’il en soit, l’éducation déborde, dans notre Un examen du programme des établisse¬
propos, le champ cependant divers des écoles, ments où s’élaborent une sociologie cependant
des classes, ensembles pédagogiquement orga¬ alerte, une analyse des traités ou revues spé¬
nisés où, pour le principal de leur temps, des cialisées, semble prouver que cette suggestion,
élèves sont préparés à des examens définis vieille de plus de 35 ans, n’a pas été suivie
par des maîtres spécialisés dans cette tâche; d’effets : la pédagogie n’a pas bénéficié des
nous aborderons en-deçà et par-delà ces écoles, recherches de la sociologie — alors qu’elle a
tous les milieux familiaux, professionnels et hérité des efforts et des apports des psycho¬
humains où, plus ou moins consciemment, plus logues et des médecins ; ce n’est pas simple
ou moins systématiquement, s’opère une pro¬ hasard si tant de novateurs de la pédagogie
motion de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte sont, par exemple, des médecins. Il importe de
lui-même et ce dans tous les domaines : phy¬ souligner combien cet enrichissement est con¬
sique et esthétique ; technique et mental ; forme aux aspirations d’une époque qui s’ap¬
moral et social. C’est à ces problèmes, c’est à pelle le siècle de l’enfant et aux impératifs
ces milieux que nous appliquerons les ensei¬ d’une civilisation qui fait de l’homme (et à plus
gnements et méthodes de la sociologie : que forte raison de l’enfant) la valeur première.
ces milieux soient traduits en termes de grou¬ Mais la densité de cette influence exige un
pes sociaux où régnent une spécification des complément : M. le Professeur Debesse a mar¬
tâches, une interaction profonde et féconde qué combien « individualisation et socialisa¬
des éléments et de l’ensemble, une solidarité tion sont deux processus solidaires ». « Le
organique et ce sera une esquisse de socio monde n’est pas un fantôme » écrit Fénelon,
pédagogie ; qu’il s’agisse d’orienter ces milieux au début de son traité sur l’Education des
vers une préparation plus efficace, surtout de Filles. L’école ne forme pas des êtres abstraits;
méthodes, aux insertions qui attendent l’en¬ elle prépare des hommes, des femmes qui se¬
fant — et ce sera une esquisse d’éducation so¬ ront — qui sont déjà en situation. Sans doute
ciale ; qu’il s’agisse enfin de définir les rap¬ convient-il d’atténuer la rigueur dogmatique
ports qu’entretiennent, ou pourraient entre¬ du jugement de Durkheim ramenant l’éduca¬
tenir, d’institution à institution les milieux tion à une socialisation des jeunes générations
que nous appellerons éducationnels — et ce au par les plus anciennes. Au moins admettra
nom même de l’unité objective que représente t-on un impératif que des observateurs sagaces
le monde extérieur mais plus encore au nom répètent à la manière d’une objurgation.
de l’unité psychologique que représente l’en¬ Eduquer c’est prévoir. L’enseignement serait
fant devenant et devenu homme. Ce qui, aux une catastrophe s’il formait des êtres inadap
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tables aux conditions de vie et de travail en toutes ces asurances et une conception abs¬
commun qui leur seront offertes ou imposées. traite de l’éducation — forger un homme qui
Faute d’une efficacité terminale au moins re¬ serait de tous les temps — est pleine d’apai¬
lative, toute recherche en matière d’éducation sement. Au contraire l’avenir est-il seulement
est une duperie, toute application pédagogique prévisible ?
une hypocrisie. Aucun programme ne saurait définir ce qu’il
Dans cet ordre d’idées et d’actions, il en est en serait de la société, des groupes sociaux
comme de l’art lui-même dont la moralité, dit en l’an 2000 : il suffit de lire ce que disait
Ulde, consiste dans un parfait usage. Moralité très contradictoirement de l’humanité future
et eficacité constituent deux critères de toute d’une part M. Berthelot dans un discours de
éducation digne de ce nom : c’est seulement 1894, et, d’autre part Valéry dans ses « Regards
leur union qui en chacun de nous concilie la sur le monde actuel », pour être plongé dans
vocation et la cause — qui, dans la vie, conci¬ la perplexité. Au reste pourquoi préparer les
lie, réconcilie l’individu et le groupe condam¬ hommes de l’an 2000 plutôt que ceux de l’an
nés à cohabiter. A la fois normative et réaliste, 1980 ou 2020 ? Le problème posé dans ces
l’éducation ne tend ni à préfabriquer des termes est insoluble mais est-il bien posé
êtres conditionnés à un milieu déterminé — comme il convient? Si une extrapolation ne
et, pour mieux dire, déterminant ; ni à for¬ peut nous rassurer sur les détails de l’existence
mer des individus incapables de devenir de future il se trouve que l’analyse sociologique
bons chefs de famille, des ouvriers conscien¬ dégage précisément des constantes souvent
cieux, des citoyens éclairés. E. Mounier a plus asurées que les permanences physiques
montré que le but idéal de l’éducation est elles-mêmes. Nous ne pouvons traduire un
l’avènement d’une personne et que celle-ci se ordre de connaissances et acquérir les détails
définit comme un être consciemment et har¬ de la vie future, mais ne serait-ce pas une
monieusement inséré dans ce que nous nom¬ erreur de l’école que de faire de ces connais¬
merons les groupes naturels ou légitimes ; sances son gibier d’élection? Les sociétés de
Moreno a prouvé que bonheur et efficacité l’avenir attendent non des actionnaires vi¬
naissaient, précisément, de l’harmonie de cette vants datés de l’an 1960 prolongé (ou 1930 re¬
insertion sociale. Et le sociologue Bougie avait conduit) au contenu nécessairement inadapté
souligné que dans, la forme supérieure d’une ou démodé, mais des hommes qui n’auront ni
société démocratique de promotion humaine, la tête encombrée par des faits désuets, ni
l’enrichissement et l’émancipation de la per¬ l’âme inquiète devant un nouvel abordage.
sonne naissaient de la présence du même indi¬ En fait, entre un enseignement exclusive¬
vidu dans des groupes différents à des degrés ment verbal conceptuel, décroché de l’exis¬
divers de position. tence (celle d’hier et à plus forte raison celle
Ainsi il est nécessaire d’inclure ces obliga¬ de demain) et un pointillisme de science fic¬
tions sociales dans les impératifs de l’éduca¬ tion, il y a place pour un enseignement effi¬
tion. Les difficultés n’en subsistent pas moins cace, une voie royale qui autorisera tous les
dans l’application même de ces principes irré¬ engagements et toutes les adaptations. C’est
futables. l’expression même qu’employait, voilà 300 ans
Une conception strictement réaliste de l’édu¬ passés, un humble prêtre qui était un grand
cation et une pression aisément abusive du maître, J. Meslier.
groupe peuvent entraîner une amputation du C’est, en fait, la définition que donne à la
respect plus que jamais irrévocable de la per¬ culture générale et ouverte J. Chateau dans
sonne humaine. De plus, il est difficile pour un un livre récent.
éducateur de s’arracher « à la fascination du Ce qui importe, autant à l’écolier de main¬
passé ». C’est d’autant plus difficile que, par tenant qu’à l’homme de plus tard, c’est une
préjugé intellectualiste, chacun croit avoir fait solide infrastructure mentale, faite d’outils
son apprentissage de pédagogue durant les assurés, de facultés saines, de méthodes effi¬
douze à dix-huit années qu’il a passées comme caces — et par là, il accède à cette intelligi¬
élève dans les écoles : n’est-ce pas ce qui bilité qui est la forme rationnelle d’une socia¬
explique pourquoi en deux siècles les manuels bilité raisonnable. Peut-être la culture est
d’orthographe ont beaucoup plus changé que elle sur ce plan, que nous appellerons d’équi¬
la manière d’enseigner l’orthographe ou plu¬ pement mental, ce qui reste quand on n'a
tôt la dictée. L’éducation devrait être en encore rien appris, qu’on va avoir tout à ap¬
avance d’une génération. Or, G. Berger le prendre ?
rappelle : un maître de 50 ans enseigne ce Ce qui importe, c’est une grande souplesse
qu’il a appris il y a trente ans à des jeunes d’esprit et cette faculté d’adaptation, comme
qui s’en serviront dans dix ans. Dans son l’affirme H. Wallon, une forme majeure de
Traité du Caractère, E. Mounier a pu reporter l’intelligence ; c’est aussi le moyen de s’in¬
plus d’une vocation pédagogique au regret sérer avec bonheur dans des situations nou¬
d’une enfance perdue ; si bien ajoutait-il, que velles, dans des groupes divers en protégeant
des éducateurs destinés à tourner l’enfant notre personne, ces aptitudes du moi social
vers l’avenir regardent systématiquement vers dont parlent les psycho-pédagogues, ce pro¬
le passé. Le passé (que l’on ne saurait d’ail¬ blème des transferts auquel J. Chateau attache
leurs congédier impunément) est riche de une importance légitime.
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Ne croyons pas que tout soit à faire dans dualisé et le travail coopératif. M. Gai remar¬
l’ordre de ces obligations. quait, dans son dernier ouvrage, que l’un et
Remarquons, tout d’abord que l’enfant est l’autre font conjointement défaut. Une action
tout naturellement un être social: ses jeux volontaire décidée à l’intérieur d’une équipe
en réponcfent, où il s’affirme cet être des hori¬ permet à chacun d’exprimer pleinement la
zons, des élans en avant, dont parle Jean Cha¬ vocation parcellaire et qui a suscité son choix
teau. L’ensemble des milieux éducationnels — de s'exprimer pleinement selon cette voca¬
souscrit aussi aux mêmes impératifs, au moins tion parcellaire ; faire et en ce faisant, se
implicitement : le rôle de la famille, surtout faire — et en se différenciant se définir.
nombreuse, est évident. Comme celui de l’école L’être ne donne d’ailleurs son sens parfait
par le simple fait de la découverte par l’en¬ à cet apport personnel que selon un ensemble
fant d’un milieu social qui réclame une nou¬ qui est l'œuvre de l’équipe tout entière : ainsi
velle définition des relations entre les êtres. la fierté de Jacques dont parle A. Daudet
Les camarades, compagnons d’obligation, sem¬ quand il voyait la locomotive fabriquée par
blent avoir moins de prix que les frères ; mais son atelier. La personne se déploie dans le
il n’en est point ainsi de cette catégorie so¬ groupe dont l’unité est faite de cette conver¬
ciale absolument nouvelle, l’ami, premier objet gence d’efforts individuels différenciés. Nous
d’élection. Quant au maître, c’est un autre voilà à l’opposite de la classe où, selon
personnage que le père ; mais la contrainte A. France, Mlle Jenseigne versait de la science
elle-même, la pression de l’ensemble sur cha¬ dans 40 petites fioles, passives et interchan¬
cun préfigure d’autres contraintes, d’autres geables. Le travail en groupe — qui est inci¬
pressions — comme l’ordre et la discipline demment le remarquable champ d’observation
scolaires préfigurent d’autres acceptations. sociologique — peut soulever des difficultés
Nous pourrions, à ce propos, renverser la pro¬ d’applications au regard des servitudes maté¬
position d’Ardant du Picq, faisant de la socia¬ rielles, des obligations nées des disciplines
bilité la moitié de la discipline ; la discipline abstraites dans le programme encyclopédique
est sans aucun doute la motié de la sociabilité. d’examens individualisés et analytiques. Il
L’ordre et la discipline scolaire préfigurent comporte des chances sans égal d’éducation
d’autres acceptations de même que l’autonomie sociale.
morale croissante de l’enfant et de l’adolescent
Et cette formule peut même s’étendre à l’ac¬
annonce déjà le bon usage de la liberté par tion morale. Avec les enfants, volontiers géné¬
l’adulte. Il suffit au maître de tendre vers
reux mais peu éclairés, il importe souvent
cette émancipation progressive de l’enfant, de d’éviter la fanfaronnade de la vertu, un for¬
l’assortit d’une aception des charges de la malisme vaniteux dans lequel versent des pra¬
vie en commun pour que la classe soit un tiques aussi recommandables que la bonne
moyen idéal d’éducation sociale. action. Une activité en équipe exorcise ce tra¬
Premier champ de recherches, réflexions, vers et elle permet d’étaler les charges, d’as¬
applications : le groupe éducatif, la classe s’ef¬ souplir les actions, nous allions dire de renou¬
forçant de réaliser en soi une cohésion plé¬ veler les mérites. Nous rendrons compte à ce
nière qui s’acompagne du respect des parti¬ sujet d’une expérience menée dans le quartier
cipants (n’est-ce pas la meilleure définition parisien de la Goutte-d’Or sous la forme d’un
d’un groupe social ? ) . compagnonnage scolaire, ce que nos pères au¬
Nous n’accepterons pas sans réserve, nous y raient appelé une fraternité.
reviendrons, les conclusions de l’école socio Ces méthodes vaudront évidemment pour
métrique du Dr Moreno. Au moins reconnaî¬ cette autre forme d’éducation sociale, la pré¬
trons-nous le mérite d’une analyse concrète, paration à la vie et au travail dans les groupes
par quoi il faut commencer, permettant d’étu¬ ultérieurs. Nous aurons à préciser les limites
dier objectivement le milieu scolaire, ses tra¬ d’une préparation au méier au plus tôt des
ditions ; de définir la multiplicité des choix incitations qui peuvent susciter une vocation
qui sont permis, des relations actives ou réac¬ professionnelle mais, par delà l’homme de mé¬
tives qui s’établissent entre les élèves et le tier nous viserons surtout au métier d’homme.
maître, entre les écoliers eux-mêmes, entre Nous insisterons donc davantage sur l’éveil
l’individu et le groupe pensé comme tel. Et des vocations de loisirs.
aussi l’intérêt d’une certaine définition de la L’intérêt est double : d’une part, tout en évi¬
santé mentale d’un être socialisé : une concor¬ tant à la fois le vagabondage et l’idée fixe
dance aussi parfaite qu’il se peut entre les exi¬ ou l’action observante, multiplier les insertions
gences de son affectivité, ses besoins, appé¬ de l’enfant dans des groupes divers pour ac¬
tits, vocations diverses et les fonctions — croître en même temps sa sociabilité (esprit)
Moreno dirait les rôles — qu’il assume dans et sa faculté d’adaptation (méthodes) ; d’autre
les groupes. part lui permettre de découvrir, d’essayer des
L’adaptation du milieu scolaire à l’enfant, formules d’intérêts pour l’existence qui l’at¬
l’individualisation de l’enseignement et le tra¬ tend, de s’ouvrir autant sur l’avenir — c’est
vail en équipe doivent favoriser cette harmo¬ un propos récent de M. J. Brosse — qu’il s’ap¬
nie. Que l’on ne croit pas qu’il y ait incompa¬ puie sur le passé. M. Dottrens l’engageait vers
tibilité entre ces divers moyens d’action, par¬ la vie commune dans un milieu social rénové.
ticulièrement entre un enseignement indivi¬ De toute façon il faut admettre que l’huma
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nisme consiste non dans la mise en condition Le milieu scolaire est dans toute cette ac¬
sociale d’un être au profit d’un milieu social tion de valeur exemplaire. Mais, ainsi que
défini mais précisément pour éviter certains l’écrit dans 1’ « Educateur » du 1-3-61 M. Frei
risques d’esclavage ; la possibilité de prises de net, — dont le rôle sera fréquemment souli¬
possession conscientes et volontaires des di¬ gné — «la notion d’éducation déborde aujoür
verses positions sociales offertes à l’homme. d’hui l’école pour s’intéresser à la permanen¬
Ce qui ne saurait signifier ni l’aliénation à un ce de la culture. L’Education sera fonction¬
milieu déterminé, ni la dislocation de la per¬ nelle, générale, humaine, ou elle ne sera pas ».
sonnalité dans une succession de jeux où C’est souligner l’importance de cette troisiè¬
l’être insuffisamment instruit de l’envers du me direction de recherches que nous ferons
décor du mécanisme du jeu ne présente aucune qu’esquisser : la solidarité pédagogique des
cohérence propre, aucune pérennité. institutions de formation sociale.
A plus d’un titre, le versant immanent de Là encore le tableau
n’est pas aussi neutre
l’humanisme se définit par une multiplicité de qu’il y paraît : en dehors de l’école elle-même,
systèmes de références — qui garantit, à la se développent des institutions efficaces. La
lois, la cohérence de la personne et la liberté formation préscolaire a été clairement définie
de ses engagements. A ce double propos, les dans ses aspects les plus bénéfiques par M.
plus riches insertions sont celles qui resultant l’Inspecteur général Herbinière au XXIVe Con¬
a’un libre choix, satisfont, sans difficulté grès. IL de Genève en juillet dernier. L’infor¬
excessive d’adaptation les vocations d’un être. mation que nous appellerons parallèle, multi¬
Les activités de loisirs seront peut-être le der¬ plie ses apports sous les formes de l’imprimé.
nier refuge de la liberté et de la personne, L’éducation permanente et la promotion so¬
en un temps où croissent les pressions de la ciale sont des institutions nées avec nous
mécanisation, de l’urbanisation, de la bureau¬ comme la formule organisée des relations hu¬
cratie. Il convient donc de présenter ses possi¬ maines, ce que Montaigne appelait plus sim¬
bilités d’intérêt et d’action surtout aux en¬ plement la fréquentation du monde.
fants, encore ouverts, perméables, curieux de C’est évidemment en termes sociologiques
toute activité qui les engage, surtout si cette que s’analysent ces différents milieux et, fait
activité les éloigne, comme dit Alain, « de ce non moins important leur interaction parfois
qui est enfant ». Comme à l’école portugaise oppositionnelle, parfois concourante. Mais
ae Coimbre où la vie du monde est rapportée c’est toujours selon un ordre normatif que les
à l'échelle enfantine, les activités de loisirs activités de ces milieux seront appréciés, adap¬
reprendront les buts, les méthodes, la termino¬ tés aussi bien à la nature de l'enfant qu’aux
logie même des actions correspondantes des fins de l’éducation sociale; nous traiterons
adultes, les professeurs spécialisés et les pères plus particulièrement de ces derniers. En re¬
de famille compétents étant associés à cette tour, la définition de certaines méthodes, de
œuvre nécessaire entre toutes qui trouve un certains programmes, peut-être même de cer¬
cadre meilleur encore dans les mouvements de tains examens s’en trouveront modifiés —
jeunesse ou organisations d’éducation phy¬ sans doute dans l’esprit des classes nouvelles
sique populaire ; ainsi une relative maîtrise et du cycle d’observation nouvellement créé.
des méthodes acompagnera l’orientation et Les institutions scolairés entre autres pour¬
l’éducation du goût. L’essai des moyens audio¬ ront s’alléger de connaissances stériles ou
visuels ne sera pas moins précieux à ce propos. fugaces, profiter des apports de la formation
Même si ces moyens n’avaient pas d’efficacité préscolaire de l’éducation permanente et de
pédagogique au regard de la compréhension et la promotion sociale. Elles et tous les autres
de l’acquisition des faits, leur insertion dans milieux éducationnels pourront s’appuyer, de
les groupes éducatifs serait nécessaire à l’édu¬ plus en plus, sur une science qui s’affirmera
cation sociale d’un être qui sera plus tard en avec le temps, son propre domaine : la Pros¬
proie à ces moyens d’expression, * d’infor¬ pective.
mation.
Il n’est pas indifférent pour l’école de savoir
Pour soutenir et coordonner ces entreprises que 25 % de ses écoliers resteront à la terre,
au profit de l’unité du milieu éducatif, une que 30 % gagneront les classes ouvrières. Or,
méthode, une institution non moins précieuse la mécanisation croissante de l’agriculture, le
de formation sociale peut s’imposer à la coo¬ progrès technique, le développement des syn¬
pérative; nous montrerons les remarquables dicats, des coopératives agraires tout com¬
possibilités de l’enseignement au sujet de la mande le maintien volontaire, dans les classes
formation civique, concrète, souvent négligée ouvrières et paysannes, d’une élite fonction¬
allant en l’espèce jusqu’au système de délé¬ nelle. Comment concilier cet impératif avec
gation démocratique et à la formule d’auto¬ cet autre, non moins pressant : permettre
gestion, jusqu’à la prise de conscience de ces à chacun quelle que soit son origine sociale
faits, plus efficace que n’importe quel indi¬ d’accéder à l’élite intellectuelle du pays. Il se
vidu le groupe n’est cependant riche que de peut que précisément, l’essai de nouvelles mé¬
ce que ses membres lui ont apporté, lui appor¬ thodes et formes d’activité, dès l’école du pre¬
tent, qu’il n’est de droits que pour ceux qui mier degré, donne de l’enfant une meilleure
ont pris part aux obligations de la vie en connaissance, découvre aussi des valeurs per¬
commun. sonnelles différentes de celles qui, à la fin de
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cette école du premier degré déterminent les 1951 : Bureau français de C.S.I. est ratta¬
qualités d’un employé de commerce ou d’en ché à l’Institut Pédagogique.
registrement; ce n’est pas simple coïncidence Par ailleurs l’U.N.E.S.C.O. a reconnu l’utilité
si c’est l’I.M. du 19-10-60 sur le cycle d’obser¬ d’une telle institution dans la confrontation
vation qui a développé cette idée qu’il n’y générale des cultures et des peuples. C’est
avait pas hiérarchie des intelligences, que l’in¬ pourquoi dès 1946 elle patronne la F.I.O.C.E.S.
telligence du type manuel valait l’intelligence (Fédération Internationale des Organisations
du type intellectuel (l’intellectualité, pourrait de Correspondances et d’Echanges Scolaires).
on dire). « Le bien public, l’honneur de la Par l’entremise des Bureaux Nationaux qui
nation demande qu’on institue une éducation rayonnent, le Service entretient des contacts
civile qui prépare chaque génération naissan¬ avec toutes les nations et y recrutent des cor¬
te à remplir avec succès des différentes pro¬ respondants pour la jeunesse française.
fessions de l’Etat ». (La Challotais).
II. — Modalités
A. — CORRESPONDANCE SCOLAIRE Elles visent :
INTERNATIONALE a) l’âge des enfants qui doivent avoir au
moins 12 ans (la classe de cinquième semble
Existence de deux systèmes : être la classe de prédilection pour nos acti¬
A. Correspondance scolaire internationale vités sociales;
(C.S.I.). b ) les formes :
— bilingues (les 9/10 du total) ;
Correspondance
B. interscolaire.
— unilingues : visant surtout les écoles
« L’échange de lettres et de documents entre d’Outre-Mer;
personnes éloignées est une très ancienne ac¬ c) les méthodes : généralement codifiées :
tivité humaine, née de besoins affectifs ou — liaisons administratives internes : minis¬
pratiques. Il appartenait à notre temps d’en tère des A.E.
faire application à la pédagogie », écrit Roger — liaisons administratives externes : Unes¬
Gai. Mais la découverte de certains textes de co, services culturels;
Jésuites, datés du 16ï siècle, témoignent déjà — assortiment des listes de volontaires (se¬
de cette pratique. Quoiqu’il en soit c’est un lon les âges, niveaux, milieux, goûts);
mouvement qui mérite d’être étudié dans son mise en contact : fiche d’information, en¬
histoire, puis dans ses modalités. tente sur l’emploi de la langue;
— déroulement : parfois création d’un cli¬
I. — Historique mat auditif direct au moyen d’une bande de
magnétophone.
A la suite de conférences faites aux Etats d) rôle du maître : de toute première impor¬
Unis, à la fin de la première guerre mondiale tance. Celui-ci doit être constamment en
par le juriste G. de la Pradelle, les jeunes alerte. C’est une tâche difficile qui réclame
Américaines écrivirent spontanément, à de la maîtrise de certaines techniques. Il doit
petites Françaises inconnues, leur enthousias¬ veiller à éviter les difficultés d’assortiment,
me de la victoire commune. Le gouvernement de démarrage, de ténacité et les déviations
français, fort embarrassé par ces lettres sans politiques ou religieuses.
destinataire, confie à M. Garnier, Professeur,
puis Inspecteur général de langues vivantes, III. — Avantages
le soin de les répartir : il va répandre dans
le corps enseignant ses idées sur les bienfaits La langue n’est que l’expression d’un génie
national, elle est indissociable des réalités
pédagogiques d’une correspondance scolaire
méthodiquement menée par les élèves, sous concrètes qui la conditionnent : c’est ainsi
la direction discrète des professeurs. En 1922 que la C.S.I. participe dans une très large
M. Garnier fonde un bureau subventionné par mesure à la «culture»; les intérêts culturels
le Ministère des Affaires étrangères (petite viennent alimenter l’intérêt purement linguis¬
pièce du vieux Musée Pédagogique). Le mou¬ tique et scolaire. De plus il n’est pas de meil¬
vement se développe très rapidement sur le leure façon de familiariser l’adolescent avec
plan international (S.D.N.). Cependant la des notions morales (tolérance, probité, etc.).
guerre vient provoquer la régression brutale Les faits prennent une nouvelle coloration hu¬
de l’institution. maine; l’affectivité des enfants y aidant, se
1945, renouveau d’enthousiasme avec la Li¬ développe un sens de la solidarité et de la
bération; dans le désir de reprendre leur cor¬ compréhension.
respondance interrompue, 100.000 enfants de — expression d’amitié humaine,
France viennent s’inscrire au bureau. La large — moyen d’éducation civique,
participation des établissements scolaires à la — élargissement des horizons, tels sont les
bienfaits d’une C.S.I.
manifestation organisée en 1950 au grand am¬
phithéâtre de la Sorbonne pour fêter les 30 IV. — Formules sociales
ans de la C.S.I. mit en évidence la place que
la C.S.I. occupait au sein de renseignement a) les clubs :
français et mondial. Le premier, St Jean d’Angely, fonde un club
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ardent des « Céesssistes », où ont lieu des mêmes mais pour leurs correspondants; les
réunions amicales et culturelles, des exposi¬ devoirs changeaient de sens et bientôt de na¬
tions, des fêtes annuelles animées, au vivant ture. Quel entrain, et quel enthousiasme pour
folklore. la lecture, à leur arrivée, des imprimés de
b) classes associées : nos petits amis ».
Souvent les classes de 5e et 6e s’entendent
pour créer une liaison entre elles. Le travail II. — Technique Freinet
en équipe devient la loi. Nous trouvons celui
ci sous la forme d’enquêtes, albums, exposi¬ Les écoles qui désirent participer aux échan¬
tions, etc... Nous pouvons illustrer cette réa¬ ges sont incorporées dans une ou plusieurs
lité par un exemple : il s’agissait d’une en¬ équipes de huit classes. La constitution de ces
quête menée à la suite d’un questionnaire pré¬ équipes est fondée sur les besoins et les désirs
paré par un groupe de jeunes filles de la des écoles qui la composent. Chaque fois que
classe préparatoire au concours d’entrée de l’on imprime un texte on en produit un de plus
l’E.N. Krimars. Le sujet proposé portait sur pour l’école correspondante. Chaque école dé¬
deux siècles d’histoire commune la période signe un élève responsable chargé de l’envoi
anglo-normande de 1066 à 1204; 5 élèves alors et de la réception du courrier. Mais pour ren¬
se sont chargé de la composition du question¬ dre cette correspondance plus étroite on éta¬
naire et de la polycopie, une autre équipe de blit un nouveau système avec la création d’un
dépouillement, de classement, de la traduction correspondant régulier. Ainsi chacune des
des documents reçus; enfin la réalisation de deux classes possède deux livues de vie », le
l’album, sa décoration et sa reliure concer¬ sien et celui du correspondant régulier. Don¬
naient une autre équipe. La plus grande ému¬ ner, recevoir, nous avons là matière pour une
lation a saisi les écoliers des deux côtés de véritable psychologie de l’échange. L’intérêt
la Manche pour redécouvrir tous les trésors est à son comble : même les parents y parti¬
d’un héritage commun. cipent... Pour les enfants c’est une sorte d’ac¬
cession à des plaisirs de grands. « Echanges
B — CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE de colis, envoi de crêpes bretonnes d’un côté,
d’oranges et d’olives de l’autre, expéditions
C’est dans le cadre national que ces échan¬ de jouets et de photos, concours, nous avaient
ges ont également lieu. C’est pourquoi Céles montré tout ce que nous pouvions attendre
tin Freinet fonde « l’Imprimerie à l’école », d’une telle technique.
susceptible d’apporter dans une classe des
possibilités nouvelle d’activité et des raisons III. — Avantages
d’intérêt fonctionnel. « Le fait seul pour l’en¬
fant de voir sa pensée coulée dans le métal La technique Freinet établit une sorte de
et capable de déborder sous une forme ma¬ philosophie qui oblige l’enfant à aller die
jestueuse et impressionnante le cercle réduit l’émotion au fonctionnel, du formel au réel, de
de ses parents et de ses camarades exalte la l’égocentrique au social. On remarque que
personnalité, encourage l’observation, l’expé¬ l’enfant n’accomplit plus un exercice, un de¬
rimentation et l’expression, modifie profon¬ voir, mais s’intégre dans une oeuvre : dans
dément en définitive l’atmosphère de la clas¬ la forme écrite on se raconte, on évolue, on
se ». « Ainsi la correspondance interscolaire répond, on demande toujours quelque chose.
est le complément indispensable, qui motive Par l’échange l’élément prend une vie antici¬
notre activité en lui apportant le sens social pée. Tout ceci rejoint la grande loi psycho¬
qui déborde la scolastique et hausse notre logique, « à savoir que l’on travaille toujours
effort jusqu’à la compréhension et à l’efficien¬ pour quelqu’un ».
ce de l’humanité ». « Avec la correspondance
interscolaire vous touchez une corde nouvelle CONCLUSION
dont les vibrations ne feront que s’amplifier
et dont les conséquences scolaires et sociales Ainsi, par delà les avantages pédagogiques,
sont incalculables; c’est une véritable trou¬ il y a surtout ce sentiment vif de l’humain,
vaille pédagogique ». les grandes idées qui viennent par le jeu, par
Ainsi s’exprime C. Freinet lui-même. des images, images familières qu’employait
Montaigne par exemple, pour expliquer l’ami¬
I. — Historique tié qu’il vouait à La Boetie « parce que c’était
lui, parce que c’était moi » ou encore par cet
1925 : Correspondance régulière entre les idéal dont rêvait Kleiss, pour symbole de
deux petites écoles de Bar-sur-Loup et de Vamitié, qu’un jour, tous les enfants du mon¬
Trégunc (Finistère). C’est une expérience dé¬ de puissent se donner la main.
cisive : « il n’eut guère depuis d’échanges plus
suivis ni plus enthousiastes » affirme C. Frei¬ Notes prises par S. Sarfatti; revues par M. -
net. « Les enfants n’écrivaient plus pour eux Vial.

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