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A l’Ecole, sociologie de l’expérience scolaire

François Dubet et Danilo Martuccelli

1-Présentation des auteurs

François Dubet est professeur de sociologie à l’Université de


Bordeaux et directeur d’étude à l’Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les
mouvements sociaux, les problèmes urbains, la marginalité
juvénile, la délinquance, l’école, la socialisation, le travail et la
théorie sociologique. Ses travaux portent actuellement sur les
théories et les sentiments d’injustice.
Danilo Martuccelli est chargé de recherche au CNRS. Ses
travaux portent essentiellement sur la théorie sociale et la
sociologie politique mais aussi sur des thèmes plus spécifiques
comme l’école, le racisme ou le populisme.
A l’école, sociologie de l’expérience s’inscrit dans la suite
logique de Les lycéens de François Dubet publié en 1991, en
allant plus loin car les auteurs s’intéressent à l’ensemble du
système scolaire depuis le primaire jusqu’au lycée. A travers
cette recherche, F. Dubet s’appuie sur sa théorie de la
sociologie de l’expérience afin de montrer les différentes étapes
de la construction de la subjectivité de l’élève, thème auquel
est associé D. Martuccelli qui s’intéresse à la construction de
l’individu dans la société moderne.

2-Présentation générale de l’ouvrage

L’objectif de ce livre est de répondre à la question « Que


fabrique l’école ? » (p 11). L’école est ici considérée comme un
« appareil de production » (p 11) produisant des acteurs
sociaux et des sujets. Cette question se pose alors que l’école
comme institution formant des acteurs sociaux adhérant aux
normes et des « sujets autonomes et critiques, des citoyens
rationnels et libres » (p 12) disparaît au profit d’une école
ressemblant à un marché où se joue des stratégies visant à
s’approprier des qualifications scolaires plus ou moins rares.
Dans ce contexte, l’apprentissage de rôles sociaux clairement
établis ne fait plus sens dans une société en continuel
changement. C’est la capacité à maîtriser l’expérience scolaire
qui importe, c’est-à-dire à combiner les différentes logiques du
système scolaire entre elles, à savoir : « l’intégration de la
culture scolaire, la construction de stratégies sur le marché
scolaire, la maîtrise subjective des connaissances et des
cultures qui les portent. » (p 13).
Pour répondre à cet objectif, une recherche empirique a été
menée sur trois ans dans différents niveaux (primaire, collège,
lycée général et technologique, lycée professionnel) et sur
différents acteurs (élèves, enseignants, parents d’élèves et
spécialistes de l’enfance et de la jeunesse, tels que les
psychologues scolaires, CPE et COP). De plus, il s’est révélé
important de comparer des établissements au recrutement issu
de milieu populaire et ceux issu des couches moyennes. Pour
cette recherche, il a donc été constitué quatorze groupes afin
de respecter toutes les variables. La méthode utilisée est
l’intervention sociologique mettant le groupe dans une situation
de parole face à des interlocuteurs (chercheurs, étudiants,
parents…) dans le but de faire émerger les expériences du
groupe mais aussi de les pousser à produire une analyse sur
leurs expériences. De plus, des entretiens individuels ont aussi
été conduits.

La première partie de l’ouvrage montre qu’à partir des


mutations de l’école (massification) mais aussi des mutations
de la société (chômage, inadéquation emplois / diplômes), on
ne peut plus considérer l’école comme une institution.
Autrement dit, elle ne peut plus remplir ses trois fonctions
principales, à savoir : « une fonction de distribution » (les
diplômes comme positionnement hiérarchique), « une fonction
éducative » et « une fonction de socialisation » (p 23-24).
Aujourd’hui la socialisation ne peut plus être le seul résultat
d’une transmission de valeurs et de normes par l’école, mais la
manière dont l’individu construit ses expériences scolaires c’est-
à-dire, sa capacité à s’adapter à son environnement et sa
capacité à s’individualiser, à devenir un sujet autonome. En
conséquence, la sociologie classique ne peut plus rendre
compte des processus de socialisation. Le concept d’expérience
scolaire permet par contre d’appréhender la manière dont les
acteurs combinent les « diverses logiques d’actions » qui
structure le monde scolaire qui sont : « l’intégration »
(l’appartenance sociale), « la stratégie » (l’école perçue comme
un marché), et « la subjectivité » (la capacité à se former
comme sujet) ( p 62-65).

Les trois parties suivantes vont décrire et analyser les


expériences scolaires des élèves, des enseignants et des
parents d’élèves aux niveaux du primaire, du collège et du
lycée. Quant à la dernière partie, elle positionne la sociologie de
l’expérience scolaire dans l’histoire de la sociologie de
l’éducation. Il en ressort que la formation des acteurs sociaux
est double. D’abord, « c’est une socialisation dans laquelle les
individus intériorisent des normes et des modèles » (p 327),
ensuite, c’est une subjectivation où les individus prennent une
distante par rapport à ces modèles. Or, ces deux processus ne
sont pas vécus dans la continuité mais sont à la source de
tensions, de contradictions que l’élève doit intégrer dans son
expérience. Ainsi, il n’existe pas une trajectoire scolaire mais
des trajectoires.
L’expérience des écoliers semble vécue sur un fort principe
d’intégration. Le principe de socialisation domine le principe de
subjectivation. Le primaire se présente donc comme un monde
de conformisme et uniforme du côté de tous les acteurs. A ce
niveau l’école remplit le rôle de l’institution. S’il y a
individuation, elle se construit sur le mode du rejet à travers la
moquerie.
A cet espace unifié du primaire, le collège apparaît comme
éclaté. Tout d’abord, l’autorité ne va plus de soi, le statut de
professeur ne suffit plus à installer l’ordre, il doit y aller de sa
personnalité. Ensuite, le sens des études est absent de
l’expérience des collégiens. Enfin, la culture adolescente s’érige
soit contre la culture scolaire soit en dehors. Le « bon collège »
apparaît comme le lieu de tensions et de contradictions que les
élèves tentent de réduire au moyen de la face. Cependant, ces
tensions entre la vie scolaire et la vie sociale semblent plus
atténuées étant donné la continuité entre le milieu culturel et la
culture scolaire. Les collégiens de cet établissement présentent
un rapport à l’école très utilitariste. Les identifications sont
directement liées aux jugements des catégories scolaires
donnant une image de soi très négative aux mauvais élèves de
cet établissement sans autres recours possibles. Dans
« l’établissement populaire », les modèles de performance
scolaire et d’études longues sont les mêmes que dans le « bon
collège », cependant, la distance entre le monde scolaire et le
monde social amène les élèves à résister à l’école. Cette
résistance s’exprime au travers de la frime (mécanisme
cristallisé de la face) et n’est pas sans souffrance car il leur est
difficile de mettre en place des projets d’avenir et un vide se
fait ressentir. Les élèves se trouvent aliénés au système
scolaire qui ne leur donne pas d’autres moyens de
subjectivation que les catégories scolaires. Ainsi, au collège,
l’expérience se complexifie et est dominée par des clivages
autant du côté des élèves que du côté des professeurs.
L’entrée au lycée se singularise par le jeu des orientations qui
marque une sélection des plus performants et rejette les autres
selon une hiérarchie fine des filières de formation. L’expérience
lycéenne devient de plus en plus complexe. La finalité des
études apparaît plus claire et le projet devient central. Les
contextes et les parcours scolaires se diversifient, notamment
en fonction du milieu social. Les auteurs relèvent différentes
figures lycéennes en fonction du milieu social. Elles se
caractérisent par un rapport différent aux études et à l’école et
rendent compte d’un processus de subjectivation différent. Le
lycéen tente de se construire comme sujet selon différentes
modalités, cela peut être par l’école ou en dehors de celle-ci
(les petits boulots). Autant le lycéen peut devenir un sujet
autonome, autant il peut être aliéné par la culture scolaire.
C’est cette partie sur l’expérience lycéenne qui fera l’objet
d’une analyse plus détaillée dans la partie suivante.

La dernière partie de cet ouvrage relate la place de la sociologie


de l’expérience scolaire au sein de l’histoire de la sociologie de
l’éducation. Trois grands moments rendent compte de
l’évolution de la sociologie de l’éducation. Le premier, sous le
modèle de la « paideia fonctionnaliste » (p 304) décrit les
différentes fonctions de l’école. L’école doit permettre
l’intégration des nouvelles générations dans la continuité
sociale au moyen de l’accès à « l’universel de la science et de la
raison » (p 304). L’école a pour rôle de sélectionner les plus
performants (méritocratie) et enfin, l’école se doit
d’accompagner le développement psychique et moral de
l’individu (construction d’un sujet critique). Suite à la
massification de l’enseignement, ce modèle s’est montré
critiquable à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la culture n’est
pas neutre, elle ne fait que refléter la distribution des pouvoirs
dans la société (Bernstein). Deuxièmement, la démocratisation
scolaire n’a fait qu’apparaître une école renforçant les inégalités
sociales (Boudon). Enfin, l’école ressemble plus à un appareil
de contrôle qu’à un système rendant les sujets plus autonomes
(G. Vincent). A ces critiques, un contre-modèle se basant sur la
théorie de la reproduction s’est construit (Bourdieu et
Passeron). Ces dernières années, les auteurs remarquent un
déclin de la critique. Aucun nouveau modèle intégré ne se
construit. Des études plus microsociologiques viennent
alimenter la critique en étudiant un aspect spécifique des
inégalités scolaires (l’effet des politiques publiques, l’effet
établissement, l’effet classe…). La sociologie de l’expérience
scolaire peut donc apparaître comme un nouveau modèle car
même s’il s’agit de partir de la subjectivité des acteurs, elle
nous renseigne sur des mécanismes objectifs qui constituent le
système scolaire.

3-Analyse d’une partie : L’expérience lycéenne.

Par rapport au collège, l’expérience lycéenne se complexifie. La


multiplication des filières rend compte de trajectoires
différentes en fonction des individus. Le lycée peut être pour
l’élève le moment de construction de sa subjectivité comme il
peut être vécu comme le sentiment de sa destruction et de son
incapacité. Malgré la diversification des expériences, les auteurs
relèvent quatre types de figures lycéennes qui ne sont pas
évidemment exhaustives. Ces figures se présentent comme une
hiérarchie entre ceux qui maîtrisent leurs expériences scolaires
et ceux qui sont aliénés à celle-ci.

Pour les « vrais lycéens » (p 256), les études vont de soi. Il y a


une grande continuité entre leur culture sociale et la culture
scolaire. Leur vie juvénile correspond aux aspirations culturelles
de l’école, ainsi, les loisirs ne sont qu’un espace de plus investi
pour améliorer leurs performances scolaires. Cependant, la
compétitivité peut se révéler très stressante pour ces élèves.
Pour les « bons lycéens » (p 257), futures classes moyennes,
les études prennent sens par rapport à leur utilité. Ils
entretiennent un rapport très instrumental à leur scolarité en
développant une rationalité d’investissements scolaires en
fonction des coefficients. Ils vivent leur jeunesse de manière
indépendante du lycée. Les « nouveaux lycéens » (p 257) se
retrouvent dans une situation paradoxale dans le fait qu’ils sont
souvent la première génération à continuer leurs études dans le
secondaire mais sans que cela se traduise par une mobilité
sociale car ils sont dans les filières les moins prestigieuses.
Dans les lycées professionnels se trouvent les « futurs
ouvriers » (p 258) qui soit, acceptent l’enseignement
professionnel et se construisent dans une socialisation
professionnelle, ou alors, résistent et considèrent le lycée
professionnel comme un lieu d’attente contre le chômage.
Evidemment, le processus de subjectivation ne dépend pas
seulement du milieu social mais aussi de la capacité du jeune à
devenir acteur de son expérience scolaire et ceci n’est pas
réservé aux classes favorisées. Le travail de subjectivation
dépend donc des conditions sociales, des ressources internes de
l’individu mais aussi des tensions inhérentes à son expérience.
En effet, on ne peut s’affirmer comme sujet que dans la
capacité à dire non. Ainsi, le « vrai lycéen » par son expérience
homogène peut très bien repousser ce processus de
subjectivation comme le réaliser en intégrant son expérience.
Dans l’école d’aujourd’hui, la subjectivation ne peut plus être
construite dans la continuité de la socialisation par l’école mais
plutôt par la distance entre ces deux processus. Ce phénomène
tient du fait que l’école n’est pas animée par un « modèle de
l’homme » (p 269) au sens humaniste du terme. Dans cette
absence de modèle, vient coexister deux conceptions de
l’individu, l’une portée par la performance et l’autre fondée sur
l’expression. Loin de former deux conceptions
complémentaires, ces deux individualismes auraient plutôt
tendance à s’opposer. Ainsi, le lycéen est pris entre deux
grands soucis, celui de former un projet scolaire qui demande
une maîtrise des stratégies scolaires et celui de développer son
authenticité dans le domaine personnel.
De fait, nombre de lycéens sont aliénés au système scolaire.
Les auteurs repèrent trois formes d’aliénation. La première est
une aliénation aux catégories scolaires. Dans l’échec, l’élève est
seul responsable car le système scolaire en affirmant l’égalité
des chances ramène l’échec à un manque de travail. La
seconde forme d’aliénation apparaît autour de la notion de
projet. D’une part, plus les résultats scolaires sont faibles, plus
le projet se fait pressant et plus se ferme l’univers des
possibles. D’autre part, l’orientation étant basée en grande
partie sur les résultats scolaires, certains se retrouvent orientés
« par défaut ». Ainsi l’orientation peut être vécue comme un
parcours chaotique défaisant les rêves des élèves. Enfin, la
troisième forme d’aliénation est due à l’absence d’intérêt
intellectuel et de projet qui rend les études vides de sens. Ceci
amène les élèves à un sentiment d’absurdité où le but du
parcours scolaire est uniquement de rester scolarisé.
Il apparaît que les jugements scolaires sont au cœur de la
problématique de subjectivation et plus les jugements sont
négatifs, plus il est difficile de s’en dégager parce que non
seulement ils peuvent créer une image négative de soi mais ils
entraînent également des conséquences que les élèves ne
peuvent pas maîtriser sur leurs projets. Dans ces conditions,
d’autres formes de subjectivation en dehors de l’école peuvent
amener l’élève à se détacher de ces jugements scolaires. Elles
peuvent prendre la forme d’une passion telle les loisirs
pratiqués en dehors de l’école qui peuvent amener une
valorisation du jeune (musique, sport…), c’est aussi le
développement des petits boulots à côté de la scolarité qui
représentent une autre manière de prouver sa valeur. La
subjectivation peut également se construire sous la forme d’une
revanche sur l’école comme peut être observé le clivage en
lycée professionnel entre les enseignements généraux où les
élèves sont en conflit avec l’enseignant et les enseignements
professionnels qui peuvent permettre une socialisation
professionnelle. Toutefois, il est possible de trouver un autre
mode de valorisation de l’élève que les jugements scolaires à
l’intérieur même de l’école comme le montre l’expérience d’un
lycée qui en développant la citoyenneté a construit une
alternative aux seuls jugements scolaires.

4-Conclusion

Du primaire au lycée se forme un parcours de formation de


l’individualité. La première étape se caractérise par un fort
conformisme au maître et au groupe de pairs. Une deuxième
étape passe par l’éclatement des logiques d’actions provocant
de fortes tensions et une grande dissociation entre la
socialisation et la subjectivation. Enfin, la dernière étape se
veut une tentative de conciliation des diverses dimensions de
l’expérience autour du projet. « L’expérience scolaire est
dominée par la distance entre socialisation et la
subjectivation » (p 331) rendant compte de l’opposition entre la
demande de rationalisation du côté scolaire et la demande
d’authenticité du côté personnel. Entre aliénation et
subjectivation, le système scolaire trace de véritables frontières
sociales. Si l’école n’est pas la seule fautive dans les inégalités
sociales, il faut bien voir qu’elle contribue à leur cristallisation.
Dans un principe d’égalité des chances, les auteurs proposent
des axes de travail. Le premier consiste à renforcer l’autonomie
des établissements pour qu’ils s’adaptent au mieux à leur
public, le statut d’EPLE constituant une avancée dans ce sens,
mais il s’agit aussi de mettre en place une désignation élective
des chefs d’établissement afin de favoriser l’animation collective
des personnels. Le second principe affirme « il faut donner plus
à ceux qui ont moins » (p 340) que F. Dubet a modifié en
« Donner autant à ceux qui ont moins »1. Il s’agit de pratiquer
l’équité, comme les individus des classes défavorisés ont moins,
il faut répartir les moyens en les favorisant. La politique des
ZEP participe de ce principe d’équité. Une troisième solution
serait de multiplier les critères d’excellence afin que le
jugement scolaire puisse être relativisé par les élèves. Enfin, ils
proposent l’idée de « programme minimal garanti » (p 343).

A partir de cette lecture, j’aimerai aborder trois points


spécifiques en lien avec le métier de conseiller d’orientation
psychologue : l’importance du projet scolaire face aux
processus d’aliénation / subjectivation, le sentiment souvent
exprimé par les élèves « d’avoir été mal orientés » et le rôle du
COP dans les jugements scolaires.
L’intervention du COP dans les établissements se fait de plus en
plus tôt, étant donné qu’il est censé intervenir dès la sixième
alors que les paliers d’orientation semblent intervenir de plus
en plus tard dans la scolarité (troisième). D’un côté, on pourrait
penser que l’intervention plus précoce du COP dans la scolarité
pourrait faire émerger des projets plus construits à la fin du
collège, mais il semble que cette idée soit peu fondée étant
donné le fait que la notion de projet semble éloignée des
préoccupations des collégiens. Le projet post-troisième
s’élabore souvent dans la précipitation pendant l’année de
troisième, les meilleurs continuant logiquement vers la voie
générale et les élèves les plus en difficulté devant faire face à
des choix plus précis. Même si l’on peut observer que le choix
d’aller en lycée professionnel correspond souvent à une
intériorisation du niveau scolaire par les élèves, celui-ci n’est
pas forcément vécu sans souffrance. De plus, se pose le
problème de la difficulté d’entrer dans la filière que l’on a
choisie car selon les filières, les taux de pression peuvent
énormes (par exemple, le BEP carrières sanitaires et sociales).
Une partie du travail du COP consiste alors effectivement à
aider le jeune à prendre en compte cette réalité en le poussant
à agir stratégiquement, de manière à ce qu’il ait une solution à
la fin de l’année. Il s’agit alors de le pousser à explorer d’autres
champs moins concurrentiels afin qu’il multiplie ses vœux
d’orientation en fin de troisième. L’angoisse du conseiller est
l’élève « sans solution ». Le fait est qu’une partie de ces élèves
et de leurs parents n’ont qu’une connaissance partielle du
système scolaire et, du coup, ils vivent cette orientation de
manière passive ce qui suscite un sentiment d’injustice.

Face à cette réalité, on entend souvent l’expression « j’ai été


mal orienté » dont se défendent ardemment les conseillers
puisque le rôle du conseiller est de rendre l’élève acteur de son
orientation. Ainsi, du côté du système, on affirme que chacun
est responsable de son orientation, cela n’est pas sans rappeler
qu’au nom de l’égalité des chances, chacun est responsable de
ses échecs ! Pour que l’élève devienne acteur de son projet, il
faut bien que le processus de subjectivation ait été accompli, or
ce n’est pas le cas de tous les élèves et encore moins celui des
élèves en échec scolaire. Dès lors, il paraît important de
comprendre cette expression comme le symptôme d’un
dysfonctionnement et de moins s’en défendre. De même, qu’il
serait essentiel de l’entendre dans le discours de l’élève et de
travailler dessus avec lui. La notion de projet me semble
complètement subordonnée à la problématique d’aliénation
versus subjectivation. D’ailleurs, comme l’aliénation n’est pas la
seule conséquence du milieu social défavorisé et de l’échec, le
fait de se sentir maître ou non de son orientation est également
présente chez les « bons élèves » qui ont suivi les voies tracées
par les parents ou l’institution scolaire. Le processus de
subjectivation ne peut partir que d’une remise en question qui
naît dans les tensions. Cette remise en question de soi-même
nécessite elle-même le développement cognitif, affectif et
psychologique du jeune, en conséquence le collège paraît peu
propice à ce type de processus, alors que déjà s’y joue des
étapes déterminantes dans l’orientation.

Enfin, le COP ne peut évidemment pas se situer en dehors des


jugements scolaires puisque les processus d’orientation se font
en grande partie sur les résultats scolaires. Il peut néanmoins
se dégager du discours de l’égalité des chances qui rend l’élève
responsable de ses échecs. Au contraire, on peut voir
apparaître dans la pratique d’évaluation une demande
croissante de déresponsabilisation de l’échec. Cependant, cette
pratique contient ses propres limites ne pouvant pas proposer
de solution vraiment adaptée aux situations. En outre,
l’entretien individuel permet aussi la reconnaissance de l’élève
et de sa difficulté car le COP peut entendre le fait que l’élève
malgré ses efforts n’arrive pas à améliorer ses performances et
l’aider à se déculpabiliser.

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