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QUESTION DE REFLEXION DE FIN DE SEQUENCE

Dans son essai Louise Labé lyonnaise, François RIGOLOT écrit que Louise Labé « a
ainsi réussi à nous faire croire, par la magie de son langage… » etc.
En quoi les sonnets amoureux de Louise Labé relèvent-ils en effet d’un tour de
passe-passe ?

Louise Labé, Sonnets (1555)


• Une œuvre en trois parties: élégies/débat d’Amour et de
folie/ sonnets en plein 16e s. avec une forte influence de
Pétrarque
• Une poésie dite élégiaque ; Sonnets amoureux, en
apparence
• Le 16e siècle pose comme nul autre la question de
l’interprétation, et de fait, les textes sont riches de
références antiques, d’emplois ambivalents de termes, et de
jeux de mots

Introduction • L’expression de RIGOLOT « tour de passe-passe » renvoie à


la dimension illusoire, spectaculaire, trompeuse des sonnets
de Labé.
• Que nous révèle une lecture superficielle des sonnets? Une
lecture plus approfondie et méfiante? Louise Labé veut-elle
se jouer de nous, nous abuser ou jouer avec nous, et nous
faire exercer notre intelligence devant des poèmes à la
portée non seulement élégiaque mais aussi morale et enfin
philosophique? Derrière l’enjeu de façade, faut-il voir un
enjeu caché et plus encore, au-delà de l’enjeu caché, un
enjeu réel?
Première partie :
une poésie élégiaque
autocentrée?
• Expression littérale et répétée du sentiment amoureux: « amour » v. 1 du sonnet 4,
au vers 2 du sonnet 11,n verbe « aimer » conjugué au vers 11 du sonnet 22;
• Poésie qui semble spontanée et expressive dans la déploration: marques
d’émotivité dans la ponctuation : le sonnet 24 se clôture par une exclamation, le
sonnet 22 s’ouvre presque sur une exclamative (vers 2), le sonnet 13 fait apparaître
coup sur coup deux interrogatives (vers 7 & 10)
• Douleur exprimée qui nous ramène sans cesse à la locutrice: première persone
assumée, qu’il s’agisse de parler à la première personne (« je » quii ouvre sonnet
13 et qui portye aussi bien les sonnets 11 que 22) mais aussi tous les substituts, par
synecdoque qui ramènent à la locutrice au fil des poèmes « mes bras » (sonnet 13),
« ma poitrine » (sonnet 4), « mon œil » (sonnet 11).
Deuxième partie: le lecteur
sollicité et impliqué

• En vérité le discours ne se borne pas à exposer les « larmes ».


• Il veut nous faire réagir et nous faire adhérer: Louise Labé s’adresse aux lecteurs (fin du sonnet 11,
par l’impératif « devinez » ou attaque du sonnet 24 « ne reprenez, Mesdames …. » avec les
destinataires évidents dans l’apostrophe exprimée), ou l’englobe dans ses aventures et réflexions
par l’emploi du « nous » : « nous favorise » au sonnet 4 ou « notre vie » au sonnet 13. Non pas une
poésie autarcique e narcissique mais qui tend à l’universel et au partage d’expérience.
• La formulation des sonnets appelle la collaboration active d’un lecteur, sollicité par les références
culturelles à mobiliser (« Diane » et ses « nymphes » au sonnet 14, « l ’Euripe » au sonnet 13, les
divinités de l’Olympe au sonnet 22 ou « Vulcain » et « Adonis » au sonnet 24…
• Le schéma même des sonnets peut se présenter sous la forme d’une délibération, avec uen
alternative des points de vue, par exemple le dilemme cœur/yeux du sonnet 11 ou sous la forme
d’une hypothèse appelant un raisonnement au sonnet 13.
• Le texte n’est pas neutre, il fourmille d’appellations connotées, par exemple aux sonnets 4 et 11:
lexique de la cruauté et du conflit. => renoncement mais surtout un refus de la neutralité au profit
d’une subjectivité qui oriente la pensée du lecteur.
Troisième partie:
un plaidoyer en faveur
de l’artiste?
• Les poèmes ne sont des dilemmes à résoudre qu’en apparence le plus souvent: faux défis lancés à la raison, ils
se soldent souvent par des apories, c’est-à-dire des impasses, à moins de prendre du recul et de considérer que
le poème veut dire autre chose que ce qu’il dit ou même semble suggérer. Ce sont de véritables leçons
d’éthique que nous donnent les sonnets : le lecteur est remis à sa place mais l’artiste elle se trouve réhaussée.
• Ainsi le sonnet 4 qui à première vue engage le lecteur à rassembler son courage pour résister à l’amour et son
pouvoir, se conclut-il par le verbe « paraître », montrant que tout n’aura été que faux-semblant, et renvoyant le
lecteur qui par deux fois, au dernier vers se croyait devenu invincible (« plus fort contre les forts »), à son
orgueil. Le sonnet 11 a organisé pendant quatorze vers le combat au sommet, finalement factice, entre les yeux
et le cœur, pour nous amener à accepter l’indissociabilité des deux et nous questionnant donc sur notre
capacité à nous créer, à vouloir trop rationnaliser le sentiment, de nouveaux problèmes en n’admettant pas
l’inconfort inhérent à l’amour.
• Le sonnet 19, en forme de « tel est pris qui croyait prendre », invente un récit dans le récit jusqu’à nous faire
confondre les flèches de Diane avec celle de Cupidon, et prendre conscience que l’amour nous contrôle plus que
nous le contrôlons; rappel là encore à notre devoir d’humilité et de modestie en tant qu’humain, tandis que la
poétesse, elle virtuose dans la narration complexe, n’a jamais été si virtuose. Le sonnet 22 renverse les polarités
en substituant au modèle divin au dernier tercet, le modèle de la poétesse malheureuse en amour;
renversement de la hiérarchie qui permet à la poétesse ironiquement, par la plainte amoureuse, de se faire
valoir et sortir paradoxalement grandie.
Conclusion
• Des discours enchâssés dans ces courts poèmes qui
semblent d’une part simples duplicatas des sonnets
pétrarquistes, et d’autre part, assimilés trop souvent
à des expressions pathétiques voire à des bluettes
féminines.
• En réalité le cheminement dans ces poèmes est de
nature à nous perdre: mais dans ces sonnets, les
mots sont à la fois notre labyrinthe et notre fil
d’Ariane, problème et solution; mieux qu’un tour de
passe-passe ou de la magie, de la sorcellerie, c’est-à-
dire la conversion de la contrainte en atout, de la
limite en chance.

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